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Article de revue

L'édition des Œuvres de Villon annotée par Clément Marot, ou comment l'autorité vient au texte

Pages 33 à 51

Notes

  • [1]
    M. Lazard, « Clément Marot éditeur et lecteur de Villon », Cahiers de l’Association Internationale des Études Françaises, n° 32, 1980, p. 7.
  • [2]
    Sur le rôle de Galliot Du Pré dans la diffusion des textes vernaculaires, voir J. Balsamo, « La Collection des anciens poètes français de Galliot Du Pré (1528-1533) », L’analisi linguistica e letteraria, 2000 (1-2), p. 177-194.
  • [3]
    Les Œuvres de Françoys Villon, de Paris, reveues & remises en leur entier par Clement Marot valet de chambre du Roy, Paris, Galliot Du Pré, 1553, in-8°. Éd. consultable sur le site http://gallica.bnf.fr.
  • [4]
    J. Balsamo précise (art. cit., p. 183) que l’impression des Œuvres de Villon avait été confiée non plus à Antoine Augereau (responsable de l’impression de 1532) mais à Louis Blaubloom dit Cyaneus.
  • [5]
    Voir Le Recueil des repues franches de maistre François Villon et de ses compagnons, éd. J. Koopmans et P. Verhuyck, Droz, 1995, p. 58.
  • [6]
    Voir J. Cerquiglini, « Marot et Villon », dans J. Dufournet (éd.), Villon et ses lecteurs, Paris, Champion, 2005, p. 23 : « la pensée de Marot est philologique en ce qu’elle est une pensée de la restauration, de l’histoire et de l’attribution ».
  • [7]
    Et pour ce faire « il met en pratique les nouvelles méthodes humanistes dans la recherche d’un texte authentique. L’originalité de Marot, dans cette édition pré-critique, est de les avoir appliquées non plus à un écrivain de l’antiquité, mais à un auteur de langue vulgaire » (M. Lazard, art. cit., p. 18). Le titre choisi par Marot, Les Œuvres de Françoys Villon, rappelle d’ailleurs les titres donnés aux édition d’auteurs de l’Antiquité dans ce XVIe siècle humaniste : Opera omnia… et le terme antique qui désigne la langue de Villon dans le « Prologue » (« antique façon de parler », « antiquité de son parler ») est le même que celui que Marot emploie à propos de la latinité d’Ovide dans l’épître au roi François Ier qui ouvre sa traduction du Premier livre des Métamorphoses (Paris, 1534) : voir Cl. Marot, Œuvres poétiques, éd. G. Defaux, Paris, Bordas, « Classiques Garnier », 1993, t. II, p. 406.
  • [8]
    Il en va de même pour les auteurs de l’Antiquité : à la p. 19, Villon cite « Valere […] le grant » sans que Marot ne précise en note la référence à Valère Maxime.
  • [9]
    Les recueils qui rassemblent les œuvres de Villon et les Repues franches avant cette date sont des recueils factices : voir l’éd. cit. du Recueil des repues franches.
  • [10]
    Voir Cl. Marot, « Épître à Etienne Dolet » [1538], Œuvres poétiques, éd. cit., t. I, p. 9-11.
  • [11]
    Page de titre de l’édition en 1534 de L’Adolescence clémentine.
  • [12]
    Cl. Marot, Œuvres poétiques, éd. cit., t. I, p. 17.
  • [13]
    Il libère Villon comme Villon a libéré son génie poétique ; c’est ainsi que J. Berchtold interprète l’épître de Marot à Lyon Jamet dans L’Adolescence clémentine (« Le Poète-rat : Villon, Erasme, ou les secrètes alliances de la prison, dans l’épître “A son amy Lyon” de Clément Marot », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, t. L, 1988, p. 57-76).
  • [14]
    La tournure hypothétique du prologue (« ce que je vouldroys estre faict aux myennes, si elles estoient tombees en semblable inconvenient ») résonne de manière presque ironique.
  • [15]
    C. Dop-Miller, « Clément Marot et l’édition humaniste des œuvres de François Villon », Romania, t. 112, 1991, p. 225-226.
  • [16]
    Poème liminaire « A son Livre » [éd. de 1538], Œuvres poétiques, éd. cit., t. I, p. 15.
  • [17]
    Parfois l’adresse se fait dans le corps du texte : « Du temps de Villon (lecteurs) fut faicte une petite œuvre intitulee Les dictz de Franc Gontier » (p. 79).
  • [18]
    Poème liminaire « A son Livre », loc. cit.
  • [19]
    G. Tory, Champ Fleury, Paris, G. Tory et G. de Gourmont, 1529.
  • [20]
    Les Œuvres de Françoys Villon, éd. cit., « Prologue », f. A5 r°.
  • [21]
    le Recueil des repues franches, éd. cit., p. 60.
  • [22]
    M. Lazard, art. cit., p. 8.
  • [23]
    Tolérance de courte durée puisque l’affaire des Placards l’année suivante fait basculer la politique royale. Mais dès la fin du mois de mai 1533, Béda est exilé à vingt lieues de Paris (voir Marot, Œuvres poétiques, éd. cit., t. I, p. LXXXI).
  • [24]
    Voir également en note, p. 65 : « Icy Villon n’espergne les monasteres. »
  • [25]
    « Distique du dict Marot. // Peu de Villons en bon savoir / Trop de Villons pour decevoir. »
  • [26]
    Cette édition est plus vraisemblablement attribuée à Michel de Tours par Lidia Radi dans sa thèse : Étude et édition critique du Penser de royal memoire de Guillaume Michel, dit de Tours, dir. Fr. Cornilliat et Fr. Goyet, Universités de Rutgers et de Grenoble, déc. 2005.
  • [27]
    « Marot au Roy nostre souverain », Les Œuvres de Françoys Villon, éd. cit., f. A2 r°.
  • [28]
    Voir d’autres exemples p. 24, 87, 92, 93, 97, 102.
  • [29]
    Éd. P. Levet (Paris, 1489). Marot en l’occurrence est fidèle à la leçon des manuscrits. Voir M. Lazard, art. cit., p. 13.
  • [30]
    C. Dop-Miller, art. cit., p. 232.
  • [31]
    Les Œuvres de Françoys Villon, éd. cit., « Prologue », f. A4 v° : « Quant a l’industrie des lays qu’il feit en ses testamens pour suffisamment la cognoistre et entendre, il fauldroit avoir este de son temps a Paris, et avoir congneu les lieux, les choses, et les hommes dont il parle : la memoire desquelz tant plus se passera, tant moins se cognoistra icelle industrie de sez lays dictz. Pour ceste cause qui vouldra faire une œuvre de longue durée, ne preigne son soubgect sur teles choses basses et particulieres. »
  • [32]
    Voir ibid., p. 93 : « Et icelles fault entendre icelles testes. »
  • [33]
    Cf. ibid., p. 107 : « Si parlons tous, s’entend tous les cinq sens. »
  • [34]
    Comme il déplie le sens de phrases jugées peu claires, Marot déplie les syncopes : il note que « m’ame » est l’équivalent de « mon ame » (ibid., p. 84). De même, l’an 61 est transcrit en marge : « 1461 » (ibid., p. 15).
  • [35]
    C. Dop-Miller, art. cit., p. 230.
  • [36]
    Ibid.
  • [37]
    Voir également p. 16 : « Icy commence Villon à entrer en matière pleine d’erudition et de bon scavoir ». Placé dans le texte à la manière d’un titre, ce genre de commentaire attire notre attention sur le contenu profitable de l’œuvre. Cf. p. 89 : « Belle leçon de Villon aux enfanz perdus ». S’agit-il alors d’une rubrique ou d’une note ?
  • [38]
    Voir p. 21, 25, 26.
  • [39]
    La critique est rare. Faut-il la voir dans une note p. 19 : « don pour donq par trop grand licence poetique » ? La « licence » peut signifier liberté et non une liberté exagérée, « trop » peut signifier beaucoup.
  • [40]
    P. 47. Voir également p. 25, 46 et 55.
  • [41]
    De même à la fin de l’édition du Miroir de l’âme pécheresse (Augereau, 1533), dans La Briefve doctrine pour deuëment escripre selon la proprieté du langaige Françoys dont l’auteur est incertain (Geoffroy Tory, Florimond Robertet, ou Marot ?), la dignité de la langue française est associée à la qualité de sa retranscription. Ce petit traité plaide pour distinguer typographiquement c et ç, é et e tonique masculin, à et a, etc., et s’appuie sur des comparaisons avec le latin, dans le but de « monstrer nostre langue Françoyse, n’estre si mal polie/ et aornée, qu’elle n’ait ses figures, proprietez, et aornementz, aussi bien que la Latine/ et la Grecque : combien que vrayment est grandement surmontée d’elles. »
  • [42]
    P. 30. Mais ce cas ne se représente pas dans les notes : à « moulier » (p. 42), le texte ne donne en note que « femme ».
  • [43]
    Le même mot branc est expliqué p. 2, 57 et 59. Il est rare de trouver une note « comme dessus » (p. 55) instituant un renvoi à une autre note.
  • [44]
    Marot note que Villon emploie « à la mode antique » le pluriel pour le singulier (p. 30, 35 et 91) ; mais il semble que ce que Marot prend pour du pluriel soit dans certains cas un s de désinence du masculin au cas sujet singulier, reliquat de l’ancien français.
  • [45]
    P. 25 : « l’habit des dames, du temps de Villon ».
  • [46]
    C’est « le vocabulaire seul qui, aux yeux de Marot comme des théoriciens contemporains, Geoffroy Tory ou Thomas Sebillet, suffit à caractériser “l’antique façon de parler” » (M. Lazard, art. cit., p. 16).
  • [47]
    « L’histoire est au principe de l’examen de la langue du texte » (J. Cerquiglini, art. cit., p. 159).
  • [48]
    C. Dop-Miller, art. cit., p. 235.
  • [49]
    S. Nichols, « Marot, Villon and the Roman de la Rose : a study in the language of Creation and Re-creation », Studies in philology, vol. LXIII, 1966, p. 140.
  • [50]
    G. Tory, op. cit.
  • [51]
    B. Aneau, Quintil horatien, dans Du Bellay, La Deffence et illustration de la langue francoyse, éd. J.-Ch. Monferran, Genève, Droz, 2001, p. 18-319.
  • [52]
    L. Thuasne, cité par M. Lazard, art. cit., p. 18.
  • [53]
    Une seule fois, à la fin (p. 106), une note précise en marge pour le mot joncherie : « jargon », sans donner de définition. Mais le Prologue affirmait le parti pris de l’édition de ne pas le commenter : « Touchant le jargon, je le laisse a corriger et exposer aux successeurs de Villon en l’art de la pinse et du croq. »
  • [54]
    Une exception est notable p. 111. Alors que Villon affirme dans une ballade rembourser sous peu sa dette en vendant des châtaignes ramassées dans une forêt près de Patay, la note précise : « Entour Patay ny a aucune forest et ny vend on chastaignes ». Le refrain de la ballade de Villon, « Vous n’y perdrez seulement que l’attente », est d’ailleurs à rapprocher des productions de Jean et Clément Marot sur le même sujet, le remboursement ironique d’une dette : voir J. Marot, « Ballade de Maistre Jehan Marot presentée à Monsieur le Trésorier Robertet », Les Deux recueils, éd. G. Defaux et Th. Mantovani, Genève, Droz, 1999, p. 195 ; Cl. Marot, rondeau II de L’Adolescence, ou bien l’épître XIX (Œuvres poétiques, éd. cit., t. I, p. 325).
  • [55]
    Je remercie N. Dauvois d’avoir suggéré la possibilité de cette interprétation.
  • [56]
    Je remercie J. Dürrenmatt pour sa remarque à ce sujet.
  • [57]
    G. Tory, op. cit.
  • [58]
    J. Bouchet, Épître LVII, Epistres morales et familieres du traverseur, Poitiers, 1545 ; réimpr. New York / Paris / La Haye, Johnson / Mouton, 1969.
  • [59]
    Cl. Marot, Œuvres poétiques, éd. cit., t. II, p. 73.
  • [60]
    Les Œuvres de Françoys Villon, éd. cit., p. 2, 57 et 59. Il n’est pas anodin que ce soit Jehan le Cornu qui reçoive en héritage ce « branc »…
  • [61]
    Cl. Marot, Œuvres poétiques, éd. cit., t. II, p. 731. Le poème est paru dans un recueil publié en 1534 chez Galliot Du Pré et intitulé Les Fleurs de Poésie françoise.
  • [62]
    Voir également p. 24 : « Notez bien ».
  • [63]
    Séance inaugurale du séminaire de l’équipe ELIRE sur la note (2005-2006).
  • [64]
    Dans le Prologue, Marot est d’avis que les jeunes poètes « cueillent ses sentences comme belles fleurs » (f. A4 v°).
  • [65]
    C. Dop-Miller, art. cit., p. 237.
  • [66]
    « Faire accéder à la lecture anonyme un texte dont une grande partie semble destinée à se perdre dans l’échange avec des destinataires/lecteurs particuliers » (ibid., p. 239).
  • [67]
    Ibid., p. 237 ; cf. p. 240 : « Villon, par certains côtés, est irréductible : on ne peut le conduire tout entier dans l’utile et le beau ».
  • [68]
    Cl. Marot, Œuvres poétiques, éd. cit., t. II, p. 361.
  • [69]
    Les Œuvres de Françoys Villon, éd. cit., « Prologue », f. A3 r°.

1L’édition de Clément Marot n’est pas la première des éditions de Villon : la plus ancienne édition connue est celle de Pierre Levet, à Paris, en 1489. On dénombre neuf autres éditions du XVe siècle et vingt-cinq qui se succèdent pendant la première moitié du XVIe siècle [1], période pendant laquelle Villon est donc un succès de librairie. En 1532 paraît une édition de Villon chez le libraire parisien Galliot Du Pré ; et dès l’année suivante, en septembre 1533, chez le même libraire [2], l’édition due à Clément Marot [3]. La comparaison de la première page du Grand Testament dans l’édition de 1532 avec celle de 1533 donne une idée de la différence de soin et de qualité des deux livres [4], et dans la mise en page tout d’abord. En 1532, le texte occupe toute la page, alors que l’édition de Marot joue avec le blanc qui permet d’aérer le texte, de rendre compte de la structure strophique des huitains. La lettre ornée en 1533 se substitue à la pauvreté ornementale du E de 1532 et marque mieux le seuil du texte, comme la présence d’un titre, absent dans l’édition précédente. On peut alors se demander si dans ce cadre la marge ne prend pas elle aussi une valeur ornementale, une valeur d’apparat : elle est un signe du soin apporté à l’édition. Dans la mise en texte, d’autre part, la différence de qualité entre les deux éditions est visible : les rimes sont rétablies correctement dans l’édition de Marot, le nombre de syllabes du troisième vers passe à huit syllabes comme il se doit, et enfin le verbe boire au second vers sera conjugué correctement au passé antérieur.

2Cette comparaison des deux éditions justifie pleinement la préférence qu’accorderont les lecteurs à l’édition de Marot, reproduite dix fois jusqu’en 1542. Entre 1542 et 1723, il n’y aura plus d’éditions de Villon [5], probablement sous l’effet de la censure ; Marot lui-même est obligé de fuir à Genève en 1542, et le 1er juillet est mise en place une police des livres très sévère. Or, sur l’ensemble des éditions du XVIe siècle que nous avons consultées, celle de Marot est la seule édition annotée. La très grande majorité des notes sont philologiques. Comme Marot a voulu restituer le texte original dans la langue du moyen français de Villon [6], il nous donne des clés de lecture dans les marges : les notes relèvent en grande partie de la traduction [7].

3À cet égard, il est frappant de constater l’absence totale de note d’autorité, c’est-à-dire de références ou à la Bible, ou aux Pères de l’Église, ou aux auteurs de l’Antiquité, à une tradition autorisée qui viendrait appuyer la vérité de ce qui est dit dans le texte, et en légitimer la lecture. Aucune note de cet ordre, alors même que dans le texte de Villon, quoiqu’on puisse lire par ailleurs, certains passages pourraient prétendre à être commentés en note de cette façon (ce que font les éditeurs modernes comme Jean Dufournet), en donnant la référence biblique par exemple. Un exemple est significatif de ce point de vue : à la page 14 de son édition, Marot, traducteur de Psaumes, est tout à fait capable de restituer la source de Villon, le psaume 108, puisqu’il en cite le contenu : « Au verset dont il parle y a … ». Mais il ne cite pas la Bible en tant qu’autorité ici ; il restitue seulement de la source ce qui est nécessaire pour comprendre le texte. Notons d’ailleurs qu’il ne dévoile absolument pas la charge ironique implicite dans le recours à la citation du psaume et qui tient du décalage entre l’apparente louange (Deus laudem meam…) et la réalité d’une parole de malédiction (« Que ses jours soient abrégés… »). De même Villon fait allusion à Loth ou à Noé (p. 69) ou à un passage de l’Exode (p. 107), mais Marot n’accompagne pas le texte de notes d’autorité. Tout au plus trouve-t-on en marge, à la page 110, où Villon cite Salomon et s’inspire du Livre de la Sagesse : « Salmon pour Salomon par sincope. » Le commentaire de Marot se situe non du point de vue de la recherche d’autorité mais d’un point de vue rythmique et poétique [8].

4Pourtant, Marot n’ignore pas cette pratique des notes d’autorité : dans l’édition du Miroir de l’âme pécheresse de Marguerite de Navarre, qui paraît à la fin de l’année 1533 et dont certains attribuent la supervision à Marot, les notes d’autorité abondent : il s’agit il est vrai de garantir l’orthodoxie du livre de la reine et de la protéger de la censure des théologiens. Dans l’édition de Villon, l’absence de notes d’autorité peut s’expliquer de deux manières, non exclusives l’une de l’autre. D’une part, habiller Villon de références bibliques aurait sans doute paru aller un peu loin dans la réhabilitation de Villon… D’autre part, et c’est l’explication que nous allons privilégier, Marot s’ingénie à donner un autre type d’autorité au texte que celui qui lui viendrait de cautions extérieures. Cette autorité, ce sont les notes elles-mêmes qui vont contribuer à la lui conférer. Ainsi, il semble que la pratique des notes de Marot dise beaucoup du statut du texte littéraire dans la première moitié du XVIe siècle, et du profit que certains poètes voient possible de tirer de l’imprimerie et des marges de la page pour définir une nouvelle autorité, autorité d’auteur ou plutôt du texte.

5Mais quelles sont les raisons qui ont poussé Marot à entreprendre cette nouvelle édition de Villon ? L’édition de 1532 parue chez Galliot Du Pré en a été le déclencheur : Marot s’est sans doute offert de corriger le texte fautif ; mais autre chose le choquait dans cette édition, que la critique a semble-t-il sous-estimé : cette édition de 1532, comme celle des Œuvres de Villon parue chez Antoine Bonnemere en 1532, imprimait pour la première fois, à la suite des poèmes de Villon, et comme si ces textes étaient de lui, le Recueil des repues franches[9], un ensemble de nouvelles qui racontent comment une bande de joyeux compagnons sans argent parvient par les ruses les plus basses à s’offrir des repas gratuits (des « repues franches »). Ces nouvelles étaient célèbres, on en compte dix-sept éditions entre 1493 et 1533. Mais si la tradition était de les attribuer à Villon et à ses compagnons, aucune édition jusqu’en 1532 n’avait franchi le pas de mettre sur le même plan les lais, le Grand Testament et les Repues franches.

6Dans cette assimilation intempestive aux œuvres reconnues de Villon, ce qui a choqué Marot ne vient pas du contenu des nouvelles : Villon dans Le Petit et le Grand Testament sait être aussi grivois, aussi scatologique, voire plus obscène. Ce qui l’a choqué est sans doute qu’on ait attribué à un auteur ce qui ne lui appartient pas. C’est à cette désinvolture des éditeurs à l’égard de l’auteur qu’il veut remédier. Ces mésaventures des auteurs avec leurs éditeurs ne touchaient pas uniquement les auteurs défunts : de son vivant, Jean Bouchet avait dû se battre avec Antoine Vérard qui avait attribué à Sébastien Brandt la paternité de ses œuvres pour assurer une meilleure publicité, et Marot lui-même avait dû mettre fin aux fausses attributions en publiant en 1532 L’Adolescence clémentine, revue et corrigée par lui [10].

7Villon prévoyait d’ailleurs, non sans ironie, le destin peu respectueux qui allait être celui de ses œuvres : il avait déjà constaté de son vivant qu’on avait attribué à ses lais un titre qu’il conteste :

8

Si me souvient bien (dieu mercys)
Que je feis a mon partement
Certains lays l’an cinquante six
Qu’aucuns (sans mon consentement)
Voulurent nommer testament
Leur plaisir fut, et non le myen
Mais quoi ? on dit communement
Qu’ung chascun n’est maistre du sien.
(p. 47)

9Et sans illusion il prévoit que son exécuteur testamentaire aura la faculté

10

De le gloser et commenter
De le diffinir ou preescrire
Diminuer ou augmenter
De le canceller ou transcrire
De sa main (ne sceust il escrire)
Interpreter et donner sens
A son plaisir, meilleur ou pire.
(p. 96)

11Villon admet ironiquement toutes les déformations que subira son texte… C’est avant l’heure un anti-portrait de l’éditeur idéal. Mais Marot ne l’entend pas de cette oreille, et il en fait une question de principe. C’est ce qu’il expose dans le Prologue de son édition, lequel a beaucoup frappé les esprits puisqu’il y évoque le respect de l’original d’où découle la rigueur philologique de l’édition. Marot se veut comme l’exécuteur testamentaire de cette œuvre poétique léguée à sa génération : plus que jamais le texte de Villon pose la question du devenir du texte poétique après la mort de l’auteur, ou quand il a quitté la main de l’auteur pour passer dans celle du lecteur ou de l’éditeur. À travers le cas de Villon, c’est le statut de tout texte poétique dont l’auteur n’a plus la maîtrise qui est posé.

12L’ambition de cette édition de Marot est donc tout d’abord de rendre à Villon ce qui appartient à Villon, projet annoncé dans le distique sur la page de titre :

13

Peu de Villons en bon savoir
Trop de Villons pour decevoir

14Marot annonce qu’il ne trompera pas le lecteur en lui faisant lire du Villon qui n’en serait pas : mieux vaut en lire moins mais en avoir une vraie connaissance. Ce n’est pas dans cette édition qu’on lira les Repues franches.

15D’un point de vue éditorial, il y a donc une justice poétique à rétablir. Marot manifeste la notion de propriété littéraire, et encore une fois il est intéressant de comparer à cet égard le paratexte de L’Adolescence clémentine avec celui de l’édition de Villon. Marot édite ses propres œuvres

16

reveues et corrigees selon sa dernière recongnoissance. Et ne sont en ce present livre autres meschantes œuvres mal composees, que on impose estre du dict acteur, lesquelles il reprouve et desavoue, comme il appert par le privilege par luy obtenu pour ceste presente impression. [11]

17Et il affirme dans l’épître « A ung grand nombre de freres qu’il a, tous enfans d’Apollo » la paternité d’un livre bien imprimé :

18

Je ne sçay (mes treschiers Freres) qui m’a plus incité à mettre ces miennes petites jeunesses en lumiere, ou voz continuelles prieres : ou le desplaisir, que j’ay eu d’en ouir crier et publier par les Rues une grande partie toute incorrecte, mal imprimée, et plus au proffit du Libraire, qu’à l’honneur de l’Autheur. [12]

19Dans le cas des Œuvres de Françoys Villon, le huitain liminaire imité du poète médiéval entend « reduire » le texte, c’est-à-dire le rétablir ; le privilège de cette édition parle d’œuvres « reveues, corrigees, et restituees à leur vraye intelligence ». Les métaphores vestimentaires ou médicales jalonnent le Prologue pour parler d’un texte qui a retrouvé son vêtement propre, ou dont les blessures sont cicatrisées. Ainsi Marot, poète admirateur de Villon, inspiré par lui à tel point qu’il se sent en dette vis-à-vis de l’auteur médiéval [13], donne à son prédécesseur ce qu’il aurait aimé recevoir lui-même pour son œuvre [14]. « Il rétablit l’autorité du poète sur le texte qu’il a composé [15] », privilégiant ainsi le respect de l’intention de l’auteur.

20L’ambition de Marot est donc de reproduire respectueusement le texte en l’imprimant tel qu’il a pu sortir de la main de l’auteur, c’est d’ailleurs avec une image empruntée à l’univers du manuscrit que Marot s’adresse « à son Livre » en 1538 : « Racler je veulx (approche toy mon Livre) / Ung tas d’escriptz, qui par d’aultres sont faictz [16]. » Contre une nouvelle technologie qui arrache parfois violemment l’enfant-livre à son père, Marot réagit de manière constructive en collaborant avec les imprimeurs. Il s’agit pour le poète de retourner les inconvénients de l’imprimerie en imposant un contrôle sur le livre. Car l’imprimerie a cet avantage de pouvoir offrir la reproduction indéfinie d’un texte dès lors inaltérable.

21Mais ce souci de l’intention de l’auteur n’est-il pas anachronique de la part de Marot à l’égard de Villon ? Cette démarche n’est-elle pas typiquement renaissante par rapport à une conception médiévale, qui serait celle de Villon et qui concevrait encore la « mouvance » du texte comme constitutive du texte littéraire ? Difficile à dire : un certain nombre de critiques pensent que cette démarche qui consiste à fixer le texte va à l’encontre de la poétique de la dispersion de Villon (la dispersion de ses biens dans son Testament serait alors à l’image d’une conception du texte où les poèmes sont voués à passer en d’autres mains, déformés, reformés). Cependant on peut s’appuyer sur les deux textes cités plus haut pour montrer que Villon est ironique quand il évoque la fatalité d’une telle dispersion et déformation, et qu’il est au contraire sensible quand on invente un titre, le Petit Testament, à ce qu’il avait appelé « lais ». Marot attire d’ailleurs l’attention sur le point de vue de l’auteur en évoquant « le petit testament de Villon, ainsi intitulé sans le consentement de l’autheur, comme il dit au second livre » (p. 1), ce qui justifie aux yeux de Marot son propre présupposé, qui est qu’il existe une volonté expresse de l’auteur. Sa démarche philologique est justifiée par l’intention présupposée de l’auteur, et les notes vont avoir le rôle de compenser la difficulté de lecture liée à la restitution de l’original par des éclaircissements linguistiques.

22Or l’édition annotée de Marot se justifie également par son désir de conquérir pour Villon un nouveau lectorat. Alors que son père Jean Marot n’a jamais cherché à être imprimé parce qu’il n’a jamais cherché d’autres destinataires que de nobles particuliers comme Anne de Bretagne, l’édition de Marot veut profiter de l’imprimerie pour gagner un nouveau public de lecteurs anonyme et universel : les apostrophes au lecteur dans les notes sont récurrentes, par exemple (p. 21) aux « jeunes gens » puis aux « lecteurs [17] », les notes ayant cette fonction de nouer un lien entre l’éditeur Marot et le lecteur. Et c’est à un lectorat très large que Marot lui-même dédiait son Adolescence : « Peuples, et Roys s’en tiennent bien contentz [18]. » Ce nouveau lectorat, Geoffroy Tory y faisait allusion dans le Prologue du Champ Fleury qu’il fait paraître en 1529 : il dédie son œuvre aux « amateurs de belles Lettres », rompant avec la dédicace au Roi ou au mécène :

23

Les Poetes : les Orateurs : et les autres Scavans en Lettres et Sciences […] ont de costume en faire present a quelque grant Seigneur de Court ou d’Esglise […]. Je porrois facilement ainsi faire de ce petit Livre, mais […] j’ay avise que ce seroit honnestement faict a moy de vous en faire a tous ung present O Devotz Amateurs de bonnes Lettres sans preferer grant a petit, si non qu’il ayme plus les Lettres, et qu’il est plus intime en vertus. [19]

24Ce souci partagé du lecteur explique donc la nouvelle édition annotée de Marot. Les notes permettent de préserver l’intégrité de l’« antique façon de parler [20] » en le mettant à la portée du public contemporain.

25Le texte édité par Marot, raccoutré, restauré, fait ainsi autorité au sens où il est fidèle à l’original (et la restitution de la langue de Villon y participe) ; mais le texte de Villon fait autorité au sens également où Marot le présente comme l’illustration de la langue française d’une époque, et d’une langue poétique particulière. Cependant, ce génie poétique a parfois été dissimulé derrière la réputation qui est trop souvent associée à Villon à cette époque, celle d’un vaurien, d’un homme « dédié au gibet » pour reprendre une expression de Geoffroy Tory. L’autorité poétique de Villon se trouvait menacée par une image défavorable de l’auteur, que Villon se donne lui-même dans ses œuvres, et qui ressort des Repues franches qui lui sont attribuées. Ce « bon renommé Villon » comme il se désigne ironiquement à la fin des lais ou Petit Testament (p. 11) est étymologiquement associé à la vilenie par Guillaume Budé ou Étienne Pasquier [21] : villon est synonyme de trompeur, puisque villoner, c’est tromper. Au chapitre XXX du Pantagruel (publié en 1532), Villon aux enfers pisse dans un baquet à moutarde parce que Xerxès veut le lui vendre trop cher ! C’est cette image de joyeux farceur qui éclipsait en 1533 celle de l’écrivain de génie [22]. Certes, Marot sait que Villon n’est pas un enfant de chœur, mais il sait aussi qu’il bénéficie en 1533 d’une situation particulière de grande tolérance [23]. Et il va s’ingénier à reconstruire une « autorité » poétique de Villon sans que la moralité de Villon puisse être mise en cause.

26Un des moyens employés pour y parvenir est de déplacer l’examen de Villon du point de vue moral au point de vue poétique. Le début du huitain liminaire nous oblige à envisager ce déplacement : « Si en Villon on treuve encor a dire… ». Contrairement à ce qu’on pouvait attendre, c’est de l’établissement du texte qu’il s’agit ici, et non du portrait moral de l’auteur. Un autre moyen est de montrer que les réflexions de Villon qui pourraient lui attirer les foudres sont conformes aux conceptions du XVIe siècle. Ainsi en va-t-il de la satire du clergé. Ce passage du Grand Testament, « il ne fault pas dire / Si gens sont pour eulx revencher » (p. 66), est annoté de la sorte : « Mendians sont gens pour eulx revanger. » Le choix du présent permet de valider la critique de Villon, y compris du point de vue de l’actualité religieuse du XVIe siècle [24]. La troisième manière qui est mise en action dans les notes est enfin celle qui consiste, de façon un peu inattendue, à faire de l’œuvre de Villon un répertoire de sentences morales. Comment les notes construisent-elles en détail l’autorité morale et poétique des œuvres de Villon ? Telle est la question qui nous occupera dans l’analyse des marges écrites par Marot.

27Au préalable, il convient de souligner que l’autorité du texte de Villon peut d’autant mieux s’imposer que l’éditeur lui-même, Clément Marot, rédacteur des notes marginales, rappelle implicitement ou explicitement l’autorité dont lui-même bénéficie. La page de titre met en valeur une double autorité qui fonde Marot à éditer Villon. Autorité de poète tout d’abord : le distique initial, sur la page de titre, désigne Marot en tant que noble faiseur de vers [25] ; et de fait, en 1533, Marot est une autorité poétique. Il a édité L’Adolescence clémentine en août 1532 à Paris chez Pierre de Roffet (sous les presses de Geoffroy Tory) et le recueil a connu immédiatement un grand succès puisque de nombreuses rééditions se succèdent en octobre et novembre 1532, en février, juin et juillet 1533. Mais il a aussi déjà une réputation d’éditeur, puisqu’il a fait imprimer en 1532, chez Pierre de Roffet, les œuvres de son père. De surcroît paraît à la fin de 1533 une nouvelle édition du Miroir de l’âme pécheresse (Paris, Antoine Augereau), dont certains lui attribuent l’initiative, comme la paternité de l’édition du Roman de la Rose publiée en 1531 chez Jean Petit [26]. En 1534, il fera paraître sa traduction du Premier livre des Métamorphoses d’Ovide. Les Œuvres de Françoys Villon s’inscrivent donc pour Marot dans un contexte de grande activité éditoriale, lié à un climat de grande tolérance et d’enthousiasme à l’égard des lettres.

28Mais Clément a aussi un nom synonyme de vaurien : maraud. En 1533, il a déjà connu par deux fois la prison… et 1534 sera le début de sa querelle avec Sagon. Marot sait qu’il ne compte pas que des amis, y compris dans le milieu des lettres. Le poète est donc lui aussi en quête d’autorité, et c’est pourquoi sans doute il prend soin de redoubler son autorité propre de la protection royale. La page de titre le met bien en valeur : Marot est « valet de chambre du Roy », entretenant une relation privilégiée avec François Ier à qui, semble-t-il, il a lu des passages des Œuvres de Villon. Le poète se fait alors le relais de l’autorité royale. Par deux fois dans le paratexte, il rappelle le désir royal de voir l’édition marotique de Villon publiée, dans le huitain liminaire (« Le gré à vous en doyt estre rendu, / Qui fustes seul cause de l’entreprise [27] ») et à la fin du Prologue :

29

Roy mon souverain, qui est cause et motif de ceste emprise, et de l’execution d’icelle, pour l’avoir veu voulentiers escouter, et par tresbon jugement estimer plusieurs passages des œuvres qui s’ensuyvent.

30L’autorité de l’éditeur vient ainsi de la confiance qu’a placée le roi en lui ; elle vient du plaisir et de l’estime qu’a manifestés le roi à l’égard du texte mis sous nos yeux (sans que Marot ne soit plus précis sur les critères qui ont emporté la faveur royale…). Nul n’oserait contredire un tel lecteur, royal s’il en fut. Ainsi l’autorité de l’édition de Marot ne se mesure pas à sa conformité avec telle ou telle vérité aperçue dans tel au tel passage de la Bible ou des textes anciens : l’autorité se mesure au plaisir de son lecteur, leçon qu’il nous faudra retenir. En définitive, le rédacteur des notes, leur énonciateur, peut se prévaloir d’une autorité à la fois de poète, d’éditeur et d’exécuteur du bon plaisir royal.

31Dans quelle mesure cependant l’annotation de Marot contribue-t-elle à conférer précisément une autorité propre au texte de Villon ? La fonction des notes est d’emblée explicitée par le Prologue : « Je vous ay exposé sur la marge avecques les annotacions ce qui m’a semblé le plus dur à entendre. » Autrement dit, les notes sont d’abord là pour clarifier le sens du texte, élucider les obscurités de la langue de Villon. Les notes participent pleinement de l’entreprise philologique : elles permettent à Marot de mettre en scène le fait qu’il a bien respecté l’original, qu’il n’a pas modernisé le texte puisqu’il a besoin d’en donner une traduction, le cas échéant. Les notes permettent donc d’éclairer le lecteur pour pallier les inconvénients d’une édition originale.

32Si l’on tente de dresser une typologie des notes de Marot, il apparaît que les notes philologiques explicitant le vocabulaire sont les plus nombreuses (environ 131 notes). Nous trouvons par ailleurs des notes historiques (une quinzaine), des notes de contextualisation, qui explicitent l’identité de tel ou tel personnage, de tel ou tel toponyme. Ainsi, en face de « la maschecroue » une note explique : « une rotisseuse du temps [28] » (p. 60), l’expression « du temps » revenant souvent dans ce type de note. Le vers « A maubuay sa gorge arrouse » est glosé en note : « La fontaine maubuay » (p. 61). Cette note en apparence anodine met en lumière la différence de l’édition de Marot avec celles qui précèdent et qui donnaient comme leçon : « A mal boire sa gorge arrousé [29] ». Certaines notes, peu nombreuses, renvoient à la biographie de Villon : « il appert que Villon ne fut que banny » (p. 108).

33Sur la totalité des références qui seraient nécessaires pour comprendre le texte, ces notes de contextualisation sont en fait très peu de chose. Si Marot donne des informations de nature biographique ou historique, son propos n’est pas de faire une biographie exhaustive du poète ou une histoire du temps de Villon, mais de mettre en avant « la part que joue le réel dans l’imaginaire poétique ». Les notes attirent l’attention sur la « poésie du concret [30] » qui est celle de Villon, mais le regard de l’éditeur est tourné vers le résultat de cette métamorphose du concret en poésie universelle. Dans le Prologue, il regrette d’ailleurs la trop grande abondance de « particularismes » dans les lais [31] : peut-être lui-même ne les comprend-il déjà plus ?

34À côté de ces notes biographiques ou historiques, nous trouvons un certain nombre de notes de syntaxe (une vingtaine) : leur rôle est d’expliciter l’antécédent d’un pronom [32], ou le sens explicite d’une phrase elliptique. Marot écrit ainsi en note : « Le sens de ce couplet est imperfaict : par quoy fault supplier […]. » (p. 12) ; « Faut supplier, je luy donne, ou laisse. » (p. 58) ; « Icy s’entend [33]… » (p. 39). Pour plus de clarté [34], il restitue en marge d’un dialogue (p. 18) le nom des interlocuteurs (Alexandre et Diomède) pour mieux distinguer le changement d’énonciateur. Parfois Marot semble avouer ses difficultés à clarifier le sens du texte : « Prebstres et decretistes entendent ces quatre vers. » (p. 3). Est-ce un aveu d’incompréhension qui rappellerait les mots du huitain liminaire « Plus y ai travaillié qu’entendu » ? Ou bien Marot cherche-t-il par la note à mettre en valeur la culture de clerc de Villon ?

35Dans cette entreprise de clarification du texte de Villon destinée à faciliter la lecture, les notes ne sont qu’un élément parmi d’autres : les titres qu’ajoute Marot occupent la même fonction. Ils donnent « au lecteur accès de façon immédiate au sens du poème et en rend[ent] la lecture facile. La “Ballade à sa mère” (Galliot du Pré, 1532) devient “Ballade que Villon feit à la requeste de sa mère pour prier notre dame” [35] ». Les titres « La ballade des dames du temps jadis », « des seigneurs du temps jadis », « Autre ballade à ce propos » mettent immédiatement en lumière la structure des œuvres de Villon [36]. Ne peut-on pas penser d’ailleurs que ces titres ont le statut de notes ou de commentaires qui ne seraient pas en marge [37] ? La situation marginale est-elle nécessaire pour faire d’un commentaire une note ?

36Outre ces notes de syntaxe, le lecteur est gratifié de notes de métrique (au nombre de sept), qui consistent surtout à signaler un décompte de syllabes inhabituel [38]. Elles sont parfois accompagnées de l’approbation par Marot du choix qu’a fait Villon, comme ici : « Il a tresbien faict Procreee, quadrissilabe » (p. 108), ou bien dans un éloge implicite [39] : « Il faict eage trissilabe comme Peage, si faictz le Roman de la Rose » (p. 12). Peuvent se rattacher à ces notes de poétique les notes sur la prononciation (au nombre de 10) : « les anciens disoient oef pour œuf » (p. 46). La plupart d’entre elles sont là pour rappeler qu’à Paris on prononce les er comme des ar : «Fault prononcer tarre pour terre, et Sarre pour serre a cause du terrouer [40] ». Marot attire toujours l’attention sur la prononciation quand les mots sont à la rime, pour que le lecteur du XVIe siècle puisse revenir de son étonnement en prenant la mesure de la différence de prononciation.

37Cependant, les notes sont pour l’essentiel philologiques et portent sur le vocabulaire. Plusieurs caractéristiques peuvent leur être attribuées. En premier lieu, elles manifestent une volonté de clarté dans la mise en page : le mot expliqué est répété en marge en face de son apparition dans le corps du texte ; la retranscription formelle est donc soignée. Or on sait que la mise en page peut être le signe de la dignité à laquelle est en droit de prétendre le texte commenté. Dans son Champ Fleury, Geoffroy Tory passe ainsi de longues pages à démontrer un rapport de proportion entre la lettre typographique romaine et le corps humain. Cette attention à la forme, à la transcription, est symbolique d’un attachement à la dignité de la langue française [41]et, de notre point de vue, elle est aussi de la part de Marot le signe d’une volonté d’élever la langue française de Villon. En second lieu, on remarque dans ces notes philologiques l’absence de systématisme dans la définition. Si la plupart du temps la note livre le nom et sa définition avec une grande économie de moyens (« mais, plus », p. 25), il n’y a pas pour autant de règles. Par exemple, Marot ajoute à la définition « ly senez, le vieil ou ancien » l’étymologie du mot : « Et est extraict de Senex, vocable latin [42] ». Parfois le sens proposé est donné comme peu sûr : « selon mon jugement » (p. 6). Parfois Marot propose deux définitions, comme s’il nous invitait à suivre sa réflexion dans un style presque oral : « A ma deffacon. A ma deffaicte. A ma mort » (p. 2). Même chose à propos d’un titre de poème : « Lay, ou plustot rondeau » (p. 57). Tout se passe comme si Marot s’exprimait tout haut en s’adressant au lecteur.

38Ce n’est donc pas un traité de la langue française que les notes cherchent à établir, mais seulement un guide de lecture très confortable pour le lecteur, d’autant que Marot répète les définitions comme si le mot apparaissait à chaque fois pour la première fois [43]. Il est probable que l’annotateur se rappelait avoir déjà expliqué le mot mais sans doute a-t-il voulu éviter au lecteur un retour en arrière dans sa lecture, à moins qu’il ait tenu compte de la manière discontinue et non linéaire dont on pouvait lire le recueil au XVIe siècle.

39Marot porte un véritable intérêt philologique à l’égard de la langue de Villon : il s’emploie à souligner ce qui dans le vocabulaire témoigne d’une évolution de la langue, ou de particularismes dialectaux. L’expression un tantinet est commentée comme suit : « ung peu et ne se dit gueres hors Paris » (p. 63). Tel trait dialectal est associé à un état ancien de la langue : « Tayon, pere grant en langage picard, duquel Paris tenoyt plus lors que a present. » (p. 29). Quant à l’expression « Brelare Bigod » (By our Lord / By God), elle donne lieu à une note linguistique très riche (p. 85) : « Brelare Bigod, en Angloys, Dieu et nostre Dame, et appert icy que du temps de Villon restoit encore a Paris quelque mot des Angloys qui avoient passé par la. » L’annotation se plaît à souligner l’évolution de la langue [44] en multipliant dans les expressions « à l’antique », « à la mode antique », « du temps de Villon [45] » qui signalent le décalage entre un état ancien de la langue, cette « antique façon de parler » qu’annonçait le Prologue, et la langue des contemporains de Marot. Or pour l’éditeur de Villon, il est manifeste que le vieux langage se définit essentiellement par le vocabulaire [46].

40Il apparaît dès lors que l’abondance de ces notes philologiques manifeste une volonté d’illustrer avec Villon la langue française en la situant dans une histoire [47] : le Prologue parle en ce sens de recueillir « les bonnes escriptures françoises ». « Grâce à la marge, Marot peut ne pas toucher à Villon, montrer, comme il le dit dans sa préface à la traduction d’Ovide, la “mine du noble poète” et en même temps marquer “quelle différence peut être entre les anciens et les modernes” [48]. » L’annotateur intègre la connaissance de cette langue comme processus nécessaire à l’essor de la langue française et à l’illustration des ressources poétiques de la langue vernaculaire [49]. Là encore, Marot rejoint Geoffroy Tory :

41

J’en voy qui veulent escripre en grec et en latin et ne scavent encore pas bien parler françois… Il me semble soulz correction qu’il seroit plus beau à ung François escripre en françois qu’en autre langage, tant pour la seureté de son dict langage françois que pour décorer sa nation et enrichir sa langue domestique, qui est aussi belle et bonne que une autre, quand elle est bien couchée par escript […]. [50]

42Vingt ans avant Du Bellay, Tory ambitionnait d’illustrer la langue française mais avec des moyens qui n’excluent pas les auteurs du passé.

43L’acte de Marot dans ses notes, acte d’élévation de la langue de Villon à la dignité de la langue française et poétique, trouvera un écho beaucoup plus tard, chez Barthélemy Aneau qui, prenant le contre-pied de Du Bellay (en particulier du chapitre III de la Défense et illustration qui ne sauve du Moyen Âge que Jean de Meung, Alain Chartier et Jean Lemaire), écrit dans son Quintil horatien (1551) :

44

Tu accuses à grant tort, et tresingratement l’ignorance de nos majeurs, que au 9. chapitre moins rudement tu appelles simplicité, lesquelz nos majeurs certe n’hont esté ne simples ne ignorans, ny des choses, ny des parolles. Guillaume de Lauris, Jan de Meung, Guillaume Alexis, le bon moine de l’Yre, Messire Nicole Oresme, Alain Chartier, Villon, Meschinot, et plusieurs autres n’hont point moins bien escrit, ne de moindres, et pires choses, en la langue de leur temps propre et entiere, non peregrine, et pour lors de bon aloy, et bonne mise, que nous à present en la nostre. [51]

45Sans être élogieuse, la remarque est intéressante parce qu’elle donne à Villon une place dans l’histoire de notre belle langue française. C’est cette autorité là que les notes contribuent à donner au texte du poète médiéval.

46Dans le bref catalogage des notes que nous venons de proposer, il est remarquable que Marot n’entre jamais dans une analyse du texte qui donnerait le point de vue d’un lecteur-éditeur sensible à la polysémie et aux jeux de mots : l’annotateur est autant que possible en retrait, pratiquant la note « ancillaire » minimale. Or cette position a parfois été critiquée, certains jugeant le commentaire de Marot « presque toujours insignifiant quand il n’est pas erroné [52] ». Mais précisément ces notes sont passionnantes par leur neutralité même. Tout d’abord, elles ne renvoient jamais à un autre texte que celui de Villon : elles aident simplement le lecteur à lire le texte, invitant à une sorte de lecture autarcique, que nul renvoi à un texte antique ou biblique extérieur ne vient ralentir. Autrement dit Marot utilise la marge comme une vraie marge : à aucun moment nous n’avons un doute sur le texte premier, le texte qui doit être au centre de la lecture.

47Or cette façon de s’effacer devant le texte de Villon, sans jamais le juger, constitue, par le dénuement même des notes d’autorité, le texte lui-même en seule autorité. L’annotation la plus éclairante qui va dans ce sens est le « notez » (p. 18- 19) qui ne renvoie qu’au texte lui-même. Le texte acquiert ainsi une autorité qui n’est pas redevable à un quelconque message vrai ou universel cautionné par des autorités : c’est une autorité qui vient uniquement du statut littéraire et à part qu’acquiert le texte. Autrement dit les notes, en ne renvoyant le texte qu’à lui-même, tout en le dotant du sérieux de cet apparat, constituent le texte, l’authentifient comme autorité, au nom de son irréductible littérarité. Les marges tournent le regard vers le texte. Remarquable est donc cette discrétion de Marot qui laisse à l’œuvre son pouvoir sémantique et littéraire intact, et qui ne fait jamais de lien entre sa propre poésie et celle de Villon. Marot dans ses notes est un simple lecteur-éditeur ; l’ethos de celui qui commente le texte dans les marges n’est pas celui du poète imitateur.

48Mais cette façon qu’ont les notes d’attirer l’attention sur cette belle et antique langue de Villon, sur cette veine « héroïque » comme il le dit dans le Prologue, se fait au prix d’un silence : à aucune moment dans les notes, Marot ne donne le niveau de langue ou le sens second, figuré et grivois des termes commentés. Le mot mouse par exemple (p. 61) est bien défini en marge comme étant le museau, mais Marot ne précise pas que le mot est vulgaire, il ne dit rien du niveau de langue. Quand il donne le sens de l’adjectif enfermes dans l’expression : « amans enfermes » (p. 94), Marot ne donne que le sens édulcoré (malades), qui permet de ne pas confondre l’adjectif avec le verbe enfermer, alors que l’étymologie même (infirmus) invite à un sens second d’ordre sexuel (impuissant). Marot s’en tient à une langue édulcorée dans les définitions. Même silence dans l’élucidation des allusions à des lieux ou à des personnages. Le « Trou Perette » (p. 101) est glosé de manière littérale : c’est le nom d’une salle où l’on pratique le jeu de paume. De même l’expression « jouer en ung trippot » dans le vers précédent n’est pas rapprochée de l’expression figurée « faire l’amoureux tripot », qui signifie faire l’amour. Au lecteur d’imaginer ce qui se cache sous l’expression « jouer en ung trippot au Trou Perrette ». À nous d’imaginer le sens de certaines strophes d’une veine particulièrement obscène (p. 63-64) : aucune note ne nous aide dans leur interprétation, puisque jamais aucune note n’explique l’emploi figuré des mots ni les mots d’argot employés par Villon [53]. Au lecteur d’être vigilant et de compléter à l’aide des notes qui éclairent le sens littéral les éventuels sens seconds. Dans les notes, le pan grivois ou simplement ironique de la langue de Villon demeure ainsi en retrait [54], comme si Marot se forçait à rester résolument à la surface du texte.

49On peut s’interroger sur ce silence, et tout d’abord penser que révéler tous les sens des mots, y compris les plus obscènes, serait comme déflorer l’œuvre et priver le lecteur du plaisir de l’interprétation. Marot ne donnerait ainsi que ce qui est nécessaire au lecteur pour aller plus loin dans la compréhension du texte. Il s’agirait d’alléger le texte de Villon au maximum pour que le lecteur puisse y respirer la veine croustillante du poète médiéval [55]. Pourtant, à force de lire le texte de Villon dans son détail et de le confronter à la neutralité voire parfois à l’inutilité [56] des notes de Marot, on peut se demander si une autre intention ne préside pas à la rédaction de ces notes, et qui viserait à faire oublier l’embarras que peut causer la confrontation avec cette langue pour un lecteur du XVIe siècle. François Villon manie en effet une langue à la fois géniale et licencieuse. Geoffroy Tory, dans l’épître aux lecteurs du Champ fleury, reconnaît à la fois l’ingéniosité du poète et ses débordements :

50

quant Jargonneurs tiennent leurs Propos de leur malicieux jargon et meschant langage, me semblent qu’ilz ne se monstrent seullement estre dediez au Gibet, mais qu’il seroit bon qu’ilz ne feussent oncques nez. Jacoit que Maistre Francois Villon en son temps y aye este grandement ingenieux, si toutesfois eust il myeulx faict d’avoir entendu a faire aultre plus bonne chouse. [57]

51G. Tory est imprégné du présupposé de Quintilien selon lequel vir bonus dicendi peritus. Une langue corrompue supposerait donc une âme corrompue. C’est sans doute ce qui explique que Villon n’apparaissait jamais dans le panthéon poétique des Grands Rhétoriqueurs. Le Temple d’Honneur et de Vertus de Jean Lemaire de Belges, n’accorde aucune place à Villon parmi les poètes et historiens institués en ministres d’Honneur et de Vertu (Froissart, Alain Chartier, Simon Greban, Georges Chastelain, Meschinot, Martin Lefranc, Jean Robertet, Gaguin, Octovien de Saint-Gelais). Et pour cause… Le statut du poète rhétoriqueur oblige à un certain habillage de vertu. Et Villon est aussi absent des Champs-Élysées où est accueilli le défunt Jean d’Auton dans l’épître familière de Jean Bouchet « À l’abbé de la Fontaine le Conte, contenant les regretz de la mort de frere Jan d’Authon [58] ». Le cas de Villon était assurément problématique, lors même qu’il avait su manier avec brio la langue française mais en n’hésitant pas à recourir au langage argotique, ou tout simplement à la polysémie gaillarde des mots de la langue française. Il était donc peut-être plus séant dans une édition des œuvres de Villon de passer sous silence un tel maniement (ou dérèglement) de la langue française.

52L’apparente neutralité des notes, dont nous avons considéré qu’elle donne au corpus son autorité de texte poétique et littéraire, profane et autonome, serait alors loin d’être objective : Marot prendrait le parti du premier degré pour ne pas attirer l’attention du lecteur sur l’autre visage poétique de Villon. Dans cette perspective, certaines notes peuvent en cacher d’autres, absentes : elles nous paraissent comme utilisées pour détourner notre attention à un moment où celle-ci pourrait s’attarder sur le langage un peu vert du poète. Ainsi, alors que les attributs de la dame sont déclinés et en particulier « le sadinet » de la belle (p. 35), Marot loue en note le « grand artifice », entendons l’habileté technique du poète qui sait reprendre la même structure poétique en inversant le contenu des vers. La note permet d’attirer l’attention sur la structure, et non sur la tonalité du texte. De même, les notes qui concernent la « Ballade de la Grosse Margot » (p. 85-86) passent complètement sous silence le contenu gaillard du propos ; on trouve en marge des notes aussi fades et inutiles que « je leur tends, je leur presente ». Marot saura pourtant imiter la veine de cette ballade dans son « Epistre en laquelle Margot se lieve sur le Maistre Argot, pour tancer, comme une insensée, le gros Hector qui l’a laissée [59] ».

53La pratique poétique de Marot confirme en effet de manière générale, et par contraste, le fait qu’en rester au sens littéral le plus pauvre procède d’un choix concerté. Marot lui-même utilise dans ses poèmes les sens grivois qu’il se plaît à ne pas décoder chez Villon. Ainsi du sens des mots branc ou braquemard[60] qui dans sa propre poésie sont nettement connotés sexuellement : dans un douzain paru en 1534, Priape propose à Vénus de jouer de ses « Braquemars / Qui sont plus duysans à tes mains [61] ». On mesure alors le décalage entre la position de Marot comme éditeur et sa position de poète. L’entreprise philologique de Marot est donc bien réelle, mais limitée par l’intention de ne pas aller au-delà du sens littéral ou convenable de la langue française. Il faut donc nuancer les propos du Prologue (« je vous ay exposé sur la marge avecques les annotacions ce qui m’a semblé le plus dur à entendre ») : tout ce qu’il y a à entendre est loin d’avoir été dit.

54Si Marot est silencieux sur la grivoiserie de Villon, ses notes se font parfois élogieuses à l’égard du poète, dont il souligne une « tres belle comparaison » (p. 21), ou bien l’art d’illustrer à propos une sentence (« Necessité fait gens mesprendre ») : « Notez ceste hystoire bien appropriée » (p. 7). Mais c’est de façon plus marquée encore que Marot tisse avec son lecteur un pacte de lecture admirative grâce à la note. « Notez » (p. 18-19) : voilà une note bien elliptique, qui ne dit rien sinon que le texte est digne d’être noté, digne d’être remarqué. La note est l’équivalent d’un éloge. Mais dans le cas présent, Notez se double d’un sens concret : le texte de Villon est digne d’une note, d’une édition annotée. La note devient, en dehors de tout contenu, le signe extérieur de la valeur du texte. Ces « Notez » sont donc des formules à la fois extrêmement vides et très puissantes parce qu’elles renvoient à la puissance du texte éloquent par lui-même, parce qu’elles nous obligent à un regard admiratif ou en tout cas bien disposé [62]. Ce type de note n’est pas inventé par Marot : Éléonore Andrieu a montré qu’on la trouve dans les marges d’un manuscrit de Hincmar (évêque sous Louis le Pieux) à la fin du IXe siècle sous la forme nota / notanda, remplacée parfois par un petit dessin de main à l’index tendu [63]. Plus proche de Marot, on trouve ces « Notez » chez Geoffroy Tory, dans son Champ fleury ou dans l’édition du Roman de la Rose de 1531, où les « notez » cèdent la place quelquefois aux index pointés vers le texte.

55Parfois cette note élogieuse souligne le profit moral que les lecteurs, en particulier les plus jeunes, peuvent tirer de la lecture de Villon (p. 21 : « Notez jeunes gens »). La note rejoint à cet égard la fonction de certains titres : « Icy commence Villon a entrer en matiere pleine d’erudition et de bon scavoir » (p. 16) ou « Belle leçon de Villon aux enfanz perdus » (p. 89). Aussi bien la note va-t-elle parfois jusqu’à expliciter une leçon morale : « Icy dit Villon que l’homme vieil et pouvre se conforte en la mort » (p. 31), « Notez que friandise incite à mal faire » (p. 64), alors même que cette sentence paraît un peu décalée par rapport aux réels propos de Villon dans son texte. Il s’agit de cueillir une « Belle sentence » (p. 73), conformément à l’intention de Marot formulée dans le Prologue [64], mais au prix d’une lecture parfois un peu forcée… C’est que, pour Marot, « l’œuvre de Villon contribue par sa valeur morale au trésor des lieux communs de la sagesse universelle [65] » ; d’où l’importance de mettre en scène la destination à un jeune lectorat [66] ; d’où le désir de ne pas trop insister sur les particularismes en les élucidant systématiquement en note.

56Dans la construction de l’image littéraire qu’il veut en donner, Marot élimine ainsi une partie du poète Villon : celui des choses basses et particulières, celui qui ne se soucie pas de la postérité. En fait, Marot métamorphose Villon en poète de la Renaissance, dont l’œuvre immortelle serait destinée à un public anonyme : « il s’agit en fait de sauver Villon non seulement des brouilleries du temps et des éditeurs, mais en quelque sorte de lui-même [67] ». Tout le paradoxe de l’entreprise de Marot réside dans le fait qu’en voulant respecter l’intention de l’auteur, il réduit cette intention à ce qui est acceptable pour un lecteur anonyme du XVIe siècle. Mais le résultat en est l’entrée de Villon au Parnasse français. Dans un poème de Marot publié en 1540, « Des Poëtes Françoys à Salel », Villon se retrouve en effet aux côtés de Guillaume Cretin pour avoir si bien « décoré » Paris :

57

De Jan de Meun s’enfle le cours de Loire.
En Maistre Alain, Normandie prend gloire
Et plainct encor’ mon arbre paternel.
Octovian rend Cognac eternel.
De Moulinet, de Jan le Maire et Georges,
Ceulx de Haynaut chantent à pleines gorges.
Villon, Cretin, ont Paris decoré.
Les deux Grebans ont le Mans honoré.
Nantes la Brette, en Meschinot se baigne.
De Coquillart s’esjouyst la Champaigne.
Quercy, Salel, de toy se vantera,
Et (comme croy) de moy ne se taira. [68]

58Tel était le but de l’édition : donner une place à Villon dans le panthéon littéraire, « veu que c’est le meilleur poete Parisien qui se trouve [69] ».

59En définitive, l’édition de Villon annotée par Marot illustre assez bien ce qu’affirmera l’article « Autorité » dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert : ce n’est pas le nom de l’auteur qui doit faire estimer l’ouvrage, c’est l’ouvrage qui doit obliger à rendre justice à l’auteur. L’annotation de Marot participe de cette mise en scène de l’autorité du texte qui par ricochet donne autorité au poète.

60Le poète de François Ier s’est appliqué dans ses notes à attirer l’attention sur la langue de Villon en tant qu’illustration d’un état « antique » mais vénérable de la langue française. Sa démarche, théorisée dans le Prologue, est remarquable dans son souci philologique de respecter la langue originale, de restaurer le texte au plus près de l’intention première de l’auteur. Beaucoup de critiques s’en tiennent là et concluent à la modernité de l’édition de Marot. Cependant la fidélité à l’original est dans l’établissement du texte, mais guère dans l’esprit de l’annotation : la sobriété même des notes de Marot reflète le parti pris de donner une édition harmonieuse de Villon, de surmonter par le silence l’embarras que produit une langue à la fois géniale et licencieuse.

61Marot, l’homme à l’élégant badinage mais à la mine de philosophe austère, comme disait Madeleine de Scudery, est-il devenu pudibond ? On peut en douter vu ce que le poète Marot est capable de produire de grivois et scabreux en imitant Villon. Veut-il à tout prix sauver Villon avec les arguments de ceux qui risqueraient de le condamner, donc en mettant en relief dans l’œuvre des qualités uniquement poétiques et morales ? Son retrait et sa neutralité dans les notes témoigneraient-ils d’une volonté de l’éditeur de ne pas déflorer le texte de Villon, de le laisser apprécier aux connaisseurs sans l’alourdir d’un apparat critique ? Marot compterait-il alors sur le lecteur avisé qui lirait au-delà de ce que les notes taisent ? C’est en effet ce que le poète-éditeur laisse entendre dans le Prologue : « Touchant le jargon, je le laisse à corriger et exposer aux successeurs de Villon en l’art de la pinse et du croq. » En employant cette expression, Marot avoue sa compétence en la matière… et justifie son choix du silence.

62Ces interprétations ne sont pas exclusives l’une de l’autre, mais une chose ressort clairement de notre analyse : il faut dans tous les cas se garder de faire de la Renaissance le moment d’une évolution de la note d’autorité à une note littéraire qui donnerait autorité au texte seul. Si on a bien ici un changement de régime de la note, l’autorité du texte demeure tributaire d’une conception de l’autorité qui est relative à une époque donnée. Autorité du texte, en l’occurrence, signifie d’une part autorité d’une langue française qui en 1532 est en passe de devenir la langue officielle de l’écrit, et d’autre part autorité morale, au sens où l’on peut tirer de la poésie des sentences utiles. Mais l’autorité, c’est encore et surtout celle de l’éditeur, au sens cette fois où il détient le pouvoir d’orienter, par ses notes, ou par l’absence même de notes, la lecture.


Date de mise en ligne : 12/04/2013

https://doi.org/10.3917/licla.064.0033

Notes

  • [1]
    M. Lazard, « Clément Marot éditeur et lecteur de Villon », Cahiers de l’Association Internationale des Études Françaises, n° 32, 1980, p. 7.
  • [2]
    Sur le rôle de Galliot Du Pré dans la diffusion des textes vernaculaires, voir J. Balsamo, « La Collection des anciens poètes français de Galliot Du Pré (1528-1533) », L’analisi linguistica e letteraria, 2000 (1-2), p. 177-194.
  • [3]
    Les Œuvres de Françoys Villon, de Paris, reveues & remises en leur entier par Clement Marot valet de chambre du Roy, Paris, Galliot Du Pré, 1553, in-8°. Éd. consultable sur le site http://gallica.bnf.fr.
  • [4]
    J. Balsamo précise (art. cit., p. 183) que l’impression des Œuvres de Villon avait été confiée non plus à Antoine Augereau (responsable de l’impression de 1532) mais à Louis Blaubloom dit Cyaneus.
  • [5]
    Voir Le Recueil des repues franches de maistre François Villon et de ses compagnons, éd. J. Koopmans et P. Verhuyck, Droz, 1995, p. 58.
  • [6]
    Voir J. Cerquiglini, « Marot et Villon », dans J. Dufournet (éd.), Villon et ses lecteurs, Paris, Champion, 2005, p. 23 : « la pensée de Marot est philologique en ce qu’elle est une pensée de la restauration, de l’histoire et de l’attribution ».
  • [7]
    Et pour ce faire « il met en pratique les nouvelles méthodes humanistes dans la recherche d’un texte authentique. L’originalité de Marot, dans cette édition pré-critique, est de les avoir appliquées non plus à un écrivain de l’antiquité, mais à un auteur de langue vulgaire » (M. Lazard, art. cit., p. 18). Le titre choisi par Marot, Les Œuvres de Françoys Villon, rappelle d’ailleurs les titres donnés aux édition d’auteurs de l’Antiquité dans ce XVIe siècle humaniste : Opera omnia… et le terme antique qui désigne la langue de Villon dans le « Prologue » (« antique façon de parler », « antiquité de son parler ») est le même que celui que Marot emploie à propos de la latinité d’Ovide dans l’épître au roi François Ier qui ouvre sa traduction du Premier livre des Métamorphoses (Paris, 1534) : voir Cl. Marot, Œuvres poétiques, éd. G. Defaux, Paris, Bordas, « Classiques Garnier », 1993, t. II, p. 406.
  • [8]
    Il en va de même pour les auteurs de l’Antiquité : à la p. 19, Villon cite « Valere […] le grant » sans que Marot ne précise en note la référence à Valère Maxime.
  • [9]
    Les recueils qui rassemblent les œuvres de Villon et les Repues franches avant cette date sont des recueils factices : voir l’éd. cit. du Recueil des repues franches.
  • [10]
    Voir Cl. Marot, « Épître à Etienne Dolet » [1538], Œuvres poétiques, éd. cit., t. I, p. 9-11.
  • [11]
    Page de titre de l’édition en 1534 de L’Adolescence clémentine.
  • [12]
    Cl. Marot, Œuvres poétiques, éd. cit., t. I, p. 17.
  • [13]
    Il libère Villon comme Villon a libéré son génie poétique ; c’est ainsi que J. Berchtold interprète l’épître de Marot à Lyon Jamet dans L’Adolescence clémentine (« Le Poète-rat : Villon, Erasme, ou les secrètes alliances de la prison, dans l’épître “A son amy Lyon” de Clément Marot », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, t. L, 1988, p. 57-76).
  • [14]
    La tournure hypothétique du prologue (« ce que je vouldroys estre faict aux myennes, si elles estoient tombees en semblable inconvenient ») résonne de manière presque ironique.
  • [15]
    C. Dop-Miller, « Clément Marot et l’édition humaniste des œuvres de François Villon », Romania, t. 112, 1991, p. 225-226.
  • [16]
    Poème liminaire « A son Livre » [éd. de 1538], Œuvres poétiques, éd. cit., t. I, p. 15.
  • [17]
    Parfois l’adresse se fait dans le corps du texte : « Du temps de Villon (lecteurs) fut faicte une petite œuvre intitulee Les dictz de Franc Gontier » (p. 79).
  • [18]
    Poème liminaire « A son Livre », loc. cit.
  • [19]
    G. Tory, Champ Fleury, Paris, G. Tory et G. de Gourmont, 1529.
  • [20]
    Les Œuvres de Françoys Villon, éd. cit., « Prologue », f. A5 r°.
  • [21]
    le Recueil des repues franches, éd. cit., p. 60.
  • [22]
    M. Lazard, art. cit., p. 8.
  • [23]
    Tolérance de courte durée puisque l’affaire des Placards l’année suivante fait basculer la politique royale. Mais dès la fin du mois de mai 1533, Béda est exilé à vingt lieues de Paris (voir Marot, Œuvres poétiques, éd. cit., t. I, p. LXXXI).
  • [24]
    Voir également en note, p. 65 : « Icy Villon n’espergne les monasteres. »
  • [25]
    « Distique du dict Marot. // Peu de Villons en bon savoir / Trop de Villons pour decevoir. »
  • [26]
    Cette édition est plus vraisemblablement attribuée à Michel de Tours par Lidia Radi dans sa thèse : Étude et édition critique du Penser de royal memoire de Guillaume Michel, dit de Tours, dir. Fr. Cornilliat et Fr. Goyet, Universités de Rutgers et de Grenoble, déc. 2005.
  • [27]
    « Marot au Roy nostre souverain », Les Œuvres de Françoys Villon, éd. cit., f. A2 r°.
  • [28]
    Voir d’autres exemples p. 24, 87, 92, 93, 97, 102.
  • [29]
    Éd. P. Levet (Paris, 1489). Marot en l’occurrence est fidèle à la leçon des manuscrits. Voir M. Lazard, art. cit., p. 13.
  • [30]
    C. Dop-Miller, art. cit., p. 232.
  • [31]
    Les Œuvres de Françoys Villon, éd. cit., « Prologue », f. A4 v° : « Quant a l’industrie des lays qu’il feit en ses testamens pour suffisamment la cognoistre et entendre, il fauldroit avoir este de son temps a Paris, et avoir congneu les lieux, les choses, et les hommes dont il parle : la memoire desquelz tant plus se passera, tant moins se cognoistra icelle industrie de sez lays dictz. Pour ceste cause qui vouldra faire une œuvre de longue durée, ne preigne son soubgect sur teles choses basses et particulieres. »
  • [32]
    Voir ibid., p. 93 : « Et icelles fault entendre icelles testes. »
  • [33]
    Cf. ibid., p. 107 : « Si parlons tous, s’entend tous les cinq sens. »
  • [34]
    Comme il déplie le sens de phrases jugées peu claires, Marot déplie les syncopes : il note que « m’ame » est l’équivalent de « mon ame » (ibid., p. 84). De même, l’an 61 est transcrit en marge : « 1461 » (ibid., p. 15).
  • [35]
    C. Dop-Miller, art. cit., p. 230.
  • [36]
    Ibid.
  • [37]
    Voir également p. 16 : « Icy commence Villon à entrer en matière pleine d’erudition et de bon scavoir ». Placé dans le texte à la manière d’un titre, ce genre de commentaire attire notre attention sur le contenu profitable de l’œuvre. Cf. p. 89 : « Belle leçon de Villon aux enfanz perdus ». S’agit-il alors d’une rubrique ou d’une note ?
  • [38]
    Voir p. 21, 25, 26.
  • [39]
    La critique est rare. Faut-il la voir dans une note p. 19 : « don pour donq par trop grand licence poetique » ? La « licence » peut signifier liberté et non une liberté exagérée, « trop » peut signifier beaucoup.
  • [40]
    P. 47. Voir également p. 25, 46 et 55.
  • [41]
    De même à la fin de l’édition du Miroir de l’âme pécheresse (Augereau, 1533), dans La Briefve doctrine pour deuëment escripre selon la proprieté du langaige Françoys dont l’auteur est incertain (Geoffroy Tory, Florimond Robertet, ou Marot ?), la dignité de la langue française est associée à la qualité de sa retranscription. Ce petit traité plaide pour distinguer typographiquement c et ç, é et e tonique masculin, à et a, etc., et s’appuie sur des comparaisons avec le latin, dans le but de « monstrer nostre langue Françoyse, n’estre si mal polie/ et aornée, qu’elle n’ait ses figures, proprietez, et aornementz, aussi bien que la Latine/ et la Grecque : combien que vrayment est grandement surmontée d’elles. »
  • [42]
    P. 30. Mais ce cas ne se représente pas dans les notes : à « moulier » (p. 42), le texte ne donne en note que « femme ».
  • [43]
    Le même mot branc est expliqué p. 2, 57 et 59. Il est rare de trouver une note « comme dessus » (p. 55) instituant un renvoi à une autre note.
  • [44]
    Marot note que Villon emploie « à la mode antique » le pluriel pour le singulier (p. 30, 35 et 91) ; mais il semble que ce que Marot prend pour du pluriel soit dans certains cas un s de désinence du masculin au cas sujet singulier, reliquat de l’ancien français.
  • [45]
    P. 25 : « l’habit des dames, du temps de Villon ».
  • [46]
    C’est « le vocabulaire seul qui, aux yeux de Marot comme des théoriciens contemporains, Geoffroy Tory ou Thomas Sebillet, suffit à caractériser “l’antique façon de parler” » (M. Lazard, art. cit., p. 16).
  • [47]
    « L’histoire est au principe de l’examen de la langue du texte » (J. Cerquiglini, art. cit., p. 159).
  • [48]
    C. Dop-Miller, art. cit., p. 235.
  • [49]
    S. Nichols, « Marot, Villon and the Roman de la Rose : a study in the language of Creation and Re-creation », Studies in philology, vol. LXIII, 1966, p. 140.
  • [50]
    G. Tory, op. cit.
  • [51]
    B. Aneau, Quintil horatien, dans Du Bellay, La Deffence et illustration de la langue francoyse, éd. J.-Ch. Monferran, Genève, Droz, 2001, p. 18-319.
  • [52]
    L. Thuasne, cité par M. Lazard, art. cit., p. 18.
  • [53]
    Une seule fois, à la fin (p. 106), une note précise en marge pour le mot joncherie : « jargon », sans donner de définition. Mais le Prologue affirmait le parti pris de l’édition de ne pas le commenter : « Touchant le jargon, je le laisse a corriger et exposer aux successeurs de Villon en l’art de la pinse et du croq. »
  • [54]
    Une exception est notable p. 111. Alors que Villon affirme dans une ballade rembourser sous peu sa dette en vendant des châtaignes ramassées dans une forêt près de Patay, la note précise : « Entour Patay ny a aucune forest et ny vend on chastaignes ». Le refrain de la ballade de Villon, « Vous n’y perdrez seulement que l’attente », est d’ailleurs à rapprocher des productions de Jean et Clément Marot sur le même sujet, le remboursement ironique d’une dette : voir J. Marot, « Ballade de Maistre Jehan Marot presentée à Monsieur le Trésorier Robertet », Les Deux recueils, éd. G. Defaux et Th. Mantovani, Genève, Droz, 1999, p. 195 ; Cl. Marot, rondeau II de L’Adolescence, ou bien l’épître XIX (Œuvres poétiques, éd. cit., t. I, p. 325).
  • [55]
    Je remercie N. Dauvois d’avoir suggéré la possibilité de cette interprétation.
  • [56]
    Je remercie J. Dürrenmatt pour sa remarque à ce sujet.
  • [57]
    G. Tory, op. cit.
  • [58]
    J. Bouchet, Épître LVII, Epistres morales et familieres du traverseur, Poitiers, 1545 ; réimpr. New York / Paris / La Haye, Johnson / Mouton, 1969.
  • [59]
    Cl. Marot, Œuvres poétiques, éd. cit., t. II, p. 73.
  • [60]
    Les Œuvres de Françoys Villon, éd. cit., p. 2, 57 et 59. Il n’est pas anodin que ce soit Jehan le Cornu qui reçoive en héritage ce « branc »…
  • [61]
    Cl. Marot, Œuvres poétiques, éd. cit., t. II, p. 731. Le poème est paru dans un recueil publié en 1534 chez Galliot Du Pré et intitulé Les Fleurs de Poésie françoise.
  • [62]
    Voir également p. 24 : « Notez bien ».
  • [63]
    Séance inaugurale du séminaire de l’équipe ELIRE sur la note (2005-2006).
  • [64]
    Dans le Prologue, Marot est d’avis que les jeunes poètes « cueillent ses sentences comme belles fleurs » (f. A4 v°).
  • [65]
    C. Dop-Miller, art. cit., p. 237.
  • [66]
    « Faire accéder à la lecture anonyme un texte dont une grande partie semble destinée à se perdre dans l’échange avec des destinataires/lecteurs particuliers » (ibid., p. 239).
  • [67]
    Ibid., p. 237 ; cf. p. 240 : « Villon, par certains côtés, est irréductible : on ne peut le conduire tout entier dans l’utile et le beau ».
  • [68]
    Cl. Marot, Œuvres poétiques, éd. cit., t. II, p. 361.
  • [69]
    Les Œuvres de Françoys Villon, éd. cit., « Prologue », f. A3 r°.

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