Découvrir la peinture d’Henry le Chenier est un parcours initiatique qui nécessite d’être accompagné, comme Virgile et Dante dans la Divine Comédie ou Tirésias et Ulysse dans l’Odyssée d’Homère, quand ces héros descendent chez Hadès. L’artiste nous sert de guide et tresse le champ lexical de la misère des corps et de la mort ; il est quelque part un janséniste qui se place du côté de ceux à qui la grâce est refusée. Sa force picturale permet de nommer la souffrance : la mort y est figure, et nous invite à porter le deuil, mais un deuil où la pitié fait silence. On pense à Bataille qui écrit à propos de Manet et du “silence de la peinture”. Il y a ce même silence chez Le Chénier, le silence fracassant d’une souffrance “coagulée”. Ses fonds [quel sens prend ce mot ?], sont des murs ou des fenêtres ouvrant sur un vide effrayant, des blocages qui contiennent, l’explosion y devient implosion. L’absence de perspective et l’espace dans lequel s’inscrit la peinture participent à la structure et renforcent ce silence assourdissant. La brosse installe les corps, les trace à l’ocre et à la terre de Sienne, qu’une pointe de bleu “ouranien” vient rompre, et les amalgame en coupe sagittale. Ce bleu de cobalt c’est la semence d’Ouranos qui féconde Gaïa, l’espérance inhumée, un memento mori. Ce n’est pas seulement la terre, c’est le ciel qui s’effondre : le grand Pan est mort, la peur surgit. Un arbre qui tombe dans la forêt fait-il du bruit si personne est là pour l’entendre ? “Une pomme de pin tombe dans le silence du monde… c’est l’histoire”, écrira Knut Hamsun (1894)…