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Article de revue

De la loge de l’ambassadeur à l’éloge paradoxal

Naissance de la critique dramatique illustrée dans le Mercure galant (1682)

Pages 159 à 173

Notes

  • [1]
    Montesquieu, Lettres persanes, XXVIII, éd. P. Vernière, Paris, Le Livre de Poche, 2006, p. 128.
  • [2]
    Des attaques de l’époque à la critique actuelle, il est courant de considérer Donneau de Visé comme un thuriféraire (trop) zélé de Louis XIV et de son règne. Voir notamment P. Mélèse, Un Homme de lettres au temps du grand roi. Donneau de Visé fondateur du Mercure galant, Genève, Droz, 1936, chap. XII ; M. Vincent, Le Mercure galant. Présentation de la première revue féminine d’information et de culture (1672-1710), Paris, Champion, 2005, partie II, chap. 5.
  • [3]
    Contrairement au portrait de la Voisin qu’Antoine Coypel a dessiné et gravé lui-même, et qui avait été publié en février 1680, ce dernier ne fournit ici que le dessin, gravé par Antoine Trouvain. Coypel avait entretemps peint un May de Notre-Dame et il avait été reçu académicien : sa cote était en train de monter. Sur le Mercure galant comme périodique illustré, voir mon article « L’actualité gravée au temple de mémoire. La mise en place du programme d’illustration du Mercure galant au tournant de l’année 1678 », Nouvelles de l’estampe, n° 252, 2015, p. 52-66.
  • [4]
    L’image de l’ambassade marocaine à la Comédie-Italienne s’incarne à travers différents supports (dessin, estampe, peinture), étendant symboliquement l’espace réel du théâtre de l’Hôtel de Bourgogne vers d’autres lieux (cabinet de lecture privé, salon, résidence princière, etc.). Ce parcours multiplie les appropriations herméneutiques de l’image et prolonge l’idée d’« hétérotopie théâtrale », développée par Chr. Biet à partir de la distinction foucaldienne entre espaces de contestation utopiques (« sans lieu réel ») et hétérotopiques (réalisés effectivement) : l’« hétérotopie théâtrale » caractérise en ce sens le théâtre comme un lieu de réunion contradictoire, créant, le temps de l’illusion théâtrale, des espaces fictionnels susceptibles de dénoncer l’espace réel de la cité, dans lequel se situe pourtant le théâtre (« Séance, performance, assemblée et représentation : les jeux de regards au théâtre […] », Littératures classiques, n° 82, 2013, p. 79-97).
  • [5]
    L. Michel, « La tragédie française des années 1660-1680 vue de la salle : l’émergence d’un nouveau discours critique », dans F. d’Artois et A. Teulade (dir.), La Tragédie et ses marges. Penser le théâtre sérieux en Europe (XVIe-XVIIe siècles), à paraître.
  • [6]
    Mercure galant, février 1682, p. 323. La relation de l’ambassade marocaine de 1682 est publiée en deux parties dans le Mercure galant de janvier (p. 291-340) et février 1682 (p. 295-332). Sur la présence des ambassadeurs au théâtre, voir l’article d’E. Welch dans le présent volume.
  • [7]
    Voir N. Garnier, Antoine Coypel (1661-1722), Paris, Arthena, 1989, pl. I, cat. n° 10, p. 94-95. Envoyé par le roi du Maroc Moulay Ismaïl, Mohammed Temim venait négocier un traité de paix concernant les droits de navigation de la France. La relation diplomatique, dans le Mercure galant, passe sous silence les aspérités des négociations. A ce propos, voir Y. Nékrouf, Une amitié orageuse. Moulay Ismaïl et Louis XIV, Paris, A. Michel, 1987, p. 87-104.
  • [8]
    V. Lochert a souligné l’importance de la « théâtralité du public » : « Lecteurs et spectateurs dans les querelles dramatiques », dans E. Hénin (dir.), Les Querelles dramatiques à l’âge classique (XVIIe-XVIIIe s.), Louvain, Peeters, 2010, p. 124-125.
  • [9]
    Mercure galant, février 1682, p. 322-324.
  • [10]
    Dictionnaire de l’Académie française, Paris, J.-B. Coignard, 1694, art. « Chiffrage ».
  • [11]
    Voir les Extraordinaires du Mercure galant de l’année 1678.
  • [12]
    Mercure galant, janvier 1682, p. 333. La galanterie de l’ambassadeur est soulignée à maintes reprises : il élit par exemple à chacune de ses haltes une « reine de Maroc et une ambassadrice » (ibid., p. 306).
  • [13]
    V. Lochert, « “Le lecteur imaginatif” face au texte dramatique : l’apport des didascalies et des illustrations à la lecture du théâtre », dans Théâtre et imaginaire. Images scéniques et représentations mentales (XVIe-XVIIIe s.), Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2012, p. 195.
  • [14]
    Chr. Biet, art. cit., p. 85.
  • [15]
    Si les échanges théoriques entre peinture et théâtre sont féconds depuis l’Antiquité, le théâtre réel ne constitue un sujet pour les peintres que depuis la toute fin du XVIIe siècle ; avant cette date, l’iconographie théâtrale est très rare. Voir E. Hénin, Ut Pictura theatrum. Théâtre et peinture de la Renaissance italienne au classicisme français, Genève, Droz, 2003 ; B. Chavanne (dir.), Le Théâtre des passions (1697-1759). Cléopâtre, Médée, Iphigénie, Nantes, FAGE, 2011 ; Fr. Moureau, Le Goût italien dans la France rocaille : théâtre, musique, peinture (v. 1680-1750), Paris, PUPS, 2011.
  • [16]
    Mercure galant, février 1682, p. 322-324.
  • [17]
    P. Richelet, Dictionnaire français, Genève, J. H. Widerhold, 1680, art. « Attitude ».
  • [18]
    La théorie picturale d’Antoine Coypel achève, selon E. Hénin (op. cit., p. 570-571), le déplacement de l’ut pictura theatrum du dramaturge vers le comédien, qui devient le modèle pictural de l’expression des passions. Par ailleurs, son fils Charles-Antoine sera non seulement l’un des premiers peintres en France à faire entrer à l’orée du XVIIIe siècle les représentations théâtrales dans le répertoire des sujets picturaux, mais encore il sera lui-même dramaturge, écrivant des canevas dramatiques pour les Italiens.
  • [19]
    Cité par N. Garnier, op. cit., p. 75 (nous soulignons).
  • [20]
    Ch. Le Brun, L’Expression des passionset autres conférences. Correspondance, éd. J. Philipe, [Paris], Maisonneuve et Larose, 1994. Voir aussi M. Pinault, « L’expression des passions à travers quelques exemples de dessins du XVIIe siècle », dans B. Yon (éd.), La Peinture des passions, de la Renaissance à l’Âge classique, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1995, p. 315-331.
  • [21]
    Les remises en cause du caractère systématique de la théorie de Le Brun datent seulement du début du XVIIIe siècle : voir Le Théâtre des passions (1697-1759), op. cit., p. 90.
  • [22]
    Ch. Le Brun, op. cit., p. 66 : « le visage aussi reçoit fort peu de changement en toutes ses parties ; et s’il y en a, il n’est que dans l’élévation du sourcil : mais il aura les deux côtés égaux, et l’œil sera un peu plus ouvert qu’à l’ordinaire, et la prunelle également entre les deux paupières et sans mouvement, attachés sur l’objet qui aura causé l’admiration […]. Cette passion ne produit qu’une suspension de mouvement pour donner le temps à l’âme de délibérer sur ce qu’elle a à faire, et pour considérer avec attention l’objet qui se présente à elle ».
  • [23]
    Ibid., p. 68 : « L’estime ne se peut représenter que par l’attention et par le mouvement des parties du visage, qui semblent être attachées sur l’objet qui cause cette attention ; car alors les sourcils paraîtront avancés sur les yeux et pressés du côté du nez, l’autre partie étant un peu élevée, l’œil fort ouvert, et la prunelle élevée ».
  • [24]
    Ibid., p. 80 : « S’il y a du désir, on peut le représenter par les sourcils pressés et avancés sur les yeux qui seront plus ouverts qu’à l’ordinaire, la prunelle se trouvera située au milieu de l’œil, et pleine de feu, les narines plus serrées du côté des yeux ».
  • [25]
    Ibid., p. 72 : « la tête sera penchée […], et les sourcils élevés en haut, et la prunelle sera de même. […] La bouche est entrouverte, ayant les coins un peu élevés ».
  • [26]
    Ibid., p. 94.
  • [27]
    Voir les travaux en cours de C. Piot dans le cadre de sa thèse de doctorat, Le Discours sur le rire du spectateur. Émergence d’une catégorie de réception de la comédie dans le second XVIIe siècle.
  • [28]
    Démocrite, 1692, Paris, Musée du Louvre ; Silène barbouillé de mûres pour la nymphe Églé, 1700. Voir N. Garnier, op. cit., pl. VII et XIV.
  • [29]
    Ch. Le Brun, op. cit., p. 72.
  • [30]
    Ibid., p. 64.
  • [31]
    L’expression est empruntée aux dictionnaires de l’époque qui associent le geste de graver à l’idée de conservation. Voir par exemple le Dictionnaire universel de Furetière : « Les exploits des héros sont gravés au Temple de Mémoire ».
  • [32]
    Mercure galant, février 1682, p. 331.
  • [33]
    Voir à ce propos J. S. Ravel, « Trois images de l’expulsion des Comédiens Italiens en 1697 », Littératures classiques, n° 82, 2013, p. 51-60. G. Bocquet rappelait d’ailleurs que malgré la faveur que connaissaient les Italiens à la cour, ils avaient eu « dès 1681 des démêlés avec la police à cause de la licence de leur satire » (« Les comédiens italiens à Paris au temps de Louis XIV », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 26, 1979, p. 435).
  • [34]
    Le Mercure galant semble favorablement disposé envers les Comédiens-Italiens. La critique positive d’Arlequin Mercure galant contraste avec les tentatives de Donneau de Visé pour faire interdire La Comédie sans titre de Boursault, initialement intitulée Le Mercure galant, et annoncée à la Comédie-Française en février 1683 : voir P. Mélèse, op. cit., p. 170 sq.
  • [35]
    Mercure galant, février 1682, p. 322-323 (nous soulignons).
  • [36]
    Voir notamment B. Nestola, « La musica italiana nel Mercure Galant (1677-1683) », Ricercare, n° 14, 2002, p. 99-157.
  • [37]
    N. Garnier, op. cit., p. 94-95.
  • [38]
    Charles Le Brun (1619-1690). Le décor de l’Escalier des Ambassadeurs à Versailles, Paris, RMN, 1990.
  • [39]
    Mercure galant, septembre 1680, t. II, p. 313-314.
  • [40]
    S. Castelluccio, Les Collections royales d’objets d’art. De François Ier à la Révolution, Paris, Les Éditions de l’Amateur, 2005, p. 118.
  • [41]
    Le tableau aurait été commandé en 1682 ou 1683. Voir N. Garnier, op. cit., p. 13 et 94-95 ; C. Constans, Musée national du château de Versailles. Les Peintures, t. I, Paris, RMN, 1995, p. 199 ; L. Dimier, Les Peintres français du XVIIIe siècle, Paris / Bruxelles, G. Van Oest, 1928, p. 133.
  • [42]
    Voir P. Mélèse, op. cit., chap. 3 et 8, ainsi que les contributions de C. Meli, Chr. Schuwey et A. Vuilleumier consacrées dans le présent volume à la querelle de la Sophonisbe, qui inaugure la carrière de critique théâtral de Donneau de Visé.
  • [43]
    Les fonctions précises de Donneau de Visé, dans l’exercice de cette charge qu’il occupe vraisemblablement entre 1671 (Minutier central, MC/ET/XV/232) et 1697, restent difficiles à définir. S. Castelluccio émet plusieurs hypothèses, dont une sur le lien de l’illustration du périodique avec la charge de son directeur (Le Garde-Meuble de la Couronne et ses intendants du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Éditions du CTHS, 2004, p. 106-109). Je remercie Chr. Schuwey d’avoir attiré mon attention sur cette question.
  • [44]
    Outre de nombreuses estampes, figurent dans son inventaire après décès 450 volumes du Mercure galant s’étendant des années 1679 à 1709, soit précisément durant les années où, sous la direction de Donneau de Visé, le périodique est illustré (S. Castelluccio, Le Garde-Meuble de la Couronne et ses intendants […], op. cit., p. 90).
  • [45]
    Mercure galant, janvier 1682, p. 312. Les italiques sont d’origine, la typographie marquant le discours rapporté de l’ambassadeur. La pointe iconoclaste s’étaye dans le texte sur le topos de l’inexprimable : la grandeur du roi est telle qu’aucune peinture ne peut lui rendre justice.

1

Aux deux côtés, on voit, dans de petits réduits qu’on nomme loges, des hommes et des femmes qui jouent ensemble des scènes muettes […] : toutes les passions sont peintes sur les visages, et exprimées avec une éloquence qui, pour être muette, n’en est que plus vive. [1]

2Si Rica avait pris le pinceau plutôt que la plume, à quoi ressemblerait la peinture du théâtre français composée par le héros persan de Montesquieu ? La réponse se trouve peut-être, paradoxalement, dans un périodique qui a pu passer pour une servile plate-forme de publication des éloges du roi, le Mercure galant[2]. La composition y est inversée, mais le dispositif critique est déjà présent, en puissance. Alors que le Persan fictif décrit des sujets notables de Louis XIV en proie à la contagion des passions théâtrales dans une loge de la Comédie-Française, c’est un jeune peintre français bien réel, Antoine Coypel, qui observe des dignitaires orientaux dans leur loge de la Comédie-Italienne, quatre décennies avant la publication des Lettres persanes. Il croque la scène, et donne gracieusement le dessin à son ami et voisin aux Galeries du Louvre, Jean Donneau de Visé, fondateur et directeur du Mercure galant, qui s’empresse de le faire graver pour publier cette image d’actualité dans son périodique [3]. Par un curieux effet d’anachronisme et de symétrie inverse, c’est déjà le regard oblique de Rica que le lecteur-spectateur du Mercure galant est invité à poser sur le grand theatrum mundi louis-quatorzien. C’est aussi à une réévaluation de notre regard sur une zone de confort rhétorique – la critique dramatique au moment de sa naissance, qui n’est encore fixée dans aucun genre et qui se meut aisément entre satire et éloge, ce dont le Mercure galant tire à l’occasion le meilleur parti – que nous convie le devenir de cette image hétérotope [4].

3Le regard du spectateur, au moment de l’émergence de la critique dramatique, constitue en effet un nouveau critère d’évaluation particulièrement significatif : la présence et plus encore le plaisir attesté d’un noble personnage au théâtre offre un gage précieux de la qualité d’une représentation [5]. L’estampe publiée dans le Mercure galant du mois de février 1682 (Fig. 1) propose une transposition visuelle de ce critère [6] : il s’agit de l’image, plus connue par son pendant pictural aujourd’hui conservé au château de Versailles (Fig. 2), de l’ambassadeur du Maroc, El-Hajj Mohammed Temim, accompagné de sa suite, dans une loge de l’Hôtel de Bourgogne, assistant à une pièce des Comédiens-Italiens [7]. Insérée dans la relation d’une visite diplomatique et commentée dans le texte, cette illustration théâtrale revêt des enjeux esthétiques et politiques sensibles : en plus de constituer l’une des premières représentations iconographiques des passions spectatrices, cette image et son devenir à travers plusieurs supports (dessin, estampe, peinture) et différents espaces (théâtre, périodique, résidence royale) témoignent de la grande disponibilité herméneu-tique de la critique dramatique à sa naissance.

Partager la loge de l’ambassadeur

4Du spectacle principal – la pièce des Italiens –, l’estampe ne nous montre rien. Elle se concentre sur le second spectacle, celui qui se déroule dans la salle et qui est offert par les spectateurs eux-mêmes [8]. L’identification des diplomates est partiellement assurée par l’opération du chiffrage :

5

Celui qui est marqué I [sur l’estampe], est l’ambassadeur. L’autre marqué 2, est le gouverneur de Salé. Je n’ai pas cru nécessaire de chiffrer les autres. Je vous dirai seulement que le Français est M. de Rémondis, qui a eu le soin de leur conduite. On a négligé de le faire ressembler, pour s’attacher davantage aux autres. Ils sont tous placés comme ils l’étaient dans la loge, et avec les mêmes attitudes. [9]

6Or la pratique du chiffrage est en soi une opération ambivalente : instrument cognitif destiné à assurer la lisibilité de l’image, elle est également « une manière secrète d’écrire [10] », qui consiste à voiler le sens d’un mot ou d’une image – ainsi des « Lettres chiffrées » que le Mercure galant propose à ses lecteurs au même titre que les énigmes [11]. En ce sens, le chiffrage instaure ici un jeu autour de la reconnaissance des personnages et de la signification de l’image : seuls l’ambassadeur et le gouverneur de Salé sont « chiffrés » ; l’identité du Français, Rémondis, est seulement précisée dans le texte ; les trois autres personnages demeurent inconnus sur l’image et le texte afférent. De plus, l’estampe présente par rapport au texte un chiasme suggestif : c’est à l’ambassadeur du Maroc que le texte du Mercure galant s’attache à associer une réputation de galanterie, non au gouverneur de Salé, qui « passe pour un saint en son pays [12] ». C’est toutefois le regard égrillard de ce dernier (souligné, dans la peinture, par des joues empourprées) qui a la charge de publier sur l’estampe la galanterie orientale, la célèbre « galanterie des Maures », tandis que l’ambassadeur du Maroc, dans un âge et une posture vénérables, « passe » davantage sur l’image « pour un saint » ! L’étoffe blanche dont les deux personnages se parent achève visuellement la confusion entre eux. En vertu du pouvoir de présentification de l’individu par le portrait, mais aussi du pouvoir propre à l’illustration de se constituer en « décor imaginaire » de la lecture [13], la publication de ces portraits constitue assurément un signe fort, mais ambivalent.

7Par ce geste, le Mercure galant dit avant toute chose sa capacité à brouiller les distinctions sociales et à transcender les lieux. La publication, par le texte et l’image, de la qualité et du placement des spectateurs dans la loge suscite en effet une nouvelle forme d’hétérotopie, qui étend virtuellement l’espace représenté (le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne) à celui du lecteur, lui donnant l’illusion de voir et d’être vu à son tour par les illustres spectateurs. La perspective frontale de l’estampe élève le lecteur-spectateur à hauteur de l’ambassade marocaine, le plaçant dans une loge imaginaire qui ferait face à celle des diplomates. Non seulement le périodique ouvre grand les portes du théâtre de la rue Mauconseil, mais encore il distribue symboliquement les places les plus coûteuses et prestigieuses de la salle. Ensemble et hors de tout protocole, lecteurs et ambassadeurs peuvent ainsi croiser, sur une scène qui se dérobe pourtant à la représentation, un regard doublement latéral. En passant outre les contraintes temporelles et économiques de la séance théâtrale effective, pour offrir à ses lecteurs le spectacle des ambassadeurs, le Mercure galant prolonge une trans-gression théâtrale fondamentale, « la diffraction de l’espace en espaces imaginaires, en lieux réels et en espaces individuels herméneutiques [14] ».

Figurer le plaisir théâtral

8Une fois installé dans cette loge imaginaire, le lecteur du Mercure galant peut donc faire réflexion, en premier lieu sans doute, sur les expressions des diplomates marocains. En ce sens la publication de cette estampe constitue un apport notable à l’histoire de la critique dramatique, comme l’un des premiers essais iconographiques pour figurer les émotions des spectateurs au théâtre [15]. Le texte à ce sujet est peu disert, mais significatif : il évoque le « plaisir » de l’ambassadeur suscité par des « acteurs » réputés « excellents », plaisir confirmé par une présence renouvelée à l’Hôtel de Bourgogne (« trois fois ») et la mention selon laquelle l’ambassadeur s’y est « extrêmement diverti [16] ». Autant de termes vagues, mais qui font certainement surgir dans l’esprit du lecteur du XVIIe siècle les lazzi volontiers grivois des spectacles all’ improvviso dont les Comédiens-Italiens réjouissaient alors le parterre et les loges. Mais il faut surtout relever une précision : les spectateurs présentent « les mêmes attitudes », terme qui désigne en peinture « l’action et la posture où l’on met les figures qu’on représente [17] ». Aussi le lecteur-spectateur doit-il considérer qu’il s’agit de portraits au naturel qui le renseignent sur les passions éprouvées pendant la représentation par les spectateurs. Le postulat est d’autant plus vraisemblable qu’Antoine Coypel est un connaisseur en matière de théâtre [18]. Dans les conférences qu’il donnera à l’Académie royale de peinture et de sculpture, publiées en 1721, il recommandera l’observation de l’expression des passions au théâtre – celles des comédiens mais aussi des spectateurs – pour compléter la formation des peintres dans la connaissance théorique de la physionomie :

9

Tout contribue dans les spectacles à l’instruction du peintre ; les idées, les visages et les passions exprimées par la poésie et par les gestes des grands acteurs ; les postures, les attitudes, la noblesse et la grâce du ballet et des danseurs ; les spectateurs mêmes donnent une ample matière pour étudier les gestes. [19]

10En 1682 toutefois, Antoine Coypel, jeune peintre de vingt-et-un ans, académicien depuis un an à peine, est encore loin d’avoir été promu premier peintre du roi (ce sera fait en 1715). L’on peut par conséquent supposer que l’expression des spectateurs sur l’estampe résulte déjà d’une observation curieuse du peintre, passée néanmoins au crible du bréviaire pictural en matière de représentation des passions, la théorie systématique de Charles Le Brun exposée dans les conférences prononcées en 1668 [20], qu’Antoine Coypel ne songe sans doute pas encore à contester [21]. On fera donc l’hypothèse que les expressions des spectateurs marocains sur l’illustration, et plus encore dans la peinture d’Antoine Coypel, constituent une construction originale, qui mêle à la théorie physionomique une expérience et un goût particuliers pour le théâtre, afin d’explorer différentes expressions graphiques du plaisir théâtral.

11Grâce à la multiplicité des regards qu’elle met en scène, la composition de Coypel donne ainsi à voir une diversité d’émotions essentiellement positives. D’abord l’admiration de l’ambassadeur (Fig. 3) [22]. Neutre du point de vue de sa figuration, l’admiration constitue une passion capitale dans la poétique de Corneille, et elle est la première des six « passions primitives » pour Descartes. C’est en quelque sorte la passion spectatrice fondamentale, dont l’expression picturale, qui confine à l’étonnement, marque ici la fameuse suspension d’incrédulité et atteste l’entrée mentale du spectateur dans l’espace de la fiction dramatique.

12Cette admiration se précise chez le personnage désigné comme le gouverneur de Salé en estime[23], voire plus vraisemblablement en désir (Fig. 4) [24]. Or l’objet de ce désir se dérobe à la représentation : s’agit-il du spectacle des Italiens dont on sait le caractère joyeusement licencieux, ou peut-être de la présence d’illustres spectatrices installées dans une loge voisine ? En vertu du chiasme évoqué plus haut, le Mercure galant brouille les identités des principaux personnages, confond le saint et le galant. Sans doute fallait-il une double figure d’altérité (le gouverneur de Salé n’est ni français, ni le diplomate principal) pour peindre sérieusement un plaisir libidinal que l’on ne songerait pas à représenter chez un noble sujet de Louis XIV. L’expression de ce désir est contrebalancée par ailleurs chez les personnages du second plan à droite par le détail de la prunelle élevée, absent des portraits des principaux diplomates : leur expression se rapproche de celle de la joie, voire du ravissement (Fig. 5), en particulier pour le personnage situé à l’extrémité, dont la bouche est entrouverte [25].

13Du rire que l’on attendrait à la Comédie-Italienne, il n’est en revanche question ni sur cette image, ni dans le texte : nulle figure ici présentant « les yeux presque fermés, la bouche […] entrouverte [faisant] voir les dents, les coins […] retirés en arrière [...], ce qui fera faire un pli aux joues qui paraîtront enflées [26] ». Si le rire des Grands est devenu une valeur positive dans la critique dramatique [27], il ne semble pas encore envisageable de représenter et pérenniser par l’image des manifestations corporelles outrées, doublement marquées dans la pensée aristotélicienne du sceau de la bassesse sociale et de la laideur. Lorsqu’Antoine Coypel peint le rire, c’est celui de Démocrite ou de Silène [28].

14De l’ambassadeur aux membres de sa suite, le peintre a ainsi dépeint une gradation ascendante d’émotions (admiration, estime/désir, joie/ravissement), qui reproduit le mouvement de l’âme devant un objet saisissant, un objet « au-dessus de [s]a connaissance [...], comme peut être la puissance de Dieu et sa grandeur [29] ». Bel éloge, s’il en est, des diverses formes du plaisir théâtral !

15Un seul personnage de l’ambassade marocaine, au second plan à gauche, semble éprouver des émotions négatives (ce dont témoigne une élévation singulière du sourcil qui, selon Le Brun, signifie « une douleur corporelle [30] »). Mais le Français responsable de l’ambassade marocaine se tourne vers lui, comme pour le rappeler à l’ordre. Aussi est-ce sans doute pour marquer une différence entre Rémondis et les membres de l’ambassade marocaine que le Mercure galant précise : « On a négligé de le faire ressembler, pour s’attacher davantage aux autres ». L’expression de Rémondis est en effet dérobée sur l’image : qu’il soit en conversation, qu’il s’applique à veiller au bon déroulement du séjour de l’ambassadeur, ou encore qu’il éprouve un plaisir peccamineux qui ne se figure pas, le peintre s’abstient de représenter « le Français » se divertissant ostensiblement au théâtre.

De la loge à l’éloge paradoxal : un regard autre sur le règne spectaculaire de Louis XIV

16La réserve du Français appelle d’autres réserves. Parmi toutes les merveilles du règne de Louis XIV qui ont été exhibées devant l’ambassadeur lors de sa visite (Versailles, le Louvre, l’Observatoire, les Gobelins, etc.), pourquoi illustrer comme un climax sa visite à la Comédie-Italienne ? Pourquoi choisir sa présence dans ce théâtre pour la « graver au Temple de Mémoire [31] » ? Mohammed Temim n’avait-il pas été honoré à la cour par deux représentations d’Atys, à l’Académie Royale de Musique par une représentation du Triomphe de l’Amour, et enfin la veille de son départ d’une Proserpine « que Mr de Lully voulut lui donner, afin de lui laisser en partant une grande idée des divertissements de France [32] » ? Or les émotions associées à ces spectacles officiels, dans la relation qu’en donne le périodique, sont avant tout la surprise et l’étonnement, non le plaisir, réservé essentiellement à la Comédie-Italienne.

17La publication dans le Mercure galant du portrait de l’ambassadeur du Maroc à la Comédie-Italienne célèbre ainsi un spectacle joué à la ville plutôt qu’à la cour, auquel l’ambassadeur assiste par plaisir, et non par obligation ou tradition diplomatique ; un spectacle représenté dans une salle prestigieuse, mais concurrente de celle où se produit désormais la Troupe Royale ; un spectacle joué de surcroît en italien, faute d’être alors autorisé en français. Sur une scène, enfin, qui était sans doute l’un des derniers espaces de déploiement d’une gestuelle théâtrale grivoise. Bien avant que les Comédiens-Italiens soient chassés en 1697 et que la Comédie-Italienne devienne un symbole d’opposition [33], il est tentant de lire le choix d’illustration du Mercure galant, au-delà de sa dimension esthétique, comme un éloge paradoxal ou comme la critique feutrée d’un double monopole instauré sur la musique et sur la langue par la politique culturelle centralisatrice de Louis XIV : un privilège de 1672 autorisait en effet le seul Lully à créer des opéras, tandis que la Troupe Royale possédait depuis août 1680 le monopole des pièces de théâtre en français dans tout le royaume.

18Il faut donc que la publication de cette estampe témoigne soit d’un parti-pris esthétique et idéologique – défense du goût italien en matière de spectacle, jusque dans les lazzi indécents, et critique des monopoles [34] –, soit d’une occasion privilégiée : l’accès aisé par le directeur du Mercure galant à un dessin représentant la scène – voire des deux possibilités à la fois. Et de fait, le jeune peintre Antoine Coypel aurait gracieusement offert son dessin à Donneau de Visé, mention assez rare dans la présentation des estampes du périodique pour être prise au sérieux :

19

Un très habile homme de mes amis, ayant dessiné pour son plaisir lui [l’ambassadeur] et tous ceux de sa suite la première fois qu’il alla à la comédie, m’a fait la grâce de me donner leurs portraits. Je vous les envoie. Vous serez persuadée de leur ressemblance, quand vous aurez su qu’ils ont été dessinés par le même qui me donna le portrait de la Voisin, qu’il fit si bien ressembler, quoiqu’il ne l’eût vue que dans le moment qu’on la conduisait à N. Dame. La vivacité de son génie ne peut s’exprimer. [35]

20Le périodique mondain ne cache pas du reste dans ces années-là sa prédilection pour les opéras et grands spectacles italiens [36] subventionnés par des particuliers : éloges généreux mais quelque peu dissonants dans le concert bien réglé de la centralisation administrative et culturelle de l’absolutisme monarchique, alors à son apogée.

21Porteur de subtils éléments de contestation, le choix de la publication de cette image dans le Mercure galant est néanmoins habile – mais aussi habilement récupérable. En témoigne, à la faveur d’une composition judicieuse, la migration de l’image à travers différents supports (texte, dessin, estampe et peinture). Car pour représenter l’ambassade marocaine dans un théâtre réel, le jeune peintre a pris modèle sur une composition similaire et prestigieuse, la décoration par Charles Le Brun de l’Escalier des Ambassadeurs à Versailles (1674-1679), et plus particulièrement sur les peintures en trompe-l’œil représentant les « Différentes Nations de l’Europe » et « de l’Amérique » [37] (Fig. 6 à 8). Des personnages aux coiffes et costumes exotiques sont tantôt appuyés sur la balustrade d’un balcon surmontée d’une épaisse draperie, tantôt retournés en signe de participation à une conversation, ou encore levant au ciel les yeux pour témoigner de la grandeur du spectacle que leur offre le plus grand des monarques [38]. Antoine Coypel emprunte à Charles Le Brun le décorum, mais aussi la diversité des postures et, en puissance, le message politique. Celui-ci apparaît aux contemporains comme une évidence, à commencer par Donneau de Visé :

22

Ainsi on suppose que ces nations passent dans ces galeries feintes, habillées toutes diversement et à la manière de leur pays, et qu’elles regardent toutes ces merveilles selon leur caractère, en allant voir le grand Prince dont la réputation les a charmées. [39]

23L’habileté de Coypel consiste à représenter potentiellement les spectateurs étrangers, à l’instar des représentants des différentes nations du monde dans l’Escalier des Ambassadeurs, en spectateurs éblouis devant les grands « divertissements de la France ». Mais le plaisir des illustres spectateurs du Maroc, avant d’être dirigé vers le spectacle orchestré par le grand roi, aura d’abord été suscité par… les lazzi des Italiens. La superposition des deux objets du plaisir théâtral est pour le moins plaisante, qui instaure un mouvement de réversibilité entre la critique dramatique et la critique politique, entre l’éloge de la Comédie-Italienne et un éloge royal – paradoxal.

24De la disponibilité herméneutique de la critique dramatique à sa naissance, telle que l’illustre cet épisode du Mercure galant, la présence du tableau de Coypel au château de Marly, l’une des résidences privées du roi où Louis XIV préfère « des peintures modernes commandées pour l’occasion [40] », offre enfin la plus belle marque. Et l’on n’a peut-être pas assez souligné le rôle joué par Donneau de Visé dans cette affaire, où la publication de l’estampe précède selon toute vraisemblance la réalisation du tableau [41]. À l’origine se trouve en effet un dessin « fait pour son plaisir » par un peintre amateur de théâtre, pour un ami lui-même dramaturge et critique dramatique [42] – c’est du moins ce que prétend le Mercure galant et l’on peut songer que Donneau de Visé se serait fait un plaisir de mentionner, le cas échéant, l’existence d’une commande royale. Il s’agit plus probablement d’une image d’actualité, gravée en hâte pour être publiée avec la relation diplomatique dans le numéro de février 1682. Plusieurs indices suggèrent que l’illustration a été gravée avec précipitation : son emplacement prévu en fin de volume (devant la page 323) correspond à la date tardive de la présence de l’ambassadeur du Maroc à la Comédie-Italienne (autour du 20 février selon la chronologie du périodique), quelques jours seulement avant le bouclage du volume (daté du 28 février) ; la composition en contrepartie de l’estampe, par rapport au tableau, qui reproduit plus vraisemblablement l’orientation initiale du dessin, suggère que faute de temps le graveur a négligé l’opération supplémentaire nécessaire pour conserver sur l’estampe le sens original du dessin ; il semble par ailleurs que, dans la hâte, le graveur ait omis la main droite de l’ambassadeur, rétablie sur le panneau peint ; le fond de la loge sur l’estampe est enfin extrêmement dépouillé et, bien que le graveur se concentre sur les expressions des personnages, celles-ci sont plus négligées que dans le tableau, sauf pour le gouverneur de Salé, qui permet à Trouvain de donner libre cours à son talent de portraitiste.

25L’estampe demeure néanmoins de facture honnête, et son sujet singulier. Il serait par conséquent plaisant d’imaginer Louis XIV au petit déjeuner, saisi par l’illustration de la gazette mondaine, ordonner sur le champ qu’on lui en apporte une copie peinte. Mais on se contentera ici d’une explication plus conjoncturelle. Car Donneau de Visé n’est pas uniquement directeur du Mercure galant, il possède également une charge de « Garde-Meubles de la Maison du Roi, des Princes étrangers et Ambassadeurs extraordinaires [43] ». Remodelé à l’initiative de Colbert, ce département de l’administration royale est chargé de la gestion des collections d’objets d’art et notamment de l’ameublement des résidences princières. Si le fonctionnement interne de cette administration reste difficile à saisir dans son détail, et plus encore les activités précises de Donneau de Visé dans ce domaine, il pourrait avoir été chargé, sous les ordres de l’intendant du Garde-Meubles de la Couronne, Gédéon Berbier du Metz, fervent lecteur du Mercure galant et amateur d’estampes [44], de négocier avec les artisans et les artistes de la capitale. Dès lors, en possession du dessin de son ami, Donneau de Visé a-t-il pu influer sur le circuit d’une commande royale ? Quoi qu’il en soit, de la Comédie-Italienne au château de Marly, le Mercure galant semble avoir joué le rôle d’un support de conversion entre une estampe d’actualité théâtrale, potentiellement critique, et une peinture d’apparat, contribuant à la gloire du roi.

26Du dessin croqué dans l’obscurité et le brouhaha de la Comédie-Italienne au tableau ornant la prestigieuse résidence privée du roi, l’image hétérotope des illustres spectateurs marocains dans la loge de l’Hôtel de Bourgogne aura suivi un chemin sinueux, s’offrant non sans paradoxe comme support d’éloges divers, potentiellement contradictoires. Élément expérimental d’une critique dramatique naissante, l’illustration théâtrale s’étoile en de multiple enjeux, esthétiques, éditoriaux et politiques, qui jettent depuis des loges réelles ou imaginaires, sur le règne spectaculaire de Louis XIV, autant d’éclairages latéraux. Et sans doute ne fallait-il pas manquer d’ingéniosité en 1682 pour faire prononcer par un personnage oriental au sortir de sa première entrevue avec le roi, dans un autre espace d’hétérotopie théâtrale par excellence (« l’antichambre »), cet éloge dont l’incipit iconoclaste est pour le moins paradoxal :

27

Il est impossible d’exprimer l’admiration qu’il [l’ambassadeur] témoigna de la personne du Roi. Il dit, lorsqu’il fut dans l’antichambre, qu’il avait vu plusieurs portraits de ce grand monarque, et qu’il les ferait effacer tous, s’il avait du pouvoir […]. [45]

28Ou Rica avec un pinceau avant l’heure.

Figure 1

Figure 1

Figure 1

Antoine Trouvain, d’après Antoine Coypel, L’Ambassadeur du Maroc à la Comédie-Italienne, février 1682, eau-forte et burin,  H : 19 cm, L : 15 cm
Château de Versailles, inv. grav. 238

Figure 2

Figure 2

Figure 2

Antoine Coypel, L’Ambassadeur du Maroc et sa suite à la Comédie-Italienne à Paris, vers 1682, huile sur bois, H : 28 cm, L : 21,5 cm
Château de Versailles, MV 5487

Figures 3 à 5

Figures 3 à 5

D’après Charles Le Brun, « L’Admiration avec étonnement », « Le Désir » et « Le Ravissement », Les Expressions des passions de l’âme, Paris, J. Audran, 1727

Figure 6

Figure 6

Figure 6

D’après Jean-Michel Chevotet, Vue intérieure du Grand Escalier de Versailles, dans L’Escalier des Ambassadeurs, Louis Surugue, 1721-1728
BnF, Estampes, FOL-HC-18

Figures 7 et 8

Figures 7 et 8

D’après Charles Le Brun, Les Différentes Nations de l’Europe et de l’Amérique, dans L’Escalier des Ambassadeurs, Louis Surugue, 1721-1728

Notes

  • [1]
    Montesquieu, Lettres persanes, XXVIII, éd. P. Vernière, Paris, Le Livre de Poche, 2006, p. 128.
  • [2]
    Des attaques de l’époque à la critique actuelle, il est courant de considérer Donneau de Visé comme un thuriféraire (trop) zélé de Louis XIV et de son règne. Voir notamment P. Mélèse, Un Homme de lettres au temps du grand roi. Donneau de Visé fondateur du Mercure galant, Genève, Droz, 1936, chap. XII ; M. Vincent, Le Mercure galant. Présentation de la première revue féminine d’information et de culture (1672-1710), Paris, Champion, 2005, partie II, chap. 5.
  • [3]
    Contrairement au portrait de la Voisin qu’Antoine Coypel a dessiné et gravé lui-même, et qui avait été publié en février 1680, ce dernier ne fournit ici que le dessin, gravé par Antoine Trouvain. Coypel avait entretemps peint un May de Notre-Dame et il avait été reçu académicien : sa cote était en train de monter. Sur le Mercure galant comme périodique illustré, voir mon article « L’actualité gravée au temple de mémoire. La mise en place du programme d’illustration du Mercure galant au tournant de l’année 1678 », Nouvelles de l’estampe, n° 252, 2015, p. 52-66.
  • [4]
    L’image de l’ambassade marocaine à la Comédie-Italienne s’incarne à travers différents supports (dessin, estampe, peinture), étendant symboliquement l’espace réel du théâtre de l’Hôtel de Bourgogne vers d’autres lieux (cabinet de lecture privé, salon, résidence princière, etc.). Ce parcours multiplie les appropriations herméneutiques de l’image et prolonge l’idée d’« hétérotopie théâtrale », développée par Chr. Biet à partir de la distinction foucaldienne entre espaces de contestation utopiques (« sans lieu réel ») et hétérotopiques (réalisés effectivement) : l’« hétérotopie théâtrale » caractérise en ce sens le théâtre comme un lieu de réunion contradictoire, créant, le temps de l’illusion théâtrale, des espaces fictionnels susceptibles de dénoncer l’espace réel de la cité, dans lequel se situe pourtant le théâtre (« Séance, performance, assemblée et représentation : les jeux de regards au théâtre […] », Littératures classiques, n° 82, 2013, p. 79-97).
  • [5]
    L. Michel, « La tragédie française des années 1660-1680 vue de la salle : l’émergence d’un nouveau discours critique », dans F. d’Artois et A. Teulade (dir.), La Tragédie et ses marges. Penser le théâtre sérieux en Europe (XVIe-XVIIe siècles), à paraître.
  • [6]
    Mercure galant, février 1682, p. 323. La relation de l’ambassade marocaine de 1682 est publiée en deux parties dans le Mercure galant de janvier (p. 291-340) et février 1682 (p. 295-332). Sur la présence des ambassadeurs au théâtre, voir l’article d’E. Welch dans le présent volume.
  • [7]
    Voir N. Garnier, Antoine Coypel (1661-1722), Paris, Arthena, 1989, pl. I, cat. n° 10, p. 94-95. Envoyé par le roi du Maroc Moulay Ismaïl, Mohammed Temim venait négocier un traité de paix concernant les droits de navigation de la France. La relation diplomatique, dans le Mercure galant, passe sous silence les aspérités des négociations. A ce propos, voir Y. Nékrouf, Une amitié orageuse. Moulay Ismaïl et Louis XIV, Paris, A. Michel, 1987, p. 87-104.
  • [8]
    V. Lochert a souligné l’importance de la « théâtralité du public » : « Lecteurs et spectateurs dans les querelles dramatiques », dans E. Hénin (dir.), Les Querelles dramatiques à l’âge classique (XVIIe-XVIIIe s.), Louvain, Peeters, 2010, p. 124-125.
  • [9]
    Mercure galant, février 1682, p. 322-324.
  • [10]
    Dictionnaire de l’Académie française, Paris, J.-B. Coignard, 1694, art. « Chiffrage ».
  • [11]
    Voir les Extraordinaires du Mercure galant de l’année 1678.
  • [12]
    Mercure galant, janvier 1682, p. 333. La galanterie de l’ambassadeur est soulignée à maintes reprises : il élit par exemple à chacune de ses haltes une « reine de Maroc et une ambassadrice » (ibid., p. 306).
  • [13]
    V. Lochert, « “Le lecteur imaginatif” face au texte dramatique : l’apport des didascalies et des illustrations à la lecture du théâtre », dans Théâtre et imaginaire. Images scéniques et représentations mentales (XVIe-XVIIIe s.), Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2012, p. 195.
  • [14]
    Chr. Biet, art. cit., p. 85.
  • [15]
    Si les échanges théoriques entre peinture et théâtre sont féconds depuis l’Antiquité, le théâtre réel ne constitue un sujet pour les peintres que depuis la toute fin du XVIIe siècle ; avant cette date, l’iconographie théâtrale est très rare. Voir E. Hénin, Ut Pictura theatrum. Théâtre et peinture de la Renaissance italienne au classicisme français, Genève, Droz, 2003 ; B. Chavanne (dir.), Le Théâtre des passions (1697-1759). Cléopâtre, Médée, Iphigénie, Nantes, FAGE, 2011 ; Fr. Moureau, Le Goût italien dans la France rocaille : théâtre, musique, peinture (v. 1680-1750), Paris, PUPS, 2011.
  • [16]
    Mercure galant, février 1682, p. 322-324.
  • [17]
    P. Richelet, Dictionnaire français, Genève, J. H. Widerhold, 1680, art. « Attitude ».
  • [18]
    La théorie picturale d’Antoine Coypel achève, selon E. Hénin (op. cit., p. 570-571), le déplacement de l’ut pictura theatrum du dramaturge vers le comédien, qui devient le modèle pictural de l’expression des passions. Par ailleurs, son fils Charles-Antoine sera non seulement l’un des premiers peintres en France à faire entrer à l’orée du XVIIIe siècle les représentations théâtrales dans le répertoire des sujets picturaux, mais encore il sera lui-même dramaturge, écrivant des canevas dramatiques pour les Italiens.
  • [19]
    Cité par N. Garnier, op. cit., p. 75 (nous soulignons).
  • [20]
    Ch. Le Brun, L’Expression des passionset autres conférences. Correspondance, éd. J. Philipe, [Paris], Maisonneuve et Larose, 1994. Voir aussi M. Pinault, « L’expression des passions à travers quelques exemples de dessins du XVIIe siècle », dans B. Yon (éd.), La Peinture des passions, de la Renaissance à l’Âge classique, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1995, p. 315-331.
  • [21]
    Les remises en cause du caractère systématique de la théorie de Le Brun datent seulement du début du XVIIIe siècle : voir Le Théâtre des passions (1697-1759), op. cit., p. 90.
  • [22]
    Ch. Le Brun, op. cit., p. 66 : « le visage aussi reçoit fort peu de changement en toutes ses parties ; et s’il y en a, il n’est que dans l’élévation du sourcil : mais il aura les deux côtés égaux, et l’œil sera un peu plus ouvert qu’à l’ordinaire, et la prunelle également entre les deux paupières et sans mouvement, attachés sur l’objet qui aura causé l’admiration […]. Cette passion ne produit qu’une suspension de mouvement pour donner le temps à l’âme de délibérer sur ce qu’elle a à faire, et pour considérer avec attention l’objet qui se présente à elle ».
  • [23]
    Ibid., p. 68 : « L’estime ne se peut représenter que par l’attention et par le mouvement des parties du visage, qui semblent être attachées sur l’objet qui cause cette attention ; car alors les sourcils paraîtront avancés sur les yeux et pressés du côté du nez, l’autre partie étant un peu élevée, l’œil fort ouvert, et la prunelle élevée ».
  • [24]
    Ibid., p. 80 : « S’il y a du désir, on peut le représenter par les sourcils pressés et avancés sur les yeux qui seront plus ouverts qu’à l’ordinaire, la prunelle se trouvera située au milieu de l’œil, et pleine de feu, les narines plus serrées du côté des yeux ».
  • [25]
    Ibid., p. 72 : « la tête sera penchée […], et les sourcils élevés en haut, et la prunelle sera de même. […] La bouche est entrouverte, ayant les coins un peu élevés ».
  • [26]
    Ibid., p. 94.
  • [27]
    Voir les travaux en cours de C. Piot dans le cadre de sa thèse de doctorat, Le Discours sur le rire du spectateur. Émergence d’une catégorie de réception de la comédie dans le second XVIIe siècle.
  • [28]
    Démocrite, 1692, Paris, Musée du Louvre ; Silène barbouillé de mûres pour la nymphe Églé, 1700. Voir N. Garnier, op. cit., pl. VII et XIV.
  • [29]
    Ch. Le Brun, op. cit., p. 72.
  • [30]
    Ibid., p. 64.
  • [31]
    L’expression est empruntée aux dictionnaires de l’époque qui associent le geste de graver à l’idée de conservation. Voir par exemple le Dictionnaire universel de Furetière : « Les exploits des héros sont gravés au Temple de Mémoire ».
  • [32]
    Mercure galant, février 1682, p. 331.
  • [33]
    Voir à ce propos J. S. Ravel, « Trois images de l’expulsion des Comédiens Italiens en 1697 », Littératures classiques, n° 82, 2013, p. 51-60. G. Bocquet rappelait d’ailleurs que malgré la faveur que connaissaient les Italiens à la cour, ils avaient eu « dès 1681 des démêlés avec la police à cause de la licence de leur satire » (« Les comédiens italiens à Paris au temps de Louis XIV », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 26, 1979, p. 435).
  • [34]
    Le Mercure galant semble favorablement disposé envers les Comédiens-Italiens. La critique positive d’Arlequin Mercure galant contraste avec les tentatives de Donneau de Visé pour faire interdire La Comédie sans titre de Boursault, initialement intitulée Le Mercure galant, et annoncée à la Comédie-Française en février 1683 : voir P. Mélèse, op. cit., p. 170 sq.
  • [35]
    Mercure galant, février 1682, p. 322-323 (nous soulignons).
  • [36]
    Voir notamment B. Nestola, « La musica italiana nel Mercure Galant (1677-1683) », Ricercare, n° 14, 2002, p. 99-157.
  • [37]
    N. Garnier, op. cit., p. 94-95.
  • [38]
    Charles Le Brun (1619-1690). Le décor de l’Escalier des Ambassadeurs à Versailles, Paris, RMN, 1990.
  • [39]
    Mercure galant, septembre 1680, t. II, p. 313-314.
  • [40]
    S. Castelluccio, Les Collections royales d’objets d’art. De François Ier à la Révolution, Paris, Les Éditions de l’Amateur, 2005, p. 118.
  • [41]
    Le tableau aurait été commandé en 1682 ou 1683. Voir N. Garnier, op. cit., p. 13 et 94-95 ; C. Constans, Musée national du château de Versailles. Les Peintures, t. I, Paris, RMN, 1995, p. 199 ; L. Dimier, Les Peintres français du XVIIIe siècle, Paris / Bruxelles, G. Van Oest, 1928, p. 133.
  • [42]
    Voir P. Mélèse, op. cit., chap. 3 et 8, ainsi que les contributions de C. Meli, Chr. Schuwey et A. Vuilleumier consacrées dans le présent volume à la querelle de la Sophonisbe, qui inaugure la carrière de critique théâtral de Donneau de Visé.
  • [43]
    Les fonctions précises de Donneau de Visé, dans l’exercice de cette charge qu’il occupe vraisemblablement entre 1671 (Minutier central, MC/ET/XV/232) et 1697, restent difficiles à définir. S. Castelluccio émet plusieurs hypothèses, dont une sur le lien de l’illustration du périodique avec la charge de son directeur (Le Garde-Meuble de la Couronne et ses intendants du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Éditions du CTHS, 2004, p. 106-109). Je remercie Chr. Schuwey d’avoir attiré mon attention sur cette question.
  • [44]
    Outre de nombreuses estampes, figurent dans son inventaire après décès 450 volumes du Mercure galant s’étendant des années 1679 à 1709, soit précisément durant les années où, sous la direction de Donneau de Visé, le périodique est illustré (S. Castelluccio, Le Garde-Meuble de la Couronne et ses intendants […], op. cit., p. 90).
  • [45]
    Mercure galant, janvier 1682, p. 312. Les italiques sont d’origine, la typographie marquant le discours rapporté de l’ambassadeur. La pointe iconoclaste s’étaye dans le texte sur le topos de l’inexprimable : la grandeur du roi est telle qu’aucune peinture ne peut lui rendre justice.
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