Notes
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[1]
Voir les travaux de Ch. McCall Probes et de W. Brooks.
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[2]
Chr. Planté (dir.), L’Épistolaire, un genre féminin ?, Paris, H. Champion, 1998, p. 14.
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[3]
Voir G. Ferreyrolles, « L’épistolaire, à la lettre », supra, p. 20.
-
[4]
Lettres de la Princesse Palatine (1672-1722), éd. O. Amiel, Paris, Mercure de France, « Le Temps retrouvé », 1985.
-
[5]
Signalons au passage une lettre que l’on trouve aux pages 650-657, non datée mais écrite à Madame, donc au plus tard en 1722, qui s’impose à l’attention en ce qu’elle fait l’éloge des Lumières dont elle propose une définition, un demi-siècle au moins avant le texte célèbre d’Emmanuel Kant, Qu’est-ce que les Lumières ? (1784).
-
[6]
L’atteste l’article du Code Napoléon de 1810 qui reconnaît finalement la « pudeur masculine », sur laquelle le Grand Siècle a commencé de s’interroger. En effet, le Code Napoléon évoque pour la première fois la notion d’attentat à la pudeur, alors que la loi de 1791 était limitée à la notion d’attentat à la pudeur des femmes. Désormais donc, la pudeur n’a plus de sexe. Sur cette question et l’histoire qui lui est liée, voir les travaux de Jean-Claude Bologne.
-
[7]
« J’aurais pourtant bien désiré faire la connaissance de l’homme distingué en lequel Son Altesse Royale a une si grande confiance » (il s’agit de Nicolas-François Rémond, premier conseiller au conseil du duc d’Orléans et dont l’importante fonction était d’introduire les ambassadeurs auprès du Régent). « Il a l’honneur d’avoir jeté les bases solides d’une paix générale européenne. En ceci, il prévient même M. l’abbé de Saint-Pierre ; sur les fondements de celui-ci d’ailleurs on pourra établir un édifice plus solide encore » (19 octobre 1716).
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[8]
« J’ai failli oublier de vous annoncer que Monsieur m’a fait don de Colombes. J’ai donc une petite maison à moi, ce dont je suis fort aise » (23 août 1693).
-
[9]
V. Schott-Bourget, Approches de la linguistique, Paris, A. Colin, 2005, p. 110.
-
[10]
I. Landy-Houillon, Introduction aux Lettres portugaises, Lettres d’une Péruvienne et autres romans d’amour par lettres, Paris, Garnier-Flammarion, 1983, p. 56.
-
[11]
Nous soulignons.
-
[12]
Voir le portrait au vitriol de la duchesse de Bourgogne, lettre du 14 décembre 1710, éd. cit., p. 436.
-
[13]
Son portrait par Hyacinthe Rigaud (1719) est moins flatteur que celui peint, plus tôt il est vrai, par Nicolas de Largillière. Ce dernier portrait est conservé au château de Chantilly.
-
[14]
Voir par exemple p. 93, 176 et 308.
-
[15]
Mémoires, éd. Y. Coirault, Paris, Gallimard, « Folio classique », t. I, 1990, p. 79.
-
[16]
« Je n’ai pas les Discours de table de Plutarque, mais j’ai quelques-uns des propos de table du docteur Luther qui sont bien amusants » (27 octobre 1709).
-
[17]
Voir la lettre du 11 juin 1711, p. 307.
-
[18]
Voir la lettre du 18 juin 1705, p. 242.
-
[19]
Le Moi libertin. Modalités d’expression de la subjectivité à l’âge classique, thèse éditée sous le titre : L’Écriture personnelle ou la création de soi, Paris, H. Champion, 2009.
-
[20]
Voir F. Zanetti, « Jeanne Guyon des Anglais : la construction d’un modèle d’abandon transconfessionnel au XVIIIe siècle », dans V. Alémany et alii (dir.), Saintes ou sorcières ? L’héroïsme chrétien au féminin, Paris, Éditions de Paris / Max Chaleil, 2006, p. 177-213.
-
[21]
Sur cette question et les problèmes qu’elle soulève, voir Chr. Jouhaud, D. Ribard et N. Schapira, Histoire, Littérature, Témoignage, Paris, Gallimard, « Folio-Histoire », 2009. Nous remercions notre collègue et ami O. Andurand de nous avoir indiqué cette référence.
-
[22]
R. de Bussy-Rabutin, Histoire amoureuse des Gaules, éd. J. et R. Duchêne, Paris, Gallimard, « Folio classique », 1993, p. 109.
-
[23]
Sur les enjeux de cette querelle, son histoire et ses conséquences, voir L. Thirouin, L’Aveuglement salutaire. Le réquisitoire contre le théâtre dans la France classique, Paris, H. Champion, 1997, réd. 2007.
-
[24]
N. Elias, La Civilisation des mœurs, trad. P. Kamnitzer, Paris, Calmann-Lévy, 1991.
-
[25]
Sophie de Hanovre, Mémoires et lettres de voyage, éd. D. Van der Cruysse, Paris, Fayard, 1990.
-
[26]
P. Aron et alii (dir.), Dictionnaire du littéraire, Paris, Puf, 2002.
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[27]
Voir P. Bourdieu, Leçon sur la leçon, Paris, Éditions de Minuit, 1982 ; N. Lapierre, Pensons ailleurs, Paris, Gallimard, 2006 (en particulier le chap. 3 « Mobiles » et la section « Les transfuges », p. 142-167). Nous remercions notre ami P. Massa d’avoir porté à notre connaissance ces références bibliographiques.
-
[28]
Voir La Dimension cachée, Paris, Éditions du Seuil, « Points-Essais », 1978.
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[29]
Voir par exemple Y.-A. Fontaine, L’Évolution sentimentale, Paris, Odile Jacob, 1996. L’auteur y défend l’idée que le stress, nécessaire à la survie de l’espèce, est génétique.
1La présente étude, à la suite de quelques travaux universitaires que l’on estime trop rares en France, vise à mieux faire connaître une épistolière négligée ou méprisée (à l’exception de Sainte-Beuve) par le XIXe siècle français, lequel, à la suite de Voltaire, avait son idée du Grand Siècle et, comme il se doit, son Panthéon, où n’entre pas Madame, appréciée au mieux comme une commère et une méchante langue. Une espèce de Saint-Simon en jupons débraillés qui n’aurait ni style ni tenue. Peu étudiée par les littéraires et, toutes proportions gardées, par les spécialistes de l’épistolaire, en raison il est vrai des difficultés nombreuses soulevées par l’existence d’une correspondance volumineuse rédigée surtout en allemand, souvent absente donc des colloques, des ouvrages érudits, des anthologies ou des manuels scolaires, Élisabeth-Charlotte, Princesse Palatine du Rhin, naît dans le Palatinat en 1652 et meurt en France en 1722. Sacrifiée sur l’autel de la politique et des intérêts dynastiques, elle épouse en 1671, à l’âge de dix-neuf ans, le frère unique de Louis XIV avec lequel elle aura trois enfants dont Philippe d’Orléans, le futur Régent. Plus communément appelée Charlotte-Élisabeth de Bavière, et Liselotte pour les intimes, la jeune femme étonne d’abord la cour de France par ses façons, ses vêtements, son franc-parler. Mais l’idylle ne dure guère. La mise à sac de son pays d’origine par les troupes françaises en 1689 (et les reproches indignés qu’elle s’autorise), ses misères conjugales, sa haine tenace à l’égard de Mme de Maintenon (appelée par exemple « la vieille ordure » ou « la guenon »), ses propos acerbes (voir Saint-Simon) lui valent très vite de vivre à l’écart du roi – un exil qu’elle égaie pendant un demi-siècle en écrivant chaque jour de longues et nombreuses lettres adressées alors à ce que l’Europe compte de plus prestigieux. Des lettres sans concessions le plus souvent et dont des historiens comme Emmanuel Le Roy Ladurie ont montré la valeur – une valeur que l’on se plaît à (re)découvrir, à l’étranger notamment [1].
2Rappelons à larges traits les grandes étapes de la réception du texte. Furent d’abord publiées en 1788 des fragments des Lettres originales de Madame, écrites de 1715 à 1720 au duc de Brunswick et à la princesse de Galles, réimprimées sous un titre différent en 1823. Menzel fut le premier en Allemagne à publier en 1843, soit plus d’un siècle après leur rédaction, les lettres adressées à la famille ou à des proches. Ce texte fut traduit en 1857 par Gustave Brunet. Les années 1861 et 1863 voient la publication d’éditions augmentées. Plus près de nous, en 1981, Olivier Amiel donne au Mercure de France les Lettres de la Princesse Palatine (1672-1722). L’orientation en est explicite : on sait que la collection « Le Temps retrouvé » accueille de préférence des mémorialistes. À cette publication s’ajoutent les travaux de Dirk Van der Cruysse : vient d’abord une biographie, Madame Palatine, princesse européenne (Paris, Fayard, 1988), couronnée par la Société d’étude du XVIIe siècle et par l’Académie française ; puis l’édition critique, chez Fayard toujours, en 1989, des grandes lettres françaises de Madame ; enfin, en 1998, en direction de la recherche, Le Miroir brisé : le sort des correspondances de Madame Palatine. Un peu plus tard et la même année, en 2004, paraissent deux biographies, l’une de Daniel des Brosses, La Palatine. L’incorrigible épistolière aux 60000 lettres, la seconde de Françoise Hamel, Fille de France. Sort également en poche une nouvelle édition de la correspondance. Reste à mentionner, fait significatif, deux adaptations théâtrales des lettres en 2007 et en 2008.
3Ces mouvements de balancier, s’ils ne sont pas inconnus de l’histoire culturelle, doivent être examinés de plus près : ils sont en effet particulièrement révélateurs des tensions et des enjeux consubstantiels au genre épistolaire, à sa nature même – un genre indécis et mouvant, souple et accueillant aux autres genres et qui noue avec la littérature des relations elles aussi poreuses et fluctuantes, propres à la sensibilité, aux goûts et aux critères d’une époque, à géométrie variable comme l’on sait. Or il nous semble bien que se joue avec la correspondance de la princesse, et peut-être plus qu’ailleurs, ce qui se joue avec l’épistolaire en général, « ce genre », pour reprendre une expression de Christine Planté, « qui n’en est pas un [2] », et qui défie en permanence les catégories esthétiques et les oppositions binaires qui traversent le discours critique : vrai vs. faux, réel vs. fictif, littéraire vs. non-littéraire, féminin vs. masculin, naturel vs. rhétorique, mondain vs. sérieux. Des distinctions certes utiles mais qui parfois soulèvent plus de problèmes qu’elles n’en dissipent et qui, en définitive, invitent à la réflexion. Ainsi, reprenant une quadripartition puis une tripartition opérée par la tradition, Gérard Ferreyrolles propose en introduction du présent volume de simplifier encore les choses pour aboutir à distinguer, dans les lettres, le genre sérieux (dont le modèle serait l’oratio) du genre familier, dont le modèle, lui, serait assuré par le sermo ou conversation [3]. Mais au nom de quelles valeurs, de quels critères le familier serait-il d’emblée et théoriquement exclu, dissocié du sérieux ? Ne peut-on, en effet, être familier et sérieux, voire grossier et sérieux ? Ce divorce, qui consacre une dualité séduisante, ne reconduit-il pas, sourdement et à sa façon, la vieille opposition entre la forme et le fond, la littérature savante et la littérature populaire, l’oral et l’écrit ? Sans doute la distinction demeure-t-elle pertinente dans une société où chacun respecte les conventions, les hiérarchies et les modèles et où l’emporte la conception de l’imitation. Mais quand on a affaire à de bouillonnantes personnalités, étrangères qui plus est, qu’en est-il de ces notions ? À cet égard, les lettres de la Palatine rendent perplexe : si le ton adopté y est souvent enjoué, la princesse, convertie au catholicisme mais jusqu’à sa mort fidèle à Luther et au protestantisme de son enfance, aime à parler des sujets religieux. D’où cet aveu en date du 11 juin 1705 : « mais il m’est défendu de raisonner des choses touchant la religion », ratifié le 7 janvier 1714 : « Je ne parlerai plus de choses saintes, car j’ai promis à mon confesseur de m’en abstenir à l’avenir. » Une promesse arrachée au bout d’une décennie, avec les menaces que l’on devine.
4On se propose donc ici de présenter à grands traits des lettres qui ne sont pas toujours bien connues ainsi que les réflexions, très libres, nées de leur lecture. On gardera présent à l’esprit le fait qu’on ne dispose, à ce jour, d’aucune édition complète de la correspondance de Madame. Toute entreprise critique demeure ainsi partielle, et donc partiale, soumise à l’appréciation des éditeurs pour ne rien dire de celle des traducteurs, soucieux au XIXe siècle de lisser la langue de la princesse, tandis que notre époque, par fidélité à l’original ou pour des motifs idéologiques plus ou moins avoués, se félicite, au contraire, d’en respecter la grossièreté et la crudité. Ces réserves faites, valables pour toute correspondance-fleuve dont la publication relève de stratégies voire de manipulations, on montrera en quoi ces lettres singulières ouvrent des voies à la recherche, notamment à la suite des travaux de Norbert Elias, et comment elles mettent à mal bien des catégories du discours savant, comme si l’épistolaire se refusait aux modélisations trop rigoureuses, aux codifications trop strictes, de par ses liens avec la vie, son flux et son désordre. Comme s’il y avait, toujours, en définitive, non la Rime et la Vie, pour citer le titre d’un ouvrage d’Henri Meschonnic, mais la Lettre et la Vie.
Des lettres au carrefour des genres
5L’édition que nous utilisons ici est celle d’Olivier Amiel pour le Mercure de France [4]. Cette dernière repose sur l’édition Jaeglé, qui a fourni la base du texte, donnant en effet l’essentiel des lettres adressées à des correspondants mineurs : le raugrave Louis, la raugrave Louise, la raugrave Amélie-Élisabeth, proches parents de la princesse. Pour la correspondance avec la duchesse Sophie de Hanovre, tante de Madame, Olivier Amiel a suivi le texte, plus complet, de l’édition Rolland (1863), de façon à donner un ensemble plus riche que celui de l’édition Jaeglé, qui omet une part importante de ces lettres d’un grand intérêt puisque Liselotte use avec sa tante de moins de retenue qu’avec ses autres correspondants, ce qui apparaît clairement lorsqu’on lit les lettres à Leibniz, placées en appendice avec les réponses du philosophe [5]. On trouvera enfin dans ce volume du « Temps retrouvé » quelques lettres de Philippe d’Orléans, alors en Espagne.
6Ce recueil inscrit donc le commerce épistolaire dans le cercle familial – un choix qui n’est pas sans incidence sur la réception même des lettres ni sur l’image que le lecteur construit de la princesse, d’autant que les destinataires y sont surtout des femmes, avec lesquelles la connivence est plus marquée, ou du moins affichée comme telle, ne serait-ce qu’en raison des bienséances. Le ton s’y fait ainsi plus désinvolte et plus leste. On notera néanmoins que l’éditeur n’a pas jugé utile de reproduire une lettre adressée à Sophie ; lettre fameuse, en français de surcroît, rédigée à Fontainebleau le 9 octobre 1694 et citée avec ravissement par les frères Goncourt dans leur Journal (23 août 1862). S’y épanouit une verve truculente et scatologique, dont on donnera un bref aperçu :
Il est très chagrinant que mes plaisirs soient traversés par des étrons. Je voudrais que celui qui a le premier inventé de chier ne pût chier, lui et toute sa race, qu’à coups de bâton ! Comment, mordi ! qu’il faille qu’on ne puisse vivre sans chier ? Soyez à table avec la meilleure compagnie du monde ; qu’il vous prenne envie de chier, il faut aller chier. Soyez avec une jolie fille ou femme qui vous plaise ; qu’il vous prenne envie de chier, il faut aller chier ou crever. Ah ! maudit chier ! Je ne sache point de plus vilaine chose que de chier. Vous voyez passer une jolie personne, bien mignonne, bien propre ; vous vous récriez : « Ah ! que cela serait joli si cela ne chiait pas ! »
8Cette prose peut offusquer : il n’est pas certain qu’elle ait choqué les contemporains (ou tous les contemporains), habitués aux lavements, aux vomitifs, aux remèdes violents. Louis XIV, grâces soient rendues aux indiscrétions vengeresses de Saint-Simon, aimait parfois à recevoir ses hôtes sur sa chaise percée. La réception des lettres de la Palatine au XIXe siècle montre en tout cas que la pudeur a triomphé [6]. Mais sans doute convient-il aussi de souligner que la princesse, au divorce de ses parents recueillie par Sophie de Hanovre, une femme brillante et cultivée, reçut une éducation humaniste, et qu’elle lut avec profit Rabelais et Montaigne, auxquels font sans doute écho les lignes qui précèdent. Souvenons-nous enfin qu’elle aimait la nature et la liberté et qu’elle souffrait des rigueurs imposées par la Cour, alors corsetée par l’étiquette :
Nous ne sommes autre chose que des esclaves couronnés. Si je ne vous avais pas dit cela, j’eusse étouffé.
10Surveillée étroitement dans ses mouvements et ses déplacements (elle doit même demander la permission au roi d’assister aux couches de sa fille en mai 1699), elle trouve dans l’écriture de quoi soulager ses peines.
11Les lettres qu’elle adresse à Leibniz rendent un son différent et montrent une mondaine avisée, exerçant une politesse bien comprise. Affable et d’une humilité inédite, elle valorise un interlocuteur dont elle reconnaît la supériorité intellectuelle :
Je crois avoir, dans la mesure du possible, répondu exactement à votre lettre, afin de vous prouver, Monsieur Leibniz, qu’il m’a été fort agréable de la recevoir. Je l’ai relue plus d’une fois avec plaisir.
13Mais la modestie dissimule peut-être aussi un certain agacement, le philosophe sollicitant de manière répétée l’appui de sa correspondante auprès du Régent : « Je m’entends mieux aux choses de la chasse qu’à la politique, car la vénerie a longtemps été mon métier » (5 novembre 1716).
14Premier enseignement à tirer de ces remarques : la figure intime de Madame ne doit pas prendre le pas sur le visage plus composé de l’aristocrate allemande, mieux élevée qu’on ne le dit parfois lorsque l’on insiste sur une truculence mâtinée de grossièreté, dont on ignore au fond si cette dernière relève d’une disposition naturelle, d’une éducation humaniste ou de la fabrique d’une image vouée à amuser la galerie des complices allemandes, mieux à même que les lecteurs français d’apprécier l’éventuelle autodérision dont la princesse s’est fait une spécialité. De là une seconde observation sur laquelle nous reviendrons : la lettre semble bien être l’un des lieux privilégiés où s’édifie la représentation de soi, où se donne à lire une identité, qui est aussi une altérité. Ancrée dans la situation d’énonciation, miroir supposé du réel lorsqu’elle appartient au commerce privé, elle tend, par son caractère, à abuser un lecteur qui croit de bonne foi pénétrer par effraction dans le secret d’une intimité et qui, du fait même de ce dispositif, réagit plus vivement que dans la fiction à ce qu’il lit, comme si se jouait là, dans le discours épistolaire, quelque chose aussi de l’identité du lecteur, comme si la lettre, postulée par la séparation, impliquait, en creux, la frontière qu’elle cherche à abolir et à partir de laquelle se déterminent l’épistolier, le destinataire et le lecteur. Ou pour le dire autrement : pourquoi les lettres nous touchent-elles si sensiblement ? quelles résonances, quelles images éveillent-elles en nous ? qu’accompagnent-elles ou à quoi portent-elles atteinte qu’il faille nous en protéger par le dédain, l’agacement, le sarcasme ?
15La sélection établie par Olivier Amiel frappe en conséquence par sa cohérence et par la volonté de rendre hommage à une femme dont les excès sont passés sous silence et dont Leibniz saluait « l’intelligence », une femme qui participa, dans la mesure de ses moyens, au projet d’une paix générale européenne [7]. Ces points posés, reste à présenter les traits principaux et emblématiques de cette correspondance volumineuse, de ces correspondances faudrait-il dire à la suite de Dirk Van der Cruysse (avec quatre mille lettres adressées à la seule Sophie de Hanovre). Pour incomplet que soit l’échantillon offert par le Mercure, il n’en demeure pas moins d’un grand intérêt.
16Les lettres, où abondent les embrayeurs, les déictiques et les adverbes d’énonciation comme « hier », « ici », « aujourd’hui », « ces gens », « cette nation-ci », suivent les codes en usage et le statut générique du texte reste toujours parfaitement identifiable, grâce aux en-têtes, aux formules plus ou moins convenues qui l’encadrent, aux dates, échelonnées de 1672 à 1722 et toujours précédées de leur lieu d’énonciation : Saint-Germain, Saint-Cloud (la résidence de Monsieur), Paris (détesté), Fontainebleau, Marly, Versailles, Rambouillet, Port-Royal, où se rendre par obligation tous les deux jours est devenu « une servitude » (16 janvier 1695), Colombes enfin, un cadeau de Monsieur et lieu hapax dans notre édition [8]. Certaines lettres font même état de l’heure : « Saint-Cloud, le 20 juillet 1698, 8 heures du matin ; « Fontainebleau, le 22 octobre 1698, 10 heures un quart du matin », « Saint-Cloud, ce dimanche 5 novembre 1719, 7 heures du matin », sans que cette précision ait à voir avec une bonne ou une mauvaise nouvelle. Elle résulterait bien plutôt des impératifs de la vie curiale et semble devoir être mise au compte du départ du courrier, du cérémonial établi par le roi, des activités de la princesse. Cette dernière rédige ses lettres de préférence le matin, entre six et onze heures, et le soir, entre neuf et dix heures, plus rarement l’après-midi. Parfois, elle est obligée d’en suspendre l’envoi, ainsi qu’il apparaît dans la lettre du 14 décembre 1676 :
Je vous supplie de vouloir bien me pardonner si je suis restée une éternité sans vous écrire. D’abord je suis allée à Versailles, où nous étions occupés toute la journée. Depuis le matin jusqu’à trois heures de l’après-midi, l’on chassait ; en revenant de la chasse, on changeait de costume et l’on montait au jeu, où l’on restait jusqu’à sept heures du soir ; puis on allait à la comédie, qui ne finissait qu’à dix heures et demie du soir ; après la comédie, on soupait ; après le souper venait le bal qui durait jusqu’à trois heures du matin, et alors seulement on allait se coucher.
18Certes Élisabeth-Charlotte est encore bien jeune, installée en France depuis quatre ans, et le temps est à l’euphorie. Heureuse et célébrée, sans doute n’aurait-elle jamais écrit autant de lettres.
19Les marqueurs spatio-temporels apportent des informations utiles : on voit que les déplacements de l’épistolière suivent ceux du roi ou qu’ils s’inscrivent dans un rayon limité, au rythme des obligations politiques et mondaines, des divertissements royaux (la chasse, la comédie, les fêtes), des devoirs religieux ou sociaux (visites aux parents et aux amis). Mais ils peuvent aussi en inspirer le contenu, dans une sorte de réflexivité ou de méta-épistolarité propre au genre. Les lieux et le temps de l’énonciation, par exemple, produisent leurs fruits et peuvent lancer ou commander la discussion. De Saint-Cloud, il est dit :
Il est certain que les jardins d’ici sont beaux. […] Quoique Meudon soit vraiment beau, je dois cependant avouer que Choisy me plaît beaucoup plus.
21Les aléas de la poste, les lettres ouvertes et qui tardent à arriver parce qu’il faut les faire traduire ou qu’elles se perdent, tout cela nourrit la conversation épistolaire, lui imprime un tempo très particulier :
C’est chose à ne pas confier au papier, attendu que je sais parfaitement qu’on ouvre et lit mes lettres. À la poste ils me font, ainsi qu’à vous, l’honneur de les refermer très subtilement ; mais, pour la bonne Mme la Dauphine, on lui envoie souvent les siennes dans un état incroyable et déchiré par en haut.
23Tout échange épistolaire suivi repose sur une co-énonciation (différée) dont le texte porte l’empreinte. La phrase suivante explicite cette interaction : « J’ai donc différé de vos écrire jusqu’à ce que j’eusse reçu votre bonne lette du 18-28 octobre » (10 novembre 1688), comme le montrent les apostrophes, les adresses, les pronoms personnels, certains verbes comme demander ou répondre, lesquels consacrent la dimension dialogique et textuelle de cette correspondance tissée au fil du temps : « Quant à ce que vous me mandez relativement à nos lettres qui sont encore à Heidelberg, je n’ai pas osé vous répondre à ce sujet avant d’en avoir dit quelques mots à Monsieur » (26 janvier 1686). Ou encore : « Pour répondre maintenant à votre lettre » (12 septembre 1682). Enfin : « Pour me conformer à vos ordres, je vais vous dire très franchement ce que je pense de la susdite Mme la comtesse de Soisson » (10 septembre 1690). Les contraintes propres au genre, qui, d’une certaine manière creuse et avive l’attente, l’impatience des auteurs orientent parfois les lettres, quant à leur réception, vers le roman-feuilleton. Témoin, par exemple, cette phrase lue dans une lettre du 12 novembre 1722, porteuse d’une excitation et du plaisir d’écrire manifestés par la longueur des courriers (vingt à trente hauts feuillets, rappelle Dirk Van der Cruysse) : « J’espère pouvoir vous envoyer après-demain la grande relation du sacre. »
24Cette propriété renforce selon nous l’impression d’authenticité qui émane d’une correspondance presque tout entière appréhendée et vécue comme une immense conversation, cristallisée autour des verbes dire, parler, raconter et des variations qu’ils autorisent : « Je ne vous dirai qu’une chose, à savoir que Monsieur est le meilleur homme du monde » (3 décembre 1672) ; « Il faut que je raconte à Votre Dilection qu’on a fait tirer l’horoscope de mon plus jeune fils » (16 novembre 1674) ; « Je vous dirai donc que Corneille est de nouveau à la mode et que l’on reprend ses plus vieilles comédies, l’une après l’autre » (24 novembre 1677) ; « Maintenant que j’ai une occasion sûre, je puis parler librement » (24 septembre 1680). S’y ajoutent des propos rapportés, ayant parfois un lien direct avec le commerce épistolaire : « Je n’ai pas encore dit au roi que vous m’avez écrit pour lui » (30 août 1676).
25La Palatine recrée, à l’aide de maints procédés, une illusion de proximité qui passe par l’oralité de l’écriture, le phrasé du parlé et la matérialisation de la parole. Style direct et discours rapportés sont fréquemment sollicités et traduisent une mise en scène de la voix – et pas seulement celle de l’épistolière. On entend beaucoup la voix du roi, au début, lorsque l’heure est à l’harmonie, mais pas seulement. Une voix tantôt affable et amusée, tantôt cruelle ou mordante. La rencontre, devenue exceptionnelle puisque Madame vit une sorte de second exil à l’écart de la cour, illumine ou assombrit la journée, et donne lieu à une relation. La longue lettre en date du 19 septembre 1682 en fournit un excellent exemple. La Palatine y parle de ses misères conjugales et d’une rumeur dont elle a été la cible : elle ramasse ainsi en quelque seize pages une histoire qui a duré plusieurs mois. Les dialogues, variés, s’y taillent la part du lion et mêle les stichomythies aux répliques, en passant par la tirade-discours du roi. Ils orchestrent une sorte de concert vocal qui tourne à la cacophonie et dont l’effet est tout à la fois plaisant et symbolique. Comment mieux suggérer en effet la perversité d’une intrigue confuse ourdie de toutes pièces ? On y entend, dans un texte que l’on pourrait dire choral, Madame, Mme de Grancey, des acteurs qu’on se refuse à identifier (« quelques mois après on me demanda »), le roi, Monsieur, la fidèle Théobon – tandis que sont rapportées indirectement les manœuvres du marquis d’Effiat et du chevalier de Lorraine.
26La lettre du 27 août 1715 qui relate l’agonie de Louis XIV recourt au style direct et dramatise la scène d’adieu au monde. Le pathétique s’y conjugue à la simplicité, au naturel, à une forme d’ascèse ou de dépouillement qui n’est pas étrangère au sublime. Louis XIV y apparaît plutôt en patriarche familial, en homme semblable à tous les autres : les honneurs, les fastes et les ors du pouvoir ne comptent plus, ou presque :
Puis il m’a dit adieu avec des paroles si tendres que je m’étonne encore moi-même de n’être pas tombée droit sans connaissance. Il m’a assuré qu’il m’avait toujours aimée et plus que je pensais moi-même, qu’il regrettait de m’avoir parfois causé du chagrin […]. Je me jetai à ses genoux, pris sa main et la baisai, il m’embrassa. Puis il parla aux autres, disant qu’il leur recommandait d’être unis. Je crus qu’il me le disait à moi. « En ceci, ma vie durant, répondis-je, j’obéirai à V. M. » Il se tourna vers moi, et, en souriant : « Je ne vous dis pas cela à vous, fit-il, car je sais que vous n’avez pas besoin qu’on vous le recommande, vous êtres trop raisonnable pour cela ; je le dis aux autres princesses. »
28Madame recueille avec soin les dernières paroles du souverain, et le dialogue, outre l’authenticité et la solennité qu’il produit (l’épistolière est la gardienne du temple), se charge d’une très grande force puisque parler, c’est vivre encore.
29S’inscrit également dans cette dimension orale l’insertion de fragments de lettres, de billets, de chansons et de bons mots, dont elle est friande (voir, par exemple, les lettres du 13 septembre 1690, du 29 septembre 1683, celle sur la mort de Colbert). On ne saurait oublier non plus les prédications secondes, les digressions, les parenthèses, véritables décrochages énonciatifs dans le flux du discours, lesquels miment, à leur manière, le rythme parfois heurté de la conversation, ses repentirs, ses hésitations ou ses embardées. Tels ces « met verloff, met verloff » récurrents (que l’on peut traduire par « avec toutes mes excuses »), incises qui jouent du commentaire, incidentes non à l’énoncé mais à l’énonciation dont elles garantissent la sincérité et la véridicité.
30Exclamatives, interrogatives, impératives entretiennent l’illusion du parlé, au même titre que les interjections, les présentatifs voici/voilà, les invectives, les insultes, la phrase emphatique, souvent à détachement et parfois presque clivée. Parallélismes, gradations, accumulations, anacoluthes, hyperboles sont quelques-unes des figures aisément repérables dans un régime où domine la parataxe :
Est-il possible que vous n’ayez jamais vu de chasse à courre ? J’ai vu prendre certainement plus de mille cerfs et fait mainte bonne chute à la chasse.
32On ne s’étonnera donc pas de l’importance prise par le discours narratif, avec son lot d’historiettes et d’anecdotes pittoresques qui font parfois songer au cardinal de Retz, à Tallemant ou à Saint-Simon.
33Faut-il penser que la familiarité cherche à abolir la séparation, à estomper la distance géographique, et donc physique, entre les épistolières, qu’elle prend son origine dans un effet de « frontière intérieure », propre à ceux qui écrivent, et d’autant plus effectif que les auteurs se trouvent dans des pays différents ? Le choix de certains motifs contribue encore à développer l’aspect conversationnel et intime de la lettre. La santé, le temps qu’il fait, communs aux deux genres, visent autant à établir le contact avec l’interlocuteur (c’est la fonction phatique théorisée par Roman Jakobson) qu’à lui transmettre une information – la dimension référentielle n’apparaissant pleinement que dans la lettre où l’éloignement des êtres chers rend vraiment attentif à leur santé, tandis que l’argument, glissé en début de conversation, répond davantage à la politesse quand il n’est pas vidé de toute signification.
34Parler de sa santé, de ses maladies, de ses infirmités ou de ses accidents (de cheval, de carrosse), évoquer le temps, ses caprices, traiter des choses menues de l’existence, ces riens qui sont des touts, occupent une part non négligeable de cette correspondance, de toute correspondance privée, devrait-on dire. Il n’est que de lire celle de Mme de Maintenon (qui évoque ses rhumes et ses hémorroïdes), celles de Mmes de Sévigné et de Lafayette pour s’en convaincre. La thématique, telle une antienne, semble bien être appelée par le genre épistolaire dont elle constitue tout à la fois un passage obligé, validé par la tradition, et un horizon d’attente pour le destinataire et le lecteur, au point de constituer l’un des éléments fondateurs du pacte épistolaire.
35Un pacte qui avalise, à bien y regarder, les grandes lois du discours telles qu’on les trouve exposées par exemple chez Véronique Schott-Bourget :
Lorsque nous parlons, nous nous efforçons de respecter des lois qui dérivent toutes d’un principe de base : la coopération. Chacun coopère à la conversation afin qu’elle ne tourne pas court. [9]
37Un axiome que l’épistolier a tout intérêt à faire sien s’il veut, en effet, qu’on lui réponde, à plus forte raison s’il espère un long échange – la séparation étant douloureusement vécue. Six principes doivent, dans l’idéal, être ainsi mis en œuvre, la pragmatique (ou si l’on préfère la rhétorique) rejoignant la civilité ou la morale sociale. Ce sont ceux d’intelligibilité, de pertinence, d’informativité, d’intérêt, d’exhaustivité (dont la contrepartie est l’utilité) et, enfin, de sincérité. Il n’est pas inutile de prendre en compte ces prescriptions, sans cesse transgressées, et de mesurer combien elles sont prégnantes à l’esprit des scripteurs. La princesse fait par exemple observer à sa tante que cette dernière a péché par imprécision, transgressant au moins triplement les principes d’informativité, d’intérêt, d’exhaustivité : « Vous ne me dites pas comment s’appelle le prince-électeur et quels noms on lui a donnés » (26 septembre 1688) ; « Écrivez-moi donc, chère Louise, quelle mine a le duc de Lorraine » (10 novembre 1697).
38Madame elle-même, dans ses abandons, s’admoneste, consciente de voir le dialogue épistolaire, où le vous reste à portée de regard, se muer peut-être en un soliloque qui tient de la rêverie ou du journal intime, importun pour le destinataire : « Mais je pense qu’il est temps de fermer cette lettre, car elle est assez longue » (14 décembre 1676) ; « Pour en venir enfin au sujet de ma lettre » (26 août 1689). Anomalies et incongruités y sont nettement perçues, si bien que l’on devine que, pour être un genre frontière, poreux aux autres genres, souple et mouvant, la lettre n’en demeure pas moins un objet codifié, déployé entre une structure dialogique et une « écriture solitaire [10] » selon la formule d’Isabelle Landy-Houillon.
39Cette correspondance cultive « l’éjouissance » comme le disait Montaigne :
Je suis bien fâchée que vous ne vouliez plus rire de rien d’inconvenant, car cela entretient la gaieté, et la gaieté entretient la santé et la vie.
41D’où les plaintes, fréquentes à partir des années 1680, contre l’ennui et la tristesse qui règnent à Versailles. Mais le sérieux et la gravité ne perdent jamais leurs droits. La mort, la vieillesse et les ravages du temps, la méchanceté et la sottise des hommes y sont l’occasion d’abondantes réflexions personnelles et marquent une prédilection pour les questions religieuses et politiques ainsi que pour les sujets de société. Médecine, coutumes, nouveautés (la prise du tabac, la vogue du café, du thé et du chocolat, l’intérêt pour l’écriture de la musique), modes, beauté, coiffures et habits, littérature, philosophie, métaphysique, sciences et mathématiques, éducation et pédagogie, numismatique, généalogie, histoire, économie et finance, guerre, diplomatie, protocole, arts, gastronomie, etc. sont passés au crible d’une curiosité sagace. Citons un extrait de la lettre du 8 mars 1699 qui épingle une lubie et dont l’intérêt documentaire est patent :
On a parlé hier, à table, de la duchesse de Lesdiguières qui est d’un caractère bien étrange ; de tout le jour elle ne fait rien que boire du café et du thé, elle ne lit pas, elle n’écrit ni ne joue ; quand elle boit du café ses femmes de chambre sont obligées de s’habiller en turques, elle-même s’habille de même ; quand elle boit du thé c’est le costume d’indien qu’on revêt. Les femmes de chambre pleurent souvent à chaudes larmes d’avoir à changer de costume deux à trois fois par jour.
43Plus largement, le lecteur a souvent l’impression de pénétrer furtivement dans l’intimité des Grands, dans les coulisses d’une Cour pas toujours très reluisante :
Avant-hier au soir, il y a eu à Marly une dispute horrible qui m’a fait rire de bon cœur. La grande princesse de Conti avait fait des reproches à Mme de Chartres et à Madame la Duchesse de ce qu’elles s’enivrent ; elle les a appelées des sacs à vin. Là-dessus les autres l’ont appelée, elle, sac à ordures. Voilà des disputes princières.
45Ou l’envers des dorures.
46L’accueil de ces lettres dans la collection « Le Temps retrouvé », on l’a dit, ne doit donc rien au hasard. Les historiens sont aujourd’hui unanimes pour voir en elles une irremplaçable source d’informations sur le règne de Louis XIV, en raison même de leur authenticité, de leur spontanéité, de leur abondance et de la durée qu’elles prennent en charge : un demi-siècle – ce qui les apparente à la chronique, comme elle composées selon l’ordre du temps et comme elle enregistrant les événements du monde ou les actualités du règne, à la croisée du témoignage et du commentaire. Le style nerveux de la correspondance, joint au statut privilégié de la belle-sœur du roi, accrédite l’idée. Tirer la correspondance vers le genre des mémoires peut toutefois paraître, à première vue, plus problématique. Certes les lettres consignent des faits, pas toujours anodins, comme la vie à la cour, les cabales qui la rongent, les disputes religieuses, la permanence de guerres qui ruinent le pays et le vident de ses forces vives, la faillite du système de Law et les difficultés économiques et financières de la Régence. Certes la part accordée au « moi » y demeure importante (les marqueurs de première personne saturent le texte). Certes l’épistolière, comme Mme de Lafayette, peut aisément prétendre au titre de témoin bien placé ou bien renseigné. Spectatrice, plus qu’actrice véritable, elle y relate, de manière lancinante, sa sujétion, les humiliations et les affronts qu’elle subit régulièrement. Mais, pour autant, la correspondance relève-t-elle d’une entreprise de justification (ou d’autojustification), d’un projet apologétique, voire esthétique ? Obéit-elle à un enjeu politique, à un dessein intellectuel ? La princesse relève des faits, avec brio et sagacité, embarquée dans une existence plus que d’autres riche et contrastée. Elle réagit dans l’instant, de manière souvent épidermique (qu’on relise, pour s’en convaincre, les pages que Saint-Simon lui a consacrées). Ses perplexités et ses revirements, dans l’affaire Law, applaudi d’abord puis dans la tempête abandonné aux loups, suffiraient à prouver qu’elle reste à la surface des choses, là où l’on attend du mémorialiste profondeur du jugement ou ampleur de l’analyse, fussent ceux-ci partisans ou erronés. Mais pouvait-il, peut-il même en aller autrement quand les lettres ont pour mission de saisir les choses sur le vif, quand elles sont quotidiennes et souvent longues – ce qui détermine des conditions particulières d’écriture et suppose une forme de pensée – ou quand elles sont dictées par le désappointement, la nostalgie ou l’euphorie ?
47La lettre, étroitement tributaire du temps, est, en effet, par essence inscrite dans une forme d’immédiateté, de spontanéité. Y relater des événements périmés ou anciens, c’est contrevenir aux lois du genre, contrevenir à l’engagement passé avec le destinataire de donner des nouvelles, d’informer. D’où ce regret : « Je n’ai rien de neuf [11] à vous mander sinon… » (13 octobre 1693). La lettre concerne le présent et regarde vers l’avenir – un avenir en partie incarné dans la réponse attendue ou dans la promesse des retrouvailles, fortifiées par l’échange. La rédaction des mémoires, elle, n’engage d’abord que l’énonciateur, replié dans la solitude du geste créateur, souvent au soir de sa vie, et tourné vers le passé pour mieux s’assurer de l’avenir. Leur écriture suppose une distance critique, un recul sur les événements, un effort pour embrasser et mettre en ordre et en forme une riche matière, avec tout ce que cela implique de construction et de reconstruction, de remaniements, de bricolages, d’écueils – ceux de la mémoire et de la partialité – dans une entreprise où la rhétorique et l’esthétique ne perdent jamais leurs droits.
48Sous tension, on le voit, les lettres de la Palatine le sont bien, oscillant entre chronique, roman-feuilleton et journal intime, sans pour autant s’affranchir des contraintes et des conventions qui règlent le genre, ni transgresser les lois qui fondent, définissent et régulent la conversation. Mais elles résonnent aussi de la rumeur du monde, du brouhaha des salons (de leurs rires, de leurs éclats), du murmure des confidences, des remontrances, des entretiens privés, des vociférations d’une cour que l’épistolière dit sombrer dans la débauche et la décadence – en ce sens, véritable chambre d’échos des voix du siècle, et moins livre d’images qu’archives sonores, comme si la princesse, plongée dans le silence de la solitude, cherchait, finalement, à le conjurer.
Une épistolière singulière et accomplie, ou l’art d’être spontanée
49Dans la mesure où l’épistolaire noue des liens étroits avec le biographique et plus précisément avec l’autobiographie, il n’est pas illégitime de s’intéresser à la personnalité de la princesse. La curiosité que cette dernière suscite aujourd’hui tient en grande partie à l’image de soi qu’offrent les lettres, à l’ethos et, souvent, à la représentation du féminin qui s’en dégage, comme à la réflexion sur le statut et la condition des femmes qu’elles esquissent ou développent. Au vu de la richesse du matériau, on se bornera ici à n’indiquer que quelques pistes. On ne saurait toutefois dissimuler ce qu’une telle démarche a de subjectif, non seulement en raison du tempérament de Madame ou encore du caractère polémique de son écriture, mais également en raison de cet objet d’étude très particulier qu’est le biographique. Un objet qui fait de l’humain sa pâture et qui instaure avec le critique une relation, humaine justement, complexe, vivante et parfois conflictuelle.
50Le recueil du Mercure offre l’image d’une femme forte et masculine au sens où l’entendait le XVIIe siècle, héritier en cela d’une longue tradition médicale, morale et philosophique. La princesse ne donne pas, en effet, dans la tendresse, dans la faiblesse ni la douceur. Dotée d’une robuste constitution physique, elle aime marcher, courre le cerf et monter à cheval (pendant des heures), autant de loisirs, aristocratiques certes, mais réservés aux hommes. « J’ai fait des exercices violents, ce qui m’est toujours très salutaire », proclame-t-elle avec jubilation dans un courrier du 22 mai 1707 (rappelons qu’elle est alors âgée de cinquante-cinq ans). Blessée, elle supporte ses douleurs avec fermeté. Ennemie des minauderies, elle fustige régulièrement les « évaporées », ces femmes étourdies, débiles et alanguies qui passent leur temps alitées, enfermées dans leur chambre, à se goinfrer de sucreries [12]. Peu coquette, elle n’affectionne ni les artifices ni les parures. Les liaisons qu’on lui prête pour la perdre aux yeux du roi et de Monsieur la font rire et lui valent des mots incisifs. Elle plaisante d’un teint qui a rougi pour avoir été tôt négligé, se moque de son embonpoint. Elle se dit laide, exagérant peut-être [13]. Elle aime les nourritures solides, raffole du chou, avoue des fragilités gastriques (tactiques ?) :
Je n’ai pas pu m’acquitter de la bonne œuvre de faire maigre, car je ne supporte pas de manger du poisson, et je suis tout à fait convaincue qu’on peut faire des œuvres plus méritoires que de se gâter l’estomac en mangeant trop de ce mets.
52Forte tête et peu docile, la princesse dans ses lettres fait entendre ses plaintes et ses exaspérations, eu égard aux conditions où sont tenues les femmes : « J’ai regretté toute ma vie d’être femme, et, à dire vrai, cela m’eût convenu davantage d’être électeur plutôt que Madame. » Mais la suite du propos nuance le féminisme qu’on serait peut-être tenté de lui attribuer : « Je n’aurais pas rançonné le pays, comme fait l’électeur actuel, et aurais laissé toutes les religions parfaitement tranquilles » (15 mai 1701). L’épistolière évoque la naissance qui l’a faite femme mais revient sur une conception irénique du pouvoir qui lui est chère. Moins audacieuse que réaliste, elle précise dans un feuillet daté du 4 septembre 1697 :
Cela est bien vrai que le célibat est le meilleur état : le meilleur mari ne vaut pas le diable. Les réflexions d’Amelise m’ont fait rire de bon cœur et certes elles seraient vraies s’il dépendait de nous de ne pas nous marier et si nous avions la libre disposition de nous-mêmes ; mais je suis convaincue que tout dépend du destin et que nous ne sommes pas libres de faire ce que nous voudrions.
54Deuxième élément à souligner : si l’attitude de la princesse contrevient souvent aux représentations canoniques du féminin et de la féminité (et c’est en quoi elle passionne aujourd’hui), manquant de cette réserve de bon aloi et de ce ton policé qu’on exige d’elles dans les traités de civilité alors florissants (on notera par exemple la récurrence de l’expression « rire de bon cœur »), il ne faudrait pas oublier que ce comportement dissimule des blessures, des humiliations, des mortifications. Ses considérations sur le célibat, ses nombreuses remarques sur les mariages d’amour, tous voués au naufrage, sur les malentendus qui opposent les sexes, pointent des déceptions, des désillusions profondes et disent quelque chose de l’échec d’une vie, d’une incomplétude, d’une féminité avortée ou brisée. La franchise avec laquelle elle évoque sa sexualité, un véritable fiasco, peut toucher. Madame mentionne souvent d’abord, puis de plus en plus rarement, ses déboires conjugaux, à peine compensés par les joies de la maternité. Elle confie toutefois dans une lettre du 2 septembre 1696 : « Si l’on peut recouvrer sa virginité après n’avoir pas pendant dix-neuf ans couché avec son mari, pour sûr je suis redevenue vierge. » Spoliée de sa fortune, vivant sur un petit pied, bafouée par Monsieur et par le roi qui lui ferme la bouche lorsqu’elle refuse le marquis d’Effiat comme précepteur de son fils, exclue de l’entourage royal pour s’être opposée à l’alliance de Philippe avec l’une des bâtardes de Louis XIV, tracassée et épiée, elle termine ses jours en « ermite » selon une expression qui lui est chère. Elle écrit le 29 mars 1691 :
Je ne connais que trop bien l’ennui d’être dans un lit où la tristesse vous empêche de dormir. Ce qui est pire encore, c’est après un moment de sommeil, de se réveiller en sursaut et de se représenter son malheur.
56Les larmes qu’elle verse, son émotivité, sa sensibilité à fleur de peau proposent, en contrepoint, une image qui la réinscrit dans la sphère du féminin. Les frémissements du cœur n’étant nullement incompatibles avec la solidité physique. On voit par là que les oppositions habituelles (et culturelles) du féminin et du masculin n’ont pas grand sens et qu’elles déjouent la complexité humaine.
57Troisième point qu’on peut relever : Madame affirme aimer la simplicité et la liberté et dénonce très régulièrement la sujétion des Grands et les mirages dorés dont elle s’accompagne [14]. Or elle n’en réagit pas moins en Allemande « fière et rogue » selon le mot de Saint-Simon [15]. Citons-en pour preuve cette lettre du 18 août 1702 :
Comment se fait-il que vous ayez une demoiselle française auprès de vous ? C’est d’ordinaire de la bien petite noblesse, qu’on ne saurait d’aucune façon comparer à notre noblesse allemande ; car, quand ici un bourgeois achète une charge de secrétaire du roi, il passe incontinent pour gentilhomme.
59Le protocole lui est familier, elle demeure extrêmement sourcilleuse sur l’étiquette, reprenant ses correspondantes qui ne font pas la différence entre fils de France et princes du sang. Elle s’indigne des libertés prises avec la noblesse allemande, bataille pour ne pas céder le pas (« sauf le pas, je n’ai jamais eu aucun agrément pour être la première », 25 novembre 1696), fût-elle agacée par certains rituels. Ce fragment d’un courrier du 17 octobre 1702 témoigne de sa conscience aiguë des privilèges :
Quoique nous autres princesses palatines nous ayons, pour parler de la sorte, fait les princes les plus puissants du monde, on hésite à admettre ici que nous soyons de bonne maison, et s’il arrive un comte palatin, le premier gueux de duc venu lui disputera le rang. Souvent cela m’a mise hors de moi. J’en crève dans ma peau.
61Comme Saint-Simon, la princesse fustige la bâtardise (« toutes les fois que je vois les bâtards, cela me fait tourner le sang » écrit-elle le 14 avril 1688), hait les mésalliances, défend la pureté des origines et regrette le temps de « la vraie Cour ». Elle déplore tout autant la mauvaise éducation dispensée dans l’entourage royal et le laisser-aller qu’elle y observe, croyant en l’exemplarité.
62Dernier trait et non des moindres : l’esprit critique et d’examen, une certaine forme de tolérance et de lucidité qui doivent sans doute beaucoup à son éducation humaniste et religieuse, à ses lectures, à ses rencontres (Fénelon et Bossuet, par exemple, avec lesquels elle converse longuement et qu’elle loue à plusieurs reprises). Les références littéraires qui parsèment ses lettres font deviner une culture assez solide. Elle lit Virgile, Luther [16], Descartes – elle trouve « ridicule » sa conception des animaux-machines (lettre du 30 octobre 1696) –, Leibniz, Fénelon, Bossuet, La Bruyère (dont elle signale la mort dans la lettre du 13 mai 1696), Fontenelle. Elle connaît l’Amadis, Clélie et fort bien le théâtre, appréciant Corneille, Molière surtout, Esther et Athalie, exemptes « de sots bavardages » et elle lit les ouvrages d’histoire. Souvenons-nous qu’elle a brocardé l’ignorance de Mme de Lesdiguières, qui ne lit ni n’écrit. Bien que convertie au catholicisme, elle est restée fidèle à la religion de son enfance, n’abusant personne dans son entourage : « je crois que le roi me tient encore pour huguenote » (1er novembre 1685 ; même remarque dans une lettre de 1694). Il lui faut lire très régulièrement la Bible, examiner les textes, y réfléchir dans le silence de son cœur et de la solitude. Les longs offices l’ennuient, comme on peut le lire dans ce passage rédigé le 19 avril 1711 :
Je ne suis pas digne d’entendre de beaux sermons : je ne peux m’empêcher de dormir ; le ton dont ils sont débités exerce immédiatement cet effet sur moi. À Heidelberg, ce m’était une corvée d’aller à l’église française ; ce me semblait être tout autre chose que le culte allemand. Le style de Marot me paraissait plus bouffon que dévot.
64Les processions ne lui tirent que des sarcasmes, comme le fait d’aller en pèlerinage à Rome « voir les mômeries » des prêtres. Ces derniers et le pape sont tenus en piètre estime et souvent considérés comme dangereux. Madame se montre volontiers pacifique, partisane de l’œcuménisme, et elle appelle de ses vœux la concorde entre les chrétiens – une entreprise à laquelle devrait s’atteler tout monarque digne de ce nom pour assurer entre les peuples, ayant au moins le même Dieu, paix, prospérité et stabilité. Elle note par exemple le 15 juillet 1683 :
66Et d’enfoncer le clou dans une belle lettre du 22 janvier 1697 :
C’est une chose bien fâcheuse que les prêtres fassent que les chrétiens soient obligés d’être à couteau tiré les uns vis-à-vis des autres. Les trois religions chrétiennes, si l’on suivait mon avis, devraient se considérer comme n’en formant qu’une seule.
68Son attitude à l’égard des médecins, dont elle n’entend pas suivre à la lettre les prescriptions, est tout aussi révélatrice de sa liberté intellectuelle :
Quand je choisis mon médecin, je le prévins qu’il ne devait pas s’attendre à une obéissance aveugle de ma part. […] Ma santé et mon corps étant à moi, j’entends, lui dis-je, les gouverner à ma guise.
70Liberté fortifiée par les lectures et qui la rend critique à l’égard de Louis XIV, dont elle souligne à plusieurs reprises l’inculture religieuse et l’orthodoxie creuse, comme dans cette lettre écrite le 11 août 1686 : « Le roi s’imagine être dévot parce qu’il ne couche plus avec aucune jeune femme. » Son indulgence n’est pas plus grande envers la politique du monarque et les politiques conduites en Europe. On comprend que le patriotisme docile et aveugle lui répugne. Toute sa vie, donc, la princesse a combattu pour la paix, l’union civile et religieuse, la liberté d’expression et de pensée.
71Le portrait qui se dégage de la correspondance appelle une remarque au moins. La personnalité de la princesse, ses solides partis pris, son comportement défient toute analyse tranchée, mettant à mal bien des certitudes critiques. Ou Madame en mouvement. Que penser au juste de ses positions religieuses ? Elle s’affiche en effet comme croyante, fidèle au « catéchisme de Heidelberg » et soucieuse de vivre selon l’Évangile, une antienne qui témoigne de convictions morales et spirituelles bien trempées. Elle admet la prédestination (« nous sommes des marionnettes de Dieu ») et se dit proche des jansénistes [17]. Mais elle semble mettre en doute la damnation éternelle et peut-être même l’idée de salut [18]. Faut-il pour autant voir en elle un esprit libertin, et cela d’autant plus volontiers que les lettres font état d’une subjectivité dont les modalités d’expression sont variées ? Bien des éléments recensés et analysés par Laurence Tricoche-Rauline dans une thèse récente [19] dirigée par Antony McKenna pourraient être réutilisés et mis au compte de la vision du monde de la Palatine : la formation et l’éducation reçue – notons que beaucoup de libertins appartiennent, par leur milieu, au protestantisme, à commencer par Théophile de Viau – ; le goût de la nature et d’une forme de simplicité ; l’importance du corps et des plaisirs (dont l’usage reste modéré) ; l’affirmation de soi ; la valorisation des bonheurs terrestres, souvent simples et rustiques. Affleure en conséquence dans cette correspondance le rêve pastoral, matérialisé par les vertes étendues, les cerises que l’on cueille, les prairies, les cours d’eau, les arbres fruitiers. Pour être une vallée de larmes, l’existence n’en est donc pas moins chère à la princesse, qui avoue encore la préférer à la mort, même si cette dernière ne l’effraie pas.
72L’épistolière se montre également attachée à une forme de rationalisme incarnée par exemple dans son combat contre l’obscurantisme et les superstitions. Elle cherche à comprendre ce qui lui paraît énigmatique ou peu conforme à l’entendement – l’Apocalypse de saint Jean reste pour elle une source de perplexité, comme l’est, dans un autre domaine, la théorie de la métempsycose défendue par Van Helmont. Mais certains mystères doivent rester tels et la raison, devant eux, s’humilier – une idée qu’elle développe dans une grande lettre rédigée le 2 août 1696. Elle s’entretient avec les prêtres sur les sujets qui la troublent ou la passionnent, tourne en dérision le mysticisme, celui de Mme Guyon notamment [20], dont elle raille l’ingénuité et la complaisance.
73Mais que faire des expressions suivantes, récurrentes : « Dieu sait ce qui adviendra de nous », « Dieu m’est témoin », « Grâces soient rendues à Dieu », « et avec l’aide de Dieu », « le Seigneur m’a envoyé ces épreuves » ? Que penser de ce constat du 2 juillet 1699 : « La foi est éteinte en ce pays-ci » ? On pourra rétorquer que les libertins, tel Protée, se plaisent à brouiller les pistes. À cette différence près que la situation de Madame n’est pas tout à fait comparable à celle que vivent les écrivains hétérodoxes et qu’elle tient ce propos qui mérite d’être médité :
Ici, en France, on laisse les opinions entièrement libres. Pourvu qu’on ne fasse pas de livres, qu’on aille régulièrement à la messe et au salut, qu’on ne soit de la cabale d’aucun parti, on peut croire tout ce qu’on veut ; personne ne s’en préoccupe.
75La Palatine dont la foi, pensons-nous, ne peut être suspectée, s’est forgée une religion « à part soi », un leitmotiv sous sa plume, qu’il faut entendre comme une attitude où l’orthodoxie et la théologie comptent moins en définitive que les intuitions et le bon sens personnels. Y sont prégnants les actes solides et concrets : ne pas offenser son prochain, ne pas médire, pratiquer la charité, refuser la persécution et la violence, vivre en bonne intelligence. La vie ne se charge-t-elle donc pas de brouiller les pistes et les catégories critiques ? De fait, l’opacité, les contradictions, les revirements de l’être, pour l’âge classique du moins, sont-ils nécessairement, et toujours, imputables à la libre pensée ou à l’esthétique baroque ?
76Plus largement et sans apporter de réponses définitives, il convient de réfléchir au problème qui, à ce point, ne peut manquer de sourdre : dans quelle mesure les lettres demeurent-elles authentiques et sincères ? Une question naïve, peut-être, mais que nous croyons pertinente et qu’il faut envisager, ne serait-ce que pour mieux comprendre le statut et les enjeux qu’on leur attribue. Une question qui fut au demeurant agitée à propos de la marquise de Sévigné, dans une perspective certes un peu différente mais qui rejoint finalement nos préoccupations sur l’importance de la rhétorique et de l’esthétique dans les lettres – décisive lorsque ces dernières paraissent spontanées et naturelles. La vraie éloquence, on le sait, se moque de l’éloquence.
77Les historiens tendent à considérer aujourd’hui les lettres privées, intimes, comme des documents authentiques, véridiques, plus fiables en tout cas que les mémoires. Mais que penser d’une correspondance qui couvre un demi-siècle [21] ? Sans renier nos analyses précédentes, il s’agit ici de les approfondir et de les envisager dans une autre perspective, celle du monument que constitueraient soixante mille lettres, dispersées dans les bibliothèques, les cartons et les pays. Leur nombre ne suffit-il pas déjà, ici, à faire l’œuvre ? Et quand bien même on l’estimerait fantaisiste, l’avertissement d’Olivier Amiel et les renseignements fournis par la princesse nous conduisent à une conclusion analogue. Si l’on s’en tient arbitrairement à deux lettres quotidiennes, pour une période de cinquante ans, on obtient le résultat de trente-six mille lettres, ce qui est déjà considérable. Rappelons, à toutes fins utiles, que l’épistolière, du moins dans les premières années de son arrivée en France, confesse n’avoir pas le temps d’écrire des relations journalières. En outre, ces lettres, collectées et imprimées, offrent une cohésion, une unité, ne serait-ce que par les redites nombreuses qu’elles font apparaître et qui tissent entre elles des réseaux de significations, des isotopies – instaurant des espèces de matrices narratives, thématiques et sémantiques où se lisent des hantises et des obsessions personnelles. C’est pourquoi la lettre doit non seulement être étudiée en elle-même, en amont pourrait-on dire, au temps de son énonciation, mais également, en aval, au sein du vaste ensemble dans lequel elle s’insère et qui exalte la durée de l’échange, avec ce que cette dernière notion implique de mûrissement, d’inflexion et d’évolution.
78Lorsque la princesse commence sa correspondance, sans doute n’a-t-elle en tête aucun projet concerté ni d’ordre esthétique, ni d’ordre apologétique. Le recul lui manque et son installation semble heureuse. Les lettres sont dictées par l’actualité, circonscrites au présent ; elles répondent au plaisir de nourrir une relation à distance, d’informer. Mais l’existence s’assombrit, la solitude se creuse, le sentiment d’altérité éprouvée par l’épistolière à la cour s’intensifie, modifiant alors sensiblement la nature, la portée et les enjeux de l’acte épistolaire :
Je réponds régulièrement à vos bonnes lettres ; de la sorte, ma chère tante, il me semble que je vous parle, et c’est ma seule consolation.
80Les hypocoristiques témoignent de la cristallisation opérée sur l’épistolarité, du changement des conditions d’écriture qui affecte son statut, si bien qu’elle finit par devenir une source de délectation à fort coefficient cathartique. La lettre ne se contente plus d’enregistrer ou de colporter les nouvelles, de consigner les faits marquants, dans le feu de la spontanéité. L’instantanéité le dispute aux nécessités du cœur. Leur expression ne postule pas forcément un degré zéro de l’écriture, ou si l’on préfère, une relation immédiate aux mots. L’urgence de la parole n’implique pas nécessairement sa spontanéité, et les propos qui suivent ne doivent pas nous tromper : « Je vous écris en grande hâte ce matin » (2 octobre 1721) ; « j’aime mieux vous le dire en français : ce sera plus tôt fait que de germaniser » (26 août 1689).
81Inspirée par la mélancolie, la lettre donne lieu à un épanchement dont la matière est mise en forme dans la solitude de la chambre ou du cabinet, imprimant à l’entreprise une orientation autobiographique et esthétique patente. La rédaction devient quotidienne, s’affranchissant du rythme de la poste :
Ce n’est pas aujourd’hui jour de poste, mais quand mon cœur est aussi oppressé, aussi triste qu’il l’est à présent, je ne connais rien qui me console mieux que de me plaindre de mon malheur à ma tante bien-aimée.
83Surtout, l’épistolière s’impose une discipline qui fait songer à celle de l’écrivain. Témoin ce courrier en date du 17 juin 1698 :
Quatre fois par semaine j’ai mon jour de correspondance : le lundi j’écris en Savoie, le mercredi à Modène, le jeudi et le dimanche j’écris d’énormes lettres à ma tante de Hanovre. […] Je vais à Paris trois fois par semaine et journellement j’écris à celles de mes amies qui y demeurent.
85Une exigence conservée presque deux décennies plus tard et confiée à Leibniz :
C’est la princesse de Galles qui est cause que j’ai tant tardé à vous répondre ; car depuis que notre commerce épistolaire a été engagé, Sa Dilection me fait l’honneur de m’écrire à chaque poste ; de plus elle m’écrit des lettres fort longues […]. En plus de cette correspondance j’ai à écrire trois fois par semaine à ma fille et tous les lundis à la reine de Sicile, à la reine douairière d’Espagne et de Modène.
87Le commerce épistolaire, dans ces conditions, conserve-t-il quelque chose encore de sa couleur initiale ? Ce qui est sûr, c’est que, suivi et durable, il a forcément (eu) des conséquences, une incidence sur le regard que l’épistolière posait sur ses lettres, sur ce qu’elle en attendait, sur ce que ces dernières lui apportaient. Non que Liselotte fût devenue plus tactique ou plus fine politique en vieillissant. Le passage suivant, extrait d’une lettre du 6 août 1719, avoue autant un désintérêt pour les choses du pouvoir qu’une incompétence intellectuelle :
Je me pique de n’être pas comme d’autres personnes princières […]. Je n’ai nulle ambition, je ne veux pas gouverner, je n’y trouverais aucun plaisir. C’est là la grande affaire des femmes françaises : pas une laveuse de vaisselle qui ne se figure avoir assez d’esprit pour gouverner tout le royaume et qui ne croie qu’on commet à son endroit la plus grande injustice du monde en ne demandant pas son avis. Cela m’a dégoûtée de toute ambition ; je trouve que c’est si affreusement ridicule que j’en ai horreur.
89Le féminisme prétendu de l’auteur trouve ici ses limites, et l’on peut constater, s’il en était besoin, que son mépris des femmes ne l’engage nullement à se faire le porte-drapeau d’un quelconque mouvement de libération.
90L’écriture des lettres, donc, a certainement bénéficié de cet entraînement quotidien et soutenu. Des lettres souvent plus pensées, travaillées, élaborées qu’on ne le croit d’ordinaire, et dont certaines relèvent du morceau de bravoure, comme la fameuse lettre scatologique, ou de l’exercice. Outre l’illusion attachée, en rhétorique, à l’idée de naturel et à la notion de simplicité, la spontanéité du style de la princesse mérite que l’on s’y arrête. Cette dernière, d’abord, est cultivée, rompue à la conversation et elle lit beaucoup. Les lettres reflètent en conséquence des compétences mondaines et linguistiques, propres à l’époque il est vrai. Ensuite, en écrivant journellement à plusieurs correspondants, elle n’hésite pas à répéter la même anecdote ou la même « historiette » (c’est son mot), à relater des faits ou des événements identiques. Or cette répétition justement, qui peut être entendue comme une suite d’essais ou de brouillons préparatoires, ne sert-elle pas l’expression et la pensée, la réécriture (ou son processus) permettant d’aboutir à la stylisation ou à l’effet recherchés, voire à la formule qu’on espérait et qu’on finit par tenir ?
91Si cette correspondance s’impose par et pour sa valeur documentaire, elle n’en est pas pour autant dénuée de littérarité. Les lettres de Mme de Sévigné ne sont pas, on peut le penser, l’unique parangon du genre, un parangon qui tend (fâcheusement) du reste à éclipser les productions qui s’en éloignent ou s’en distinguent.
92Nous avons évoqué très rapidement, dans un premier temps, l’importance de la narration, caractérisée par l’acuité du regard, la vigueur du trait, la vivacité, l’humour, voire l’ironie. Les récits, toujours adressés, sont plutôt à la troisième personne, ce qui n’exclut pas les interventions de l’épistolière. Cette dernière sait piquer la curiosité de son destinataire, et décline dans un registre atticiste le topos de la captatio benevolentiæ. Elle écrit au sujet de la princesse Ragotzki :
Elle semblait aller mieux à la suite de cette dernière saignée, mais un instant après elle dit : « Je me trouve mal », et rend l’âme là-dessus. Hier, on l’a enterrée dans un couvent. Ses gens m’ont raconté une singulière histoire sur son compte.
94Suit une relation paratactique relativement sèche. Les détails, les adjectifs qualificatifs, les expansions y sont quasi inexistants, le dépouillement de l’expression soulignant l’énormité de l’histoire : art du contraste saisissant dans lequel excelle la princesse, et qui, une fois le dénouement exposé, l’invite à conclure sur un commentaire personnel. Se trouve du coup réaffirmée une identité allemande ou « palatine » sous le couvert d’une frontière que matérialisent dans le discours l’adversatif mais, le système comparatif, le déictique nous, le syntagme tout l’opposé :
Mais il me semble que ces choses-là arrivent plutôt aux princes et princesses de la maison de liesse qu’aux autres gens. Dieu sait d’où cela peut bien venir. Nous autres comtes palatins nous sommes tout l’opposé : jamais nous n’entendons ni ne voyons d’esprit, jamais nous ne faisons de rêve […].
96Madame rapporte souvent des anecdotes qui lui ont été contées, affectionnant les histoires de revenants et tout ce qui touche au surnaturel, aux miracles, aux impostures. Elle pratique alors ce que l’on pourrait appeler, non une énonciation enchâssée, mais une énonciation au second degré, comme on peut en trouver des exemples dans L’Astrée ou plus tard dans Jacques le fataliste. Surtout, son tempérament la porte à privilégier la scène, l’effet (visuel d’abord), avec une concentration de moyens qui dramatisent l’instant et en souligne l’incongruité, l’effroi ou le merveilleux, au même titre que la chute ou le rebondissement imprévisible sur lequel elle termine souvent. La conduite du récit, caractérisé par l’économie des moyens, la recherche de l’effet à produire, l’importance d’un dénouement mis en valeur par la chute : autant d’éléments en somme que reprendront à leur compte, et à leur manière bien sûr, les grands conteurs ou nouvellistes du XIXe siècle, à commencer par Edgar Poe dont on rappellera ici La Genèse d’un poème (1846).
97Ces narrations sont en outre souvent ornées. Portraits et formules, proches parfois de la maxime, témoignent d’une maîtrise certaine, au moins dans la cruauté, et mobilisent les registres épidictique, satirique et polémique, lesquels font sortir la correspondance du champ documentaire pour la faire entrer dans celui de l’argumentation – ce qui n’est pas sans incidence sur la visée et les enjeux qu’on peut donc lui attribuer. Qui plus est, les choix effectués par l’épistolière, propres à ceux de la société galante du temps, placent son œuvre dans le sillage de la littérature et de l’esthétique mondaines.
98Les dialogues sont, la plupart du temps, des portraits en acte. Mais l’épistolière, au détour d’une phrase, sait également suggérer une attitude, saisir un travers, un défaut, camper une silhouette en des notations ramassées où dominent la comparaison et l’animalisation. Faut-il y voir l’influence de Le Brun ou de La Fontaine ? Aussi les lettres convoquent-elles un bestiaire dont la symbolique mériterait d’être étudiée. Ours, chats, tigres, guenons, crapauds, agneaux, oiseaux, lynx, singes et moucherons en sont quelques-unes des créatures principales. À peine arrivée en France, Charlotte-Élisabeth note :
Ce n’est pas que je fasse ici des promenades plus longues ni plus fréquentes que je n’avais coutume de les faire chez nous ; mais les gens de ce pays-ci ne savent pas mieux marcher que les oies.
100Sa prédilection pour le croquis pittoresque et la physiognomonie est illustrée par le passage suivant (daté du 15 juillet 1696) où Fagon, le médecin du roi, est épinglé en échassier :
Il a les jambes grêles comme celle d’un oiseau, toutes les dents de la mâchoire supérieure pourries et noires, les lèvres épaisses, ce qui lui rend la bouche saillante, les yeux couverts, la figure allongée, le teint bistre et l’air aussi méchant qu’il l’est en effet.
102La princesse, dans ses peintures, ignore la flatterie et n’hésite pas à adopter une forme de satire ad hominem. De sa belle-fille qui ressemble « à un cul comme deux gouttes d’eau », elle fait l’éloge suivant :
Elle est toute bistournée ; avec cela une affreuse prononciation comme si elle avait toujours la bouche pleine de bouillie, et une tête qui branle sans cesse. Voilà le beau cadeau que la vieille ordure nous fait.
104Même compassion à l’égard des êtres qu’elle apprécie. Son évocation de Paul Pellisson, dont la laideur était devenue légendaire, vaut son pesant d’or. Citons un extrait de cette description (8 novembre 1705) :
Sapho a dû certes être folle, malgré tout son art, de se tuer par amour pour Phaon. Mlle de Scudéry ne voulait, je pense, lui ressembler que sous le rapport de la science, car elle a toujours été vertueuse. L’amour de M. Pellisson n’a pas été le moins du monde un déshonneur pour elle. C’était un homme affreusement laid, il avait le visage carré, tout couturé de la petite vérole, c’étaient des plaques blanches sur fond jaune, les yeux rouges, éraillés […] et coulant toujours, la bouche allant d’une oreille à l’autre, d’épaisses lèvres tout à fait blanches, les dents noires.
106Et de conclure avec une grandeur d’âme qui reste confondante : « Vous voyez bien qu’avec un tel homme Mlle de Scudéry pouvait avoir des relations sans scandale. » Le caractère est parfois ce qui retient sa plume. L’épistolière déclare ainsi au sujet du maréchal de Boufflers qu’il
108Il y a assurément du Bussy-Rabutin chez Madame. Sans développer la comparaison, on donnera au hasard, et parmi un vaste choix de médaillons, le portrait de Tyridate dans L’Histoire amoureuse des Gaules, dont on sait qu’elle valut à son auteur la prison et la colère de Louis XIV :
Le prince Tyridate avait les yeux vifs, le nez aquilin et serré, les joues creuses et décharnées, la forme du visage longue, la physionomie d’un aigle, les cheveux frisés, les dents mal rangées et malpropres, l’air négligé, et peu de soin de sa personne, la taille belle. Il avait du feu dans l’esprit, mais il ne l’avait pas juste. [22]
110Terminons par cet autoportrait, en date du 22 août 1698, et rendons justice à l’épistolière de son honnêteté et son côté beau joueur :
Quand on est belle cela ne dure guère, un beau visage change bien vite mais avoir un bon cœur, voilà ce qu’il fait bon de posséder de tout temps. Il faut que vous ayez perdu tout souvenir de moi pour que vous ne me rangiez pas parmi les laides : je l’ai toujours été et le suis devenue davantage encore par suite de la petite vérole ; de plus ma taille est monstrueuse, je suis carrée comme un dé, la peau est d’un rouge mélangé de jaune, je commence à grisonner, j’ai les cheveux poivre et sel, le front et le pourtour des yeux sont ridés, le nez est de travers comme jadis, mais festonné par la petite vérole, de même que les joues ; je les ai pendantes, de grandes mâchoires, les dents délabrées ; la bouche aussi est un peu changée, car elle est devenue plus grande et les rides sont aux coins : voilà la belle figure que j’ai, chère Amelise !
112Madame réutilise, dans les passages descriptifs, les mêmes idées, un lexique récurrent, certains mots ou syntagmes (festonnés, couturés, carré), des tours identiques, des procédés rhétoriques en somme qui ont fait leurs preuves, dont elle paraît satisfaite et qui disent quelque chose du travail de l’écriture, de ses manies, de ses habitudes, de son fonctionnement. Le constat, au demeurant, vaut pour les portraits de Bussy, construits sur un patron commun à partir duquel l’écrivain brode et exécute des variations, parfois répétitives.
113Les exemples précédents cultivent une veine polémique et satirique manifeste, qu’infléchit encore le goût de la formule bien frappée, de l’expression incisive, de la maxime : « Le plus grand déplaisir qu’on puisse faire à ses ennemis, c’est de les mépriser » (29 août 1683) ; « Le roi s’imagine qu’il est pieux s’il fait en sorte qu’on s’ennuie bien » (1er octobre 1687) ; « Mais la naissance tient lieu de tout et supplée aux qualités qui manquent » (la remarque est ironique) ; « On porte, il est vrai, des croix de diamants, mais ce n’est pas par dévotion, c’est pour se parer » (14 juillet 1688) ; « En somme, la dévotion est, pour ceux qui s’y adonnent, une pierre de touche qui fait connaître leur humeur » (7 juillet 1695) ; enfin :
Si le roi devait punir tous les gens vicieux comme ils le méritent, il resterait sans princes, sans gentilshommes, sans domestiques. Pas une maison de France qui ne serait en deuil […].
115La dimension moraliste des Lettres ne saurait en conséquence échapper. L’épistolière sonde et scrute les replis du cœur humain, dissèque les conduites à la recherche des motivations secrètes, confronte l’être au paraître, développe des analyses psychologiques clairvoyantes, se penchant, en définitive, sur les rouages et les ressorts de la machine humaine mue par l’ambition, la cupidité, l’amour, le plaisir. Elle dresse le portrait d’une humanité colorée et chatoyante, dans lequel l’emporte toutefois un fond de pessimisme anthropologique. Elle traque les vices et les travers, la méchanceté, l’imposture et l’hypocrisie – avouant pour Tartuffe une admiration sans bornes. Les ridicules humains, sociaux, institutionnels demeurent sa cible favorite, car « rien ne corrige mieux les gens que de s’apercevoir qu’ils deviennent ridicules » (24 juillet 1689). La princesse a-t-elle eu connaissance de la Lettre sur la comédie de l’Imposteur (1667), un texte avec lequel elle est en parfaite résonance ?
116Qu’elle aime le théâtre, profondément, viscéralement, n’a donc rien pour surprendre. Contre le roi, les dévots et les censeurs, elle prend la défense de la comédie et des comédiens ; fait l’éloge funèbre du « pauvre Arlequin » – « je ne crois pas que de sitôt on trouve son pareil » (2 août 1688) – ; vante les mérites de Scaramouche, ou de Baron obligé de déserter les tréteaux (1er novembre 1691). Les réflexions sur les spectacles – moins nocifs que les visites mondaines où l’on s’adonne à la médisance (ou à la calomnie) et qui soulagent le mal de « rate » (ce n’est pas là leur moindre vertu) – deviennent plus insistantes dès 1691, une année qui inaugure des temps mouvementés [23]. Témoin de ces années sombres et difficiles, la lettre du 23 décembre 1694 qui célèbre avec soulagement une victoire : « Dieu soit loué ! La comédie nous reste. » Les lignes suivantes, en date du 9 décembre 1705, résument clairement la position de l’épistolière, attachée aux valeurs de l’humanisme et aux noces harmonieuses du placere et du docere :
Si l’on gouvernait les passions comme dans les comédies sérieuses de Corneille, elles seraient plutôt louables que damnables. À l’église, on vous enseigne d’une façon désagréable comment la vertu est récompensée et le vice puni, mais, dans les comédies, on vous le montre d’une façon divertissante. Entendre une heure durant un gaillard, qu’il n’est pas permis de contredire, crier dans sa chaire, cela peut-être utile mais cela manque d’agrément.
118Cette passion n’imprime-t-elle pas à la correspondance son caractère si particulier ? On en veut pour preuve l’abondance des dialogues dans lesquels se glissent parfois des observations qui ressemblent à des didascalies, le soin apporté aux scènes où s’épanouissent l’hypotypose et les effets dramatiques. Le passage suivant fournit sans doute une piste, au même titre que les allusions, les citations, et plus largement, l’intertextualité qui traverse la correspondance et qui demande à être mise en perspective avec le travail de l’écriture : « Je sais Les Femmes savantes presque par cœur ; j’ai vu la pièce plus de cent fois, malgré cela elle me fait rire chaque fois que je la revois » (20 octobre 1709). Comment la rédaction n’aurait-elle pas été nourrie par la mémoire des lectures et des représentations ? Ainsi ces lettres nous semblent cultiver la théâtralité, la dramatisation, le suspens, reprenant à leur compte la vieille métaphore chrétienne et morale du theatrum mundi révélatrice d’une vision du monde. Un monde d’où les corps ne sont jamais absents, où s’affrontent les cabales et les clans, où l’amour et l’ambition, et les rivalités qu’ils suscitent, mènent la danse, où les rebondissements, les tensions, les intrigues, les complots sont légion. Un monde régi de surcroît par les cérémonials, les spectacles, les rituels. La comédie au château ou le théâtre dans le théâtre…
119Au regard de ce travail du texte, que faut-il penser de l’ethos de l’épistolière – un ethos qui, on le sait, oriente la réception et l’interprétation de l’œuvre ? La représentation de soi est-elle aussi sincère, authentique ou spontanée que l’épistolière l’affirme ? Comment, en effet, ne pas voir que cette représentation tient en grande partie, comme dans la littérature de fiction ou dans la poésie, de la fabrique de l’image ?
120L’autoportrait cité plus haut tendrait à le vérifier. Madame s’amuse à ses dépens, force le trait. Ce texte ne mobilise-t-il pas en creux le mythe de Circé, la princesse se dépeignant, on l’a dit, comme une anti-coquette dont la séduction n’est assurément pas d’ordre physique ? D’où l’accent mis sur les qualités du cœur et de l’esprit, sur la vertu et la pureté des mœurs, sur la franchise et le naturel, sur une sincérité qui passe par la liberté de la parole : « Vous savez bien comme je suis ; dès que je connais quelqu’un, je lui parle librement, ainsi que je l’ai fait toute ma vie » (19 septembre 1682). Si elle exècre Mme de Maintenon, elle n’hésite pourtant pas à admirer la bonne mine de son ennemie, épargnée par les outrages du temps. Si elle est une mère aimante, son affection ne l’égare pas : les propos qu’elle tient sur son fils signalent parfois la déception, la dureté, l’amertume. Mais elle proteste trop souvent de sa sincérité ou de son innocence pour ne pas éveiller les soupçons du lecteur. Lequel perce les mensonges et la mauvaise foi, s’étonnant de palinodies ou de dénégations qu’il faut peut-être verser au crédit d’une mémoire défaillante (au sujet de Law ou de Monsieur – tour à tour vilipendé et loué –, du désir de se retirer à Maubuisson, de son attachement au roi, etc.). Saint-Simon a beau jeu d’épingler l’affront que lui fit subir Mme de Maintenon, exhibant à l’appui de ses remontrances une lettre qui la traitait de verte manière. Madame ne pourra que reconnaître sa faute, demander pardon, et recommencer !
121L’anthologie d’Olivier Amiel permet de rencontrer une personnalité singulière, une épistolière accomplie – satiriste, polémiste, moraliste. Les lettres, qui s’étalent sur un demi-siècle, sont, on espère l’avoir montré, l’œuvre d’une vie qui est aussi une œuvre littéraire. De ce point de vue, la thèse soutenue par Norbert Elias dans La Civilisation des mœurs [24], plus particulièrement dans le chapitre liminaire, mérite d’être nuancée. Selon ce chercheur, et pour aller vite, l’aristocratie allemande, imbue de ses préjugés, à la tête de toutes les hautes charges et accaparant toutes les fonctions (politiques, administratives, militaires et sociales) n’a pas, aux XVIIe et XVIIIe siècles en tout cas, contribué à l’essor de la « culture ». Soucieuse de distance, fière de ses prérogatives, éblouie en outre par une France qu’elle singerait, cette aristocratie néglige sa propre langue, lui préférant le français. Elle se tiendrait ainsi à l’écart de la vie littéraire et scientifique de son temps, arc-boutée sur des privilèges menacés par l’émiettement d’un pays constitué de petites cours, de petits royaumes – une situation qui ne favoriserait pas la prospérité, économique et financière. La bourgeoisie moyenne, tenue et maintenue à l’écart de la fonction publique et des activités politiques (à la différence de ce qui se passait pour elle en France), ne pouvait que réagir en investissant le champ intellectuel. Formée par les universités, elle tire d’abord son autojustification de ses seules réalisations ou productions scientifiques, philosophiques, juridiques, littéraires, qu’elle désigne du terme de culture, l’opposant à celui de civilisation, entendue comme cette honorabilité, cette conscience de soi, ce comportement extérieur et creux qui seraient le propre de la noblesse allemande. Se met donc en place au milieu du XVIIIe siècle une dichotomie dont Norbert Elias explique les origines, les enjeux et les conséquences.
122Cette thèse cavalièrement exposée, deux remarques s’imposent : Madame écrit surtout en allemand, les raugraves et sa tante Sophie lui répondent dans la même langue, comme Leibniz, qu’elle appelle « Monsieur le baron de Leibniz ». La princesse, quoi qu’on puisse en penser, demeure attachée à sa langue natale, elle cherche à ne pas l’oublier, heureuse et fière d’entendre chanter les psaumes luthériens. Lorsque certains mots lui échappent, elle se livre à des considérations empreintes de tristesse. Tous les aristocrates allemands, en conséquence, ne ressemblent pas à ceux dont Norbert Elias établit le portrait d’une manière univoque. Seconde observation : les lettres de la princesse, les Mémoires de Sophie de Hanovre, édités par Dirk Van der Cruysse et rédigés selon ce dernier critique dans un français d’une qualité exceptionnelle qui place leur auteur entre le cardinal de Retz et Mme de Sévigné [25], les ouvrages de Leibniz ne compteraient-ils pour rien ? Il n’est donc pas sûr, en définitive, que l’aristocratie allemande n’ait joué aucun rôle dans le développement de la culture et qu’il ne faille compter que sur les seules forces et aspirations bourgeoises au XVIIIe siècle, mises en branle ou nourries par une Université dont l’historien allemand se fait le thuriféraire. L’exemple de la Palatine, celui de sa tante, au milieu du XVIIe siècle, suffisent à ouvrir une brèche dans un raisonnement sans doute trop systématique.
123Nous voudrions en conclusion avancer quelques réflexions sur la lettre et la frontière, un motif récurrent dans les pages qui précèdent. Au-delà d’intuitions personnelles, l’article « Épistolaire » du Dictionnaire du littéraire [26] a joué un rôle déterminant dans l’orientation de notre pensée. « L’épistolaire pose de façon exemplaire la question des frontières du littéraire », y lit-on. Notre étude s’est attachée à le montrer en explorant les notions d’authenticité (ou de véridicité) et de littérarité, en illustrant aussi la porosité de la lettre, accueillante aux autres genres. Mais – et l’imagination a de ces tours – ne pouvait-on pas sonder le concept même de « frontière », faire de la lettre, ou de certaines lettres, un « genre de la frontière », peut-être même le « genre de la frontière » en ce qu’elle l’actualise plus ou moins explicitement, la postule, l’intériorise, déterminant ainsi des conditions de pensée et d’écriture très particulières ?
124La lettre matérialise en effet un éloignement ; elle est le fruit d’une séparation plus ou moins provisoire, que l’épistolier cherche le plus souvent à abolir mais parfois aussi à maintenir. Or qu’advient-il, qu’observe-t-on lorsque la séparation est définitive, à la suite d’un exil, d’un déracinement – et c’est le cas de Madame, une Allemande à la cour de France ? Pouvait-on relever, dans ses lettres, des marqueurs ou des indices caractéristiques de cette situation ? Celle où le sujet est en permanence confronté à l’altérité (physique, psychique, sociale, politique, religieuse, culturelle, etc.), où l’altérité certes menace et fragilise l’identité mais où, conjointement, elle la renforce aussi, comme si l’identité, justement, ne pouvait résister ou se soutenir que dans l’altérité, et impliquait pour que l’on se définisse, se retrouve ou ne se perde pas, une frontière abstraite (l’idée de frontière) qu’on emporte et porte en soi, la vraie frontière une fois franchie. N’est-ce pas même une des manifestations de la nostalgie ? Car il ne saurait y avoir de pays sans frontières.
125La lecture de la correspondance de la Palatine, et nous l’avons souligné, est de ce point de vue d’un grand intérêt. Toutes les lettres sont parcourues, sous-tendues par l’opposition, appuyée et lancinante, entre d’une part « moi » et « nous » et d’autre part « ces gens-ci », « les gens de cette nation », « les Français », « les gens de ce pays », laquelle opposition dit, sinon un rejet du pays d’accueil, du moins une différence. Une différence qui est une opposition, comme peut opposer la frontière, historiquement et mentalement perçue sur un mode agressif ou défensif : hauts murs plus ou moins imaginaires, montagnes ou cours d’eau plus ou moins infranchissables, postes de douanes… qui font l’objet de rites de passage plus ou moins aisés – toutes barrières naturelles ou artificielles qui séparent, divisent, et protègent peuples et territoires (songeons à la description du Forez dans L’Astrée). Les lettres de la princesse, leur langue, expriment clairement cette opposition. En témoignent les déictiques, les adversatifs, les concessifs, les démonstratifs – souvent renforcés par l’adverbe ci et le vocabulaire géographique clivant l’espace. Les parallélismes et les comparaisons antithétiques semblent bien trouver leur origine dans une mise en scène de l’espace et de la frontière, avec tous les effets psychologiques, intellectuels, culturels qu’un tel dispositif mental peut induire (la résistance, l’incompréhension, le dédain, l’arrogance…).
126D’où la question : la lettre ne demeure-t-elle pas le lieu et l’instrument privilégiés de l’expression de l’identité (et de l’altérité), avec tout ce que cette dernière suppose de découverte de soi. L’acte d’écrire à et pour autrui oblige en effet l’épistolier à l’analyse, à l’effort de lucidité et de mise au propre de son univers intérieur ou de ses réflexions. Sans doute le regard du destinataire joue-t-il son rôle, impliquant peut-être davantage que dans le journal intime une forme d’honnêteté et de sincérité sans lesquelles l’échange peut tourner court. Mais la rencontre de l’altérité, la confrontation avec ce qui est étranger, sous l’espèce d’un monde qui n’est pas le sien, précipite la réflexion, la prise de conscience d’un soi qui est aussi un « nous », une entité distincte et rassurante (la communauté, le pays, la nation) – une prise de conscience, une épiphanie qui passe par l’examen de ses particularités comme de celles des autres, le trait fût-il forcé et caricatural. L’acte épistolaire opère une saisie de soi et de l’autre, de l’identique et du différent : il aiguise en conséquence le regard. Est-ce un hasard si Montesquieu choisit d’écrire les Lettres persanes, Rousseau La Nouvelle-Héloïse, des romans épistolaires tout entiers pensés, construits autour de la « frontière », des enjeux, des effets qui sont les siens ?
127Autre chose : Madame offre des Français une image plutôt négative. Elle retient notamment leur superficialité, leur versatilité, leur désinvolture, leur hypocrisie, leur affectation, leur orgueil, leur mollesse, leur gaîté (« En France, on chansonne tout » – idée confirmée par Beaumarchais), tandis que les Allemands feraient preuve de naturel, de sincérité, de constance, de profondeur… Des distinctions dont on pense d’ordinaire qu’elles remontent à Rousseau et que Norbert Elias attribue, lui, à la bourgeoisie allemande : l’opposition de la « culture » et de la « civilisation », actualisée au milieu du XVIIIe siècle et forgée contre l’aristocratie, orchestrerait de telles dichotomies en faveur, on s’en doute, de l’élite intellectuelle bourgeoise en quête de légitimation. Reconnue dans son existence, sa valeur et ses œuvres, la bourgeoisie ne chercherait plus à se distinguer aussi radicalement d’une noblesse qui perd du terrain. Et c’est au XIXe siècle que ces dualités seraient investies sur le plan national, opposant les Allemands, simples, profonds, graves, honnêtes, aux incorrigibles Gaulois. Or les lettres de Madame jouent, déjà, de telles dualités.
128Dernier point : réfléchir sur la frontière dans l’épistolaire et, plus globalement, dans la littérature peut s’avérer fécond et éclairer des problématiques contemporaines [27]. Ne faut-il pas comprendre que tout homme porte en lui sa frontière et le territoire qu’elle délimite, lesquels participent de son intégrité, de son identité ? Et si la frontière, donc, ne relevait pas de la seule « culture » comme le pense Edward T. Hall [28] mais qu’elle s’inscrivît dans le biologique [29], liée à l’instinct de survie (celle de l’homme, celle de l’espèce) ? Sans doute l’éthologie doit-elle rencontrer la littérature et les sciences sociales, au prix d’indignations et de mouvements d’humeur. Mais que penser, en définitive, de ces métaphores qui n’en sont peut-être pas et qui traversent le discours critique : « barrières » (un terme récurrent sous la plume d’Elias autant dans La Civilisation des mœurs que dans Logique de l’exclusion), « territoire », « espace » (privé ou public) ou encore « dépaysement » ?
Notes
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[1]
Voir les travaux de Ch. McCall Probes et de W. Brooks.
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[2]
Chr. Planté (dir.), L’Épistolaire, un genre féminin ?, Paris, H. Champion, 1998, p. 14.
-
[3]
Voir G. Ferreyrolles, « L’épistolaire, à la lettre », supra, p. 20.
-
[4]
Lettres de la Princesse Palatine (1672-1722), éd. O. Amiel, Paris, Mercure de France, « Le Temps retrouvé », 1985.
-
[5]
Signalons au passage une lettre que l’on trouve aux pages 650-657, non datée mais écrite à Madame, donc au plus tard en 1722, qui s’impose à l’attention en ce qu’elle fait l’éloge des Lumières dont elle propose une définition, un demi-siècle au moins avant le texte célèbre d’Emmanuel Kant, Qu’est-ce que les Lumières ? (1784).
-
[6]
L’atteste l’article du Code Napoléon de 1810 qui reconnaît finalement la « pudeur masculine », sur laquelle le Grand Siècle a commencé de s’interroger. En effet, le Code Napoléon évoque pour la première fois la notion d’attentat à la pudeur, alors que la loi de 1791 était limitée à la notion d’attentat à la pudeur des femmes. Désormais donc, la pudeur n’a plus de sexe. Sur cette question et l’histoire qui lui est liée, voir les travaux de Jean-Claude Bologne.
-
[7]
« J’aurais pourtant bien désiré faire la connaissance de l’homme distingué en lequel Son Altesse Royale a une si grande confiance » (il s’agit de Nicolas-François Rémond, premier conseiller au conseil du duc d’Orléans et dont l’importante fonction était d’introduire les ambassadeurs auprès du Régent). « Il a l’honneur d’avoir jeté les bases solides d’une paix générale européenne. En ceci, il prévient même M. l’abbé de Saint-Pierre ; sur les fondements de celui-ci d’ailleurs on pourra établir un édifice plus solide encore » (19 octobre 1716).
-
[8]
« J’ai failli oublier de vous annoncer que Monsieur m’a fait don de Colombes. J’ai donc une petite maison à moi, ce dont je suis fort aise » (23 août 1693).
-
[9]
V. Schott-Bourget, Approches de la linguistique, Paris, A. Colin, 2005, p. 110.
-
[10]
I. Landy-Houillon, Introduction aux Lettres portugaises, Lettres d’une Péruvienne et autres romans d’amour par lettres, Paris, Garnier-Flammarion, 1983, p. 56.
-
[11]
Nous soulignons.
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[12]
Voir le portrait au vitriol de la duchesse de Bourgogne, lettre du 14 décembre 1710, éd. cit., p. 436.
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[13]
Son portrait par Hyacinthe Rigaud (1719) est moins flatteur que celui peint, plus tôt il est vrai, par Nicolas de Largillière. Ce dernier portrait est conservé au château de Chantilly.
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[14]
Voir par exemple p. 93, 176 et 308.
-
[15]
Mémoires, éd. Y. Coirault, Paris, Gallimard, « Folio classique », t. I, 1990, p. 79.
-
[16]
« Je n’ai pas les Discours de table de Plutarque, mais j’ai quelques-uns des propos de table du docteur Luther qui sont bien amusants » (27 octobre 1709).
-
[17]
Voir la lettre du 11 juin 1711, p. 307.
-
[18]
Voir la lettre du 18 juin 1705, p. 242.
-
[19]
Le Moi libertin. Modalités d’expression de la subjectivité à l’âge classique, thèse éditée sous le titre : L’Écriture personnelle ou la création de soi, Paris, H. Champion, 2009.
-
[20]
Voir F. Zanetti, « Jeanne Guyon des Anglais : la construction d’un modèle d’abandon transconfessionnel au XVIIIe siècle », dans V. Alémany et alii (dir.), Saintes ou sorcières ? L’héroïsme chrétien au féminin, Paris, Éditions de Paris / Max Chaleil, 2006, p. 177-213.
-
[21]
Sur cette question et les problèmes qu’elle soulève, voir Chr. Jouhaud, D. Ribard et N. Schapira, Histoire, Littérature, Témoignage, Paris, Gallimard, « Folio-Histoire », 2009. Nous remercions notre collègue et ami O. Andurand de nous avoir indiqué cette référence.
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[22]
R. de Bussy-Rabutin, Histoire amoureuse des Gaules, éd. J. et R. Duchêne, Paris, Gallimard, « Folio classique », 1993, p. 109.
-
[23]
Sur les enjeux de cette querelle, son histoire et ses conséquences, voir L. Thirouin, L’Aveuglement salutaire. Le réquisitoire contre le théâtre dans la France classique, Paris, H. Champion, 1997, réd. 2007.
-
[24]
N. Elias, La Civilisation des mœurs, trad. P. Kamnitzer, Paris, Calmann-Lévy, 1991.
-
[25]
Sophie de Hanovre, Mémoires et lettres de voyage, éd. D. Van der Cruysse, Paris, Fayard, 1990.
-
[26]
P. Aron et alii (dir.), Dictionnaire du littéraire, Paris, Puf, 2002.
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[27]
Voir P. Bourdieu, Leçon sur la leçon, Paris, Éditions de Minuit, 1982 ; N. Lapierre, Pensons ailleurs, Paris, Gallimard, 2006 (en particulier le chap. 3 « Mobiles » et la section « Les transfuges », p. 142-167). Nous remercions notre ami P. Massa d’avoir porté à notre connaissance ces références bibliographiques.
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[28]
Voir La Dimension cachée, Paris, Éditions du Seuil, « Points-Essais », 1978.
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[29]
Voir par exemple Y.-A. Fontaine, L’Évolution sentimentale, Paris, Odile Jacob, 1996. L’auteur y défend l’idée que le stress, nécessaire à la survie de l’espèce, est génétique.