Notes
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[1]
M. Cureau de La Chambre, Les Caractères des Passions, Paris, Jacques d’Allin, 1662, t. IV, p. 9-10.
-
[2]
D. Le Breton, Les Passions ordinaires. Anthropologie des émotions [1998], Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2004, chap. II : « Langage et symbolique corporelle », p. 52.
-
[3]
Ibid., p. 53.
-
[4]
D. Denis et A.-É. Spica, « De l’inquiétude des signes », Littératures classiques, n° 50 (« Les langages au XVIIe siècle », dir. D. Denis et A.-E. Spica), printemps 2004, p. 7.
-
[5]
Ibid., p. 8.
-
[6]
Ibid., p. 7.
-
[7]
Dictionnaire universel, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690.
-
[8]
Dictionnaire universel français et latin […], Paris et Trévoux, s.n., 1721.
-
[9]
A. Vincent-Buffault, Histoire des larmes (XVIII-XIXe siècles) [1986], Paris, Payot/Rivages, 2001 ; J.-J. Courtine et Cl. Haroche, Histoire du visage. Exprimer et taire ses émotions (XVIe-début XIXe s.) [1988], Paris, Payot/Rivages, 1994 ; L. Desjardins, Le Corps parlant. Savoirs et représentation des passions au XVIIe siècle, Québec/Paris, Les Presses de l’Université Laval/L’Harmattan, 2001.
-
[10]
D. Denis et A.-É. Spica, art. cit.
-
[11]
L. Desjardins, op. cit.
-
[12]
M. Albert, « L’éloquence du corps. Conversation et sémiotique corporelle au siècle classique », Germanisch-romanische Monatsschrift, n° 39, 1989, p. 156-179. Voir également J.?P. Cavaillé, « De la construction des apparences au culte de la transparence. Simulation et dissimulation entre le XVIe et le XVIIIe siècle », Littératures classiques, n° 34 (« La périodisation de l’âge classique », dir. J. Rohou), automne 1998, p. 73-102 ; J.-J. Courtine et Cl. Haroche, op. cit., IIe partie, p. 159-264 ; É. Méchoulan, Le Corps imprimé. Essai sur le silence en littérature, Montréal, L’Univers des discours, 1999.
-
[13]
Nous renvoyons au Dictionnaire de Richelet [1680] (art. « Pleurer ») et au dictionnaire de Trévoux, éd. cit. (articles « Larme » et « Pleurer »).
-
[14]
Pour une présentation problématisée de ces ouvrages, on se reportera aux travaux déjà cités de J.-J. Courtine et Cl. Haroche et de L. Desjardins.
-
[15]
L. Desjardins, « De la “surface trompeuse” à l’agréable imposture. Le visage au XVIIe siècle », Intermédialités, n° 8 (« Envisager », dir. J. Villeneuve), automne 2006, p. 55.
-
[16]
Citons par exemple les analyses de Coëffeteau sur les larmes de tristesse : Tableau des passions humaines, de leurs causes et de leurs effets, Paris, Sébastien Cramoisy, 1620, p. 329-332.
-
[17]
Nous renvoyons à la série d’articles que Descartes consacre aux larmes dans Les Passions de l’âme [1649], Vrin, 1991, p. 156-160 : « De l’origine des Larmes » ; « De la façon que les vapeurs se changent en eau » ; « Comment ce qui fait de la douleur à l’œil l’excite à pleurer » ; « Comment on pleure de Tristesse » ; « Des gémissements qui accompagnent les larmes » ; « Pourquoi les enfants et les vieillards pleurent aisément » ; « Pourquoi quelquefois les enfants pâlissent, au lieu de pleurer ».
-
[18]
On aura reconnu l’entreprise de Cureau de La Chambre (op. cit., p. 15), qui ne lui consacre pas moins de 169 pages dans la partie intitulée « Les Caractères des Larmes » (p. 1-169).
-
[19]
H. Parret, Les Passions. Essai sur la mise en discours de la subjectivité, Bruxelles/Liège, P. Margada, 1986.
-
[20]
Sur « la disparate qui caractérise le discours sur les passions au XVIe siècle et dans la première moitié du XVIIe siècle, juxtaposant les références aux “autorités” les plus diverses (anciennes et modernes) et la voix de la doxa, mêlant le savoir médical et la philosophie morale », voir G. Mathieu-Castellani, La Rhétorique des passions, Paris, P.U.F., 2000, p. 172-174.
-
[21]
Telle est la démarche de la sémiotique, définie par A.-J. Greimas et J. Fontanille, La Sémiotique des passions. Des états de choses aux états d’âme, Paris, Seuil, 1991, et adoptée par exemple par A. Hénault dans Le Pouvoir comme Passion, Paris, P.U.F., 1994.
-
[22]
M. Delon, art. « Larmes », dans Dictionnaire européen des Lumières, dir. M. Delon, Paris, P.U.F., 1997, p. 643.
-
[23]
Sh. P. Bayne, « Le Siècle en Pleurs : l’émotivité au service de la société », dans Das weinende Saeculum, Heidelberg, Carl Winter, 2003, p. 27.
-
[24]
D. Roth, Larmes et consolations en France au XVIIe siècle, Lyon, Éditions du Cosmogone, 1997, titres des chapitres II (p. 91) et IV (p. 223).
-
[25]
Ibid. p. 225.
-
[26]
Sh. P. Bayne, art. cit., p. 30. Voir du même auteur, Tears and Weeping : an aspect of emotional climate reflected in Seventeenth-century French Literature, Tübingen/Paris, G. Narr/J.-M. Place, 1981.
-
[27]
G. Sauder, art. « Sensibilité », Dictionnaire européen des Lumières, op. cit., p. 985.
-
[28]
Abbé Du Bos, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, Paris, 1770, p. 39-40 ; cité par R. Démoris, « Le langage du corps et l’expression des passions de Félibien à Diderot », dans Des mots et des couleurs. 2, J.-P. Guillerm éd., Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires de Lille, 1986, p. 42.
-
[29]
A. Vincent-Buffault, op. cit., Ière partie, chap. II : « L’échange des larmes et ses règles », p. 24-45.
-
[30]
D. Roth, op. cit., p. 25.
-
[31]
Cl. Badiou-Monferran, « « La promotion esthétique du pathétique dans la seconde moitié du dix-septième siècle », La Licorne, n° 43 (« Passions, émotions pathos », dir. A. Coudreuse et B. Delignon), 1997, p. 76-77.
-
[32]
Ibid., p. 88.
-
[33]
L’un des indices forts de cette autonomisation esthétique est la séparation qui s’opère entre pathétique et tragique : A. Coudreuse, Le Goût des larmes au XVIIIe siècle, Paris, P.U.F., « Écriture », 1999, Ière partie, chap. 3 : « Pathétique, tragique, dramatique : essai de typologie », p. 127-146.
-
[34]
R. Zuber, « Littérature et classicisme », Histoire littéraire de la France, dir. P. Abraham et R. Desné, Paris, Éditions Sociales, 1975, t. IV, p. 85.
-
[35]
Sur ces questions de périodisation et de réaménagements chronologiques, contentons-nous de mentionner trois collectifs récents : Littératures classiques n° 34 (« La périodisation à l’âge classique », dir. J. Rohou), automne 1998 ; Un Siècle de deux cents ans ? Les XVIIe-XVIIIe siècles : continuités et discontinuités, dir. J. Dagen et Ph. Roger, Paris, Desjonquères, 2004 ; L’Année 1700, dir. A. Gaillard, « Biblio 17 », n° 154, Tübingen, Gunter Narr, 2004.
-
[36]
Il s’agit respectivement des analyses de J.-M. Pelous, Amour précieux, amour galant (1654-1675). Essai sur la représentation de l’amour dans la littérature et la société mondaines, Paris, Klincksieck, 1980, p. 296 ; de J. Mesnard, « Le classicisme français et l’expression de la sensibilité », La Culture du XVIIe siècle. Enquêtes et synthèses, Paris, P.U.F., 1992, p. 488 ; de G. Atkinson, Sentimental revolution. French writers of 1690-1740, Seattle/London, University of Washington Press, 1965.
-
[37]
M. Vovelle, « Les larmes et la mort au siècle des lumières », dans Das weinende Saeculum, op. cit., p. 182.
-
[38]
C. Barbafieri, Atrée et Céladon, La Galanterie dans le théâtre tragique de la France classique (1634-1702), Rennes, P.U.R., « Interférences », 2006, IIe partie, chap. V : « Le goût des larmes », p. 167.
-
[39]
Ibid., p. 178-187. Une telle mode est à relier à l’engouement des contemporains pour Ovide : M.-Cl. Chatelain, Ovide en France dans la seconde moitié du XVIIe siècle, thèse de doctorat, dir. G. Ferreyrolles, Université de Paris IV, 2005 (à paraître), notamment « Le pathétique élégiaque », p. 468-605.
-
[40]
Nous renvoyons à C. Barbafieri, op. cit. p. 187-191, et à Chr. Biet, « La passion des larmes », Littératures classiques, n° 26, janvier 1996, p. 167-183.
-
[41]
L. Desjardins, « Le langage du corps comme langage de l’âme et des passions », Littératures classiques, n° 50, printemps 2004, p. 271.
-
[42]
Voir P. Adnès, art. « Larmes », Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, 1932-1995, t. IX, p. 287-303, ainsi que D. Roth, op. cit., p. 91-164.
-
[43]
J. Mesnard, « Jansénisme et littérature », dans Le Statut de la littérature. Mélanges offerts à Paul Bénichou, dir. M. Fumaroli, Genève, Droz, 1982, p. 131.
-
[44]
Voir C. Esmein, « Peinture de la passion et rhétorique des passions dans la poétique romanesque après 1660 », dans De Rabelais à Sade. L’analyse des passions dans le roman de l’âge classique, C. Duflo et L. Ruiz éd., Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2003, p. 21-29.
-
[45]
Sur la question de l’illusion et de l’identification, voir, entre autres références, C. Esmein, « La pensée du roman dans la deuxième moitié du XVIIe siècle : un art de l’illusion », XVIIe siècle, n° 232, juillet 2006, p. 477-486 ; M. Rosellini, « Curiosité et théorie du roman dans le dernier tiers du XVIIe siècle : entre éthique et esthétique », dans Curiosité et libido sciendi de la Renaissance aux Lumières, dir. N. Jacques-Chaquin et S. Houdard, Fontenay, ENS Éditions, 1998, t. I, p. 137-156.
-
[46]
J.-J. Roubine, « La stratégie des larmes au XVIIe siècle », Littérature, n° 9, février 1973, p. 57.
-
[47]
Loc. cit.
-
[48]
Pour une présentation synthétique de la comédie larmoyante : A.Vincent-Buffault, op. cit., p. 97-101.
-
[49]
J.-J. Roubine, art. cit., p. 57.
-
[50]
Loc. cit.
-
[51]
Ibid., p. 64.
-
[52]
Ibid., p. 67.
-
[53]
R. Muchembled, « Pour une histoire des gestes (XVe-XVIIIe s.) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 34, 1987, p. 87.
-
[54]
H. Merlin-Kajman, L’Absolutisme dans les Lettres et la théorie des deux corps. Passions et politique, Paris, Champion, 2000, chap. VI : « La liberté des larmes », p. 173-206.
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[55]
Nous renvoyons à Cl. Badiou-Monferran, art. cit., p. 87, qui distingue le « pathos de la production » du « pathos de la réception », soulignant que « si, autour des années 1670, le principe d’un pathos de la production, fidèle à l’injonction de naturel, est non seulement agréé mais encore vivement recommandé, à la même époque, la promotion esthétique d’un pathos de la réception ne s’effectue pas sans grincements ».
-
[56]
Voir V.-M. Grégoire, « Le larmoiement : l’expression originale d’une sensibilité masculine dans la seconde moitié du dix-septième siècle », Seventeeth-Century French Studies, n° 15, 1993, p. 181- 203.
Ce n’est pas là pourtant un petit dessein que nous entreprenons ; la source de ces eaux-là est bien plus cachée que celle du Nil : car on a tant cherché celle-ci qu’à la fin on l’a découverte ; mais personne à mon avis n’a encore trouvé celle des Larmes. Peut-être ne serons-nous pas plus heureux que ceux qui nous ont devancés, et quoique nous ne prenions pas un même chemin, celui que nous tenons nous peut faire égarer aussi bien qu’eux. Qui oserait aussi se vanter de pouvoir découvrir la vérité de la Nature ? Elle l’a cachée, non pas dans un puits comme Démocrite, mais en des abîmes où il y a tant d’obscurités que l’Esprit le plus clairvoyant n’y peut rien apercevoir. Mais n’en disons pas davantage, c’est là un véritable sujet de pleurs, et nous ne voulons pas causer des Larmes, nous voulons seulement parler des Larmes. [1]
Une fascination inquiète pour le « corps parlant »
2Le titre de ce numéro consacré au langage des larmes ne peut manquer de surprendre, tant il heurte de front l’habitude de respecter l’étanchéité de catégories communément considérées, sous l’influence déterminante de la linguistique, comme contradictoires (médiat/immédiat, discursif/corporel). Si le voisinage au sein d’un même syntagme de deux termes apparemment exclusifs l’un de l’autre appelle quelques commentaires, c’est qu’au-delà de préoccupations lexicographiques, il engage toute une conception à la fois du langage et du corps – conceptions que l’on sait éminemment tributaires de l’épistémè de l’époque considérée. À l’heure actuelle, en effet, l’expression langage des larmes paraît reposer au mieux sur une métaphore, au pire sur un abus de langage, tant prévaut le sens strictement linguistique du terme de langage, c’est-à-dire la capacité, pour les hommes, d’exprimer leur pensée et de communiquer au moyen de signes vocaux et éventuellement graphiques (la langue). « Si la symbolique corporelle dessine un système de communication, un lien entre soi et le monde et entre soi et soi, elle se distingue de la langue en ce que son fonctionnement ne sollicite pas la double articulation qui caractérise le langage [2]. » Par conséquent,
la ressemblance entre le fonctionnement du langage et celui du corps est une fausse perspective induite par le fait que l’un et l’autre sont des systèmes symboliques. Mais leur nature n’est pas la même, ils ne signifient pas de la même manière. Le corps n’est pas langage, à moins de jouer sur la confusion courante entre langage et système symbolique. [3]
4Or si l’on considère attentivement les articles que consacrent les dictionnaires de l’âge classique au langage, on s’aperçoit que ce terme recouvre toute une série d’emplois propres à brouiller ces lignes de partage. De fait, les définitions intègrent largement « l’acception généralisante du terme pour désigner tout code sémiologique [4] » – acception symptomatique d’une « inquiétude tant à l’égard du langage humain, soupçonné d’opacité ou d’équivoques trompeuses, source de séductions idolâtres, que des différents langages où se jouent le partage du sens et la construction de la signification [5]. » Ainsi le terme de langage en vient-il à référer, sans doute de façon plus souple qu’aujourd’hui, à toute « forme d’expression codifiée [6] ». Pour l’époque classique, langage « se dit figurément en Morale des signes muets, ou cris et sons inarticulés qui servent à faire connaître plusieurs choses », qu’il s’agisse du langage des « Cieux », des « animaux » ou des « yeux » (Furetière [7]). Désignant ainsi tout ensemble de signes cohérent donc interprétable, le langage ne se réduit pas, loin s’en faut, au langage articulé : « il signifie aussi, certaine façon de s’exprimer, de faire connaître sa pensée sans parler. Le langage des yeux, c’est un langage muet. » (Académie française). C’est d’ailleurs ce que laisse entendre d’emblée la définition sur laquelle s’ouvre l’article du dictionnaire de Trévoux [8] (« Ce mot désigne proprement la manière dont les hommes se communiquent leurs pensées par une suite de paroles, de gestes, d’expressions. »), avant d’insister explicitement sur les réalisations non verbales du langage : « se dit par extension en Morale des signes muets, des cris ou des sons inarticulés qui servent à faire connaître plusieurs choses, en général, de tout ce qui sert à faire connaître la pensée, sans parler. » Toutefois, si le terme s’avère susceptible d’emplois relativement lâches, c’est de façon consciente et dûment signalée par des précautions métalinguistiques, qui laissent transparaître en filigrane toute une réflexion, lourde d’enjeux, sur le statut même du langage (« se dit figurément en Morale », « se dit par extension en Morale »).
5En fait, comme le font entrevoir ces définitions glanées dans les dictionnaires de l’époque, c’est en tant que système sémiotique que doit être abordé le langage des larmes, c’est-à-dire comme un système de signes (« signes muets ») assurant et permettant une communication dans un environnement socioculturel donné. Prendre ainsi en compte la valeur et l’utilité sémiotiques du langage des larmes présente non seulement l’avantage de neutraliser, au moins provisoirement, le flou induit par l’évocation métaphorique, mais aussi de prendre toute la mesure de la perméabilité de ce système aux règles, aux normes et aux modes en vigueur. On l’aura compris, c’est dans le champ déjà bien balisé de l’histoire des signes corporels que s’inscrit cette livraison, dans le sillage de travaux constamment soucieux de concilier enquête historique, démarche sémiotique et analyse anthropologique [9].
6Inaugurer ce numéro par un questionnement sur la lisibilité des larmes revient à prendre acte d’une « inquiétude des signes [10] » qui se cristallise tout particulièrement sur les énigmes, opacités et mystères du « corps parlant [11] ». De nombreux discours, hantés par une commune obsession des simulacres et des mystifications toujours possibles, s’attachent ainsi, en dépit de leur irréductible diversité, à sonder les replis des cœurs et des corps. Qu’il s’agisse des distinctions galantes, des analyses des moralistes ou des spéculations augustiniennes, tous étendent le soupçon de duplicité, de dissimulation ou de mensonge aux moindres mouvements humains, qu’ils restent cantonnés dans l’intériorité ou qu’ils prennent place sur une scène sociale imposant à « l’éloquence du corps » une étroite normalisation [12]. D’ailleurs, les dictionnaires ne manquent pas de se faire l’écho de ce soupçon à l’encontre d’un langage dont il est toujours loisible de se méfier, tant les contrefaçons – les « larmes de crocodile » (signalées par les dictionnaires de Furetière et de l’Académie française) – sont devenues monnaie courante, surtout, cela va sans dire, de la part des femmes [13].
7Mais c’est la floraison d’ouvrages de physiognomonie et de traités des passions qui constitue sans doute le plus puissant révélateur de cette inquiétude [14]. Parce que « ces discours “savants” cultivent l’ambition de rendre le visage transparent à qui sait l’observer [15] », ils ne manquent pas de croiser le thème du langage des larmes, soit qu’ils l’abordent furtivement à l’occasion de l’analyse psychologique des effets produits par certaines passions [16], soit qu’ils en proposent une explication mécaniste [17], soit qu’ils consacrent à cette étrange « passion des larmes [18] » tout un développement conjoignant réflexion philosophique et descriptions physiologiques, discours moral et démarche médicale, préoccupations métaphysiques et analyses psychologiques.
8Une telle enquête se situe nécessairement à la frontière d’autres approches, sans se confondre avec elles. S’interroger sur les systèmes de valeurs et de significations institués par les différentes réalisations du langage des larmes que donnent à lire des textes d’horizons génériques variés peut sembler, à première vue, s’inscrire dans la longue lignée des travaux consacrés à la textualisation des passions et du passionnel, qu’ils définissent les procédures psychologiques et linguistiques présidant à leur « mise en discours [19] », élucident les présupposés idéologiques préexistant à leur énonciation (présupposés véhiculés par ce qu’il convient d’appeler « la disparate du discours sur les passions [20] ») ou élaborent, dans une perspective sémiotique, une taxinomie des types de comportements passionnels, à partir de gestes et d’attitudes corporelles traités comme autant de signes à valeur d’indice [21]. S’il ne s’agit pas, ou du moins pas principalement, de s’engager dans la voie ouverte par ces différents décryptages des mécanismes propres à la traduction textuelle des passions, c’est que l’ampleur de cette problématique, qui implique de conjuguer les apports de la philosophie du langage, de l’anthropologie historique et de la sémiotique, excède largement l’ambition de ce numéro. Illustrer les mutations d’un langage qui, s’émancipant progressivement de sa vocation à n’être que l’indice toujours suspect de passions dont de multiples traités s’attachent à cerner les mécanismes, et qui devient progressivement le gage incontesté – en dépit des falsifications toujours possibles – autant de la réussite esthétique des pièces de théâtre et des romans que de l’excellence morale d’âmes sensibles capables d’être touchées et attendries : tel est, plus modestement, l’objectif de cette livraison. Pourtant, parce que les larmes constituent un medium qui, au même titre que les gestes corporels, extériorise les passions intimes, la question de la visibilité des passions n’en constitue pas moins l’arrière-plan de contributions qui toutes, dans un va-et-vient constant entre analyse textuelle et démarche historienne, cherchent à prendre la mesure des interférences entre l’écriture des larmes et l’imaginaire culturel dans lequel elle s’enracine.
Les mutations du langage des larmes aux siècles classiques
9Si nous avons choisi comme poste d’observation le moment charnière que constituent, à bien des égards, le dernier tiers du XVIIe siècle et le premier tiers du XVIIIe siècle, c’est que le langage des larmes – ou plutôt les enjeux et les présupposés de son fonctionnement sémiotique – connaît alors de profondes mutations. En effet, il fait simultanément l’objet d’une laïcisation, d’une valorisation morale et d’une promotion esthétique.
10C’est d’abord sa laïcisation qui, en libérant le langage des larmes de son asservissement à des fins strictement religieuses, bouleverse en profondeur sa signification. Chacun s’accorde à reconnaître que, tandis que « le XVIIe siècle accordait essentiellement une valeur religieuse aux larmes », le XVIIIe siècle les interprète davantage comme « la preuve d’une sensibilité commune à tous, donc d’une solidarité entre les êtres ; elles marquent moins la conscience déchirée d’une insuffisance par rapport à Dieu que la violence d’un état affectif et la perspective d’une communauté humaine [22] ». D’ailleurs, il semblerait que l’on ne pleure plus pour les mêmes raisons avant et après le tournant des deux siècles : alors que « les concepts susceptibles de faire pleurer au dix-septième siècle étaient surtout spirituels, religieux et “verticaux”, […] au dix-huitième siècle les valeurs chargées d’émotion étaient sociales, séculières et “horizontales” [23] ». Cessant d’être confisquées et instrumentalisées par une religion catholique cultivant volontiers une « apologie et mise en scène des larmes “selon la grâce” », les deux dernières décennies du XVIIe siècle sont ainsi marquées par la « revanche des larmes “selon la nature” [24] ». C’est cette « revanche » qui aboutit à admettre un droit de pleurer en dehors de la seule sphère religieuse, « les larmes désert[ant] les églises pour les salons et les théâtres [25] ».
11La valorisation morale des larmes paraît intimement liée à cette laïcisation, qui en serait l’une des conditions de possibilité. Si durant la seconde moitié du XVIIe siècle, « les larmes qui coulent à propos de l’amour, du deuil, de la religion, et pour d’autres motifs encore » sont davantage tolérées et admises [26], il faut néanmoins attendre la fin du siècle pour que les larmes deviennent une preuve d’humanité, garantissant la valeur morale de celui qui les verse. Le siècle suivant, loin de se contenter d’entériner cette évolution, la radicalise de façon saisissante en promouvant une véritable « morale du sentiment [27] ». Désormais, ne pas pleurer dans des circonstances touchantes, c’est-à-dire se montrer dépourvu d’une « sensibilité » donnée pour « premier fondement de la société [28] », revient à s’exclure de la communauté vertueuse et à sombrer dans ce que le XVIIIe siècle nomme la barbarie [29].
12Mais c’est surtout la promotion du pathétique, conçu désormais comme catégorie esthétique autonome, qui, en donnant les moyens de penser un plaisir qui ose enfin s’avouer pour tel, débarrasse définitivement le langage des larmes de sa soumission à « une culture du refoulement [30] ». Parce que le pathétique devient progressivement, durant le dernier tiers du XVIIe siècle, « une catégorie esthétique à part entière, dégagée de toute visée morale ou religieuse », « il devient enfin possible de décrire librement, indépendamment de tout horizon éthique, dans le cadre d’une rhétorique adulte et désormais soucieuse de penser l’esthétique comme objet d’étude autonome, la volupté des larmes [31] ! » En instituant « la promotion esthétique de la sensibilité [32] », cette autonomisation du pathétique favorise de façon décisive l’envahissement de bon nombre d’ouvrages du siècle suivant par le langage des larmes [33].
13C’est ce faisceau de mutations affectant le langage des larmes au cours des siècles classiques que les articles réunis dans ce volume entendent illustrer. Ce faisant, ils partagent un certain nombre de postulats épistémologiques : d’une part, la nécessité de réexaminer, à nouveaux frais, une périodisation littéraire risquant fort d’occulter la « suite de transitions fines [34] » au profit de dichotomies commodes mais simplistes [35] ; d’autre part, la nécessité de croiser des approches variées mais connexes – telles que l’histoire des mentalités, la sociologie et l’anthropologie historique –, indispensables pour pouvoir évaluer dans quelle mesure les différentes réalisations textuelles du langage des larmes sont modelées non seulement par les valeurs, normes et codes de leur époque mais aussi par les goûts du public. En plaçant l’observation à la charnière des deux siècles, ce numéro entend en effet prendre acte de très réels changements des sensibilités et, partant, des attentes à l’égard des productions littéraires. Qu’ils mettent l’accent sur la « révélation soudaine de nouveaux paysages sentimentaux », qu’ils analysent les fondements de « la promotion littéraire de la sensibilité » durant les années 1660-1680 ou qu’ils caractérisent le tournant entre les deux siècles par une « révolution sentimentale [36] », de nombreux travaux se sont attachés à déceler, dans le filigrane des œuvres littéraires, les prémices d’un « droit aux larmes » revendiqué avec force par le XVIIIe siècle [37].
14Sans doute le symptôme le plus net de cette évolution des sensibilités demeure-t-il la succession retentissante des succès de larmes qui jalonnent alors l’actualité théâtrale. Parallèlement à la « surenchère de larmes [38] » que l’on peut observer sur scène – surenchère largement liée à la vogue de caractères féminins élégiaques adoptant volontiers la posture des héroïdes [39] –, s’instaure et s’institue dans le dernier tiers du XVIIe siècle un nouveau type de réception. De fait, le succès d’une pièce se mesure de plus en plus à la quantité de larmes versée lors des représentations, en dépit de résistances et de réticences liées à un questionnement inquiet sur l’étrange plaisir des larmes – son origine, sa nature, sa moralité [40]. Certes, cette interrogation sur les inquiétantes obscurités du langage des larmes est particulièrement visible dans la production et la critique théâtrales. Pourtant, il en va pour la réflexion sur le langage des larmes comme pour « la réflexion sur le langage des passions », dont « l’un des aspects essentiels » est « sa dissémination au sein de différentes formes de discours » : « si cette question se retrouve naturellement dans ce qu’il est convenu d’appeler des “traités des passions”, elle investit, de manière transversale, des textes dont le principal objet est autre [41] ». Ainsi ventilée au sein de productions textuelles hétérogènes, la réflexion sur le langage des larmes se diffracte au gré des différents types de discours – types de discours qui correspondent aux massifs des contributions du présent volume.
Le langage des larmes à l’épreuve des contraintes génériques : entre représentations conventionnelles et explorations émotionnelles
15Si le premier ensemble de contributions est consacré au langage des larmes dans la spiritualité catholique, c’est que celle-ci ne cesse d’y recourir, qu’elle signale le don des larmes comme signe de sainteté, dresse une typologie minutieuse des différents types de larmes, recoure à la puissance pathétique des pleurs versés par les figures omniprésentes de Pierre et de Marie-Madeleine, ou distingue les bons et les mauvais usages des larmes [42]. Les articles réunis ici ont pour point commun de faire apparaître une tension entre d’une part l’émotion intime, à la limite de l’ineffable, que manifesterait le langage des larmes, et d’autre part la nécessaire présence d’une médiation engageant, à des degrés divers mais à l’opposé d’expériences mystiques marquées du sceau d’une individualité toujours suspecte, la réalité collective de l’expression de ce langage – liturgie, parole du prédicateur, psaume ou musique également, si l’on pense à la mode des Leçons de ténèbres.
16Interrogeant l’exploration du pouvoir des larmes dans la poétique de la prédication, Aurélien Hupé met en évidence les inquiétudes et les apories, auxquelles elle donne lieu. Le succès d’un sermon se mesurant à la quantité de pleurs versés par l’auditoire, il devient en effet tentant pour les prédicateurs de se servir de leurs propres larmes, quitte à accueillir en chaire la mécanique mimétique de la catharsis tragique. Le recours à une production artificielle – donc mensongère – de larmes données à interpréter comme des signes de conversion ne manque pas de soulever la question de la légitimité d’une telle rhétorique.
17Dans les Psaumes traduits en français, dont Claire Fourquet s’attache à analyser les présupposés, le motif des larmes est largement exploité pour sa fonction conative. De 1635 à 1715, les traducteurs des Psaumes pénitentiels ont amplifié, voire ajouté le lexique lacrymal dans leurs versions – ne manquant pas de tirer profit de l’usage systématique des rimes larmes/alarmes/charmes. La première raison d’une telle inflation est d’ordre théologique, les pleurs évoqués étant d’origine divine, donc légitimes. La seconde est d’ordre linguistique, les pleurs étant considérés comme un système de signes univoques, propre à remettre en question l’ambiguïté foncière du langage.
18Le tournant que constitue la condamnation des larmes mystiques est le terrain d’investigation de Frédéric Miquel. La condamnation par Rome de la doctrine quiétiste, en 1699, jette le discrédit sur les expériences et discours mystiques, si florissants au XVIIe siècle. La crise profonde qui s’ensuit a de profondes répercussions sur la tradition religieuse des larmes : si la dialectique spirituelle du don des larmes et de leur abandon, représentée par Fénelon et Mme Guyon, ne disparaît pas, elle n’en subit pas moins, au début du XVIIIe siècle, un transfert mondain – une sécularisation.
19C’est sur le caractère foncièrement rhétorique du langage des larmes que les trois contributions suivantes mettent l’accent. En effet, dans les écrits du for intérieur, la mise en discours des larmes apparaît étroitement subordonnée à des visées pragmatiques : loin d’obéir à une logique purement expressive et d’être seulement le reflet d’un vécu, elle est modelée en profondeur par les objectifs plus ou moins explicites des scripteurs. Parce que le motif des larmes n’est jamais purement dénotatif, mais qu’il est au contraire source de bénéfices éthiques et symboliques dans la mesure où il permet de négocier l’image de soi, les études de cas que l’on propose ici visent à mettre au jour des stratégies rhétoriques qui s’avèrent paradigmatiques d’une gestion concertée du langage des larmes.
20Si les larmes occupent une telle place dans les Relations de captivité des religieuses de Port-Royal, qu’étudie Michèle Bretz, c’est qu’elles sont dotées, en pareil contexte, d’une indéniable puissance polémique. Parce que ces relations obéissent simultanément, à l’instar des autres textes jansénistes, à une triple visée – « se définir », « se raconter », « se défendre [43] » –, le motif des larmes y acquiert un poids argumentatif de premier ordre. Les larmes versées durant leur captivité par les moniales de Port-Royal constituent ainsi un véritable instrument de lutte. Certes, elles témoignent de la componction de celles qui ont succombé à la tentation de la signature du Formulaire ; certes, elles favorisent le lien avec Dieu et s’inscrivent dans le cadre de la tradition cistercienne que Port-Royal a voulu préserver ; mais elles sont surtout le signe de la miséricorde et de la tendresse divines, c’est-à-dire, en définitive, un signe d’élection justifiant le combat des religieuses.
21C’est davantage la fonction persuasive des larmes au sein de l’entretien épistolaire que Cécile Lignereux met en relief. Soucieuse à la fois d’avouer ses larmes et de pallier les risques que lui feraient courir des épanchements qui ne seraient pas contenus dans les bornes de l’aptum, Mme de Sévigné élit toute une série de ruses discursives propres à satisfaire les injonctions contradictoires de sa sensibilité et du désir de plaire à sa fille. À l’opposé aussi bien de l’abandon au pathos que d’une maîtrise de soi toujours suspecte d’insensibilité, l’épistolière choisit d’alléger, d’assourdir et de canaliser les aveux de larmes. L’inscription des larmes, soigneusement décantée, contrainte et régulée, permet ainsi à Mme de Sévigné de persuader sa fille non seulement de l’intensité de ses sentiments, mais surtout de la dignité éminente d’une manière d’aimer parfaitement conforme à l’idéal exigent de la tendresse.
22La corrélation problématique entre larmes et identité féminine dans l’écriture mémorialiste est l’occasion, pour Adelaïde Cron, de souligner la fonction proprement éthique (relative à l’ethos de l’auteur-narratrice-personnage) des larmes. Dans de nombreux mémoires féminins à la charnière des deux siècles, la portée argumentative des larmes est au service de la construction d’un ethos vertueux qui se déploie dans trois directions, correspondant à autant de rôles sociaux : rôle social de fille, épouse et mère aux larmes abondantes ; rôle emprunté à la littérature de la femme illustre, qui récuse l’association des larmes avec la féminité ; larmes de femme vertueuse enfin, où les larmes servent à démentir la réputation d’aventurière et les accusations de mauvaises mœurs.
23Les contributions consacrées à la fiction des larmes permettent quant à elles de mesurer à quel point la sémiotique corporelle mise en scène au sein des romans est tributaire de la manière de les lire. L’évolution des modalités, des enjeux et des topiques du traitement romanesque du langage des larmes va en effet de pair avec le nouveau mode de lecture qui émerge dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Désormais, le lecteur ne cherche plus – ou plus avant tout – à retirer de sa lecture un savoir d’ordre anthropologique et moral [44]. Il privilégie au contraire un plaisir de lire reposant sur le mécanisme de l’identification – mécanisme complexe induisant un intérêt et un attachement sur lequel les théoriciens de l’époque ne manquent pas de se pencher [45].
24Les romans de Mme de Lafayette constituent justement un poste d’observation privilégié pour cerner l’émergence de cette nouvelle manière de lire, caractérisée par la participation émotionnelle du lecteur à l’action et aux sentiments des personnages. Distinguant deux logiques diégétiques du langage des larmes – la première dans Zaïde, où les effusions lacrymales répétées scandent le récit, la seconde dans les autres œuvres, où les larmes n’apparaissent que dans quelques scènes pathétiques –, Chrystelle Barbillon analyse comment le glissement de l’une à l’autre modifie la réception du roman. À travers la recherche d’une contagion des larmes, c’est non seulement une nouvelle forme de lecture romanesque qui se met en place, mais aussi une poétique de la compassion inspirée de l’illusion théâtrale – poétique qui trouve, à l’occasion de la querelle de La Princesse de Clèves, sa définition et son vocabulaire critique.
25C’est à un auteur emblématique, dont les romans furent autant de succès de larmes, qu’est consacré l’article de Florence Chapiro, qui appréhende le registre moral de ce roman grâce à l’analyse de la fonction du motif des larmes dans Manon Lescaut. Parce que celui-ci distribue passions et larmes entre métaphysique et matérialisme, il s’avère apte à représenter la psyché. Ce faisant, il installe un pathétique spécifique, irréductible aux stéréotypes des larmes suspectes – ou à tout le moins énigmatiques – d’une femme toujours séduisante, calculatrice et soumise aux mouvements de sa sensualité – surtout s’agissant d’une courtisane.
26Audrey Ortholland-Brahmia interroge pour sa part l’ambiguïté des larmes versées par l’héroïne dans La Vie de Marianne – œuvre décisive tant elle a contribué à instaurer une esthétique sensible. Dans ce roman, la représentation des larmes se situe en effet constamment à l’interférence entre émotions et jeux de masques, sentiment et morale, cœur et raison, naturel et convention. En fait, l’hypertrophie de la sémiotique lacrymale fait sens de deux manières : d’abord, par l’inscription des larmes de Marianne dans le projet d’une morale du sentiment ; ensuite, par le recours à la notion classique de sublime, qui permet de conjoindre harmonieusement des postulations a priori inconciliables.
27Nuançant l’idée selon laquelle le pathétique a besoin d’espace et de volume textuel pour se mettre en place, Anne Coudreuse prouve que ses effets, même concentrés dans le genre bref de la nouvelle, peuvent garder toute leur efficacité. À y regarder de près, celle-ci est largement liée à la réécriture de vers de Racine – occasion de prendre la mesure de l’influence déterminante du dramaturge bien au-delà des premières décennies du siècle suivant. Une telle pratique illustre la façon dont les écrivains du XVIIIe siècle remodèlent les codes littéraires qui, chez leurs prédécesseurs, régissaient la représentation des émotions et des passions. Animés par le désir à la fois de rendre hommage au plus illustre d’entre eux et de le dépasser, ces écrivains s’approprient l’hypotexte racinien en fonction de leurs nouvelles exigences esthétiques.
28Les contributions rassemblées au sein de la quatrième section, en se penchant sur le spectacle des larmes, soulignent à quel point, à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, la « demande de larmes [46] » est forte. Certes, « le siècle suivant célébrera à grand tapage la volupté des larmes [47] » – célébration qui culmine avec l’avènement, dans les années 1730, de la comédie larmoyante [48]. Mais « le XVIIe siècle connaît une délectation identique [49] » : « la scène tragique de cette époque est étroitement gouvernée par le désir et le plaisir des larmes [50] ». La « stratégie lacrymogène [51] » observable dans bien des pièces doit ainsi être reliée directement à « la demande de larmes et la pression qu’elle exerce sur les fournisseurs du théâtre [52] », qui s’avèrent modeler en profondeur l’écriture dramaturgique.
29Cet engouement pour des pièces propres à faire éprouver aux spectateurs le plaisir de pleurer est particulièrement visible dans le choix que font les dramaturges de privilégier l’élégiaque – ce qui va de pair avec l’infléchissement de bon nombre de composantes dramaturgiques, comme le montre Nicholas Dion. Ainsi en est-il de la Pénélope de l’abbé Genest, qui s’inspire à la fois de l’Odyssée et d’une héroïde d’Ovide, deux œuvres qui font une large part aux épanchements lacrymaux. Loin de n’être qu’un thème importé au sein de la tragédie, le motif élégiaque des larmes devient le critère d’une dramaturgie nouvelle, en phase non seulement avec les attentes supposées du public mais aussi avec un souci toujours plus grand de vraisemblance de l’action et des passions représentées.
30Ces nouvelles normes d’écriture, qu’impose un public aimant à être ému aux larmes et par les larmes, s’affirment également avec force à l’opéra, mais, semble-t-il, de façon plus tardive. L’opéra Jephté, qui connut de 1732 à 1761 un immense succès, constitue un cas exemplaire de la nécessaire adaptation au goût du public. S’il s’inscrit certes dans une double fidélité à Lully et à Racine, il fait néanmoins subir aux représentations très codées dont il hérite une série d’infléchissements qui annoncent l’opéra comique larmoyant, ainsi que la tragédie lyrique de la fin du siècle. L’étude que propose Benjamin Pintiaux du jeu intertextuel qu’établit l’opéra de Pellegrin et Montéclair avec Esther pointe ainsi la fonction à la fois cathartique et didactique de larmes propres à transposer une forme d’expérience sacrée à l’Opéra, lieu réputé immoral, où il faut pleurer pour garder une chance de salut.
31L’examen des choix de Gluck permet d’aller plus loin dans cette réflexion sur les évolutions de l’opéra au cours du XVIIIe siècle. À partir de l’analyse comparée du Castor et Pollux de Rameau et de l’Iphigénie en Tauride de Gluck, Marion Lafouge explique comment, de la tragédie lyrique de Lully et Rameau à la réforme de Gluck, on passe d’une esthétique du contraste, fondée sur l’alternance entre scènes légères et scènes pathétiques, à une esthétique de la continuité de la plainte. Or un tel passage ne manque pas de susciter des réactions de refus, le retour à une forme plus pure du tragique se heurtant non seulement à la résistance de l’Académie royale de musique mais aussi à celle du public français.
32C’est à la socialité des larmes qu’est dévolu le dernier massif de contributions, toutes attentives à analyser en quoi le langage des larmes, éminemment soumis aux astreintes de la vie en société, s’avère non seulement perméable aux normes de la civilité mais encore voué à toutes sortes de conditionnements et de conformismes, de modes et de codes. Comme les gestes, les larmes, loin de ne résulter que d’une spontanéité individuelle, « s’inscrivent toujours dans la durée et dans l’épaisseur sociale : [elles] traduisent avec précision des comportements collectifs de cultures, d’états de civilisation, et vont bien au-delà de la seule personnalité de celui qui les met en œuvre [53] ». Impérieux, incontournables et tyranniques, les rituels mondains dessinent ainsi des scénographies rigides et codifiées, inséparables de l’ordre social. L’interdiction, le droit ou le devoir de pleurer en dépendent étroitement. Au-delà de leur emprise, ces rituels, qui tantôt imposent de retenir ses larmes tantôt de les répandre ostensiblement, s’avèrent surtout d’une redoutable complexité.
33Poursuivant ses recherches sur les valeurs et les implications politiques des larmes [54], Hélène Merlin-Kajman scrute les transformations de la sensibilité au XVIIe siècle à travers l’étude du paradigme de la plainte qui se diffuse au sein de plusieurs articles du dictionnaire de Furetière. Certes, les larmes de femmes peuvent encore constituer une atteinte à l’intégrité du corps politique en tant qu’irrationalité mue par la passion. Pourtant, le dictionnaire n’en traduit pas moins une réhabilitation des larmes, repérable dans deux exemples notamment. D’une part, les larmes du peuple adressées au souverain acquièrent une portée argumentative qui les fait rentrer dans l’ordre du logos. D’autre part, parce que le particulier ne se dissout plus dans le public et que le privé gagne sa dignité, il devient possible de pleurer en privé tout en continuant à satisfaire les devoirs publics.
34C’est enfin sur le « pathos de la réception [55] » que se penchent les trois dernières contributions, soucieuses de cerner les nouvelles attentes culturelles concernant le langage des larmes. Parce que les larmes deviennent un signe requis, gage de la réussite esthétique d’une pièce autant pour les dramaturges que pour les spectateurs (et non pas seulement les spectatrices [56]), tout un code social se constitue autour de ce goût croissant pour l’attendrissement.
35Comme le montre Emmanuelle Hénin, c’est sous l’influence de l’esthétique galante que la légitimité des larmes est proclamée par les théoriciens de la tragédie. Il ne s’agit plus de susciter chez le spectateur la terreur et la pitié, émotions ressenties comme trop violentes et archaïques. La finalité du spectacle doit être repensée en termes sentimentaux : pleurant à la vue de personnages eux-mêmes en pleurs, le spectateur s’éprouve sentant et découvre sa propre sensibilité. Le partage des larmes s’apparente alors à un rituel social où se constitue une communauté de sujets sensibles. Les larmes sont ainsi doublement le gage de notre humanité : elles permettent un retour réflexif sur soi et elles constituent le signe de l’éveil de la charité chrétienne dans l’âme du spectateur bouleversé.
36Les codes et les normes de la vie en société n’en viennent pas moins entraver le libre écoulement des pleurs, comme le met en évidence la contribution de Denis Roche. Si le spectacle tragique exerce sur le public un attrait grandissant, la résistance à cette captation apparaît tout aussi grande ; ainsi du spectateur de La Bruyère qui retient ses larmes lors du spectacle tragique et affiche à la place des pleurs attendus un « mauvais ris ». Derrière le verdict acerbe du moraliste attentif à répertorier les formes de violence indue faite aux mouvements de la sensibilité, se lit en creux une interrogation sur l’autonomie naissante du spectateur de théâtre.
37En examinant des anecdotes relevant d’un discours profane porté sur le théâtre, Sophie Marchand s’efforce de rendre compte de l’idée que le siècle des Philosophes se fait de l’inscription du théâtre dans l’expérience du spectateur et la vie de la Cité. Diagnostiquant une mythologie révélatrice de stratégies idéologiques, elle envisage les quatre lieux de cristallisation, mais aussi de tension, qui la caractérisent : le naturel, l’adhésion, la vertu et l’utilité. Certes, les anecdotes qui illustrent l’efficacité pathétique du nouveau théâtre répudient une forme de sociabilité aristocratique fondée sur l’esprit et l’ostentation pour privilégier l’absorption sentimentale dans la fable. Pourtant, cette absorption ne va pas sans critiques de la part des parodistes et théoriciens.
38Dans une histoire des larmes qui reste encore largement à écrire, il est indéniable qu’une place décisive devrait être accordée à la période qui s’écoule entre le dernier tiers du XVIIe siècle et le premier tiers du XVIIIe siècle. Comme le montre ce tour d’horizon de la représentation des larmes telle qu’elle évolue alors, c’est durant cette époque charnière que se déploie la promotion, théorisée et valorisée, des larmes. Parce que ces années expérimentent, avec un étonnement inquiet, un plaisir de pleurer longtemps occulté, le langage des larmes conquiert une dignité et une autonomie irréductibles à ses seules codifications idéologiques. Partant, il acquiert un nouveau statut, dont la valeur, le pouvoir et la symbolique sont largement fantasmés, au gré des idéaux, des postulations et des mythologies en vigueur. Saisi désormais dans toute sa complexité, avec ses opacités et ses ambiguïtés constitutives, le langage des larmes ouvre la voie aussi bien à de nouveaux paradigmes esthétiques qu’à de nouveaux régimes de lisibilité. Confronté à une confusion des signes toujours possible, le lecteur se fait nécessairement herméneute.
Bibliographie
Bibliographie sélective
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————, « Le Siècle en Pleurs : l’émotivité au service de la société », dans Das weinende Saeculum. Colloquium der Arbeitsstelle 18. Jahrhundert, Gesamthochschule Wuppertal, Universität Münster (7-9 Oktober 1981), Heidelberg, Carl Winter, 2003, p. 25-30. - BIET (Christian), « La passion des larmes », Littératures classiques, n° 26, janvier 1996, p. 167-183.
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Notes
-
[1]
M. Cureau de La Chambre, Les Caractères des Passions, Paris, Jacques d’Allin, 1662, t. IV, p. 9-10.
-
[2]
D. Le Breton, Les Passions ordinaires. Anthropologie des émotions [1998], Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2004, chap. II : « Langage et symbolique corporelle », p. 52.
-
[3]
Ibid., p. 53.
-
[4]
D. Denis et A.-É. Spica, « De l’inquiétude des signes », Littératures classiques, n° 50 (« Les langages au XVIIe siècle », dir. D. Denis et A.-E. Spica), printemps 2004, p. 7.
-
[5]
Ibid., p. 8.
-
[6]
Ibid., p. 7.
-
[7]
Dictionnaire universel, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690.
-
[8]
Dictionnaire universel français et latin […], Paris et Trévoux, s.n., 1721.
-
[9]
A. Vincent-Buffault, Histoire des larmes (XVIII-XIXe siècles) [1986], Paris, Payot/Rivages, 2001 ; J.-J. Courtine et Cl. Haroche, Histoire du visage. Exprimer et taire ses émotions (XVIe-début XIXe s.) [1988], Paris, Payot/Rivages, 1994 ; L. Desjardins, Le Corps parlant. Savoirs et représentation des passions au XVIIe siècle, Québec/Paris, Les Presses de l’Université Laval/L’Harmattan, 2001.
-
[10]
D. Denis et A.-É. Spica, art. cit.
-
[11]
L. Desjardins, op. cit.
-
[12]
M. Albert, « L’éloquence du corps. Conversation et sémiotique corporelle au siècle classique », Germanisch-romanische Monatsschrift, n° 39, 1989, p. 156-179. Voir également J.?P. Cavaillé, « De la construction des apparences au culte de la transparence. Simulation et dissimulation entre le XVIe et le XVIIIe siècle », Littératures classiques, n° 34 (« La périodisation de l’âge classique », dir. J. Rohou), automne 1998, p. 73-102 ; J.-J. Courtine et Cl. Haroche, op. cit., IIe partie, p. 159-264 ; É. Méchoulan, Le Corps imprimé. Essai sur le silence en littérature, Montréal, L’Univers des discours, 1999.
-
[13]
Nous renvoyons au Dictionnaire de Richelet [1680] (art. « Pleurer ») et au dictionnaire de Trévoux, éd. cit. (articles « Larme » et « Pleurer »).
-
[14]
Pour une présentation problématisée de ces ouvrages, on se reportera aux travaux déjà cités de J.-J. Courtine et Cl. Haroche et de L. Desjardins.
-
[15]
L. Desjardins, « De la “surface trompeuse” à l’agréable imposture. Le visage au XVIIe siècle », Intermédialités, n° 8 (« Envisager », dir. J. Villeneuve), automne 2006, p. 55.
-
[16]
Citons par exemple les analyses de Coëffeteau sur les larmes de tristesse : Tableau des passions humaines, de leurs causes et de leurs effets, Paris, Sébastien Cramoisy, 1620, p. 329-332.
-
[17]
Nous renvoyons à la série d’articles que Descartes consacre aux larmes dans Les Passions de l’âme [1649], Vrin, 1991, p. 156-160 : « De l’origine des Larmes » ; « De la façon que les vapeurs se changent en eau » ; « Comment ce qui fait de la douleur à l’œil l’excite à pleurer » ; « Comment on pleure de Tristesse » ; « Des gémissements qui accompagnent les larmes » ; « Pourquoi les enfants et les vieillards pleurent aisément » ; « Pourquoi quelquefois les enfants pâlissent, au lieu de pleurer ».
-
[18]
On aura reconnu l’entreprise de Cureau de La Chambre (op. cit., p. 15), qui ne lui consacre pas moins de 169 pages dans la partie intitulée « Les Caractères des Larmes » (p. 1-169).
-
[19]
H. Parret, Les Passions. Essai sur la mise en discours de la subjectivité, Bruxelles/Liège, P. Margada, 1986.
-
[20]
Sur « la disparate qui caractérise le discours sur les passions au XVIe siècle et dans la première moitié du XVIIe siècle, juxtaposant les références aux “autorités” les plus diverses (anciennes et modernes) et la voix de la doxa, mêlant le savoir médical et la philosophie morale », voir G. Mathieu-Castellani, La Rhétorique des passions, Paris, P.U.F., 2000, p. 172-174.
-
[21]
Telle est la démarche de la sémiotique, définie par A.-J. Greimas et J. Fontanille, La Sémiotique des passions. Des états de choses aux états d’âme, Paris, Seuil, 1991, et adoptée par exemple par A. Hénault dans Le Pouvoir comme Passion, Paris, P.U.F., 1994.
-
[22]
M. Delon, art. « Larmes », dans Dictionnaire européen des Lumières, dir. M. Delon, Paris, P.U.F., 1997, p. 643.
-
[23]
Sh. P. Bayne, « Le Siècle en Pleurs : l’émotivité au service de la société », dans Das weinende Saeculum, Heidelberg, Carl Winter, 2003, p. 27.
-
[24]
D. Roth, Larmes et consolations en France au XVIIe siècle, Lyon, Éditions du Cosmogone, 1997, titres des chapitres II (p. 91) et IV (p. 223).
-
[25]
Ibid. p. 225.
-
[26]
Sh. P. Bayne, art. cit., p. 30. Voir du même auteur, Tears and Weeping : an aspect of emotional climate reflected in Seventeenth-century French Literature, Tübingen/Paris, G. Narr/J.-M. Place, 1981.
-
[27]
G. Sauder, art. « Sensibilité », Dictionnaire européen des Lumières, op. cit., p. 985.
-
[28]
Abbé Du Bos, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, Paris, 1770, p. 39-40 ; cité par R. Démoris, « Le langage du corps et l’expression des passions de Félibien à Diderot », dans Des mots et des couleurs. 2, J.-P. Guillerm éd., Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires de Lille, 1986, p. 42.
-
[29]
A. Vincent-Buffault, op. cit., Ière partie, chap. II : « L’échange des larmes et ses règles », p. 24-45.
-
[30]
D. Roth, op. cit., p. 25.
-
[31]
Cl. Badiou-Monferran, « « La promotion esthétique du pathétique dans la seconde moitié du dix-septième siècle », La Licorne, n° 43 (« Passions, émotions pathos », dir. A. Coudreuse et B. Delignon), 1997, p. 76-77.
-
[32]
Ibid., p. 88.
-
[33]
L’un des indices forts de cette autonomisation esthétique est la séparation qui s’opère entre pathétique et tragique : A. Coudreuse, Le Goût des larmes au XVIIIe siècle, Paris, P.U.F., « Écriture », 1999, Ière partie, chap. 3 : « Pathétique, tragique, dramatique : essai de typologie », p. 127-146.
-
[34]
R. Zuber, « Littérature et classicisme », Histoire littéraire de la France, dir. P. Abraham et R. Desné, Paris, Éditions Sociales, 1975, t. IV, p. 85.
-
[35]
Sur ces questions de périodisation et de réaménagements chronologiques, contentons-nous de mentionner trois collectifs récents : Littératures classiques n° 34 (« La périodisation à l’âge classique », dir. J. Rohou), automne 1998 ; Un Siècle de deux cents ans ? Les XVIIe-XVIIIe siècles : continuités et discontinuités, dir. J. Dagen et Ph. Roger, Paris, Desjonquères, 2004 ; L’Année 1700, dir. A. Gaillard, « Biblio 17 », n° 154, Tübingen, Gunter Narr, 2004.
-
[36]
Il s’agit respectivement des analyses de J.-M. Pelous, Amour précieux, amour galant (1654-1675). Essai sur la représentation de l’amour dans la littérature et la société mondaines, Paris, Klincksieck, 1980, p. 296 ; de J. Mesnard, « Le classicisme français et l’expression de la sensibilité », La Culture du XVIIe siècle. Enquêtes et synthèses, Paris, P.U.F., 1992, p. 488 ; de G. Atkinson, Sentimental revolution. French writers of 1690-1740, Seattle/London, University of Washington Press, 1965.
-
[37]
M. Vovelle, « Les larmes et la mort au siècle des lumières », dans Das weinende Saeculum, op. cit., p. 182.
-
[38]
C. Barbafieri, Atrée et Céladon, La Galanterie dans le théâtre tragique de la France classique (1634-1702), Rennes, P.U.R., « Interférences », 2006, IIe partie, chap. V : « Le goût des larmes », p. 167.
-
[39]
Ibid., p. 178-187. Une telle mode est à relier à l’engouement des contemporains pour Ovide : M.-Cl. Chatelain, Ovide en France dans la seconde moitié du XVIIe siècle, thèse de doctorat, dir. G. Ferreyrolles, Université de Paris IV, 2005 (à paraître), notamment « Le pathétique élégiaque », p. 468-605.
-
[40]
Nous renvoyons à C. Barbafieri, op. cit. p. 187-191, et à Chr. Biet, « La passion des larmes », Littératures classiques, n° 26, janvier 1996, p. 167-183.
-
[41]
L. Desjardins, « Le langage du corps comme langage de l’âme et des passions », Littératures classiques, n° 50, printemps 2004, p. 271.
-
[42]
Voir P. Adnès, art. « Larmes », Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, 1932-1995, t. IX, p. 287-303, ainsi que D. Roth, op. cit., p. 91-164.
-
[43]
J. Mesnard, « Jansénisme et littérature », dans Le Statut de la littérature. Mélanges offerts à Paul Bénichou, dir. M. Fumaroli, Genève, Droz, 1982, p. 131.
-
[44]
Voir C. Esmein, « Peinture de la passion et rhétorique des passions dans la poétique romanesque après 1660 », dans De Rabelais à Sade. L’analyse des passions dans le roman de l’âge classique, C. Duflo et L. Ruiz éd., Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2003, p. 21-29.
-
[45]
Sur la question de l’illusion et de l’identification, voir, entre autres références, C. Esmein, « La pensée du roman dans la deuxième moitié du XVIIe siècle : un art de l’illusion », XVIIe siècle, n° 232, juillet 2006, p. 477-486 ; M. Rosellini, « Curiosité et théorie du roman dans le dernier tiers du XVIIe siècle : entre éthique et esthétique », dans Curiosité et libido sciendi de la Renaissance aux Lumières, dir. N. Jacques-Chaquin et S. Houdard, Fontenay, ENS Éditions, 1998, t. I, p. 137-156.
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[46]
J.-J. Roubine, « La stratégie des larmes au XVIIe siècle », Littérature, n° 9, février 1973, p. 57.
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[47]
Loc. cit.
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[48]
Pour une présentation synthétique de la comédie larmoyante : A.Vincent-Buffault, op. cit., p. 97-101.
-
[49]
J.-J. Roubine, art. cit., p. 57.
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[50]
Loc. cit.
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[51]
Ibid., p. 64.
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[52]
Ibid., p. 67.
-
[53]
R. Muchembled, « Pour une histoire des gestes (XVe-XVIIIe s.) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 34, 1987, p. 87.
-
[54]
H. Merlin-Kajman, L’Absolutisme dans les Lettres et la théorie des deux corps. Passions et politique, Paris, Champion, 2000, chap. VI : « La liberté des larmes », p. 173-206.
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[55]
Nous renvoyons à Cl. Badiou-Monferran, art. cit., p. 87, qui distingue le « pathos de la production » du « pathos de la réception », soulignant que « si, autour des années 1670, le principe d’un pathos de la production, fidèle à l’injonction de naturel, est non seulement agréé mais encore vivement recommandé, à la même époque, la promotion esthétique d’un pathos de la réception ne s’effectue pas sans grincements ».
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[56]
Voir V.-M. Grégoire, « Le larmoiement : l’expression originale d’une sensibilité masculine dans la seconde moitié du dix-septième siècle », Seventeeth-Century French Studies, n° 15, 1993, p. 181- 203.