Le texte ci-dessous s’etaye sur les idées élaborées pendant un colloque, dédié à l’abstraction et à la création sans objet (bespredmetnoe tvortchestvo) dans l’art russe, qui s’est tenu à l’Institut d’histoire de l’art à Moscou en novembre 2004. Les participants ont traité le sujet, relativement négligé auparavant, en discutant de la similarité et de la différence qui existent entre les idées d’abstraction et la dite “création sans objet” dans l’avant-garde russe. Dans mon intervention, intitulée “La création sans objet et le suprématisme”, j’ai abordé la question de la Dixième Exposition d’État, qui eut lieu en avril 1919. J’ai analysé ce que Kazimir Malevitch et Aleksandre Rodtchenko comprenaient par les termes de “création sans objet” et Suprématisme. Tandis que pour Malevitch ces termes étaient presque sy-nonymes, pour Rodtchenko ils étaient opposés l’un à l’autre, par exemple, lorsqu’il juxtaposait ses peintures noires, qu’il pensait être vraiment sans objet, aux peintures blanches de Malevitch.
Peut-être pour se différencier de Vassily Kandinsky et de son emploi du mot “abstraction” indiquant la “résonance intérieure”, ou encore des “qualités spirituelles” du mot, du son ou de l’image qui pouvaient agir sur l’âme du public à l’aide de la combinaison d’éléments formels, Malevitch n’a jamais employé le mot “abstrait” pour décrire ses peintures. Dans ses premiers écrits, il parlait toujours de la peinture “sans objets”, jamais d’abstraction. Par exemple, dans son manifeste sur le suprématisme intitulé…