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Article de revue

De l’illusion « post-mécaniste » à l’illusion « post-industrielle »

Pages 137 à 152

Notes

  • [1]
    LÉNINE, « Ce que sont les “ amis du peuple ” et comment ils luttent contre les social-démocrates », 1894, Œuvres, t. 1, p. 143-360, Moscou-Paris, Éditions du Progrès-Éditions Sociales, 1958, et « Discours au 2e Congrès des soviets des députés-paysans de Russie, 2(15) décembre 1917 », Œuvres, t. 26, p. 375-378, Moscou-Paris, Éditions du Progrès-Éditions Sociales, 1961.
  • [2]
    Lazare WEILLER, la Revue des Deux Mondes, 1898, cité par Fabienne CARDOT, in François CARON et Fabienne CARDOT (dir.), Histoire générale de l’électricité en France, t. 1 : Espoirs et conquêtes, Paris, PUF-AHFE, 1991, p. 465.
  • [3]
    Nous ne saurions nous risquer à présenter ne serait-ce qu’une esquisse de l’imposante bibliographie sur le thème : mentionnons seulement l’un des ouvrages-clefs, la somme de Manuel CASTELLS, L’ère de l’information, Paris, Fayard, t. 1 : la société en réseaux, 1998, t. 2 : Le pouvoir de l’identité, 1999, t. 3 : Fin de millénaire, 1999. Le premier volume surtout fut sans doute l’un des textes qui contribua le plus efficacement à l’établissement du « paradigme informationnel » comme description et explication globales des mutations à l’œuvre à la fin du XXe siècle.
  • [4]
    Dans une mise au point indispensable, Alain GRAS (Les macro-systèmes techniques, PUF, « Que sais-je ? », 1997), montre comment « le réseau ne doit en aucun cas être confondu avec le système » (p. 6).
  • [5]
    Au sens de Maurice GODELIER, L’idéel et le matériel, Paris, Fayard, 1984.
  • [6]
    Alain BELTRAN et Patrice A. CARRÉ, La fée et la servante. La société française face à l’électricité, Paris, Belin, 1991, p. 122.
  • [7]
    In La Revue industrielle, 1871, cité in Alain BELTRAN et Patrice A. CARRÉ, La fée et la servante. La société française face à l’électricité, op. cit., p. 120.
  • [8]
    Girolamo RAMUNNI, in François CARON et Fabienne CARDOT (dir.), Histoire générale de l’électricité en France, op. cit., p. 335.
  • [9]
    Louis FIGUIER, Les nouvelles conquêtes de la science. Les merveilles de l’électricité, Paris, 1883.
  • [10]
    Statistiques de la Compagnie parisienne de distribution d’électricité, 1912, cité in Alain BELTRAN et PATRICE A. CARRÉ, La fée et la servante. La société française face à l’électricité, op. cit., p. 123.
  • [11]
    Monique PEYRIÈRE, « Un moteur électrique pour la machine à coudre : une innovation dans l’impasse », Bulletin d’histoire de l’électricité, 19-20, 1992, p. 73-86.
  • [12]
    Henri MORSEL, « Les freins à l’adoption du moteur électrique, à ses origines, en France », Bulletin d’histoire de l’électricité, 16, 1990, p. 9-24.
  • [13]
    Alain BELTRAN et PATRICE A CARRÉ, La fée et la servante. La société française face à l’électricité, op. cit., p. 119.
  • [14]
    Albert AFTALION, Le Développement de la fabrique et le travail à domicile dans les industries de l’habillement, Paris, Sirey, 1906, p. 207.
  • [15]
    M. MANGINI (administrateur de la Compagnie électrique de la Loire), La transformation du travail par le moteur électrique, 1904, p. 14, cité par Brigitte REYNAUD, « L’électrification de l’industrie textile et l’entrée des femmes à l’atelier : l’exemple de la rubanerie stéphanoise », Bulletin d’histoire de l’électricité, 19-20, 1992, p. 55-98, p. 56.
  • [16]
    M. MANGINI, La transformation du travail par le moteur électrique, op. cit., p. 15.
  • [17]
    Charles LEPROUX, Monographie du passementier stéphanois : agonie, causes et remèdes, Saint-Étienne, Imp. Générale, 1909, cité par Brigitte REYNAUD, in « L’électrification de l’industrie textile et l’entrée des femmes à l’atelier : l’exemple de la rubanerie stéphanoise », art. cit., p. 58.
  • [18]
    Brigitte REYNAUD, « L’électrification de l’industrie textile et l’entrée des femmes à l’atelier : l’exemple de la rubanerie stéphanoise », op. cit., p. 56.
  • [19]
    M. MANGINI, La transformation du travail par le moteur électrique, op. cit., p. 17.
  • [20]
    Type de l’ouvrier qualifié forte tête, rétif à la discipline de l’usine et prêt à chaque instant à claquer la porte au nez de son patron, bien connu grâce au portrait, à charge, qu’en dressa Denis POULOT, lui-même ancien ouvrier devenu petit patron, Le sublime ou le travailleur comme il est en 1870 et ce qu’il peut être, [1869], introduction par Alain Cottereau, Paris, François Maspéro, 1970.
  • [21]
    L’enquête parlementaire de 1904 sur les industries textiles révèle une proportion de 4/5e de femmes sur la totalité des emplois textiles, qu’elle lie au « remplacement des hommes par les femmes est le résultat de la diffusion de la force motrice domicile » : Brigitte REYNAUD, « L’électrification de l’industrie textile et l’entrée des femmes à l’atelier : l’exemple de la rubanerie stéphanoise », art. cit., p. 64.
  • [22]
    Alain BELTRAN et Patrice A. CARRÉ (La fée et la servante. La société française face à l’électricité, op. cit., p. 120) évoquent en ce sens une lettre du vieil Engels, mais sans donner les références.
  • [23]
    Bien au contraire. Au prix d’une instrumentalisation de la dialectique, ces derniers verraient dans le développement de la mécanique et du machinisme global — bien que responsable tant de la surproduction que du chômage — une tendance à la suppression de la division du travail née de la première phase industrielle, à la socialisation de l’économie (concentration de la propriété) et à la réduction des inégalités grâce à l’élévation matérielle de la production, soit, en somme, une progression vers la société sans classes.
  • [24]
    Pablo IGLESIAS, « Progreso Maquinista », La Lucha de Clases, 20 juin 1896, Bilbao, cité in Norberto IBÁÑEZ ORTEGA, Gigantismo industrial. Racionalización y productivismo de entreguerras en la Ría de Bilbao, Madrid, Catarata, 2011, p. 25.
  • [25]
    Pablo IGLESIAS, « Los Altos Hornos de Vizcaya »,  La Lucha de Clases, 7 avril 1904, cité in Antonio ELORZA et María del Carmen IGLESIAS (dir.), Burgueses y proletarios. Clase obrera y reforma social en la Restauración, Barcelone, Laia, 1973, p. 280.
  • [26]
    Pierre KROPOTKINE, Champs, Usines et Ateliers ou l’industrie combinée avec l’agriculture et le travail cérébral avec le travail manuel, éd. fr. Paris, Stock, 1910, p. 277.
  • [27]
    Ibidem, p. 212.
  • [28]
    Ibid., p. 218.
  • [29]
    Bien que sommaire, cette interprétation du marxisme comme un économicisme fut largement partagée et bien au-delà des critiques libertaires du type de celle de Kropotkine ; il est vrai que ces critiques pouvaient trouver matière tant dans les écrits (chez Kautsky par exemple) que dans les pratiques des dirigeants socialistes : pour une critique marxiste contemporaine d’un certain « économisme » marxiste, cf. notamment Karl KORSH, Marxisme et philosophie [1ère éd. Munich, 1923], rééd. fr., Paris, Allia, 2012.
  • [30]
    Pierre KROPOTKINE, L’entraide, un facteur de l’évolution, trad. fr., Paris, Hachette, 1904.
  • [31]
    Cf. dans ce dossier, l’article de Claude Didry et de Florent Le Bot (Ndlr).
  • [32]
    Alexandre FERNANDEZ, « Réseaux techniques et solidarités : des liaisons à préciser », in Pierre GUILLAUME, Les solidarités. Le lien social dans tous ses états, Pessac, MSHA, 2001, p. 475-489.
  • [33]
    Alexandre FERNANDEZ, « Adrien Marquet et la modernité électrique : ordre, autorité… électricité ? », Bulletin d’histoire de l’électricité, numéro spécial « Utopies et électricité », 2000, 35, p. 123-131.
  • [34]
    Alexandre FERNANDEZ, « Des villes inodores ? Des représentations de l’urbanité au XXe siècle », in Odeurs et parfums, 121e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Nice, 1998, Paris, Éd. du CTHS, 1999, p. 21-28.
  • [35]
    Jacques LACAN, Le Séminaire, livre IV : La relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p. 45.
  • [36]
    Olivier BOMSEL, L’économie immatérielle. Industries et marchés d’expériences, Gallimard, « Essais », 2010, p. 126.
  • [37]
    Abel REY, L’énergétique et le mécanisme du point de vue de la connaissance, Paris, Alcan, 1907.
  • [38]
    Otto Julius BIERBAUM, Eine empfindsame Reise im Automobil, Munich, Georg Muller, 1903, p. 266, cité in Claude QUIGUER, Femmes et machines de 1900. Lecture d’une obsession Modern Style, Paris, Klincksieck, 1979, p. 322-323.
  • [39]
    Patrick GEDDES, Cities in Evolution, Londres, Williams and Norgate, 1915, éd. fr., Paris, Temeros, 1994.
  • [40]
    Lewis Mumford souligne que « dans le même temps l’effet de ses améliorations néotechniques » allait être renforcé par la pratique de l’asepsie dans les opérations chirurgicales, les progrès en bactériologie et des inventions comme la radio. The City in History, trad. fr. : La Cité à travers l’histoire, Seuil, 1964, p. 598.
  • [41]
    Il ne saurait être question d’en débattre ici. Sur le concept de révolution scientifique et technique tel qu’élaboré par Radovan Richta et présenté en France dans trois articles majeurs dans L’homme et la société : « Révolution scientifique et technique et transformations sociales », 1967, 3, p. 83-103 ; « La révolution scientifique et technique et les choix offerts à la civilisation moderne », 1968, 9, p. 29-53 ; « La dialectique de l’homme et de son œuvre dans la civilisation moderne », 1969, 13, p. 39-57, une présentation dans A. FERNANDEZ, « Sur le ‘développement des forces productives’ : la révolution scientifique et technique de Radovan Richta au cœur des années 1960 », communication inédite lors du colloque « Actualité de la pensée de Marx », Bordeaux, 2013.
  • [42]
    Daniel BELL, The Coming of Post-Industrial Society. A Venture in a Social Forecasting, New-York, Basic Books, 1973, trad fr. : Vers la société post-industrielle, Paris, Robert Lafont, 1976.
  • [43]
    Au début des années 1960 encore, les débats portant sur la nature et l’avenir de la (des) société(s) technique(s) et industrielle(s), de part et d’autre de l’Atlantique n’avaient point paru trancher aussi fermement en ce sens : que l’on compare, par exemple et pour ne s’en tenir qu’à la France, Ellul, Aron et Jouvenel.
  • [44]
    Alain TOURAINE, La société post-industrielle. Naissance d’une société, Paris, Denoël, 1969.
  • [45]
    Luc BOLTANSKI et Ève CHIAPELLO, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.
  • [46]
    Jeremy RIFKIN, L’âge de l’accès, trad. fr., Paris, La Découverte, 2000.
  • [47]
    Michael HARDT et Antonio NEGRI, Empire, Paris, Exils, 2000.
  • [48]
    Carlo VERCELLONE, « Mutations du concept de travail productif et nouvelles formes de répartition », in Carlo VERCELLONE, Sommes-nous sortis du capitalisme industriel ?, Paris, La Dispute, 2003, p. 249-272 : « ces métamorphoses font que la source de la ‘richesse des nations’ se déplace aujourd’hui de plus en plus en amont de l’activité des entreprises. C’est de plus en plus en amont de la sphère du ‘travail salarié et de l’univers marchand’, dans la société et notamment dans le système de formation et de recherche, que se trouve la clé de la productivité et du développement de la richesse sociale (p. 260).
  • [49]
    Quynh DELAUNAY et Jean-Claude DELAUNAY, Lire le capitalisme contemporain. Essai sur la société du XXIe siècle, Pantin, Le temps des cerises, 2007.
  • [50]
    Patrick DIEUAIDE, « Quand le capitalisme dit adieu à la valeur-travail », in Jean-Claude DELAUNAY (dir.), Le capitalisme contemporain. Questions de fond, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 17-40.
  • [51]
    Jean-Marie HARRIBEY, « Richesse et valeur : un couple qui ne fait pas bon ménage », L’homme et la société, 156-157, avril-septembre 2005, p. 27-43.
  • [52]
    Jean-Marie HARRIBEY, La richesse, la valeur et l’inestimable. Fondements d’une critique socio-écologique de l’économie capitaliste, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2013.
  • [53]
    Moishe POSTONE, Temps, travail et domination sociale, trad fr., Paris, Mille et une nuits, 2009 : « la théorie de Marx doit être comprise non pas tant comme une critique du capitalisme faite du point de vue du travail mais plutôt comme une critique du travail sous le capitalisme » (p. 19).
  • [54]
    Matthieu MONTALBAN, « De la place de la théorie de la valeur et de la monnaie dans la Théorie de la Régulation », Revue de la régulation, Capitalisme, institutions, pouvoirs, 12, septembre 2012.
  • [55]
    Durant la première moitié du XIe siècle, Adalbéron, évêque de Laon, procéda (avec quelques autres) à un exercice rhétorique de substitution à l’ancienne distinction libres/esclaves, qui peinait à rendre compte d’une réalité assurément plus complexe, d’une « tripartition » hiérarchique entre ceux qui prient, ceux qui combattent et… ceux qui travaillent ; l’opération idéologique qui témoignait d’une alliance renforcée entre le pouvoir et les clercs prit corps par la suite dans les institutions ; Georges DUBY, Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 1978.
  • [56]
    François CARON, La dynamique de l’innovation. Changement technique et changement social (XVIe-XXe siècle), Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 2010.
  • [57]
    Manuel CASTELLS, La société en réseaux, op. cit., quatrième de couverture.
  • [58]
    René PASSET, L’illusion néo-libérale, Paris, Fayard, 2000, p. 193.
  • [59]
    Cf. la récente analyse critique de Matthieu HÉLY et Pascale MOULÉVRIER, L’économie sociale et solidaire : de l’utopie aux pratiques, Paris, La Dispute, 2013.
  • [60]
    Jean-Pierre GARNIER, « ‘Plus radical que moi tu meurs !’ À propos des critiques de la valeur », Revue Espaces-Marx, 31, 2011-2012, p. 111-117
  • [61]
    Jacques RANCIÈRE, « Les mésaventures de la pensée critique », in Le Spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008.
  • [62]
    Discours au Congrès socialiste international, Paris, 23-27 septembre 1900, Genève, Minkoff Reprint, 1980, p. 127, cité par Jean-Marie HARRIBEY, in La richesse, la valeur et l’inestimable : Fondements d’une critique socio-écologique de l’économie capitaliste, op. cit., p. 303.

1 On sait combien rompre cette manière de ruse de l’histoire que la plume de l’écrivain sicilien a si élégamment, et définitivement, formulée, a pu hanter les plus résolus sinon les plus avisés des stratèges de la subversion révolutionnaire  [1] et… conforter les conservateurs de tout poil. Nous ne saurions ici proposer de dénouer cette manière de sortilège lampédusien ; l’historien sait bien que pas davantage que l’on ne saurait dire que rien n’est jamais nouveau sous le soleil, l’on ne découvre l’Amérique tous les jours… Et pourtant ! Combien de praticiens, combien de commentateurs ont cru pouvoir signaler — et, la plupart du temps, saluer — une aube nouvelle à chaque frémissement de l’histoire ; à partir de quelques indices, combien se sont plus à anticiper, et pour beaucoup à espérer, l’abolition de l’état existant — éminemment contestable sinon condamnable !

2 Ainsi, à la fin du XIXe siècle, l’apparition, la diffusion et la généralisation du (petit) moteur électrique, pour nombre d’observateurs, valut indice :

3

« Le siècle prochain sera le siècle de l’électricité comme celui qui se termine a été celui de la vapeur.  [2] »

4 Nous ne proposons ici que de présenter à la réflexion une mise en résonance de ces déclarations vieilles de plus d’un siècle autour de ce que fut la « révolution électrique » avec certains discours contemporains sur une « révolution informationnelle  [3] » métamorphosant le monde. Il nous a semblé reconnaître là certaine illusion, sinon sur l’objet lui-même (nous laisserons aux spécialistes le soin de se prononcer  [4]), au moins sur sa signification historique : l’illusion que crée la fascination de l’innovation ; une fascination qui, elle, n’a rien d’inédit.

5 Présenter les espérances qu’ont suscitées en leur temps l’apparition et la généralisation de la diffusion du petit moteur électrique nous permettra de comprendre de quel « nouveau » améliorant/subvertissant l’état existant, ce nouvel objet technique « offert » à l’économie et à la société parût être le signe. Comme promesse de dépassement de l’univers mécanique, celui de la concentration usinière, pour beaucoup, il parût être porteur de la modernité idéelle  [5]. Il sera alors sans doute permis de retrouver dans la référence au « post » — et au « post-industriel » tout particulièrement —, amplifié dès la fin du XXe siècle et dans certains discours sur la révolution informatique et numérique une rhétorique prophétique à bien des égards comparable.

Le petit moteur électrique comme substitut aux grandes concentrations industrielles ?

6 Comme le relatent Alain Beltran et Patrice A. Carré, la possibilité du transport de l’énergie, démontrée par Marcel Deprez dès 1883, avant même que celui-ci fût possible dans de bonnes conditions industrielles, souleva les imaginations  [6]. Déjà, plus de dix ans auparavant, l’un des plus célèbres vulgarisateurs de la science et des techniques du temps, Hippolyte Fontaine, se plaisait à parier ainsi sur l’avenir :

7

« Le fractionnement de la force motrice, en permettant son usage à domicile, sera le premier pas fait dans la voie de la décentralisation manufacturière ; il produira sans aucun doute une révolution salutaire dans un grand nombre de spécialités.  [7] »

8 Les innovations électriques de la seconde moitié des années 1880 apparurent d’autant plus prodigieuses qu’il semblait qu’elles allaient permettre de s’affranchir des contraintes matérielles de l’âge de la vapeur, centralisatrice des ressources et des productions. Les nombreux brevets déposés, notamment par Nikola Tesla, témoignaient sans doute de la volonté d’améliorer générateurs, moteurs et transformateurs à la recherche d’un « système complet » électrique mais aussi, sur un autre plan — nous y reviendrons —, d’une conception du monde : Girolamo Ramunni parle d’une « idée fixe » qui « le guidait » et qui était de « concevoir des machines où frotteurs, balais et autres sortes de contacts mécaniques [seraient] sinon éliminés du moins réduits au minimum  [8] ».

9 Passé en quelques années du registre de l’émerveillement  [9] au domaine de la performance, le moteur électrique (petit ou grand) fut d’abord, essentiellement, support et instrument de l’essor industriel. En ce sens, sa vocation était d’augmenter les ressources énergétiques disponibles, de démultiplier la force mécanique en se juxtaposant ou, au besoin, en se substituant à l’hydraulique et à la vapeur. Ainsi, dans l’atelier même, le moteur électrique n’offrait que des avantages. L’aspect le plus visible résidait dans la disparition des poulies, courroies, arbres et autres : ce qui réduisait les risques d’accident et augmentait le rendement physique de la puissance installée (70 à 80 % de rendement pour les moteurs électriques vers 1900-1910 contre 60 à 70 % pour les installations mécaniques). Par ailleurs, la suppression de toute la machinerie mécanique permettait la transformation des ateliers :

10

« Une étude attentive permettra de constater que les interruptions proviennent de déplacements inutiles, d’un mauvais fonctionnement dans l’approvisionnement, dans la transmission des matières ou des pièces à œuvrer […] le moteur électrique permet ainsi aux industriels de rectifier et d’améliorer leurs installations d’atelier et leurs méthodes de travail, de supprimer le temps perdu et d’apporter des économies nouvelles dans leur production.  [10] »

11 On comprend les séductions qu’exerçait l’électricité. La très large diffusion du moteur électrique en témoignait. Devenu en quelques années d’une utilisation bien plus souple que le moteur à vapeur ou même à gaz de l’époque, d’un coût allant diminuant, l’emploi du moteur électrique devint plus facile et s’adapta progressivement à de multiples usages. Pour de nombreux secteurs d’activité, il était fort séduisant de pouvoir désormais varier la vitesse d’exécution : ainsi, dans l’imprimerie pour les rotatives ou dans la confection pour les machines à coudre, la fabrication pouvait être mieux contrôlée, en diminuant le mouvement tout en gardant des possibilités de reprise rapide  [11]. Autant d’acquis qui n’étaient guère possibles pour un moteur primaire traditionnel. En outre, plus petit, le moteur électrique put, progressivement, être inclus dans la machine elle-même  [12].

12 À ce compte, l’électricité serait « décentralisatrice » et « égalitariste »  [13] ; en s’étendant, grâce au réseau de transport, elle placerait dans des conditions identiques de concurrence petites et plus grandes entreprises qui allaient désormais disposer également de lumière et de force : les économistes les plus réputés du temps l’assuraient, ainsi Albert Aftalion :

13

« La facilité de son installation [le moteur électrique], les frais relativement faibles qu’il entraîne ont incité des industriels ou même de simples entrepreneurs incertains de la production en fabrique, ou trop peu aisés pour acquérir une machine à vapeur coûteuse, à fonder des ateliers d’une trentaine d’ouvrières où un petit moteur d’un à deux chevaux actionne une, deux ou trois dizaines de machines à coudre.  [14] »

14 À ce titre, le moteur électrique pouvait être le support technique de la république d’artisans et de petits entrepreneurs chère à tant d’esprits de la fin du XIXe siècle. Pourrait-il être un frein au développement de la concentration du capitalisme ?

15 Pour de nombreux auteurs du début du XXe siècle l’utilisation du petit moteur électrique devait maintenir le travail à domicile et éviter la concentration des ouvriers dans des usines de plus en plus gigantesques, ralentir l’exode rural, enfin retenir la femme et surtout la jeune fille au foyer. De fait, il paraît avéré que le moteur électrique a contribué, tout au moins en France, à retarder la concentration des établissements dans certains métiers comme la ganterie grenobloise, le tissage de la soie dans le Bas-Dauphiné ou la rubanerie stéphanoise. Le cas de la rubanerie, par exemple, où l’opération était spécialement simple et peu coûteuse — la barre du métier, auparavant actionnée manuellement (50 à 60 kg de pesée), le serait par un petit moteur d’1/4 de CV transmettant par courroie le mouvement aux différents organes du métier — illustre en fait l’ambiguïté économico-sociale du moteur électrique. Industrie qui redoutait le déclin, faute d’avoir pu adopter la modernité thermique et mécanique de la vapeur, « le moteur électrique [serait] au service d’une vieille industrie qu’il [allait] rajeunir  [15] ». Ainsi, l’innovation technique allait permettre à l’ancien de se perpétuer.

16 Bien davantage, ce n’était pas simplement d’un sauvetage économique qu’il s’agissait mais de perpétuation d’un mode de production économique et social pré-industriel. Le moteur électrique permettait de maintenir le tisseur dans son atelier, avec comme aides sa femme et sa fille. Outre le bienfait moral, c’était l’harmonie sociale préservée, un moyen sûr d’éviter la rue et surtout l’usine où se dégradent les mœurs des jeunes gens et des jeunes filles et où germent les mauvaises habitudes et les mauvaises idées  [16]. Cette formidable nouveauté, que l’on n’hésitait pas à baptiser le « moteur familial  [17] », devait permettre, aux yeux de ses promoteurs, de parfaire le modèle de la famille-atelier. On comprend, à ce compte, comment et pourquoi le moteur électrique, parce qu’il semblait pouvoir maintenir le domestic system, « fut plébiscité par la Fabrique  [18] ». Plus globalement, en effet, l’emploi de tels moteurs semblait montrer qu’il était possible de s’affranchir, dans une certaine mesure, de la force physique et des savoir-faire traditionnels : « désormais la patience et l’attention [seraient] seules en jeu et non plus la force  [19] ». Pour nombre de patrons, c’était sans doute espérer pouvoir substituer au compagnon — toujours tenté par l’indocilité (voir la figure du « Sublime  [20] ») une main-d’œuvre en grande partie féminine, moins revendicative et meilleur marché  [21]. Ainsi, le surgissement d’une nouvelle modernité technique dotée d’une haute technicité incorporée accompagnait le processus de déqualification déjà largement entamé dans la (grande) production manufacturière.

17 En fait, vanté pour les bienfaits qu’il dispensait au monde de la petite industrie, le moteur électrique servait autant sinon davantage l’organisation (et les profits) de la grande (et de la très grande). C’était là bien sûr une réalité que n’importe quel observateur attentif eût pu mettre en relief (et, malgré tout, il y en eut). Mais certaine illusion persista, soigneusement entretenue au demeurant. Notamment par les firmes spécialisées dans la conception, la production et la commercialisation des moteurs électriques qui, avec lucidité en l’occurrence, saisirent vite la formidable puissance de l’innovation. Cependant, alors même que la (très grande) industrie électrométallurgique (General Electric, Siemens, AEG, etc.) s’édifiait et se consolidait jusqu’à être l’un des principaux piliers du système industriel dès le tout début du nouveau siècle, leur publicité visait en premier lieu le monde de la petite industrie.

Kropotkine, le moteur électrique et l’abolition du salariat

18 On comprend aisément pourquoi, instruits par l’expérience du machinisme industriel du XIXe siècle, nombre de leaders ouvriers restèrent d’abord pour le moins circonspects  [22] devant les déclarations enthousiastes des thuriféraires de la machine nouvelle. Sans doute, peu à peu, chez les marxistes au moins (ceux de la Seconde internationale où dominaient les Allemands de la SPD adossés à leurs centaines de milliers de membres et aux millions de syndiqués, dont une part notable employée dans les grandes firmes électro-chimiques et électro-métallurgiques) put-on convenir que l’expansion de l’électrification, l’exceptionnelle croissance de force dont elle était porteuse, pouvaient valoir signe d’une sorte de théorie — « appliquée » ? — du développement des forces productives (que l’on voudra voir plus tard exprimée dans la fameuse formule de Lénine concernant la définition du socialisme). Mais, précisément, il ne s’agissait pas là de couver d’un regard attendri quelconque « petit » moteur électrique que sa taille eût distingué intrinsèquement des grosses implantations des grandes firmes  [23]. Au demeurant, dans les pays où, tout à la fois, l’industrialisation fut sensiblement plus lente, moins présente au cœur de la quotidienneté, où demeuraient peut-être chez les ouvriers socialistes et surtout anarchistes des formes latentes de quasi-luddisme, la conversion fut peut-être plus lente. C’est ainsi, par exemple, que le fondateur du parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), Pablo Iglesias, affirmait, en 1896, que ce ne seraient pas les avancées de la technique qui amélioreraient la condition ouvrière, mais l’amélioration de l’ouvrier, grâce à la solidarité de classe, qui serait la condition des avancées de la technique  [24]. Sans doute, voyait-il lui aussi que « si avant c’était la mécanique et la vapeur, aujourd’hui [c’était] l’électricité qui conduisait le mouvement continu du progrès industriel ». Mais la constatation de la substitution ne valait pas adhésion sans réserve. Bien au contraire ; à ses yeux, le moteur électrique n’apporterait aucun gain véritable du point de vue de la « production scientifique et proportionnée [sic] » mais ajouterait plutôt, en raison de sa nature « contraire à la socialisation de la production », à « l’anarchie propre aux doctrines individualistes »  [25].

19 Précisément, en 1910, dans les chapitres de la seconde édition de son Champs, Usines et Ateliers consacrés à la petite industrie, Kropotkine insérait une description de la diffusion du petit moteur électrique en Angleterre, en France et même, dans une certaine mesure, en Allemagne. Ainsi, parmi bien d’autres, la description de l’industrie du peigne à Oyonnax ; 120 patrons employant de 2 à 15 ouvriers s’y consacrent et près de 1 200 personnes qui, par ailleurs, exploitent une parcelle de terre, y fabriquent des peignes, à domicile, grâce à l’électricité qui, produite par la chute d’eau voisine est distribuée dans le logement où elle met en mouvement de très petits moteurs (de ¼ CV à 12 CV)  [26]. L’électricité était ainsi en train de réconcilier l’agriculture et l’industrie « brouillées par les moteurs hydrauliques, la vapeur, le machinisme  [27] ». Kropotkine voulait y voir l’un des « signes qui nous permettent de prévoir qu’un changement dans le sens indiqué trouverait les éléments nécessaires pour s’accomplir  [28] ».

20 De quel sens s’agit-il ? Depuis longtemps déjà, Kropotkine s’efforçait de proposer à l’anarchisme un corps de doctrine qui rompît clairement avec les errements nihilistes tout en continuant à s’opposer à la fascination économiciste des dirigeants socialistes  [29]. Plus que concept global, véritable Weltanschaung, l’« entraide » était proposée comme mode d’organisation de la production et des échanges  [30]… et le moteur électrique lui parut pouvoir en représenter sinon l’expression en tous les cas le moyen. Il n’est à cet égard que de savourer son évidente satisfaction lorsque, par exemple, à propos de la situation d’Oyonnax évoquée plus haut, il livre au lecteur l’information selon laquelle 300 des 1 200 ouvriers à domicile seraient d’anciens salariés.

21 Sans doute Kropotkine n’est-il point ni aveugle, ni naïf. Il prend soin de rappeler que si la petite industrie n’est point « surannée », son développement contemporain s’accomplit parallèlement, et malheureusement, à l’essor prodigieux de la grande. Il rappelle à plusieurs reprises dans l’ouvrage l’extrême misère de nombre de travailleurs à domicile, notamment dans le textile. Mais il note en contrepoint que les travailleurs à domicile dans l’horlogerie par exemple vivent plutôt bien ; et quelle belle démonstration que l’abolition du salariat — support théorique en même temps qu’aspiration sociale et politique fondamentale du mouvement ouvrier dans son ensemble — est non seulement désirable mais également possible…  [31]

22 En ce sens, à toutes les pensées de l’associationnisme — qu’il fût de lignée « anarchiste », « républicaine-solidariste »  [32] ou qu’il voulût se situer quelque part au sein des improbables synthèses qui tentaient alors d’éclore  [33] —, le petit moteur électrique offrait littéralement matière à argumentation. Pour les uns, il s’agissait bien de l’illusoire possibilité de l’émancipation par la technologie accessible à tous les travailleurs, pour les autres, sans que cette dimension soit exclue, il apparaissait plutôt comme un outil solide d’harmonie sociale. En tous les cas, cet objet technique paraissait pouvoir « réaliser » l’idée. Non seulement en vertu des qualités techniques propres du moteur lui-même, mais précisément, sur un autre registre, en référence aux vertus spécifiques de l’électricité elle-même : linéarité, instantanéité, quasi-immatérialité  [34]

Métaphores de la métamorphose

23 Significativement, nous semble-t-il, c’est une parabole électrique qui a servi à Jacques Lacan pour introduire « l’effet de réalité » dans son séminaire sur la relation d’objet :

24

« C’est à peu près comme si, ayant à s’occuper d’une usine hydraulique électrique qui est en plein milieu d’un fleuve […] quelqu’un se mettait, pour parler de ce qui se passe dans cette machine, à rêver au moment où le paysage était encore vierge et où les flots coulaient d’abondance. Or, c’est la machine qui est au principe de l’accumulation d’une énergie quelconque, en l’occasion cette force élec­trique, qui peut ensuite être distribuée et mise à la disposition. […] Dire que l’énergie était là dans le courant du fleuve […] ne veut rien dire, car l’énergie, en cette occasion, ne commence à nous intéresser qu’à partir du moment où elle est accumulée, qu’à partir du moment où les machines sont entrées en action. Sans doute sont-elles animées d’une propulsion qui vient du courant du fleuve, mais croire que le courant du fleuve est l’ordre primitif de l’énergie, confondre avec une notion de l’ordre du mana cette chose d’un ordre bien différent qu’est l’énergie, et même qu’est la force, vouloir à toute force retrouver dans quelque chose ce qui serait là de toute éternité la permanence de ce qui est accumulé à la fin comme l’élément de Wirkung (d’effet), de Wirklichkeit (de réalité) possible — cela ne peut venir à l’idée qu’à quelqu’un qui serait fou.  [35] »

25 Et pourtant, comme le dit Olivier Bomsel dans le récent ouvrage qu’il vient précisément de consacrer à l’économie immatérielle, et où il cite ce passage de Lacan, cette « folie […] qui nourrit les discours prophétiques sur Internet qui voient dans le réseau une forme de mana de la connaissance universelle existe  [36] ».

26 Elle puise, nous semble-t-il, dans toute une représentation énergéticienne (et en même temps très hostile à la « production » d’énergie, comme l’explique Lacan), dont on peut penser que la signification fut, d’une certaine façon, de réanimer, à la fin du XIXe siècle, les anciens fluides… convertis en flux. La production écrite en ce sens fut, durant les décennies encadrant le tournant du siècle, considérable, reconnue (Wilhem Ostwald obtient le prix Nobel en 1909). Il pouvait s’agir d’une heuristique : un système mécanique éliminant la notion de force ; une cosmologie considérant l’énergie et non la matière comme substance du monde physique  [37]. D’une poétique ; ainsi cet éloge de l’automobile, à front renversé — où celle-ci, « moteur » au sens de mouvement « recrée ce que la vapeur a détruit » :

27

« Nous ne voulons et ne pouvons renoncer aux conquêtes scientifiques qui ont bouleversé notre existence, mais nous refusons d’être uniquement des esclaves au service de la technologie […] On parle volontiers de la révolution que l’automobile devrait susciter dans les transports. En un sens cependant cette révolution est surtout réaction. […] Car vous qui ne connaissez d’elle que le monstre feulant qu’on voit sur les routes, l’engin à explosion qui répand terreur et puanteur, sème l’affolement parmi les équipages et la mort dans les basses-cours ; vous qui ne voyez en elle qu’un Moloch sur pneus, engloutissant les kilomètres pour les rejeter en fumeuses déjections de poussières souillées d’essence ; vous qui la considérez comme la machine par excellence, qui incarne la dernière folie up to date, à savoir la folie de la vitesse, vous ne la connaissez pas […] Car le sens de l’automobile n’est pas de damer le pion au chemin de fer en battant ses records. Le sens de l’automobile, c’est la liberté et la conscience de soi. Elle est la résurrection de la diligence et de toute sa poésie.  [38] »

28 D’une politique enfin, bien entendu : ainsi du botaniste et sociologue britannique, influencé tant par Herbert Spencer que par Frédéric Le Play, Patrick Geddes, dont le projet de réforme sociale par le Town Planning[39] voulait substituer aux villes monstrueuses et à leurs crassiers qu’avaient créés la vapeur et la mécanique (l’économie « paléotechnique » dira l’un de ses lecteurs, Lewis Munford, dans les années 1930) une organisation urbaine soigneuse… régénérée par la « néotechnique » que pouvait laisser espérer un bon usage de l’énergie électrique  [40].

D’une illusion, l’autre : la révolution informationnelle contre le capitalisme industriel ?

29 Le discours sur la radicalité de l’innovation sociale dont serait porteuse l’innovation technique ne date point de l’apparition des micro-ordinateurs et d’Internet. On peut, à loisir, distinguer une « troisième » révolution industrielle — la révolution informationnelle — comme on a pu en distinguer une « seconde » — la révolution électrique  [41]. On peut vouloir, en outre, réfuter le caractère « industriel » de celle-là, puisque société « post »-industrielle il y aurait. Or, ce qui n’était que prospective, sinon espérance, dans l’ouvrage de 1973 de Daniel Bell  [42], est devenu simple constat, ne souffrant aucune discussion  [43], dans les manuels, sous la plume de nombre de chercheurs et dans les propos des politiques et décideurs de toute nature ; au mieux, une évocation descriptive fondée sur quelques statistiques sur l’emploi vaudrait analyse. En fait, ce qu’annonçait Bell serait advenu ; pourtant, dès 1969, l’ouvrage d’Alain Touraine  [44] ne s’embarrassait pas dans son titre des mêmes précautions que celui de Bell.

30 C’est qu’à l’inverse de la sociologie fonctionnaliste, clinique en quelque sorte, et éminemment conservatrice de Bell (c’était l’auteur en 1959 de La fin des idéologies), celle de Touraine voulait prendre toute sa place dans le champ de la nouvelle gauche dont il devint l’une des figures majeures. Que chez Touraine l’anticipation désirante s’articulât à la critique de la société existante, rien de surprenant : on s’inscrivait là dans une lignée progressiste bi-séculaire au moins. Ce qui, plus de quarante ans plus tard, en revanche, retient l’attention, c’est l’art et la manière — et la fortune de la formule, passée dans le domaine public en quelque sorte. Au point de départ d’une nombreuse lignée. Comment expliquer cette bonne fortune ? De quoi s’est-il bien pu s’agir ?

31 En premier lieu, comme annoncé, d’une critique de la société indus­trielle : de l’aliénation des hommes, des hommes au travail entre autres et (une fois encore) des salariés en particulier (cf. les autres ouvrages de Touraine et ceux contemporains de Serge Mallet, plus tard sur un registre plus philosophique ceux d’André Gorz, etc.) ; et, de plus en plus à partir de la fin des années 1970, des « ravages écologiques » induits, que ce soit sur le ton du lamento ou sur celui de la prise en considération « objective » (les « externalités négatives » des économistes) ; enfin, articulée aux deux premières, d’une critique de la « big technology », de la technoscience, etc. Cependant, s’en tenir à ce registre critique comporte le risque d’être compté parmi les réactionnaires, les nostalgiques de la société pré-industrielle.

32 C’est là, en deuxième lieu, qu’intervint le « post ». Nous ne saurions ici procéder à un état de l’art, tant la matière est fournie. Suggérons simplement que la rhétorique du post repose, d’une part, sur une juxtaposition chronologique des situations et qu’en ce sens, en ignorant toute généalogie, elle témoigne d’une conception quelque peu a-historique du monde et des choses ; que, d’autre part, l’usage du post fonctionne comme un piège rhétorique en assimilant au passéisme ou à la réaction toute réticence à (re)connaître ce qui advient. Mais qu’est-ce qui serait advenu ou serait en train d’advenir ?

33 C’est à ce niveau que l’on trouve le troisième étage de l’édifice : la société industrielle serait davantage même que le fondement du capitalisme ; en faire la critique vaudrait critique du capitalisme. Plusieurs appartements se côtoient à cet étage : nous ne saurions en faire un inventaire exhaustif. Considérons-en quelques-uns seulement, parmi ceux qui abritent la volonté d’un véritable changement du « paradigme technique global ». À grands traits, les innovations techniques de la fin du XXe siècle, les si fameuses NTIC, ne procéderaient point d’une simple évolution du capitalisme industriel. Bien au contraire, puisque nous avons vu que l’on se situait désormais après l’âge industriel. À ce compte, ces techniques, résolument « nouvelles » et immatérielles ou presque, et en ce sens débarrassées de la gangue qui collait aux « vieilles » techniques, contraintes à l’extraction des matières premières, à la transformation de celles-ci et à la mise au travail de millions d’hommes au profit de quelques-uns — le capitalisme classique, historique — ouvriraient une ère… nouvelle. En métamorphosant les formes d’accumulation du capital et d’organisation de la production — la « fin du fordisme » et des grandes entreprises concentrées et hiérarchisées  [45] —, elles auraient créé les conditions d’une véritable mutation sociale, « sociétale », voire anthropologique : la société en réseaux, celle de « l’accès  [46] », de la désagrégation des vieilles coercitions économiques, sociales et politiques et du surgissement de nouvelles potentialités portées par « l’économie informationnelle » et l’esprit libertaire de la « multitude »  [47], le temps du « capitalisme cognitif »…  [48]

34 Soit ! Et pourtant, force est de constater que le capitalisme ne s’est point dissipé, comme désagrégé sous l’effet de ces métamorphoses annoncées, décrites et attendues. Sans doute n’est-il point le même aujourd’hui qu’en 1970-1975 ; mais rien qui ne puisse surprendre : celui des années 1910 était bien au moins aussi différent de celui des années 1870. Les « formes » du capitalisme contemporain seraient-elles moins lisibles  [49] ? On a vu combien une lecture de l’évolution du capitalisme à la Belle Époque à partir de la seule considération de la révolution technologique pouvait nourrir d’illusions sur la portée sociale du phénomène. Ainsi, parier sur un « retour » généralisé au travail à domicile (comme aujourd’hui sur le « télé-travail ») — que ce fût dans le but de préserver un ordre social déstabilisé ou avec l’ambition contraire d’accomplir par ce moyen la subversion souhaitée — signifiait réduire l’analyse critique à la critique désirante. En histoire, les bonnes intentions ne sauraient suffire. Les incantations pas davantage : affirmer que la théorie de la valeur-travail serait obsolète  [50] c’est assimiler, comme le rappelle justement Jean-Marie Harribey, valeur d’échange et valeur d’usage et confondre richesse et valeur  [51]. C’est par là même, fût-ce au corps défendant de l’analyste, faire droit au discours dominant, précisément celui des thuriféraires du capitalisme — celui de toujours ! — dans ses modalités contemporaines  [52]. Refuser de voir dans le travail la source possible d’une création de richesse, mais n’y voir que la forme majeure de domination  [53] qui, à ce compte, devrait être vouée à disparaître (voir le titre de l’immense succès de librairie de Jeremy Rifkin), c’est, au mieux, passer au travers du miroir  [54], sinon témoigner d’une mise à distance non seulement du travail… mais des travailleurs. Il y a là une opération idéologique de mise à distance sociale qui n’est pas sans rappeler à l’historien, l’entreprise du clerc Adalbéron de Laon que nous a contée Georges Duby dans Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme [55].

35 Aujourd’hui comme il y a un siècle, la rhétorique prophétique — le discours du « post » — se construit dans sa globalité sociale, pour une large part sur l’interprétation de l’innovation technique : qu’il s’agisse de considérer, positivement, la « dynamique de l’innovation » comme constitutive de la société  [56] ou d’expliquer les mutations qui font « vaciller les fondements » mêmes de celle-ci  [57]. Comme alors, le petit moteur électrique Internet serait tout à la fois signal, facteur et conséquence de l’avènement d’une réalité sociale « nouvelle ». Comment comprendre autrement nombre d’analystes, parmi les meilleurs esprits du temps qui, alors même qu’ils se proposent, dans une démarche critique, de dénoncer « l’illusion » d’un système économique et de domination sociale éminemment technique, et (dis)qualifié pour la circonstance de productiviste, font reposer certaines de leurs espérances sur la généralisation de dispositifs (quasiment au sens de Michel Foucault) supposant, précisément, une haute technicité de procédés ; ainsi René Passet qui déclarait :

36

« Si comme on peut le prévoir, ce système [les logiciels libres, Linux] se généralise, l’information va enfin véritablement retrouver sa véritable dimension de bien commun universel, appropriable par tous.  [58] »

37 Nous pourrions à l’envi multiplier les propos de ce type, où se mêlent description et prédiction.

38 Espérer, comme Kropotkine au début du siècle, une extinction du capitalisme par dilution, grâce à la disparition de l’usine au profit d’unités de production et d’échange de ressources autogérées et autosuffisantes  [59], c’est renoncer, malgré les postures  [60], à vouloir sa disparition. C’est d’une certaine manière verser dans ce que Jacques Rancière appelle la « version mélancolique du gauchisme », dont il dit qu’elle « se nourrit de la double dénonciation du pouvoir de la bête et des illusions de ceux qui la servent en croyant la combattre  [61] ». Si comme l’a dit Jean Jaurès, « quand les hommes ne peuvent plus changer les choses, ils changent les mots  [62] », confondre la « nouvelle peau » du capitalisme — au mieux donc une métamorphose — avec un nouvel animal, c’est en fait renoncer à « faire la peau » à l’ancien, toujours vivant.


Date de mise en ligne : 17/06/2015

https://doi.org/10.3917/lhs.193.0137

Notes

  • [1]
    LÉNINE, « Ce que sont les “ amis du peuple ” et comment ils luttent contre les social-démocrates », 1894, Œuvres, t. 1, p. 143-360, Moscou-Paris, Éditions du Progrès-Éditions Sociales, 1958, et « Discours au 2e Congrès des soviets des députés-paysans de Russie, 2(15) décembre 1917 », Œuvres, t. 26, p. 375-378, Moscou-Paris, Éditions du Progrès-Éditions Sociales, 1961.
  • [2]
    Lazare WEILLER, la Revue des Deux Mondes, 1898, cité par Fabienne CARDOT, in François CARON et Fabienne CARDOT (dir.), Histoire générale de l’électricité en France, t. 1 : Espoirs et conquêtes, Paris, PUF-AHFE, 1991, p. 465.
  • [3]
    Nous ne saurions nous risquer à présenter ne serait-ce qu’une esquisse de l’imposante bibliographie sur le thème : mentionnons seulement l’un des ouvrages-clefs, la somme de Manuel CASTELLS, L’ère de l’information, Paris, Fayard, t. 1 : la société en réseaux, 1998, t. 2 : Le pouvoir de l’identité, 1999, t. 3 : Fin de millénaire, 1999. Le premier volume surtout fut sans doute l’un des textes qui contribua le plus efficacement à l’établissement du « paradigme informationnel » comme description et explication globales des mutations à l’œuvre à la fin du XXe siècle.
  • [4]
    Dans une mise au point indispensable, Alain GRAS (Les macro-systèmes techniques, PUF, « Que sais-je ? », 1997), montre comment « le réseau ne doit en aucun cas être confondu avec le système » (p. 6).
  • [5]
    Au sens de Maurice GODELIER, L’idéel et le matériel, Paris, Fayard, 1984.
  • [6]
    Alain BELTRAN et Patrice A. CARRÉ, La fée et la servante. La société française face à l’électricité, Paris, Belin, 1991, p. 122.
  • [7]
    In La Revue industrielle, 1871, cité in Alain BELTRAN et Patrice A. CARRÉ, La fée et la servante. La société française face à l’électricité, op. cit., p. 120.
  • [8]
    Girolamo RAMUNNI, in François CARON et Fabienne CARDOT (dir.), Histoire générale de l’électricité en France, op. cit., p. 335.
  • [9]
    Louis FIGUIER, Les nouvelles conquêtes de la science. Les merveilles de l’électricité, Paris, 1883.
  • [10]
    Statistiques de la Compagnie parisienne de distribution d’électricité, 1912, cité in Alain BELTRAN et PATRICE A. CARRÉ, La fée et la servante. La société française face à l’électricité, op. cit., p. 123.
  • [11]
    Monique PEYRIÈRE, « Un moteur électrique pour la machine à coudre : une innovation dans l’impasse », Bulletin d’histoire de l’électricité, 19-20, 1992, p. 73-86.
  • [12]
    Henri MORSEL, « Les freins à l’adoption du moteur électrique, à ses origines, en France », Bulletin d’histoire de l’électricité, 16, 1990, p. 9-24.
  • [13]
    Alain BELTRAN et PATRICE A CARRÉ, La fée et la servante. La société française face à l’électricité, op. cit., p. 119.
  • [14]
    Albert AFTALION, Le Développement de la fabrique et le travail à domicile dans les industries de l’habillement, Paris, Sirey, 1906, p. 207.
  • [15]
    M. MANGINI (administrateur de la Compagnie électrique de la Loire), La transformation du travail par le moteur électrique, 1904, p. 14, cité par Brigitte REYNAUD, « L’électrification de l’industrie textile et l’entrée des femmes à l’atelier : l’exemple de la rubanerie stéphanoise », Bulletin d’histoire de l’électricité, 19-20, 1992, p. 55-98, p. 56.
  • [16]
    M. MANGINI, La transformation du travail par le moteur électrique, op. cit., p. 15.
  • [17]
    Charles LEPROUX, Monographie du passementier stéphanois : agonie, causes et remèdes, Saint-Étienne, Imp. Générale, 1909, cité par Brigitte REYNAUD, in « L’électrification de l’industrie textile et l’entrée des femmes à l’atelier : l’exemple de la rubanerie stéphanoise », art. cit., p. 58.
  • [18]
    Brigitte REYNAUD, « L’électrification de l’industrie textile et l’entrée des femmes à l’atelier : l’exemple de la rubanerie stéphanoise », op. cit., p. 56.
  • [19]
    M. MANGINI, La transformation du travail par le moteur électrique, op. cit., p. 17.
  • [20]
    Type de l’ouvrier qualifié forte tête, rétif à la discipline de l’usine et prêt à chaque instant à claquer la porte au nez de son patron, bien connu grâce au portrait, à charge, qu’en dressa Denis POULOT, lui-même ancien ouvrier devenu petit patron, Le sublime ou le travailleur comme il est en 1870 et ce qu’il peut être, [1869], introduction par Alain Cottereau, Paris, François Maspéro, 1970.
  • [21]
    L’enquête parlementaire de 1904 sur les industries textiles révèle une proportion de 4/5e de femmes sur la totalité des emplois textiles, qu’elle lie au « remplacement des hommes par les femmes est le résultat de la diffusion de la force motrice domicile » : Brigitte REYNAUD, « L’électrification de l’industrie textile et l’entrée des femmes à l’atelier : l’exemple de la rubanerie stéphanoise », art. cit., p. 64.
  • [22]
    Alain BELTRAN et Patrice A. CARRÉ (La fée et la servante. La société française face à l’électricité, op. cit., p. 120) évoquent en ce sens une lettre du vieil Engels, mais sans donner les références.
  • [23]
    Bien au contraire. Au prix d’une instrumentalisation de la dialectique, ces derniers verraient dans le développement de la mécanique et du machinisme global — bien que responsable tant de la surproduction que du chômage — une tendance à la suppression de la division du travail née de la première phase industrielle, à la socialisation de l’économie (concentration de la propriété) et à la réduction des inégalités grâce à l’élévation matérielle de la production, soit, en somme, une progression vers la société sans classes.
  • [24]
    Pablo IGLESIAS, « Progreso Maquinista », La Lucha de Clases, 20 juin 1896, Bilbao, cité in Norberto IBÁÑEZ ORTEGA, Gigantismo industrial. Racionalización y productivismo de entreguerras en la Ría de Bilbao, Madrid, Catarata, 2011, p. 25.
  • [25]
    Pablo IGLESIAS, « Los Altos Hornos de Vizcaya »,  La Lucha de Clases, 7 avril 1904, cité in Antonio ELORZA et María del Carmen IGLESIAS (dir.), Burgueses y proletarios. Clase obrera y reforma social en la Restauración, Barcelone, Laia, 1973, p. 280.
  • [26]
    Pierre KROPOTKINE, Champs, Usines et Ateliers ou l’industrie combinée avec l’agriculture et le travail cérébral avec le travail manuel, éd. fr. Paris, Stock, 1910, p. 277.
  • [27]
    Ibidem, p. 212.
  • [28]
    Ibid., p. 218.
  • [29]
    Bien que sommaire, cette interprétation du marxisme comme un économicisme fut largement partagée et bien au-delà des critiques libertaires du type de celle de Kropotkine ; il est vrai que ces critiques pouvaient trouver matière tant dans les écrits (chez Kautsky par exemple) que dans les pratiques des dirigeants socialistes : pour une critique marxiste contemporaine d’un certain « économisme » marxiste, cf. notamment Karl KORSH, Marxisme et philosophie [1ère éd. Munich, 1923], rééd. fr., Paris, Allia, 2012.
  • [30]
    Pierre KROPOTKINE, L’entraide, un facteur de l’évolution, trad. fr., Paris, Hachette, 1904.
  • [31]
    Cf. dans ce dossier, l’article de Claude Didry et de Florent Le Bot (Ndlr).
  • [32]
    Alexandre FERNANDEZ, « Réseaux techniques et solidarités : des liaisons à préciser », in Pierre GUILLAUME, Les solidarités. Le lien social dans tous ses états, Pessac, MSHA, 2001, p. 475-489.
  • [33]
    Alexandre FERNANDEZ, « Adrien Marquet et la modernité électrique : ordre, autorité… électricité ? », Bulletin d’histoire de l’électricité, numéro spécial « Utopies et électricité », 2000, 35, p. 123-131.
  • [34]
    Alexandre FERNANDEZ, « Des villes inodores ? Des représentations de l’urbanité au XXe siècle », in Odeurs et parfums, 121e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Nice, 1998, Paris, Éd. du CTHS, 1999, p. 21-28.
  • [35]
    Jacques LACAN, Le Séminaire, livre IV : La relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p. 45.
  • [36]
    Olivier BOMSEL, L’économie immatérielle. Industries et marchés d’expériences, Gallimard, « Essais », 2010, p. 126.
  • [37]
    Abel REY, L’énergétique et le mécanisme du point de vue de la connaissance, Paris, Alcan, 1907.
  • [38]
    Otto Julius BIERBAUM, Eine empfindsame Reise im Automobil, Munich, Georg Muller, 1903, p. 266, cité in Claude QUIGUER, Femmes et machines de 1900. Lecture d’une obsession Modern Style, Paris, Klincksieck, 1979, p. 322-323.
  • [39]
    Patrick GEDDES, Cities in Evolution, Londres, Williams and Norgate, 1915, éd. fr., Paris, Temeros, 1994.
  • [40]
    Lewis Mumford souligne que « dans le même temps l’effet de ses améliorations néotechniques » allait être renforcé par la pratique de l’asepsie dans les opérations chirurgicales, les progrès en bactériologie et des inventions comme la radio. The City in History, trad. fr. : La Cité à travers l’histoire, Seuil, 1964, p. 598.
  • [41]
    Il ne saurait être question d’en débattre ici. Sur le concept de révolution scientifique et technique tel qu’élaboré par Radovan Richta et présenté en France dans trois articles majeurs dans L’homme et la société : « Révolution scientifique et technique et transformations sociales », 1967, 3, p. 83-103 ; « La révolution scientifique et technique et les choix offerts à la civilisation moderne », 1968, 9, p. 29-53 ; « La dialectique de l’homme et de son œuvre dans la civilisation moderne », 1969, 13, p. 39-57, une présentation dans A. FERNANDEZ, « Sur le ‘développement des forces productives’ : la révolution scientifique et technique de Radovan Richta au cœur des années 1960 », communication inédite lors du colloque « Actualité de la pensée de Marx », Bordeaux, 2013.
  • [42]
    Daniel BELL, The Coming of Post-Industrial Society. A Venture in a Social Forecasting, New-York, Basic Books, 1973, trad fr. : Vers la société post-industrielle, Paris, Robert Lafont, 1976.
  • [43]
    Au début des années 1960 encore, les débats portant sur la nature et l’avenir de la (des) société(s) technique(s) et industrielle(s), de part et d’autre de l’Atlantique n’avaient point paru trancher aussi fermement en ce sens : que l’on compare, par exemple et pour ne s’en tenir qu’à la France, Ellul, Aron et Jouvenel.
  • [44]
    Alain TOURAINE, La société post-industrielle. Naissance d’une société, Paris, Denoël, 1969.
  • [45]
    Luc BOLTANSKI et Ève CHIAPELLO, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.
  • [46]
    Jeremy RIFKIN, L’âge de l’accès, trad. fr., Paris, La Découverte, 2000.
  • [47]
    Michael HARDT et Antonio NEGRI, Empire, Paris, Exils, 2000.
  • [48]
    Carlo VERCELLONE, « Mutations du concept de travail productif et nouvelles formes de répartition », in Carlo VERCELLONE, Sommes-nous sortis du capitalisme industriel ?, Paris, La Dispute, 2003, p. 249-272 : « ces métamorphoses font que la source de la ‘richesse des nations’ se déplace aujourd’hui de plus en plus en amont de l’activité des entreprises. C’est de plus en plus en amont de la sphère du ‘travail salarié et de l’univers marchand’, dans la société et notamment dans le système de formation et de recherche, que se trouve la clé de la productivité et du développement de la richesse sociale (p. 260).
  • [49]
    Quynh DELAUNAY et Jean-Claude DELAUNAY, Lire le capitalisme contemporain. Essai sur la société du XXIe siècle, Pantin, Le temps des cerises, 2007.
  • [50]
    Patrick DIEUAIDE, « Quand le capitalisme dit adieu à la valeur-travail », in Jean-Claude DELAUNAY (dir.), Le capitalisme contemporain. Questions de fond, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 17-40.
  • [51]
    Jean-Marie HARRIBEY, « Richesse et valeur : un couple qui ne fait pas bon ménage », L’homme et la société, 156-157, avril-septembre 2005, p. 27-43.
  • [52]
    Jean-Marie HARRIBEY, La richesse, la valeur et l’inestimable. Fondements d’une critique socio-écologique de l’économie capitaliste, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2013.
  • [53]
    Moishe POSTONE, Temps, travail et domination sociale, trad fr., Paris, Mille et une nuits, 2009 : « la théorie de Marx doit être comprise non pas tant comme une critique du capitalisme faite du point de vue du travail mais plutôt comme une critique du travail sous le capitalisme » (p. 19).
  • [54]
    Matthieu MONTALBAN, « De la place de la théorie de la valeur et de la monnaie dans la Théorie de la Régulation », Revue de la régulation, Capitalisme, institutions, pouvoirs, 12, septembre 2012.
  • [55]
    Durant la première moitié du XIe siècle, Adalbéron, évêque de Laon, procéda (avec quelques autres) à un exercice rhétorique de substitution à l’ancienne distinction libres/esclaves, qui peinait à rendre compte d’une réalité assurément plus complexe, d’une « tripartition » hiérarchique entre ceux qui prient, ceux qui combattent et… ceux qui travaillent ; l’opération idéologique qui témoignait d’une alliance renforcée entre le pouvoir et les clercs prit corps par la suite dans les institutions ; Georges DUBY, Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 1978.
  • [56]
    François CARON, La dynamique de l’innovation. Changement technique et changement social (XVIe-XXe siècle), Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 2010.
  • [57]
    Manuel CASTELLS, La société en réseaux, op. cit., quatrième de couverture.
  • [58]
    René PASSET, L’illusion néo-libérale, Paris, Fayard, 2000, p. 193.
  • [59]
    Cf. la récente analyse critique de Matthieu HÉLY et Pascale MOULÉVRIER, L’économie sociale et solidaire : de l’utopie aux pratiques, Paris, La Dispute, 2013.
  • [60]
    Jean-Pierre GARNIER, « ‘Plus radical que moi tu meurs !’ À propos des critiques de la valeur », Revue Espaces-Marx, 31, 2011-2012, p. 111-117
  • [61]
    Jacques RANCIÈRE, « Les mésaventures de la pensée critique », in Le Spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008.
  • [62]
    Discours au Congrès socialiste international, Paris, 23-27 septembre 1900, Genève, Minkoff Reprint, 1980, p. 127, cité par Jean-Marie HARRIBEY, in La richesse, la valeur et l’inestimable : Fondements d’une critique socio-écologique de l’économie capitaliste, op. cit., p. 303.

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