Lignes 2011/3 n° 36

Couverture de LIGNES_036

Article de revue

Dyschronies marocaines

Pages 73 à 91

Notes

« On est lent parce qu’on va loin. »

11. Serait-ce déjà le ressac, le reflux, le retour du même ou quasiment ? Ici et là, une pluie de cendres retombe sur l’événement, comme suspendu désormais dans l’indécidable. À preuve, ce constat désolant : on torture encore un peu partout [1]. Au Maroc, dans le centre secret de Temara (où les jeunes venus manifester ont été refoulés par les forces de l’ordre [2]), à Bahreïn, en Syrie, en Iran... Chaque jour apporte son lot de désenchantement, et chaque jour pourrait confirmer que le temps de la subversion est spiralé, qu’il opère parfois d’interminables détours avant de rejaillir dans sa puissance de renouvellement. Au désert, il arrive que les pluies adviennent sans atteindre le sol : elles restent en quelque sorte virtuelles. Alors que la touffeur étreint les corps et que la poussière envahit l’horizon, les Sahariens disent : « Il pleut dans le ciel » ou bien : « au bout de la patience, il y a le ciel. » C’est contre ce type de comportement – réserve stoïque, piétisme, attentisme... à l’appui du sabr, cette vertu cardinale de « patience » et de « persévérance » prônée par le Coran –, c’est contre ce comportement prescrit donc que les jeunes, c’est-à-dire la majorité minorée de la population, se sont insurgés en gagnant la rue, et en prenant date (au Maroc, c’est le Mouvement du 20 février). Et cela fait date en effet, puisque ce qui marque rupture ou plutôt ce qui marque un décrochement, c’est que le rapport au temps (et pas seulement le cours de l’histoire) a changé : c’est l’être-là lui-même qui est devenu autre dans l’ouverture du possible, dans l’impatience et la vitesse de l’insurrection. Ce qui ferait preuve ici, ce n’est pas seulement que le temps débonde, sorti de ses gonds comme tout le reste ; mais qu’il a, en l’espace de quelques semaines, trouvé un cours fluvial : torrentiel, impétueux et unitaire, rassemblé en lui-même, entier, réconcilié – à l’image du peuple qui vient à expression.

2Pour prendre la mesure de ce bouleversement, il faut le situer par rapport à deux régimes temporels qui lui sont antinomiques : celui des Frères musulmans (FM), et celui de la mondialisation, telle qu’elle est subie dans cette région du monde. Les FM n’ont pas de stratégie de rupture ; ils doivent, selon El Banna, leur maître, vivre entre ce monde et l’autre, tournés vers l’éternité qui n’appartient qu’à Dieu, et solidement ancrés dans l’effort quotidien qui mène au salut. Il s’agit, jour après jour, de s’astreindre au grand jihad (à la guerre contre les passions), de gagner profondeur et extension par l’exemplarité, la persuasion, l’action solidaire : il faut savoir attendre, s’éprouver, se cuirasser, attirer chaque fois plus d’adeptes, gagner des territoires… et le moment venu, cueillir la victoire « comme un fruit mûr » : on ne brusque rien, on amasse lentement et sûrement, en programmant le long cours dans l’ascèse individuelle et le grignotage du collectif ; en visant la domestication des choses au double sens de l’apprivoisement et d’une référence à l’économie domestique. Cette politique d’imprégnation lente qu’on a vue à l’œuvre ces dernières décennies un peu partout, cette stratégie de pénétration graduelle des esprits qui a déjà modifié la rue (la fameuse « rue arabe » offrant, avec ses voiles extravagants, le spectacle de l’ordre moral), cette intégration indéfinie entre politique, identité et religion, se donnent pour mission interminable de réapproprier le sens, et rassembler la communauté. Seuls les djihadistes sacrifient à l’urgence, pressés de quitter ce monde et d’aller droit au paradis. Dans l’ensemble, c’est au contraire cette incitation à investir la durée de manière disciplinée et rangée dans l’indifférence au cours affolé du siècle, qui donne force au mouvement. Elle vaut aussi bien de soutenir une quête individuelle, que d’objecter dans sa dimension publique à la dyschronie de la mondialisation, à la stagnation de la crise, au forçage commis par les dictatures (kémalistes, baassistes, etc.) dans leur volonté de modernisation : elle signifie le refus de la course qui mène le monde, des diktats du « progrès » et des fractures qu’il opère, de l’échéancier institué, comme de l’immobilisme. On ne sous-estimera pas l’efficacité d’un engagement qui se fait fort d’opposer endurance et vertu à l’affairement du monde, tout en instruisant des retrouvailles « fraternelles » avec le peuple. Il a résisté à toutes les répressions depuis les années trente, noué des fidélités, implanté des organismes sociaux un peu partout, orienté la scène politique et les institutions religieuses, etc. Et il s’est assuré de cette légitimité inaliénable que garantit le temps. D’un autre côté, sa réactivité repousse : ces islamistes semblent déjà vieux, débordés de toutes parts par le monde, peu consistants, sinistres, inquiétants. Il faut des situations d’exception (le pétrole, les guerres, les occupations territoriales, les dictatures, le terrorisme, la misère, le racisme et l’islamophobie… toutes ces « malédictions » qui accablent ce monde) pour qu’ils trouvent un semblant de reconnaissance chez les jeunes. Une chose est sûre : l’idée de révolution leur est étrangère, et ils « font tourner la roue de l’histoire à l’envers ». Ces islamistes courbent la flèche du temps vers l’Origine (le modèle médinois) autant que vers la Fin (le Jugement de Dieu) proposant ainsi un contre-modèle messianique.

3La mondialisation produit quant à elle de la dyschronie ; on l’a assez dit, des déphasages, des fractures, des dérèglements de tous ordres, du fait de la coexistence dans un même espace d’identités et de temporalités hétérogènes. Tout se passe comme si la clôture de l’espace plissait le temps, les plaques (chrono) tectoniques des continents culturels s’entrechoquant, se chevauchant, descellant les strates et les sédimentations, au point de détraquer le rapport au monde et de susciter rétractions et replis. Sur ce processus, chacun a apposé sa grille de lecture mais on s’accordait à dire il y a encore peu que l’utopie a cruellement fait défaut. Qu’à ce stade, la globalisation décuple, outre des inégalités abyssales, les mauvais mélanges et les effets de résonance dévastateurs d’une culture à l’autre ; qu’il en résulte alors une bouillie, une mêlée de forces et d’appétits innommables dont la sauvagerie attaque l’humain. Il est vrai que la dyschronie, cet écart entre soi et soi, et entre soi et le monde qu’ouvre la pluralité des temps (des histoires, des traditions, des « stades de développement »…) n’est pas un phénomène nouveau. Initiée à l’ère coloniale dont elle exprime la violence ontologique, cette non-coïncidence douloureuse avec soi cristallise imaginairement pour les sujets toutes les failles, les écarts, les retards. Elle ressortit d’une modernisation brutale, partielle (des missiles, des barrages, des vaccins, mais pas de libertés) souvent infligée d’autorité par le haut. La globalisation qui intensifie le mouvement prend de plein fouet des sociétés qui aspirent à une « normalité décente » ; et qui se voient refuser la circulation et l’accès au global répercuté dans sa virtualité sur le web, les chaînes de télévision satellitaires, etc. Or la ligne de partage dyschronique passe partout, très visiblement et sans discontinuer, allant d’à-pics en blocages et en embrouillements. Pour le dire vite, elle percute les langues, les usages et les corps, elle divise les consciences, les classes sociales, les générations, les villes qu’elle sépare des campagnes. Et bien entendu, elle écarte les jeunes des patriarches qui les gouvernent : ce qui a condamné ces dirigeants, ce n’est pas « l’archaïsme » des islamistes mais cette donnée explosive qu’ils ont eux-mêmes produite en se cantonnant à une modernisation « mutilée ». Analysant ce trouble dyschronique, le philosophe iranien Daryush Shayegan [3] évoque le règne des distorsions et des hybridations manquées, des disparités et des incongruités, des extrapolations et des identifications impossibles ou toujours contrariées, du double langage et du clivage entre le dehors (les représentations, les pratiques) et le dedans (les affects, l’imaginaire, la vie intérieure, les idées), des blocages ou des fuites en avant, des désillusions et des regrets inexprimables…, tout un bouillon de culture vénéneux ou désaxé ; le sujet s’épuise à sauter d’un paradigme à l’autre, d’un fuseau historial à l’autre, pour n’être renvoyé en fin de course qu’à l’amertume du looser, du diplômé chômeur, du sans-papiers, du hittiste (ce désœuvré qui, emblématique de toute une condition, « tient son mur »), de l’islamiste enfin qui a trouvé refuge spirituel et matériel à la mosquée.

4Pour régler le problème, les islamistes n’ont rien trouvé de mieux que de renvoyer à l’intense frugalité des compagnons de la première heure d’un côté et, de l’autre, au Jugement, à l’apothéose de l’esprit de jugement qui les anime. Ils se sont borné à poser une ligne purement imaginaire du temps, non plus fractionnée et enchevêtrée, mais droite, toute droite depuis l’origine et conquérante, faisant bloc contre l’autre. C’est qu’ils se veulent monolithiques (à l’image du machiste le plus ordinaire) c’est-à-dire impénétrables, rigides, homogènes sous le signe de l’Un, et en dernière instance d’un Dieu puissant et justicier. Seul un enfermement total, ou plutôt univoque comme celui que pratiquent les Saoudiens à l’échelle d’une nation, peut opérer ce retranchement. Il y aurait évidemment beaucoup à dire – et à redire – sur l’Arabie des Saoud, l’état d’exception du pétrole, la licence totale et la suprématie qu’il procure, les alliances qu’il génère, le prosélytisme qu’il finance, les politiques de sérail et le régime sectaire que ces despotes exportent depuis des décennies – avec l’assentiment des puissances occidentales.

5C’est tout cela que la jeunesse fait magnifiquement voler en éclats – dans la non-violence. Via les réseaux, elle a rejoint le cours du monde qui est le sien, opérant ainsi une réconciliation avec soi, dans la concordance des temps et l’effervescence du multiple. Par la force de l’événement, les dictatures ont basculé dans l’ancien régime, révélant à l’attention de la planète un ordre momifié, archi-corrompu, depuis toujours sénescent. La jeunesse a également balayé la « solution islamique » (« L’islam est la solution » proclament les FM [4]), sa sinistrose disciplinaire, sa cafarderie moralisante, sa violence : la jeunesse, c’est-à-dire la soudaineté joyeuse de l’intempestif, la liberté, le désordre de la rue, la fitna – terme génial qui signifie à la fois sédition et séduction – toute cette kermesse sur Tahrir où chacun y va de son slogan sur sa pancarte, en criant : « Dégage, dehors, dehors ! », tout cela donc ne répond en rien à leurs vœux : « Dedans, entre nous, dans la “maison de l’islam” et la Vérité qui nous appartient ». Le mouvement a surpris par la maturité politique des discours et des comportements, par sa civilité citoyenne (a-t-on jamais vu des manifestants balayer et repeindre la rue après leur passage ?), par son engagement dans la non-violence qui exorcise le spectre de plusieurs décennies de guerres, de terreur, d’attentats-suicides banalisés. Mais il y a plus pour tout le monde : on serait prêt à croire au vu de la Plaza del Sol à Madrid, des rassemblements à Athènes, à Lisbonne…, des changements de cap en Islande, à un retour des avant-gardes politiques. Comment ne pas se réjouir d’apprendre que les maîtres chinois ont censuré le mot « jasmin » sur les moteurs de recherche ? On avait enterré un peu vite le politique, la démocratie, la modernité, l’histoire, etc., ces maîtres-mots reprennent sens et hauteur, en éclipsant les rengaines postmodernes. Et contre toute attente, la mondialité a pris un autre visage en ce début de siècle incertain. Il s’agit donc de repenser aussi la mondialisation au vu de ce regain d’émancipation.

62. Le Maroc est dyschronique par vocation, en raison de son destin historique (une vieille nation, une dynastie multiséculaire) et géographique (à quelques encablures de l’Europe). Il ne s’agit donc pas d’un régime temporel contraint ou intensifié par la mondialisation, mais d’un trait identitaire assumé, non sans tensions, par le pouvoir comme par la majorité de la population. Le premier joue de cette double postulation : la monarchie a conservé jusque tout récemment des prérogatives sacrales ; sa souveraineté s’attache encore un titre islamique (la commanderie des croyants). Et ce régime revendique hautement sa différence, tout en louchant vers l’Occident, c’est-à-dire pour l’essentiel vers le néolibéralisme mondialisé, la consommation, le tourisme, une certaine liberté des mœurs. Quant à la société, on dira pour couper au plus court, qu’une partie est quotidiennement branchée sur l’Europe via les chaînes satellitaires, et le grand nombre sur Al Jazeera et les programmes du Moyen-Orient (par quoi, tendanciellement, la société s’arabise et s’islamise : la dyschronie ressortissant chaque fois plus de l’hétérogénéité théologico-politique). La situation actuelle est difficile à appréhender du fait de cette tension épocale qui peut induire une fracture entre deux cultures politiques antagoniques : non pas tant entre les islamistes et les autres, qu’entre ceux qui, visant la démocratie, se donnent un référentiel universel, et un fond lourdement conservateur, terrien, sunnite, passivé et en définitive apolitique – d’aucuns diraient antipolitique – qui prône depuis toujours le statu quo et l’accommodement. La difficulté provient également de ce que le Maroc, qui semble voué par nature à une position intermédiaire ou ambiguë – c’est toute la question – a amorcé depuis les années quatre-vingt-dix un processus réformiste, une « transition » pilotée d’en haut. Autant dire que le Mouvement du 20 février s’inscrit lui aussi dans la durée, en ressaisissant à sa manière très contemporaine (Facebook, Twitter [5]…) une longue tradition d’émancipation, fortement réprimée sous le règne précédent. Mais cet état des choses nuancé signifie aussi que les uns verront aujourd’hui une poursuite de l’évolution et relativiseront la violence coercitive, là où d’autres – la jeunesse en particulier – relèvent l’insuffisance voire l’inanité du changement. Enfin, pour compliquer le tout, il faut considérer que le processus se poursuit à ce jour, en cette fin juin, et qu’il est susceptible d’évoluer dans un sens ou dans l’autre. Le moment marocain n’a donc pas le tranchant révolutionnaire ou agonal qu’on observe ailleurs, mais un processus est amorcé qui marque à ce jour un rapport de vitesse entre le peuple qui continue de manifester périodiquement, et le régime – lequel accélère le changement, puis recule, bref, répond à cette mobilisation potentiellement insurrectionnelle par une série de discours contrastés. Il s’agit bien pour le pouvoir de désamorcer l’agitation en se donnant la maîtrise du temps : le Mouvement devrait selon lui être soluble dans la réforme ; il confrontera forcément le chiasme marocain (« un pays de traditions ouvert à la modernité », « un pays froid doté d’un soleil chaud », disait Lyautey !) et l’implacable obstination des chiffres et des faits (un pays pauvre, dont plus de la moitié est frappée d’analphabétisme, et dont la croissance est grevée par une guerre aux marches du désert, etc.). On s’en tiendra, face à la complexité de cet entre-deux, à quelques remarques très générales.

7Que s’est-il passé en quelques mots ? « Le sujet est devenu un verbe » comme dit une pancarte. Ou encore : « La peur a changé de camp ». Suite à la chute de Ben Ali et de Moubarak, ici comme ailleurs un groupe de jeunes (étudiants, diplômés chômeurs, journalistes…) appelle à manifester. Face à l’ampleur des ralliements, le roi Mohammed VI réagit vite (9 mars) en annonçant un changement constitutionnel. Et il nomme à cet effet une commission consultative qui statue, elle aussi, en un temps record. D’emblée, l’organe sera frappé de soupçon puisqu’il ne procède pas d’une constituante élue par le peuple comme le réclame le Mouvement – procédure lente, plus risquée politiquement, qui aurait eu le mérite du débat et surtout de la légitimité populaires. Ce péché originel va compromettre l’ouverture préalablement annoncée et ranimer la défiance. La Constitution est présentée (17 juin) par le roi en personne, qui invite les Marocains à la soutenir, et cette fois encore tout est précipité : le peuple aura moins de quinze jours pour prendre connaissance du texte – lequel confirme le vieil adage du Sud légitimiste qui veut que « tout doit changer pour que tout soit comme avant ». Si la démarche a été saluée à l’extérieur, notamment par la France, et soutenue à l’intérieur par les principales formations politiques du pays, les jeunes, quant à eux, ou plutôt le mouvement social qui s’est agrégé autour d’eux, persévèrent dans leur revendication d’une redéfinition du pacte social au travers d’une monarchie parlementaire.

8Ce qui est mis en cause par le Mouvement, ce n’est pas tant en effet le principe monarchique en lui-même (les républicains restent minoritaires à ce jour) ni même la personne de M6 (comme on l’appelle) dont la popularité est grande, mais l’appareil despotique qui l’entoure : le makhzen ou si l’on veut le sérail, sa structure, sa clôture, ses mécanismes délétères. C’est : « makhzen dégage ! ». L’une des définitions les plus rigoureuses du despotisme [6] renvoie à l’étymologie grecque (dhespótis) qui signifie maître de maison : c’est la confusion du public et du privé. La domination en cela change de sens et de manière : si elle peut se montrer moins autoritaire que celle des dictatures arabes, elle porte atteinte au politique comme tel, et ne manque pas de perversité. Ce qu’il faut considérer ici, c’est d’une part la nature très particulière du lien sentimental entre la population et son souverain ; d’autre part le mode de gouvernement non moins spécial qu’elle recouvre. Concernant l’attachement au roi, le mystère monarchique, avec sa symbolique profuse et son imaginaire luxuriant, opère ici comme ailleurs. Qu’on se rapporte à l’engouement global pour le mariage princier chez les Britanniques : il y a là un atavisme puissant que servent l’effondrement des idéaux progressistes, la politique-spectacle (une donnée que M6 a parfaitement intégrée), le vide postmoderne en un mot. Aussi curieux que cela puisse paraître, c’est donc bien une forme de rapport privé (un lien personnel abstrait, teinté d’affects et d’habitus inquestionnés) qui lie le roi à son peuple : cette relation est à mettre sur le compte non seulement de la propagande, mais de la durée immanente aux règnes, d’une mythologie à la fois sombre et numineuse, de la dimension sacrale d’une autorité immémorialement suspendue entre ciel et terre. Et ce régime est à décliner selon ses particularismes marocains que sont d’abord la légitimité que procure le temps, attribut inestimable de la souveraineté, qui s’accompagne de tout un décorum, un protocole d’un autre âge (symbolisé par le baise-main et la cérémonie d’allégeance) et un déploiement de faste pompeux. Il faut y joindre, à défaut de sacralité proprement dite (la nouvelle Constitution parle « d’inviolabilité » de la personne royale), la toute-présence du monarque qui obnubile et sidère littéralement les esprits. Ou encore la baraka, cette source de protection divine qui, affluant à l’occasion pour garantir l’abondance et la paix des sujets, manifeste ad hoc un lien privilégié avec la transcendance. Dans l’ensemble, la relation est confortée par la personnalité de M6, roi entreprenant, communiquant, qui bénéficie d’une comparaison favorable avec son père (disparu en 1999).

9Mais cette prépotence monarchique ne va pas dans ce pays sans une autre donnée historique qui insiste dans la mythologie collective, le siba ou l’insolence : fronde des tribus d’autrefois, toujours en armes, prêtes à guerroyer et à se soulever aux frontières du pays soumis payant l’impôt. Elle a pu donner le sentiment que la souveraineté n’était jamais entièrement gagnée mais toujours à reprendre, et que seul l’État moderne, avec ses techniques de surveillance et de contrôle, était parvenu à réduire ce pays intraitable, et à assurer l’allégeance. Du reste, on trouve sur ce point de la dissidence la vieille hantise de toute la pensée classique en islam. Il faut relire Ghazali par exemple, ce maître de la Sunna (mort en 1111) pour percevoir à quel point le spectre de l’anarchie et de la violence travaille le politique, apparaissant même comme ce qui détermine l’art de gouverner. Du reste, on ne le dit pas assez, l’obéissance est un devoir religieux (coranique) et pas seulement l’expression de l’absolutisme. Le souci du consensus (posé en droit) et de la stabilité au titre de l’idée communautaire ou nationale, va de pair avec une représentation de la justice désireuse avant tout d’éviter l’hybris et le débord des passions, fût-ce au prix de la liberté : tout sauf la fitna. Ces considérations (beaucoup trop) générales expliquent pour partie un certain désinvestissement par rapport à la chose politique au profit du statu quo – disposition que viennent nourrir la peur et la paralysie des sujets face à l’omnipotence des appareils policiers modernes.

10Il est remarquable que, dans ce contexte d’asthénie politique supposée, le Mouvement ne se soit pas limité aux grands centres urbains mais qu’il ait dès le départ rallié jusqu’aux grosses bourgades sur l’ensemble du territoire. Qu’il engage de surcroît un spectre très large d’opposants allant des gauchistes aux islamistes en passant par les féministes, les défenseurs des droits de l’homme et les amazigh (les militants berbères) ; et ce sont sans doute l’amplitude et la diversité exceptionnelles de ce rassemblement qui ont alerté le pouvoir. Et qu’enfin le débat politique du moment n’éclipse pas les revendications économiques et sociales. Le Mouvement s’élève aussi bien contre la répression et les diverses manipulations qui ont cours pendant cette campagne (elles sont nombreuses) que contre des données structurelles, comme les inégalités sociales, le chômage, la prédation économique, la corruption sous toutes ses formes, la dégradation des services sociaux, de l’éducation nationale, de l’appareil judiciaire, etc. Ses mots d’ordre invoquent « la vie digne », la justice sociale et la démocratie. Cette extension – du contenu comme de l’adhésion populaire – donne à penser que ce qui vient à expression aujourd’hui, en remontant du fond des âges et des profondeurs de la société, perdurera d’une manière ou d’une autre.

11Face à cette mobilisation, le pouvoir va souffler le froid et le chaud au fil des événements : flexible au début, il va suivre les retournements dans le monde arabe, en Syrie, au Yemen, à Bahrein, en Libye… et envoyer ses agents de l’ordre, ses baltajiya et ses nervi contre les manifestants. Un jeune militant du Mouvement, Kamal Amari meurt de ses blessures. En reprenant la main, au début, par la concession (augmentation des salaires des fonctionnaires, hausse des subventions des denrées de première nécessité, amnistie de prisonniers politiques) et par la réforme constitutionnelle surtout, il escompte gagner sa survie. Mais aussi bien, en pliant, le régime exprime-t-il sa finalité (qui est de durer) tout comme son mode opératoire : encore une fois le (néo-)despotisme n’est pas un totalitarisme tel qu’on l’entend communément, et il ne s’agit pas tant d’une différence de degré dans la violence répressive que de nature. On n’insistera pas ici sur le caractère autocratique du monarque, à quoi tout s’ordonne encore, et vers qui tout converge (tout du moins imaginairement) : cela est connu, la personnalisation restant le trait dominant du régime. L’essentiel en effet, dans cette concentration du pouvoir, n’est pas qu’il réprime moins que dans un passé récent, ou que d’autres gouvernements arabes – ce qui incontestablement est le cas – mais que la domination opère autrement, qu’elle repose sur d’autres fondements, et qu’elle engage une psychopolitique particulière ; même si, au bout du compte, il n’y a pas « d’exception marocaine » comme on veut le faire croire.

12S’il y a confusion du public et du privé, on ne s’étonnera pas de la corruption qui grève tout l’appareil d’État, du sommet à la base. Dans le passé, le Trésor public servait aux dépenses du monarque qui pouvait y puiser à pleines mains. Comme disaient les Sultans ottomans, « c’est la fontaine royale des faveurs qui produit la meilleure récolte dans le champ de la souveraineté ». Il n’est pas indifférent qu’aujourd’hui M6 passe pour « le premier opérateur économique privé du royaume » (Wikipedia). Cette emprise est redoublée par l’orientation néolibérale du régime : la privatisation est en l’occurrence dénoncée sur tous les fronts, au titre d’un système qui conforte par la richesse l’unicité et la prépotence despotiques, selon une même logique autocratique et prédatrice, où l’accumulation économique et politique se renforcent l’une l’autre. Pour la rue, il n’y a plus le moindre doute : on baigne dans l’irrégularité, mais cela relève de l’inéluctable, d’une sorte d’addiction. On n’est plus pour autant dans un système où, comme il y a peu, la domination passait par le don, la dépense somptuaire, l’évergétisme, la redistribution caritative : plus exactement, cela ne suffit plus. Et l’un des points forts du Mouvement est sa dénonciation de la corruption, dont Wikileaks a révélé l’accroissement et l’instrumentalisation par les plus hautes sphères de l’État [7], parlant à cet égard d’une « voracité inouïe » (appalling greed). Et s’il y a une réflexion à mener c’est bien sur ce phénomène qui cristallise toutes les tares du régime : la politique de l’arrangement ou de la combinazione petite ou grande, le flou des réglementations, le clientélisme, l’injustice sociale (les riches achètent leur impunité, les autres paient), le changement de valeurs : l’argent-roi est exalté par une nouvelle classe aussi tapageuse que stérile de s’être souvent enrichie par la spéculation immobilière, le trafic, la concussion. Tranchant avec le formalisme bien pensant et les manières un peu pincées des bourgeois de Fez, ces fortunes incommensurables consacrent le luxe dans son arrogance et sa visibilité d’aujourd’hui. La contamination est telle au sein de l’État que tout contact avec l’autorité publique semble désormais soumis à une taxation frauduleuse, un don contraint : décisions de justice, avantages fiscaux, contrats d’affaires, soins hospitaliers ou simples démarches administratives, sans parler des petites infractions quotidiennes, tout se monnaie d’une manière ou d’une autre [8]. La revendication de dignité que clament les slogans ne renvoie pas qu’au mépris des puissants, au sentiment intolérable d’inexistence face à la barrière que représente le makhzen, elle recueille aussi la lassitude face à cet abus de pouvoir, et une exigence de moralisation publique et de respect de la loi et du citoyen.

13On s’explique aussi par l’amalgame public-privé cette autre constante du sérail qu’est l’influence des favoris, nommément épinglés par les manifestants, le népotisme, toute cette chaîne de complaisance clientéliste donnant accès aux charges, aux prébendes et aux passe-droits. Car là encore, dans cette société très inégalitaire et qui reste largement segmentaire, cela détermine une conduite générale. L’économie morale et politique repose le plus souvent sur des tactiques d’échanges de faveurs entre ce petit monde et un État arrangeant où convergent les liens de classe de famille, de région ou de religion… C’est toute une sociabilité politique qui est assimilée, sinon dans sa légitimité, dans sa banalité, et dont le pouvoir sait jouer de manière virtuose [9]. Il faut enfin noter, même succinctement, l’idiosyncrasie makhzénienne comme mode de gouvernement [10] et comme imaginaire politique. Si M6 déçoit aujourd’hui, c’est qu’au début de son règne, il a semblé prendre ses distances avec ce système. Il a donné le sentiment de se rapprocher du peuple et n’a plus résidé au Palais. L’effet de contraste avec le règne précédent était saisissant. Bien que limitée dans ses prérogatives, la commission Équité et Réconciliation a marqué symboliquement une césure forte avec « les années de plomb » et l’ordre du père. Le jeune roi d’alors a réhabilité les grands prisonniers politiques, et dédommagé la plupart d’entre eux. Il a changé le statut des femmes : c’est sa réforme la plus décisive – qui, il faut le dire, reste impopulaire et peu appliquée. La presse est libre, le personnel politique renouvelé, une nouvelle ère semblait s’ouvrir. M6 engagea une série de grands travaux et de chantiers économiques ambitieux. Deux premières hypothèses – à conjuguer – peuvent rendre compte de la crise de confiance d’aujourd’hui. L’une fait état de la maturation politique de la société qui, profitant de l’ouverture, s’organise, se mobilise, ne tolère plus l’arbitraire et l’abus, et veut pousser à son terme le processus d’émancipation (psychique, politique, économique, etc.). « Responsabilité » et « devenir-adulte » donc de l’opinion publique qui veut pleinement accéder à la citoyenneté et la modernité politique. L’autre hypothèse témoigne plutôt de la force du makhzen, cette nébuleuse opaque et corrosive incarnant l’État, ce vieux machin insondable, avec ses serviteurs, ses murs et ses entrepôts [11]. Arbitraire et caducité d’un système dont les logiques d’accaparement, de neutralisation et d’ingestion n’ont d’autre fin que la résilience – et la résistance au changement. Ce dont le Maroc s’est toujours prévalu – son ancienneté – serait ce qui, dégénérescent, œuvre contre lui. Il n’est donc pas absurde pour comprendre ce système de recourir à cet égard aux analyses les plus classiques sur le despotisme, le gouvernement des Ottomans par exemple. Face aux révoltes cellali qui persistent dans l’empire, Süleyman le Magnifique en campagne à l’extérieur, n’attaque pas les insurgés de front, il temporise, récupère leur chef en lui donnant un poste dans ses armées, et frappe lorsqu’on s’y attend le moins : tactique que ne désavouent pas les Miroirs des Princes arabes, lesquels mettent l’accent sur la ruse, la patience, la séduction dans l’exercice du pouvoir. C’est tout un art que d’éblouir, de parader et de s’entourer de secret et d’ombre, de reculer et ménager des tolérances ici pour l’emporter de quelque façon ailleurs ou dans le long cours, de gagner par le don, la dépense, l’attention particulière, de gérer l’alliance et l’opposition selon un même mode : en s’adressant aux personnes, en élevant ou rabaissant des sujets. Ce misérable trésor d’habiletés est ce qui produit l’assujettissement : la relation d’un maître tout-puissant, avec ses humeurs, ses dispositions, ses goûts… et d’un individu fasciné, proprement subjugué, captif en un mot de l’emprise monarchique. L’individuation passe par la soumission à l’autorité, quel que soit son nom (roi, père, patron, etc.).

14On est loin des monstres froids modernes, de leurs placardages idéologiques et de leurs mécanismes de répression massifs, frontaux et définitifs tels qu’on les trouve dans les régimes totalitaires comme celui de Saddam Hussein ou de Bachar Al-Assad aujourd’hui. Les règles restent implicites et connues du seul cercle des initiés qui officient de pères en fils, affidés et serviteurs plus que zélés, dans un climat de chicanes et de rivalités intestines. La « gouvernance » est confiée aux experts, la politique réservée au roi. Neutralisés pour la plupart d’entre eux, les partis ont perdu toute crédibilité (hormis les franges les plus jeunes, ils n’ont pas soutenu le Mouvement). Les Oulémas se sont rendus ; et beaucoup d’associations préfèrent s’intégrer plutôt que d’être soumises aux tracasseries et aux pressions. Encore une fois, le despotisme n’a pas la sauvagerie innommable et la brutalité carrée qu’ont illustrées les grands monstres du siècle dernier : il est sinueux, insidieux, ambigu, pervers, doué d’une grande plasticité et traversé de courants antagoniques. Il ménage les apparences et il négocie dans le clair-obscur, en sous-main ; il louvoie, triche, joue de séduction intra muros ; et il laisse des marges de liberté et de débat, assure des espaces cathartiques (fêtes et festivals… mis en cause par le Mouvement). De là qu’« on » s’en accommode : si ce système est toléré ce n’est pas seulement que les masses reconnaissent l’ascendant symbolique du roi, c’est aussi qu’il répond de cette étrange tournure propre au sérail qui noue des relations ni publiques ni privées, mais situées dans une zone indécise où sombre le politique. Ce n’est pas le lieu ici d’insister sur ce point compliqué, mais la force du régime vient aussi, en grande partie, de ce que les consonances et les interfaces avec l’ordre social sont multiples : il faut à cet égard se rapporter aux travaux récents de Béatrice Hibou [12] qui, remettant en cause maître-mots et intentionnalité étatique, montrent comment, dans le domaine économique en particulier, ici comme ailleurs, les constructions discursives de l’État et ses pratiques de domination ne sont pas extérieures à la société ; et que celle-ci joue à son tour d’ambivalence : mille manières plus ou moins conscientes de contourner, « braconner » ou négocier au quotidien – en renforçant circulairement le système. Béatrice Hibou renvoie au désir de protection, à la recherche de sécurité et de stabilité, aux demandes d’ordre en situation de crise ou de précarité ; et on le sait, plus ces appels sécuritaires sont forts, plus la dépendance s’accroît. Elle explique comment, même dans les cas extrêmes, l’état d’exception ne va pas sans inclusion, qu’il s’agisse de politiques sociales, de reconnaissance symbolique, ou de séduction matérielle ; et comment les micro-interventions incessantes de l’État deviennent en définitive indolores, non seulement du fait de leur banalisation mais parce qu’elles peuvent être retournées et utilisées. Sans nier l’asymétrie du pouvoir ou la centralisation, elle montre l’imbrication des forces, la convergence des formes et « l’indéfinition du politique » qui en résulte. Pour rendre compte de cet effet de miroir, il faut également saisir l’anthropologie et se rapporter au néo-patriarcat [13]. À suivre une histoire conjecturale, il y aurait un pacte de virilité tacite entre le haut et le bas, le despote et les petits maîtres (pères de famille, époux…) qui ont désarmé et se sont soumis au pouvoir central, moyennant le maintien de leurs prérogatives dans l’enceinte domestique. Un pacte rompu en quelque sorte par M6, qui, sous la pression des mouvements féministes, engage une réforme au début de son règne. En sorte que si, d’un côté, la moudawana (ce code du statut personnel améliorant les droits des femmes) est mal reçue par la majorité des Marocains, de l’autre, les femmes sont nombreuses et actives au sein du Mouvement – les islamistes ayant accepté, semble-t-il [14], l’égalité de principe entre les hommes et les femmes dans cette plateforme.

15Déverrouiller la parole, entraîner pacifiquement les gens dans la rue, en finir avec l’assujettissement et avec l’arrangement. Les jeunes n’ont ni programme à proprement parler, ni leader, ni organisation pérenne ; mais ils ont rompu le cercle despotique. Comme les tribus de hackers ou d’autres utopistes, des situationnistes aux nomadologues, en passant par les arpenteurs de l’intelligence collective ou les défenseurs des « biens communs culturels et informationnels » qui ont marqué les débuts du web, ils représentent une idée plutôt qu’un groupe. (Et qui eût cru qu’elle déboucherait là, l’idée libertaire, à la périphérie arabe, dans cette région sous-équipée du monde ?) Sachant le jeu pipé, ils appellent au boycott du référendum : plutôt qu’au nombre de voix favorables, il faudra prêter attention aux chiffres de l’abstention. D’autant que M6 a mis tout son poids dans la balance pour défendre sa petite ingénierie institutionnelle : le boycott est interdit, des journalistes sont emprisonnés ou molestés. Enfin, la Constitution elle-même pose problème. Il faut saluer des avancées notables telles que l’inscription de l’égalité entre les hommes et les femmes, l’abolition de la torture, la reconnaissance de la langue berbère, l’institution d’un conseil des Droits humains, le droit donné aux citoyens de pétitionner et de proposer des lois aux groupes parlementaires… Mais, on le sait bien, la vérité historique d’une loi est dans son exercice : elle ne prend sens que dans la concrétude, en l’occurrence dans la manière dont les uns et les autres vont l’investir, l’approprier, ou au contraire l’ignorer. Or les jeunes font à juste titre valoir que le roi reste maître du jeu politique : il garde la haute main sur l’armée et les institutions religieuses, comme sur la magistrature et sur l’appareil sécuritaire au travers de conseils qu’il anime. Le principal acquis est l’accroissement du pouvoir du Premier ministre, lequel sera désormais issu du parti vainqueur des élections. Mais le roi intervient sur l’exécutif et sur le législatif via les nominations (ministres, hauts fonctionnaires, diplomates, etc.) sur proposition, il est vrai, du Premier ministre ; ou au travers du conseil des ministres qu’il préside et dont il fixe l’ordre du jour. Il peut gouverner par décret, dissoudre le parlement et exiger la relecture d’une loi, etc. Comme dit justement un bloggeur, il « a donné les clés mais il a gardé les doubles ». Dans l’ensemble, la plupart des améliorations sont assorties de restrictions, enveloppées d’ambiguïté : l’égalité des sexes par exemple est proclamée, mais il faut rester « dans le respect des lois inspirées de la religion musulmane » (ce qui ne résout pas le problème de l’héritage). Ou bien, « sont garanties les libertés de pensée, d’opinion et d’expression », mais on ne peut « remettre en cause la forme monarchique de l’État », « le respect dû au roi » et l’islam. Gradualité pour les uns, ambiguïté pour les autres, on reste dans le flottement, l’oscillation, l’irrésolution entre chien et loup. Or pour les jeunes, il s’agit de sortir à la fois de cette domestication érigée en système de gouvernement, et de la « maison de l’islam » ; c’est dire l’ampleur de la tâche qui attend cette génération. Lorsqu’on les interroge sur l’avenir, ils savent en toute lucidité que le plus difficile reste à faire – la revendication démocratique devant aller au-delà des institutions, et se constituer en culture politique partagée, en inversion des valeurs néo-patriarcales et transactionnelles : il faut aussi une véritable mutation sociale pour que cette culture démocratique prenne corps, que l’islamisme ne soit plus qu’une composante partisane parmi d’autres [15], et que la passivité et le cynisme que des décennies d’absolutisme ont engendrés ne viennent pas à bout du changement.

Notes

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