1Oui, ça va finir – c’est presque terminé. Et pourtant, ça n’en finit pas. Jamais tout à fait. Un rai de lumière faible, encore, maintient un semblant de décor. Les objets deviennent à peine discernables, réduits à l’état de silhouettes incertaines. La politique institutionnelle semble ainsi baigner dans l’obscurité des dernières images du Cheval de Turin, de Belà Tarr, comme aussi dans l’insignifiance de paroles qui n’ont d’autre fonction que d’écarter un silence trop éclatant. Sorte de Hamm contemporain, François Hollande est mis à nu (par ses électeurs) jour après jour, et ne peut donc même pas jouer le rôle du tyran : on avait pu croire un temps qu’il possédait au moins la combinaison du buffet. Chacun comprend maintenant qu’il n’en est rien. Son impouvoir n’est donc pas compensé par un tel savoir, maintenu secret. S’il demandait qu’on le mette à mort, il ne pourrait même pas promettre, à titre de récompense, la révélation de la combinaison. Mais aussi bien l’Europe/les marchés/la finance n’ont pas les scrupules d’un Clov, et s’ils laissent vivre le roi, c’est que le buffet est grand ouvert – quelle serrure serait assez solide pour endiguer la circulation des flux de capitaux ? Remarque de metteur en scène : le couple Hamm/Clov, disons-le, était mieux représenté par le duo Sarkozy/Fillon que par celui qui unit Hollande et Ayrault – s’infliger des souffrances pour combler le néant d’un impouvoir.
2Si cette volonté de faire souffrir n’allait pas plus loin, on pourrait presque prendre en pitié un pouvoir qui, devenu impuissant, trouve refuge dans des rivalités entre prétendants – luttes qui en viennent à donner son prix à l’objet (dérisoire) convoité. Or, c’est bien une méchanceté terrifiante qui s’empare des détenteurs du pouvoir, lorsqu’ils comprennent les limites de leur champ d’action (l’équivalent de l’infirmité de Hamm). Il s’agirait d’abord de se donner une image de gouvernants ayant prise sur les événements, étant entendu que plus les événements nous dépassent, plus on a besoin de feindre d’en être les organisateurs. Les socialistes vont donc se convertir ostensiblement au « social-libéralisme », notamment à travers les « accords compétitivité-emploi », qui signent, de fait, une régression sociale magistrale. Le reproche qu’on peut leur adresser de sacrifier ainsi la politique au profit d’une simple technique de gestion de l’économie est bien mal combattu par la rhétorique d’une efficacité politique baptisée « pragmatisme », puisqu’ainsi est opérée une forme de naturalisation de l’économique, qui révèle encore bien davantage cet impouvoir qu’il s’agissait pourtant de contester.
3Pour se rendre visible, le pouvoir institutionnel va donc, encore une fois, réactiver sa dimension de souveraineté autoritaire – celle qui révèle, au sens photographique du terme, le pouvoir politique, de la façon la plus évidente –, sous couvert, il est vrai, d’impératifs biopolitiques (de prise en charge des conditions d’existence des populations). Droite et gauche semblent bien avoir fusionné, dans leurs pratiques cette fois (elles avaient déjà fusionné physiquement selon Pasolini), une expulsion de camp Rom opérée par Valls ressemblant à s’y méprendre à une expulsion de ce type sous l’ère Sarkozy. La valeur ajoutée propre à la gauche socialiste consistera alors uniquement à procurer un habillage humaniste à une telle opération : on ne peut tout de même pas laisser des êtres humains (avec des femmes et des enfants) dans des lieux insalubres… On détruit donc les caravanes par souci de justice sociale – pour ce qu’il en est de reloger ces populations, on verra ça plus tard. Quant à la réactivation de la question dite du « voile islamique » (quand il s’agit d’un foulard), elle s’opère bien sûr sous couvert des « valeurs républicaines », et éventuellement des valeurs « féministes » – en l’occurrence, cela revient à s’opposer à une décision de justice ayant jugé abusif le licenciement d’une femme portant un foulard dans le cadre de son travail, au sein d’une crèche privée. Cette désignation d’un ennemi est classique, lorsqu’il s’agit de renforcer l’unité d’un groupe social, mais aussi lorsqu’il s’agit, pour des gouvernants, d’améliorer leur cote de popularité (l’ennemi de mon ennemi est mon ami).
4L’erreur de tactique (électorale) du pouvoir, dans cette opération, est d’avoir rendu effectivement indiscernables droite et gauche de gouvernement : l’ennemi des socialistes (que Hollande avait d’abord dit être la finance) ne diffère qu’en paroles de celui de Sarkozy. Et ce n’est pas la rhétorique autoritaire et nationaliste du Front de gauche qui modifiera les choses, même si les découpages du « nous » et du « eux » peuvent alors emprunter d’autres voies. S’il s’agit de rendre effectif un monde immunitaire, de l’entre soi, duquel l’étranger (quelque figure qu’on puisse lui donner) est banni, la politique institutionnelle s’inscrit alors dans le champ de la xénophobie d’État. Échapper à la catastrophe du présent, cela ne peut donc se penser qu’en marge d’une telle politique, qu’en déjouant les dispositifs maintenant la plèbe hors du champ de l’action politique.