Couverture de LHS_195

Article de revue

Un dépassement capitaliste du salariat ?

Une sociohistoire en trois actes et impasses

Pages 51 à 72

Notes

  • [1]
    C’est en quelque sorte la thèse, en accord avec l’esprit de l’époque, de Laurence FONTAINE, Le marché. Histoire et usages d’une conquête sociale, Paris, Gallimard, 2013.
  • [2]
    Ce qui est à l’opposé de cette institution juridique que représente le registre du commerce comme enregistrement des seuls commerçants.
  • [3]
    Michel SAPIN, ministre du Travail, de l’Emploi et du Dialogue social, « Entretien », L’OURS, Recherche socialiste, HS, 60-61, juillet-décembre 2012, p. 9-19.
  • [4]
    À commencer par Friedrich VON HAYEK, La route de la servitude, trad. française Georges Blumberg, Paris, Librairie de Médicis, 1945 [GB & EU, 1944] ; rééd. PUF, 2013.
  • [5]
    Claude DIDRY, L’institution du travail. Une autre histoire du salariat, Paris, La Dispute, (à paraître).
  • [6]
    Reinhart KOSELLECK, Le futur du passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, éd. de l’EHESS, 2000.
  • [7]
    Maurice AGULHON, 1848 ou l’apprentissage de la République, 1848-1852, Paris, coll. « Nouvelle histoire de la France contemporaine », Seuil, « Points-Histoire », 2002.
  • [8]
    Jacques RANCIÈRE, « Utopistes, bourgeois et prolétaires », L’homme et la société, 37-38, 1975, p. 90.
  • [9]
    Jacques RANCIÈRE, La nuit des prolétaires. Archives du rêve ouvrier, Paris, Hachette, « Pluriel », 2012 [1981].
  • [10]
    Alain COTTEREAU, « Droit et bon droit, un droit des ouvriers instauré puis évincé par le droit du travail », Annales. Histoire et Sciences Sociales, 57-6, 2002, p. 1521-1561.
  • [11]
    Cf. dans ce dossier, l’article de Jessica Dos Santos. Cf. également Bernard DESMARS, Militants de l’utopie ? Les fouriéristes dans la seconde moitié du XIXe siècle, Dijon, Les presses du réel, 2010.
  • [12]
    Jacques RANCIÈRE, « Utopistes, bourgeois et prolétaires », art. cit., p. 91.
  • [13]
    Ibidem, p. 94.
  • [14]
    Émile ZOLA, Germinal, Paris, G. Charpentier, 1885.
  • [15]
    Claude DIDRY, « Ressource ou contre-pouvoir ? À la recherche du syndicat dans les accords collectifs en France au tournant des XIXe et XXe siècles », in Jean-Pierre LE CROM (dir.), Les acteurs dans l’histoire du droit du travail, Rennes, PUR, 2004, p. 287-299.
  • [16]
    Karl MARX, Le Capital, Livre 1, Paris, 1993 [1867], p. 620.
  • [17]
    Adolphe THIERS, De la propriété, Paris, Paulin, Lheureux et Cie Éditeurs, 1848, p. 231-232. À propos de Thiers, cf. Alain PLESSIS, « Adolphe Thiers (1797-1871) et l’argent », in Alya AGLAN, Olivier FEIERTAG et Yannick MAREC, Les Français et l’argent. Entre fantasmes et réalités, Rennes, PUR, 2011, p. 251-265.
  • [18]
    Pour Leroy-Beaulieu, « comme procédé de sélection, le régime du marchandage est incomparable », cité par Justin ALLAIS, in La question du marchandage, Épernay, Imprimerie du « Courrier du Nord-Est », 1898, p. 17.
  • [19]
    Karl MARX, Le Capital, Livre 1, Paris, PUF, 1993 [1867], p. 70.
  • [20]
    Ibidem.
  • [21]
    « La grande industrie a déchiré le voile qui cachait aux hommes leur propre procès de production et faisait des différentes branches de production qui s’étaient séparées naturellement autant d’énigmes mutuelles, y compris pour celui qui était initié à chaque branche. », ibid., p. 596.
  • [22]
    Paul BOYAVAL, La lutte contre le Sweating System. Le minimum légal de salaire, l’exemple de l’Australasie et de l’Angleterre, Paris, Félix Alcan, 1909, p. 99.
  • [23]
    Émile ZOLA, Au bonheur des dames, Paris, G. Charpentier, 1883.
  • [24]
    Claude DIDRY, « Les midinettes, avant-garde oubliée du prolétariat », L’homme et la société, 189-190, 2013, p. 63-86.
  • [25]
    Républicain de la première heure aux côtés de Gambetta, Guyot est élu député en 1885, puis perd son siège en 1893 face à la montée du socialisme. Il devient directeur du Temps, tout en professant son attachement à la libre entreprise, devenant une référence occasionnelle des débats sur le contrat de travail et la convention collective. Cf. Claude DIDRY, Naissance de la convention collective. Débat juridique et luttes sociales en France au début du XXe siècle, Paris, éditions de l’EHESS, 2002.
  • [26]
    Danièle FRABOULET, Quand les patrons s’organisent. Stratégies et pratiques de l’Union des industries métallurgiques et minières, 1901-1950, Villeneuve d’Ascq, PU du Septentrion, 2007.
  • [27]
    Pierre NAVILLE, Essai sur la qualification, Paris, Marcel Rivière, 1956 ; Pierre ROLLE, Introduction à la sociologie du travail, Paris, Larousse, 1971.
  • [28]
    Florent LE BOT, La fabrique réactionnaire, Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 90-91.
  • [29]
    Hyacinthe DUBREUIL, L’exemple de Bat’a. La libération des initiatives individuelles dans une entreprise géante, Paris, Grasset, 1936 ; Hyacinthe DUBREUIL et Émile RIMAILHO, Deux hommes parlent du travail, Paris, Grasset, 1939.
  • [30]
    Par référence à Adam SMITH, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776 et, plus près de nous, à Alfred D. CHANDLER, La main visible des managers. Une analyse historique, Paris, Économica, 1988 (É.-U., 1977).
  • [31]
    Cf. en première approche François DENORD, « Corporatisme », in Jean-Claude DAUMAS, Alain CHATRIOT, Danièle FRABOULET, Patrick FRIDENSON et Hervé JOLY (dir.), Dictionnaire historique des patrons français, Paris, Flammarion, 2010, p. 1018-1022. Également Didier MUSIEDLAK (dir.), Les expériences corporatives dans l’aire latine, Bruxelles, Peter Lang, 2010 ; et Olivier DARD (dir.), Le corporatisme dans l’aire francophone au XXe siècle, Bruxelles, Peter Lang, 2011. Sur la dimension bibliographique cf. Alain CHATRIOT, « Les nouvelles relèves françaises et le corporatisme : visions françaises des expériences européennes », in Olivier DARD et Étienne DESCHAMPS (dir.), Les relèves en Europe d’un après-guerre à l’autre : racines, réseaux, projets et prospérités, Bruxelles, Peter Lang, 2005, p. 173-196.
  • [32]
    Louis BAUDIN, Le corporatisme, Paris, Lgdj, 1941, p. 5.
  • [33]
    François DENORD, « Corporatisme », op. cit., p. 1019.
  • [34]
    Régis BOULAT, « Le CCOP, le fonctionnement syndical et la formation des permanents patronaux (1936-1941 », in Olivier DARD et Gilles RICHARD (dir.), Les permanents patronaux : éléments pour l’histoire de l’organisation du patronat en France dans la première moitié du XXe siècle, Metz, Université Paul Verlaine, 2005, p. 171-198.
  • [35]
    Florent LE BOT, « La naissance du Centre des jeunes patrons (1938-1944). Entre réaction et relève », Vingtième siècle, 114, avril-juin 2012, p. 99-116.
  • [36]
    Les cahiers jeune patron, « Vers la fin du salariat », CJP, mai 1942, 32 p.
  • [37]
    Jean-Pierre LE CROM, Syndicats, nous voilà ! Vichy et le corporatisme, Paris, éditions de l’Atelier, 1995, p. 179.
  • [38]
    CJP, À l’appel du Comité d’action jeune patron, Paris, 1944, p. 31.
  • [39]
    François DENORD, Néo-libéralisme version française : histoire d’une idéologie politique, Paris, Demopolis, 2007.
  • [40]
    Sur la loi de 1967 prévoyant la consultation obligatoire du comité d’entreprise, en cas de décisions affectant l’emploi, cf. Rémi BROUTÉ, « La genèse des restructurations en France, le tournant des années soixante », in Claude DIDRY et Annette JOBERT, L’entreprise en restructuration, dynamiques institutionnelles et mobilisations collectives, Rennes, PUR, 2010, p. 45-56.
  • [41]
    Rerum novarum comporte une occurrence du terme entreprise ; Quadragesimo Anno, quatre ; dans Mater et Magistra, le terme revient à 39 reprises. Textes des encycliques sociales de l’Église sur : www.vatican.va consulté le 1er juillet 2010.
  • [42]
  • [43]
    Le thomisme est un courant philosophique s’inspirant de la théologie de Thomas d’Aquin (XIIIe siècle).
  • [44]
    Henri WEBER, Le parti des patrons. Le CNPF, 1946-1990, Paris, Seuil, coll. « Points », 1992 [1986], p. 144.
  • [45]
    Pierre DARDOT et Christian LAVAL, Commun. Essai sur la Révolution au XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2014, p. 31.
  • [46]
    Alain SUPIOT, « À propos d’un centenaire : la dimension juridique de la doctrine sociale de l’Église », Droit social, 1991, p. 916-925.
  • [47]
    Robert CASTEL, Les métamorphoses de la question sociale, une chronique du salariat, Paris, Gallimard, « Folio », 1999 [1995], p. 646.
  • [48]
    Jean BOISSONNAT, Le travail dans vingt ans, Commissariat Général du Plan, Rapport de la Commission présidée par Jean Boissonnat, Paris, éd. Odile Jacob, 1995, p. 88.
  • [49]
    Christophe RAMAUX, Emploi. Éloge de la stabilité. L’état social contre la flexicurité, Paris, éditions Mille et une Nuits, 2006.
  • [50]
    De ce point de vue, le raisonnement de l’anthropologue David Graeber qui tend à inscrire le salariat dans la filiation historique de l’esclavage nous semble passer à côté du sens profond et de la réalité du salariat. David GRAEBER, Des fins du capitalisme. Possibilités I : Hiérarchie, rébellion, désir, Paris, Manuels Payot, 2014.
  • [51]
    Par référence aux débats opposant Lionel Jospin et Tony Blair à la fin des années 1990. Cf. Les politiques économiques de la gauche en France, 1936-2002, Actes du colloque des 20-21 mai 2011, Paris, Fondation Gabriel Péri, 2012.

1 La participation à la vie économique dans une société capitaliste prend, pour la plupart des individus, la forme du travail. De ce point de vue, le contrat de travail est une institution essentielle pour constituer cette situation du salariat dans laquelle un individu dédie une partie de son temps à la vie économique, à l’exclusion d’autres activités sociales telles que les activités familiales, les loisirs ou l’étude. Cette institution paraît cruciale aux yeux mêmes de ceux qui en sont les premiers acteurs : les salariés. Mais la réalité si sensible du travail dans la vie quotidienne de tout un chacun, fait-elle du salariat la dimension centrale du capitalisme ? De prime abord, le salariat n’est pas donné avec le capitalisme. En effet, pour Marx, la transformation de l’argent en capital se fonde d’abord sur le cycle A-M-A’, l’achat pour la revente, c’est-à-dire la transaction marchande à partir de laquelle le législateur définit l’« acte de commerce ». Pour Weber, le capitalisme se définit en premier lieu par la capacité comptable de définir un capital, entendue comme préalable à la détermination d’un profit réalisé par l’échange pacifique de marchandises. Le chômage et la précarité ne représentent-ils pas de surcroît une démonstration éclatante de cette emprise de la transaction capitaliste élémentaire sur le travail, ramené dès lors à une de ces consommations intermédiaires ne trouvant d’usage que lorsque le marché général le permet ? Au-delà du travail, c’est le commerce qui semble primer ici en assurant le triomphe de cet entrepreneur qui, par sa capacité à trouver de nouveaux marchés, de nouveaux produits et de nouveaux procédés, sait entretenir le développement de ses affaires  [1]. Dans ce que nous proposons de nommer le registre du commerce comme grille de lecture universelle des activités économiques  [2], l’attachement des salariés à leur travail fait figure de naïveté par rapport à l’ingéniosité de « celui qui sait vendre ». Le salarié se présente alors, par contraste, comme un entrepreneur raté, dont les ambitions se sont amenuisées, voire épuisées, dans un emploi régulier, en ayant cru qu’il suffisait de travailler pour vivre…

2 Les situations de crise économique et de chômage massif sont propices au retour régulier de ce registre du commerce, en dépit du fait que, par exemple, le travail salarié concerne aujourd’hui, dans un pays comme la France, près de 90 % de la population active. Face à un chômage qui n’en finit pas de croître, les ministres du Travail sont tentés de se dire « ministres du chômage » en faisant de l’emploi leur cheval de bataille face à des travailleurs qui ne sont, après tout, que des chômeurs en puissance  [3]. Des transitions professionnelles évoquant cette alternance des courtes séquences de travail d’une tâche à l’autre, dans le souci fouriériste de rompre la monotonie du travail, à la création d’entreprise comme base des emplois et des innovations de demain, le travail n’en finit pas de subir la critique rongeuse du néolibéralisme. Ce discours, qui trouve une actualisation entretenue par les actions qu’il suscite, a pu se rôder de longue date dans l’histoire du capitalisme, forgeant ses armes à partir notamment d’une réaction que l’émergence d’États sociaux au sortir de la seconde guerre mondiale  [4] a aiguisée pour arriver à se présenter comme l’alternative néolibérale des années 1980. Un regard historique permet cependant d’en cerner les constantes reviviscences, à mesure que se cristallisent un droit et une sécurité sociale par lesquels s’institue le travail  [5].

3 Le néolibéralisme dans sa forme extrême d’un culte de l’entreprise allant jusqu’à envisager la transformation du travailleur en « entrepreneur de soi-même », voire en « entrepreneur » tout court, apparaît comme la figure la plus actuelle de cette utopie d’un dépassement du salariat qu’engendre l’institution séculaire du travail. Pour saisir la genèse et les figures de cette utopie rémanente, nous reviendrons en premier lieu sur cet « âge d’or » d’un capitalisme fondamentalement commercial. L’acte 1 consacre ainsi le registre du commerce comme pseudo-fondement de la liberté économique à travers le marchandage dérivé du louage d’ouvrage défini par le Code civil, avant qu’un Code du travail n’établisse la relation employeur-employé. L’acte 2 installe le salariat au cœur de la crise des années 1930, tout en ouvrant sur des tentatives d’échappées en forme d’utopies rationalisatrices. L’acte 3 voit le salariat se diluer dans le chômage de masse, tandis que l’injonction « tous entrepreneurs de sa vie », figure modernisée du loueur d’ouvrage, cherche à occulter la permanence du travail salarié dans la vie quotidienne. La désindustrialisation de la fin du XXe siècle et du début du XXIe viendrait ainsi conforter l’obsolescence d’un droit du travail que la disparition du « fordisme » aurait rendu inutile, en encourageant le néolibéralisme dans sa visée ultime de suppression d’une réglementation entravant son hubris.

4 Avec cette proposition de sociohistoire, il s’agit d’interroger la notion de salariat grâce aux outils croisés de l’historien et du sociologue, les sources du droit du travail et de la pratique, en vue de considérer cette notion à travers l’étendue sociologique des champs d’expérience et l’épaisseur historique des horizons d’attente  [6]. Notre typologie sociohistorique (les trois actes) revêt un statut exploratoire ; les arguments mobilisés pour chaque acte n’épuisant bien sûr pas, en quelques pages, l’administration de la preuve. Il nous semble toutefois que l’hypothèse proposée n’est pas dénuée d’intérêt et même peut redonner sens et dignité au salariat à un moment où les points d’appui institutionnels de celui-ci sont attaqués de toute part.

Acte 1 : Du marchandage au Code du travail (1848-1910)

5 La prohibition du marchandage traduit les ambiguïtés de cette révolution ouvrière que fut 1848 dans ses premières heures. Produit d’un décret pris par la Commission du Luxembourg le 2 mars 1848, cette prohibition vise à écarter ces situations d’« entr’exploitation ouvrière », dans lesquelles un ouvrier engage d’autres ouvriers pour réaliser l’ouvrage dont il a convenu avec un négociant ou un directeur d’établissement. Elle est donc le fruit d’une action ouvrière contre d’autres ouvriers, qui se trouvent ainsi rejetés aux marges de ce que l’on peine — de ce fait — à nommer « la classe ouvrière ». Le mouvement ouvrier se présente ici d’abord comme un mouvement tourné sur lui-même, se posant la question de ce qu’est un ouvrier. Son action, indissociable du socialisme naissant, cherche à définir ce qu’est le travail avant de pouvoir faire la part des choses entre travailleurs et employeurs.

6 L’adoption d’un Code du travail en 1910 marque un tournant, en partant du travail comme contribution à l’activité productive, pour identifier ces salariés, qu’ils soient ou non ouvriers, engagés par des chefs d’entreprise. Plus question de parler alors de « sous-entreprise ouvrière » pour désigner ces équipes d’ouvriers dirigées par un autre ouvrier. Le contrat de travail établit l’existence d’un rapport juridique de tous ces ouvriers avec un même « chef d’entreprise », le chef d’équipe se trouvant dès lors ramené au rang de salarié. Leur rémunération individuelle s’en trouve garantie, en étant soustraite au bon vouloir d’un marchandeur tenté parfois de s’approprier les gains de l’équipe. Le chef d’entreprise en tire une autorité nouvelle qui s’accompagne également de responsabilités, comme celle de veiller à l’absence d’enfants parmi les travailleurs de ces établissements, ou encore de s’assurer contre les accidents du travail.

1. 1. La grise utopie du travail

7 Si l’histoire se résume à celle d’une lutte des classes, cette lutte que Marx et Engels envisagent avec optimisme dans le Manifeste du Parti communiste au début de l’année 1848, se révèle beaucoup moins évidente que prévue au lendemain de l’échec des révolutions européennes. Certes, ladite lutte semble avoir eu ses moments de gloire avec, en France, un gouvernement provisoire qui correspond à « l’essai et l’échec d’une République socialiste  [7] » en laissant derrière lui un mouvement ouvrier décimé par les Journées de juin, après avoir tenté, sans succès, par le décret du 2 mars, d’établir la journée de dix heures et de prohiber le « marchandage ». Mais derrière l’apparence de deux classes en lutte, prolétariat et bourgeoisie, c’est une multitude de « fractions de classe » qui se manifestent, sans compter cette « paysannerie parcellaire » assimilable par son comportement erratique à un « sac de pommes de terre  [8] », en compliquant singulièrement la tâche de l’historien qu’entend assumer Marx.

8 Cela tient peut-être à ce que les temps ne sont pas mûrs pour une affirmation unifiée des travailleurs et des capitalistes, dans une époque où le travail ne hante que les rêves de certains prolétaires  [9]. Les activités productives célébrées par Saint-Simon sous la figure de l’industrie ne sont encadrées que par un Code civil qui, sous le titre du « louage d’ouvrage », considère en premier lieu l’ouvrier payé « à la pièce », par là-même, dans son article 1799, « entrepreneur en ce qu’il fait » et libre pour cela de faire travailler femmes et enfants, voire d’embaucher d’autres ouvriers dont il louera « les services » selon l’article 1780. Avec le « louage d’ouvrage », les ouvriers de la Révolution ont obtenu la réponse à leur revendication du « vrai louage » opposée au régime tutélaire des corporations  [10]. Mais alors, travail et famille s’entremêlent dans la plupart des activités productives, jusqu’à perdre la substance même du travail qui se trouve réduit à un « ouvrage » agrégeant tout à la fois l’activité de l’ouvrier « à la pièce », celle des membres de sa famille et, parfois, celle des autres ouvriers qu’engage cet « ouvrier à la pièce » que le Code civil qualifie « d’entrepreneur ». La sphère du commerce, confortablement installée dans ce droit autonome que le législateur lui a concédé par le Code de 1808, se retrouve ainsi dans des activités productives soumises à sa loi, par le jeu d’une sous-traitance en cascade qui introduit la concurrence au cœur du monde ouvrier.

9 Le premier socialisme qui se retrouve autant dans les ouvrages de ces socialistes dits « utopiques » que dans les écrits ouvriers eux-mêmes, vise précisément à identifier le travail, derrière cette quasi-marchandise que constitue l’ouvrage. C’est notamment l’objet du phalanstère de Joseph Fourier et de ses épigones  [11]. Mais dans son ambition de trouver une forme d’organisation destinée à réconcilier passion et travail, celui-ci n’arrive qu’à l’effritement du travail pour rompre la monotonie de l’ouvrage par l’alternance des courtes séquences variées de labeur. Ainsi, pour Jacques Rancière,

10

« la mécanique fouriériste des passions ne serait pas quelque chose comme la récurrence idéologique de l’offensive capitaliste de division et de déqualification du travail, la réponse fantastique, mais aussi heuristique, à une question trop crue pour être mise au concours d’aucune académie : comment motiver les travailleurs à l’accomplissement des tâches du travail morcelé ?  [12] »

11 Face à cet enthousiasme pour l’industrie et à cette ambition de retrouver la passion par le morcellement des tâches, c’est précisément la monotonie de l’ouvrage qui est revendiquée par les penseurs ouvriers que ressuscite Rancière, tout en aspirant pour le travailleur à un partage clair entre le « travail » et les autres activités de la vie quotidienne, en donnant ici la première place à la famille :

12

« cette grisaille sert à défendre l’ouvrier contre la menace, plus ou moins clairement pressentie, d’une extension du contrôle d’en-haut sur la totalité de son temps et de son espace.  [13] »

13 Cependant, la description dans Germinal de la mine où la famille Maheu travaille avec d’autres ouvriers (Étienne Lantier) sous la direction de son chef, dit alors « chef de marchandage », est bien loin de correspondre à cette situation  [14]. La grève n’y représente qu’un moment d’unité, en ouvrant un chemin qui est encore long avant que chacun ne soit reconnu comme salarié de la Compagnie. Dans des activités telles que la rubanerie stéphanoise, les chefs d’atelier, un temps liés à leurs ouvriers dans la lutte commune pour le tarif des pièces imposé aux négociants, doivent affronter, à la fin du XIXe siècle, les revendications de leurs propres ouvriers qui créent alors leur syndicat  [15].

1. 2. Le marchandage comme expression de la « liberté du commerce et de l’industrie »

14 Premier acte significatif dans la remise en cause de ce travail à la pièce, dans lequel « l’exploitation des travailleurs par le capital se réalise au moyen de l’exploitation du travailleur par le travailleur  [16] », le décret du 2 mars 1848 devient immédiatement la cible de libéraux. Comme tentative, modeste et incertaine, de clarifier le lacis de relations qui lie le producteur au négociant, ce décret est pris comme un symbole de ce socialisme auquel la France aurait échappé de peu, en ruinant ce principe sacro-saint de la « liberté économique ». Dans le feu de l’action, Adolphe Thiers proclame :

15

« Oui, je désire, pour ma part, que l’ouvrier qui n’a que ses bras, puisse aussi participer aux bénéfices de son maître, devenir capitaliste à son tour, et s’élever à la fortune. Je ne crois pas qu’il le puisse en se mettant à la place de son maître, en s’associant avec ses camarades pour former avec eux une entreprise collective, qui manquera de capital, de direction, de tout ce qui fait réussir ; mais voici, pour l’ouvrier de mérite, un moyen certain d’arriver au résultat proposé, de devenir entrepreneur sans capital, et sans l’inconvénient attaché à une entreprise collective : ce moyen est celui du travail à la tâche ou marchandage, que les nouveaux amis des ouvriers ont aboli.  [17] »

16 Les économistes de la seconde moitié du XIXe siècle lui emboîtent le pas, justifiant le marchandage par la sélection des plus performants et donc par le gage d’efficience qu’il représente  [18].

17 La situation est alors bien confuse dans cette théorie économique que les classiques avaient tenté d’arrimer au travail comme fondement de toute valeur, mais que les tenants d’un libre-échange généralisé, comme Frédéric Bastiat (1801-1850), entendent renouveler dans la mesure où « il n’existe pour eux par conséquent ni valeur ni grandeur de la marchandise autrement que dans l’expression donnée par le rapport d’échange, et donc ailleurs que sur l’étiquette du prix courant au jour le jour.  [19] » La liberté des prix dans la sphère de la circulation devient ainsi le centre de la vie économique, garantissant la performance contre la résistance d’intérêts spécifiques. Le « salaire aux pièces » en constitue une belle illustration, permettant de sous-traiter la réalisation des marchandises ou d’une de leur partie à des « intermédiaires », « en rendant superflue une bonne part de la surveillance du travail »  [20].

1. 3. De la lutte contre le marchandage au Code du travail

18 Dès lors, c’est sans doute moins dans la fabrique industrielle, soumise à une réglementation précoce sur la limitation du travail tout en déchirant le voile du métier par les changements incessants dont elle est le théâtre  [21], que dans le constat d’une forme dégradée de travail à domicile, que se joue la formalisation d’un droit du travail. Marx en fait la contrepartie du développement de la grande industrie, en revendiquant l’extension du droit des fabriques à ce « travail à domicile moderne » qu’il qualifie de « sweating system ». Avec le travail à domicile, ce marchandage que 1848 voulait prohiber, prend une proportion catastrophique. À telle enseigne qu’il est exhibé dans des expositions annoncées comme des « musées des horreurs économiques  [22] » pour contrer l’enthousiasme lié aux expositions universelles, en dressant le tableau particulièrement sombre de conditions de production occultées par la parade des marchandises que mettent en scène les grands magasins des métropoles occidentales  [23].

19 Conséquence de la sous-traitance en cascade organisée par les grands magasins, le travail à domicile est la face obscure de ce « registre du commerce » en contribuant ainsi à le discréditer. Il devient la « question sociale » nouvelle de cette fin de siècle, ruinant l’espoir réactionnaire de créer une adhésion ouvrière au libéralisme par la perspective d’une chimérique ascension sociale offerte par le marchandage. Le temps est à la conception d’un « contrat de travail » qui permette d’embrasser le travail, au-delà des partitions entre métiers ou du partage entre travail en usine et travail à domicile. Les ateliers clandestins d’aujourd’hui où s’entassent les sans-papiers, tout comme, à la « Belle-Époque », les mansardes insalubres dans lesquelles les midinettes perdaient leur santé à l’ouvrage  [24], sont la face obscure de la liberté d’entreprendre présentée comme le salut de ceux qui, à défaut de travail, n’auraient qu’à « créer leur affaire ».

20 Par le contrat de travail, il devient possible de formaliser le lien qui unit tous les travailleurs participant à la réalisation d’un produit, à celui qui, de donneur d’ordre devient employeur. Dans les débats juridiques où s’élabore alors le contrat de travail, libéraux et catholiques se joignent aux socialistes dans l’édification de cette institution nouvelle, abandonnant leur attachement initial au marchandage. Le salut par la création d’entreprise est alors réservé à quelques excentriques, comme Yves Guyot  [25], qui est exhibé dans les débats comme la survivance d’un libéralisme manchestérien se caractérisant par une hostilité irréductible à toute intervention législative de l’État.

Acte 2 : Les utopies rationalisatrices face à une naturalisation du salariat durant l’entre-deux-guerres

21 L’intense activité législative des années d’après-guerre et d’avant-crise (la journée de huit heures et le principe de la convention collective en 1919, l’adoption du dernier livre du Code du travail en 1924, les assurances sociales et le délai-congé en 1928, etc.) consolide ce salariat que le premier livre du Code du travail a esquissé en 1910. De ce point de vue, les grèves du Front populaire viennent relancer un travail législatif que la crise avait paralysé. Face à cette installation du droit du travail dans les hémicycles, les prétoires, les entreprises et la vie courante, l’utopie change de camp. Le dépassement, voire l’effacement du salariat, devient l’horizon d’attente d’un patronat « d’avant-garde », tentant de circonvenir les sources de tension avec les salariés en imaginant des formules recomposant une forme moderne de marchandage.

2. 1. Établir, désigner, classer : l’émergence du salarié

22 Si le travail aux pièces conserve une place dans les formules de salaire au rendement auxquelles s’essaient les ingénieurs et les chefs d’entreprise de l’entre-deux-guerres qui croient répondre ainsi aux appels à la « rationalisation », le contrat de travail devient la base d’une découverte de cet étrange objet de la transaction : le travail. Entrant dans la langue du droit par l’adoption en 1910 du premier livre du Code du travail, le contrat devient pendant la Grande Guerre et plus encore au lendemain de l’armistice, le levier permettant de concevoir le travail à partir d’un temps, la durée quotidienne fixée à huit heures en 1919, et d’un lieu, l’établissement, auquel se trouvent rattachés les travailleurs. L’Union des Industries Minières et Métallurgiques créée en 1901 face aux réformes engagées par Millerand s’est trouvée happée par l’Union sacrée, sans avoir eu le temps de contrecarrer la naissance du droit du travail  [26]. Les années 1920 sont une décennie riche en développements législatifs que ce soit sur le terrain de la formation professionnelle des jeunes travailleurs, sur celui de la rupture du contrat de travail en 1928 ou encore sur celui des assurances sociales obligeant à circonscrire l’ensemble des « assujettis » à la cotisation sociale. Comme condition pour le bénéfice de l’assurance contre les accidents du travail, d’un délai-congé ou celui des assurances sociales, le contrat de travail devient un enjeu pour ceux qui tentent de revendiquer, ou de fuir, une condition incertaine de salarié et d’employeur. Certains, comme les bûcherons, entendent se faire reconnaître, dès avant-guerre, comme salariés des marchands de bois pour contraindre ceux-ci à les assurer contre des accidents du travail particulièrement fréquents dans ce secteur. D’autres tentent de se soustraire à l’assujettissement à la cotisation sociale, en contestant leur situation de salarié ou d’employeur. Des gérants d’établissement, des travailleurs à domicile ou leurs commanditaires, se retrouvent dans le contentieux qui arrive devant la Cour de cassation au début des années 1930. Pour y répondre, en vue de limiter l’accès à une protection sociale qui menace de basculer dans « l’assistanat », les juges s’écartent alors d’une conception large du contrat de travail reposant sur l’identification d’un lien exclusif entre un travailleur et un ou plusieurs employeurs, assimilée à ce que certains professeurs de droit présentent comme une situation de « dépendance économique ». À cette vision large du contrat de travail, ils tentent de substituer le critère de la « subordination juridique », c’est-à-dire l’exercice direct de l’autorité patronale sur le travail comme élément décisif pour écarter l’assujettissement des directeurs d’établissements, de succursales ou encore et surtout des travailleurs à domicile. Mais la tentative fait long feu, face à l’obstination d’un législateur soucieux de donner aux assurances sociales, et donc au contrat de travail, l’extension la plus large possible.

23 Le Front populaire, grâce à l’élan d’un mouvement gréviste sans précédent, confirme l’importance de la durée dans la définition du travail en ramenant celle-ci à quarante heures par semaine et en instituant les congés payés. Les conventions collectives de branche, définies par la loi du 24 juin 1936, initient une dynamique nouvelle de classification, condition nécessaire à leur extension à l’ensemble des salariés concernés par décret du ministère du Travail. Les grandes catégories d’ouvrier spécialisé et d’ouvrier qualifié, mais aussi d’employé, d’agent de maîtrise, de technicien et d’ingénieur tendent alors à se substituer aux dénominations indigènes des communautés de métier, comme les armuriers, les maçons, les plombiers, pour désigner la place occupée par chacun dans le travail et le niveau minimal de rémunération auquel il peut prétendre. Ce mouvement s’amplifie à la Libération sous l’impulsion d’Alexandre Parodi et d’Ambroise Croizat au ministère du Travail, en aboutissant à une classification systématique de la population active salariée. Les métiers cessent de désigner ces communautés de métiers définies par un savoir-faire partagé — souvent de manière héréditaire —, en se ramenant à une qualification conçue comme la capacité de chaque travailleur à trouver sa place dans l’organisation du travail au niveau de l’établissement  [27]. Le collectif, défini par ceux qui partagent un même employeur, se trouve représenté par le comité d’entreprise, que crée l’ordonnance du 22 février 1945.

2. 2. Des utopies rationalisatrices pour dépasser le salariat ?

24 Dans ce contexte, c’est à l’échelle de l’établissement que le souci de ramener le travail au registre du commerce se fait jour. En 1936, par exemple, dans une France toujours en crise, Henri Ruinet, industriel de la chaussure, applique à son entreprise dijonnaise le système d’autonomie des ateliers, appelé également sectionnement de l’entreprise  [28]. Cette fabrique de taille moyenne (environ quatre-vingts salariés) traverse des difficultés du fait d’une baisse de rendement, de la diminution de la qualité de la production et de la hausse des prix. Le patron décide de ce fait de remplacer le travail aux pièces et à l’heure par le travail et la rémunération par section. Concrètement, l’usine est divisée en six sections, en fonction de leur rôle dans le processus de production. Un prix déterminé est alloué à chacune pour un travail défini. Les ouvriers sont associés à la définition du prix de revient de la production commandée à la section. Dans chaque section, les délégués patronaux et ouvriers sont chargés de composer les équipes, dont chacun des membres voit son gain théorique fixé au moment de l’embauche. Celui-ci est fondé sur un nombre de parts déterminé par journée de huit heures ; une part représentant un franc. Ainsi, l’ouvrier dont le salaire horaire est de sept francs, est associé dans le gain de la section pour cinquante-six parts. Les aptitudes professionnelles, l’emploi occupé et l’ancienneté dans l’établissement constituent les titres essentiels à la détermination du nombre de parts attribuées. Chaque jour, la production de la section est comptabilisée et chaque quinzaine, la somme totale gagnée par la section est divisée par le nombre de parts attribuées aux ouvriers, ce qui donne le gain de chacun. Cette méthode, au moins dans le court terme, semble porter les fruits escomptés, puisque durant l’année 1938 le rendement est passé de 2 à 4,5, voire 5 paires de chaussures par ouvrier et par jour, tandis que le prix de revient d’une paire a diminué en moyenne de 18 % et que le salaire de base a augmenté de 71,5 %. La production annuelle estimée est multipliée par 2,5.

25 Ce sectionnement se trouve au cœur de débats autour de la modernisation de l’entreprise dans les années 1930. Hyacinthe Dubreuil est un des conseillers de la CGT de Léon Jouhaux sur les questions d’organisation jusqu’en 1931, puis œuvre auprès du Bureau international du Travail à Genève jusqu’en 1938. En 1936, il publie un livre sur le géant tchèque de l’industrie de la chaussure, le groupe Bata, qui, pratiquant l’autonomie des ateliers et le commerce entre unités de l’entreprise, a en toute vraisemblance inspiré Ruinet. En 1939, Dubreuil coécrit avec Rimailho un autre ouvrage dans lequel il défend l’organisation de l’entreprise sous la forme d’une fédération d’ateliers autonomes  [29]. Le réformiste Dubreuil a pour ambition de bâtir « la Cité industrielle idéale » qui trouverait son équilibre dans une juste répartition des revenus en fonction d’un système de transaction entre des collectifs internes à la firme. Celle-ci deviendrait ainsi le cadre de régulation dans lequel le registre de l’échange et du commerce pourrait être convoqué à nouveaux frais, afin de desserrer ce qui serait les contraintes du salariat pesant sur le libre déploiement de l’initiative économique. Certes ! Mais cette forme d’utopie omet tout simplement le fait que ledit cadre de régulation, soit l’entreprise, est sou­mis à un pouvoir bien plus impérieux que celui du marché et de sa « main invisible » : la main bien visible du patron ou du manager qui intervient concrètement dans la délimitation de ce qui est négociable, ou ne l’est pas, entre collectifs au sein de la firme  [30]. La recherche d’un mode de régulation, installant une parité plus ou moins avérée entre les acteurs sociaux, est au cœur d’un autre champ d’exploration qui se déploie durant la même période : celui du corporatisme.

2. 3. La corporation contre la lutte des classes

26 La lutte des classes, contrainte essentialisée, corrélat intériorisé du face-à-face salariés-patron, sert de repoussoir à ceux qui, pour échapper à l’influence du marxisme d’une part et du libéralisme d’autre part, s’inscrivent dans le champ magnétique des corporatismes. Un courant, ou plutôt une galaxie corporatiste, tant ses facettes en sont multiples, s’est ainsi développée dans les années 1930 en France, en Europe et jusqu’en Amérique  [31]. Le mode de régulation associé aux différents types de corporatisme envisagés conduit à ranger ceux-ci en deux grandes catégories : un « corporatisme d’État imposé » et un « corporatisme d’association »  [32]. Ce n’est que dans le second mode de corporatisme que les salariés et/ou leurs organisations, peuvent envisager de participer à une régulation de l’économie sur un pied d’égalité apparent avec les employeurs et/ou leurs organisations ; du moins s’il ne s’agit pas de placer les salariés dans la main de l’absolutisme patronal : « Nous posons pour principe, écrit Eugène Mathon — industriel textile du Nord et théoricien du corporatisme —, que seuls les patrons doivent diriger la corporation économique.  [33] »

27 Le Centre des jeunes patrons (CJP), qui est créé en 1938 dans le prolongement du Comité central de l’organisation professionnelle (CCOP), lui-même fondé le 8 juillet 1936 afin de promouvoir l’idée corporatiste auprès du patronat  [34], développe une conception moins frontale du rapport patron/salariés  [35]. Celle-ci se nourrit des réflexions autour d’une « juste rémunération » : salaire proportionnel de l’industriel Eugène Schueller (fondateur de L’Oréal), méthode de Rimailho, propositions de Hyacinthe Dubreuil, etc., sont âprement discutées par la commission d’études et de main-d’œuvre du CJP. La fin du salariat est en perspective, perçue comme une issue à la crise du capitalisme. Dans une brochure publiée en 1942, justement intitulée « Vers la fin du salariat  [36] », le CJP suggère une meilleure intégration du salarié dans l’entreprise par la participation aux institutions sociales ainsi que par un perfectionnement des méthodes de rémunération  [37]. Il s’agit, en s’inspirant de Bata, de transformer le contrat de travail en contrat d’association en créant des équipes de travail autonomes disposant d’un budget propre et préalablement convenu et librement géré. Une enquête menée par le CJP auprès de ses membres et publiée en juin 1943, signale que 59 % des jeunes patrons auraient déjà adopté un mode de rémunération autre que le salaire au temps (rémunération par équipe, salaire proportionnel, primes individuelles, etc.)  [38]. Il semble finalement que le salariat, au prisme du corporatisme, renvoie, pour le CJP, à la pédagogie plutôt qu’à la négociation salariale : les salariés devraient ainsi être associés à la prise en compte des contraintes liées à la rémunération, afin que ceux-ci prennent conscience de la situation de l’entreprise et de la « justesse » de leur rémunération. Dans cette perspective, l’état de salarié pâtirait d’une asymétrie de l’information par rapport au patron : le salarié serait ainsi, et malgré tout, un entrepreneur incomplet.

Acte 3 : De l’entreprise à la création d’entreprise, les apories de la société postindustrielle

28 Les échafaudages corporatistes s’affaissent, sortant discrédités des années 1940. Le libéralisme poursuit sa mue à bas bruit, notamment sous les auspices de la société du Mont-Pèlerin  [39], tandis que l’État social étend ses protections. Avec les années 1960, la participation des salariés, prônée par un certain gaullisme et par le catholicisme social, retrouve les vertus supposées de l’entreprise comme communauté. À partir des années 1970, un libéralisme désormais décomplexé, en vient à considérer la crise comme l’échec d’un État social, dont la vocation ne serait plus que de « limiter les dégâts », en attendant son démantèlement. Mais si l’utopie libérale semble ici proche du but, celui que constitue l’élimination du Code du travail est au prix d’une contradiction croissante avec la place du travail dans la vie et les attentes des citoyens.

3. 1. L’entreprise comme communauté

29 L’élan reconstructeur de la Libération abandonne les utopies rationalisatrices des années 1930-1940, discréditées par la période de Vichy, en poursuivant le développement d’un droit du travail par la classification des travailleurs et la reconnaissance du comité d’entreprise. Mais vingt ans plus tard, les restructurations des années 1960 ouvrent la voie à une célébration nouvelle de l’entreprise comme creuset de la compétitivité nationale, face à l’horizon du Marché Commun que programme le Traité de Rome en 1957. La constitution de « champions nationaux » est alors à l’ordre du jour, par un mécano sophistiqué de fusion-acquisition destiné à éliminer les « double emploi » au niveau national. Dans ce contexte, c’est moins le travail que le chômage qui fait l’objet d’une découverte, à partir de l’accord UNEDIC signé en 1958 et étendu en 1959. Mais ce sont surtout les préretraites, financées par le Fonds national de l’emploi, qui deviennent le levier de suppressions d’emplois conçues comme nécessaires face à l’impératif de compétitivité que fixe le Traité de Rome. Si l’horizon du Marché Commun représente, pour un libéral tel que Jacques Rueff, un élément de nature à restaurer les mécanismes du marché, c’est davantage alors le marché des produits qui est visé dans la recherche de compétitivité. Le travail demeure un atout dans la modernisation économique recherchée, ce qui se manifeste par le souci d’associer les travailleurs aux décisions économiques de l’entreprise à travers l’organisation d’une procédure renouvelée d’information-consultation  [40].

30 Le collectif de travail peut ainsi retrouver ses lettres de noblesse à travers l’identification de la communauté qui se constitue sous l’autorité du chef d’entreprise. La période correspond, de fait, à l’apogée de l’expression doctrinale du catholicisme social, marqué par deux premières encycliques : Rerum Novarum, de Léon XIII en 1891, Quadragesimo Anno de Pie XI en 1931. En 1961, Jean XXIII publie Mater et Magistra, qui, par rapport aux précédentes encycliques, développe une véritable réflexion sur l’entreprise, dans sa structure, sa nature, ses fonctions et sa place dans la société  [41]. Elle consacre notamment de longs passages au rôle nécessaire de l’État dans l’économie, à la juste rémunération des différentes formes de travail, mais aussi à la participation des travailleurs à la vie de l’entreprise conçue comme une communauté humaine :

31

« Il faut tendre, en tout cas, à ce que l’entreprise devienne une communauté de personnes, dans les relations, les fonctions et les situations de tout son personnel. Cela requiert que les relations entre entrepreneurs et dirigeants d’une part, apporteurs de travail d’autre part, soient imprégnées de respect, d’estime, de compréhension, de collaboration active et loyale, d’intérêt à l’œuvre commune ; que le travail soit conçu et vécu par tous les membres de l’entreprise, non seulement comme source de revenus, mais aussi comme accomplissement d’un devoir et prestation d’un service. Cela comporte encore que les ouvriers puissent faire en­tendre leur voix, présenter leur apport au fonctionnement efficace de l’entreprise et à son développement. […] Une conception humaine de l’entreprise doit sans doute sauvegarder l’autorité et l’efficacité nécessaire de l’unité de direction ; mais elle ne saurait réduire ses collaborateurs quotidiens au rang de simples exécutants silencieux, sans aucune possibilité de faire valoir leur expérience, entièrement passifs au regard des décisions qui dirigent leur activité. »

32 Le texte rejette dans le même mouvement les concepts fondamentaux du libéralisme économique et du marxisme :

33

« Les ouvriers et les employeurs doivent régler leurs rapports en s’inspirant du principe de la solidarité humaine et de la fraternité chrétienne, puisque tant la concurrence au sens du libéralisme économique que la lutte des classes dans le sens marxiste, sont contre nature et opposées à la conception chrétienne de la vie. »

34 Cette encyclique trouve son prolongement à travers Vatican II, avec la « Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps », dite Gaudium et Spes, publiée le 8 décembre 1965, qui insiste en particulier sur « la participation active de tous à la gestion des entreprises  [42] ». La doctrine sociale de l’Église fait ainsi retour sur une conception qui fait d’un rapport mal organisé entre employeur et salariés, la source de certains des maux du monde moderne.

35 Ainsi, à la dynamique émancipatrice du socialisme de la Belle Époque, conduisant à la reconnaissance du travail comme activité d’un salarié individuel lié à un employeur et base revendicative pour le mouvement ouvrier, la doctrine sociale de l’Église oppose la recherche du bien commun par un retour au thomisme  [43]. Dans cette perspective, « il n’y aurait pas d’intérêts durablement contradictoires dans la Cité, sinon par la faute, le pêché d’une des parties ou des deux : dans l’entreprise, la profession, la société, un bien commun existe pour les hommes de bonne volonté, distinct de la somme de leurs intérêts particuliers et clairement identifiable.  [44] » Certes, Pierre Dardot et Christian Laval mettent en garde quant à la confusion dans les différents usages du Commun qui, dans sa version théologico-politique, celle du bien commun, « loin de pouvoir servir d’emblème à l’émancipation, […] pourrait bien toujours couvrir et justifier des formes de domination archaïques, dans la mesure même où une institution comme l’Église prétend encore détenir la connaissance du bien commun et, à ce titre, exercer un magistère sur les relations sociales.  [45] » Mais par leur méfiance partagée à l’égard du registre du commerce, l’ambition émancipatrice du socialisme et l’exigence de justice du catholicisme social se rejoignent dans le développement d’un droit du travail  [46]. À la reconnaissance de l’autorité de l’employeur, se joint le souci d’associer les travailleurs sous la forme gaulliste (et chrétienne) de la participation, mais aussi sous la forme d’une extension des pouvoirs du comité d’entreprise que fixe l’accord sur la sécurité de l’emploi négocié en 1969 sous l’impulsion de la CGT.

3. 2. L’activation des dépenses passives

36 Au terme d’une croissance continue depuis le milieu des années 1960, le chômage touche 394 000 demandeurs d’emploi en 1973. La dynamique modernisatrice du gaullisme s’enraye et le tournant vers un chômage de masse s’accentue alors : le million est dépassé en 1977, les 2 millions en 1982. Après les tentatives de maintenir l’emploi par des mesures de temps partiel, la politique de « redéploiement industriel » tend à prédominer à partir de 1977, afin d’accompagner la réduction des activités de certains secteurs comme, par exemple, la sidérurgie. Cette forme d’intervention devient un élément central dans la politique de redressement des entreprises nationalisées mise en œuvre à partir de 1983, les directions des ressources humaines évaluant les « sureffectifs » à partir du nombre de suppressions d’emplois sans licenciement sec que rendent possibles les dispositifs institutionnels, en concertation avec la Délégation à l’Emploi. De Raymond Barre à Laurent Fabius, les politiques publiques abandonnent l’ambition industrielle pour le redressement de la compétitivité en sacrifiant des pans entiers de l’appareil productif. Cette politique de redéploiement se double de ce qui va être appelé « la politique de l’emploi », inaugurée également en 1977, par une pratique d’incitation à l’embauche pour des publics ciblés, avec les pactes pour l’emploi des jeunes, dans un souci d’activation de la dépense pour l’emploi. Le mécanisme retenu est celui de l’exonération de charges sociales, qui connaît une éclipse entre 1982 et 1986, avant de revenir sur une échelle plus large ensuite. Si la formation intervient dans ces dispositifs, notamment sous la forme de stages, le principe de l’exonération de charges tend alors à entériner la représentation du travail sous la forme d’un marché où les variations du prix de la marchandise seraient de nature à permettre un ajustement de l’offre (d’emploi) à la demande.

37 C’est dans ce contexte que l’Aide aux chômeurs créateurs d’entreprise voit le jour, à partir de circulaires, prises en 1977 sous l’impulsion de Raymond Barre, puis d’une loi en 1980. Cette aide, qui repose sur la continuité de l’allocation chômage pour les chômeurs qui créent leur entreprise, vise à encourager la création de son propre emploi par le chômeur en vue, le cas échéant, de participer à la création d’autres emplois dans l’avenir. Elle conforte, d’une certaine manière, la logique de politiques de l’emploi visant à faire face à un chômage croissant résultant de redéploiements industriels présentés désormais comme inéluctables. Les politiques de l’emploi se présentent ainsi d’abord comme des politiques du « chômeur évité », par la formation, les stages, les emplois aidés et la création d’entreprise. Ressurgit ainsi ce registre du commerce que la logique du travail avait cantonné aux fantaisies illuminées d’excentriques, moins comme ascenseur social que comme limitation des dégâts du chômage. La mode du Small is beautiful face à la déconfiture des géants de l’industrie favorise ce retour à la création d’entreprise, dans une époque où la PME retrouve la cote.

3. 3. « Contre le chômage… on a tout essayé »

38 Au cours des années 1990, le maintien d’un niveau élevé de chômage remet en cause tout espoir de retour au plein-emploi, présenté comme relevant d’une époque révolue. Autour du chômage, la précarité se serait développée à un point tel que le droit du travail paraîtrait désormais dépassé. Pour Robert Castel, cela conduit à la remise en cause de l’emploi en CDI qui ne concernerait plus, en 1994, que 65 % de la population active alors qu’il en concernait plus de 80 % en 1975  [47]. Constat analogue dans le rapport publié en 1995 par la Commission Boissonnat, diagnostiquant une « opérationnalité déclinante du droit du travail  [48] » attestée par le « contournement » que constituerait un recours massif aux emplois ‘atypiques’. Le marché secondaire enterrerait le marché primaire. Cette évolution tiendrait au passage à une « société postindustrielle » pour Castel, à une « société de services » pour le rapport Boissonnat. Les emplois industriels auraient migré vers des pays à faible coût, sans que les em­plois de service ne compensent cette disparition.

39 Une nouvelle fois, la création d’entreprise apparaît comme le recours. Ainsi, l’autoentreprenariat, mis en place dans le cadre de la loi de modernisation de l’économie (LME), promulguée le 4 août 2008, et présenté comme ayant vocation à « libérer les énergies », se présente comme une alternative à un droit du travail vu comme trop complexe, trop rigide et contradictoire avec l’exigence de compétitivité imposée par la globalisation. En un paradoxe saisissant, l’injonction « tous entrepreneurs » fonde un prétendu dépassement du salariat, que ce soit par la création d’entreprise ou par la remise en cause du droit du travail pour des salariés vus comme « entrepreneurs de leur carrière ». Rejoignant un libéralisme qui fut l’apanage d’une droite inquiète face à la montée du socialisme au XIXe siècle, la gauche gouvernementale se rallie aujourd’hui, en France, à ce « réformisme » du XXIe siècle qui vise la « libération des énergies » par le démantèlement du droit du travail, en ne se distinguant de la droite gouvernementale que par l’insistance sur l’égalité de tous devant… la création d’entreprise. Le volontarisme atteint ici un paroxysme, face à une réalité marquée par l’horizon d’attente que représente, pour les citoyens ordinaires, l’accès à un emploi durable en CDI  [49]. Il contribue à approfondir une crise, dans un contexte où les restructurations économiques s’intensifient, à travers laquelle le hiatus entre pouvoirs politiques et attentes sociales ébranle les fondements mêmes de la démocratie.

Conclusion

40 Selon nous, et pour le dire rapidement, c’est la transaction marchande qui fait le capitalisme plutôt que le mode de production, et donc plutôt que les modalités d’exploitation des ressources et d’accumulation de la plus-value  [50]. Dans ces conditions, la relation entre le capitalisme et le travail salarié est moins immédiate qu’on ne le croit souvent. Reposant sur la dynamique d’un commerce sanctuarisé par le droit d’exception qu’institue le Code de commerce, le capitalisme a été l’accoucheur d’un droit du travail, instituant le travail comme activité sociale spécifique des individus. Mais ce processus s’est construit à partir d’un jeu complexe dans lequel l’action ouvrière, la formulation d’un « socialisme rationnel », la définition d’un « christianisme social », ont pris une part déterminante. Le dépassement du salariat, voire son abolition, se conçoivent ainsi initialement comme l’horizon d’un socialisme d’abord utopique qui trouve sa voie dans une activité réformatrice posant les bases d’une « découverte du travail » par les acteurs économiques.

41 Face à cette transformation de la réalité sociale, le libéralisme apparaît d’abord comme la défense de cette liberté essentielle au capitalisme, la liberté du commerce et de l’industrie. Il « s’utopise » à mesure que se développe un droit du travail organisant la participation des travailleurs aux activités productives, en tentant, au moment de ces crises qui secouent périodiquement le capitalisme, de regagner le « paradis perdu » d’un capitalisme laissant le commerce revenir aux jours heureux d’un négoce généralisé. Il se radicalise à l’heure actuelle, sous la figure d’un ultralibéralisme entendant faire jouer les mécanismes généraux du marché dans toutes les dimensions de la vie sociale (une « société de marché » et non plus seulement « une économie de marché »  [51]), alors que le droit du travail en est devenu une des institutions fondamentales. Mais, encourageant un volontarisme politique dans lequel la réforme se conçoit comme la destruction de son bras armé, l’État, le néolibéralisme contemporain se condamne à l’impuissance en menaçant la démocratie dans son fondement même, l’État de droit.

42 Confrontées à cette actualité brûlante, les sciences sociales ont un rôle à jouer, non comme pourvoyeuses de données brutes au profit de décideurs convaincus qu’il « n’y aurait pas d’alternative » à l’ultralibéralisme, mais comme initiatrices de propositions, telle la sociohistoire déployée dans cette contribution. Ainsi, le « salariat » est le fruit d’une construction sociohistorique complexe dont la dimension émancipatrice reste à approfondir, par une imagination et un travail législatif audacieux, notamment en développant la participation des travailleurs et de leurs institutions représentatives à la vie d’une entreprise qui tend aujourd’hui à se perdre dans les marchés financiers. Mais, face à un univers politique qui privilégie les équilibres comptables en croyant trouver une variable d’ajustement dans le droit du travail, il est à craindre que ce marchandage permanent sur des acquis sociaux constitutifs de la société ne conduise à une catastrophe démocratique.


Date de mise en ligne : 17/06/2015

https://doi.org/10.3917/lhs.195.0051

Notes

  • [1]
    C’est en quelque sorte la thèse, en accord avec l’esprit de l’époque, de Laurence FONTAINE, Le marché. Histoire et usages d’une conquête sociale, Paris, Gallimard, 2013.
  • [2]
    Ce qui est à l’opposé de cette institution juridique que représente le registre du commerce comme enregistrement des seuls commerçants.
  • [3]
    Michel SAPIN, ministre du Travail, de l’Emploi et du Dialogue social, « Entretien », L’OURS, Recherche socialiste, HS, 60-61, juillet-décembre 2012, p. 9-19.
  • [4]
    À commencer par Friedrich VON HAYEK, La route de la servitude, trad. française Georges Blumberg, Paris, Librairie de Médicis, 1945 [GB & EU, 1944] ; rééd. PUF, 2013.
  • [5]
    Claude DIDRY, L’institution du travail. Une autre histoire du salariat, Paris, La Dispute, (à paraître).
  • [6]
    Reinhart KOSELLECK, Le futur du passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, éd. de l’EHESS, 2000.
  • [7]
    Maurice AGULHON, 1848 ou l’apprentissage de la République, 1848-1852, Paris, coll. « Nouvelle histoire de la France contemporaine », Seuil, « Points-Histoire », 2002.
  • [8]
    Jacques RANCIÈRE, « Utopistes, bourgeois et prolétaires », L’homme et la société, 37-38, 1975, p. 90.
  • [9]
    Jacques RANCIÈRE, La nuit des prolétaires. Archives du rêve ouvrier, Paris, Hachette, « Pluriel », 2012 [1981].
  • [10]
    Alain COTTEREAU, « Droit et bon droit, un droit des ouvriers instauré puis évincé par le droit du travail », Annales. Histoire et Sciences Sociales, 57-6, 2002, p. 1521-1561.
  • [11]
    Cf. dans ce dossier, l’article de Jessica Dos Santos. Cf. également Bernard DESMARS, Militants de l’utopie ? Les fouriéristes dans la seconde moitié du XIXe siècle, Dijon, Les presses du réel, 2010.
  • [12]
    Jacques RANCIÈRE, « Utopistes, bourgeois et prolétaires », art. cit., p. 91.
  • [13]
    Ibidem, p. 94.
  • [14]
    Émile ZOLA, Germinal, Paris, G. Charpentier, 1885.
  • [15]
    Claude DIDRY, « Ressource ou contre-pouvoir ? À la recherche du syndicat dans les accords collectifs en France au tournant des XIXe et XXe siècles », in Jean-Pierre LE CROM (dir.), Les acteurs dans l’histoire du droit du travail, Rennes, PUR, 2004, p. 287-299.
  • [16]
    Karl MARX, Le Capital, Livre 1, Paris, 1993 [1867], p. 620.
  • [17]
    Adolphe THIERS, De la propriété, Paris, Paulin, Lheureux et Cie Éditeurs, 1848, p. 231-232. À propos de Thiers, cf. Alain PLESSIS, « Adolphe Thiers (1797-1871) et l’argent », in Alya AGLAN, Olivier FEIERTAG et Yannick MAREC, Les Français et l’argent. Entre fantasmes et réalités, Rennes, PUR, 2011, p. 251-265.
  • [18]
    Pour Leroy-Beaulieu, « comme procédé de sélection, le régime du marchandage est incomparable », cité par Justin ALLAIS, in La question du marchandage, Épernay, Imprimerie du « Courrier du Nord-Est », 1898, p. 17.
  • [19]
    Karl MARX, Le Capital, Livre 1, Paris, PUF, 1993 [1867], p. 70.
  • [20]
    Ibidem.
  • [21]
    « La grande industrie a déchiré le voile qui cachait aux hommes leur propre procès de production et faisait des différentes branches de production qui s’étaient séparées naturellement autant d’énigmes mutuelles, y compris pour celui qui était initié à chaque branche. », ibid., p. 596.
  • [22]
    Paul BOYAVAL, La lutte contre le Sweating System. Le minimum légal de salaire, l’exemple de l’Australasie et de l’Angleterre, Paris, Félix Alcan, 1909, p. 99.
  • [23]
    Émile ZOLA, Au bonheur des dames, Paris, G. Charpentier, 1883.
  • [24]
    Claude DIDRY, « Les midinettes, avant-garde oubliée du prolétariat », L’homme et la société, 189-190, 2013, p. 63-86.
  • [25]
    Républicain de la première heure aux côtés de Gambetta, Guyot est élu député en 1885, puis perd son siège en 1893 face à la montée du socialisme. Il devient directeur du Temps, tout en professant son attachement à la libre entreprise, devenant une référence occasionnelle des débats sur le contrat de travail et la convention collective. Cf. Claude DIDRY, Naissance de la convention collective. Débat juridique et luttes sociales en France au début du XXe siècle, Paris, éditions de l’EHESS, 2002.
  • [26]
    Danièle FRABOULET, Quand les patrons s’organisent. Stratégies et pratiques de l’Union des industries métallurgiques et minières, 1901-1950, Villeneuve d’Ascq, PU du Septentrion, 2007.
  • [27]
    Pierre NAVILLE, Essai sur la qualification, Paris, Marcel Rivière, 1956 ; Pierre ROLLE, Introduction à la sociologie du travail, Paris, Larousse, 1971.
  • [28]
    Florent LE BOT, La fabrique réactionnaire, Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 90-91.
  • [29]
    Hyacinthe DUBREUIL, L’exemple de Bat’a. La libération des initiatives individuelles dans une entreprise géante, Paris, Grasset, 1936 ; Hyacinthe DUBREUIL et Émile RIMAILHO, Deux hommes parlent du travail, Paris, Grasset, 1939.
  • [30]
    Par référence à Adam SMITH, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776 et, plus près de nous, à Alfred D. CHANDLER, La main visible des managers. Une analyse historique, Paris, Économica, 1988 (É.-U., 1977).
  • [31]
    Cf. en première approche François DENORD, « Corporatisme », in Jean-Claude DAUMAS, Alain CHATRIOT, Danièle FRABOULET, Patrick FRIDENSON et Hervé JOLY (dir.), Dictionnaire historique des patrons français, Paris, Flammarion, 2010, p. 1018-1022. Également Didier MUSIEDLAK (dir.), Les expériences corporatives dans l’aire latine, Bruxelles, Peter Lang, 2010 ; et Olivier DARD (dir.), Le corporatisme dans l’aire francophone au XXe siècle, Bruxelles, Peter Lang, 2011. Sur la dimension bibliographique cf. Alain CHATRIOT, « Les nouvelles relèves françaises et le corporatisme : visions françaises des expériences européennes », in Olivier DARD et Étienne DESCHAMPS (dir.), Les relèves en Europe d’un après-guerre à l’autre : racines, réseaux, projets et prospérités, Bruxelles, Peter Lang, 2005, p. 173-196.
  • [32]
    Louis BAUDIN, Le corporatisme, Paris, Lgdj, 1941, p. 5.
  • [33]
    François DENORD, « Corporatisme », op. cit., p. 1019.
  • [34]
    Régis BOULAT, « Le CCOP, le fonctionnement syndical et la formation des permanents patronaux (1936-1941 », in Olivier DARD et Gilles RICHARD (dir.), Les permanents patronaux : éléments pour l’histoire de l’organisation du patronat en France dans la première moitié du XXe siècle, Metz, Université Paul Verlaine, 2005, p. 171-198.
  • [35]
    Florent LE BOT, « La naissance du Centre des jeunes patrons (1938-1944). Entre réaction et relève », Vingtième siècle, 114, avril-juin 2012, p. 99-116.
  • [36]
    Les cahiers jeune patron, « Vers la fin du salariat », CJP, mai 1942, 32 p.
  • [37]
    Jean-Pierre LE CROM, Syndicats, nous voilà ! Vichy et le corporatisme, Paris, éditions de l’Atelier, 1995, p. 179.
  • [38]
    CJP, À l’appel du Comité d’action jeune patron, Paris, 1944, p. 31.
  • [39]
    François DENORD, Néo-libéralisme version française : histoire d’une idéologie politique, Paris, Demopolis, 2007.
  • [40]
    Sur la loi de 1967 prévoyant la consultation obligatoire du comité d’entreprise, en cas de décisions affectant l’emploi, cf. Rémi BROUTÉ, « La genèse des restructurations en France, le tournant des années soixante », in Claude DIDRY et Annette JOBERT, L’entreprise en restructuration, dynamiques institutionnelles et mobilisations collectives, Rennes, PUR, 2010, p. 45-56.
  • [41]
    Rerum novarum comporte une occurrence du terme entreprise ; Quadragesimo Anno, quatre ; dans Mater et Magistra, le terme revient à 39 reprises. Textes des encycliques sociales de l’Église sur : www.vatican.va consulté le 1er juillet 2010.
  • [42]
  • [43]
    Le thomisme est un courant philosophique s’inspirant de la théologie de Thomas d’Aquin (XIIIe siècle).
  • [44]
    Henri WEBER, Le parti des patrons. Le CNPF, 1946-1990, Paris, Seuil, coll. « Points », 1992 [1986], p. 144.
  • [45]
    Pierre DARDOT et Christian LAVAL, Commun. Essai sur la Révolution au XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2014, p. 31.
  • [46]
    Alain SUPIOT, « À propos d’un centenaire : la dimension juridique de la doctrine sociale de l’Église », Droit social, 1991, p. 916-925.
  • [47]
    Robert CASTEL, Les métamorphoses de la question sociale, une chronique du salariat, Paris, Gallimard, « Folio », 1999 [1995], p. 646.
  • [48]
    Jean BOISSONNAT, Le travail dans vingt ans, Commissariat Général du Plan, Rapport de la Commission présidée par Jean Boissonnat, Paris, éd. Odile Jacob, 1995, p. 88.
  • [49]
    Christophe RAMAUX, Emploi. Éloge de la stabilité. L’état social contre la flexicurité, Paris, éditions Mille et une Nuits, 2006.
  • [50]
    De ce point de vue, le raisonnement de l’anthropologue David Graeber qui tend à inscrire le salariat dans la filiation historique de l’esclavage nous semble passer à côté du sens profond et de la réalité du salariat. David GRAEBER, Des fins du capitalisme. Possibilités I : Hiérarchie, rébellion, désir, Paris, Manuels Payot, 2014.
  • [51]
    Par référence aux débats opposant Lionel Jospin et Tony Blair à la fin des années 1990. Cf. Les politiques économiques de la gauche en France, 1936-2002, Actes du colloque des 20-21 mai 2011, Paris, Fondation Gabriel Péri, 2012.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.81

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions