Notes
-
[1]
On reprend la terminologie de Roland Barthes qui, dans ses Mythologies, énonçait l’ambition de traiter « les “représentations collectives” comme des systèmes de signes », espérant ainsi « rendre compte en détail de la mystification qui transforme la culture petite-bourgeoise en nature universelle » (Préface de 1970, Œuvres complètes, Paris, Seuil, 2002, t. I, p. 673).
-
[2]
Clément et La Porte, Anecdotes dramatiques, Paris, Duchesne, 1775, t. I, p. 521.
-
[3]
La Motte, Inès de Castro, dans Théâtre du XVIIIe siècle, éd. J. Truchet, Paris, Gallimard, « Bibl. de la Pléiade », 1972, t. I, p. 517-518.
-
[4]
Les succès de larmes ne sont, par ailleurs, pas toujours assurés. La Judith de l’abbé Boyer connut ainsi, à sa reprise, une déconvenue : voir François et Claude Parfaict, Histoire du théâtre français depuis son origine jusqu’à présent, Amsterdam, 1735-1748, t. XIII, p. 408-410.
-
[5]
Servandoni d’Hannetaire, Observations sur l’art du comédien, Paris, 1774, p. 315. D’autres commentateurs offrent des versions sensiblement différentes. Pour Clément et La Porte, la saillie de Duclos a pour conséquence des applaudissements, non des larmes (op. cit., t. I, p. 448). Pour Diderot, les larmes des spectateurs sont l’effet de celles de l’actrice, selon une contagion qui tiendrait moins à la nature rhétorique de la pièce qu’au don des larmes de l’interprète (Paradoxe sur le comédien, dans Œuvres. IV : Esthétique. Théâtre, éd. L. Versini, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1996, p. 1398).
-
[6]
C’est ce que confirme une anecdote concernant Sophie Arnould : « Assistant à la représentation d’un drame où Mlle Contat était fort déplacée, Sophie, qui riait, dit à ses voisins : Je ne cesserai de rire que lorsqu’elle me fera pleurer. » (Esprit de Sophie Arnould, Paris, F. Louis, 1813, p. 43).
-
[7]
Marivaux, Le Spectateur français, 16e feuille, dans Journaux et œuvres diverses, éd. Fr. Deloffre et M. Gilot, Paris, Garnier, 1969, p. 205.
-
[8]
Il rejoint sur ce point certaines réflexions de Racine dans la préface de Bérénice.
-
[9]
Voir dans le présent volume l’article de Denis Roche.
-
[10]
Voltaire, Le Temple du goût, éd. É. Carcassonne, Genève, Droz, 1953, p. 71.
-
[11]
Chamfort, Maximes et pensées, 1144, éd. J. Dagen, Paris, Flammarion, « GF-Flammarion », 1968, p. 303.
-
[12]
Clément et Laporte, op. cit., t. I, p. 90. Voir aussi : « À une des représentations de Bérénice, dont le rôle principal était joué par Mlle Gaussin, un des sentinelles, fondant en larmes, laissa tomber son fusil, moins occupé de son devoir qu’attendri par le jeu de l’actrice » (ibid., t. I, p. 147).
-
[13]
Ibid., t. II, p. 485-486.
-
[14]
Ibid., t. I, p. 71.
-
[15]
Voir Sade, « Lettre à des directeurs de théâtre », Œuvres complètes, Paris, Pauvert, 1991, t. 15, p. 480 ; Coqueley de Chaussepierre, Monsieur Cassandre. Paradrames. Parodies du drame (1775-1777), éd. M. de Rougemont, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 1998, p. 36.
-
[16]
Cubières-Palmézeaux, La Manie des drames sombres, II, 4, Paris, Ruault, 1777, p. 64.
-
[17]
Servandoni d’Hannetaire, op. cit., p. 281.
-
[18]
Clément et Laporte, op. cit., t. II, p. 40.
-
[19]
Louis-Sébastien Mercier, De la littérature, Genève, Slatkine reprints, 1970, p. 74 ; Mon Bonnet de nuit, éd. J.-Cl. Bonnet, Paris, Mercure de France, 1999, p. 288.
-
[20]
Essai sur le genre dramatique sérieux, dans Beaumarchais, Œuvres, éd. P. Larthomas, Paris, Gallimard, « Bibl. de la Pléiade », 1988, p. 128. L’absence de larmes se voit ainsi assimilée à un défaut éthique, selon une logique physiologico-morale qui rappelle les propos de Descartes tentant d’expliquer pourquoi certains enfants pâlissent au lieu de pleurer (Descartes, Les Passions de l’âme, Paris, Gallimard, « Tel », 1993, p. 231-232 et 265).
-
[21]
Rousseau, Lettre à d’Alembert, éd. M. Fuchs, Genève, Droz, 1948, p. 32.
-
[22]
Voir notamment Voltaire, Adélaïde du Guesclin, III, 1 ; Alzire, II, 2 (Collection des théâtres français, t. XIV, Senlis, Tremblay, 1829, p. 40 et 113).
-
[23]
Zoé, I, 6, dans Mercier, Théâtre complet, Genève, Slatkine reprints, 1970, p. 378.
-
[24]
L’émotion seconde du spectateur interne authentifie la validité éthique de la sensibilité manifestée par le personnage et balaie ainsi tout soupçon d’imposture morale.
-
[25]
Mercier, Du Théâtre ou Nouvel essai sur l’art dramatique, éd. P. Frantz, Paris, Mercure de France, 1999, p. 1152.
-
[26]
Marmontel, Contes moraux, « La Bonne mère », Paris, Merlin, 1783, p. 74-75.
-
[27]
La Manie des drames sombres, I, 3, éd. cit., p. 28.
-
[28]
Ibid.
-
[29]
Chéron de La Bruyère, L’Homme de sentiments ou le Tartuffe des mœurs. Comédie, Paris, 1801.
-
[30]
Voltaire, Correspondance, éd. Th. Besterman, n° 6394, Paris, Gallimard, « Bibl. de la Pléiade », 1977-1988, t . VI, p. 159.
-
[31]
Diderot, Œuvres. IV : Esthétique. Théâtre, éd. L. Versini, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1996, p. 1282-1283.
-
[32]
Clément et Laporte, op. cit., t. I, p. 203.
-
[33]
La Viéville, Lettre à M de Milcent, Amsterdam, Jorry, 1775, p. 11.
-
[34]
Art. « Attendrissement », Dictionnaire universel français et latin, vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux, Paris, Compagnie des Libraires Associés, 1771, t. I.
-
[35]
De l’émotion méritante à l’exercice actif des vertus, il n’y aurait, aux yeux des Philosophes, qu’un pas, que Diderot n’hésite à franchir : « Imaginez que cet ouvrage est répandu sur toute la surface de la terre et que voilà Richardson l’auteur de cent bonnes actions par jour » (Diderot, Correspondance, éd. Roth et Varloot, Paris, Éditions de Minuit, 1955-1970, t. III, p. 310).
-
[36]
Rétif de la Bretonne, La Mimographe, éd. M. de Rougemont, Paris/Genève, Slatkine, « Ressources », 1980, p. 329.
-
[37]
La Manie des drames sombres, éd. cit., p. 1.
-
[38]
Geoffroy, Cours de littérature dramatique, Paris, Blanchard, 1819, p. 92.
1Le goût pour les spectacles du XVIIIe siècle infléchit notablement les formes de la pensée du théâtre et génère l’essor de modalités originales du discours critique, qui ont en commun de témoigner d’une vision profane de l’art dramatique en donnant la parole au public et en faisant la part belle aux récits de représentation. Avec ce parti pris de la vie théâtrale se fonde un discours commun qui révèle la place et les enjeux du spectacle dans la société de cette époque. En marge des considérations strictement poétiques, ces modalités excentriques de la critique – qu’il s’agisse de témoignages (correspondances, mémoires), de textes inscrits dans la pratique d’une certaine sociabilité littéraire (recueils d’anecdotes, périodiques) ou d’ouvrages relevant de la littérature secondaire sous ses formes plaisantes (parodies, fictions métatextuelles, etc.) – élaborent un réseau de récits frappants qui, tout en attestant une réalité historique qui nous semble parfois exotique, constituent le support d’une mythologie qui, bien souvent, se concentre sur la réception pathétique.
2Objet de discours, celle-ci apparaît comme un enjeu essentiel du déploiement spectaculaire et marque, à ce titre, la convergence de préoccupations diverses : esthétiques, bien entendu, mais aussi morales ou politiques. Le discours commun diffuse, au même titre que les fables sentimentales, le modèle anthropologique et l’idéologie sensible des Philosophes. Ce discours sur les larmes révèle, de manière parfois didactique, parfois démystificatrice, parfois les deux, que les larmes sont elles-mêmes langage, et porteuses d’une signification idéologique. C’est ainsi que nous les considérerons, moins comme des réalités psychologiques que comme des systèmes de signes, des représentations collectives [1] qu’il convient d’interroger, dans leur dimension normative, à une échelle qui n’est plus celle du système poétique, mais celle de l’imaginaire social. Nous nous proposons donc d’envisager divers aspects de cette mythologie, afin de déterminer les principaux lieux de cristallisation (mais aussi de tension) d’un discours sur les larmes, révélateur non seulement d’une conception de la sensibilité, mais aussi d’une pensée de l’art dramatique et de la fonction et de la légitimité de celui-ci pour les hommes des Lumières.
Naturel
3Le premier lieu mythologique auquel se heurte l’historien du théâtre du XVIIIe siècle est la proclamation de spontanéité et de naturel qui accompagne l’émergence, entre les dernières années de la carrière de Racine et le premier tiers du XVIIIe siècle, des « succès de larmes » et l’apparition, dans les mœurs du parterre, d’un horizon d’attente sentimental. Un constat s’impose d’emblée : les anecdotes qui relatent des cas exemplaires d’efficacité pathétique sont loin d’être majoritaires, le genre privilégiant, en général, les mésaventures plaisantes. Les récits de captation pathétique n’en sont pas moins présents et se trouvent repris d’un recueil à l’autre, acquérant le statut de mythe, si bien que leur position exceptionnelle, au lieu de fragiliser l’aura du pathétique dans la pensée théâtrale contemporaine, semble la renforcer.
4Le point de départ du déploiement mythologique est donc négatif : c’est des obstacles qui s’opposent à sa réalisation que le pathétique tire sa puissance fantasmatique. C’est pourquoi il convient de s’arrêter un instant sur les anecdotes qui disent l’impossibilité ou l’inefficacité du pathétique, rendant compte de l’expérience qui est communément, au début du XVIIIe siècle, celle du spectateur de théâtre. Ainsi, lors d’une représentation de Mariamne de Voltaire en 1724 :
Au moment où l’actrice qui représentait le rôle de Mariamne portait la coupe empoisonnée à sa bouche, une personne du parterre s’écria : « la reine boit ! », ce qui occasionna un grand tumulte. L’année suivante, l’auteur changea le dénouement [2].
6Loin de consister en une absorption dans la fiction, cette expérience s’apparente à une prise en otage du spectacle par le public et à un sabotage quasi systématique de l’émotion. Cette scène, a priori pathétique, voit son efficacité annihilée, et le processus théâtral, tel qu’il semble se définir à partir de cet épisode, signe la victoire d’une cérémonie sociale qui empiète spatialement et symboliquement sur le déploiement esthétique et fictif. Dans la relation entre fiction et réalité, entre spectacle scénique et parade sociale, qui définit le protocole dramatique, c’est, à l’époque, bien souvent le public qui prend le dessus. La fiction semble alors n’être sollicitée que pour fournir à un parterre retors le loisir d’exercer son esprit. Ce qui se passe sur le théâtre est ainsi perpétuellement rapporté à une vie sociale qui se conçoit elle-même comme cadre d’une théâtralité codifiée.
7C’est dans ce protocole dramatique phagocyté par l’espace social que viennent s’inscrire, sur le mode de la rupture et de l’exception, les succès de larmes de la première moitié du XVIIIe siècle, comme Inès de Castro de La Motte (1723), Zaïre de Voltaire (1732) ou Le Philosophe marié de Destouches (1727). La Motte, dans la préface d’Inès de Castro, s’enorgueillit d’avoir su prendre par surprise un public hostile :
Quelques spectateurs ont douté d’abord s’ils devaient rire ou s’attendrir ; mais le doute n’a pas duré et la nature a bientôt repris ses droits sur tous les cœurs. On a pleuré enfin, et s’il m’est permis de ne rien perdre de ce qui me fait honneur, quelques-uns ne m’ont critiqué qu’en pleurant. [3]
9L’efficacité pathétique rompt avec les modes de réception traditionnels : opérant une captation sentimentale irrésistible, elle assure la victoire de la fable sur la cérémonie sociale tout autant que celle de la nature sur l’éducation. Simultanément, en illustrant la prééminence de l’effet sur la valeur poétique, en mettant aux prises l’adhésion sentimentale et le recul critique, la pièce de La Motte invite, par la singularité de sa réception, à redéfinir les priorités de l’art dramatique et à en repenser l’essence. Les succès de larmes marqueraient donc une époque dans l’histoire du théâtre, assurant, sur le mode de l’évidence sentimentale, une double transition : entre une approche poétique du théâtre et une approche esthétique, d’une part ; entre une réception marquée par les codes de la civilité aristocratique et la spontanéité d’un sentiment naturel qui sera bientôt revendiquée par l’idéologie bourgeoise, d’autre part.
10Mais la légende élaborée par La Motte autour de la réussite d’Inès doit être nuancée. Il serait en effet naïf de considérer l’évolution de l’attitude du public et l’adoption par le parterre de la réception pathétique comme l’effet d’une conversion aussi spontanée qu’instinctive. On ne passe pas aussi facilement du détournement parodique à l’adhésion absolue, et rien, dans les conditions de la représentation à cette époque précise, ne permet véritablement d’envisager une transition aussi brusque. La chronologie dément par ailleurs l’hypothèse d’une mutation radicale, puisque Mariamne, dont le pathétique fut inefficace, succède en 1724 à Inès qui remportait un an plus tôt un succès de larmes [4]. Démystifiant en partie le récit de La Motte, une anecdote maintes fois reprise relativise la part de la nature dans la soumission du public opérée par la représentation d’Inès. Évoquant la scène des enfants, Servandoni d’Hannetaire raconte :
Mademoiselle Duclos, voyant rire le public eut la hardiesse de l’apostropher en disant : « ris donc, sot de parterre, à l’endroit le plus touchant de la tragédie ! », ce qui, par un hasard singulier, loin d’indisposer les spectateurs fut même fort applaudi. C’est ainsi que dans cette scène pathétique, le sentiment étouffant tout d’un coup l’esprit de causticité, le même moment vit pleurer ceux qui venaient de rire. [5]
12Ce qui se joue dans cet épisode consiste moins en une captation effectuée par le spectacle et en une absorption dans la fable qu’en un dialogue métathéâtral entre les diverses instances à l’œuvre dans la représentation et en une éducation, à la fois esthétique et sociale. Le public se trouve convaincu moins par la pièce que par l’autorité d’une comédienne à laquelle il se soumet, non pas en raison de la maîtrise artistique qu’elle manifeste, mais parce qu’il lui reconnaît de l’esprit et de l’audace, qualités sociales qui, loin de remettre en question les modalités contemporaines de l’expérience théâtrale, semblent les conforter.
13La cérémonie sociale ne s’efface donc nullement, mais change de nature. Au rire, qui marquait le rejet du dramaturge et des interprètes, viennent s’opposer les larmes qui témoignent de la bonne volonté du public. Ce qui se joue dans ces renversements radicaux de l’effet tient du rapport de force, et la réception pathétique semble marquer la victoire de l’auteur et des comédiens sur l’esprit frondeur des spectateurs [6] et sur la sphère sociale. Signant l’abdication volontaire d’un public conquis, les larmes marquent l’achèvement de la cérémonie esthétique et deviennent, à ce titre, synonymes de succès.
14L’enjeu de la légende qui fait de cette réception pathétique un effet spontané est donc de promouvoir un nouveau type de comportement spectateur. Foncièrement polémique, le mythe de l’émotion naturelle jette le discrédit sur la réception savante et sur la critique des doctes, tout autant que sur un public trop superficiel, et promeut en contrepoint l’abandon aux élans naturels de la sensibilité. Marivaux raconte :
On m’emmena à la représentation d’une tragédie. Je me trouvai auprès d’un homme qui la critiquait, pendant qu’il larmoyait en la critiquant : de sorte que son cœur faisait la critique de son esprit. Deux dames spirituelles lui répondaient de la bouche : « vous avez raison », et de leurs yeux pleurants lui disaient : « vous avez tort ». [7]
16Ce que met en évidence Marivaux [8] dans cette réception dévoyée, c’est la prégnance – autant que d’une convention réceptrice fondé sur l’esprit et sur la distance critique – du modèle dualiste qui, dans le cas d’une pratique artistique reposant sur les valeurs de la sensibilité, tourne bien vite, pour le spectateur, à la schizophrénie. L’absurdité de cette attitude est manifeste : les larmes, en matérialisant l’adhésion du spectateur à la représentation, soulignent, par contraste, le peu de solidité des jugements professés par une raison qui traduit, dans le meilleur des cas, l’égarement des âmes éduquées à se méfier de leurs émotions ou, dans le pire, l’hypocrisie d’un public pusillanime, aussi incapable d’assumer ses choix que d’acquiescer véritablement à ceux de l’autorité ou des conventions. L’affirmation de la légitimité de la réception pathétique invite donc à une pensée du théâtre à nouveaux frais.
17En formulant l’hypothèse d’un instinct pathétique, la mythologie pathétique vise à restaurer la véritable cérémonie théâtrale et à éradiquer un modèle comportemental qu’elle considère comme dégénéré et libertin. Les larmes, autrefois honteusement réprimées [9], s’affichent désormais comme norme réceptive. Cette nouvelle parade sociale entraîne le rejet d’une certaine frange du public et de la réception mondaine. Voltaire interdit aux « petits-maîtres » l’entrée de son Temple du goût [10] et Chamfort fustige une femme qui, interrogée parce qu’elle ne pleurait pas à une représentation de Mérope, répondit : « je pleurerais bien mais je dois souper en ville [11] ». À ce cérémonial corrompu, le XVIIIe siècle oppose un spectacle régénéré par le sentiment et placé sous le signe de l’adhésion.
Adhésion
18À la question de ce qui fait de l’efficacité particulière mise en œuvre par les spectacles pathétiques le lieu privilégié d’une cristallisation idéologique et de la constitution d’une mythologie fédératrice, les anecdotes répondent éloquemment. Rompant avec l’attitude réceptive distanciée qui avait cours jusqu’alors, le pathétique lui substitue une sorte de magie qui consiste en une captation, et opère une fusion des diverses instances et des différents espaces mis en jeu dans le processus dramatique. Le protocole théâtral échappe alors au statut de simple divertissement pour devenir l’occasion d’une expérience totale, qui excède le strict plan poétique. Nombreux sont les récits qui théâtralisent les cas limites d’absorption dans la fiction. Voici un exemple célèbre tiré des Anecdotes dramatiques de Clément et Laporte :
Mlle Clairon reçut un jour un éloge bien flatteur, et ce fut la sensibilité elle-même qui l’applaudit. Cette actrice jouait […] le rôle d’Ariane. Dans la scène où cette princesse cherche, avec sa confidente, quelle peut être sa rivale, à ce vers :
Est-ce Mégiste, Églé, qui le rend infidèle ?
l’actrice vit un jeune homme qui, les yeux en pleurs, se penchait vers elle, et lui criait d’une voix étouffée : « C’est Phèdre, c’est Phèdre. » [12]
20L’émotion fait fusionner l’espace fictif et l’espace social. Personnage et spectateur ne sont plus séparés par une barrière infranchissable, mais unis par la grâce de l’empathie et d’un intérêt rendu à sa signification originelle. Ce qui est ici proclamé, c’est donc la prééminence des liens établis par la sensibilité sur les discriminations logiques et le postulat de l’existence d’un ordre du cœur et du théâtre qui échapperait aux catégories traditionnelles de l’appréhension du réel.
21Cette implication du spectateur dans la fable n’est pas sans risque. La légende pathétique, postulant la contagion directe de l’émotion et réduisant au maximum le filtre de la distance critique et de la conscience esthétique, modèle les larmes des spectateurs sur celles des personnages, faisant véritablement de la réception une expérience de compassion. Une anecdote rapporte qu’un vieux militaire, assistant à une représentation de Zelmire,
tout sanglotant, tout baigné de larmes pendant les premiers actes, voyant au cinquième Zelmire et Polidore prêts à être immolés et sans aucun espoir de secours, se jeta éperdu sur les genoux du prince et lui dit : « Ayez pitié de moi ; s’ils périssent, il faudra me reporter mort dans ma maison. » [13]
23Ce mythe de l’adhésion exacerbée donne également forme à une pensée du jeu comme identification absolue à la fable et au rôle. Nombre d’anecdotes reprennent ainsi la légende qui impute aux efforts fournis pour représenter les fureurs d’Oreste la mort de Montfleury [14]. Au prix d’une systématisation abusive, une équation naïve en vient alors, dans le discours commun, à associer aux troubles provoqués par la représentation un certificat de validité dramatique [15]. Rattrapée par le persiflage et la parodie, cette modalité de la réception apparaît comme véritablement pathogène : Cubières-Palmézeaux complète, dans La Manie des drames sombres, la liste des maux imputables au pathétique, en mettant en scène un personnage souffrant d’une fistule lacrymale « gagnée à force de pleurer à la représentation de […] drames [16] ». Si le détournement grotesque ravale le pathos à sa nature véritablement pathogène, au plan physiologique comme au plan littéraire, la parodie n’en traduit pas moins l’existence d’une doxa déjà bien installée.
24En marge de ces légendes paraissent, bien entendu, des démentis théoriques : Dubos affirme la différence de nature et d’intensité entre les larmes éthiques versées par les personnages et les larmes esthétiques, qui procurent aux spectateurs une douce jouissance ; Batteux radicalisera cette position en énonçant l’existence d’une catharsis fondamentalement esthétique ; Diderot, quant à lui, portera avec le Paradoxe sur le comédien un coup fatal aux théories de l’identification. Cette mythologie de l’adhésion perdure toutefois bien après ces démystifications théoriques et l’illusion absolue, pour être présentée comme un cas-limite, n’en demeure pas moins l’effet recherché par le spectacle et sa réussite suprême. L’explication de ce paradoxe réside sans doute dans le fait que l’illusion paroxystique mise en œuvre par les spectacles pathétiques marque, sur le mode de la sensibilité, la perméabilité de la scène et de la salle et suggère de possibles prolongements de la fiction dans l’espace social. Dans la plupart des anecdotes citées, l’émotion vaut comme engagement, sur un plan émotionnel, physique et souvent idéologique.
25L’adhésion esthétique porte en germe d’autres types d’adhésions, comme le montre une anecdote relative à une représentation de La Partie de chasse de Henri IV :
On joua l’automne dernier à Verdun La Partie de chasse de Henri IV dont tout le public fut si enchanté et si vivement ému qu’à ce couplet-ci du troisième acte : « Vive Henri IV, etc. », tout l’auditoire, entrant tout à coup dans l’enthousiasme, se mit à répéter ce refrain en chorus, à deux reprises différentes. Circonstance moins risible que touchante et qui ajoute un nouveau trait à l’éloge de ce bon roi. [17]
27Clément et Laporte, qui rapportent eux aussi l’anecdote, ajoutent : « cette circonstance singulière, dans laquelle les spectateurs devinrent acteurs, est un nouveau trait à ajouter à […] l’histoire du caractère national [18] ». Ce qui se joue dans cette interpénétration des espaces réalisée par la réception pathétique, c’est donc l’élaboration, sur le mode de la cérémonie, d’un espace tiers, utopique, marquant la réunion des cœurs dans une communauté harmonieuse. Entre fiction et réalité, s’établit, par le moyen de l’effet, une sorte de charme qui, non content de constituer un rituel sentimental fédérateur, se trouve investi de significations et d’enjeux moraux ou politiques.
Vertu
28La mythologie déployée autour de l’effet pathétique ne révèle pas seulement les mutations esthétiques, mais souligne l’investissement idéologique dont fait l’objet le processus dramatique au cours du XVIIIe siècle, sous l’impulsion des Philosophes. Articulant préoccupations artistiques, éthiques et politiques, le pathétique marque l’inscription de la pratique théâtrale dans la vie de la Cité. Dans cette perspective, la réception pathétique constitue également un langage social.
29Dans un premier temps, l’effet pathétique illustre, autant qu’il contribue à la diffuser, une nouvelle norme éthique caractérisée par l’adhésion aux valeurs de la sensibilité. La réception en vient peu à peu à fonctionner comme un facteur de reconnaissance idéologique et morale. Mercier et Beaumarchais citent en exemple l’individu prompt à verser des larmes au spectacle des malheurs d’autrui et proclament sa supériorité morale [19]. A contrario, ils n’ont pas de mots assez sévères pour stigmatiser les cœurs secs [20]. En marge de la démystification rousseauiste, qui rappelle que le tyran de Phères se cachait pour pleurer au spectacle « de peur qu’on ne le vit gémir avec Andromaque et Priam tandis qu’il écoutait sans émotion le cris de tant d’infortunés qu’on égorgeait tous les jours par ses ordres [21] », le discours commun déploie d’innombrables fables programmatiques qui thématisent le nouveau dogme moral, à grands renforts de reconnaissances des cœurs tendres, de conversions miraculeuses des méchants au sentiment et de sentences prescriptives [22]. Dans son drame Zoé, Mercier fait dire à André, à propos du frère de l’héroïne : « C’est un excellent cœur ; car je l’ai vu pleurer et cela m’a tout attendri [23]. » Ce qui est remarquable, dans ce propos, tout autant que le fait que l’assentiment moral se fonde sur le constat de la perméabilité sensible, c’est la mise en évidence de l’efficacité des larmes qui, non contentes de constituer des signes judiciaires, jouent ici le rôle de signaux rhétoriques [24].
30Mise en abyme dans les fables, la réception pathétique est ainsi programmée et s’impose comme une norme morale, la salle de théâtre devenant dans l’imaginaire collectif une sorte de tribunal des cœurs. Mercier, qui ne craint pas de se montrer excessivement systématique, déclare dans Du Théâtre qu’« on pourrait juger de l’âme de chaque homme par le degré d’émotion qu’il manifeste au théâtre [25] », retournant à l’avantage du spectacle l’argument de ses détracteurs qui estimaient que le plaisir éprouvé au spectacle par un individu était proportionnel à sa dépravation. Un des Contes moraux de Marmontel, intitulé « La Bonne Mère », met en œuvre l’expérience : il dépeint une mère soucieuse de bien marier sa fille et cherchant à départager deux prétendants également avantageux. Afin de faciliter son choix, elle soumet les jeunes gens à des épreuves censées révéler leurs mérites. L’ultime test consiste à les mener un soir au théâtre et à observer leurs réactions :
On jouait Inès : la scène des enfants fit dire à Verglan quelques bons mots qu’il donnait pour d’excellentes critiques. Belzors, sans l’écouter, fondait en larmes et ne s’en cachait pas. Son rival le plaisanta sur sa faiblesse. Quoi ! lui dit-il, des enfants le font pleurer ! Et que voulez-vous donc qui me touche, dit Belzors ? Oui, je l’avoue […]. Inès fut suivie de Nanine ; et quand ce vint au dénouement, oh ! dit Verglan, cela passe le jeu. Que Dolban aime cette petite fille, à la bonne heure, mais l’épouser me paraît un peu fort. C’est peut-être une folie, reprit Belzors, mais je m’en sens capable. Quand la vertu et la beauté sont réunies, je ne réponds plus de ma tête. Aucun de leurs propos n’échappait à Mme du Troëne. Émilie, plus attentive encore, rougissait de l’avantage que Belzors avait sur son rival. [26]
32Naturellement le candidat sensible triomphe de son rival bel esprit, qui se trouve, à ce titre, disqualifié.
33Cubières-Palmézeau, en 1776, intègre à une œuvre à visée parodique cette nouvelle donne morale. Son personnage Prousas, dramomane frénétique, ne juge de la valeur de ses congénères qu’en fonction de leurs démonstrations de sensibilité. Si Dorimène trouve grâce à ses yeux, car, « malgré [ses] accès de gaîté, [il lui] soupçonne un fonds de sensibilité [27] », Saintfort ne saurait jouir de sa sympathie car il l’a « vu rire aux endroits pathétiques d’un drame [28] ». Il lui refuse donc la main de sa fille. Pour gagner les faveurs du dramomane, Saintfort devra arborer le masque de la sensibilité. On observe le détournement parodique opéré par le dramaturge : si l’efficacité dramatique vaut désormais dans la sphère sociale comme une épreuve discriminante de la valeur individuelle et si celle-ci se mesure à l’exhibition du sentiment, cette équation ouvre la voie à une nouvelle dérive, celle de la tartufferie de mœurs, dénoncée dans une pièce satirique par Chéron de La Bruyère [29]. Devenues ligne de partage axiologique, tant dans le domaine esthétique que dans celui de la morale, en vertu d’une systématisation logique et d’une normalisation des comportements bien saisie par les parodistes, les larmes s’affichent comme signes, et le soupçon vient miner la foi dans la spontanéité d’un sentiment que l’on s’efforce, à la même époque, de créditer de vertus sociales.
Utilité
34Car la valorisation des larmes ne s’arrête pas à la proclamation de leur essence vertueuse. Le discours commun, non content de voir dans l’émotion des spectateurs la preuve de leur valeur, postule une postérité de l’émotion, appelée à se prolonger dans l’espace social. L’efficacité du spectacle et l’énergie émotionnelle mise en œuvre par la compassion ne s’épuisent pas dans l’effusion. Profondément convaincus de l’efficience rédemptrice du spectacle, les dramaturges-philosophes ne cessent d’en invoquer des exemples, à l’image de la légende déployée en Angleterre autour du Gamester de Moore, pièce qui, à en croire des témoignages nombreux, aurait détourné de la pratique du jeu maints pères de familles effrayés par le sort funeste du pauvre Beverley. Voltaire écrit dans une lettre de 1760 :
J’ai vu un prince pardonner une injure après une représentation de la clémence d’Auguste. Une princesse qui avait méprisé sa mère alla se jeter à ses pieds en sortant de la scène où Rodope demande pardon à sa mère. Un homme connu se raccommoda avec sa femme en voyant Le Préjugé à la mode. J’ai vu l’homme du monde le plus fier devenir modeste après la comédie du Glorieux. Et je pourrais citer plus de six fils de famille que la comédie de L’Enfant prodigue a corrigés. […] à qui en a-t-on l’obligation ? Au théâtre, au seul théâtre. [30]
36Diderot, dans un passage connu de De la poésie dramatique, célèbre lui aussi la force évangélisatrice du spectacle [31]. Certaines anecdotes semblent entériner (timidement) cette hypothèse. Clément et Laporte racontent que Louis XIV, après une représentation de Cinna, aurait avoué que « si on eût saisi cet instant pour lui parler en faveur du [chevalier de Rohan, qui, accusé de conspiration, devait être exécuté le lendemain], il aurait accordé tout ce qu’on aurait voulu [32] ». L’optimisme moral et l’utilitarisme social sous-tendent explicitement la pratique dramatique des Encyclopédistes et le recours au pathétique : les pièces de théâtre se voient célébrées en raison de leur rôle dans l’évolution des mœurs. M. de La Viéville rend hommage à la Mélanie de La Harpe, drame consacré à la critique des vœux forcés qui « a le double avantage de réunir à la versification la plus brillante un pathétique assez puissant pour mettre les pères qui penseraient comme Faublas dans le cas de changer de résolution [33] ». On ne saurait affirmer plus clairement l’efficience morale du théâtre et l’inscription de cet art dans le projet idéologique global des Lumières. En effet, le Dictionnaire de Trévoux souligne que « la véritable compassion ne s’arrête pas à des attendrissements extérieurs ni à de simples larmes », mais « demande des secours effectifs [34] ». Or, aux yeux des dramaturges sensibles, rien de tel que l’émotion théâtrale pour insuffler aux spectateurs l’envie de faire profiter des êtres réels des dispositions altruistes activées par la fiction [35]. Encore une fois, on sait quel puissant démenti Rousseau apporte à cette thèse dans la Lettre à d’Alembert sur les spectacles.
37Cette belle ambition est également menacée par la transformation de la réception sentimentale en code social. Ces larmes théâtralisées si prisées par Diderot, manifestent-elles vraiment une adhésion intime ? Rétif affirme dans La Mimographe : « L’homme sensible […] jouit de son attendrissement […] pour goûter cette volupté si douce, il faut non sortir de soi-même, mais s’y concentrer », ajoutant : « notre siècle affiche le sentiment, c’est une mode que cette affectation, et personne ne voudra paraître s’en écarter [36] ». Aux côtés des anecdotes édifiantes relatant les conversions de spectateurs débauchés, prennent alors place des récits ironiques qui, se moquant plaisamment de l’enthousiasme des Philosophes, font vaciller la foi nouvelle. Cubières-Palmézeaux, dédiant son drame satirique à une « femme sensible », parodie plaisamment les certitudes d’un Diderot ou d’un Mercier, en en proposant un détournement galant :
Je vous ai vu pleurer bien des fois aux représentations du Père de famille, du Philosophe sans le savoir, d’Eugénie et de quelques autres pièces de ce genre. […] J’aurais bien choisi ce moment pour vous faire une déclaration, sûr que l’attendrissement que vous causaient des héros imaginaires aurait tourné au profit d’un amant très réel. [37]
39La compassion convertie en stratégie de séduction : voilà qui corroborerait les vitupérations d’un saint Augustin dévoilant sous l’apparence de la sensibilité l’embuscade du libertinage. Il en est de même dans cette anecdote :
Un homme de qualité, dur et fier, revenant d’une représentation de Nanine, dit à son suisse : je vous ordonne de laisser entrer chez moi tous ceux qui me demanderont, fussent-ils en sabots. Le suisse, très étonné d’un ordre si édifiant s’imagina d’abord que son maître venait de se confesser à l’Église, mais jetant les yeux sur la voiture, il y vit une actrice qui était alors la maîtresse de Monseigneur, ce qui lui fit juger que sa conversion était l’ouvrage de la comédie, et une manière de faire sa cour à sa princesse. [38]
41Tous les éléments de la mythologie sentimentale semblent ici réunis : spécularité et perméabilité de la fiction et de la réalité, renoncement de l’aristocrate aux valeurs de sa caste en faveur de la morale sensible, rapprochement de l’effet théâtral avec l’action évangélique du sermon. Seul un élément introduit une fausse note dans le bel édifice : la mention du contexte galant, qui, renvoyant à la légèreté légendaire des actrices et rappelant que la représentation constitue un rituel social avant d’être le lieu d’une cérémonie morale, fait soupçonner le caractère finalement assez peu édifiant de la scène.
42Au terme de cet examen de quelques lieux de la légende qui entoure, au XVIIIe siècle, la réception pathétique, il reste à s’interroger sur la nature – et sans doute aussi sur la fonction – de cette mythologie qui, on a pu le constater, est en réalité double et ambivalente. Quelques hypothèses donc. L’entreprise parodique, en dénonçant la mythologie pathétique, confirme cependant l’existence d’une pratique des larmes érigée en langage social. Elle met à nu les figurations stratégiques d’une émotion désignée comme fondement de la légitimité du medium dramatique et témoigne elle aussi, mais sur un mode ironique, du transfert de sacralité qui signe l’originalité de la pensée théâtrale des Lumières. Cette mise à nu de la rhétorique des larmes et de l’idéologie qui la sous-tend, en venant doubler les mythologies de l’effet, ne vise pas à détruire l’efficacité pathétique, mais plutôt une idée fausse qui serait celle de la naïveté, de la transparence et de l’insignifiance des larmes. La posture iconoclaste complète dès lors l’entreprise mythologique, révélant l’épaisseur intellectuelle des larmes, mais aussi les tensions qui habitent non seulement l’appréhension du pathétique, mais aussi celle du XVIIIe siècle lui-même, souvent tiraillé dans le discours commun entre persiflage et sentimentalisme. Contrebalançant la simplification théorique à laquelle se prêtent les anecdotes édifiantes qui s’attachent à gommer les tensions inhérentes à l’esthétique pathétique (que ce soit en ce qui concerne le naturel, l’illusion ou les prolongements sociaux du spectacle), ces démarches démystificatrices incitent, dès le XVIIIe siècle, à complexifier l’approche d’un langage des larmes moins univoque qu’il n’y paraît. La mythologie pathétique, foncièrement ambivalente, n’a pas seulement le mérite de révéler cette complexité : elle permet également de réfléchir à la place du discours commun dans la pensée du théâtre au XVIIIe siècle et de rendre au public son rôle, non seulement dans le protocole dramatique, mais dans l’appréhension théorique de l’art.
Notes
-
[1]
On reprend la terminologie de Roland Barthes qui, dans ses Mythologies, énonçait l’ambition de traiter « les “représentations collectives” comme des systèmes de signes », espérant ainsi « rendre compte en détail de la mystification qui transforme la culture petite-bourgeoise en nature universelle » (Préface de 1970, Œuvres complètes, Paris, Seuil, 2002, t. I, p. 673).
-
[2]
Clément et La Porte, Anecdotes dramatiques, Paris, Duchesne, 1775, t. I, p. 521.
-
[3]
La Motte, Inès de Castro, dans Théâtre du XVIIIe siècle, éd. J. Truchet, Paris, Gallimard, « Bibl. de la Pléiade », 1972, t. I, p. 517-518.
-
[4]
Les succès de larmes ne sont, par ailleurs, pas toujours assurés. La Judith de l’abbé Boyer connut ainsi, à sa reprise, une déconvenue : voir François et Claude Parfaict, Histoire du théâtre français depuis son origine jusqu’à présent, Amsterdam, 1735-1748, t. XIII, p. 408-410.
-
[5]
Servandoni d’Hannetaire, Observations sur l’art du comédien, Paris, 1774, p. 315. D’autres commentateurs offrent des versions sensiblement différentes. Pour Clément et La Porte, la saillie de Duclos a pour conséquence des applaudissements, non des larmes (op. cit., t. I, p. 448). Pour Diderot, les larmes des spectateurs sont l’effet de celles de l’actrice, selon une contagion qui tiendrait moins à la nature rhétorique de la pièce qu’au don des larmes de l’interprète (Paradoxe sur le comédien, dans Œuvres. IV : Esthétique. Théâtre, éd. L. Versini, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1996, p. 1398).
-
[6]
C’est ce que confirme une anecdote concernant Sophie Arnould : « Assistant à la représentation d’un drame où Mlle Contat était fort déplacée, Sophie, qui riait, dit à ses voisins : Je ne cesserai de rire que lorsqu’elle me fera pleurer. » (Esprit de Sophie Arnould, Paris, F. Louis, 1813, p. 43).
-
[7]
Marivaux, Le Spectateur français, 16e feuille, dans Journaux et œuvres diverses, éd. Fr. Deloffre et M. Gilot, Paris, Garnier, 1969, p. 205.
-
[8]
Il rejoint sur ce point certaines réflexions de Racine dans la préface de Bérénice.
-
[9]
Voir dans le présent volume l’article de Denis Roche.
-
[10]
Voltaire, Le Temple du goût, éd. É. Carcassonne, Genève, Droz, 1953, p. 71.
-
[11]
Chamfort, Maximes et pensées, 1144, éd. J. Dagen, Paris, Flammarion, « GF-Flammarion », 1968, p. 303.
-
[12]
Clément et Laporte, op. cit., t. I, p. 90. Voir aussi : « À une des représentations de Bérénice, dont le rôle principal était joué par Mlle Gaussin, un des sentinelles, fondant en larmes, laissa tomber son fusil, moins occupé de son devoir qu’attendri par le jeu de l’actrice » (ibid., t. I, p. 147).
-
[13]
Ibid., t. II, p. 485-486.
-
[14]
Ibid., t. I, p. 71.
-
[15]
Voir Sade, « Lettre à des directeurs de théâtre », Œuvres complètes, Paris, Pauvert, 1991, t. 15, p. 480 ; Coqueley de Chaussepierre, Monsieur Cassandre. Paradrames. Parodies du drame (1775-1777), éd. M. de Rougemont, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 1998, p. 36.
-
[16]
Cubières-Palmézeaux, La Manie des drames sombres, II, 4, Paris, Ruault, 1777, p. 64.
-
[17]
Servandoni d’Hannetaire, op. cit., p. 281.
-
[18]
Clément et Laporte, op. cit., t. II, p. 40.
-
[19]
Louis-Sébastien Mercier, De la littérature, Genève, Slatkine reprints, 1970, p. 74 ; Mon Bonnet de nuit, éd. J.-Cl. Bonnet, Paris, Mercure de France, 1999, p. 288.
-
[20]
Essai sur le genre dramatique sérieux, dans Beaumarchais, Œuvres, éd. P. Larthomas, Paris, Gallimard, « Bibl. de la Pléiade », 1988, p. 128. L’absence de larmes se voit ainsi assimilée à un défaut éthique, selon une logique physiologico-morale qui rappelle les propos de Descartes tentant d’expliquer pourquoi certains enfants pâlissent au lieu de pleurer (Descartes, Les Passions de l’âme, Paris, Gallimard, « Tel », 1993, p. 231-232 et 265).
-
[21]
Rousseau, Lettre à d’Alembert, éd. M. Fuchs, Genève, Droz, 1948, p. 32.
-
[22]
Voir notamment Voltaire, Adélaïde du Guesclin, III, 1 ; Alzire, II, 2 (Collection des théâtres français, t. XIV, Senlis, Tremblay, 1829, p. 40 et 113).
-
[23]
Zoé, I, 6, dans Mercier, Théâtre complet, Genève, Slatkine reprints, 1970, p. 378.
-
[24]
L’émotion seconde du spectateur interne authentifie la validité éthique de la sensibilité manifestée par le personnage et balaie ainsi tout soupçon d’imposture morale.
-
[25]
Mercier, Du Théâtre ou Nouvel essai sur l’art dramatique, éd. P. Frantz, Paris, Mercure de France, 1999, p. 1152.
-
[26]
Marmontel, Contes moraux, « La Bonne mère », Paris, Merlin, 1783, p. 74-75.
-
[27]
La Manie des drames sombres, I, 3, éd. cit., p. 28.
-
[28]
Ibid.
-
[29]
Chéron de La Bruyère, L’Homme de sentiments ou le Tartuffe des mœurs. Comédie, Paris, 1801.
-
[30]
Voltaire, Correspondance, éd. Th. Besterman, n° 6394, Paris, Gallimard, « Bibl. de la Pléiade », 1977-1988, t . VI, p. 159.
-
[31]
Diderot, Œuvres. IV : Esthétique. Théâtre, éd. L. Versini, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1996, p. 1282-1283.
-
[32]
Clément et Laporte, op. cit., t. I, p. 203.
-
[33]
La Viéville, Lettre à M de Milcent, Amsterdam, Jorry, 1775, p. 11.
-
[34]
Art. « Attendrissement », Dictionnaire universel français et latin, vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux, Paris, Compagnie des Libraires Associés, 1771, t. I.
-
[35]
De l’émotion méritante à l’exercice actif des vertus, il n’y aurait, aux yeux des Philosophes, qu’un pas, que Diderot n’hésite à franchir : « Imaginez que cet ouvrage est répandu sur toute la surface de la terre et que voilà Richardson l’auteur de cent bonnes actions par jour » (Diderot, Correspondance, éd. Roth et Varloot, Paris, Éditions de Minuit, 1955-1970, t. III, p. 310).
-
[36]
Rétif de la Bretonne, La Mimographe, éd. M. de Rougemont, Paris/Genève, Slatkine, « Ressources », 1980, p. 329.
-
[37]
La Manie des drames sombres, éd. cit., p. 1.
-
[38]
Geoffroy, Cours de littérature dramatique, Paris, Blanchard, 1819, p. 92.