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Article de revue

Panorama et enjeux du plurilinguisme littéraire dans le domaine ibérique, des origines au Siècle d’Or

Pages 63 à 78

Notes

  • [1]
    Sur le « translinguisme » poétique hispano-italien, on peut consulter notre monographie Estudios de poesía translingüe. Versos italianos de poetas españoles, desde la Edad Media hasta el Siglo de Oro, Saragosse, Pórtico, 1996. Voir aussi F. Brugnolo, « Questa è la lingua di cui si vanta Amore. Per una storia degli usi letterari eteroglossi dell’italiano », dans Italiano : lingua di cultura europea, Tübingen, G. Narr, 1997, p. 313-336 ; M. G. Profeti, « Lope e Quevedo: uso decorativo - uso organico dell’italiano nella Spagna dei Secoli d’Oro », Nell’officina di Lope, Florence, Alinea, 1999, p. 125-137.
  • [2]
    La bibliographie sur le plurilinguisme en littérature s’est étoffée ces dernières années depuis quelques études pionnières (Th. W. Elwert, « L’emploi des langues étrangères comme procédé stylistique », Revue de littérature comparée, n° 34, 1960, p. 409-437 ; A. Monteverdi, « Bilinguismo letterario », dans IX Congresso Internacional de Linguistica Romanica, Lisbonne, Centro de Estudos Philologicos, 1961, t. II, p. 87-93 ; W. Giese, « El empleo de las lenguas extranjeras en al obra literaria », dans Studia Philologica. Homenaje ofrecido a Dámaso Alonso, Madrid, Gredos, 1961, t. II, p. 79-90). La première monographie est celle de L. Forster, The Poet’s Tongue : Multilingualism in Literature, Cambridge, 1970, essentiellement basée sur les domaines anglo-saxons et germaniques. Une bonne vue d’ensemble est celle de R. Grutman, « Le bilinguisme littéraire comme relation systémique », Revue canadienne de littérature comparée, septembre-décembre 1990, p. 198-212. Du même auteur,  Des langues qui résonnent. L’hétérolinguisme au XIXe siècle québécois, Montréal, Fides / CETUQ, 1997. Il faut citer également F. Brugnolo et V. Orioles (éd.), Eteroglossia e plurilinguismo letterario, Rome, Il Calamo, 2002, 2 vol. ; A. Gasquet et M. Suárez (éd.),  Écrivains multilingues et écritures métisses. L’hospitalité des langues, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007. Pour le domaine ibérique, voir : la bibliographie proposée dans notre monographie El poliglotismo en el teatro de Lope de Vega, Kassel, Reichenberger, 1991 ; E. Canonica et E. Rudin (éd.), Literatura y bilingüismo / Literatura i bilinguisme. Homenaje a Pere Ramírez, Kassel, Reichenberger, 1993. Pour le domaine catalan, voir la récente étude très exhaustive d’A. Rossich et J. Cornellà, El plurilingüisme en la literatura catalana, Bellcaire d’Empordà, Vitel.la, 2014. Pour le domaine latino-américain, voir M. Eymar, Le Bilinguisme franco-espagnol dans la littérature hispano-américaine (1890-1950), Paris, L’Harmattan, 2011.
  • [3]
    P. Zumthor, « Un problème d’esthétique médiévale : l’utilisation poétique du bilinguisme », Le Moyen Âge, n° 3-4, 1960, p. 301-336 et 561-594 ; repris dans Langue et techniques poétiques à l’époque romane, Paris, Klincksieck, 1963.
  • [4]
    Ces textes ont été publiés et finement analysés par G. Tavani,  Bilinguismo e plurilinguismo romanzo dal XII al XVI secolo, Rome, De Santis, 1969, ouvrage auquel nous nous rapportons. Pour le domaine français médiéval, voir F. Garavini, « Poliglottia ed esperimenti pluri-linguistici nella letteratura francese fino a Rabelais », Saggi e ricerche di letteratura francese, n° 17, 1978, p. 11-75. Le lecteur francophone consultera à ce propos l’ouvrage de P. Le Gentil, La poésie lyrique espagnole et portugaise à la fin du Moyen Âge, Rennes, Plihon, 1949-1953.
  • [5]
    Voir Cancionero de Juan Alfonso de Baena, éd. J. M. Azáceta, Madrid, Consejo superior de investigaciones científicas, 1966, t. II, p. 492-495.
  • [6]
    Ibid., t. II, p. 413 sq.
  • [7]
    J. Ruiz, archiprêtre de Hita, Libro de buen amor, éd. A. Blecua, Madrid, Cátedra, 1992.
  • [8]
    Cette anecdote burlesque raconte les vicissitudes d’un peintre de Bretagne qui, venant tout juste de se marier, dut partir à l’étranger pour deux ans. Afin de vérifier la fidélité de son épouse, il peignit une petite brebis sur son ventre. À son départ, la jeune femme prit un amant, et le dessin fut petit à petit effacé. Lorsqu’elle apprit le retour de son mari, elle demanda à son amant de lui redessiner, en toute hâte, la brebis sur le ventre. Ce dernier, n’étant pas bon peintre, y dessina une plus grande brebis, qui ressemblait plus à un mouton. Le mari interrogea la femme sur ce changement, en soupçonnant son infidélité, et celle-ci lui répondit : « Quoi de plus normal ? Cela fait deux ans que vous êtes parti, et la petite brebis est désormais devenue adulte ! ».
  • [9]
    J. del Encina, Obras dramáticas (Cancionero de 1496), éd. R. Gimeno, Madrid, Istmo, 1975.
  • [10]
    Ibid., v. 1547 sq.
  • [11]
    Ibid., v. 1099 sq.
  • [12]
    En ce qui concerne Torres Naharro, voir Propalladia and other Works of Bartolomé de Torres Naharro, éd. E. Gillet, Bryn Mawr, Pennsylvania, 1943-1961. Pour Gil Vicente, on se référera aux Obras completas, éd. M. Braga, Lisbonne, Sá da Costa, 1942-1944. Voir aussi E. Canonica, « Del plurilingüismo al bilingüismo : el esfuerzo hacia la verosimilitud en las comedias de Torres Naharro », dans I. Andres-Suárez et al. (éd.), Estudios de literatura y de lingüística españolas. Miscelánea en honor de Luis López Molina, Lausanne, Sociedad suiza de estudios hispánicos, 1992, p. 115-129.
  • [13]
    Voir G. Fournès et F. Prot (éd.), Idées reçues, idées communes et consensus en Espagne (XIIIe-XXe s.), Paris, Champion, à paraître en 2015.
  • [14]
    J. Fernández de Heredia, Obras, éd. R. Ferreres, Madrid, Espasa-Calpe, 1955. Le lecteur francophone consultera encore avec profit H. Mérimée, L’Art dramatique à Valencia, Toulouse, Privat, 1913.
  • [15]
    Colección de autos, farsas y coloquios del siglo XVI, éd. Léo Rouanet, Barcelone / Madrid, L'Avenç / Librería de M. Murillo, 1901, t. III, p. 329-345.
  • [16]
    Nebrija, Gramática sobre la lengua castellana, éd. C. Lozano, Barcelone, Galaxia Gutenberg / Círculo de Lectores, 2011, Prologue à Isabelle de Castille, p. 3.
  • [17]
    Sur cette farce, nous renvoyons à notre « Del pecado plurilingüe a la absolución monolingüe. La Farsa del sacramento llamada de los lenguajes », Criticón, n° 66-67, 1996, p. 369-382.
  • [18]
    Don Juan Manuel, El conde Lucanor, éd. G. Serés, Barcelone, Galaxia Gutenberg / Círculo de lectores, 2006, p. 166 et 194.
  • [19]
    Viaje de Turquía, éd. M.-S. Ortolà, Madrid, Editorial Castalia, 2000.
  • [20]
    E. Canonica, « La lengua aymara como instrumento de evangelización en las obras de Ludovico Bertonio », Líneas, n° 1, décembre 2011 : http://revues.univ-pau.fr/lineas/265.
  • [21]
    Fr. Delicado, Retrato de la lozana andaluza, éd. C. Allaigre, Madrid, Cátedra, 1994.
  • [22]
    La Diana en Europa. Ediciones, traducciones e influencias, Barcelone, Universitat Autònoma, 1994.
  • [23]
    E. R. Curtius, La Littérature européenne et le Moyen Âge latin, Paris, Puf, 1956, p. 47.
  • [24]
    J. de Montemayor, La Diana, éd. J. Montero, Barcelone, Crítica, 1996, p. 276 sq.
  • [25]
    E. Canonica, « La conciencia de la comunicación interlingüística en las obras dramáticas y narrativas de Cervantes », dans Cervantes. Estudios en la víspera de su centenario, Kassel, Reichenberger, 1994, t. I, p. 19-43.
  • [26]
    Par exemple, d’un personnage rencontré le narrateur dit qu’il parlait « en lenguaje de su patria » (« dans sa langue maternelle ») et il précise qu’il s’agissait du norvégien : M. de Cervantès, Los trabajos de Persiles y Sigismunda, éd. C. Romero Muñoz, Madrid, Cátedra, 2004 [5e éd.], l. IV, chap. 12, p. 698. D’autres exemples dans mon article cité à la note précédente, p. 38-41.
  • [27]
    E. Canonica, El poliglotismo en el teatro de Lope de Vega, op. cit., passim.
  • [28]
    E. Asensio, Itinerario del entremés, Madrid, Gredos, 1971, p. 206.
  • [29]
    Fr. de Quevedo, Sátiras lingüísticas y literarias, éd. C. C. García Valdés, Madrid, Taurus, 1986, p. 135-136.
  • [30]
    P. Calderón de la Barca, Obras completas, éd. A. Valbuena Prat, Madrid, Aguilar, 1952, t. I, p. 575.

1 Le but de cette contribution n’est pas de fournir un catalogue mis à jour et exhaustif du plurilinguisme littéraire dans le domaine ibérique, ce qui représente une entreprise bien trop ambitieuse et impossible à réaliser dans les limites d’un article. Je vais me limiter à faire ressortir des lignes de force en suivant, diachroniquement, le phénomène du plurilinguisme dans ses manifestations les plus significatives en examinant les trois principaux genres littéraires : la poésie, le théâtre et la narration en prose. J’ai choisi de ne prendre en considération que la période qui va des origines des littératures ibériques jusqu’à la fin du Siècle d’Or, une date que la critique fait coïncider, conventionnellement, avec la mort de Calderón de la Barca en 1681.

2 La péninsule ibérique peut être considérée comme un laboratoire idéal pour l’étude du plurilinguisme littéraire. En effet, la cohabitation de plusieurs langues est un phénomène constant tout au long de son histoire, et elle comprend un ensemble assez conséquent de langues, pas seulement romanes. On pourrait même dire que le plurilinguisme, pour un auteur issu de la péninsule ibérique, est une pratique tout à fait naturelle, c’est la norme, et que c’est le mono-linguisme qui constitue une exception. Il faut néanmoins introduire des dis-tinctions, au niveau historique aussi bien que méthodologique. En ce qui concerne la variable diachronique, il est évident que cette cohabitation n’a pas la même intensité selon les époques historiques : grosso modo, on peut affirmer qu’après une première phase plus ou moins pacifique, qui va du Moyen Âge à l’instauration de la dynastie des Bourbons au début du XVIIIe siècle, va suivre une période plus conflictuelle à cause d’une politique linguistique plus centraliste, inspirée du modèle français, qui va durer jusqu’au XIXe siècle. Avec le Romantisme, comme partout ailleurs en Europe, nous assistons à la récupération des langues « régionales », qui revendiquent leur droit à accéder à une existence littéraire. Ce sera le cas en Catalogne, avec le mouvement appelé Renaxença, et en Galice, avec le Rexurdimento. Les évènements historiques du XXe siècle, en ce qui concerne l’Espagne, ont comme conséquence, sur le plan du plurilinguisme, une sorte de retour en arrière, puisqu’au centralisme outrancier du régime franquiste va suivre une politique de tolérance et d’ouverture vis-à-vis de langues minoritaires, qui accèdent au statut de langues officielles, à côté du castillan. Je rappelle que la nouvelle Constitution espagnole de 1978 existe en cinq langues : castillan, basque, galicien, catalan et valencien.

3 Dans ce panorama, ici évoqué à grands traits, le contact entre toutes ces langues a produit des fruits littéraires très variés, ce qui rend nécessaire la création d’outils méthodologiques qui soient à même de rendre compte de cette diversité. En effet, parler de plurilinguisme dans la péninsule ibérique est sans doute trop vague : il peut s’agir, suivant les cas, d’un plurilinguisme actif ou passif, car même si un auteur ibérique n’a pas produit un système littéraire explicitement bi- ou plurilingue, très souvent sa formation et son expérience culturelle l’ont été. Cette dernière affirmation pourrait d’ailleurs être étendue à une bonne partie des écrivains, non seulement à ceux issus de la péninsule ibérique. En d’autres termes, nous en arrivons à considérer le phénomène du plurilinguisme littéraire non pas comme une exception, mais comme la norme. Il faut donc abandonner le schéma mental, d’inspiration nationaliste, qui consiste à considérer la cohabitation de plusieurs langues dans le texte littéraire, ou dans son élaboration, comme un cas un peu exotique de l’expressionisme littéraire et, partant, comme une déviation d’un centre représenté par une langue centrale, dominante et officielle.

4 Ceci doit nous amener à nous demander s’il existe vraiment un auteur monolingue et monoculturel. En d’autres termes, il faudra se poser la question suivante : à quoi s’oppose réellement le plurilinguisme ? En effet, dans un sens large, même chez des auteurs qui présentent un système littéraire complètement unilingue, il est clair que les influences culturelles qui l’ont nourri sont toujours de nature plurilingue, notamment grâce à cet instrument indispensable à l’intégration des différentes traditions linguistiques et littéraires qu’est la traduction. Pourtant, si l’on se penche sur les textes littéraires, nous pouvons effectivement essayer de sélectionner le matériel entre production monolingue et production plurilingue. Dans ce cas, il faut commencer par imposer une distinction entre l’œuvre complète d’un auteur et une œuvre en particulier. En effet, le plurilinguisme peut être de type alternant, dans les cas où l’auteur change de langue à l’intérieur de son système littéraire pour produire des œuvres monolingues mais dans une autre langue ; il peut être, au contraire, de type simultané, lorsque la cohabitation de plusieurs langues se vérifie à l’intérieur de la même œuvre. La définition de l’écrivain plurilingue, on le voit, est assez complexe. Même en appliquant ce schéma, on attribue ce titre aussi bien à l’écrivain qui n’a produit que des œuvres monolingues (mais au moins en deux langues) qu’à l’écrivain qui produit des œuvres elles-mêmes plurilingues, à des degrés divers.

5 Dans le premier cas on pourrait parler, plus que de plurilinguisme, de bilinguisme, de trilinguisme, de quadrilinguisme, etc., pour rendre compte de l’orientation spécifique d’un système littéraire particulier, dans lequel chacun des codes linguistiques choisis est partie intégrante de la formation linguistique et de la culture littéraire de l’auteur. Dans le deuxième cas, en revanche, l’utilisation de fragments alloglottes n’implique pas nécessairement une connaissance vaste et approfondie de la langue d’adoption. Il faudra également distinguer, dans ce cas précis, entre l’usage purement occasionnel et sporadique (qui peut aller d’un simple mot à une ou deux phrases, un vers, une réplique, dans une langue généralement basique) et l’insertion systématique de vastes fragments alloglottes avec une fonction stylistique bien précise. À ce panorama déjà assez complexe, il faudrait ajouter les cas ambivalents, dans lesquels l’auteur présente un système de type à la fois alternant et simultané : il écrit à la fois des œuvres entières, chacune dans une langue différente, et utilise des langues différentes dans d’autres œuvres. Il y a également le cas des écrivains « translingues », lorsque l’auteur compose une partie de son œuvre dans une langue non maternelle, en adoptant ce qu’on pourrait appeler un « bilinguisme artificiel [1] ». Pour finir, last but not least, il faut prendre en compte l’activité de traducteurs souvent exercée par les écrivains, mono- ou plurilingues, ce qui suppose évidemment, au moins un bilinguisme implicite [2].

6 Les littératures issues de la péninsule ibérique offrent plusieurs exemples pour chacune de ces catégories. En combinaison avec les variables diachroniques (l’histoire littéraire) et celles des lois propres à chaque genre littéraire, elles peuvent contribuer à une mise au jour du phénomène du plurilinguisme littéraire. Je vais en donner quelques exemples représentatifs, tout en restant dans le domaine classique, du Moyen Âge au Siècle d’Or.

Le genre poétique

7 On peut affirmer que la poésie dans l’aire hispanique prend son essor dans un contexte marqué par un bilinguisme qui obéit aux lois des genres littéraires : pour les poètes castillans, écrire en vers à l’époque d’Alphonse le Sage (milieu du XIIIe siècle) ne pouvait se concevoir qu’en galicien, alors que pour les poètes catalans, c’était l’occitan qui était la langue de la poésie, le castillan n’étant utilisé que pour la poésie épique. Il s’agit donc d’un système littéraire basé sur un plurilinguisme de type alternant. Mais en ce qui concerne le type simultané, ce n’est pas un hasard si le premier témoignage d’un texte plurilingue dans les littératures romanes soit un texte issu de la péninsule ibérique, et qu’il appartienne au genre poétique. Il s’agit d’un petit ensemble de poèmes composés par des Mozarabes vers le milieu du XIe siècle, rédigés en arabe classique, mais dont la partie finale est composée dans la langue vernaculaire romane parlée par ces peuples, des chrétiens qui vivaient sous l’occupation musulmane dans le sud de l’Espagne (Andalousie) : le mozarabe. On les a appelées les jarchas (« sorties ») et elles n’ont été repérées qu’en 1948, car personne ne s’était rendu compte que sous la graphie arabe se cachaient des mots d’une primitive langue romane, très métissée par les arabismes et les hébraïsmes. Il s’agit pour la plupart d’entre elles du discours direct de la jeune femme qui s’adresse à son amoureux, dans l’attente du rendez-vous galant. D’entrée de jeu, c’est une modalité typique de l’écriture dramatique, genre dans lequel le discours direct est le statut presque exclusif. C’est donc par des témoignages d’un bilinguisme simultané que s’ouvre la tradition lyrique des langues romanes, grâce au contact entre deux langues qui appartiennent aux deux grandes traditions de la culture occidentale : la gréco-latine et la sémitique. Dans ce cas particulier, ce bilinguisme littéraire est l’expression d’une situation de diglossie, car le mozarabe avait le statut d’un dialecte : c’était la langue parlée, alors que la langue écrite et officielle était à cette époque l’arabe littéraire.

8 Cette distinction entre bilinguisme et diglossie est très importante, quoique dans les textes elle s’estompe, car il s’agit toujours à l’arrivée d’un texte hybride. Je pense en particulier au cas de l’Italie, où les dialectes ont joué et jouent toujours un rôle très important et possèdent une tradition littéraire qui leur est propre, et qui produit des systèmes littéraires souvent de type plurilingue ; mais également au domaine français où, dès le XIIIe siècle, on trouve des textes poétiques, bien étudiés par Paul Zumthor, qui présentent un plurilinguisme similaire en faisant alterner une langue vernaculaire (l’ancien français) avec le latin [3].

9 On constate donc que les premiers témoignages de textes plurilingues dans le genre poétique font intervenir le discours direct. En d’autres termes, très souvent, le fragment alloglotte est l’expression directe d’un personnage qui prend la parole, soit dans sa langue maternelle, soit dans une langue apprise, à des degrés divers. C’est donc bien le genre dramatique qui se présente d’emblée comme le lieu naturel du plurilinguisme simultané, puisqu’une de ses modalités privilégiées, comme le discours direct, devient le véhicule de l’autre langue dans le texte. Néanmoins, le fait que ce soit précisément un discours direct qui apparaît dans un texte à caractère poétique n’est sans doute pas un hasard. En effet, l’oralité qui sous-tend le genre poétique, à cette époque, le rend très réceptif et perméable aux différents registres expressifs issus de la transmission orale. Les témoignages de plurilinguisme dans le genre dramatique ou épique sont tous postérieurs, et cela est dû au fait que, probablement, ces genres dépendaient en grande partie de l’écriture. Dans le genre lyrique, en revanche, le support écrit n’est pas une conditio sine qua non pour son avènement et, souvent, le passage à l’écriture survient a posteriori. Dans les phases initiales d’une tradition lyrique, c’est bien souvent le support musical de la mélodie et du chant qui est le véhicule le plus courant de l’expression lyrique. En ce sens, l’utilisation de plusieurs registres expressifs à l’intérieur d’une même composition poético-musicale constitue un procédé parfaitement naturel dans ce contexte spécifique. Autrement dit, le plurilinguisme littéraire dans le domaine roman naît dans un contexte lyrico-musical dans lequel il introduit une variation de registre stylistique. Il ne représente donc pas, comme on l’a prétendu, une dissonance ou une cacophonie, au contraire, il peut être considéré comme l’application de la figure de style de la variatio, ce qui contribue plutôt à l’harmonie de l’ensemble.

10 Pour revenir au domaine ibérique, les jarchas sont le précédent immédiat, au niveau thématique, des premières manifestations lyriques pleinement romanes, telles les cantigas de amigo de la tradition lyrique galaïco-portugaise et de la production des troubadours provençaux. Il n’est donc pas si étonnant que, précisément parmi ces témoignages lyriques primitifs, on trouve plusieurs cas de compositions caractérisées par un plurilinguisme simultané. Je me limiterai à citer quelques exemples où des langues ibériques sont présentes, comme le galicien du bien connu descort de Raimbaut de Vaqueiras, qui prend place à côté du provençal, de l’italien, du français et du gascon ; c’est encore le galicien qui est employé dans le sirventés de Bonifacio Calvo et qui alterne avec le provençal et le français ; le huitain de Cerverí de Gérone présente une alternance non seulement du français et du provençal, mais aussi du galicien et du castillan. En général, les valeurs stylistiques de ces premières manifestations de plurilinguisme simultané ressortissent à une sorte de mimèsis des sentiments, car ils ont pour fonction de reproduire la confusion émotive dans laquelle se trouve le sujet poétique. Les vers « alloglottes » n’impliquent pas le passage au discours direct, mais représentent des assertions du sujet poétique et se situent sur le même plan que celui du discours en langue véhiculaire. Le changement de statut du discours poétique provoqué par l’insertion « alloglotte » est visible, sans doute pour la première fois, dans une cantiga appartenant au domaine galaïco-portugais, composée vers le milieu du XIIIe siècle par Fernán García Esgaravunha, qu’on retrouve dans le Cancioneiro de Ajuda. Dans cette composition, le refrain est constitué de deux vers en provençal qui répètent les mots que le je poétique adresse à sa dame (il s’agit probablement d’une citation) et qui sont introduits par un verbum dicendi. Le passage au discours direct comme conséquence de l’emploi d’une autre langue est un indice d’une orientation du plurilinguisme lyrique vers une modalité dramatique, un genre dans lequel le discours direct constitue le statut privilégié du texte littéraire. Le fait que cela se vérifie dès les premières compositions poétiques dans l’aire romane – mais n’oublions pas que déjà dans la plupart des jarchas les vers en langue romane étaient prononcés par la jeune femme en discours direct – est un signe de la prépondérance que le genre dramatique va acquérir en matière de plurilinguisme littéraire simultané [4].

11 Ce n’est pas par hasard si la plupart des témoignages lyriques à caractère plurilingue dans l’aire ibérique, à l’époque médiévale, sont de cette nature. La strophe française contenue dans un dezir de Francisco Imperial que nous retrouvons dans le Cancionero de Baena est prononcée par la dame, même si probablement il ne s’agit pas pas de sa langue maternelle, étant donné que la rubrique nous informe que celle-ci « était savante et bien éduquée et connaissait toutes les langues » (« era muy sabia e bien razonada e sabía de todos lenguajes[5] »). Dans ce dernier cas, la fonction dramatique du plurilinguisme simultané n’implique donc pas une sorte de mimèsis, puisque l’insertion « alloglotte » ne correspond pas à la langue maternelle du personnage qui la prononce, mais a pour but de mettre en exergue la courtoisie de la dame en question, une courtoisie sub specie linguarum. À travers le polyglottisme de la dame, Imperial rend un hommage à un aspect de son élégance et de sa courtoisie.

12 Dans un autre dezir du même Imperial, celui-ci fait un usage similaire du plurilinguisme [6]. Il s’agit du célèbre texte dans lequel le poète, aux origines génoises et dont la famille s’était établie à Séville depuis des générations, célèbre la naissance du futur roi de Castille et Léon, Jean II, le fils d’Henri III et de Catherine de Lancaster, qui vit le jour le 6 mars 1405. Les deux premières strophes présentent la reine dans les moments qui précèdent l’accouchement, et reproduisent les phrases que celle-ci aurait prononcées textuellement. La reine s’exprime donc en style direct en quatre langues, dont la disposition reproduit sans doute l’ordre hiérarchique selon l’auteur et son public. La première exclamation est en castillan et adressée à la Vierge Marie, pour implorer son aide ; la deuxième est en anglais et présente le même contenu ; la troisième est un fragment du Salve Regina en latin ; la quatrième est en arabe vulgaire et exprime l’espoir que le nouveau-né sera celui qui enfin mènera à bon terme la Reconquista. Comme on peut le voir, dans ce cas aussi le polyglottisme présente une fonction clairement élogieuse et, au vu de la situation, s’éloigne de toute tentative de vraisemblance à caractère réaliste ou mimétique. Néanmoins, cette dernière fonction n’est pas totalement absente car une des langues parlées est l’anglais, langue maternelle de la reine. Les autres langues, en revanche, obéissent à un dessein politique et idéologique : la castillan en première position, invoquant la Vierge Marie, symbolise l’unité entre langue et religion catholique ; la langue maternelle a pour fonction de demander à la Vierge la force physique nécessaire à l’accouchement, tandis que le latin du Salve Regina est une requête, adressée à la même allocutaire, afin de recevoir la force spirituelle ; l’arabe est en dernière position en tant que langue des infidèles, et son emploi peut aussi avoir la fonction d’un avertissement adressé aux Maures, directement dans leur langue, pour s’assurer que le message parvienne directement et sans équivoque aux destinataires.

13 Un cas assez différent, bien que le résultat soit assez convergent, est constitué par les passages « alloglottes » que nous trouvons dans le Libro de buen amor, composé dans la première moitié du XIVe siècle [7]. Ici également, l’insertion « alloglotte » provoque le passage au discours direct, par le biais des verba dicendi. Cependant, dans les deux passages les plus significatifs pour le contexte qui nous occupe, les valeurs assumées par le procédé sont assez différentes et originales. Les mots arabes prononcés par la Maure (strophes 1508-1512), qui apparaissent en position de rime et sont les seuls qu’elle prononce, expriment, par leur laconisme, le refus catégorique des propositions amoureuses malhonnêtes, et contrastent avec les hésitations dont faisait preuve, dans ce même contexte, l’hispanophone Garoza. En ce sens, la langue arabe remplit une fonction anti-communicative, car la Maure connaît sans doute le castillan, mais, en employant sa langue maternelle, elle veut exprimer son rejet du contexte idéologique véhiculé par la langue castillane de son séducteur. Le bilinguisme, dans ce cas, est une arme de défense. L’épisode, célèbre, de Pitas Payas (strophes 474-484) [8] introduit en revanche une nouvelle dimension dans la problématique du plurilinguisme littéraire. En effet, le jargon parlé par le peintre de Bretagne et par son épouse est le résultat d’une koiné composée par des éléments catalans, français, occitans et d’autres dialectes hispaniques. En d’autres termes : nous sommes, sans doute pour la première fois dans l’aire ibérique, face à un registre de type « macaronique », probablement imputable à la connaissance très approximative que l’auteur de l’œuvre, Juan Ruiz, archiprêtre de Hita, avait de ces langues. L’emploi d’un registre hybride, qui aura une riche descendance dans l’aire ibérique et romane en général, provoque de façon irrémédiable le basculement de la fonction réaliste et mimétique vers la fonction comique.

Le genre dramatique

14 Comme nous l’avons vu à partir d’une modalité du discours – le passage au discours direct –, le phénomène du plurilinguisme littéraire dans le genre lyrique produit une série assez élaborée de fonctions expressives qui seront exploitées dans les siècles successifs. Précisément, le dernier exemple évoqué, celui de Pitas Payas, nous permet d’opérer la transition vers le genre dramatique. En effet, dès les premiers témoignages d’œuvres dramatiques dans l’aire castillane, vers la deuxième moitié du XVe siècle (dans les Coplas de Mingo Revulgo en 1464), nous sommes en présence d’un registre expressif de nature plurilingue, qui reproduit l’expérimentation d’hybridation linguistique que nous avons observée dans l’épisode du Libro de buen amor. Il s’agit de la création d’un nouveau personnage comique, le pastor bobo (« berger ignorant »), qui se dote d’un registre dialectal conventionnel, appelé sayagués, du nom de Sayago, village situé dans la province espagnole de Zamora. Il s’agit, dans ce cas aussi, de l’adoption d’une koiné stylisée, qui se compose de plusieurs éléments dialectaux hétéroclites. Si dans le Libro de buen amor l’effet comique surgit des connaissances linguistiques lacunaires de l’auteur, avec le sayagués nous sommes face à une recherche expressive qui a pour finalité la production d’un tel effet. En même temps, l’expression dialectale ridicule constitue un trait réaliste du personnage ignorant qui, en tant que tel, s’exprime dans une langue incorrecte.

15 On le voit : la fonction réaliste et la fonction comique sont souvent les deux faces de la même médaille. La création de cette nouvelle variante dans la tradition du plurilinguisme littéraire aura un grand succès, et le sayagués deviendra l’expression stéréotypée du personnage rustique dans tout le théâtre du Siècle d’Or. Il n’est pas exclu qu’à partir de ces expérimentations plurilingues, la stratification du texte dramatique devienne de plus en plus élaborée. Cela est bien visible dans les œuvres des « pères » du théâtre castillan, Gómez Manrique, Juan del Encina et Lucas Fernández. Si nous lisons les Églogues de Juan del Encina, publiées en 1496, à la lumière du plurilinguisme littéraire, nous découvrons d’autres possibilités de réalisation de ce phénomène, qui posent de nouvelles interrogations de nature méthodologique. En effet, dans la dernière de ses Églogues, la célèbre Egloga de Plácida y Victoriano[9], nous pouvons remarquer la présence d’au moins quatre registres linguistiques : la langue soutenue, d’une part, qui est celle des deux protagonistes, qui se caractérise par la présence d’un langage savant et artificiel parsemé ici et là de citations en latin liturgique à caractère parodique, qui font appel à la religio amoris[10] ; la langue familière, d’autre part, qui inclut le vocabulaire scabreux et vulgaire de la vieille alcahueta (« entremetteuse »), un précédent immédiat de La Célestine (1499-1502), et qui fait également appel au sayagués parlé par les bergers [11], car nous sommes dans le contexte bucolique de l’églogue virgilienne. Face à cette stratification de l’instrument expressif, pouvons-nous encore parler de plurilinguisme, ou devons-nous réserver cette étiquette uniquement au cas d’utilisation de plusieurs langues ? Il serait peut-être envisageable de proposer une distinction entre plurilinguisme, pour ces cas de stratification interne à une même langue (ici, le castillan) et de réserver l’appellation de polyglottisme pour les cas de stratification externe à une même langue, là où interviennent d’autres langues proprement dites à l’intérieur du texte lui-même.

16 Dans la pratique, l’application systématique d’un registre linguistique particulier à un personnage spécifique devient, à partir de ces exemples précurseurs, un des instruments les plus exploités dans le domaine théâtral et aboutit, inévitablement, à la création de stéréotypes. Je pense notamment à l’introduction, à partir des premières décennies du XVIe siècle, en particulier chez Gil Vicente et Bartolomé de Torres Naharro, des types du Gitan, du Maure, du Biscayen, du Noir, qui possèdent chacun leur propre registre linguistique, lequel se caractérise par certains traits déformants du castillan parlé par ces communautés. Vers le milieu du XVIe siècle, ces types comiques atteignent leur expression la plus éclatante dans les œuvres dramatiques de Lope de Rueda et de Diego Sánchez de Badajoz, qui se composent de quelques farces et comédies. Grâce à la présence de ces personnages stéréotypés, et de leur inévitable effet comique, le succès des œuvres était garanti. C’est une question qui ne doit pas être négligée, lorsqu’on considère la grande vitalité du plurilinguisme dans le genre dramatique. Le passage d’une stratification interne à la langue castillane à une stratification qui lui est externe, et qui implique donc l’adoption de personnages vraiment alloglottes, est un phénomène prévisible et qui coexiste dans les œuvres théâtrales de cette période, notamment chez Torres Naharro et Gil Vicente [12]. Dans le cas du personnage qui appartient à une autre tradition linguistique, son expression délibérément déformée afin d’assurer l’effet comique et, partant, le succès de l’œuvre représentée, implique presque automatiquement un effet de type xénophobe, qui se fonde sur les défauts présumés associés aux différentes nationalités : les Allemands et le Français sont hérétiques et ivrognes, les Portugais des éternels amoureux hyperboliques, et qui présument d’origines nobles ; les Italiens sont des joueurs, des tricheurs et des spadassins, etc. [13]

17 J’aimerais proposer ici quelques exemples peut-être moins connus de ce mélange linguistique et en analyser les résultats. J’ai choisi, à dessein, deux représentants des deux courants les plus importants du théâtre antérieur à l’avènement de la comedia nueva de Lope de Vega : le théâtre de cour et le théâtre religieux. Le premier cas fait référence à un texte connu sous le titre de Coloquio de las damas valencianas, composé par le dramaturge valencien Juan Fernández de Heredia et représenté en 1524, avec la participation de l’auteur lui-même en présence de la vice-reine Germaine de Foix [14]. Le traitement des trois langues parlées sur scène, le castillan, le valencien et le portugais, montre l’hégémonie des personnages bilingues sur les monolingues. Les dames valenciennes, qui sont les protagonistes de l’œuvre, œuvrent sur deux registres, en s’exprimant à la fois en castillan et en valencien, alors que tous les autres personnages sont monolingues. On le voit, dans un contexte de rivalité entre Castillans et Valenciens, ce choix est clairement orienté et a comme objectif de gagner les faveurs du public, composé en grande partie par des dames valenciennes de la cour. Le castillan, à son tour, se laisse décomposer en un registre « haut », à travers les discours des chevaliers qui courtisent les dames, et en un registre « bas », « populaire », dans la bouche des servantes. Cette stratification, cependant, nous ne la retrouvons pas dans le valencien des dames, qu’on peut situer au même niveau « familier » du castillan des servantes. Il est intéressant d’observer que, lorsque les dames s’adressent à leurs servantes, elles le font en valencien, alors qu’avec les chevaliers galants elles s’expriment toujours en castillan, dans leur même registre « soutenu ». Autrement dit, Fernández de Heredia est obligé de reconnaître la supériorité du castillan en tant que langue de la tradition littéraire, qui était la seule à avoir produit la distinction entre les registres cultivé et populaire. Le fait que cette distinction soit absente en valencien est un indice important de la forte baisse de vitalité de la littérature valencienne en cette période, malgré son illustre passé (pensons notamment à l’œuvre poétique d’Ausiàs March, au milieu du XVe siècle). Cette tradition est entrée dans une phase de « décadence » en tant que langue de culture, suite à l’emprise progressive du castillan dans le royaume de Valence. Cependant, l’auteur parvient à se faire l’écho de l’importance de l’oralité de cette langue, qui se trouve ainsi anoblie, pour ainsi dire, grâce à son emploi littéraire.

18 L’autre exemple, tiré du théâtre religieux à visée catéchétique, concerne une farce anonyme de la deuxième moitié du XVIe siècle, dans laquelle le plurilinguisme assume une valeur paradigmatique, annoncée dès le titre : Farsa del sacramento, o de los lenguajes. Dans cette courte pièce, l’Amour Divin, qui s’exprime en castillan, joue le personnage du confesseur, devant lequel défilent les pécheurs, lesquels s’expriment chacun dans une langue différente ou bien opèrent une stratification à l’intérieur du castillan, comme c’est le cas du bobo, du moro et du vizcaíno qui s’expriment dans leur jargon conventionnel. Trois autres personnages opèrent une stratification externe au castillan, puisqu’ils s’expriment dans d’autres langues, même si les connaissances imparfaites de l’auteur, combinées aux inévitables problèmes de transmission manuscrite, finissent parfois par produire un texte hybride de type macaronique. Il s’agit des personnages du Portugais, qui parle une langue où apparaissent parfois des formes du castillan ; du luthérien, qui adopte une langue qui se situe à mi-chemin entre le latin et l’italien ; du Français, à qui est attribuée une expression contenant des formes qu’on peut vaguement reconduire à un substrat proven-çal [15]. Nous avons donc un parfait équilibre entre une expression proprement plurilingue, constituée par la stratification interne du castillan en trois registres, et une expression polyglotte, qui se fonde également sur une stratification externe à trois registres. Cette distribution équilibrée est au service du message théologique véhiculé par cette farce : les différents registres linguistiques symbolisent les voix des pécheurs qui, à leur tour, représentent la diversité de l’humanité connue à cette époque, à l’intérieur et à l’extérieur de la péninsule ibérique. Ce qui est marquant, c’est le fait qu’une fois reçue l’absolution en bon castillan par l’Amour Divin, ils s’unissent pour chanter tous ensemble un villancico en castillan. Autrement dit, la rédemption implique le passage d’une cacophonie, symbole du péché babélique, à une monodie dans la langue qui n’est plus seulement la compañera del Imperio, selon le mot célèbre d’Antonio de Nebrija faisant référence au Nouveau Monde [16], mais qui est aussi maintenant devenue celle de la doctrine religieuse issue de la Contre-Réforme post-tridentine [17].

Le genre narratif

19 Je termine par quelques exemples de plurilinguisme dans des œuvres en prose narrative du début du Siècle d’Or. Des trois grands genres littéraires, la prose est sans doute celui dans lequel le plurilinguisme simultané se manifeste de la manière la plus discrète, surtout à ses débuts. Ici aussi, la plupart des exemples font référence à des passages en discours direct, dans lequel un personnage prend la parole. C’est le cas des deux exemples que nous trouvons dans le Conde Lucanor (n° XLI et XLVII), célèbre recueil de récits d’origine orientale composé vers 1335 par don Juan Manuel [18]. Les deux fragments alloglottes sont en arabe et se situent vers la fin de l’exemplum, en jouant le rôle de la morale de la fable. Il s’agit de la reproduction de la langue maternelle des personnages alloglottes. Dans les deux cas, l’auteur fait suivre la phrase en arabe d’une traduction castillane, ce qui tend à démontrer que l’emploi de la langue arabe, au-delà du fait de correspondre à une intention réaliste, est aussi une soumission à une mode, une sorte de snobisme.

20 Un sous-genre narratif particulièrement réceptif à l’accueil de mots, phrases ou expressions en d’autres langues est le récit de voyages. Le plurilinguisme assume là une fonction heuristique, car il est la preuve de la véridiction du discours narratif. Parfois il peut assumer aussi une fonction évocatrice, afin de rendre la couleur locale exotique par quelques touches linguistiques typiques des lieux mentionnés et décrits. C’est le cas, par exemple, du Viaje de Turquía, composé probablement, d’après Marcel Bataillon, par le docteur Andrés Laguna vers le milieu du XVIe siècle [19]. La narration est parsemée de phrases et d’expressions en de nombreuses langues (grec, turc, italien, basque, français, portugais, arabe, latin, etc.) qui ont pour fonction de rendre crédible l’expérience du périple de l’auteur. Paradoxalement, la critique a démontré que le docteur Laguna ne s’était jamais rendu en Turquie, mais il possédait un important réseau d’informateurs et d’ouvrages sur ce pays et ses coutumes. L’accumulation de langues étrangères dans ce texte est donc un signal, a contrario, uniquement de la volonté de faire croire à un voyage qui aurait réellement eu lieu. L’excès dénonce, dans ce cas, l’artifice. Dans le cas de textes à caractère géographique, à visée plus scientifique, souvent la langue du lieu est utilisée à défaut d’une traduction castillane, car elle fait référence à une réalité inconnue des lecteurs hispanophones à qui l’œuvre est adressée. Telles sont, par exemple, de nombreuses chroniques de la conquête du Nouveau Monde où, parfois, l’intérêt pour les langues indigènes débouche sur leur étude approfondie, dont les fruits représentent les premiers instruments lexicographiques de ces langues. C’est le cas des jésuites avec la langue quechua (González de Holguín) et aymara (Ludovico Bertonio [20]).

21 Pour revenir à la prose narrative de fiction, nous devons signaler la présence d’un fonds plurilingue dans une œuvre dialoguée du début du XVIe siècle, La lozana andaluza de Francisco Delicado [21], qui offre un échantillon très intéressant des langues parlées dans la Ville éternelle à l’époque du sac de Rome (1527). Nous nous retrouvons dans la même ambiance cosmopolite de la cour de Léon X où se déroulaient les comédies de Torres Naharro, mentionnées plus haut. Nous y retrouvons les mêmes langues qui côtoient le castillan : l’italien, le portugais et le catalan, dans sa variante des Baléares. Le réalisme cru de l’œuvre et l’ambiance cosmopolite qui y règnent trouvent dans l’expression polyglotte un pendant linguistique significatif. Mais même dans des genres traditionnellement plus monolingues, comme le roman pastoral, peut apparaître, parfois, le fragment hétéroglosse. C’est le cas de La Diana de Montemayor, dont le très grand succès à son époque dépassa largement les frontières de la péninsule ibérique, comme l’atteste l’admirable étude d’Eugena Fosalba [22]. Jorge de Montemayor était d’origine portugaise, mais il n’écrivit qu’en castillan. C’est un cas qu’on pourrait qualifier de translinguisme. Il fut aussi un bon traducteur, notamment de l’œuvre poétique d’Ausiàs March, le plus grand poète valencien du XVe siècle. Il traduisit ses vers en castillan, et non pas en portugais, qui était pourtant sa langue maternelle. On peut dire que Montemayor avait déjà réalisé, à son échelle, cette « unité spirituelle » de la Romania qu’Ernst R. Curtius appelait de ses vœux [23]. Pour en revenir à sa Diana, roman pastoral divisé en sept livres où alternent prose et vers, il est assez étonnant de constater que juste vers la fin de son œuvre, au septième livre, nous trouvons de larges passages en portugais, prononcés par des bergers des environs de Coimbra, qui s’expriment donc dans leur langue maternelle, qui est aussi celle de leur auteur [24]. Deux de ces interventions en portugais sont des chansons en vers, à caractère élégiaque, chantées par les bergers eux-mêmes. Cela répond à une idée très répandue parmi les auteurs espagnols de l’époque concernant la grande douceur et musicalité de la langue portugaise. L’italien devint la langue musicale par excellence seulement après le premier opéra, l’Orfeo de Monteverdi (1607).

22 J’aimerais clore cette brève évocation de fictions narratives qui présentent un certain degré de plurilinguisme par l’œuvre de Cervantès. L’auteur du Quichotte met en lumière une nouvelle modalité de plurilinguisme, que l’on pourrait appeler implicite. Elle consiste en la mention de la langue virtuellement parlée par le personnage, mais que l’auteur est obligé, par convention et pour se faire comprendre de son public, de traduire en castillan [25]. Il s’agit d’une modalité déjà présente dans certaines des Nouvelles exemplaires (1613), notamment dans celle intitulée La española inglesa,  et qui atteint son climax dans le dernier roman de Cervantès, Les Épreuves de Persilès et Sigismonde (Los trabajos de Persiles y Segismunda), publié posthume en 1617. Dans ce roman, qui s’insère dans la tradition byzantine qui à son tour remonte à Héliodore, la trame narrative est constituée par un long voyage que les deux protagonistes entreprennent depuis leur pays natal, situé dans le Nord de l’Europe, jusqu’à Rome. Au cours de leur périple, ils rencontrent, forcément, de nombreux personnages des différents pays traversés, qui sont censés s’exprimer dans leurs langues maternelles respectives. Or, à travers plusieurs formules à contenu métalinguistique, l’auteur indique presque systématiquement quelle était la langue virtuellement parlée par ces personnages étrangers [26]. Il s’agit, on le voit bien, d’un procédé typiquement cervantin, qui s’inscrit dans sa poétique, si personnelle, de la vraisemblance. Si nous comparons cette solution à celle d’un autre des grands auteurs du Siècle d’Or, Lope de Vega, nous pouvons constater deux manières opposées, et néanmoins complémentaires, de traiter la question du plurilinguisme dans un texte littéraire. Cette opposition s’explique aussi, en grande partie, par les lois des genres littéraires, car Lope est avant tout un dramaturge, ainsi que par les problèmes de la transmission des textes, qui est assez complexe et parfois peu fiable concernant le genre dramatique en particulier. Lope de Vega, dans ses œuvres dramatiques, emploie une quantité assez importante de langues étrangères, qui sont souvent écorchées, parfois à cause de la transmission textuelle défectueuse, mais parfois aussi à des fins stylistiques [27]. Les fragments alloglottes dans l’œuvre narrative et dramatique de Cervantès sont, au contraire, beaucoup moins nombreux, mais la quantité des langues étrangères virtuellement parlées est très élevée. Autrement dit, le polyglottisme explicite de Lope produit l’effet d’une polyphonie un peu stridente et mal accordée ; le polyglottisme implicite de Cervantès, en revanche, offre une polyphonie plus harmonieuse, mais silencieuse.

23 À la fin du Siècle d’Or, on dirait que les possibilités de renouvellement des fonctions expressives du plurilinguisme littéraire ont tendance à s’essouffler. Les premiers symptômes de cette décadence nous les trouvons déjà dans certains œuvres de Francisco de Quevedo, un auteur qui avait ressenti le danger d’un raidissement progressif de ce procédé en clichés, ce qu’il dénonce à plusieurs reprises, avec sa verve habituelle. Dans son œuvre de propagande politique, España defendida (1609) par exemple, en parlant de la coutume d’introduire différentes langues dans les œuvres dramatiques de son époque, il cite une phrase en portugais, mais délibérément écorchée, et il ajoute : « si on parlait le portugais ou l’italien purs, ce serait presqu’une plaisanterie, car personne ne les comprendrait [28] ». Dans son livre De todas las cosas y muchas más (De toutes choses, et bien plus), Quevedo donne cette recette pour l’apprentissage rapide des langues étrangères : « Si tu veux savoir toutes les langues, parle-les avec ceux qui ne les comprennent pas, et ça marchera » ; ensuite, il énumère les principaux ingrédients qui sont nécessaires pour parler en « guinéen », la langue des Noirs, en vizcaíno (basque), en morisco (arabe), en français, en italien, en allemand et en flamand. Tous ces ingrédients ne sont autre chose que les erreurs traditionnelles que commettent ces personnages lorsqu’ils veulent parler en castillan. Quant à l’arabe, ajoute-t-il, « il n’y a qu’à aboyer, car c’est la langue des chiens, et on te comprendra facilement [29] ». Il est à noter que perro ou galgo (« chien », « lévrier ») était l’insulte la plus fréquente appliquée aux moriscos musulmans. Malgré  ce premier signal de saturation, le plurilinguisme offre encore des fruits assez remarquables et savoureux, comme par exemple le portugais parlé dans plusieurs comedias de Tirso de Molina, une langue qu’il connaissait bien et qui est assez correcte.

24 L’automatisme du procédé, dénoncé ironiquement par Quevedo, semble néanmoins en marche, comme on peut le voir dans le théâtre de Calderón de la Barca, où le plurilinguisme est désormais confiné dans les œuvres mineures, comme les farces, les entremeses et les mojigangas. À notre connaissance, on trouve des éléments d’une langue qui ne soit pas le castillan dans une seule comédie caldéronienne, Le Peintre de son déshonneur (El Pintor de su deshonra, 1650), où on entend quelques paroles d’une chanson populaire catalane de thème carnavalesque [30]. Un des épigones de Calderón, qui n’a écrit que des pièces courtes, des entremeses notamment, le Valencien Jerónimo de Cáncer y Velasco, présente une œuvre qui fait de l’artifice plurilinguistique le sujet même de son action, comme il est déjà bien visible dans le titre : Entremés de las lenguas (1691). Si nous comparons cette œuvre avec La Farsa del sacramento o de los lenguajes, composée à plus d’un siècle et demi de distance, nous ne pouvons percevoir une évolution significative dans le traitement des différents registres linguistiques. Même si leur nombre augmente pour s’élever à huit, en comptant les jargons, la communication dramatique ne dépasse jamais le simple bilinguisme, et seuls quelques quiproquos désormais topiques donnent l’illusion d’un dialogue de sourds. On le voit, nous nous retrouvons au point de départ, ce qui constitue la meilleure preuve que le phénomène du plurilinguisme littéraire avait épuisé, momentanément, ses possibilités expressives.

Notes

  • [1]
    Sur le « translinguisme » poétique hispano-italien, on peut consulter notre monographie Estudios de poesía translingüe. Versos italianos de poetas españoles, desde la Edad Media hasta el Siglo de Oro, Saragosse, Pórtico, 1996. Voir aussi F. Brugnolo, « Questa è la lingua di cui si vanta Amore. Per una storia degli usi letterari eteroglossi dell’italiano », dans Italiano : lingua di cultura europea, Tübingen, G. Narr, 1997, p. 313-336 ; M. G. Profeti, « Lope e Quevedo: uso decorativo - uso organico dell’italiano nella Spagna dei Secoli d’Oro », Nell’officina di Lope, Florence, Alinea, 1999, p. 125-137.
  • [2]
    La bibliographie sur le plurilinguisme en littérature s’est étoffée ces dernières années depuis quelques études pionnières (Th. W. Elwert, « L’emploi des langues étrangères comme procédé stylistique », Revue de littérature comparée, n° 34, 1960, p. 409-437 ; A. Monteverdi, « Bilinguismo letterario », dans IX Congresso Internacional de Linguistica Romanica, Lisbonne, Centro de Estudos Philologicos, 1961, t. II, p. 87-93 ; W. Giese, « El empleo de las lenguas extranjeras en al obra literaria », dans Studia Philologica. Homenaje ofrecido a Dámaso Alonso, Madrid, Gredos, 1961, t. II, p. 79-90). La première monographie est celle de L. Forster, The Poet’s Tongue : Multilingualism in Literature, Cambridge, 1970, essentiellement basée sur les domaines anglo-saxons et germaniques. Une bonne vue d’ensemble est celle de R. Grutman, « Le bilinguisme littéraire comme relation systémique », Revue canadienne de littérature comparée, septembre-décembre 1990, p. 198-212. Du même auteur,  Des langues qui résonnent. L’hétérolinguisme au XIXe siècle québécois, Montréal, Fides / CETUQ, 1997. Il faut citer également F. Brugnolo et V. Orioles (éd.), Eteroglossia e plurilinguismo letterario, Rome, Il Calamo, 2002, 2 vol. ; A. Gasquet et M. Suárez (éd.),  Écrivains multilingues et écritures métisses. L’hospitalité des langues, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007. Pour le domaine ibérique, voir : la bibliographie proposée dans notre monographie El poliglotismo en el teatro de Lope de Vega, Kassel, Reichenberger, 1991 ; E. Canonica et E. Rudin (éd.), Literatura y bilingüismo / Literatura i bilinguisme. Homenaje a Pere Ramírez, Kassel, Reichenberger, 1993. Pour le domaine catalan, voir la récente étude très exhaustive d’A. Rossich et J. Cornellà, El plurilingüisme en la literatura catalana, Bellcaire d’Empordà, Vitel.la, 2014. Pour le domaine latino-américain, voir M. Eymar, Le Bilinguisme franco-espagnol dans la littérature hispano-américaine (1890-1950), Paris, L’Harmattan, 2011.
  • [3]
    P. Zumthor, « Un problème d’esthétique médiévale : l’utilisation poétique du bilinguisme », Le Moyen Âge, n° 3-4, 1960, p. 301-336 et 561-594 ; repris dans Langue et techniques poétiques à l’époque romane, Paris, Klincksieck, 1963.
  • [4]
    Ces textes ont été publiés et finement analysés par G. Tavani,  Bilinguismo e plurilinguismo romanzo dal XII al XVI secolo, Rome, De Santis, 1969, ouvrage auquel nous nous rapportons. Pour le domaine français médiéval, voir F. Garavini, « Poliglottia ed esperimenti pluri-linguistici nella letteratura francese fino a Rabelais », Saggi e ricerche di letteratura francese, n° 17, 1978, p. 11-75. Le lecteur francophone consultera à ce propos l’ouvrage de P. Le Gentil, La poésie lyrique espagnole et portugaise à la fin du Moyen Âge, Rennes, Plihon, 1949-1953.
  • [5]
    Voir Cancionero de Juan Alfonso de Baena, éd. J. M. Azáceta, Madrid, Consejo superior de investigaciones científicas, 1966, t. II, p. 492-495.
  • [6]
    Ibid., t. II, p. 413 sq.
  • [7]
    J. Ruiz, archiprêtre de Hita, Libro de buen amor, éd. A. Blecua, Madrid, Cátedra, 1992.
  • [8]
    Cette anecdote burlesque raconte les vicissitudes d’un peintre de Bretagne qui, venant tout juste de se marier, dut partir à l’étranger pour deux ans. Afin de vérifier la fidélité de son épouse, il peignit une petite brebis sur son ventre. À son départ, la jeune femme prit un amant, et le dessin fut petit à petit effacé. Lorsqu’elle apprit le retour de son mari, elle demanda à son amant de lui redessiner, en toute hâte, la brebis sur le ventre. Ce dernier, n’étant pas bon peintre, y dessina une plus grande brebis, qui ressemblait plus à un mouton. Le mari interrogea la femme sur ce changement, en soupçonnant son infidélité, et celle-ci lui répondit : « Quoi de plus normal ? Cela fait deux ans que vous êtes parti, et la petite brebis est désormais devenue adulte ! ».
  • [9]
    J. del Encina, Obras dramáticas (Cancionero de 1496), éd. R. Gimeno, Madrid, Istmo, 1975.
  • [10]
    Ibid., v. 1547 sq.
  • [11]
    Ibid., v. 1099 sq.
  • [12]
    En ce qui concerne Torres Naharro, voir Propalladia and other Works of Bartolomé de Torres Naharro, éd. E. Gillet, Bryn Mawr, Pennsylvania, 1943-1961. Pour Gil Vicente, on se référera aux Obras completas, éd. M. Braga, Lisbonne, Sá da Costa, 1942-1944. Voir aussi E. Canonica, « Del plurilingüismo al bilingüismo : el esfuerzo hacia la verosimilitud en las comedias de Torres Naharro », dans I. Andres-Suárez et al. (éd.), Estudios de literatura y de lingüística españolas. Miscelánea en honor de Luis López Molina, Lausanne, Sociedad suiza de estudios hispánicos, 1992, p. 115-129.
  • [13]
    Voir G. Fournès et F. Prot (éd.), Idées reçues, idées communes et consensus en Espagne (XIIIe-XXe s.), Paris, Champion, à paraître en 2015.
  • [14]
    J. Fernández de Heredia, Obras, éd. R. Ferreres, Madrid, Espasa-Calpe, 1955. Le lecteur francophone consultera encore avec profit H. Mérimée, L’Art dramatique à Valencia, Toulouse, Privat, 1913.
  • [15]
    Colección de autos, farsas y coloquios del siglo XVI, éd. Léo Rouanet, Barcelone / Madrid, L'Avenç / Librería de M. Murillo, 1901, t. III, p. 329-345.
  • [16]
    Nebrija, Gramática sobre la lengua castellana, éd. C. Lozano, Barcelone, Galaxia Gutenberg / Círculo de Lectores, 2011, Prologue à Isabelle de Castille, p. 3.
  • [17]
    Sur cette farce, nous renvoyons à notre « Del pecado plurilingüe a la absolución monolingüe. La Farsa del sacramento llamada de los lenguajes », Criticón, n° 66-67, 1996, p. 369-382.
  • [18]
    Don Juan Manuel, El conde Lucanor, éd. G. Serés, Barcelone, Galaxia Gutenberg / Círculo de lectores, 2006, p. 166 et 194.
  • [19]
    Viaje de Turquía, éd. M.-S. Ortolà, Madrid, Editorial Castalia, 2000.
  • [20]
    E. Canonica, « La lengua aymara como instrumento de evangelización en las obras de Ludovico Bertonio », Líneas, n° 1, décembre 2011 : http://revues.univ-pau.fr/lineas/265.
  • [21]
    Fr. Delicado, Retrato de la lozana andaluza, éd. C. Allaigre, Madrid, Cátedra, 1994.
  • [22]
    La Diana en Europa. Ediciones, traducciones e influencias, Barcelone, Universitat Autònoma, 1994.
  • [23]
    E. R. Curtius, La Littérature européenne et le Moyen Âge latin, Paris, Puf, 1956, p. 47.
  • [24]
    J. de Montemayor, La Diana, éd. J. Montero, Barcelone, Crítica, 1996, p. 276 sq.
  • [25]
    E. Canonica, « La conciencia de la comunicación interlingüística en las obras dramáticas y narrativas de Cervantes », dans Cervantes. Estudios en la víspera de su centenario, Kassel, Reichenberger, 1994, t. I, p. 19-43.
  • [26]
    Par exemple, d’un personnage rencontré le narrateur dit qu’il parlait « en lenguaje de su patria » (« dans sa langue maternelle ») et il précise qu’il s’agissait du norvégien : M. de Cervantès, Los trabajos de Persiles y Sigismunda, éd. C. Romero Muñoz, Madrid, Cátedra, 2004 [5e éd.], l. IV, chap. 12, p. 698. D’autres exemples dans mon article cité à la note précédente, p. 38-41.
  • [27]
    E. Canonica, El poliglotismo en el teatro de Lope de Vega, op. cit., passim.
  • [28]
    E. Asensio, Itinerario del entremés, Madrid, Gredos, 1971, p. 206.
  • [29]
    Fr. de Quevedo, Sátiras lingüísticas y literarias, éd. C. C. García Valdés, Madrid, Taurus, 1986, p. 135-136.
  • [30]
    P. Calderón de la Barca, Obras completas, éd. A. Valbuena Prat, Madrid, Aguilar, 1952, t. I, p. 575.
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