Notes
-
[1]
La présente étude fait la synthèse d’une série de recherches en cours partiellement publiées, que je me permets de citer dans quelques notes, en y renvoyant pour tous les détails philologiques et documentaires qui excèdent l’espace de cet article.
-
[2]
« La sventurata musica […] costretta a nascere e a morire […] immediate dopo la sua creazione » (L. da Vinci, Come la Musica si de’ chiamare sorella e minore della Pittura, dans P. Barocchi (dir.), Scritti d’arte del Cinquecento, tomo, Milan / Naples, Ricciardi, 1971, t. I, p. 250).
-
[3]
M. Pieri, « Narrare, cantare, recitare. Appunti sullo spettatore cinquecentesco », dans A. Gallo et K. Vaiopoulos (dir.), « Por tal variedad tiene bellezza ». Omaggio a Maria Grazia Profeti, Florence, Alinea Editrice, 2012, p. 115-126.
-
[4]
D. da Piacenza, De Arte saltandi et choreas ducendi (ca 1450) ; A. Cornazano, Libro dell’arte del danzare (1455) ; G. Ebreo da Pesaro, De pratica seu arte tripudii (1463). Voir A. Pontremoli, Danza e Rinascimento. Cultura coreica e « buone maniere » nella società di corte del XV secolo, Macerata, Ephemeria Editrice, 2011.
-
[5]
En français dans le texte (NdT).
-
[6]
Petits textes en vers ou en prose que les acteurs prononcent à la fin de la pièce en s’adressant au public.
-
[7]
M. Pieri, « Fra scrittura e scena : la Cinquecentina teatrale », dans E. Cresti, N. Maraschio et L. Toschi (dir.), Storia e teoria dell’interpunzione, Rome, Bulzoni, 1992, p. 245-268 ; « Problemi e metodi di editoria teatrale », dans R. Alonge et G. Davico Bonino (dir.), Storia del teatro moderno e contemporaneo. II : Il grande teatro borghese (Settecento-Ottocento), Turin, Einaudi, 2000, p. 1073-1102.
-
[8]
Le malentendu concerne bien deux témoins comme Caleffini et Zambotti. Voir F. Cruciani, C. Falletti et F. Ruffini, « La sperimentazione a Ferrara negli anni di Ercole Ie Ludovico Ariosto », Teatro e Storia, t. IX, n° 16, 1994, p. 136.
-
[9]
Célèbre recueil anonyme de contes et de sentences, composé à la fin du XIIIe siècle.
-
[10]
L’ottava rima est une forme métrique composée de huitains d’hendécasyllabes.
-
[11]
Novella Bellissima duno / Monaco & uno Abate : Tracta del libro del / Cento : et Traslata in Octava Rima / dallo ingenioso huomo Bastiano di / Francesco Sanese ; colophon : Impresso in Siena per Simione di Niccolo & Giovanni di Alixadro Cartal /da Siena. Adi. XXV di septebre MDXI. / Fontis Blandi Insignia. L’édition, signalée dans les catalogues, est perdue (voir C. Valenti, Comici artigiani. Mestiere e forme dello spettacolo a Siena nella prima metà del Cinquecento, Modène, Panini, 1992, p. 164). Bastiano di Francesco Linaiuolo – marchand de tissus de lin – est un acteur / artisan siennois, mort après 1546, qui fait partie de ceux qu’on nomme « pré-Rozzi ». Ses œuvres sont publiées à Sienne entre 1520 et 1541.
-
[12]
La martorella est une danse populaire siennoise, souvent présente dans le théâtre de l’époque.
-
[13]
Magrino est le nom du serviteur.
-
[14]
Sur ce point fondamental, voir R. Chartier, Publishing Drama in Early Modern Europe, Londres, The British Library, 1999. En Italie, voir l’étude approfondie, désormais disponible, de L. Riccò, « Su le carte e fra le scene ». Teatro in forma di libro nel Cinquecento italiano, Rome, Bulzoni, 2008.
-
[15]
Pour ce contexte, je renvoie à mon article « Raccontare e rappresentare : Boiardo e il palcoscenico di Ercole », dans A. Canova et G. Ruozzi (dir.), Boiardo a Scandiano. Dieci anni di studi, Novare, Interlinea, 2012, p. 97-118.
-
[16]
Cette présentation explique notamment la signification allégorique de la pièce et esquisse une histoire du genre comique selon Aristote, qui constitue l’une des premières théorisations du siècle à propos de ce nouveau genre dramatique encore expérimental. Les Tre Tiranni révèlent donc la naissance d’ambitions littéraires dans le paratexte théâtral.
-
[17]
Voir M. Plaisance, « I Tre Tiranni, comédie d’Agostino Ricchi, représentée à Bologne devant Clément VII et Charles Quint. En 1530 ou 1533 ? », dans G. Ulysse (dir.), La Fête et l’Écriture. Théâtre de cour, Cour-théâtre en Espagne et en Italie, Aix-en-Provence, Université de Provence, 1987, p. 321-334.
-
[18]
L’expression est de Laura Riccò (op. cit., p. 19), qui la tire d’une lettre de l’imprimeur Gabriel Giolito de’ Ferrari.
-
[19]
Voir M. Pieri, La scena boschereccia nel Rinascimento italiano, Padoue, Liviana, 1983 ; C. Valenti, op. cit. On peut rappeler l’exemple de la bibliothèque de Marin Sanudo, très riche dans ce domaine : voir G. Padoan, « La raccolta di testi teatrali di Marin Sanudo », dans id., Momenti del Rinascimento veneto, Padoue, Antenore, 1978, p. 68-93.
-
[20]
Les détails paratextuels explicitement référés à la lecture sont encore fragmentaires, et toujours entremêlés d’indications techniques plutôt relatives à l’écoute. Ainsi dans l’Egloga di Maestro di Nicholo Alticotio Cortonese intitulata Cynthia (Sienne, M. di Bartolomeo Fiorentino, 1524), après l’Argomento on trouve : « Lo autor descrive el tempo alli expectatori » [L’auteur décrit le temps aux spectateurs]. La double destination d’usage, toujours sous-entendue, est signalée plus ou moins explicitement dans les compositions poétiques et dans les lettres encomiastiques comme dans l’Egloga pastorale di Amicizia de Bastiano di Francesco (Sienne, A. Landi, 1543), définie comme « troisième poème de l’auteur » offert à un gentilhomme habitué à se divertir « avec de telles choses » bien qu’il « se dédie aux sciences vertueuses ». Elle l’est aussi dans les rubriques insérées dans les marges, comme dans le Vallera du même Bastiano di Francesco (Sienne, san Vigilio, 1546) ou dans le Lamento de Strascino déjà cité, précédé par un « Strascino a gli Lectori » [« Strascino à ses lecteurs »]. Parfois la question est explicitée, comme par exemple dans la composition de Giovanni Roncaglia, Scanniccio. Commedia della speranza. Molto elegante et sentenziosa, nella quale si contiene come due Fratelli Pastori erano innamorati di due Sorelle Nimphe, con sacrifizii, et moresche, et molti sollazzevoli gesti, atti et giuochi, et massime quelli di Scanniccio Villano, che leggendoli, o vedendoli fare non potrete contenere le Risa [Comédie de l’espérance. Très élégante et sentencieuse où l’on voit deux frères bergers amoureux de deux sœurs nymphes, avec des sacrifices et des mauresques, et bien d’autres gestes, actions et jeux divertissants, et surtout ceux de Scanniccio, vilain, qui, lorsqu’on les lit ou lorsqu’on les voit, provoquent des rires incoercibles], Sienne, s. n., 1546. Il est difficile toutefois d’établir le degré de conscience théorique et l’intentionnalité contenues dans ces indications, dues probablement aux imprimeurs (et non aux auteurs) pour assurer la publicité de leurs produits en diverses directions.
-
[21]
Landi travaillait comme portier à l’université avant de s’installer comme imprimeur-libraire.
-
[22]
Sur son activité, voir L. Severi, L’Editore Niccolò Zoppino e la questione della lingua, dans N. Cannata et M. A Grignani (dir.), Scrivere il volgare fra Medioevo e Rinascimento, Pise, Pacini Editore, 2009, p. 69-80.
-
[23]
L. Degl’Innocenti, I « Reali » dell’Altissimo. Un ciclo di cantari fra oralità e scrittura, Florence, Società Editrice Fiorentina, 2008.
-
[24]
C’est le cas de l’Egle de Giraldi Cinzio, joué en 1542 et édité à Venise sans notation de typographie entre 1545 et 1547 ; d’Il Sacrificio (Le Sacrifice) d’Agostino Beccari, publié à Ferrare par Francesco di Rossi de Valence en 1555, un an après sa représentation ; de l’Aretusa d’Alberto Lollio jouée en 1563 et publiée l’année suivante à Ferrare par Valente Panizza Mansonno ; et de Lo sfortunato (Le Malheureux) d’Agostino Argenti, représenté en 1567 et publié par Giolito à Venise en 1568 : autant d’étapes diverses d’une expérimentation scénique cultivée autour de la fable pastorale, menée entre la Cour et l’Académie pour confirmer dans le monde de l’Arcadie la primauté théâtrale de Ferrare, déjà assurée par la comédie.
-
[25]
Marcantonio Epicuro (Antonio Caracciolo), mystérieux personnage, poète, acteur et musicien, qui émigre à Venise au début du XVIe siècle, après la crise politique des Aragonais de Naples. D’homme de lettres courtisan, il se transforme en canterino professionnel qui publie pour survivre ses compositions, comme Le Opere artificiose di Notturno Napolitano in lequal si contiene capitoli, sonetti, strambotti, sestine, canzoni disperate, epistole, epitaphi de homini et donne, comedie, tragedie, Fausto di virtù, Cato tradutto di latino in volgare [Les Œuvres artificieuses du Nocturne Napolitain qui contiennent chapitres, sonnets, poèmes satiriques, sizains, chansons désespérées, lettres, épitaphes d’hommes et de femmes, comédies, tragédies, Fausto vertueux, Caton traduit du latin en italien], Venise, P. Danza, 1543.
-
[26]
Sur le contexte de ce choix, voir M. Pieri, « Contado senese e contado pavano in scena. Qualche intersezione », dans A. Cecchinato (dir.), Molte cose stanno bene nella penna che ne la scena starebben male. Teatro e lingua in Ruzante, Padoue, CLEUP, 2012, p. 141-160.
-
[27]
La déesse Cérès se présente au public avec ses attributs mythologiques de mère de la nature et de l’agriculture, et annonce qu’elle veut le divertir avec un « plat stupide » dont le protagoniste sera un paysan avec ses « erreurs rustiques » et ses « peines d’amour ridicules ». Elle présente les autres personnages de l’intrigue (un gentilhomme amoureux, une vieille entremetteuse, un serviteur fidèle). Elle promet un divertissement bref et efficace, demande pardon pour d’éventuels incidents, et impose le silence. Nous sommes à l’évidence dans une phase où la représentation tragi-comique, faite d’un assemblage assez aléatoire de sketches récités et chantés, risque de se fragmenter et de se dissoudre à l’intérieur de la fête ; c’est pourquoi le prologue sollicite l’attention des spectateurs avec insistance, mais il est probable que ce soit normalement le texte publié qui l’organise de façon construite.
-
[28]
La typologie et la distribution de ces rubriques, entre notes occasionnelles et instructions pour la lecture, est fort intéressante, et témoigne d’un effort d’indexation, un peu désordonné mais parfaitement cohérent avec le projet ambitieux de l’auteur. Il s’agissait de transformer un monologue fantaisiste construit in progress directement au contact du public, en un texte fermé et fixé, à lire dans la solitude, mais conservant sa nature profonde de composition ouverte et interactive. Les signes distinctifs propres à la représentation – en premier lieu, l’interlocution directe qui lie le récitant et les spectateurs – ne sont donc que partiellement cachés par le medium de l’imprimerie et les rubriques latérales sont là pour orienter le lecteur avec un minimum de certitude. Il s’agit d’une expérience, comportant certes des risques dont l’auteur se déclare parfaitement conscient, mais qu’il veut tenter.
-
[29]
Ajoutons deux autres exemples tirés de Campani. L’églogue Strascino, destinée à une fête privée siennoise, est riche de clins d’œil concrets liés aux circonstances que les spectateurs pouvaient reconnaître immédiatement pendant la représentation : les biricuocoli, ou biscuits de Pâques, que l’on mange à Sienne, la crise économique, la lourdeur des taxes communales, etc. Et dans le Magrino, l’auteur, qui interprétait le personnage du paysan Scorteccia, souligne pour un public plus aristocratique, sa condition de serviteur du maître de maison, commanditaire de la fête, un prélat membre de la puissante famille Bonsignori, banquiers siennois de Léon X. Il interrompt la fiction et le suspens de la représentation, contrevenant au pacte que le prologue a passé avec les spectateurs. Fatigué d’attendre hors scène, il déclare en effet son intention de partir solliciter un repas bien mérité avant que son maître ne s’en aille au consistoire, et il se vante d’être éloquent et rusé comme Cicéron, ainsi qu’il convient à un homme de palais (v. 143-158).
-
[30]
Sur ce développement, voir L. Riccò, La « miniera » accademica. Pedagogia, editoria, palcoscenico nella Siena del Cinquecento, Rome, Bulzoni, 2002 ; M. Pieri, « Siena e il DNA della commedia rinascimentale », Il castello di Elsinore, t. XXI, n° 57, 2008, p. 9-20, et « Fra vita e scena. Appunti sulla commedia senese cinquecentesca », Bullettino Senese di Storia Patria, vol. CXVIII-CXIX, 2011-2012, p. 370-396.
-
[31]
Pour la tragédie, voir M. Pieri, « La tragedia in Italia », dans G. Guastella (dir.), Le rinascite della tragedia, Rome, Carocci, 2006, p. 167-206, ainsi que le Quadro cronologico annexé au volume, qui rend compte de toutes les éditions.
-
[32]
L. Riccò, L’Arcadia « in mano ». Illustrazioni editoriali della favola pastorale (1583-1678), vol. I (Itinerari) et II (Album), Rome, Bulzoni, 2012.
-
[33]
Cette histoire a été étudiée de façon approfondie dans S. Ferrone, Attori mercanti corsari. La Commedia dell’Arte in Europa tra Cinque e Seicento, Turin, Einaudi, 1993.
1Dans un passage célèbre de ses commentaires [1], Leonard de Vinci s’apitoie sur la « malheureuse » musique, « contrainte à naître et à mourir [...] immédiatement après sa création [2] » à la différence des autres arts (la peinture ou la sculpture) dont le destin est garanti par des supports plus durables. Le même type de malheur et de préjudice, certes plus important, concerne la pratique du théâtre qui, entre le XVe et le XVIe siècle, commence à se répandre et à être culturellement reconnaissable comme divertissement profane composé de divers langages, produit et consommé au cours des fêtes urbaines, académiques ou courtisanes, plus ou moins nourri de classicisme antiquisant. Cette pratique est en outre accompagnée d’une progressive prédominance du parlé et du jeu naturel sur le chant et sur la danse allégorique, aristocratique ou populaire.
2L’invention du théâtre s’accomplit, en Italie, au tout début de la Renaissance, à travers un phénomène complexe d’invention d’une mise en écriture (et, partant, de sa publication) de pratiques performatives restées pendant plusieurs siècles orales, qui sont alors rendues manifestes, organisées à partir des modèles antiques à peine redécouverts, puis expérimentées scéniquement avec succès parallèlement à la formation d’un public de spectateurs compétents d’un nouveau genre : assister à une comédie, ou à une représentation dramatique en général, signifie en effet se plier à une écoute passive plutôt différente des modalités qui réglaient dans le passé la participation aux fêtes municipales (qu’elles fussent laïques, religieuses, aristocratiques). Dans ces représentations nouvelles, les joutes verbales dialoguées, les intermèdes dansés et musicaux, les narrations dramatisées de diverses natures se combinent dans des formes dans des formes flexibles qui peuvent tous les contenir, et à l’intérieur desquelles alternent sans solution de continuité l’expérience de l’écoute, celle de la conversation et celle de l’action mimétique (par exemple dansée) [3]. Le théâtre antique, redécouvert à partir de Vitruve, Plaute, Térence, Sénèque ou Aristote, provoque en revanche des révisions et des rationalisations qui investissent les espaces, unifiés dans les perspectives de Serlio, les textes, réglés et connotés comme dramaturgiques précisément par les livres (en calquant surtout la comédie classicisante), et même la danse, mise en page pour la première fois dans une série de traités théoriques [4].
3La formation d’un public de théâtre intelligent et mentalement outillé n’est en somme ni linéaire ni aisée, mais elle s’élabore de façon discontinue et accidentée au cours d’un arc de temps de quelques décennies. Ses réactions de plus en plus convaincues et conscientes sont importantes pour orienter la gigantesque expérimentation à plusieurs mains qui se déroule dans toute l’Italie : les lettres, les comptes-rendus diplomatiques, les journaux des vingt premières années du XVIe siècle sont constellés de reportages [5] théâtraux qui en signalent l’absolue nouveauté. Un peu plus tard, vers le milieu du XVIe siècle, ce public passera du statut d’hôte occasionnel et privilégié des fêtes de cour et d’académie à celui de consommateur et d’acheteur de théâtre, sans distinction de classe, quand les acteurs professionnels commenceront à distribuer dans le creuset du divertissement naissant des spectacles payants copiés sur ceux des princes, avec tout ce que cette pratique peut comporter d’aléatoire. En même temps, et pour soutenir cette nouveauté, commence à exister aussi un marché de livres imprimés qui proposent en parallèle l’expérience de la lecture, entendue comme l’enregistrement des représentations ou comme incitation publicitaire à s’approcher des œuvres avec des instructions utiles.
4Dans cette aventure, à laquelle le mécénat de divers princes italiens imprime une importante accélération, mais qui s’accomplit de façon naturelle dans la vie sociale des confréries bourgeoises, des sociétés académiques et des palais aristocratiques des centres urbains, grands ou petits, non soumis à une cour hégémonique, les textes arrivent tardivement, et ce sont les imprimeurs qui les font exister et circuler, discernant la naissance potentielle d’un marché éditorial très fructueux. Ce sont eux qui inventent, pour des raisons commerciales, une dramaturgie écrite pour laquelle ils construisent dans leurs typographies – toujours à partir des représentations et presque toujours sans demander l’autorisation des auteurs – des synthèses de papier, en se posant et en résolvant tout seuls une série de questions : la partition interne des compositions, divisées en actes et scènes avec une pagination adaptée et spécifique ; leur classification dramaturgique (longtemps référée à une nomenclature luxuriante, complexe et occasionnelle) ; leur définition rédactionnelle ; le cadre paratextuel destiné à orienter le lecteur inexpérimenté, qui exalte la valeur, l’histoire scénique, l’originalité artistique de l’œuvre en question, dont souvent ils inventent ou manipulent même le titre. Le problème principal est de signaler la scansion interne du texte, tant du point de vue structurel (les actes et les scènes) que visuel et spatial (en distinguant clairement les répliques des divers personnages), en élaborant un modèle de page apte à restituer également le plus possible de la représentation : non seulement qui parle, et quand (en distinguant les locuteurs par une abréviation sur le côté gauche de la page), mais aussi tout ce qui encadre et identifie la représentation en tant que telle, prologues, intermèdes, congedi [6], éventuelles instructions ou comptes rendus du spectacle, etc. Un long chemin est donc accompli à partir des parti scannate, « rôles détachés » des copioni (textes manuscrits) répartis entre les acteurs, puis les premières éditions da bisaccia, ou de poche – qui récupèrent le plus souvent les copioni, fort heureusement dans leur intégrité mais où, pour économiser le papier, la page est entièrement remplie, les vers étant séparés par des barres obliques et les textes présentés sans alinéas – pour arriver aux livres de théâtre proprement dits, à lire de façon autonome, en dehors du spectacle [7].
Raconter et jouer : échanges et montages
5On a beaucoup écrit récemment sur les transformations de l’usage des genres et des canons qui s’opèrent dans la typographie en Italie. Nous savons, par exemple, que les sacre rappresentazioni, déjà intensément reprises dans les représentations florentines du XVe siècle, pouvaient être recyclées sous forme de narrations édifiantes de consommation courante quand les inquiétudes religieuses en limitaient la représentation scénique, et à l’inverse que les églogues modernes vulgarisées pouvaient se décliner à l’infini dans des formes représentatives. Du reste, les années à cheval sur les deux siècles sont des années de grande et féconde confusion théorique, où il peut arriver qu’un chroniqueur courtisan compétent confonde Niccolò da Correggio avec Plaute quand il enregistre, pendant le carnaval de 1487, à Ferrare, une « facétie de Plaute intitulée Cefalo [8] ». L’histoire de L’Arcadia (L’Arcadie) de Sannazar, un texte littéraire de premier plan pourtant, est une histoire de continuels morcèlements et de réutilisations partiellement dramatiques, toujours décontextualisés. Les Bucoliche elegantissime (Les Très Élégantes Bucoliques), traduites en 1486 par un quatuor de poètes siennois et florentins, subissent le même sort, alors qu’au contraire on transmet sous forme de dialogue narratif une œuvre comme La Raffaella d’Alessandro Piccolomini, chargée de théâtralité et d’érotisme, mais née trop tard et reniée, comme une plaisanterie de jeunesse à oublier, par son auteur qui, s’étant ravisé, était devenu prêtre.
6Ce sont ces premiers éditeurs qui sont les protagonistes peu scrupuleux de la formalisation dramaturgique d’œuvres qui n’en sont pas encore mais le deviennent, à partir de leur statut narratif ou lyrique, en fonction des modalités de leur consommation. Il peut arriver que des nouvelles, des cantari (récits épiques populaires), des poésies, normalement diffusées oralement par d’habiles performers produisent dans la typographie des formes dérivées ou destinées à la représentation. Rappelons simplement l’exemple de la Novella bellissima d’uno monaco et uno abate (La Très Belle Nouvelle d’un moine et d’un abbé), monologue de jongleur tiré du Novellino [9] publié à Sienne par Giovanni Landi en 1511, qui est transposé en ottava rima [10] « par le très ingénieux Bastiano di Francesco [11] ». Et il arrive aussi, parallèlement, que de véritables copioni théâtraux – comme l’Acto scenico del tempo (L’Acte scénique du Temps) de Serafino Aquilano, qu’il joue à Mantoue devant les Gonzague en 1495 en même temps que L’Égloga bellissima a la martorella intitolata Strascino (La Très Belle Églogue à la martorella intitulée Strascino) [12], et La Comedia overo farsa intitolata Magrino (Comédie ou farce intitulée Magrino) [13] de Niccolò Campani, dit Lo Strascino, mis en scène avec succès à Sienne et à Rome dans les premières années du siècle – soient piratés de façon anonyme dans une anthologie lyrique vénitienne de 1516 intitulée Opera moralissima de diversi auctori, homini dignissimi et de eloquentia perspicaci, ecc. [Œuvre très morale de divers auteurs, hommes très dignes et perspicaces en matière d’éloquence, etc.], publiée par l’imprimeur Niccolò Zoppino.
7Les codifications littéraires (et donc typographiques) des textes destinés à la scène adviendront plus tard, à l’intérieur du débat autour de la Poétique d’Aristote et dans les discussions sur le style et la langue qui, par ailleurs, et pendant longtemps, ne s’appliqueront que rarement et indirectement aux textes de théâtre, méprisés par les lettrés et souvent abandonnés par leurs auteurs dans leurs tiroirs, ou bien composés par des acteurs semi-cultivés sans trop de prétentions formelles. Leur histoire est une histoire d’apocryphes, de paternités incertaines, de formes fluctuantes, de compositions à plusieurs mains. C’est une histoire de copioni perdus, volés ou corrompus, sur lesquels il convient d’appliquer une philologie très particulière, avec ses propres règles. Les auteurs commenceront à en revendiquer, vainement, la propriété artistique et commerciale seulement à partir du XVIIe siècle (Lope, Inigo Jones, ou Goldoni, par exemple, se dépenseront avec passion dans cette bataille, tandis que d’autres, auparavant, comme Giraldi Cinzio, Marlowe ou Shakespeare ne s’y essayent même pas), mais la question se résoudra seulement avec l’affirmation moderne, juridique, du droit d’auteur [14].
Imprimeurs et auteurs
8Sur certains des premiers grands succès de la Renaissance nous n’avons donc à disposition qu’un archipel confus d’écrits et beaucoup d’élucubrations. Ainsi L’Orfeo de Politien circule largement dans les cours septentrionales, sous diverses versions. De même, il ne reste presque aucune trace des fameux festivals ferrarais de comédies latines italianisées qu’Ercole d’Este organise avec passion : nous savons au contraire que le texte des Ménechmes qui en constituait l’attraction la plus reprise et presque la marque distinctive, continue à être retraduit ex novo pour les occasions de représentations les plus diverses au moins entre 1496 et 1529, et donc qu’il n’était considéré que comme un outil scénique éphémère de consommation courante. De Boiardo, le premier et le plus important dramaturge ferrarais avant Arioste, Giraldi, Le Tasse et Guarini, qui écrivait et traduisait activement toutes sortes de compositions scéniques, nous ne conservons qu’une seule édition posthume du Timone, certainement liée à sa réputation et à son rang, où figure un important appareil de didascalies scéniques, mais aucune autre indication utile pour reconstruire le contexte et l’histoire de l’œuvre [15]. Arioste, Machiavel, Bibbiena, Rucellai n’exercent aucun contrôle sur les éditions princeps hétéroclites que les imprimeurs les plus variés sont prompts à s’approprier et à vendre, sous forme de livrets grossiers et erronés. Ainsi Alessandro de’ Pazzi, Ruzante et le jeune Arétin, ou l’auteur anonyme de l’extraordinaire Venexiana, composent leurs œuvres uniquement pour la représentation et les laissent inédites.
9Mais il arrive aussi qu’une modeste comédie comme I Tre Tiranni (Les Trois Tyrans) écrite par un obscur étudiant en médecine lucquois, Agostino Ricchi, jouée à Bologne en 1533 devant l’empereur Charles Quint et le pape Clément VII, soit publiée l’année même à Venise par Bernardino de’ Vitali avec une présentation aux lecteurs traitant de poétique [16], rédigée par Alessandro Vellutello, homme de lettres lucquois d’origine noble comme l’auteur de la comédie, et avec une dédicace de l’auteur au cardinal Hyppolite de Médicis : l’édition, in quarto, est soignée et élégante ; le texte, précédé par un argument et un prologue mythologique, est soigneusement réparti en actes et scènes, et la mise en page est aérée. Il s’agit toutefois d’un classique livre ad honorem, dont la destination est officielle, qui de ce fait déborde donc du cadre de notre propos [17].
10Derrière ce volume si insolite, il y a en effet un archipel de livres de petit format (presque toujours in-16°), souvent composés avec des caractères grossiers, parfois même semi-gothiques, avec des frontispices illustrés que la pratique éditoriale profane naissante produit en grande quantité, surtout là où existe un bassin de consommateurs significatif, en particulier à Sienne et à Venise, deux républiques animées par une vie festive et musicale intense. Cette production est liée à la nouvelle « édition de divertissement » comme on l’appelle [18], faite de traductions en langue vulgaire, d’avis, de lamenti, de textes de dévotion, de cantari, de poésies destinées à la musique, qui fournit, dans le domaine du théâtre, un corpus très dense de formes proto-dramaturgiques très mal définies : églogues, « comédies nouvelles », tragédies, « actes scéniques », farces, « fables », « disputes », etc. [19].
11Les textes sont souvent introduits par un avis du libraire au « courtois lecteur [20] », et beaucoup plus rarement par de véritables dédicaces ou textes encomiastiques. Si les traces de mises en scène réelles sont rares, on souligne cependant la possibilité de réutilisations ultérieures. Parmi les pionniers dans ce secteur émergent Giovanni d’Alessandro Landi, papetier, libraire et gardien de savoir [21], qui édite à Sienne tous les textes des pré-Rozzi et des Rozzi, et diverses importantes nouveautés théâtrales non siennoises, comme La calandria de Bibbiena et La Rosmunda de Rucellai, et Niccolò Zoppino [22], déjà cité, qui, à Venise, édite systématiquement toutes les nouveautés de la littérature en langue vulgaire, surtout lyrique et théâtrale, sortant environ 414 éditions entre 1503 et 1544. Ce mystérieux personnage, peut-être lié à l’Arétin, affectionne particulièrement les anthologies et les miscellanées, et organise de véritables collections de livres de théâtre à l’intérieur d’un projet de sociabilité littéraire partagée avec un nouveau public de lecteurs. Les auteurs sont à présent souvent oubliés, comme le sont Serafino et Campani, il n’y a pas de paratextes pour assurer la communication et les règles rédactionnelles ne sont pas consolidées, la philologie est incertaine, mais les acheteurs affluent comme en attestent les nombreuses réimpressions.
Le libre marché
12Les études d’histoire du livre ont montré qu’en Europe règne un système d’échange de copies entre les principales boutiques de typographes, et que les circulations physiques de livres et de personnes sont relativement denses et rapides. La concession de privilèges d’édition, qu’en général les autorités locales accordent de façon très protectionniste, ne fait qu’assez peu obstacle à l’échange et à la circulation. Toutefois, la régularité et l’importance de certaines lignes d’échanges – par exemple de Sienne à Venise – ou au contraire, comme dans le domaine de l’histoire des spectacles, les zones de vide ou de silence – ainsi la faible survivance d’éditions profanes romaines du début du XVIe siècle – laissent supposer de façon assez réaliste que le théâtre en langue toscane (volgare) s’affirme plus rapidement là où agissent des hommes capables d’intercepter les nouveautés les plus remarquables au bon moment, de les reconnaître et de les transmettre par le biais de circuits que nous ne pouvons actuellement reconstruire que de manière inductive. L’éclipse de certains textes importants, pillés et réutilisés par de nombreux auteurs, n’est pas moins significative : La Célestine, tragi-comédie assez anomale qui n’est en fait qu’une compilation de situations scéniques, est éditée à Rome en 1505 traduite par un familier de Jules II, Alfonso Hordenez, donc dans un cercle très cultivé, et à partir de là elle commence ses incroyables métamorphoses migratoires sur les scènes, tandis qu’un autre texte, La Lozana andalusa (La Lozana andalouse) de Francisco Delicado de Cordoue, qui raconte sous forme parathéâtrale la carrière d’un prostituée andalouse dans les bas-fonds de la Rome léonine, demeure semi-clandestin pendant plusieurs siècles, tout en fournissant des emprunts importants à la comédie érudite naissante.
13Une récente étude de Luca degl’Innocenti sur les Reali di Francia (Cycles épiques de France) [23] a fait émerger un personnage que nous pouvons certainement considérer comme prototype, sous réserve de recherches ultérieures sur ses probables collègues, et que nous retrouvons au centre de plusieurs de ces pérégrinations textuelles. Il s’agit de Giovanni Manenti, énigmatique marchand et philosophe siennois, organisateur de loteries et de représentations de comédies (y compris La mandragola), mais aussi auteur de comédies destinées aux Compagnies vénitiennes de la Calza, et même acteur aux côtés de Ruzante et de Menato, après avoir sévi à Rome dans des fêtes et des pasquinades aux côtés d’Arétin et du Strascino.
14Au début de l’histoire, quelques best-sellers circulent à travers la péninsule, selon divers parcours, à la fois sous forme d’éditions et sous forme de manuscrits, et les typographes puisent sans complexe dans un réservoir foisonnant et totalement incontrôlé. L’accès d’un texte à l’édition est, semble-t-il, dû au hasard. Si l’on exclut les quelques cas issus d’une volonté particulière de documenter des événements prestigieux ou officiels – comme Les Trois Tyrans cités plus haut, ou comme, vers le milieu du XVIe siècle, les pastorales ferraraises jouées à la cour, nouveauté dramaturgique qui alimente les appétits [24] –, l’initiative de l’édition est liée, comme on l’a dit, soit à un typographe bien inspiré, soit à un auteur en quête de publicité, dans un rapport paradoxalement inversement proportionnel, ou presque, entre la dignité du livre et la qualité esthétique de la composition. L’identification théâtrale et l’éventuel succès commercial de cette opération sont alors confiés de façon décisive à l’appareil paratextuel de l’œuvre.
15Très vite, inévitablement, certains acteurs / auteurs les plus entreprenants se détachent, et cherchent à s’organiser personnellement pour vendre sous forme de feuilles volantes (manuscrites ou imprimées) les matériaux de leurs représentations, comme par exemple Niccolò Campani, déjà cité, le Lucquois Francesco dei Nobili, en art Cherea, ou encore le Notturno Napoletano [25], exilé de Naples à Venise. Même le grand Beolco (Ruzante), qui jouissait de privilèges socioculturels particuliers, à un certain moment de son parcours, en 1533, sollicita un privilège d’édition pour ses deux comédies, La vaccaria et La piovana, qu’il obtint mais qu’il n’exploita pas, en suivant un iter semble-t-il obligatoire (ou tout au moins adéquat) de la scène à la page [26], et en anticipant largement les stratégies commerciales et littéraires avec lesquels les acteurs de la commedia dell’Arte, à la fin du siècle, partiront à l’assaut de la littérature pour s’assurer une légitimation professionnelle qu’on leur refusait depuis toujours.
16Le premier à se mobiliser est Cherea, qui importe à Venise de nombreux copioni volés ou conservés à partir des représentations ferraraises auxquelles il avait participé comme acteur, et qui se fait, bien que le Sénat lui eût refusé le privilège d’édition, le promoteur d’opérations éditoriales systématiques, voire extravagantes, comme la Comedia di Jacob e Ioseph (La Comédie de Jacob et Joseph) de Pandolfo Collenuccio, monstre religieux spectaculaire, représenté en deux journées pendant le carême ferrarais de 1504, oublié à cause de la mort tragique de son auteur, accusé de trahison par Giovanni Sforza, puis torturé et exécuté sans procès.
Un théâtre à lire ?
17Dans ces voyages multiples et entremêlés de textes aussi précaires, on procède par assemblages consomptibles, opérés par les auteurs ou par les typographes, peu importe. Quelques échantillons minimes suffisent pour illustrer ce fait. Un exemple siennois, précoce et célèbre, nous confirme la nature de ces montages, et la dialectique particulière qui passe entre les auteurs et les imprimeurs. Prenons Niccolò Campani, star de la scène romaine aux temps de Léon X, lié à l’Arétin et à Bibbiena et particulièrement célébré par ses contemporains (Bandello et Castiglione entre autres). Nous possédons de lui la totalité de ses productions dramaturgiques : des poèmes carnavalesques d’occasion (de dénonciation, d’adulation, de lamentation etc.), un monologue épique sur le mal français, certainement son œuvre la plus fameuse, et trois compositions dramatiques in progress qui rassemblent (probablement dans la dramaturgie consomptible de l’imprimerie) ses numéros à succès. L’Egloga bellissima a la martorella intitolata Strascino, citée plus haut, dialogue comique entre quatre paysans débiteurs de leur maître Lodovico et le notaire Ser Malingo, son complice, est destinée à un public siennois en mesure d’apprécier l’épaisseur réaliste du dialogue, et ne compte que 247 vers. La comedia overo farsa intitolata Magrino est une composition beaucoup plus ample de 693 vers, destinée à une représentation à Rome devant des prélats, entremêlée d’éléments rustiques, mythologiques et musicaux, avec un prologue de présentation de l’auteur et du texte [27]. Dans la célèbre Comedia del coltellino (La Comédie du petit couteau) qui transite depuis Rome jusque dans les cours septentrionales, on compte 652 vers. Ici le paysan amoureux se débat, comme chez Sannazar, dans des velléités, à la fois inquiétantes et comiques, de suicide, pour confier ensuite la solution de l’affaire à un juge super partes (comme dans les dialogues de mariage appelés mariazi), et laisse entrevoir, dans la conclusion musicale, un joyeux accord de promiscuité sexuelle. Ces trois compositions connaissent un très important succès d’imprimerie entre Sienne, Florence, Venise et Rome, avec des titres différents, mais elles sont toujours attribuées à l’auteur célèbre qui en provoque l’achat, et elles circulent aussi parallèlement en copies manuscrites à la demande d’amateurs impatients comme le marquis de Mantoue. En même temps Campani devient célèbre et très bien payé à Rome et dans les cours septentrionales, et dans la dernière phase de son existence, il se fait, comme Cherea, le promoteur de sa propre biographie, par la voie de l’édition, en confiant à Zoppino lui-même, lequel avait déjà fait de bonnes affaires avec ses œuvres, son numéro scénique le plus célèbre, Il lamento di quel tribulato di Strascino Campana senese sopra el male incognito : el quale tratta de la pazienzia e impazienzia in ottava rima : opera molto piacevole (Le Lamento de ce pauvre Strascino Campano, siennois, sur le mal inconnu, qui traite de la patience et de l’impatience, en ottava rima, œuvre très plaisante). Il s’agit d’un long monologue de 173 strophes consacré au fléau du siècle, la syphilis dont l’auteur lui-même souffrait, que Strascino jouait depuis des années avec grand succès. Il en avait déjà mis en vente diverses copies manuscrites et, à Rome, une édition réduite des 117 premières strophes, sous la forme d’une feuille volante. En 1521, alors qu’il se croit à tort guéri (il meurt au contraire peu après, victime d’une rechute), il estime que les temps sont mûrs pour en faire un véritable livre, fourni d’un ambitieux paratexte littéraire et iconographique qui donne au lecteur les instruments pour l’approcher. Le livre est orné d’une xylographie terrifiante représentant le malade qui gît sur son lit, nu et couvert de pustules, avec au-dessus de lui un diable ailé qui tient un vase et verse le mal. Une inscription portant ces mots « Ah, quelles douleurs ! » sort de sa bouche et, à la tête du lit, quelques personnages tentent de le secourir. À l’intérieur, le Lamento est aussi agrémenté de rubriques latérales qui résument de façon un peu désordonnée la narration, en construisant un itinéraire de lecture mentale thématisée [28]. Il est confectionné et imprimé avec un grand soin prosodique et formel. Un cadre en prose souligne les ambitions littéraires de l’œuvre en mêlant l’héritage du style noble de la Vita nuova (La Vie nouvelle) de Pétrarque, de l’Arcadia de Sannazar, et de l’Hypnerotomachia Poliphili (Le Songe de Poliphile) de Francesco Colonna, avec la tradition vénitienne des lamenti infernaux des bouffons à laquelle Ruzante puise par exemple dans la Betia. En s’adressant en effet « aux lecteurs », Campani raconte comment l’œuvre est née d’un songe, ou plutôt d’un cauchemar, qu’il a fait un matin de printemps et qui lui a fait revivre l’horreur de la maladie, pendant lequel pour se réconforter il avait commencé à composer des vers. À son réveil, heureux de se trouver guéri, il s’était mis à les écrire pour exorciser la terreur et offrir aux malades victimes du même mal la mémoire de sa propre souffrance et un espoir de guérison salvateur. Le Lamento devient un best-seller extraordinaire pendant plus d’un siècle et il constitue un exemple de la transition entre oralité performative et construction d’un canon théâtral et éditorial.
18Cet exemple ancien de Campani, qu’il est possible de contextualiser avec précision dans toutes ses étapes, témoigne du processus de rationalisation spectaculaire qui se déroule au cours de ces années-là et se met en place précisément en liaison directe avec des représentations spécifiques, à travers des reformulations et des assemblages de fragments comiques de base que le livre résume et occulte derrière la confection unifiée pour la lecture. Si de véritables paratextes officiels manquent encore (Le Lamento est vraiment une exception), ce sont en général les prologues et les congés, ou de petits inserts métathéâtraux [29], qui servent à signaler la séparation qui s’accomplit entre la dimension épique et la dimension dramatique.
19À Sienne, après que les « pré-Rozzi » se furent assurés, au début du XVIe siècle, une belle renommée dans toute la péninsule grâce à leurs tournées théâtrales et au lancement éditorial de leurs œuvres par Landi, une intense vie théâtrale se consolide à partir des années 1530 autour des académies aristocratiques (Intronati [Perplexes], Desiosi [Désireux], Insipidi [Insipides], Avvilupati [Emmêlés]), et de la confrérie bourgeoise des Rozzi. Leurs membres élaborent une dramaturgie comique et tragi-comique d’une richesse créative exceptionnelle, destinée, pour diverses raisons, à une ample diffusion européenne, et les imprimeurs continueront à en appuyer et légitimer le développement [30].
20Dans la plus internationale Venise, cependant, le théâtre dramatique, tant courtisan que mercantile, désormais affirmé dans tous ses langages, continue de prendre de l’importance également dans l’édition. À l’heureuse anarchie des premières décennies du siècle, dominé par le travail de Zoppino, formidable dénicheur et vendeur de nouveautés littéraires et théâtrales, et par la récupération philologique et traductive du théâtre classique réalisée dans l’officine d’Alde Manuce, s’ajoute, à partir des années 1530-1540, l’entreprise d’édition théâtrale de typographes comme les Giolito, les Marcolini, les Manuzio, qui organisent en collaboration avec une série de polygraphes entreprenants – l’Arétin, Domenico Dolce, ou Lodovico Domenichi –, la publication systématique de comédies, fables pastorales, tragédies, à l’intérieur de laquelle advient la véritable invention de l’édition théâtrale moderne. Ces petits livres sont souvent entourés par un contexte précis de représentation, et celle-ci est indiquée dans les frontispices qui deviennent ainsi toujours plus compliqués, en s’enrichissant d’indications supplémentaires sur les dédicataires, sur l’histoire éditoriale précédente, et sur les éventuelles révisions du texte, comme pour un rappel publicitaire supplémentaire [31]. Parfois la qualité littéraire particulière d’une œuvre est soulignée par l’insertion d’appendices destinés explicitement à la lecture, comme les arguments en prose qui résument l’intrigue, les dissertations de poétique, particulièrement demandées et appréciées dans la deuxième moitié du siècle pour les tragédies et les pastorales, ou les « prologues pour ceux qui lisent » distincts des « prologues à réciter ». Lire du théâtre devient en effet une habitude diffuse, si bien que l’on commence même à inventer des anthologies qui fixent des canons de genre très précis, comme les Commedie elette (Comédies choisies) éditées à Venise par Girolamo Ruscelli, en 1554 chez Plinio Pietrasanta (un surnom en réalité), en deux volumes fournis de scrupuleuses Annotationi (Annotations) linguistiques et philologiques.
21Commence alors une autre histoire, caractérisée par la séparation toujours croissante entre hommes de scène et hommes de livres. L’édition théâtrale de textes réguliers, c’est-à-dire aristotéliciens, acquiert une dignité typographique toujours plus grande, en s’enrichissant d’illustrations (surtout dans le domaine de la pastorale) et de dédicaces illustres, en s’éloignant toutefois des scènes réelles : nombreux sont ceux, comme Giraldi Cinzio ou Leone de’ Sommi, qui soulignent la différence profonde entre théâtre à regarder et théâtre à lire, dont on arrive même à affirmer la supériorité culturelle, comme par exemple chez les académiciens Innominati de Parme [32]. Sur un autre front, la vie des textes représentés continue à être tumultueuse et accidentée, même si les acteurs s’obstinent à s’acquérir, à travers les livres, du prestige et de la reconnaissance. Mais il s’agit de livres particuliers et différents. Ils sont pensés comme des instructions pour l’usage scénique des œuvres, et donc construits sur la base de codes de communication spécifiques, avec des paratextes adaptés et chargés d’indications techniques. Ou bien il s’agit de livres protocolaires, connotés à l’excès dans le sens de l’érudition, chargés de références cultivées instrumentales, où le paratexte, souvent frauduleux et purement publicitaire déborde largement le contenu réel. Mais cela est une autre histoire [33].
Notes
-
[1]
La présente étude fait la synthèse d’une série de recherches en cours partiellement publiées, que je me permets de citer dans quelques notes, en y renvoyant pour tous les détails philologiques et documentaires qui excèdent l’espace de cet article.
-
[2]
« La sventurata musica […] costretta a nascere e a morire […] immediate dopo la sua creazione » (L. da Vinci, Come la Musica si de’ chiamare sorella e minore della Pittura, dans P. Barocchi (dir.), Scritti d’arte del Cinquecento, tomo, Milan / Naples, Ricciardi, 1971, t. I, p. 250).
-
[3]
M. Pieri, « Narrare, cantare, recitare. Appunti sullo spettatore cinquecentesco », dans A. Gallo et K. Vaiopoulos (dir.), « Por tal variedad tiene bellezza ». Omaggio a Maria Grazia Profeti, Florence, Alinea Editrice, 2012, p. 115-126.
-
[4]
D. da Piacenza, De Arte saltandi et choreas ducendi (ca 1450) ; A. Cornazano, Libro dell’arte del danzare (1455) ; G. Ebreo da Pesaro, De pratica seu arte tripudii (1463). Voir A. Pontremoli, Danza e Rinascimento. Cultura coreica e « buone maniere » nella società di corte del XV secolo, Macerata, Ephemeria Editrice, 2011.
-
[5]
En français dans le texte (NdT).
-
[6]
Petits textes en vers ou en prose que les acteurs prononcent à la fin de la pièce en s’adressant au public.
-
[7]
M. Pieri, « Fra scrittura e scena : la Cinquecentina teatrale », dans E. Cresti, N. Maraschio et L. Toschi (dir.), Storia e teoria dell’interpunzione, Rome, Bulzoni, 1992, p. 245-268 ; « Problemi e metodi di editoria teatrale », dans R. Alonge et G. Davico Bonino (dir.), Storia del teatro moderno e contemporaneo. II : Il grande teatro borghese (Settecento-Ottocento), Turin, Einaudi, 2000, p. 1073-1102.
-
[8]
Le malentendu concerne bien deux témoins comme Caleffini et Zambotti. Voir F. Cruciani, C. Falletti et F. Ruffini, « La sperimentazione a Ferrara negli anni di Ercole Ie Ludovico Ariosto », Teatro e Storia, t. IX, n° 16, 1994, p. 136.
-
[9]
Célèbre recueil anonyme de contes et de sentences, composé à la fin du XIIIe siècle.
-
[10]
L’ottava rima est une forme métrique composée de huitains d’hendécasyllabes.
-
[11]
Novella Bellissima duno / Monaco & uno Abate : Tracta del libro del / Cento : et Traslata in Octava Rima / dallo ingenioso huomo Bastiano di / Francesco Sanese ; colophon : Impresso in Siena per Simione di Niccolo & Giovanni di Alixadro Cartal /da Siena. Adi. XXV di septebre MDXI. / Fontis Blandi Insignia. L’édition, signalée dans les catalogues, est perdue (voir C. Valenti, Comici artigiani. Mestiere e forme dello spettacolo a Siena nella prima metà del Cinquecento, Modène, Panini, 1992, p. 164). Bastiano di Francesco Linaiuolo – marchand de tissus de lin – est un acteur / artisan siennois, mort après 1546, qui fait partie de ceux qu’on nomme « pré-Rozzi ». Ses œuvres sont publiées à Sienne entre 1520 et 1541.
-
[12]
La martorella est une danse populaire siennoise, souvent présente dans le théâtre de l’époque.
-
[13]
Magrino est le nom du serviteur.
-
[14]
Sur ce point fondamental, voir R. Chartier, Publishing Drama in Early Modern Europe, Londres, The British Library, 1999. En Italie, voir l’étude approfondie, désormais disponible, de L. Riccò, « Su le carte e fra le scene ». Teatro in forma di libro nel Cinquecento italiano, Rome, Bulzoni, 2008.
-
[15]
Pour ce contexte, je renvoie à mon article « Raccontare e rappresentare : Boiardo e il palcoscenico di Ercole », dans A. Canova et G. Ruozzi (dir.), Boiardo a Scandiano. Dieci anni di studi, Novare, Interlinea, 2012, p. 97-118.
-
[16]
Cette présentation explique notamment la signification allégorique de la pièce et esquisse une histoire du genre comique selon Aristote, qui constitue l’une des premières théorisations du siècle à propos de ce nouveau genre dramatique encore expérimental. Les Tre Tiranni révèlent donc la naissance d’ambitions littéraires dans le paratexte théâtral.
-
[17]
Voir M. Plaisance, « I Tre Tiranni, comédie d’Agostino Ricchi, représentée à Bologne devant Clément VII et Charles Quint. En 1530 ou 1533 ? », dans G. Ulysse (dir.), La Fête et l’Écriture. Théâtre de cour, Cour-théâtre en Espagne et en Italie, Aix-en-Provence, Université de Provence, 1987, p. 321-334.
-
[18]
L’expression est de Laura Riccò (op. cit., p. 19), qui la tire d’une lettre de l’imprimeur Gabriel Giolito de’ Ferrari.
-
[19]
Voir M. Pieri, La scena boschereccia nel Rinascimento italiano, Padoue, Liviana, 1983 ; C. Valenti, op. cit. On peut rappeler l’exemple de la bibliothèque de Marin Sanudo, très riche dans ce domaine : voir G. Padoan, « La raccolta di testi teatrali di Marin Sanudo », dans id., Momenti del Rinascimento veneto, Padoue, Antenore, 1978, p. 68-93.
-
[20]
Les détails paratextuels explicitement référés à la lecture sont encore fragmentaires, et toujours entremêlés d’indications techniques plutôt relatives à l’écoute. Ainsi dans l’Egloga di Maestro di Nicholo Alticotio Cortonese intitulata Cynthia (Sienne, M. di Bartolomeo Fiorentino, 1524), après l’Argomento on trouve : « Lo autor descrive el tempo alli expectatori » [L’auteur décrit le temps aux spectateurs]. La double destination d’usage, toujours sous-entendue, est signalée plus ou moins explicitement dans les compositions poétiques et dans les lettres encomiastiques comme dans l’Egloga pastorale di Amicizia de Bastiano di Francesco (Sienne, A. Landi, 1543), définie comme « troisième poème de l’auteur » offert à un gentilhomme habitué à se divertir « avec de telles choses » bien qu’il « se dédie aux sciences vertueuses ». Elle l’est aussi dans les rubriques insérées dans les marges, comme dans le Vallera du même Bastiano di Francesco (Sienne, san Vigilio, 1546) ou dans le Lamento de Strascino déjà cité, précédé par un « Strascino a gli Lectori » [« Strascino à ses lecteurs »]. Parfois la question est explicitée, comme par exemple dans la composition de Giovanni Roncaglia, Scanniccio. Commedia della speranza. Molto elegante et sentenziosa, nella quale si contiene come due Fratelli Pastori erano innamorati di due Sorelle Nimphe, con sacrifizii, et moresche, et molti sollazzevoli gesti, atti et giuochi, et massime quelli di Scanniccio Villano, che leggendoli, o vedendoli fare non potrete contenere le Risa [Comédie de l’espérance. Très élégante et sentencieuse où l’on voit deux frères bergers amoureux de deux sœurs nymphes, avec des sacrifices et des mauresques, et bien d’autres gestes, actions et jeux divertissants, et surtout ceux de Scanniccio, vilain, qui, lorsqu’on les lit ou lorsqu’on les voit, provoquent des rires incoercibles], Sienne, s. n., 1546. Il est difficile toutefois d’établir le degré de conscience théorique et l’intentionnalité contenues dans ces indications, dues probablement aux imprimeurs (et non aux auteurs) pour assurer la publicité de leurs produits en diverses directions.
-
[21]
Landi travaillait comme portier à l’université avant de s’installer comme imprimeur-libraire.
-
[22]
Sur son activité, voir L. Severi, L’Editore Niccolò Zoppino e la questione della lingua, dans N. Cannata et M. A Grignani (dir.), Scrivere il volgare fra Medioevo e Rinascimento, Pise, Pacini Editore, 2009, p. 69-80.
-
[23]
L. Degl’Innocenti, I « Reali » dell’Altissimo. Un ciclo di cantari fra oralità e scrittura, Florence, Società Editrice Fiorentina, 2008.
-
[24]
C’est le cas de l’Egle de Giraldi Cinzio, joué en 1542 et édité à Venise sans notation de typographie entre 1545 et 1547 ; d’Il Sacrificio (Le Sacrifice) d’Agostino Beccari, publié à Ferrare par Francesco di Rossi de Valence en 1555, un an après sa représentation ; de l’Aretusa d’Alberto Lollio jouée en 1563 et publiée l’année suivante à Ferrare par Valente Panizza Mansonno ; et de Lo sfortunato (Le Malheureux) d’Agostino Argenti, représenté en 1567 et publié par Giolito à Venise en 1568 : autant d’étapes diverses d’une expérimentation scénique cultivée autour de la fable pastorale, menée entre la Cour et l’Académie pour confirmer dans le monde de l’Arcadie la primauté théâtrale de Ferrare, déjà assurée par la comédie.
-
[25]
Marcantonio Epicuro (Antonio Caracciolo), mystérieux personnage, poète, acteur et musicien, qui émigre à Venise au début du XVIe siècle, après la crise politique des Aragonais de Naples. D’homme de lettres courtisan, il se transforme en canterino professionnel qui publie pour survivre ses compositions, comme Le Opere artificiose di Notturno Napolitano in lequal si contiene capitoli, sonetti, strambotti, sestine, canzoni disperate, epistole, epitaphi de homini et donne, comedie, tragedie, Fausto di virtù, Cato tradutto di latino in volgare [Les Œuvres artificieuses du Nocturne Napolitain qui contiennent chapitres, sonnets, poèmes satiriques, sizains, chansons désespérées, lettres, épitaphes d’hommes et de femmes, comédies, tragédies, Fausto vertueux, Caton traduit du latin en italien], Venise, P. Danza, 1543.
-
[26]
Sur le contexte de ce choix, voir M. Pieri, « Contado senese e contado pavano in scena. Qualche intersezione », dans A. Cecchinato (dir.), Molte cose stanno bene nella penna che ne la scena starebben male. Teatro e lingua in Ruzante, Padoue, CLEUP, 2012, p. 141-160.
-
[27]
La déesse Cérès se présente au public avec ses attributs mythologiques de mère de la nature et de l’agriculture, et annonce qu’elle veut le divertir avec un « plat stupide » dont le protagoniste sera un paysan avec ses « erreurs rustiques » et ses « peines d’amour ridicules ». Elle présente les autres personnages de l’intrigue (un gentilhomme amoureux, une vieille entremetteuse, un serviteur fidèle). Elle promet un divertissement bref et efficace, demande pardon pour d’éventuels incidents, et impose le silence. Nous sommes à l’évidence dans une phase où la représentation tragi-comique, faite d’un assemblage assez aléatoire de sketches récités et chantés, risque de se fragmenter et de se dissoudre à l’intérieur de la fête ; c’est pourquoi le prologue sollicite l’attention des spectateurs avec insistance, mais il est probable que ce soit normalement le texte publié qui l’organise de façon construite.
-
[28]
La typologie et la distribution de ces rubriques, entre notes occasionnelles et instructions pour la lecture, est fort intéressante, et témoigne d’un effort d’indexation, un peu désordonné mais parfaitement cohérent avec le projet ambitieux de l’auteur. Il s’agissait de transformer un monologue fantaisiste construit in progress directement au contact du public, en un texte fermé et fixé, à lire dans la solitude, mais conservant sa nature profonde de composition ouverte et interactive. Les signes distinctifs propres à la représentation – en premier lieu, l’interlocution directe qui lie le récitant et les spectateurs – ne sont donc que partiellement cachés par le medium de l’imprimerie et les rubriques latérales sont là pour orienter le lecteur avec un minimum de certitude. Il s’agit d’une expérience, comportant certes des risques dont l’auteur se déclare parfaitement conscient, mais qu’il veut tenter.
-
[29]
Ajoutons deux autres exemples tirés de Campani. L’églogue Strascino, destinée à une fête privée siennoise, est riche de clins d’œil concrets liés aux circonstances que les spectateurs pouvaient reconnaître immédiatement pendant la représentation : les biricuocoli, ou biscuits de Pâques, que l’on mange à Sienne, la crise économique, la lourdeur des taxes communales, etc. Et dans le Magrino, l’auteur, qui interprétait le personnage du paysan Scorteccia, souligne pour un public plus aristocratique, sa condition de serviteur du maître de maison, commanditaire de la fête, un prélat membre de la puissante famille Bonsignori, banquiers siennois de Léon X. Il interrompt la fiction et le suspens de la représentation, contrevenant au pacte que le prologue a passé avec les spectateurs. Fatigué d’attendre hors scène, il déclare en effet son intention de partir solliciter un repas bien mérité avant que son maître ne s’en aille au consistoire, et il se vante d’être éloquent et rusé comme Cicéron, ainsi qu’il convient à un homme de palais (v. 143-158).
-
[30]
Sur ce développement, voir L. Riccò, La « miniera » accademica. Pedagogia, editoria, palcoscenico nella Siena del Cinquecento, Rome, Bulzoni, 2002 ; M. Pieri, « Siena e il DNA della commedia rinascimentale », Il castello di Elsinore, t. XXI, n° 57, 2008, p. 9-20, et « Fra vita e scena. Appunti sulla commedia senese cinquecentesca », Bullettino Senese di Storia Patria, vol. CXVIII-CXIX, 2011-2012, p. 370-396.
-
[31]
Pour la tragédie, voir M. Pieri, « La tragedia in Italia », dans G. Guastella (dir.), Le rinascite della tragedia, Rome, Carocci, 2006, p. 167-206, ainsi que le Quadro cronologico annexé au volume, qui rend compte de toutes les éditions.
-
[32]
L. Riccò, L’Arcadia « in mano ». Illustrazioni editoriali della favola pastorale (1583-1678), vol. I (Itinerari) et II (Album), Rome, Bulzoni, 2012.
-
[33]
Cette histoire a été étudiée de façon approfondie dans S. Ferrone, Attori mercanti corsari. La Commedia dell’Arte in Europa tra Cinque e Seicento, Turin, Einaudi, 1993.