Notes
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[1]
Les deux tragédies seront citées dans les éditions suivantes : P. Corneille, Nicomède, Œuvres complètes, éd. G. Couton, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980-1987, t. II ; Th. Corneille, La Mort d’Annibal, éd. P. Gethner, Théâtre complet. Tome 5, Paris, Classiques Garnier, 2018.
-
[2]
Voir S. Guellouz, « Hannibal dans l’œuvre de Thomas Corneille ou Hannibal, d’un frère à l’autre », dans M. Dufour-Maître (dir.), Thomas Corneille (1625-1709) : une dramaturgie virtuose, Mont-Saint-Aignan, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 2014, p. 123-134, en particulier p. 124-126 ; E. Minel, « Thomas Corneille sur les traces de son frère Pierre Corneille : une écriture de cadet fraternel. Antiochus (1666) et Rodogune, La Mort d’Annibal (1669) et Nicomède », Papers on French Seventeenth Century Literature, vol. XXVIII, n° 55, 2001, p. 423-428.
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[3]
Voir H. C. Lancaster, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century. Part III: The Period of Molière (1652-1672), Baltimore / Londres / Paris, The Johns Hopkins Press / H. Milford / Les Belles Lettres, 1936, t. 2, p. 597.
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[4]
Voir D. A. Collins, Thomas Corneille, Protean Dramatist, Londres / La Haye / Paris, Mouton & Co, 1966, p. 91.
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[5]
« Les tragédies cornéliennes », dans G. Reynier, Thomas Corneille, sa vie et son théâtre, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1892 ; « The “Cornelian” tragedies », dans D. A. Collins, op. cit., p. 90-141.
-
[6]
G. Reynier, op. cit., p. 143.
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[7]
H. Hemaidi, « De La Mort d’Asdrubal à La Mort d’Annibal, ou Z. J. Montfleury et Th. Corneille, lecteurs de l’histoire de Carthage », dans A. Baccar Bournaz (éd.), L’Afrique au XVIIe siècle. Mythes et réalités, Tübingen, G. Narr, 2003, p. 271 et 277.
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[8]
Voir E. Minel, « Thomas Corneille sur les traces de son frère […] », art. cit. Notons que, de façon plus large, E. Minel considère le dramaturge comme un « cadet du Grand Siècle » : voir « La “vivacité” dans le théâtre de Thomas Corneille : esprit d’un “cadet” du Grand Siècle entre le Siècle d’or et le Siècle des lumières », dans M. Dufour-Maître (dir.), Thomas Corneille (1625-1709) : une dramaturgie virtuose, op. cit. p. 247-270.
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[9]
Voir S. Guellouz, « Hannibal dans l’œuvre de Thomas Corneille […] », art. cit., p. 134.
-
[10]
Même si Annibal occupe une place importante dans Nicomède : voir S. Guellouz, « Cet absent à la lourde présence : Hannibal dans le théâtre de Pierre Corneille », dans M. Dufour-Maître (dir.), Héros ou personnages ? Le Personnel du théâtre de Pierre Corneille, Mont-Saint-Aignan, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 2013, p. 83-94.
-
[11]
Th. Corneille, « À Monseigneur le Marquis de Seignelay, Secrétaire d’État », épître dédicatoire de La Mort d’Annibal, p. 619.
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[12]
Voir P. Corneille, Nicomède, « Au lecteur » (p. 640) ; « Examen » (p. 642) ; I, 3, v. 275-276 (p. 655) ; III, 3, v. 952 (p. 678) ; IV, 2, v. 1159 et 1175 (p. 687).
-
[13]
Voir, outre les passages cités supra n. 12, La Mort d’Annibal, I, 3, v. 149-150 (p. 629) ; II, 4, v. 545-546 et 557-560 (p. 647-648).
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[14]
Voir notamment Nicomède, I, 2-3 (p. 649-655) et III, 6 (p. 680-681) ; La Mort d’Annibal, I, 1 (p. 623-626) et I, 3 (p. 629-633).
-
[15]
Voir Nicomède, IV, 4, v. 1371-1394 (p. 693-694) ; La Mort d’Annibal, I, 6, v. 373-396 (p. 638-639).
-
[16]
Voir S. Guellouz, « Hannibal dans l’œuvre de Thomas Corneille […] », art. cit., p. 125-126.
-
[17]
Les traductions d’œuvres antiques que nous citons dans le présent article sont les plus récentes auxquelles Pierre et Thomas Corneille ont pu avoir accès au moment où ils ont écrit Nicomède et La Mort d’Annibal.
-
[18]
Voir G. Le Chevalier, La Conquête des publics. Thomas Corneille, homme de théâtre, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 19-67 (« Thomas Corneille et l’infortune critique : position du problème »).
-
[19]
En cela, nous nous inscrivons notamment dans la lignée des travaux de G. Le Chevalier, qui s’est attaché à revaloriser Thomas Corneille aussi bien d’un point de vue esthétique (La Pratique du spectateur. La Médiation des regards dans le théâtre de Thomas Corneille, Paris, Classiques Garnier, 2017) que de celui de la réception de ses œuvres en son temps (La Conquête des publics, op. cit.).
-
[20]
Voir D. A. Collins, op. cit., p. 136-141 ; S. Guellouz, « Hannibal dans l’œuvre de Thomas Corneille […] », art. cit. ; E. Minel, « Thomas Corneille sur les traces de son frère […] », art. cit. ; G. Reynier, op. cit., p. 162-168.
-
[21]
Voir P. Gethner, « Carthage et Rome au théâtre : le conflit entre générosité et machiavé-lisme », dans A. Baccar Bournaz (éd.), op. cit., p. 261-269 ; Chr. J. Gossip, « “Le goût de l’Antiquité” : Thomas Corneille and the Death of Hannibal », Forum for Modern Language Studies, n° 26/1, 1990, p. 13-25 ; H. Hemaidi, art. cit.
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[22]
Voir G. Forestier, Corneille, le sens d’une dramaturgie, Paris, SEDES, 1998, p. 15-37 (« Représenter : écrire l’histoire »).
-
[23]
Voir P. Corneille, Nicomède, « Adresse au lecteur », p. 639-640.
-
[24]
Les seuls historiens antiques qui évoquent le sujet sont Justin et Appien, et ils ne le font que sur une quinzaine de lignes : voir supra n. 23 ; Appien, Des guerres des Romains Livres XI. Traduicts en françois par feu Maistre Claude de Seyssel […], plust sont adjoustez deux livres, traduicts de grec en langue Françoise, par le Seigneur des Avenelles, Paris, P. du Pré, 1569, f. 75v° et 76v°. L’historien moderne Scipion Dupleix, quant à lui, traite l’épisode de façon particulièrement expéditive : « Toutefois les affaires changerent de face par la mort de Prusias : qui fut tué par son fils Nicomede, qui luy faisoit la guerre à l’induction d’Attalus : si bien que la querele finit par ce parricide. » (Histoire romaine, depuis la fondation de Rome. Tome II, Paris, Cl. Sonnius, 1638, p. 192-193). Sur Scipion Dupleix, voir Chr. Blanquie, Un magistrat à l’âge baroque : Scipion Dupleix (1569-1661), Paris, Publisud, 2008.
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[25]
G. Couton, « Notice » de Nicomède, éd. cit., p. 1476.
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[26]
Notons que cela n’exclut en rien le fait que « Polybe, Appien, Tite-Live, Diodore ont été mis à contribution » et que Corneille « avait [probablement] à portée de main les ouvrages usuels de sa génération, Coëffeteau et l’Histoire romaine de Scipion Dupleix » (ibid., p. 1459 et 1460).
-
[27]
Voir Nicomède, « Adresse au lecteur » et « Examen », p. 640 et 642.
-
[28]
G. Forestier, Essai de génétique théâtrale : Corneille à l’œuvre [1996], Genève, Droz, 2004, p. 89.
-
[29]
Ibid., p. 264.
-
[30]
Sur ce point, voir les références bibliographiques traitées dans le présent article.
-
[31]
Voir Sc. Dupleix, op. cit., p. 116.
-
[32]
Voir E. Minel, « Thomas Corneille sur les traces de son frère […] », art. cit., p. 416-417.
-
[33]
Sur le fait que, tout conscient qu’il est de la diversité de son public, Th. Corneille cherche notamment à gagner l’estime des doctes et privilégie le public mondain : voir G. Le Chevalier, La Conquête des publics, op. cit., « Introduction. “Je m’expose à me faire condamner du Public” : Thomas Corneille et le public de théâtre », p. 15-16.
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[34]
Th. Corneille, « À Monseigneur le Marquis de Seignelay », La Mort d’Annibal, p. 619.
-
[35]
On le voit notamment au fait qu’il a rendu au personnage d’Attale sa véritable identité de frère d’Eumène II, roi de Pergame, alors que Pierre en avait fait le fils d’un second lit du roi Prusias.
-
[36]
Sc. Dupleix, op. cit., p. 116. Sur ce point, Dupleix s’inscrit dans la lignée de Cornelius Nepos (Les Vies des plus Illustres generaux d’armée, grecs et romains, traduites […] par le Sr de Claveret, Paris, P. Bienfait, 1663, p. 282) et de Tite-Live (Tome second des Decades de Tite-Live. De la Traduction de P. Du-Ryer, Paris, A. de Sommaville, 1653, p. 1375). Il s’oppose ainsi à Appien et à Plutarque, qui font de l’ambassadeur un homme cruel qui a décidé arbitrairement d’éliminer le général carthaginois : voir Appien, Des guerres des Romains. Traduit de grec en françois. Par Me Odet Philippe, Sieur des Mares, Paris, A. de Sommaville, 1659, p. 86-87 ; Plutarque, Les Vies des hommes illustres grecs et romains. […] Tome premier, trad. J. Amyot, Paris, P. Bertault, 1600, p. 747-748.
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[37]
La Mort d’Annibal, III, 6, v. 1154 (p. 671) ; nous soulignons.
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[38]
Ibid., III, 6, v. 1162-1164.
-
[39]
Voir Sc. Dupleix, op. cit., p. 116. Sur ce point, Dupleix brode à partir de Tite-Live (op. cit., p. 1375) et de Plutarque (Les Vies des hommes illustres grecs et romains. […] Tome premier, éd. cit., p. 748) et s’éloigne de Cornelius Nepos, chez qui Prusias refuse de prendre une part active à la capture d’Annibal (Les Vies des plus Illustres generaux d’armée, éd. cit., p. 282).
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[40]
La Mort d’Annibal, I, 2, v. 115-117 (p. 628).
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[41]
Ibid., IV, 4, v. 1371-1373, 1377 et 1381-1382 (p. 681-682) : « Araxe. Employez des Romains, et par eux seulement / Faites prendre Annibal dans son appartement. / Le coup fait, plaignez-vous de cette violence. […] / Prusias. Tu dis vrai, je me rends, […] / C’en est fait, perdons tout dans ce besoin extrême, Attale par mon Fils, Annibal par moi-même ».
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[42]
Voir Plutarque, Les Vies des hommes illustres […]. Tome premier, éd. cit., p. 748-749.
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[43]
Voir « Les vies d’Annibal et de Scipion l’Affricain, Traduites par Charles de l’Escluse, et corrigées en cette derniere Impression par le Sieur du Pelletier », dans Plutarque, Les Hommes illustres grecs et romains, trad. J. Amyot, Paris, A. Robinot, 1645, t. II, p. 814.
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[44]
Plutarque, Les Vies des hommes illustres grecs et romains. […] Tome premier, éd. cit., p. 748.
-
[45]
Ibid., p. 749.
-
[46]
La Mort d’Annibal, III, 6, v. 1175-1176 (p. 672).
-
[47]
Voir Plutarque, Les Vies des hommes illustres […] Tome premier, éd. cit., p. 749 ; Tite-Live, op. cit., p. 1375 ; Ch. de L’Escluse, « Les vies d’Annibal et de Scipion l’Affricain […] », éd. cit., p. 814. Notons que ce motif est absent de l’Histoire romaine de Dupleix : sa présence dans La Mort d’Annibal confirme, s’il en était besoin, que Th. Corneille a panaché les sources.
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[48]
La haine qu’Annibal éprouve pour Rome.
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[49]
La Mort d’Annibal, V, 8, v. 1861-1868 (p. 703).
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[50]
Voir La Mort d’Annibal, p. 705, n. 82. Cf.Les Satires de Juvenal et de Perse. Avec des Remarques, en Latin et en François, Paris, G. de Luyne, 1658, p. 146-147.
-
[51]
Quoique Th. Corneille ne précise pas le lieu où se déroule la pièce, on trouve le terme palais deux fois dans le texte : La Mort d’Annibal, IV, 8, v. 1555 ; V, 5, v. 1812.
-
[52]
P. Gethner, introduction à La Mort d’Annibal, p. 592. Sur ce point, l’auteur infirme avec pertinence l’idée que le Flaminius de Thomas Corneille serait strictement identique à celui de Pierre.
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[53]
Ibid., p. 600.
-
[54]
Voir supra, n. 47.
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[55]
Th. Corneille, Bérénice, IV, 6, v. 1592, éd. W. Brooks, Théâtre complet. Tome 3, Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 273.
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[56]
Comprendre : des droits de Rome.
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[57]
La Mort d’Annibal, V, 8, v. 1867-1868 (p. 703).
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[58]
Ibid., III, 6, v. 1161-1165 (p. 671).
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[59]
P. Gethner relève bien, d’ailleurs, que Th. Corneille « choisi[t] de présenter une vision pessimiste d’un monde où l’héroïsme est en train de s’éclipser » (introduction à La Mort d’Annibal, p. 606).
-
[60]
La démarche était d’autant plus courageuse que Georges de Scudéry avait essuyé un échec retentissant avec son Grand Annibal. Sur cette pièce probablement représentée en 1667 et maintenant perdue, voir É. Dutertre, Scudéry dramaturge, Genève, Droz, 1988, p. 89 ; Chr. J. Gossip, art. cit., p. 13-14.
1Les liens qui unissent le Nicomède de Pierre Corneille (1651) et La Mort d’Annibal de son frère Thomas (1669) ont intéressé les critiques et historiens du théâtre à de nombreuses reprises [1]. Il n’y a rien d’étonnant à cela, étant donnée la parenté évidente des deux pièces [2]. Cette parenté a longtemps fait de La Mort d’Annibal avant tout une « imitation [3] » ou une « adaptation [4] » de Nicomède : de façon révélatrice, Gustave Reynier et David A. Collins la placent dans la catégorie des « tragédies cornéliennes [5] ». S’esquisse dès lors une progression linéaire : sans Nicomède, point de Mort d’Annibal. Par extension, Thomas Corneille est constamment confronté à son frère : pour Gustave Reynier, c’est « un esprit irrésolu et docile » qui a « [reçu], au moins pour un temps, l’empreinte [du] vigoureux génie [qu’était Pierre] [6] ». Hamdi Hemaidi, pour sa part, emploie le terme d’« épigone [7] ». Emmanuel Minel le considère comme un « cadet » qui marche « sur les traces de son frère [8] ». D’ailleurs, le fait que Suzanne Guellouz le qualifie de « disciple » (quoique « vigilant et actif ») de son frère nous semble entrer en contradiction avec la formule de « créateur autonome » qu’elle emploie pourtant ensuite [9], et qu’elle a d’ailleurs justifiée par sa démonstration.
2Or il nous semble que la notion de « médiation » permet d’infirmer une fois pour toutes l’idée selon laquelle Thomas Corneille serait l’épigone de Pierre. Il met en scène un épisode que son aîné a justement choisi de ne pas traiter [10] et réécrit un des événements de l’Antiquité les plus connus au XVIIe siècle. Il s’en fie en effet à son dédicataire, le marquis de Seignelay (fils de Colbert), pour « ne [chercher] qu’Annibal » dans sa tragédie [11]: Annibal, et non le prince bithynien Nicomède, dont Pierre Corneille avait fait le disciple du célèbre général carthaginois [12]. En cela, Thomas Corneille inscrit sa pièce avant tout dans la lignée des historiens (antiques ou contemporains).
3Qu’il se soit inspiré de Nicomède n’est pas en cause. La Mort d’Annibal contient en effet plusieurs éléments qui relèvent de la pure invention de son aîné : l’idée que Nicomède serait le disciple d’Annibal [13], la rivalité amoureuse qui oppose Nicomède et Attale [14], et l’intention de Prusias, qui songe à livrer son fils en otage à Rome [15]. Suzanne Guellouz a également relevé de notoires effets d’écho, d’une pièce à l’autre [16]. Néanmoins, pour être une source nécessaire de La Mort d’Annibal, Nicomède n’en est pas pour autant une source suffisante. C’est donc le lien qui unit Thomas Corneille aux diverses médiations de l’Antiquité à sa disposition [17] qui va nous intéresser ici : c’est ce lien qui explique notamment pourquoi, malgré l’« infortune critique » qui lui est longtemps restée attachée [18], l’auteur de La Mort d’Annibal est un véritable créateur et non le simple disciple de son aîné [19].
Deux rapports différents aux médiations de l’Antiquité
4La notion de « médiation » permet de réunir deux approches de La Mort d’Annibal qui sont restées jusqu’à présent indépendantes l’une de l’autre : d’une part les liens qui unissent Pierre et Thomas Corneille [20], d’autre part le rapport que celui-ci entretient avec l’histoire [21]. Or ce dernier point constitue l’un des cœurs de la production tragique du XVIIe siècle et, plus particulièrement, de celle de Pierre Corneille [22]. Étudier La Mort d’Annibal à la lumière de la notion de médiation permet ainsi de se placer dans une perspective de génétique littéraire, donc de dépasser la logique de la comparaison – toute nécessaire qu’elle puisse être par ailleurs. Il s’agit ici de voir comment Thomas Corneille a construit sa pièce en fonction des diverses médiations de l’Antiquité qui lui permettaient d’accéder à l’histoire antique, et non plus de voir ce qu’il a repris ou non à son aîné.
5Or la démarche des deux frères diffère du tout au tout. Comme il le précise dans l’adresse au lecteur et dans l’examen de Nicomède, Pierre Corneille s’est saisi d’un sujet tiré de l’Abrégé des Histoires philippiques de Trogue Pompée dû à Justin : le différend funeste qui a opposé le roi de Bithynie Prusias à son fils Nicomède, parce que le premier souhaitait couronner un fils qu’il avait eu d’un second lit [23]. Or l’épisode n’est que peu connu du public, a fortiori mondain [24] : Nicomède faisant partie de ces hommes « assez obscurs pour être malléables et pouvoir incarner les personnages dont l’auteur a besoin pour illustrer son cas, et dont l’existence et les actes [sont] pourtant assez bien attestés pour que le poète garde son prestige d’historien [25] », Pierre Corneille n’a pas à tenir compte d’un horizon d’attente particulier, en termes d’inventio [26]. Il peut donc se permettre de nombreuses libertés, qu’il énumère dans les paratextes de sa pièce [27]. Georges Forestier a amplement commenté le renversement complet du dénouement historique de Justin opéré par le dramaturge, alors qu’« il avait le choix par ailleurs entre cent récits qui pouvaient parfaitement illustrer [les] thèmes [28] » de l’impérialisme romain et des relations conflictuelles entre un prince conquérant et un roi qui se sentirait menacé. Dans Nicomède, tout cela « est affaire de reconstruction [29] ».
6Thomas Corneille s’inscrit dans une logique fondamentalement différente : en manifestant dès le titre de sa pièce qu’il va traiter de la mort d’Annibal, il se voue à la composer en fonction d’un horizon d’attente bien défini. Les traductions des auteurs antiques qui ont abordé le sujet abondent au XVIIe siècle [30] ; dans son Histoire romaine (1638), l’historiographe du roi Scipion Dupleix relate dûment la mort du général carthaginois [31] ; et à la fin des années 1660 le sujet est même en vogue [32]. Autant dire que les doctes – dont Thomas Corneille cherchait la reconnaissance – et les « honnêtes gens » – public « prestigieux » dont il avait fait son « cœur de cible [33] » – nourrissaient des attentes particulières vis-à-vis de son Annibal. Il en avait d’ailleurs conscience, comme en témoigne l’épître dédicatoire de sa pièce :
Ainsi, Monseigneur, je vous offre Annibal avec d’autant plus de confiance que je sais que vous n’y chercherez qu’Annibal, je veux dire cette inébranlable fermeté de haine pour les Ennemis de sa Patrie, qui nous le fait regarder comme un des plus grands Hommes de l’Antiquité. [34]
8L’emploi du pronom personnel nous, qui confond Thomas Corneille, son dédicataire et son public, rend compte d’un horizon d’attente largement partagé, que le dramaturge a pris en compte en composant sa pièce. Par ce nous, il s’extrait de toute filiation exclusive vis-à-vis de Nicomède – qu’il n’évoque pas, d’ailleurs, dans son épître à Seignelay – et manifeste que, contrairement à son frère, il a exploité les multiples médiations de l’Antiquité qui s’offraient à lui. Autrement dit, là où Pierre a privilégié une source, Thomas a panaché les références et suivi l’histoire de plus près [35]. La Mort d’Annibal est donc le résultat d’un véritable florilège de médiations. Si tout est « affaire de reconstruction » dans Nicomède, tout est affaire d’agencement dans La Mort d’Annibal.
La Mort d’Annibal, le résultat d’un florilège de médiations
9De façon caractéristique, la source dont La Mort d’Annibal se montre la plus proche est l’ouvrage le plus représentatif de l’horizon d’attente du public de Thomas Corneille, puisqu’il s’agit d’une œuvre contemporaine : l’Histoire romaine de Scipion Dupleix. Premièrement, cet ouvrage fait de Flaminius l’envoyé du Sénat : selon lui, « les Romains advertis qu’Annibal estoit à la cour de Prusias despecherent vers ce Roy en Ambassade T. Quintius Flaminius avec charge tres expresse de luy demander cet immortel ennemi des Romains [36]». Or voici en quels termes Flaminius s’adresse au roi Prusias chez Thomas Corneille : « Livrez-nous Annibal [37] ». Le moins que l’on puisse dire est que la demande est expresse ; et le recours à la première personne du pluriel implique que le personnage parle en tant qu’envoyé du Sénat. Cela est d’autant plus certain que, quelques vers plus bas, Flaminius ajoute
10Ensuite, le Prusias de Thomas Corneille ressemble fort à celui de Dupleix. Selon l’historien, le roi de Bithynie « aimant mieux livrer son hoste que d’avoir guerre avec les Romains, envoia des gens armés pour se saisir de toutes les advenues et issues du logis d’Annibal [39] ». Or, dans La Mort d’Annibal, non seulement Prusias redoute un conflit armé avec Rome – les « malheurs d’autrui » lui ayant appris « ce que c’est que perdre son appui », il affirme « [devoir] le ménager [40] » –, mais il viole lui-même les lois de l’hospitalité en organisant la capture d’Annibal. Thomas Corneille précise même que Prusias envoie des Romains « prendre Annibal dans son appartement », pour pouvoir hypocritement « se plaindre de cette violence » par la suite [41]. Enfin, l’historien et le dramaturge font tous deux périr le général carthaginois par le poison, qui constitue la fin la plus communément admise à côté de l’étranglement et de l’absorption de sang de taureau évoqués par Plutarque [42] et par la Vie d’Annibal traduite par Charles de l’Escluse [43].
11C’est dans un second temps, semble-t-il, que Thomas Corneille exploite plus spécifiquement les sources antiques, qu’il met notamment au service d’un portrait glorieux de son héros. L’exemple le plus frappant en est sa réappropriation de l’idée selon laquelle Annibal ne serait plus qu’un vieillard inoffensif pour Rome : selon Plutarque, les Romains « ne s’en soucioyent plus, pource qu’il estoit vieil et cassé, sans force ne puissance aucune, comme un homme que la fortune avoit de tout poinct ruiné et foulé aux pieds [44] ». Son Annibal se présente même comme un vieillard sans défense, dont les Romains n’ont pas la patience d’attendre la mort [45]. Une telle idée va directement à l’encontre du projet de Thomas Corneille. C’est pourquoi il la met plutôt dans la bouche du roi Prusias, qui s’adresse ainsi à Flaminius :
12Le procédé est d’autant plus spectaculaire que Thomas Corneille attribue à Annibal des propos que lui prêtent les historiens antiques (à l’exception de Cornelius Nepos) : le personnage rappelle que, jadis, les Romains n’achevaient pas leurs ennemis par tous les moyens, mais les prévenaient des complots qui se tramaient contre eux [47] :
13À Juvénal enfin, comme l’a remarqué Perry Gethner, Thomas Corneille emprunte l’idée qu’Annibal s’est servi d’un anneau contenant du poison [50]. Il rend ainsi plausible son empoisonnement héroïque : il ne faut pas oublier que, contrairement aux sources antiques, selon lesquelles Annibal se trouvait chez lui au moment de sa mort, Thomas Corneille le fait acculer dans le « palais [51] » où se déroule la pièce. Pris par surprise, cerné par la garde de Prusias, il est peu probable qu’Annibal ait pu trouver une coupe où détremper son poison ; et retarder son suicide eût compromis sa gloire. Le fait qu’il s’empoisonne immédiatement, au cœur de la mêlée, confirme son envergure héroïque. Le recours à la source juvénalienne permet donc à Thomas Corneille de conférer à son héros, placé dans une situation d’urgence, le sang-froid et la farouche résolution qui le caractérisent aux yeux du public du XVIIe siècle.
14Il apparaît donc que La Mort d’Annibal est construite à partir d’un véritable florilège de médiations. Or c’est parce que Thomas Corneille s’est fondé avant tout sur le texte de Dupleix et parce qu’il a sélectionné ce qui, dans les diverses sources qui s’offraient à lui, était susceptible de faire de son héros le plus grand des ennemis de Rome, qu’il a pu faire de sa Mort d’Annibal une pièce originale et autonome.
La Mort d’Annibal, ou la fin d’une époque
15L’atmosphère de LaMort d’Annibal s’oppose strictement à celle de Nicomède. Pierre Corneille présente une tragédie où Rome, par l’intermédiaire de son ambassadeur Flaminius, sait reconnaître, non sans grandeur, la magnanimité de son adversaire ; Thomas Corneille produit une pièce nettement plus sombre :
Dans la pièce de Pierre, les Romains sont capables de grandeur d’âme, ce qui permet une sorte de réconciliation où tous les généreux expriment leur estime mutuelle et où l’on peut entrevoir une période de paix et de stabilité. Dans la pièce de Thomas, aucune réconciliation n’est possible, car Prusias et Flaminius manquent totalement de générosité. Les spectateurs savent que Rome va triompher par la suite, mais c’est un empire maléfique qui inspire peu de respect, et ses adversaires, malgré leur âme héroïque, n’ont aucun avenir. [52]
17Si Perry Gethner rapporte notamment le « manque de générosité » de Prusias à la « vogue des nouvelles historiques attribuant la conduite des hommes illustres du passé à des mobiles purement amoureux [53] », celui de Flaminius – et, par extension, de « l’empire maléfique » qu’il représente – découle directement de la lecture que Thomas Corneille fait des médiations de l’Antiquité. C’est parce que « Rome dégénère », comme Annibal le déclare notamment d’après Tite-Live et Plutarque [54], qu’il n’y a plus de place pour l’héroïsme.
18La référence au roi d’Épire Pyrrhus II devient dès lors symbolique. En rappelant que Rome a sauvé un de ses ennemis d’un empoisonnement félon, Thomas Corneille met en place une opposition emblématique entre deux figures, chacune représentative d’une époque bien définie. Pyrrhus personnifie une ère révolue où deux adversaires, tout mortels qu’ils pussent être, pouvaient se porter du respect. Par contraste, Annibal devient l’icône tragique d’une époque où la toute-puissance de Rome lui permet de commettre les pires ignominies. C’est que, comme le formule un des plus infâmes scélérats du théâtre de Thomas Corneille, le favori du roi de Phrygie, Anaxaris, dans la tragédie Bérénice (1659), « Tous les crimes sont beaux qu’on peut justifier [55] ». Sur ce point, Annibal fait preuve d’une terrible lucidité à la fin de la réplique déjà citée :
19Ces deux vers constituent un écho désespérant d’ironie tragique aux propos que Flaminius a tenus à Prusias, deux actes plus tôt, pour le convaincre de bafouer les lois de l’hospitalité en lui livrant Annibal :
20À la fin de sa pièce, Thomas Corneille érige donc la conclusion qu’Annibal tire de l’épisode de Pyrrhus II en principe de son œuvre. Dans un monde où les rois dans l’âme ne le sont pas dans les faits, et inversement, tout héroïsme est voué à être étouffé dans l’œuf [59], et c’est pourquoi, avec Annibal, c’est toute une époque qui meurt. Le passage du sauvetage in extremis de Pyrrhus II au suicide du héros sanctionne et symbolise une avancée irrémédiable et navrante de l’histoire. C’est donc parce qu’il a consulté et exploité diverses médiations de l’Antiquité que Thomas Corneille a pu construire une pièce à l’atmosphère fondamentalement différente de celle de son frère : une tragédie sombre, qui met en scène la fin d’une époque.
21En écrivant La Mort d’Annibal, Thomas Corneille a choisi d’œuvrer à la croisée de nombreux héritages. En effet, il s’attelait à un sujet très connu de ses contemporains [60] : là où son frère a pu laisser libre cours à son invention dans Nicomède, il a dû sélectionner et agencer ses sources. D’un point de vue génétique, les deux dramaturges procèdent de façons très différentes. Enfin, Thomas Corneille ne relaie pas seulement l’horizon d’attente de son public, il le modifie. C’est parce qu’il crée une véritable synergie entre médiations antiques et contemporaines, historiques et littéraires, qu’il peut ériger Annibal en symbole de la fin d’une époque. Il développe et enrichit donc la perception du célèbre général carthaginois. En d’autres termes, il s’est fait le médiateur de la matière antique, et non son servile écho.
Mots-clés éditeurs : Annibal, génétique littéraire, Thomas Corneille, médiations, Pierre Corneille
Mise en ligne 20/07/2020
https://doi.org/10.3917/licla1.101.0143Notes
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[1]
Les deux tragédies seront citées dans les éditions suivantes : P. Corneille, Nicomède, Œuvres complètes, éd. G. Couton, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980-1987, t. II ; Th. Corneille, La Mort d’Annibal, éd. P. Gethner, Théâtre complet. Tome 5, Paris, Classiques Garnier, 2018.
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[2]
Voir S. Guellouz, « Hannibal dans l’œuvre de Thomas Corneille ou Hannibal, d’un frère à l’autre », dans M. Dufour-Maître (dir.), Thomas Corneille (1625-1709) : une dramaturgie virtuose, Mont-Saint-Aignan, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 2014, p. 123-134, en particulier p. 124-126 ; E. Minel, « Thomas Corneille sur les traces de son frère Pierre Corneille : une écriture de cadet fraternel. Antiochus (1666) et Rodogune, La Mort d’Annibal (1669) et Nicomède », Papers on French Seventeenth Century Literature, vol. XXVIII, n° 55, 2001, p. 423-428.
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[3]
Voir H. C. Lancaster, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century. Part III: The Period of Molière (1652-1672), Baltimore / Londres / Paris, The Johns Hopkins Press / H. Milford / Les Belles Lettres, 1936, t. 2, p. 597.
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[4]
Voir D. A. Collins, Thomas Corneille, Protean Dramatist, Londres / La Haye / Paris, Mouton & Co, 1966, p. 91.
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[5]
« Les tragédies cornéliennes », dans G. Reynier, Thomas Corneille, sa vie et son théâtre, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1892 ; « The “Cornelian” tragedies », dans D. A. Collins, op. cit., p. 90-141.
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[6]
G. Reynier, op. cit., p. 143.
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[7]
H. Hemaidi, « De La Mort d’Asdrubal à La Mort d’Annibal, ou Z. J. Montfleury et Th. Corneille, lecteurs de l’histoire de Carthage », dans A. Baccar Bournaz (éd.), L’Afrique au XVIIe siècle. Mythes et réalités, Tübingen, G. Narr, 2003, p. 271 et 277.
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[8]
Voir E. Minel, « Thomas Corneille sur les traces de son frère […] », art. cit. Notons que, de façon plus large, E. Minel considère le dramaturge comme un « cadet du Grand Siècle » : voir « La “vivacité” dans le théâtre de Thomas Corneille : esprit d’un “cadet” du Grand Siècle entre le Siècle d’or et le Siècle des lumières », dans M. Dufour-Maître (dir.), Thomas Corneille (1625-1709) : une dramaturgie virtuose, op. cit. p. 247-270.
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[9]
Voir S. Guellouz, « Hannibal dans l’œuvre de Thomas Corneille […] », art. cit., p. 134.
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[10]
Même si Annibal occupe une place importante dans Nicomède : voir S. Guellouz, « Cet absent à la lourde présence : Hannibal dans le théâtre de Pierre Corneille », dans M. Dufour-Maître (dir.), Héros ou personnages ? Le Personnel du théâtre de Pierre Corneille, Mont-Saint-Aignan, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 2013, p. 83-94.
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[11]
Th. Corneille, « À Monseigneur le Marquis de Seignelay, Secrétaire d’État », épître dédicatoire de La Mort d’Annibal, p. 619.
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[12]
Voir P. Corneille, Nicomède, « Au lecteur » (p. 640) ; « Examen » (p. 642) ; I, 3, v. 275-276 (p. 655) ; III, 3, v. 952 (p. 678) ; IV, 2, v. 1159 et 1175 (p. 687).
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[13]
Voir, outre les passages cités supra n. 12, La Mort d’Annibal, I, 3, v. 149-150 (p. 629) ; II, 4, v. 545-546 et 557-560 (p. 647-648).
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[14]
Voir notamment Nicomède, I, 2-3 (p. 649-655) et III, 6 (p. 680-681) ; La Mort d’Annibal, I, 1 (p. 623-626) et I, 3 (p. 629-633).
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[15]
Voir Nicomède, IV, 4, v. 1371-1394 (p. 693-694) ; La Mort d’Annibal, I, 6, v. 373-396 (p. 638-639).
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[16]
Voir S. Guellouz, « Hannibal dans l’œuvre de Thomas Corneille […] », art. cit., p. 125-126.
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[17]
Les traductions d’œuvres antiques que nous citons dans le présent article sont les plus récentes auxquelles Pierre et Thomas Corneille ont pu avoir accès au moment où ils ont écrit Nicomède et La Mort d’Annibal.
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[18]
Voir G. Le Chevalier, La Conquête des publics. Thomas Corneille, homme de théâtre, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 19-67 (« Thomas Corneille et l’infortune critique : position du problème »).
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[19]
En cela, nous nous inscrivons notamment dans la lignée des travaux de G. Le Chevalier, qui s’est attaché à revaloriser Thomas Corneille aussi bien d’un point de vue esthétique (La Pratique du spectateur. La Médiation des regards dans le théâtre de Thomas Corneille, Paris, Classiques Garnier, 2017) que de celui de la réception de ses œuvres en son temps (La Conquête des publics, op. cit.).
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[20]
Voir D. A. Collins, op. cit., p. 136-141 ; S. Guellouz, « Hannibal dans l’œuvre de Thomas Corneille […] », art. cit. ; E. Minel, « Thomas Corneille sur les traces de son frère […] », art. cit. ; G. Reynier, op. cit., p. 162-168.
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[21]
Voir P. Gethner, « Carthage et Rome au théâtre : le conflit entre générosité et machiavé-lisme », dans A. Baccar Bournaz (éd.), op. cit., p. 261-269 ; Chr. J. Gossip, « “Le goût de l’Antiquité” : Thomas Corneille and the Death of Hannibal », Forum for Modern Language Studies, n° 26/1, 1990, p. 13-25 ; H. Hemaidi, art. cit.
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[22]
Voir G. Forestier, Corneille, le sens d’une dramaturgie, Paris, SEDES, 1998, p. 15-37 (« Représenter : écrire l’histoire »).
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[23]
Voir P. Corneille, Nicomède, « Adresse au lecteur », p. 639-640.
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[24]
Les seuls historiens antiques qui évoquent le sujet sont Justin et Appien, et ils ne le font que sur une quinzaine de lignes : voir supra n. 23 ; Appien, Des guerres des Romains Livres XI. Traduicts en françois par feu Maistre Claude de Seyssel […], plust sont adjoustez deux livres, traduicts de grec en langue Françoise, par le Seigneur des Avenelles, Paris, P. du Pré, 1569, f. 75v° et 76v°. L’historien moderne Scipion Dupleix, quant à lui, traite l’épisode de façon particulièrement expéditive : « Toutefois les affaires changerent de face par la mort de Prusias : qui fut tué par son fils Nicomede, qui luy faisoit la guerre à l’induction d’Attalus : si bien que la querele finit par ce parricide. » (Histoire romaine, depuis la fondation de Rome. Tome II, Paris, Cl. Sonnius, 1638, p. 192-193). Sur Scipion Dupleix, voir Chr. Blanquie, Un magistrat à l’âge baroque : Scipion Dupleix (1569-1661), Paris, Publisud, 2008.
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[25]
G. Couton, « Notice » de Nicomède, éd. cit., p. 1476.
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[26]
Notons que cela n’exclut en rien le fait que « Polybe, Appien, Tite-Live, Diodore ont été mis à contribution » et que Corneille « avait [probablement] à portée de main les ouvrages usuels de sa génération, Coëffeteau et l’Histoire romaine de Scipion Dupleix » (ibid., p. 1459 et 1460).
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[27]
Voir Nicomède, « Adresse au lecteur » et « Examen », p. 640 et 642.
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[28]
G. Forestier, Essai de génétique théâtrale : Corneille à l’œuvre [1996], Genève, Droz, 2004, p. 89.
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[29]
Ibid., p. 264.
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[30]
Sur ce point, voir les références bibliographiques traitées dans le présent article.
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[31]
Voir Sc. Dupleix, op. cit., p. 116.
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[32]
Voir E. Minel, « Thomas Corneille sur les traces de son frère […] », art. cit., p. 416-417.
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[33]
Sur le fait que, tout conscient qu’il est de la diversité de son public, Th. Corneille cherche notamment à gagner l’estime des doctes et privilégie le public mondain : voir G. Le Chevalier, La Conquête des publics, op. cit., « Introduction. “Je m’expose à me faire condamner du Public” : Thomas Corneille et le public de théâtre », p. 15-16.
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[34]
Th. Corneille, « À Monseigneur le Marquis de Seignelay », La Mort d’Annibal, p. 619.
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[35]
On le voit notamment au fait qu’il a rendu au personnage d’Attale sa véritable identité de frère d’Eumène II, roi de Pergame, alors que Pierre en avait fait le fils d’un second lit du roi Prusias.
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[36]
Sc. Dupleix, op. cit., p. 116. Sur ce point, Dupleix s’inscrit dans la lignée de Cornelius Nepos (Les Vies des plus Illustres generaux d’armée, grecs et romains, traduites […] par le Sr de Claveret, Paris, P. Bienfait, 1663, p. 282) et de Tite-Live (Tome second des Decades de Tite-Live. De la Traduction de P. Du-Ryer, Paris, A. de Sommaville, 1653, p. 1375). Il s’oppose ainsi à Appien et à Plutarque, qui font de l’ambassadeur un homme cruel qui a décidé arbitrairement d’éliminer le général carthaginois : voir Appien, Des guerres des Romains. Traduit de grec en françois. Par Me Odet Philippe, Sieur des Mares, Paris, A. de Sommaville, 1659, p. 86-87 ; Plutarque, Les Vies des hommes illustres grecs et romains. […] Tome premier, trad. J. Amyot, Paris, P. Bertault, 1600, p. 747-748.
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[37]
La Mort d’Annibal, III, 6, v. 1154 (p. 671) ; nous soulignons.
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[38]
Ibid., III, 6, v. 1162-1164.
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[39]
Voir Sc. Dupleix, op. cit., p. 116. Sur ce point, Dupleix brode à partir de Tite-Live (op. cit., p. 1375) et de Plutarque (Les Vies des hommes illustres grecs et romains. […] Tome premier, éd. cit., p. 748) et s’éloigne de Cornelius Nepos, chez qui Prusias refuse de prendre une part active à la capture d’Annibal (Les Vies des plus Illustres generaux d’armée, éd. cit., p. 282).
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[40]
La Mort d’Annibal, I, 2, v. 115-117 (p. 628).
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[41]
Ibid., IV, 4, v. 1371-1373, 1377 et 1381-1382 (p. 681-682) : « Araxe. Employez des Romains, et par eux seulement / Faites prendre Annibal dans son appartement. / Le coup fait, plaignez-vous de cette violence. […] / Prusias. Tu dis vrai, je me rends, […] / C’en est fait, perdons tout dans ce besoin extrême, Attale par mon Fils, Annibal par moi-même ».
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[42]
Voir Plutarque, Les Vies des hommes illustres […]. Tome premier, éd. cit., p. 748-749.
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[43]
Voir « Les vies d’Annibal et de Scipion l’Affricain, Traduites par Charles de l’Escluse, et corrigées en cette derniere Impression par le Sieur du Pelletier », dans Plutarque, Les Hommes illustres grecs et romains, trad. J. Amyot, Paris, A. Robinot, 1645, t. II, p. 814.
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[44]
Plutarque, Les Vies des hommes illustres grecs et romains. […] Tome premier, éd. cit., p. 748.
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[45]
Ibid., p. 749.
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[46]
La Mort d’Annibal, III, 6, v. 1175-1176 (p. 672).
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[47]
Voir Plutarque, Les Vies des hommes illustres […] Tome premier, éd. cit., p. 749 ; Tite-Live, op. cit., p. 1375 ; Ch. de L’Escluse, « Les vies d’Annibal et de Scipion l’Affricain […] », éd. cit., p. 814. Notons que ce motif est absent de l’Histoire romaine de Dupleix : sa présence dans La Mort d’Annibal confirme, s’il en était besoin, que Th. Corneille a panaché les sources.
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[48]
La haine qu’Annibal éprouve pour Rome.
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[49]
La Mort d’Annibal, V, 8, v. 1861-1868 (p. 703).
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[50]
Voir La Mort d’Annibal, p. 705, n. 82. Cf.Les Satires de Juvenal et de Perse. Avec des Remarques, en Latin et en François, Paris, G. de Luyne, 1658, p. 146-147.
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[51]
Quoique Th. Corneille ne précise pas le lieu où se déroule la pièce, on trouve le terme palais deux fois dans le texte : La Mort d’Annibal, IV, 8, v. 1555 ; V, 5, v. 1812.
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[52]
P. Gethner, introduction à La Mort d’Annibal, p. 592. Sur ce point, l’auteur infirme avec pertinence l’idée que le Flaminius de Thomas Corneille serait strictement identique à celui de Pierre.
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[53]
Ibid., p. 600.
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[54]
Voir supra, n. 47.
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[55]
Th. Corneille, Bérénice, IV, 6, v. 1592, éd. W. Brooks, Théâtre complet. Tome 3, Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 273.
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[56]
Comprendre : des droits de Rome.
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[57]
La Mort d’Annibal, V, 8, v. 1867-1868 (p. 703).
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[58]
Ibid., III, 6, v. 1161-1165 (p. 671).
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[59]
P. Gethner relève bien, d’ailleurs, que Th. Corneille « choisi[t] de présenter une vision pessimiste d’un monde où l’héroïsme est en train de s’éclipser » (introduction à La Mort d’Annibal, p. 606).
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[60]
La démarche était d’autant plus courageuse que Georges de Scudéry avait essuyé un échec retentissant avec son Grand Annibal. Sur cette pièce probablement représentée en 1667 et maintenant perdue, voir É. Dutertre, Scudéry dramaturge, Genève, Droz, 1988, p. 89 ; Chr. J. Gossip, art. cit., p. 13-14.