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Article de revue

Des émotions en chaîne : représentation théâtrale et circulation publique des affects au XVIIe siècle

Pages 225 à 241

Notes

  • [1]
    La Fontaine, Les Amours de Psyché et de Cupidon [1669], éd. M. Jeanneret, Paris, Le Livre de Poche, 1991, p. 123.
  • [2]
    Sur cette notion, voir Chr. Biet, « L’unité de la séance de théâtre : point de vue historique, point de vue méthodologique. Pour un autre regard sur le théâtre “classique” », Papers on French Seventeenth-Century Literature, n° 63, 2005, p. 487-504.
  • [3]
    Pour la réfutation de ce lieu commun critique, voir H. Merlin, Public et littérature en France au XVIIe siècle, Paris, Les Belles Lettres, « Histoire », 1994.
  • [4]
    Notre corpus réunit textes français et textes espagnols. En Espagne également, le débat sur la légitimité morale du théâtre traverse tout le XVIIe siècle. Les adversaires espagnols mobilisent dans leurs attaques des récits et des anecdotes qui figurent la circulation des passions au théâtre, et auxquels font parfois explicitement référence les polémistes français, notamment Voisin.
  • [5]
    P. Nicole, Traité de la comédie [1675] et autres pièces d’un procès du théâtre, éd. L. Thirouin, Paris, Champion, 1998, p. 35 ; Armand de Bourbon, prince de Conti, Traité de la Comédie et des Spectacles selon la tradition de l’Église, tirée des Conciles et des Saints Pères, Paris, Louis Billaine, 1667, p. 11.
  • [6]
    En Europe, la polémique sur le théâtre porte moins sur l’immoralité des intrigues que sur les pratiques concrètes. Sur ce point et sur l’usage des textes polémiques pour une histoire des effets de la représentation, voir Fr. Lecercle, « Décontextualisation et réversibilité : l’anecdote dans la polémique anglaise sur le théâtre (1570-1630) », Actes du colloque « Les anecdotes dramatiques », à paraître aux Presses de l’Université de Paris-Sorbonne.
  • [7]
    Sur ce théâtre des passions, voir J. D. Lyons, Kingdom of Disorder. The Theory of Tragedy in Classical France, West Lafayette, Purdue University Press, 1999.
  • [8]
    Voir G. Forestier, Passions tragiques et règles classiques. Essai sur la tragédie française, Paris, Puf, 2003, p. 119-160.
  • [9]
    La Mesnardière, La Poétique, Paris, A. de Sommaville, 1640, p. 73. Les citations suivantes ont la même source.
  • [10]
    Sur l’indistinction des passions, voir G. Declercq, « Représenter la passion : la sobriété racinienne », Littératures classiques, n° 11, 1989, p. 69-93.
  • [11]
    J. Rancière, Le Spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008, p. 58.
  • [12]
    « Laissons-nous aller de bonne foi aux choses qui nous prennent par les entrailles, et ne cherchons point des raisonnements pour nous empêcher d’avoir du plaisir » (Molière, La Critique de L’École des femmes [1662], sc. 6, Œuvres complètes, éd. G. Couton, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1971, t. I, p. 663) ; « On a le mal dans le sang et dans les entrailles avant qu’il n’éclate par la fièvre » (Bossuet, Maximes et réflexions sur la comédie [1694], dans Ch. Urbain et E. Levesque, L’Église et le théâtre, Paris, Grasset, 1930, p. 196-197).
  • [13]
    La Mesnardière, La Poétique, op. cit., p. 94.
  • [14]
    P. Corneille, « Examen » du Cid [1660], Œuvres complètes, éd. G. Couton, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980-1987, t. I, p. 702.
  • [15]
    « Et, pour lors, la Cour toute pleine / De Pleureurs, fit une autre Scène / Où l’on vit maints des plus beaux yeux, / Voire, des plus impérieux, / Pleurer, sans aucun artifice / Sur ce fabuleux sacrifice. » (Robinet, Lettre en vers à Monsieur et à Madame, 1er septembre 1674, dans Le Théâtre et l’opéra vus par les gazetiers Robinet et Laurent, éd. W. Brooks, Paris / Seattle / Tübingen, G. Narr, 1993, p. 150-151).
  • [16]
    « Jamais Iphigénie en Aulide immolée, / N’a cousté tant de pleurs à la Grèce assemblée » (Boileau, Épîtres, Épître VII « À Racine » [1677], v. 3-4, Œuvres complètes, éd. Fr. Escal, Paris, Gallimard, 1966, p. 27).
  • [17]
    J. Racine, Prose, éd. R. Picard, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1951, p. 201.
  • [18]
    P. de Villiers, Entretien sur les tragédies de ce temps [1675], dans Racine, Théâtre. Poésie, éd. G. Forestier, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 785.
  • [19]
    R. Rapin, Réflexions sur la Poétique d’Aristote et sur les ouvrages des Poètes anciens et modernes, XIX, Paris, Fr. Muguet, 1674, p. 181. Mondory jouait Hérode dans La Mariane de Tristan L’Hermite.
  • [20]
    Voir L. Thirouin, L’Aveuglement salutaire. Le réquisitoire contre le théâtre dans la France classique, Paris, Champion, 1997.
  • [21]
    A. Varet, De l’éducation chrétienne des enfants [1666], chap. VIII (« Les maximes et les avis qu’il faut suivre pour rendre chrétienne l’éducation des enfants »), « Avis touchant les comédies », dans Nicole, Traité de la comédie, éd. cit., p. 178.
  • [22]
    La lettre de Singlin est rapportée dans N. Fontaine, Mémoires pour servir à l’histoire de Port-Royal [1726], dans Nicole, Traité de la comédie et autres pièces d’un procès du théâtre, op. cit., p. 127-128.
  • [23]
    Voisin traduit le père Guzmán (P. Pedro de Guzmán, Bienes de el honesto trabajo, Madrid, 1613) qui dénonce le « danger qui vient des assemblées de théâtre » (J. de Voisin, La Défense du Traité de Mgr le Prince de Conti touchant la comédie et les spectacles, Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1671, p. 409). Voir également Villiers, op. cit., p. 782 ; Bossuet, op. cit., p. 209.
  • [24]
    Nicole, op. cit., p. 75.
  • [25]
    Bossuet, op. cit., p. 209.
  • [26]
    Voir aussi Voisin qui cite Tertullien : « l’expression [par les spectateurs] de leurs sentiments conformes, ou différents […] ne sert qu’à exciter dans leurs cœurs des passions déréglées » (Voisin, op. cit., p. 236).
  • [27]
    Conti, op. cit., « Sentiments des Pères de l’église sur la comédie et les Spectacles », « Épître à Donat », p. 57.
  • [28]
    B. A. Liñán y Verdugo, Guía y avisos de forasteros que vienen a la corte, Madrid, 1620, cité dans M. Vitse, Éléments pour une théorie du théâtre espagnol du XVIIe siècle, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1988, p. 99-100.
  • [29]
    Nicole, Traité de la comédie, éd. cit., p. 73-75.
  • [30]
    P. Camargo, Discurso theologico sobre los theatros y comedias de este siglo, Salamanque, 1689, cité dans M. Vitse, op. cit., p. 110-111. Le valet répond au gentilhomme qui vient les séparer.
  • [31]
    L. L. de Argensola, Memorial sobre la representación de comedias, dirigido al rey D. Felipe II [1598], dans Bibliografía de las controversias sobre la licitud del teatro en Espana réimpr. de l’éd. E. Cotarelo y Mori [Madrid, Revista de Archivos, 1904], Grenade, Université de Grenade, 1997, p. 66-67. Destiné au roi Philippe II, ce texte est, avec d’autres, à l’origine de l’interdiction des spectacles (2 mai 1598).
  • [32]
    Mariana, Tratado contra los juegos publicos [1609], Obras del P. Juan de Mariana, Madrid, Biblioteca de Autores Españoles, 1854, t. 2, p. 426 : « Sabemos muchas veces concertados y hecho un escuadron haber robado para este efecto aquellas mujeres y quitádolas á los faranduleros, de donde resultan graves riñas y heridas y muertes, peleando los mozos y acuchillándose entre sí con los representantes sobre la presa ; y no hay duda sino que muchas vécés los tales mozos se van de unos lugares en otros, despreciados los padres y hacienda por el amor de aquellas mujercillas, ciegos, furiosos ».
  • [33]
    Voir J. Rancière, Le Partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique, 2000. Nous étendons ici la compréhension du « sensible » au régime émotionnel des individus.
  • [34]
    Sur le rôle déterminant de l’adhésion dans l’institution de la valeur littéraire, voir A. Viala, Lettre à Rousseau sur l’intérêt littéraire, Paris, Puf, 2005.
  • [35]
    Mariana, op. cit., p. 426 ; P. Camargo, op. cit., dans Bibliografía de las controversias sobre la licitud del teatro en Espana, p. 127 ; Navarro Castellanos, Discursos políticos, y morales [1682], ibid., p. 484.
  • [36]
    Argensola, op. cit., p. 67 : « la purísima Reina de los ángeles ha sido profanado por estas y por estos miserables instrumentos de torpeza. Y esto es tanta verdad, que representándose una comedia en esta corte, de la vida de Nuestra Señora, el representante que hacía de persona de San José, estaba amancebado con la muger que representaba la persona de Nuestra Señora, y era tan público, que se escandalizó y rió mucho la gente cuando le oyó las palabras que la Purísima Virgen respondió al ángel : Quo modo fiet istud, etc. ». L’anecdote se retrouve dans les pamphlets de Guzmán et de Camargo.
  • [37]
    Il existe néanmoins des cas de séduction masculine, comme le suggère une lettre de Mondory évoquant « un Cid, qui a charmé tout Paris. Il est si beau, qu’il a donné de l’amour aux Dames les plus continentes, dont la passion a, même, plusieurs fois éclaté au théâtre public. » (Mondory, Lettre à Balzac, cité dans H. Merlin-Kajman, « Effets de voix, effets de scènes : Mondory entre Le Cid et La Marianne », dans À haute voix. Diction et prononciation entre 1550 et 1640, O. Rosenthal éd. , Paris, Klincksieck, 1998, p. 161).
  • [38]
    Sur le rapport d’altérité du corps féminin à l’unité absolutiste, voir les réflexions proposées dans M. Greenberg, Baroque Bodies. Psychoanalysis and the Culture of French Absolutism, Ithaca, Cornell University Press, 2001.
  • [39]
    D’Aubignac, La Pratique du théâtre [1657], éd. H. Baby, Paris, Champion, 2000, p. 78.
  • [40]
    Ibid., p. 86.
  • [41]
    Ibid., p. 476-481. L’apostrophe en est l’exemple le plus net : « comme c’est un effet de l’emportement de l’esprit de l’Acteur, elle emporte avec elle l’imagination de ceux qui l’écoutent » (p. 476).
  • [42]
    Ibid.
  • [43]
    W. M. Reddy, The Navigation of Feeling. A Framework for the History of Emotions, Cambridge / New York, Cambridge University Press, 2001.
  • [44]
    Sur le visage comme « modèle de la réception », dans H. Merlin-Kajman, L’Absolutisme dans les lettres et la théorie des deux corps. Passions et politique, Paris, Champion, 2000, p. 90-101.
  • [45]
    Racine, Préface d’Alexandre le Grand [1666], Théâtre. Poésie, éd. cit., p. 126-127.
  • [46]
    Boursault, Artémise et Poliante [1670], ibid., p. 439-440.
  • [47]
    Ibid., p. 440.
  • [48]
    Bossuet, Maximes et réflexions…, op. cit., p. 209.
  • [49]
    Descartes, Les Passions de l’âme [1644], éd. G. Rodis-Lewis, Paris, Vrin, 1991, art. 94, p. 133-135 ; art. 147, p. 173-174. Voir l’article éclairant de P. Hamou, « Descartes : le théâtre des passions », Études Epistémè, n° 1, 2002 ; www.etudes-episteme.org/ee/file/num_1/ee_1_art_hamou.pdf.
  • [50]
    Subligny, Préface à La Folle Querelle ou la Critique d’Andromaque [1668], dans Racine, Théâtre. Poésie, éd. cit., p. 258-259.
  • [51]
    Villars, La Critique de Bérénice [1671], ibid., p. 511.
  • [52]
    P. Perrault, Critique des deux Tragédies d’Iphigénie d’Euripide et de Mr Racine, dans Quinault, Alceste, suivi de la « Querelle d’Alceste ». Anciens et Modernes avant 1680, éd. W. Brooks, B. Norman et J. M. Zarucchi, Genève, Droz, 1994, p. 143.
  • [53]
    Sur la diffusion de la galanterie, voir A. Viala, La France galante, Paris, Puf, 2008.
  • [54]
    Robinet, Lettre en vers à Monsieur et à Madame, 1er août 1671, dans Le Théâtre et l’opéra vus par les gazetiers Robinet et Laurent, op. cit., p. 82-83.
  • [55]
    Ce maintien de l’individualité affective au sein de l’expérience collective rejoint « l’absolutisme classico-baroque » défini par H. Merlin-Kajman comme « une configuration politique dont on pourrait accuser les traits singularisants » (L’Absolutisme dans les lettres et la théorie des deux corps. Passions et politique, op. cit., p. 343).
  • [56]
    W. M. Reddy, op. cit., p. 129.

1

Vous allez là pour vous réjouïr, et vous y trouvez un homme qui pleure auprès d’un autre homme, et cet autre auprès d’un autre, et tous ensemble avec la Comédienne qui représente Andromaque, et la Comédienne avec le Poëte : c’est une chaisne de gens qui pleurent, comme dit vostre Platon. [...] Ils [les maux d’autruy] peuvent attacher vostre esprit agréablement, mais non pas le mien. [1]

2Prenant le parti du rire comique contre les pleurs de la tragédie, le Gélaste de La Fontaine évoque avec dérision l’agrément que son interlocuteur trouve à l’effusion larmoyante dans laquelle la représentation tragique plonge tous les spectateurs. Au-delà de l’opposition générique, le propos du rieur dresse le tableau d’une expérience émotionnelle du spectateur de théâtre où se nouent des relations distinctes : outre la transmission des passions de la scène à la salle (pleurer « avec la comédienne qui représente Andromaque »), il suggère la constitution d’un « ensemble » où la proximité entre spectateurs joue un rôle dans la production de l’émoi collectif (pleurer « auprès d’un autre homme ») mais revendique pour finir la possibilité d’une diversité affective entre « moi » et les autres.

3Le discours de Gélaste conduit donc à considérer les émotions théâtrales moins comme un mode d’expression de la subjectivité que comme un mode de relation à autrui. Il invite alors à ne pas se contenter de l’approche poétique qui, elle, cantonne la circulation émotive au rapport entre le personnage et le spectateur, occultant ainsi la dimension essentiellement publique de la séance de théâtre [2]. S’en tenir à cette approche, ce serait manquer ce qui fait des émotions théâtrales un fait social : tributaires du contexte de leur diffusion, tant physique que social, celles-ci échappent en effet à toute codification stable, et exigent qu’on fasse d’elles une histoire.

4Or, à en croire Gélaste, la « chaîne » des émotions constitue l’enjeu principal du théâtre au XVIIe siècle. La représentation théâtrale est ainsi un point d’observation fécond des émotions publiques au Grand Siècle, précisément parce qu’elle agence des nœuds de relations – entre la scène, la salle, les spectateurs, les corps vivants, les corps fictifs – qui peuvent, selon les situations, produire des jeux de circulation variés. Cette multiplicité des vecteurs d’émotion conduit d’emblée à repenser l’idée d’une programmation de la réception, souvent considérée comme le propre du classicisme [3]. Elle invite par ailleurs à interroger la place de l’émotion singulière au sein de l’assemblée, et la manière dont peuvent s’articuler les affects d’un individu et ceux du groupe. Parallèlement, l’hypothèse d’une conduction des émotions entre spectateurs est inséparable d’une prise en compte de leurs modalités de publication, que ce soit par leur expression (physique ou verbale) ou par les actions qu’elles suscitent. Enfin, se pose la question de la valeur éthique, politique et critique des émotions publiques, à un moment où le statut de la sensibilité constitue un objet de querelles récurrentes, particulièrement vivaces dans le cas du théâtre.

5Les récits et les descriptions des émotions théâtrales apparaissent dans des écrits qui ressortissent à des contextes discursifs très différents : dédicaces, traités poétiques, textes polémiques d’attaque ou de défense, memoranda, gazettes [4]… Certes, ces évocations des passions qui circulent au sein des assemblées de théâtre sont prises dans des logiques argumentatives parfois très fortes et se trouvent évidemment travaillées par la topique du discours dont elles relèvent. Aussi est-il impossible d’y voir des témoignages directs qui décriraient fidèlement le régime émotionnel lors de la représentation. Néanmoins, plusieurs raisons autorisent à y recourir pour tenter de saisir les effets concrets du spectacle. Tout d’abord, des modèles de compréhension de ces effets se retrouvent d’un texte à l’autre (la fièvre qui saisit le public, par exemple), et parfois chez des auteurs idéologiquement opposés. Ces récurrences font symptôme : elles montrent que la circulation des affects dramatiques pendant et autour de la représentation forme un point de fixation des réflexions de l’époque. En outre, puisque ces discours visent la persuasion, on peut faire l’hypothèse qu’ils décrivent des dynamiques émotionnelles qui ne sont pas sans rapport avec les sensibilités des contemporains et les représentations qu’ils s’en font : cette concordance est la condition de l’efficacité de tels discours. Plus encore, les polémistes affirment substituer une analyse « pragmatique » à la « spéculation chimérique » [5] des poéticiens, de sorte qu’ils envisagent le théâtre comme un événement concret et incarné [6].

6Cet ensemble de textes trace donc un cadre de l’expérience émotionnelle théâtrale ; il dessine le paysage d’un ensemble de possibles émotifs, dont on peut postuler qu’il est une contribution à une histoire de l’esthétique et à une anthropologie historique. Nous le verrons, ces configurations émotives sont multiples, parfois contradictoires : du modèle d’une transmission des passions à celui de leur dissémination, des accidents de la contagion à la promotion de la participation sensible, ne cessent de se redéfinir la place de l’individu dans le collectif, les conditions d’émergence et de circulation de l’émotion, et les valeurs qui sont attachées à celle-ci.

Modèle # 1 : transmission

7Avant tout déterminé par l’exigence de plonger l’âme des spectateurs dans le trouble et l’agitation [7], le régime émotionnel du théâtre est, au XVIIe siècle, majoritairement conçu sur le mode d’une contagion par laquelle la passion représentée se transmet au public.

8En effet, nombre de théoriciens de la Renaissance et du XVIIe siècle calquent le principe de l’effet dramatique sur celui de l’effet rhétorique [8]. Pour créer l’illusion, le bon poète, comme le bon orateur pour persuader, doit s’attacher à faire naître les passions dans l’âme du spectateur. Cet effet pathétique est compris comme une transmission en miroir : c’est à condition d’être lui-même agité de mouvements de colère, de tristesse ou d’admiration, que l’orateur les transmet à l’auditeur ; à son exemple, le poète puis l’acteur doivent chacun éprouver les passions qu’ils veulent communiquer au spectateur.

9Le modèle de cette chaîne d’émotions similaires apparaît de manière exemplaire dans La Poétique de La Mesnardière :

10

Ce commerce est naturel aux productions spirituelles, que les Passions violentes & naïvement exprimées passent d’une âme dans l’autre. [9]

11Pour commencer, le poète ressent les passions de la jalousie, de l’amour, de la haine, « avec toutes leurs émotions, tandis qu’il en fait le tableau » ; dans un second temps, « l’excellent acteur épouse tous les sentiments qu’il trouve dans cet ouvrage » ; et pour finir, « l’auditeur honnête homme, et capable de bonnes choses, entre dans tous les sentiments de la personne théâtrale ». De « l’excellent acteur » – devenu « personne théâtrale » grâce au poète qui maîtrise son art – au spectateur, l’émotion se transmet à l’identique. Elle est alors parfaitement prévisible, et donc maîtrisable.

12Le modèle rhétorique se caractérise ainsi par une « indistinction » des passions entre la scène et la salle [10]. Selon ce mécanisme de communication de la passion, l’émotion théâtrale tient tout entière, sans reste et sans marges, dans le face-à-face entre le spectateur et le personnage. Au prisme restreint des textes normatifs, elle relève de ce que Jacques Rancière appelle le régime représentatif de l’art, caractérisé par « une relation de continuité entre les formes sensibles de la production artistique et les formes sensibles selon lesquelles les sentiments et les pensées de ceux et celles qui les reçoivent se trouvent affectés [11] ».

Modèle # 2 : contagion

13Cependant, si l’on cesse d’envisager l’instance réceptrice comme le spectateur, sorte d’idéal-type théorique, pour y voir plutôt des spectateurs assemblés en un public pour la séance de théâtre, la circulation des affects prend d’autres formes que celles décrites par les doctes. En effet, le schéma d’une transmission isomorphe des passions de la scène à la salle se trouve massivement concurrencé par l’idée d’une dissémination des émotions qui se propagent entre les spectateurs, au point de les fondre en une assemblée, ébranlée jusqu’aux « entrailles [12] » ou noyée dans un « déluge de pleurs [13] », et où ne se distinguent plus les individualités.

14La réussite d’une représentation est souvent évaluée à l’aune d’un transport collectif, à l’instar de l’Examen du Cid où Corneille se félicite d’avoir pu observer, lors de la parution de Rodrigue devant Chimène, « un certain frémissement dans l’Assemblée, qui marquait une curiosité merveilleuse, et un redoublement d’attention pour ce qu’ils avaient à se dire dans un état si pitoyable [14] ».

15De ces réactions passionnelles collectives, l’Iphigénie de Racine présente un autre cas emblématique : les courtisans auraient communié dans une même émotion lacrymale, dessinant une « autre scène de pleureurs » selon Robinet [15], nouvelle « Grèce assemblée », émue et ravie, selon Boileau [16]. De la même manière, l’épisode de l’épidémie de « fièvre chaude » qui s’empara de la ville d’Abdère lors des représentations de l’Andromède d’Euripide fait figure de paradigme pathétique. Cette métaphore de la contagion est souvent mobilisée pour prouver l’efficacité d’un spectacle théâtral : Racine annote l’anecdote dans les marges de l’édition de Lucien qu’il possède [17] ; Pierre de Villiers l’évoque dans son Entretien sur les tragédies de ce temps lorsque Cléarque et Timante prennent comme exemple de réussite tragique cette pièce qui « donna la fièvre à toute une Ville » [18] ; Rapin, désireux de louer la puissance de jeu de Mondory, la compare à « l’impression si forte & si violente » produite sur le « peuple » (c’est-à-dire le public) qui « sortit du théâtre […], possédé, pour ainsi dire, de ce spectacle », au point que « cette possession devint une maladie publique [19] ». Dans ces deux derniers exemples, l’image de la fièvre populaire suggère un double excès de l’émotion du théâtre : les réactions individuelles sont absorbées dans une émotion fusionnelle incontrôlable, qui échappe à la typologie rhétorique, et qui pourrait également se répandre dans l’ensemble de la ville, débordant le cadre de la représentation.

16C’est précisément cette dissémination excessive de l’émotion que visent la plupart des détracteurs du théâtre. Leur condamnation vise tout autant le comédien falsificateur que l’émotion du spectateur, perverti corps et âme lors de la représentation [20]. À leurs yeux, les émotions théâtrales sont nocives, entre autres, parce qu’elles sont publiques, en tant qu’elles naissent d’une expérience collective et en tant qu’elles impliquent l’ordre social tout entier.

17L’idée est récurrente : le plaisir sensible pris à la représentation se nourrit d’être partagé avec les autres participants. Varet, par exemple, stigmatise l’effet d’entraînement passionnel que favorise toute assemblée, et plus spécifiquement le théâtre :

18

Les hommes et les femmes, les jeunes gens et les jeunes filles, n’y vont-ils pas ensemble ? […] Et l’approbation qu’ils donnent d’une commune voix aux comédiens, et la joie qu’ils ont de se rencontrer dans les mêmes sentiments, ne sont-ce pas comme autant d’étincelles, qui augmentent le feu secret qui brûle dans leur cœur ? [21]

19Singlin manifeste la même obsession de l’expérience collective. Consulté par Mme de Longueville au sujet du goût manifesté par son fils pour la comédie, il cite saint Augustin : « Il dit qu’aller là ensemble, c’est comme si on s’enivrait ensemble, comme si on volait ensemble, si on offrait de l’encens aux dieux ensemble [22]. »

20Les assemblées sont dangereuses – l’expression se trouve chez Voisin, Villiers ou Bossuet [23] – parce qu’elles favorisent « l’abandon sans résistance [24] » du jugement raisonnable aux charmes d’un envahissement passionnel d’autant plus tentaculaire qu’il est partagé avec d’autres :

21

Ainsi, outre les autres inconvénients des assemblées de plaisir, on s’excite et on s’autorise, pour ainsi dire, les uns les autres par le concours des acclamations et des applaudissements. [25]

22Dans ce propos de Bossuet, l’abandon scandaleux des spectateurs tient autant au partage de l’émotion qu’à un effet d’autorisation attaché à cette « commune voix » qui donne son « approbation [26] ».

23D’autres soulignent la vertu légitimante de la représentation au théâtre. Conti, par exemple, dans son Traité de la Comédie et des Spectacles, reprend en ce sens une idée de Cyprien de Carthage :

24

On apprend l’adultère en le voyant représenter, et le mal qui est autorisé publiquement a tant de grands charmes, que des femmes qui estoient peut-être chastes lors qu’elles sont allées aux Spectacles en sortent impudiques. [27]

25Que le théâtre soit un dévoilement public d’amours interdites autorise les spectatrices à partager le plaisir de la femme adultère, bien plutôt qu’il ne les encourage à la tempérance. Antonio Liñán y Verdugo s’indigne, lui, des spectateurs qui, à l’issue de la représentation, s’échauffent, volent ou mettent la main à l’épée sans raison, si ce n’est reproduire la burla ou l’affaire d’honneur montrée sur la scène [28]. Dans ce dernier exemple, l’assemblée théâtrale offre même aux spectateurs un cadre où agir immédiatement sous l’impulsion des passions néfastes que vient de leur communiquer la pièce. C’est aussi ce que suggère le texte de Varet où les « étincelles » allument la passion des jeunes gens qui se rencontrent au spectacle.

26On voit alors tout l’intérêt qu’il y a à considérer les émotions publiques comme un mode de relation à autrui plutôt que comme un mode d’expression de la subjectivité. Leur dissémination au théâtre serait ainsi le résultat de plusieurs facteurs susceptibles de se conjuguer : les émotions s’amplifient de ce qu’elles sont ressenties simultanément par les autres spectateurs ; elles se trouvent alors légitimées d’être manifestées par tous ; parallèlement, un autre processus de légitimation, propre à la représentation, autorise en les publiant les passions mauvaises ; le rassemblement public peut même être l’occasion pour les spectateurs de transposer l’émotion, de son existence fictionnelle à une expérimentation réelle.

27Dans nombre de textes, l’émotion soulevée transforme durablement le régime émotionnel de l’individu et excède l’espace-temps de la représentation. Aux yeux de Nicole par exemple, la constante valorisation de l’honneur en tragédie produit un aiguisement de la susceptibilité du spectateur gentilhomme, qui « sentira plus vivement un affront » après avoir entendu prononcer les vers qui exaltent la vengeance, et sera dès lors enclin plus qu’il ne le devrait aux duels illégaux [29]. La critique de Nicole rencontre un cas relaté par le P. Camargo : ce dernier voit dans le laquais qui se bat en duel, et qui prétend avoir appris à la comedia comment se venger des offenses, un effet de « l’impression » profonde dont les affects représentés marquent les âmes et les corps [30]. L’espace public tout entier est affecté, troublé par les passions que l’expérience théâtrale a déréglées.

28Dans une série d’anecdotes qui se donne pour infinie, Lupercio Leonardo de Argensola multiplie les exemples de gentilshommes qui, par amour pour les actrices, ont perdu leur fortune et leur honneur, ont délaissé leur famille ou abandonné leur office [31]. Mariana évoque quant à lui le chaos engendré par des « escadrons » de jeunes gens furieux qui, au prix de combats sanglants, ont enlevé des comédiennes pour satisfaire leur concupiscence excitée par le spectacle :

29

On connaît plusieurs exemples d’escadrons qui se sont emparé d’actrices dans ce but et les ont enlevées aux comédiens ; il s’en suivit des rixes, avec des morts et des blessés graves ; les jeunes gens tirèrent leurs lames contre les comédiens, et se battirent avec eux pour ce butin. Il est assuré que, bien souvent, ces jeunes gens vont d’un endroit à l’autre, méprisant leurs pères, délaissant leurs terres et leurs fortunes, pour l’amour de ces prostituées, aveuglés, furieux. [32]

30Chez l’un comme chez l’autre, les effets de la représentation s’apparentent à une peste publique que portent avec elles les troupes de théâtre. Au désordre des violences, des enlèvements et des duels s’ajoute un désordre social et politique : les relations entre les hommes et les femmes, entre les gentilshommes et les laquais, entre les pères et les fils, se trouvent radicalement bouleversées.

31Engagé dans un rapport croisé avec la scène et avec la salle, l’individu voit sa puissance éthique et son rapport à autrui transformés par la séance théâtrale. Les émotions qui circulent tendent à altérer les rapports réglés entre, d’une part, les identités sociales et, d’autre part, les lieux et les actes qui leur sont assignés. Redistribuant les places, faisant fi des hiérarchies et des normes (l’office délaissé, l’épée saisie par un laquais, l’actrice logée par un gentilhomme), elles sont susceptibles de créer un nouveau « partage du sensible [33] ».

32Mis en série, ces textes signalent que le XVIIe siècle n’ignore pas que l’expérience théâtrale excède la fiction rhétorique (modèle # 1) qui, elle, occulte les effets de propagation propres à la dimension publique de la représentation. Deux compréhensions de la communauté théâtrale se concurrencent alors au sein d’une conception similaire d’un public pluriel assemblé par ses émotions. Tandis que pour les adversaires du théâtre, le collectif créé menace l’ordre politique, les partisans y voient un ensemble harmonieux, doté d’une vertu consensuelle et créateur de valeur esthétique [34]. Cependant, en dépit de leur opposition idéologique, ces discours nourrissent la même obsession d’une effusion coalescente par laquelle les spectateurs, nécessairement touchés, perdent toute individualité. Discours de stigmatisation et discours de légitimation du théâtre nourrissent en parallèle l’image d’un public unifié dans une seule subjectivité affective. Chez les détracteurs rigoristes inquiets du charme envahissant de ce plaisir profane, comme chez les dramaturges soucieux de défendre leurs œuvres, la description des comportements observables au théâtre se trouve ainsi dominée par une conception holiste du public, présenté comme une entité toute entière saisie par une émotion unitaire.

Accidents # 1 : scissions

33Néanmoins, la dynamique tant physique que sociale du théâtre peut susciter, comme nous allons le voir, des situations émotionnelles qui désaxent le schéma d’une contagion nécessaire et uniforme. La circulation des affects se révèle parfois inattendue, hétérogène ou médiatisée. En Espagne, les représentations de pièces hagiographiques sont propices à ces accidents de la transmission passionnelle. De Mariana à Navarro Castellanos en passant par Camargo, une anecdote circule, celle du scandale provoqué par la connaissance de la liaison amoureuse entre une comédienne qui interprète le rôle de Marie-Madeleine et un comédien qui joue le Christ [35]. Le cas est plus grave encore lors de la représentation d’une vie de la Vierge à la Cour :

34

La très pure reine des Anges a été profanée par ces misérables instruments de turpitudes [les comédiens]. On en vit la preuve lors d’une représentation, en cette cour, de la vie de notre Sainte Vierge : le comédien qui interprétait le rôle de saint Joseph vivait en concubinage avec l’actrice qui jouait la mère de Dieu, et cela était tellement de notoriété publique, qu’on se scandalisa et qu’on rit beaucoup quand on entendit les mots que la Vierge adresse à l’ange : Quo modo fiet istud, etc. [36]

35Plutôt qu’une communion sacrée dans la foi et les larmes unifiant l’assemblée des fidèles, c’est un rire – réprobateur ? blasphémateur ? – qui secoue le public. Parce que la vie pécheresse de la comédienne est de notoriété publique, la parole sacrée de la Vierge se transforme en mensonge, ou pire, en question ironique. Cette émotion incongrue, contradictoire par rapport à celle que programme la représentation, naît d’une articulation complexe de relations qui se nouent lors de la séance, sur la scène, dans la salle, entre la scène et la salle : la virtualité scandaleuse ou comique des mots sacrés tient à ce que l’émotion des représentants (le désir profane des comédiens) contredit l’émotion des représentés (la relation chaste et la foi profonde) ; à cette configuration particulière des émotions sur la scène se conjugue la connaissance, partagée par tous, de cette situation réelle. Le rire qui éclate cristallise les différentes relations dans lesquelles est pris chaque membre du public : celle qu’il tisse avec les personnages fictifs, celle qu’il établit avec les comédiens réels et celle qui le lie aux autres spectateurs, avec lesquels il rit.

36Ce rire imprévisible surgit du décalage entre l’actrice et ce qu’elle est censée représenter ; il vient de ce corps désiré et désirant, qui ne disparaît pas derrière celui de la Vierge ni ne se résorbe dans la représentation. Alors que la production d’une émotion consensuelle d’admiration religieuse présupposerait l’effacement de ce corps sexué, il est par essence maintenu, voire exhibé sur la scène, alimentant l’indétermination des passions spectatrices. Cette particularité du régime représentatif au théâtre permet de lire autrement les récits de spectateurs aveuglés par leur désir pour les comédiennes ou de jeunes gens qui s’enivrent d’amour les uns pour les autres. Bien loin de constituer un collectif de sujets unis par l’identité du sentiment, l’assemblée se scinde selon la différence des sexes et les hommes sont divisés par la rivalité sexuelle. Dans l’immense majorité des cas [37], c’est un corps féminin qui affecte différemment les corps des spectateurs : il apparaît ainsi comme le principe d’une différenciation, ce qui l’entretient et ce qui la diffuse [38]. Ces émotions « sécessionnistes » révèlent en fait ce qui les fonde : d’une part, la structure scindée de la représentation théâtrale (le représenté ne peut gommer le représentant et leur articulation est susceptible de perturber le programme émotionnel du texte) et d’autre part, la différence des sexes que la collusion du public de théâtre ne suspend pas.

37Le système construit par La Pratique du théâtre confirme en creux la corrélation entre incarnation du langage – ce qui est le propre du théâtre – et dynamique émotionnelle spécifique. Les chapitres VI et VII du Livre I posent les fondements d’une théorie de la réception jointe à une théorie de l’imitation. La séparation du représenté (l’« action comme véritable ») et du représentant (l’« action comme représentée ») assure une mimesis illusionniste. Si le poète doit considérer le spectacle pour rendre la tragédie admirable aux spectateurs, il lui faut aussi s’attacher à l’histoire véritable pour garder au poème dramatique sa vraisemblance et donner l’illusion que les événements se déroulent d’eux-mêmes, « comme s’il n’y avait point de Spectateurs [39] ». Or les points d’appui de cette distinction révèlent une dématérialisation du rapport entre comédiens et spectateurs. Pour expliciter la différence qu’il pose entre fable et représentation, d’Aubignac exploite la comparaison topique entre le poème dramatique et un tableau, ce qui est déjà une façon de réduire la part corporelle du spectacle. Surtout, il insiste sur la nécessité de faire disparaître le représentant, afin de ne pas mêler l’ici et maintenant de la séance théâtrale avec la fiction poétique :

38

Car ce sont eux [cet Horace et ce Cinna] que l’on suppose agir et parler, et non pas ceux qui les représentent, comme si Floridor et Beau-Château cessaient d’être en nature, et se trouvaient transformés en ces Hommes. [40]

39La fiction d’une transsubstantiation du comédien en son personnage présuppose la négation du corps-acteur. Ce postulat est la condition d’une maîtrise des émotions par le poète ; celle-ci apparaît nettement quand il en vient aux « Figures » qui jouent un rôle primordial dans l’induction des passions. Le théoricien associe à chacune des figures du discours les « plus propres au théâtre » le mouvement passionnel dont elle est la marque, et qu’elle provoque comme mécaniquement dans l’esprit de l’auditeur [41]. L’influx de l’émotion tient tout entier dans le langage, véritable instrument dont le poète peut jouer pour produire les mélodies passionnelles qu’il désire. D’Aubignac détache donc en partie les émotions de leurs supports matériels tangibles pour affirmer leur possible contrôle. Pour montrer que « les Souverains ne peuvent rien faire de plus avantageux pour leur gloire, et pour le bien de leurs sujets, que d’établir et d’entretenir les Spectacles et les Jeux publics avec un bel ordre[42] », il importe de faire disparaître le corps de l’acteur et plus encore celui de l’actrice, dont la présence sur scène est facteur de dissémination et de démultiplication de l’émotion.

Accidents # 2 : incitations

40Pour autant, les émotions produites au théâtre ne se réduisent pas à un jeu déréglé de pulsions et de désirs, mais relèvent en même temps d’un mécanisme complexe d’influences au sein du public, selon des vecteurs de circulation où l’appartenance sociale de chacun joue un rôle déterminant. Dans certaines situations, l’unité du public de théâtre se voit en effet perturbée par la distinction sociale des sujets émus. Deux modes de relation entre l’émotion individuelle et l’émotion collective semblent cohabiter. D’un côté, un modèle de propagation, où le groupe des spectateurs s’émeut en fonction de ce que ressent un individu, ou un groupe d’individus, intellectuellement ou socialement autorisé. De l’autre, un modèle d’inclusion, où l’individu conforme sa réponse émotive à la dynamique émotionnelle de l’assemblée. Dans les deux cas, la diffusion de l’émotion implique sa mise en langage corporel, par des mimiques expressives qui assurent son partage social. Elle signale par ailleurs la dimension éminemment socialisée de l’événement théâtral. Ces émotions manifestées au sein du public s’apparentent aux « emotives » analysées par William Reddy : selon lui, la publication de l’émotion dans des actes émotifs produit une transformation de soi et des autres ; l’individu peut alors en faire usage dans le but de modeler son état émotif ou de configurer l’espace des émotions dans lequel « naviguent » les membres de la communauté ; cette « gestion émotionnelle » est néanmoins « fugitive », en partie imprévisible, et toujours contingente [43].

41Sans doute l’impact du visage bouleversé d’un illustre spectateur sur l’émoi collectif constitue-t-il une expérience suffisamment récurrente pour que les textes polémiques s’emparent de tels épisodes [44]. Ainsi, la première Préface d’Alexandre le Grand moque l’obstination des ennemis de Racine qui reviennent afficher leur mécontentement afin de « contribuer à [l]a chute » de la tragédie :

42

[Ils] prétendent assujettir le goût du Public aux dégoûts d’un Esprit malade, […] vont au Théâtre avec un ferme dessein de n’y point prendre de plaisir, et […] croient prouver à tous les Spectateurs par un branlement de tête, et par des grimaces affectées, qu’ils ont étudié à fond la Poétique d’Aristote. [45]

43Le souci qu’ont les censeurs d’exhiber un ethos docte va non seulement de pair avec le désir d’agir sur la réaction tant émotionnelle qu’évaluative d’autrui, mais aussi avec le repli volontaire de leur éventail passionnel, puisqu’ils semblent étouffer en eux toute disposition au plaisir. Déployant une caricature similaire, le récit satirique que Boursault donne de la première de Britannicus tourne en dérision la physionomie excessivement expressive d’un Boileau qui applaudit son ami avant même que la pièce n’ait commencé, puis s’attache à exprimer le plus grand nombre possible d’émotions, « pour contribuer au succès de son Ouvrage […] transformant [son visage] comme un Caméléon à mesure que les Acteurs débitaient leurs rôles [46] ».

44Du savant Boileau aux doctes de ce « banc formidable » où « les Auteurs ont la malice de s’attrouper pour décider souverainement des Pièces de Théâtre [47] », il est question d’une double tentative d’influencer de manière décisive l’ensemble du public, en s’appuyant sur un insistant langage du corps pour faire circuler une passion déterminée. Les discours vindicatifs de Boursault et de Racine évoquent des cas où l’émotion se fait affect, au sens propre d’ad-fectus – modelée en fonction des autres et adressée à eux –, mais où l’essai de « contribution » à l’émotion collective échoue, puisque les applaudissements saluent Alexandre malgré les grimaces des censeurs, et que les mimiques de Boileau n’empêchent pas les auteurs de ne pas apprécier Britannicus.

45Un second modèle de circulation suggère symétriquement l’influence du groupe sur la réponse passionnelle de chacun. Avec l’ironie nécessaire à son attaque du théâtre, Bossuet fait ainsi du mimétisme émotif qui, selon lui, produit chez le spectateur des régimes affectifs contraints, le propre de cette « malignité spéciale dans les assemblées » :

46

Il suffit d’avoir observé qu’il y a de la malignité spéciale dans les assemblées, où comme on veut contenter la multitude, dont la plus grande partie est livrée aux sens, on se propose toujours d’en flatter les inclinations par quelques endroits : tout le théâtre applaudit quand on les trouve ; on se fait comme un point d’honneur de sentir ce qui doit toucher, et on croirait troubler la fête, si on n’était enchanté avec toute la compagnie. [48]

47« Sentir » comme les autres devient un enjeu d’« honneur » et d’honnêteté (« ne pas troubler »). Il n’est pas question de s’abandonner à l’émotion de la foule mais de façonner sa sensibilité pour prendre part à la « compagnie » des spectateurs. Bossuet note ainsi que la divergence de ressenti menace la cohésion communautaire que l’événement euphorique (« la fête ») est censé cristalliser. Les émotions publiques soulevées par le spectacle participent ainsi toujours d’un incessant jeu de billard, où l’impact affectif produit par la représentation sur un des membres du groupe se répercute immédiatement dans l’espace de la salle pour y circuler, s’y moduler, s’y diffracter ou s’y abîmer.

48Finalement, la spécificité du régime émotionnel au théâtre réside dans la mise en langage corporel des émotions, qui crée un ensemble de relations multiples, convergentes ou contradictoires, entre le public et le personnage fictif certes, mais aussi entre le comédien en chair et en os et l’assemblée, entre tel acteur et tels spectateurs, entre le corps expressif de chacun et le reste du public. C’est à cette configuration, toujours contingente, que tient la particularité des émotions théâtrales, sujettes aux accidents singuliers, aux brouillages de la contagion ou aux circulations périphériques, qui invalident le modèle d’un réglage rhétorique comme celui d’une dissémination nécessaire.

Valorisations

49Si la propension des émotions théâtrales à de tels « accidents » infirme l’idée d’un maître des émotions comme celle d’une circulation uniforme, elles ne s’en trouvent pas pour autant systématiquement condamnées. Bien plutôt, ces affects sont investis d’une certaine valeur éthique, qui procède de la double articulation, lors de la représentation, de l’individu à lui-même et à autrui.

50C’est chez Descartes qu’apparaît avec évidence la vertu éthique de ces émotions complexes suscitées par les « aventures étranges qu’on voit représenter sur un théâtre ». L’analogie entre l’âme généreuse face à ses passions et le spectateur devant le drame feint travaille le Traité des Passions. Le parallèle est en particulier explicité aux articles XCIV et CXLVII qui déploient le paradoxe du plaisir que le spectateur prend aux passions désagréables provoquées par le spectacle [49]. Aussi violentes soient-elles, ces émotions de tristesse ou de haine plaisent parce qu’elles ne peuvent parvenir à faire perdre de vue qu’il s’agit d’une fiction et qu’elles sont donc incapables de « nuire en aucune façon » à celui qui s’émeut. Ces passions douloureuses possèdent alors une puissante force cognitive : les affects soulevés par la représentation sont l’occasion pour l’âme de se donner le témoignage d’« émotions intérieures » qui, au contraire, ne dépendent que d’elle. Or, c’est précisément par ces émotions qui lui sont propres et qui sont hors d’atteinte de toute sollicitation extérieure, que l’âme peut se construire un rempart contre les dangers des passions (art. CXLVIII). La relation à autrui impliquée par l’émotion théâtrale est indissociable d’une féconde relation à soi ; l’épreuve affective se fait preuve efficace de la force intérieure du spectateur-sujet.

51La valorisation éthique des émotions a aussi son versant esthétique. La position critique légitime cesse d’être seulement celle du docte, qui doit à sa marginalité savante la justesse de son jugement ; elle est aussi occupée par le spectateur ému qui prend part à l’effusion commune. Cette promotion de la participation émotionnelle trouve sa traduction dans de nombreux exordes polémiques qui autorisent empiriquement le discours par la publication d’un ethos pathétique. Tel est le cas, par exemple, des ennemis de Racine qui, de 1668 à 1675, ouvrent leur texte sur une protestation de sensibilité. Subligny affirme avoir été « charmé » par les « beautés » d’Andromaque qui « firent sur [s]on esprit ce qu’elles firent sur ceux de tous les autres » ; il érige cette capacité à être affecté en critère du bon spectateur, en tant qu’elle est la « marque […] d’une délicatesse d’esprit peu commune [50] ». Villars, en prétendant ironiquement avoir « pleuré copieusement à l’exemple d’une femme de qualité » à la seconde représentation de Bérénice, se moque d’un épanchement lacrymal devenu le signe d’une distinction sociale comme la preuve d’une appréciation juste [51]. Certes, ces protestations de sensibilité sont une manière habile de marginaliser l’émotion comme critère de jugement, puisqu’elles suggèrent la possibilité d’être ému sans que la pièce soit bonne. Il n’en reste pas moins qu’elles témoignent, parce qu’elles la contestent, de la progressive institutionnalisation critique de l’émotion spectatrice.

52Plus encore, il semblerait que l’émotion théâtrale, qui s’autorise, ainsi qu’on l’a vu, de son partage, s’émancipe de la nécessité d’être collective pour être légitime. Les revendications de singularité sont, de la Querelle du Cid à la Querelle des Anciens et des Modernes, autant de marques d’une résistance à cette contrainte participative décrite par Bossuet. Dans la Critique des deux Tragédies d’Iphigénie de Pierre Perrault par exemple, le porte-parole de l’auteur reprend presque mot pour mot la protestation de liberté émotive que formule l’Avertissement :

53

Je me laisse toucher aux tendresses qui y sont. Je ris des plaisanteries que j’y trouve autant qu’elles font d’impression sur mon esprit et ne demande point à mon voisin ce que j’en dois penser, si je suis content ou non. Je fais la même chose dans mon cabinet quand je lis des ouvrages anciens ou nouveaux, m’imaginant qu’ils sont faits pour tout le monde et qu’il ne faut prendre attache de personne pour en dire son sentiment. [52]

54Perrault évoque une disponibilité émotive similaire dans le silence du « cabinet » et dans le « voisinage » du public, suggérant la possibilité de maintenir une émotion intime dans la proximité des autres. Or cette déclaration de principe va ici de pair avec l’affirmation de Belles-Lettres ouvertes à tous. Promu par l’esthétique galante [53], le jugement de goût tend à se détacher d’un modèle de distinction sociale, pour nourrir la pensée d’une sensibilité esthétique commune.

55L’émotion individuelle se fait alors signe de la destination universelle de l’œuvre qui la suscite. Le mécanisme publicitaire d’un passage de la gazette est symptomatique de cette corrélation. À propos d’une reprise de Psyché, Robinet commence par louer l’enchantement de tous ceux qui y ont déjà assisté. Néanmoins, pour authentifier ses encouragements à aller voir la pièce, il « exprim[e] le Plaisir extrême, qu’[il a] ressenti dans [lui]-même [54] ». Le postulat d’un accord collectif se fait bien ici sur fond d’une émotion singulière [55], qui témoigne de l’excellence de l’ouvrage parce qu’elle est susceptible d’être partagée.

56À ce moment de l’histoire des représentations et des sensibilités convergeraient ainsi une valorisation éthique de la sensibilité, une affirmation de la vertu évaluative de l’émotion et un intérêt accru pour le partage collectif des passions au théâtre. L’ensemble de ces textes fait de l’expérience théâtrale le lieu d’un « partage du sensible » qui n’est ni une contagion mimétique et fusionnelle ni une fragmentation selon les identités sexuelles et sociales. Elle dessine un entre-deux où le détour par une représentation émouvante lie les individus entre eux de manière non-contraignante. L’obsession de la puissance coalescente des émotions théâtrales, avec son économie du gain (la « fête » de l’assemblée) et de la perte (« l’attache » prise du voisin), se déplace vers une « autorisation » de l’émotion singulière qui, fût-elle discordante, est non seulement créditée d’une vertu critique, mais aussi d’une signification communautaire. À l’horizon de l’épreuve émotionnelle particulière se tient la possibilité d’une communauté de sujets, qui n’implique pas nécessairement une similitude affective mais postule seulement une consonance des sensibilités.

57À travers cet archipel de textes, l’événement théâtral, envisagé dans toutes ses dimensions (de la scène à la salle, jusqu’à ses conséquences après la représentation), se fait laboratoire d’une pensée des émotions publiques et de leur action politique, éthique et culturelle. Certes, la séance apparaît comme l’occasion d’une émotion si intense qu’elle en est parfois contraignante ; néanmoins, la force d’entraînement du groupe n’exclut pas des formes de liberté émotive. Le théâtre serait ainsi l’un de ces « refuges émotionnels » qui, selon William Reddy, président, à la fin du XVIIe siècle, au « fleurissement de la sensibilité [56] ». L’espace ménagé au sein du collectif pour une hétérogénéité non problématique semble faire de l’assemblée théâtrale un support de la modélisation d’une certaine forme de public. Peut-être pourrait-on risquer l’hypothèse que la séance dramatique, où s’épanouissent un émoi commun qui n’annule pas la singularité et une émotion individuelle qui ne menace pas de dissoudre la communauté, produit une expérience affective qui articule le rapport aux autres et le rapport à soi, et constituerait ainsi, au XVIIe siècle, l’un des lieux où s’élabore un sujet sensible.

Notes

  • [1]
    La Fontaine, Les Amours de Psyché et de Cupidon [1669], éd. M. Jeanneret, Paris, Le Livre de Poche, 1991, p. 123.
  • [2]
    Sur cette notion, voir Chr. Biet, « L’unité de la séance de théâtre : point de vue historique, point de vue méthodologique. Pour un autre regard sur le théâtre “classique” », Papers on French Seventeenth-Century Literature, n° 63, 2005, p. 487-504.
  • [3]
    Pour la réfutation de ce lieu commun critique, voir H. Merlin, Public et littérature en France au XVIIe siècle, Paris, Les Belles Lettres, « Histoire », 1994.
  • [4]
    Notre corpus réunit textes français et textes espagnols. En Espagne également, le débat sur la légitimité morale du théâtre traverse tout le XVIIe siècle. Les adversaires espagnols mobilisent dans leurs attaques des récits et des anecdotes qui figurent la circulation des passions au théâtre, et auxquels font parfois explicitement référence les polémistes français, notamment Voisin.
  • [5]
    P. Nicole, Traité de la comédie [1675] et autres pièces d’un procès du théâtre, éd. L. Thirouin, Paris, Champion, 1998, p. 35 ; Armand de Bourbon, prince de Conti, Traité de la Comédie et des Spectacles selon la tradition de l’Église, tirée des Conciles et des Saints Pères, Paris, Louis Billaine, 1667, p. 11.
  • [6]
    En Europe, la polémique sur le théâtre porte moins sur l’immoralité des intrigues que sur les pratiques concrètes. Sur ce point et sur l’usage des textes polémiques pour une histoire des effets de la représentation, voir Fr. Lecercle, « Décontextualisation et réversibilité : l’anecdote dans la polémique anglaise sur le théâtre (1570-1630) », Actes du colloque « Les anecdotes dramatiques », à paraître aux Presses de l’Université de Paris-Sorbonne.
  • [7]
    Sur ce théâtre des passions, voir J. D. Lyons, Kingdom of Disorder. The Theory of Tragedy in Classical France, West Lafayette, Purdue University Press, 1999.
  • [8]
    Voir G. Forestier, Passions tragiques et règles classiques. Essai sur la tragédie française, Paris, Puf, 2003, p. 119-160.
  • [9]
    La Mesnardière, La Poétique, Paris, A. de Sommaville, 1640, p. 73. Les citations suivantes ont la même source.
  • [10]
    Sur l’indistinction des passions, voir G. Declercq, « Représenter la passion : la sobriété racinienne », Littératures classiques, n° 11, 1989, p. 69-93.
  • [11]
    J. Rancière, Le Spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008, p. 58.
  • [12]
    « Laissons-nous aller de bonne foi aux choses qui nous prennent par les entrailles, et ne cherchons point des raisonnements pour nous empêcher d’avoir du plaisir » (Molière, La Critique de L’École des femmes [1662], sc. 6, Œuvres complètes, éd. G. Couton, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1971, t. I, p. 663) ; « On a le mal dans le sang et dans les entrailles avant qu’il n’éclate par la fièvre » (Bossuet, Maximes et réflexions sur la comédie [1694], dans Ch. Urbain et E. Levesque, L’Église et le théâtre, Paris, Grasset, 1930, p. 196-197).
  • [13]
    La Mesnardière, La Poétique, op. cit., p. 94.
  • [14]
    P. Corneille, « Examen » du Cid [1660], Œuvres complètes, éd. G. Couton, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980-1987, t. I, p. 702.
  • [15]
    « Et, pour lors, la Cour toute pleine / De Pleureurs, fit une autre Scène / Où l’on vit maints des plus beaux yeux, / Voire, des plus impérieux, / Pleurer, sans aucun artifice / Sur ce fabuleux sacrifice. » (Robinet, Lettre en vers à Monsieur et à Madame, 1er septembre 1674, dans Le Théâtre et l’opéra vus par les gazetiers Robinet et Laurent, éd. W. Brooks, Paris / Seattle / Tübingen, G. Narr, 1993, p. 150-151).
  • [16]
    « Jamais Iphigénie en Aulide immolée, / N’a cousté tant de pleurs à la Grèce assemblée » (Boileau, Épîtres, Épître VII « À Racine » [1677], v. 3-4, Œuvres complètes, éd. Fr. Escal, Paris, Gallimard, 1966, p. 27).
  • [17]
    J. Racine, Prose, éd. R. Picard, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1951, p. 201.
  • [18]
    P. de Villiers, Entretien sur les tragédies de ce temps [1675], dans Racine, Théâtre. Poésie, éd. G. Forestier, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 785.
  • [19]
    R. Rapin, Réflexions sur la Poétique d’Aristote et sur les ouvrages des Poètes anciens et modernes, XIX, Paris, Fr. Muguet, 1674, p. 181. Mondory jouait Hérode dans La Mariane de Tristan L’Hermite.
  • [20]
    Voir L. Thirouin, L’Aveuglement salutaire. Le réquisitoire contre le théâtre dans la France classique, Paris, Champion, 1997.
  • [21]
    A. Varet, De l’éducation chrétienne des enfants [1666], chap. VIII (« Les maximes et les avis qu’il faut suivre pour rendre chrétienne l’éducation des enfants »), « Avis touchant les comédies », dans Nicole, Traité de la comédie, éd. cit., p. 178.
  • [22]
    La lettre de Singlin est rapportée dans N. Fontaine, Mémoires pour servir à l’histoire de Port-Royal [1726], dans Nicole, Traité de la comédie et autres pièces d’un procès du théâtre, op. cit., p. 127-128.
  • [23]
    Voisin traduit le père Guzmán (P. Pedro de Guzmán, Bienes de el honesto trabajo, Madrid, 1613) qui dénonce le « danger qui vient des assemblées de théâtre » (J. de Voisin, La Défense du Traité de Mgr le Prince de Conti touchant la comédie et les spectacles, Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1671, p. 409). Voir également Villiers, op. cit., p. 782 ; Bossuet, op. cit., p. 209.
  • [24]
    Nicole, op. cit., p. 75.
  • [25]
    Bossuet, op. cit., p. 209.
  • [26]
    Voir aussi Voisin qui cite Tertullien : « l’expression [par les spectateurs] de leurs sentiments conformes, ou différents […] ne sert qu’à exciter dans leurs cœurs des passions déréglées » (Voisin, op. cit., p. 236).
  • [27]
    Conti, op. cit., « Sentiments des Pères de l’église sur la comédie et les Spectacles », « Épître à Donat », p. 57.
  • [28]
    B. A. Liñán y Verdugo, Guía y avisos de forasteros que vienen a la corte, Madrid, 1620, cité dans M. Vitse, Éléments pour une théorie du théâtre espagnol du XVIIe siècle, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1988, p. 99-100.
  • [29]
    Nicole, Traité de la comédie, éd. cit., p. 73-75.
  • [30]
    P. Camargo, Discurso theologico sobre los theatros y comedias de este siglo, Salamanque, 1689, cité dans M. Vitse, op. cit., p. 110-111. Le valet répond au gentilhomme qui vient les séparer.
  • [31]
    L. L. de Argensola, Memorial sobre la representación de comedias, dirigido al rey D. Felipe II [1598], dans Bibliografía de las controversias sobre la licitud del teatro en Espana réimpr. de l’éd. E. Cotarelo y Mori [Madrid, Revista de Archivos, 1904], Grenade, Université de Grenade, 1997, p. 66-67. Destiné au roi Philippe II, ce texte est, avec d’autres, à l’origine de l’interdiction des spectacles (2 mai 1598).
  • [32]
    Mariana, Tratado contra los juegos publicos [1609], Obras del P. Juan de Mariana, Madrid, Biblioteca de Autores Españoles, 1854, t. 2, p. 426 : « Sabemos muchas veces concertados y hecho un escuadron haber robado para este efecto aquellas mujeres y quitádolas á los faranduleros, de donde resultan graves riñas y heridas y muertes, peleando los mozos y acuchillándose entre sí con los representantes sobre la presa ; y no hay duda sino que muchas vécés los tales mozos se van de unos lugares en otros, despreciados los padres y hacienda por el amor de aquellas mujercillas, ciegos, furiosos ».
  • [33]
    Voir J. Rancière, Le Partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique, 2000. Nous étendons ici la compréhension du « sensible » au régime émotionnel des individus.
  • [34]
    Sur le rôle déterminant de l’adhésion dans l’institution de la valeur littéraire, voir A. Viala, Lettre à Rousseau sur l’intérêt littéraire, Paris, Puf, 2005.
  • [35]
    Mariana, op. cit., p. 426 ; P. Camargo, op. cit., dans Bibliografía de las controversias sobre la licitud del teatro en Espana, p. 127 ; Navarro Castellanos, Discursos políticos, y morales [1682], ibid., p. 484.
  • [36]
    Argensola, op. cit., p. 67 : « la purísima Reina de los ángeles ha sido profanado por estas y por estos miserables instrumentos de torpeza. Y esto es tanta verdad, que representándose una comedia en esta corte, de la vida de Nuestra Señora, el representante que hacía de persona de San José, estaba amancebado con la muger que representaba la persona de Nuestra Señora, y era tan público, que se escandalizó y rió mucho la gente cuando le oyó las palabras que la Purísima Virgen respondió al ángel : Quo modo fiet istud, etc. ». L’anecdote se retrouve dans les pamphlets de Guzmán et de Camargo.
  • [37]
    Il existe néanmoins des cas de séduction masculine, comme le suggère une lettre de Mondory évoquant « un Cid, qui a charmé tout Paris. Il est si beau, qu’il a donné de l’amour aux Dames les plus continentes, dont la passion a, même, plusieurs fois éclaté au théâtre public. » (Mondory, Lettre à Balzac, cité dans H. Merlin-Kajman, « Effets de voix, effets de scènes : Mondory entre Le Cid et La Marianne », dans À haute voix. Diction et prononciation entre 1550 et 1640, O. Rosenthal éd. , Paris, Klincksieck, 1998, p. 161).
  • [38]
    Sur le rapport d’altérité du corps féminin à l’unité absolutiste, voir les réflexions proposées dans M. Greenberg, Baroque Bodies. Psychoanalysis and the Culture of French Absolutism, Ithaca, Cornell University Press, 2001.
  • [39]
    D’Aubignac, La Pratique du théâtre [1657], éd. H. Baby, Paris, Champion, 2000, p. 78.
  • [40]
    Ibid., p. 86.
  • [41]
    Ibid., p. 476-481. L’apostrophe en est l’exemple le plus net : « comme c’est un effet de l’emportement de l’esprit de l’Acteur, elle emporte avec elle l’imagination de ceux qui l’écoutent » (p. 476).
  • [42]
    Ibid.
  • [43]
    W. M. Reddy, The Navigation of Feeling. A Framework for the History of Emotions, Cambridge / New York, Cambridge University Press, 2001.
  • [44]
    Sur le visage comme « modèle de la réception », dans H. Merlin-Kajman, L’Absolutisme dans les lettres et la théorie des deux corps. Passions et politique, Paris, Champion, 2000, p. 90-101.
  • [45]
    Racine, Préface d’Alexandre le Grand [1666], Théâtre. Poésie, éd. cit., p. 126-127.
  • [46]
    Boursault, Artémise et Poliante [1670], ibid., p. 439-440.
  • [47]
    Ibid., p. 440.
  • [48]
    Bossuet, Maximes et réflexions…, op. cit., p. 209.
  • [49]
    Descartes, Les Passions de l’âme [1644], éd. G. Rodis-Lewis, Paris, Vrin, 1991, art. 94, p. 133-135 ; art. 147, p. 173-174. Voir l’article éclairant de P. Hamou, « Descartes : le théâtre des passions », Études Epistémè, n° 1, 2002 ; www.etudes-episteme.org/ee/file/num_1/ee_1_art_hamou.pdf.
  • [50]
    Subligny, Préface à La Folle Querelle ou la Critique d’Andromaque [1668], dans Racine, Théâtre. Poésie, éd. cit., p. 258-259.
  • [51]
    Villars, La Critique de Bérénice [1671], ibid., p. 511.
  • [52]
    P. Perrault, Critique des deux Tragédies d’Iphigénie d’Euripide et de Mr Racine, dans Quinault, Alceste, suivi de la « Querelle d’Alceste ». Anciens et Modernes avant 1680, éd. W. Brooks, B. Norman et J. M. Zarucchi, Genève, Droz, 1994, p. 143.
  • [53]
    Sur la diffusion de la galanterie, voir A. Viala, La France galante, Paris, Puf, 2008.
  • [54]
    Robinet, Lettre en vers à Monsieur et à Madame, 1er août 1671, dans Le Théâtre et l’opéra vus par les gazetiers Robinet et Laurent, op. cit., p. 82-83.
  • [55]
    Ce maintien de l’individualité affective au sein de l’expérience collective rejoint « l’absolutisme classico-baroque » défini par H. Merlin-Kajman comme « une configuration politique dont on pourrait accuser les traits singularisants » (L’Absolutisme dans les lettres et la théorie des deux corps. Passions et politique, op. cit., p. 343).
  • [56]
    W. M. Reddy, op. cit., p. 129.
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