Le prestige du jeu d’échecs dans la civilisation occidentale est presque aussi vieux que cette civilisation. La légende, non attestée par les sources d’époque, veut même que parmi les nombreux cadeaux faits à Charlemagne par le calife Haroun al-Rachid ait figuré un jeu d’échecs. On en a longtemps donné pour preuve le superbe jeu recueilli dans le trésor de Saint-Denis et que l’on peut aujourd’hui admirer à la Bibliothèque nationale ; mais il s’avère que ce jeu est en réalité de fabrication normande et qu’il ne saurait être antérieur au milieu du XIe siècle, comme le montre indubitablement sa ressemblance avec des pièces éparses émanant de jeux fabriqués dans le royaume normand de Sicile.
Il est vrai que si l’on s’éloigne ainsi quelque peu de la réalité des temps carolingiens, on en rejoint la légende, car le XIe siècle est l’époque de la mise par écrit des premières chansons de geste du cycle de Charlemagne, dont le domaine normand semble avoir été un propagateur privilégié. Indubitablement transmis à l’Occident par la civilisation arabe, le jeu d’échecs a donc, selon toute vraisemblance, gagné les cours féodales — en compagnie aussi de nombre d’instruments de musique — à la faveur des contacts entre guerriers francs et Musulmans d’Espagne dès les débuts de la Reconquista. Ainsi lit-on dans la plus ancienne version de La Chanson de Roland (le manuscrit d’Oxford, dont le texte remonte aux dernières années du XIe siècle) que les guerriers de Charlemagne se divertissent en jouant « as tables […] et as eschecs » (v…