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Article de revue

Islam (im)politique et quartiers (im)populaires. Retour critique sur les émeutes de novembre 2005

Pages 89 à 129

Notes

  • [1]
    Cf. Alexandre Piettre, « Les “grandes émotions” de novembre 2005. Perspectives pour un résistible nouvel échec politique à gauche », Mouvements, 43, 2006, p. 122-130. Parler d’« émotions » nous permet d’inscrire les événements de novembre 2005 dans le temps long des révoltes populaires, sans avoir à choisir entre les termes « émeute » et « révolte » et conférer à l’un ou l’autre le pouvoir illusoire de qualifier ou disqualifier politiquement, étant entendu que les deux termes dénotent une absence de révolution, c’est-à-dire de changement de régime. À la suite de l’historien Jean Nicolas, on peut à bon droit les qualifier aussi de « rébellions » pour souligner leur air de famille avec le répertoire d’action collective d’Ancien Régime (cf. Jean Nicolas, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1161-1789), Paris, Gallimard, 2008). Mais on y perdrait ce que le terme « émotion » dénote, à savoir le rôle fondamental des affects dans leur déclenchement, et ce que ce terme permet de souligner du côté de l’économie morale mise en jeu lors des événements de novembre 2005 et qui les distingue des rébellions récurrentes dans les banlieues. La seule expression que nous récusons pour qualifier ces événements, parce qu’elle leur dénie toute dimension politique, est celle de « violences urbaines ».
  • [2]
    Cf. Nacira Guénif-Souilamas (dir.), La République mise à nu par son immigration, Paris, La Fabrique, 2006.
  • [3]
    Cf. Emmanuel Brenner (dir.), Les territoires perdus de la République. Antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire, Paris, Mille et une nuits, 2002.
  • [4]
    Cf. Francisco Naishtat, « Les traces de la psychanalyse dans la théorie de la connaissance historique. Destin et délivrance dans les Passages benjaminiens (Passagen-Werk) », UTCP Booklet 1, Philosophie et Éducation : Enseigner, apprendre. Sur la pédagogie de la philosophie et de la psychanalyse, 2008, p. 63-84, p. 66.
  • [5]
    Cf. Françoise Proust, L’histoire à contre-temps. Le temps historique chez Walter Benjamin, Paros, Cerf, 1994, p. 41. Sur ce concept d’« actualisation » du passé, cf. Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXe siècle. Le livre des passages, Paris, Cerf, 1989, p. 477.
  • [6]
    Traduction possible du concept de « Jetztzeit », ou « temps actuel », qui « cite » le passé « exactement comme la mode cite un costume d’autrefois », et surgissant du « continu de l’histoire ». Il s’oppose terme à terme au « temps homogène et vide » correspondant à « l’idée de progrès ». Cf. Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire », thèses XIII et XIV, in Michael Löwy, Walter Benjamin : Avertissement d’incendie. Une lecture des thèses « Sur le concept d’histoire », 2001, p. 100-103.
  • [7]
    L’alternative aurait été de confier les pleins pouvoirs à l’exécutif au regard de l’ensemble de la Nation avec l’article 16 de la constitution de la Ve République.
  • [8]
    Cf. Robert Castel, La discrimination négative. Citoyens ou indigènes ?, Paris, Seuil, 2007.
  • [9]
    Cf. Sadri Khiari, La contre-révolution coloniale en France, Paris, La Fabrique, 2009, p. 118-121, qui reprend la chronologie établie par le collectif « Les mots sont importants » (LMSI).
  • [10]
    Cf. Lucienne Bui Trong, Les racines de la violence. De l’émeute au communautarisme, Paris, Audibert, 2003, p. 63 sq.
  • [11]
    Un exemple parmi tant d’autres, d’une jeune femme de Clichy-sous-Bois en novembre 2005 : « C’était comme une boule, on savait que ça allait péter » (Libération du 11-11-2005).
  • [12]
    Cf. Charles Tilly, La France conteste de 1600 à nos jours, Paris, Fayard, 1986.
  • [13]
    Cf. Michel Offerlé, « Périmètres du politique et coproduction de la radicalité à la fin du XIXe siècle », in Annie Collovald et Brigitte Gaïti (dir.), La démocratie aux extrêmes. Sur la radicalisation politique, Paris, La Dispute, 2006, p. 247-268.
  • [14]
    Émeutiers interviewés respectivement dans Le Monde du 8 novembre 2005 et Le Parisien du 5 novembre 2005, et cités par Didier Lapeyronnie, in « Révolte primitive dans les banlieues françaises. Essai sur les émeutes de l’automne 2005 », Déviance et société, 30/4, 2006, p. 431-448, p. 443.
  • [15]
    Noté en janvier 2006 lors d’une enquête auprès des habitants du quartier pour le compte du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment.
  • [16]
    Pour ce dernier graffiti, cf. Didier Lapeyronnie, Ghetto urbain. Ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd’hui, Paris, Robert Laffont, 2008, p. 381. Mais notons qu’au regard de la réalité du sentiment antijuif dans les quartiers populaires, c’est bien la très grande rareté des actes antisémites qu’il convient de remarquer : selon le bilan chiffré du ministère de l’Intérieur, seules deux synagogues (à Pierrefitte et Garges) comptent parmi les dix-huit lieux de culte qui ont subi des dommages (cf. Le Monde du 2 décembre 2005).
  • [17]
    Didier Fassin, « Les économies morales revisitées », Annales. Histoire, Sciences sociales, 64/6, 2009, p. 1237-1266.
  • [18]
    Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle. Le livre des passages, op. cit., p. 475 [N1a, 1].
  • [19]
    Gérard Mauger, L’émeute de novembre 2005. Une révolte protopolitique, Paris, Éditions du Croquant, 2006, p. 148-149. Il n’évoque pas explicitement la jacquerie de 1358, mais la comparaison est fortement suggérée, ne serait-ce que par la première de couverture.
  • [20]
    Cf. Didier Lapeyronnie, « Révolte primitive dans les banlieues françaises. Essai sur les émeutes de l’automne 2005 », art. cit., p. 441, où il fait une comparaison avec la jacquerie de 1358.
  • [21]
    Gérard Mauger, L’émeute de novembre 2005. Une révolte protopolitique, op. cit., p. 126.
  • [22]
    Didier Lapeyronnie, « Révolte primitive dans les banlieues françaises. Essai sur les émeutes de l’automne 2005 », art. cit., p. 433 et 447.
  • [23]
    Cf. Alain Bertho, Le temps des émeutes, Paris, Bayard, 2009, p. 13 sq.
  • [24]
    Ibidem, p. 197.
  • [25]
    Ibid., p. 231.
  • [26]
    Cf. Arjun Appadurai, Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot, 2005.
  • [27]
    Alain Bertho, Le temps des émeutes, op. cit., p. 61.
  • [28]
    Giorgio Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ?, Paris, Rivages Poche, 2008, p. 22, cité par Alain Bertho, in Le temps des émeutes, op. cit., p. 44-45.
  • [29]
    Alain Bertho, Le temps des émeutes, op. cit., p. 228.
  • [30]
    Ibidem, p. 232.
  • [31]
    Cf. ibid., p. 14 sq.
  • [32]
    Cf. Yves-Marie Bercé, Croquants et nu-pieds. Les soulèvements paysans en France du XVIe au XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1991.
  • [33]
    Cf. Jean Nicolas, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1161-1789), op. cit., p. 53-54. Remarquons ici que les émeutes frumentaires sont des révoltes essentiellement urbaines, alors que les rébellions anti-étatiques sont autant urbaines que rurales. Quant à la défense des communaux (les « invasions de champs » de Charles Tilly), elle ne fait pas l’objet d’une rubrique particulière dans la typologie qu’il a élaborée, formant une bonne partie des rébellions antiseigneuriales qui représentent elles-mêmes 5 % seulement du total des « émotions » et/ou « séditions » de la période considérée.
  • [34]
    Charles Tilly, La France conteste de 1600 à nos jours, op. cit., p. 547-548.
  • [35]
    Cf. ibidem, p. 55 : à partir de 1660, soit après la Fronde, dernière grande révolte contre l’absolutisme dirigée par l’aristocratie.
  • [36]
    Cf. Jean Nicolas, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1161-1789), op. cit., p. 139.
  • [37]
    Cf. Yves-Marie Bercé, Croquants et nu-pieds. Les soulèvements paysans en France du XVIe au XIXe siècle, op. cit., p. 156 sq. Cette thèse, convaincante, mérite cependant cette précision pour être entendue : le pouvoir légitime de police et de justice pour les sujets des campagnes, bien que volontiers et régulièrement contesté, était attaché, identifié et localisé à la seigneurie. Le pouvoir de l’État central qui était concrètement et essentiellement exercé par les gardes des fermiers généraux, y était en revanche perçu comme fondamentalement étranger, intrusif et illégitime, au point qu’il était associé au brigandage. C’est, consécutive à la « réaction féodale », l’association à la peur du gabelou d’un pouvoir seigneurial qui ne se limite plus à sa dimension symbolique, à la police et à la justice de proximité, qui est à l’origine de sa perte. En effet, les rébellions antiseigneuriales sont restées peu nombreuses jusqu’au seuil des années 1760 : près de la moitié des 512 rébellions comprenant une dimension antiseigneuriale ont eu lieu après cette date, dont 122 pour la seule décennie 1780-1789, Grande Peur non comprise (cf. Jean Nicolas, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1161-1789), op. cit., p. 330).
  • [38]
    Papiers des bureaux fiscaux, terriers (recueil des titres seigneuriaux), girouettes et pigeonniers des châteaux qui symbolisaient les droits seigneuriaux, mais aussi bancs d’église réservés non seulement aux nobles, mais aussi à tous ceux qui pouvaient les louer. Cf. Yves-Marie Bercé, Croquants et nu-pieds. Les soulèvements paysans en France du XVIe au XIXe siècle, op. cit., p. 168 sq.
  • [39]
    La prise d’armes et la marche sur la ville sont des éléments-clefs de ce répertoire d’action. Cf. ibidem, p. 179 sq. : « Procureurs, notaires, avocats, sergents, huissiers, praticiens, gens de loi […]. Les paysans sont leurs débiteurs, leurs métayers, leurs redevables, leurs assujettis. » (p. 180).
  • [40]
    Cf. Richard Sennett, La chair et la pierre. Le corps et la ville dans la civilisation occidentale, Paris, Éditions de la Passion, 2002, p. 204-205.
  • [41]
    Selon le mot de Roederer, proche des Girondins, lorsque les sections parisiennes ont envahi les Tuileries le 20 juin 1792, et ont contraint Louis XVI à s’exhiber parmi les manifestants coiffé du bonnet phrygien : « le trône est encore debout mais le peuple s’y est assis ». Cf. Jean-Pierre Jessenne, Révolution et Empire, 1783-1815, Paris, Hachette, 1993, p. 105.
  • [42]
    Cf. Ernesto Laclau, La raison populiste, Paris, Seuil, 2008.
  • [43]
    Nous employons ici le mot « glèbe », qui veut dire « terre », comme métaphore des rébellions populaires récurrentes et spécifiques à la modernité, apparues originellement dans les campagnes, pour les différencier des formes spécifiques d’apparition de la plèbe urbaine sur la scène publique, qui remontent à l’Antiquité. Pour marquer la métaphore, nous emploierons toujours des guillemets pour désigner le type de rébellion que nous caractérisons avec le terme « glèbe ».
  • [44]
    Cf. Yves-Marie Bercé, Croquants et nu-pieds. Les soulèvements paysans en France du XVIe au XIXe siècle, op. cit., p. 192 sq.
  • [45]
    Cf. George Lefebvre, La Grande Peur de 1789 [1932], Paris, Armand Colin. Son analyse de cet événement, un classique de l’historiographie de la Révolution française, a été reprise par Michel Vovelle, in La Mentalité révolutionnaire, Paris, Éditions sociales, 1988.
  • [46]
    Cf. Sophie Wahnich, La longue patience du peuple. 1792. Naissance de la République, Paris, Payot, 2008, notamment p. 169-170 pour le développement qui précède.
  • [47]
    J’ai eu l’opportunité d’analyser des mobilisations politiques locales significatives avant la survenue des émeutes de 2005. Cf. Alexandre Piettre, « Entre l’urbain et le social, un espace politique ? Histoire et devenir du quartier de la Plaine du Lys à Dammarie-les-Lys à l’aune de la mobilisation politique de l’association “Bouge qui Bouge” », L’homme et la société, 160/161, 2007, p. 103-134 ; et Entre urbanité et communauté, la politisation de l’espace public urbain, Thèse de doctorat, CSPRP, Université de Paris 7, notamment le chapitre V sur l’expérience politique et électorale du “Kollectif” de Bondy et de la liste “Rebondir” à la faveur des élections municipales de mars 2001, 2010.
  • [48]
    Cf. Ernesto Laclau, La raison populiste, op. cit.
  • [49]
    Cf. Jacques Rancière, Le maître ignorant. Cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, Paris, Fayard, 1987.
  • [50]
    Comme je l’ai déjà noté, Walter Benjamin caractérise ainsi la temporalité associée à « l’idée d’un progrès de l’espèce humaine à travers l’histoire », en affirmant qu’elle est « inséparable » de l’histoire mise en récit par les vainqueurs (« Sur le concept d’histoire », Thèse XIII, in Michael Löwy, Walter Benjamin : Avertissement d’incendie. Une lecture des thèses « Sur le concept d’histoire », op. cit., p. 99-100).
  • [51]
    Cf. Jacques Rancière, La mésentente. Politique et philosophie, Paris, Galilée, 1995.
  • [52]
    J’entends ici que ces émeutes sont « anti-urbaines », au sens où elles ne témoignent pas de l’urbanité que les politiques urbaines ont pour visée de « produire ».
  • [53]
    Cf. Pierre Clastres, La société contre l’État, Paris, Éditions de Minuit, 1974.
  • [54]
    Cf. Michel Foucault, « Espace, savoir et pouvoir », Dits et écrits II, Paris, Gallimard, 2001, p. 1089-1104, p. 1091, où il note qu’à partir du XVIIIe siècle, « le modèle de la ville devient la matrice d’où sont produites les réglementations qui s’appliquent à l’ensemble de l’État ».
  • [55]
    Remarquons ici avec Jean Nicolas (La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1161-1789), op. cit.) la diversité des modes d’actions collectives qui se déploient en ville, les conflits multiples occasionnés par les humeurs de la plèbe contre les « patriciens », et leur faculté à interpeller et à remettre en cause les institutions : les révoltes antifiscales, comme dans les campagnes, se focalisent sur les commis des fermes qui prélèvent aussi bien les impôts indirects royaux que les octrois municipaux (dont sont exemptés les bourgeois), mais elles peuvent aussi, pour cette raison, nourrir des rébellions mettant en cause l’autorité municipale ; les émeutes de subsistance ont lieu principalement en ville où elles sont l’affaire des femmes, et elles aboutissent parfois à interdire ou taxer l’exportation des grains ; les conflits autour du travail, souvent liés à l’emploi ou au salaire, ressemblent beaucoup à ceux qui feront l’essentiel de l’expérience plébéienne aux XIXe et XXe siècles, et ils se multiplient à partir de 1760. La « glèbe » est quant à elle essentiellement concernée par les révoltes antifiscales, et s’oppose à un pouvoir abstrait, distant et dévorant qu’il lui arrive d’identifier nommément « au loup » (p. 118) : elle se révolte encore sous le second absolutisme sur un mode communautaire (paroissial) contre le prélèvement de l’impôt direct (la taille), mais le gros de ses révoltes antifiscales à partir de 1660 consistent en « rescousses » visant soit à libérer des contrebandiers, soit à récupérer des saisies de contrebande (« faux-sel », « faux-tabac » notamment) ; en plus de ces « rescousses », on peut lui attribuer la majeure partie des troubles occasionnés par la jeunesse (notamment les « charivaris » dégénérant en affrontements qui sont essentiellement un fait rural, voire de bourgs ou de faubourgs), et 20 % des émeutes de subsistance lors des périodes de soudure (au printemps, lorsque les greniers sont vides), principalement sous forme d’attaques concertées et armées de convois de grains ; et bien sûr les rébellions antiseigneuriales qui se multiplient à partir de 1760.
  • [56]
    Cf. Robert Fossier, Le Moyen-Âge, t. III, Le temps des crises, 1250-1520, Paris, Armand Colin, 1983, p. 109.
  • [57]
    Cf. Richard Sennett, La chair et la pierre. Le corps et la ville dans la civilisation occidentale, op. cit., p. 203.
  • [58]
    Cf. Matthieu Potte-Bonneville, « Poser le problème des manières d’exercer le pouvoir », entretien, in Politis du 17 novembre, 2005, p. 7-8.
  • [59]
    Cf. Charles Tilly, La France conteste de 1600 à nos jours, op. cit., p. 540-541. Il est revenu à la fin de sa vie sur cette intuition qui nous paraît pourtant fort juste (cf. Charles Tilly, « Ouvrir le répertoire d’actions », entretien, in Vacarme, 31, 2005).
  • [60]
    Cf. Denis Merklen, Quartiers populaires, quartiers politiques, Paris, La Dispute, 2009.
  • [61]
    Ainsi, ce sont essentiellement des affects hétérogènes qui lient l’exigence égalitaire de la plèbe parisienne qui a abouti au 14 juillet, avec pour origine un conflit focalisé sur les barrières d’octroi à partir du 7 juillet, et la Grande Peur (peur des « brigands », des « Anglois », des « Huguenots »…) provoquée par la prise de la Bastille, attribuée confusément à un complot aristocratique dans les campagnes : quoique la Grande Peur soit étrangère dans ses motivations explicites à la visée des insurgés parisiens, c’est pourtant en retour l’ébranlement qu’elle a provoqué qui précipite l’abolition des privilèges le 4 août.
  • [62]
    Cf. Michel Foucault, « Omnes et singulatim : vers une critique de la raison politique », Dits et écrits II, op. cit., p. 953-980.
  • [63]
    Cf. Martin Breaugh, L’expérience plébéienne. Une histoire discontinue de la liberté politique, Paris, Payot, 2007.
  • [64]
    Cf. Pierre Clastres, La société contre l’État, Paris, Éditions de Minuit, 1974.
  • [65]
    C’est ainsi que Didier Fassin qualifie le « gouvernement des corps » qui se traduit par des dispositifs de « biolégitimité », comme le sont notamment les régimes de « confession laïque » appliqués en matière d’action sanitaire et sociale où les corps sont invités à exposer leur souffrance pour obtenir une aide. Cf. Didier Fassin, « Le corps exposé. Essai d’économie morale de l’illégitimité », in Didier Fassin et Dominique Memmi (dir.), Le gouvernement des corps, Paris, Éditions de l’EHESS, 2004, p. 237-266. p. 242.
  • [66]
    Cf. Sidi Mohammed Barkat, Le corps d’exception. Les artifices du pouvoir colonial et la destruction de la vie, Éditions Amsterdam, 2005. Ce corps d’exception, c’est bien évidemment celui, ni étranger, ni citoyen, de l’indigène, et de ses multiples avatars aujourd’hui : le musulman trop « visible », le sans-papiers, le jeune de cité, etc.
  • [67]
    Je différencie ici anticolonial et décolonial au regard du contexte socio-historique dans lequel la lutte contre le système de domination structurée par les rapports sociaux de race se déploie : quand elle est anticoloniale, elle implique une affirmation nationale, mais en tant qu’elle relève d’un « nationalisme sans nation » (cf. Abdelmalek Sayad, La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil, 1999), elle est décoloniale. Anti- ou dé-coloniale, l’essentiel est que dans la mesure où la lutte implique que ses acteurs se racialisent, elle confère une dimension culturelle au mouvement social, les perspectives ouvertes par Alain Touraine (par exemple dans Critique de la modernité, Paris, Fayard, 1992) étant ici en partie convergentes avec les études postcoloniales (cf. notamment Dipesh Chakrabarty, Provincialiser l’Europe. La pensée postcoloniale et la différence historique, Paris, Éditions Amsterdam, 2009 ; et Homi K. Bhabba, Les lieux de la culture, Paris, Payot, 2007).
  • [68]
    Cf. Nacira Guénif-Souilamas, « La république aristocratique et la nouvelle société de cour », in Nacira Guénif-Souilamas (dir.), La république mise à nu par son immigration, Paris, La Fabrique-éditions, 2006, p. 7-38.
  • [69]
    Si on a souvent noté que les émeutes ne s’étaient étendues au-delà de Clichy et Montfermeil qu’après l’épisode de la grenade lancée sur la mosquée, et parfois posé la question de savoir si « l’incident de la mosquée a joué un rôle dans le passage de la première à la deuxième phase de l’émeute » (Laurent Mucchielli et Véronique Le Goaziou (dir.), Quand les banlieues brûlent… Retour sur les émeutes de novembre 2005, Paris, La Découverte, 2006, p. 15), peu, à ma connaissance, ont tenté de répondre à cette question, à l’exception notable de Marwan Mohammed qui est l’un des très rares sociologues à avoir mené une enquête de terrain au moment des émeutes (cf. infra), et de Michel Kokoreff (Sociologie des émeutes, Paris, Payot, 2008, p. 54-55), qui s’appuie sur les observations de Didier Fassin et mes propres analyses pour souligner que cette séquence a construit la légitimité et le cadre politique des émeutes qui ont suivi. Ce rôle décisif de la grenade lacrymogène lancée sur le seuil de la mosquée Bilal pour rendre compte du caractère exceptionnel de l’événement de novembre 2005 a été depuis clairement mis en évidence par Gilles Kepel, in Banlieue de la République. Société, politique et religion à Clichy-sous-Bois et Montfermeil, Paris, Gallimard, 2012.
  • [70]
    Cf. Michel Kokoreff, Sociologie des émeutes, op. cit., p. 54 et 62.
  • [71]
    Cf. Hugues Lagrange, « La structure et l’accident », in Hugues Lagrange et Marco Oberti (dir.), Émeutes urbaines et protestations. Une singularité française, Paris, Les Presses de Science Po, 2006, p. 105-130.
  • [72]
    Cf. Michel Kokoreff, Sociologie des émeutes, op. cit.
  • [73]
    Cf. Fabien Jobard, « Sociologie politique de la racaille. Les formes de passage au politique des “jeunes bien connus des services de police” », in Hugues Lagrange et Marco Oberti (dir.), Émeutes urbaines et protestations. Une singularité française, Presses de Sciences Po, 2006, p. 59-79 ; Laurent Mucchielli, « Il faut changer la façon de “faire la police” dans les “quartiers sensibles” », in Ouvrage collectif, Banlieue, lendemains de révolte, La Dispute, 2006.
  • [74]
    Cf. Thierry Oblet, Défendre la ville. La police, l’urbanisme et les habitants, Paris, PUF, 2008.
  • [75]
    La politique de la ville consistant, à l’origine, à promouvoir une politique d’empowerment des habitants (cf. Marie-Hélène Bacqué, L’empowerment, une pratique émancipatrice, Paris, La Découverte, 2013) et à inventer de nouvelles procédures d’action publique pour ce faire, son échec relatif a conduit nombre d’analystes à disqualifier la visée originelle de la politique au profit d’une visée néolibérale de réforme de l’État, soit pour la louer, soit pour la condamner. Mais, à l’origine, elle avait donné lieu à des évaluations contrastées au sein même de l’institution chargée de la conduire : celle plus que mitigée de Jean-Michel Belorgey, président du Comité national d’évaluation de la politique de la ville, dans le rapport d’évaluation provisoire non validé par le Comité qu’il produisit en 1993, où il critique notamment le flou des orientations et des procédures de la politique de la ville, la faiblesse de la participation des habitants et son incapacité à enrayer le phénomène de l’exclusion ; et celle, très positive, de Jacques Donzelot et Philippe Estèbe (L’État animateur. Essai sur la politique de la ville, Paris, Esprit, 1994) : membres de ce même Comité, ils ont célébré la politique de la ville comme levier de la modernisation de l’État. Rejoignant sur l’essentiel le point de vue du premier, la sociologie critique de la politique de la ville a cependant identifié cette dernière à la conception qu’en avaient Donzelot et Estèbe, contribuant ainsi à sa manière à la disqualification de l’évaluation de Belorgey et de la politique de la ville dans son ensemble. (Cf. à ce sujet la thèse de Renaud Epstein, Gouverner à distance. La rénovation urbaine, démolition-reconstruction de l’appareil d’État, Thèse de doctorat en sociologie, ENS de Cachan, 2008, p. 33-34.)
  • [76]
    Il s’agit des Zones Franches Urbaines mises en place en 1994 : en instaurant un même statut dérogatoire au plan de la fiscalité appliquée aux entreprises qui s’implantent dans les zones sensibles, en contrepartie d’un pourcentage d’embauches réalisées sur le territoire concerné, elles rompaient avec une politique de la ville congruente avec des démarches de développement local dans lesquelles l’État lui-même s’implique via ses services déconcentrés.
  • [77]
    Je pense principalement aux travaux de Gérard Chevalier, Sociologie critique de la politique de la ville. Une action publique sous influence, Paris, L’Harmattan, 2005 ; et de Sylvie Tissot, L’État et les quartiers. Genèse d’une catégorie de l’action publique, Paris, Seuil, 2007.
  • [78]
    Cf. notamment Stéphane Beaud et Michel Pialoux, « La “racaille” et les “vrais jeunes”. Critique d’une vision binaire du monde des cités », liens socio, [En ligne], mis en ligne le 30 novembre 2005. URL :
    http://www.liens-socio.org/article.php3?id_article=977.
    Consulté le 13 septembre 2009 ; Sylvie Tissot, L’État et les quartiers. Genèse d’une catégorie de l’action publique, op. cit.
  • [79]
    Cf. Gérard Mauger, L’émeute de novembre 2005. Une révolte protopolitique, Paris, Éditions du Croquant, 2006.
  • [80]
    Cf. par exemple Laurent Bonelli, « Les raisons d’une colère », Le Monde diplomatique, décembre 2005, ou bien l’article du Collectif « Les mots sont importants », « État de l’opinion ou opinion de l’État ? Quand Le Parisien manipule “l’opinion” en prétendant l’enregistrer », [En ligne], mis en ligne en novembre 2005. URL :
    http://www.lmsi.net/spip.php?article483. Consulté le 31 août 2009.
  • [81]
    Cf. notamment Didier Lapeyronnie, « L’académisme radical ou le monologue sociologique. Avec qui parlent les sociologues ? », Revue française de sociologie, 45/4, 2004, p. 621-651. Dans cet article, l’auteur tente de disqualifier politiquement les travaux des disciples de Bourdieu, notamment Sylvie Tissot, Franck Poupau, Frédéric Lebaron et Loïc Wacquant, en les accusant de pratiquer un autisme social et un refus de la démocratie, et de défendre en dernière instance leurs propres intérêts de classe moyenne.
  • [82]
    Cf. Philippe Cibois, « Parler entre sociologues », Socio-logos, n° 1, 2006 [En ligne], mis en ligne le 19 avril 2006. URL :
    http://socio-logos.revues.org/document16.html. Consulté le 31 août 2009.
  • [83]
    Cf. Jérôme Vidal, « Les formes obscures de la politique, retour sur les émeutes de novembre 2005. À propos de Gérard Mauger, L’émeute de novembre 2005 : une révolte protopolitique, Paris, Éditions du Croquant, 2006 », La Revue internationale des livres et des idées, 3, janvier-février 2008.
  • [84]
    Judith Butler, « Qu’est-ce que la critique ? Essai sur la vertu selon Foucault », in Marie-Christine Granjon (dir.), Penser avec Michel Foucault. Théorie critique et pratiques politiques, Paris, Karthala, 2005, p. 75-101, p. 75.
  • [85]
    Concept proposé par Denis Merklen, « Paroles de pierre, images de feu. Sur les événements de novembre 2005 », Mouvements, 43, 2006, p. 131-137. Pour une élaboration plus complète de ce concept et son articulation avec celui de sociabilité, cf. Denis Merklen, Quartiers populaires, quartiers politiques, op. cit.
  • [86]
    Cf. Alain Bertho, « Nous n’avons vu que des ombres », Mouvements, 44, 2006, p. 26-30, p. 28.
  • [87]
    Ibidem, p. 29.
  • [88]
    Ibid., p. 28.
  • [89]
    Voir son site internet personnel : http://berthoalain.wordpress.com/
  • [90]
    Cf. Roberto Esposito, « La perspective de l’impolitique », Tumultes, 8, 1996, p. 59-69 ; Catégories de l’impolitique, Paris, Seuil, 2005.
  • [91]
    Cf. Alain Bertho, « Nous n’avons vu que des ombres », art. cit., p. 181.
  • [92]
    Sur dix-huit lieux de culte endommagés pendant les émeutes, seuls deux étaient des synagogues (selon le bilan du ministère de l’Intérieur, in Le Monde du 2 décembre 2005).
  • [93]
    Cf. Alain Bertho, « Nous n’avons vu que des ombres », art. cit., p. 26.
  • [94]
    Cf. Alain Bertho, « Du “grondement de la bataille” à l’anthropologie du contemporain », Variations, 8, automne 2006, p. 17-27.
  • [95]
    Cf. Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy, « Le “retrait” du politique », in Ouvrage collectif, Le retrait du politique, Paris, Galilée, 1983, p. 183-200.
  • [96]
    Michel Foucault, « Face aux gouvernements, les droits de l’homme », 1994, p. 708, cité en exergue de la page d’accueil du site personnel d’Alain Bertho :
    http://berthoalain.wordpress.com/. Consulté le 5 février 2010.
  • [97]
    Alain Bertho, « Nous n’avons vu que des ombres », art. cit., p. 29-30.
  • [98]
    D’après une immersion ethnographique de deux journalistes plusieurs jours durant dans la cité 112 d’Aubervilliers, in Le Monde du 8 novembre 2005.
  • [99]
    Alain Bertho, « Bienvenue au XXIe siècle », in Ouvrage collectif, Banlieue, lendemains de révolte, Paris, La Dispute, 2006.
  • [100]
    Ibidem.
  • [101]
    Cf. à ce sujet Denis Merklen, Quartiers populaires, quartiers politiques, op. cit. : reprenant le concept de support d’individuation élaboré par Robert Castel pour l’État social, il montre, principalement à partir de l’exemple argentin, comment le local devient ce support à la place de l’État social quand celui-ci est remis en cause.
  • [102]
    Cf. Romain Bertrand, « Faire parler les subalternes ou le mythe du dévoilement », in Marie-Claude Smouts (dir.), La situation postcoloniale, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2007, p. 276-284. Ce titre fait référence à l’ouvrage de Gayatri Chakravorty Spivak, Les subalternes peuvent-elles parler ?, (Paris, Éditions Amsterdam, 2009), un des textes fondateurs des postcolonial studies. La prétention à faire parler les subalternes est une critique souvent adressée à l’encontre des postcolonial et subaltern studies, mais elle aurait plus de pertinence si elle était adressée d’abord aux sociologies « hégémoniques », qu’on pourrait qualifier génériquement de western studies, et à leurs difficultés à « accepter que les autres se regardent sans nous » (Florence Bernault, « Les barbares et le rêve d’Apollon », in Nicolas Bancel et al. (dir.), Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la société française, Paris, La Découverte, 2010, p. 159-177, p. 176). Cf. à ce sujet Laurence Roulleau-Berger (dir.), Sociologies et cosmopolitisme méthodologique, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2012.
  • [103]
    Alain Bertho, « Bienvenue au XXIe siècle », art. cit.
  • [104]
    Alain Bertho, « Nous n’avons vu que des ombres », art. cit., p. 28.
  • [105]
    Survenues après la mort de deux adolescents percutés par une voiture de police, elles ont été beaucoup plus violentes que toutes celles survenues jusque-là, mais ont été aussi intenses que brèves (trois nuits) et ne se sont pas étendues au-delà des communes immédiatement environnantes, contrairement à ce que l’on pouvait craindre ou escompter.
  • [106]
    Cf. Ernesto Laclau, La raison populiste, op. cit., p. 288.
  • [107]
    Cf. Michel Kokoreff, Sociologie des émeutes, op. cit., p. 260 sq., qui évoque à cet égard un « désenchantement final » (p. 268).
  • [108]
    Cf. Mathieu Rigouste, « La guerre à l’intérieur : la militarisation du contrôle des quartiers populaires », in Laurent Mucchielli (dir.), La frénésie sécuritaire. Retour à l’ordre moral et nouveau contrôle social, Paris, La découverte, 2008.
  • [109]
    À partir du 2 novembre, avec un dépôt de plainte et le recours à un avocat contre la police et l’ouverture d’une information judiciaire pour « non assistance à personne en danger » par le parquet. Cf. à ce sujet Michel Kokoreff, Sociologie des émeutes, op. cit., p. 56 sq.
  • [110]
    Cf. Fabien Jobard, « Ces conflits urbains à venir. À propos d’une mobilisation politique à Dammarie-lès-Lys [été 2002] », Esprit, décembre 2002, p. 152-162.
  • [111]
    Cf. Michel Kokoreff, Sociologie des émeutes, op. cit., p. 56 : après avoir souligné l’importance de la séquence de l’incident de la mosquée pour la construction de la légitimité et du cadre politiques des émeutes, il en tire argument pour dire que s’ils sont politiques, c’est donc que « les vrais enjeux sont ailleurs », c’est-à-dire en-dehors de la religion. Pour autant, le fait que l’islam ait pu être le support, et non certes la cause ou le motif, d’une mobilisation politique sans précédent de l’ensemble des quartiers populaires du pays peut légitimement, nous semble-t-il, circonscrire une vraie problématique de recherche, et ce d’autant plus qu’elle constitue pour les sciences sociales un enjeu majeur d’un point de vue épistémologique et herméneutique.
  • [112]
    Pour une critique du primordialisme comme modèle explicatif des violences « ethniques », cf. Arjun Appadurai, Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, op. cit., p. 205 sq.
  • [113]
    Cf. Richard Sennett, La chair et la pierre. Le corps et la ville dans la civilisation occidentale, op. cit., notamment p. 274. J’évoque ici les rites autant dans leur dimension la plus ordinaire avec Erving Goffman (Les rites d’interaction, Paris, Éditions de Minuit, 1974) en tant qu’ils cadrent les interactions dans lesquelles sont engagées les personnes (autour de l’enjeu de sauver la face), que dans leur dimension liminaire avec Victor W. Turner (Le phénomène rituel, Structure et contre-structure, Paris, PUF, 1990), en tant qu’ils manifestent l’opposition de la communitas à la société structurée et permettent à celle-ci de se renouveler.
  • [114]
    Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire », Thèse 1, dans la traduction proposée par Michaël Löwy, Walter Benjamin : Avertissement d’incendie. Une lecture des thèses « Sur le concept d’histoire », op. cit., p. 28. Il qualifie ainsi la théologie lorsqu’elle se met « au service » du matérialisme historique, c’est-à-dire au service d’une politisation de l’histoire, et non lorsqu’elle en tient lieu, contredisant de la sorte Carl Schmitt sur son propre terrain (cf. Jacob Taubes, En divergent accord. À propos de Carl Schmitt, Paris, Payot & Rivages, 2003).
  • [115]
    Cf. Alexandre Piettre, « Les “grandes émotions” de novembre 2005. Perspectives pour un résistible nouvel échec politique à gauche », art. cit. Une version améliorée et augmentée de cet article a été mise en ligne le 10 mai 2006. URL : http://www.csprp.univ-paris-diderot.fr/IMG/pdf/ap_-_version_longue_en_ligne_les_grandes_emotions_de_novembre_2005_-_mouvements_43_janvier_2006.pdf
  • [116]
    Cf. notamment Nacira Guénif, « Le balcon fleuri des banlieues embrasées », Mouvements, 44, 2006, p. 31-35.
  • [117]
    Cf. à ce sujet Marwan Mohammed, « Les voies de la colère : “violences urbaines” ou révolte d’ordre “politique” ? L’exemple des Hautes-Noues à Villiers-sur-Marne », Socio-logos [en ligne], 2007, n° 2. URL : http://socio-logos.revues.org/document352.html (consulté le 11 juillet 2007). Marwan Mohammed est à notre connaissance un des très rares sociologues à avoir réalisé une enquête de terrain durant les émeutes, ce qui confère à son article une valeur inestimable dans toute la littérature produite sur le sujet. Il y met notamment en évidence l’impact considérable de l’épisode de la mosquée, et souligne combien il a été « sous-estimé » par ailleurs.
  • [118]
    Cf. Gilles Kepel, Banlieue de la République. Société, politique et religion à Clichy-sous-Bois et Montfermeil, op. cit.
  • [119]
    Comme le souligne à juste titre Didier Lapeyronnie, « Révolte primitive dans les banlieues françaises. Essai sur les émeutes de l’automne 2005 », art. cit., p. 447.
  • [120]
    Cf. Alexandre Piettre, « Les “grandes émotions” de novembre 2005. Perspectives pour un résistible nouvel échec politique à gauche », art. cit., p. 127-129.
  • [121]
    Comme lors de la manifestation des musulmans pieux de Clichy le lendemain de l’incident de la mosquée. Cf. Le Parisien du 02-11-05.
  • [122]
    Hadîth rapporté par Nasâ’i et Ibn Mâja, dans la traduction proposée par Youssef Seddik, Dits du prophète Muhammad, Paris, Actes Sud, 1997, p. 38. Le Hadîth complet dit ceci : « Ma terre à moi ne souffre ni association ni partage, juste le bon voisinage ».
  • [123]
    Rapporté par Didier Lapeyronnie, « L’académisme radical ou le monologue sociologique. Avec qui parlent les sociologues ? », art. cit., p. 441.
  • [124]
    Dans une interview au Figaro du 15/11/2005, et à Haaretz du 18/11/2005 (rapportée par Le Monde du 24/11/2005).
  • [125]
    D’après un télégramme de la diplomatie américaine révélé par Wikileaks. Cf. Luc Bronner, « Banlieues et minorités sous l’œil attentif des Américains », in Le Monde du 01/12/2010.
  • [126]
    Roberto Esposito, Communitas. Origine et destin de la communauté, Paris, PUF, 2000, p. 22.
  • [127]
    Ibidem, p. 27.
  • [128]
    Cf. Fabrice Dhume, « “Communautarisme”. L’imaginaire nationaliste entre catégorisation ethnique et prescription identitaire », VEI-Diversité, 150, novembre 2007.
  • [129]
    Cf. Jean-François Bayart, « “Total subjectivation” », in Jean-François Bayart et Jean-Pierre Warnier (dir.), Matière à politique. Le pouvoir, les corps et les choses, Paris, Karthala, 2004, p. 215-253, p. 235. Il s’appuie sur une approche développée par Jean-Pierre Warnier qui, à partir des travaux de Paul Veyne et de Michel Foucault, tente d’élucider les rapports entre les conduites sensori-motrices et la subjectivation politique, et se distingue des approches sémiotiques ou structuralistes des objets « en tant qu’ils font signe dans un système de communication », ou des analyses de la culture matérielle en termes de logistique ou de structure de la vie en société (cf. Jean-Pierre Warnier, « Pour une praxéologie de la subjectivation politique », in Jean-François Bayart et Jean-Pierre Warnier (dir.), op. cit., p. 7-31, p. 8-9).
  • [130]
    Hugues Lagrange, « La structure et l’accident », art. cit., p. 114.
  • [131]
    Ce lien supputé est en fait très peu documenté : il ne peut en aucun cas être étayé au regard du taux de ménages étrangers (les familles nombreuses d’origine africaine devraient plus souvent être primo-arrivantes) comme Hugues Lagrange le souligne lui-même, et peut être contesté sur la base d’autres enquêtes, comme celle qui a été menée sur les émeutiers mineurs jugés au tribunal de Bobigny, indiquant que la majorité d’entre eux sont d’ascendance maghrébine (cf. Aurore Delon et Laurent Mucchielli, « Les mineurs émeutiers jugés à Bobigny », Claris la Revue, 1, 2006, p. 5-16). Il me semble qu’apporter une caution scientifique à cette association entretient une équivoque dangereuse et contribue à naturaliser le phénomène émeutier : elle fait écho aux propos d’Hélène Carrère d’Encausse mettant en cause les familles polygames, et des représentants de l’extrême-droite n’ont pas manqué de la relayer (cf. par exemple le blog des Amis de l’UDC en Romandie, URL : http://udcfriends.romandie.com/post/4115/22283)
  • [132]
    Hugues Lagrange, « La structure et l’accident », art. cit., p. 115.
  • [133]
    Pour tout ce développement, cf. Marwan Mohamed, « Les voies de la colère : “violences urbaines” ou révolte d’ordre “politique” ? L’exemple des Hautes-Noues à Villiers-sur-Marne », art. cit.
  • [134]
    Pensons à la violence que représente la mise à feu des bibliothèques…
  • [135]
    Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », in Œuvres II, Paris, Gallimard, 2000, p. 364-372, p. 366.
  • [136]
    Cf. la façon dont Walter Benjamin concevait la résistance au fascisme, à la suite de Bertolt Brecht : effacer ses traces (versus laisser des traces). Il s’agit d’un motif que l’on retrouve dans de nombreux articles à partir de 1931 (Walter Benjamin, « Le Caractère destructeur », 2000, p. 330-332 ; « Brèves ombres < II > », p. 349-354 ; « Expérience et pauvreté », art. cit., in Œuvres II, op. cit.), ainsi que dans certains commentaires de poèmes de Brecht (Walter Benjamin, Œuvres III, Paris, Gallimard, 2000, notamment p. 246 sq.) et dans le Livre des Passages. Ces traces ne sont rien d’autre que les traces de synthèse d’une tradition perdue, le recyclage par l’Erlebnis (l’expérience vécue individuelle) des rebuts de l’Erfahrung (l’expérience collective traditionnelle que le sujet imprime et transmet « comme la main du potier sur le vase d’argile » comme il l’écrit dans le « second Baudelaire » - cf. Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, Paris, Payot, 1990, p. 147-207. p. 154). Pour ce concept de « trace de synthèse », cf. Ilaria Brocchini, Trace et disparition à partir de l’œuvre de Walter Benjamin, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 14 sq. : l’auteur part d’une lecture de « Benjamin qui nomme “synthèse” la reconstruction, à l’époque de l’Erlebnis, des produits de l’Erfahrung » dans le second Baudelaire (cf. Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », art. cit., p. 152).
  • [137]
    Cf. Ernesto Laclau, La guerre des identités. Grammaire de l’émancipation, Paris, La Découverte, 2000.
  • [138]
    Cf. Axel Honneth, La lutte pour la reconnaissance, Paris, Cerf, 2000.
  • [139]
    Cf. Entretien cité avec Matthieu Potte-Bonneville, p. 7-8.
  • [140]
    Voir la communication d’Étienne Tassin, (« Les gloires ordinaires. Actualité du concept arendtien d’espace public »), aux journées d’études IRIS – Publislam, A-t-on enterré l’espace public ? Enquête sur les avatars récents d’un concept, EHESS, 2 et 3 décembre 2009.
  • [141]
    Roberto Esposito, « La perspective de l’impolitique », art. cit., p. 62-63.
  • [142]
    Nilüfer Göle, « L’espace public et le “mahrem” de l’Islam », Communication aux journées d’études IRIS - Publislam, A-t-on enterré l’espace public ? Enquête sur les avatars récents d’un concept, EHESS, 2 et 3 décembre 2009.
  • [143]
    Cf. Bruno Tackels, Walter Benjamin. Une vie dans les textes, Paris, Actes Sud, 2009, p. 806.
  • [144]
    Walter Benjamin, Correspondance (1929-1940), tome II, Paris, Aubier-Montaigne, 1979, p. 186, à propos des précisions qu’il donne à Gretel Adorno sur le concept d’image dialectique.
  • [145]
    Cf. Gayatri Chakravorty Spivak, Les subalternes peuvent-elles parler ?, op. cit.
  • [146]
    Cf. Emmanuel Lévinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, La Haye, Martinus Nijhoff, 1978.
  • [147]
    Judith Butler, Ces corps qui comptent. De la matérialité et des limites discursives du sexe, Paris, Éditions Amsterdam, 2009, p. 11.
  • [148]
    Cf. Roberto Esposito, « La perspective de l’impolitique », art. cit.
  • [149]
    Roberto Esposito, « Immunité, Communauté, Démocratie », Transeuropéennes, 17, 2000, p. 35-44, p. 44.
  • [150]
    Ibidem, p. 36.
  • [151]
    Ibid.
  • [152]
    Cf. Ferdinand Tönnies, Communauté et société. Catégories fondamentales de la sociologie pure, Paris, PUF, 2010.
  • [153]
    Roberto Esposito, « Immunité, Communauté, Démocratie », art. cit., p. 36.
  • [154]
    Roberto Esposito, op. cit., p. 22.
  • [155]
    Du latin limen, qui veut dire « seuil ».
  • [156]
    Victor W. Turner, Le phénomène rituel. Structure et contre-structure, op. cit., p. 97.
  • [157]
    Laurent Amiotte-Suchet, « Les hospitaliers de Lourdes : une communauté événementielle ? », in Ivan Sainsaulieu, Monika Salzbrunn et Laurent Amiotte-Suchet (dir.), Faire communauté en société. Dynamique des appartenances collectives, Paris, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 75-88, p. 77-78.
  • [158]
    Francisco Naishtat, Action et langage. Des niveaux linguistiques de l’action aux forces illocutionnaires de la protestation, Paris, L’Harmattan, 2010.
  • [159]
    Nilüfer Göle, Interpénétrations. L’Islam et l’Europe, Paris, Galaade Éditions, 2005.
  • [160]
    Gérard Mauger, L’émeute de novembre 2005. Une révolte protopolitique, op. cit.
  • [161]
    Francisco Naishtat, Action et langage. Des niveaux linguistiques de l’action aux forces illocutionnaires de la protestation, op. cit.
  • [162]
    Ibidem.
  • [163]
    Marc Bessin, Claire Bidart et Michel Grossetti (dir.), Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, Paris, La Découverte, 2010, p. 10.
  • [164]
    Michèle Leclerc-Olive, « Des événements en souffrance : de Mead à Benjamin. Quelques considérations épistémologiques », in Philippe Simay (dir.), Walter Benjamin. La tradition des vaincus, Cahiers d’anthropologie sociale, 4, Paris, L’Herne, 2008, p. 43-62 ; « Enquêtes biographiques entre bifurcations et événements. Quelques réflexions épistémologiques », in Marc Bessin, Claire Bidart, Michel Grossetti (dir.), Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, op. cit., p. 329-346.
  • [165]
    Monika Salzbrunn, « Enjeux de construction des rôles communautaires dans l’espace urbain : le cas du quartier de Belleville à Paris », in Ivan Sainsaulieu et Monika Salzbrunn (éds.), Esprit critique, 2007, 10 (1) [en ligne] consulté le 25 octobre 2012. URL : http://www.espritcritique.fr/publications/1001/esp1001article05.pdf. Consulté le 25 octobre 2012 ; Michèle Leclerc-Olive, « Enquêtes biographiques entre bifurcations événements. Quelques réflexions épistémologiques », in Marc Bessin, Claire Bidart, Michel Grossetti (dir.), Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, op. cit., p. 329-346.
  • [166]
    Marc Bessin, « Le trouble de l’événement : la place des émotions dans les bifurcations », in Marc Bessin, Claire Bidart et Michel Grossetti (dir.), Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, op. cit., p. 306-328, p. 317.

Introduction. Du caractère familier et inédit des « grandes émotions » de novembre 2005

1Survenues au lendemain d’élections présidentielles focalisées sur la question de l’insécurité et marquées par l’élimination de la gauche dès le premier tour, de la « communion républicaine » autour de la loi du 15 mars 2004 dirigée contre le port du voile à l’école, de la reconnaissance du « rôle positif » de la colonisation par le législateur le 23 février 2005, et des invectives du ministre de l’Intérieur lancées à l’encontre de la jeunesse masculine des quartiers d’habitat social le 20 juin à La Courneuve et le 25 octobre à Argenteuil, les « grandes émotions [1] » de novembre 2005 ont « mis à nu la république [2] » et le rapport qu’elle entretient à ses « territoires perdus [3] » au regard d’un passé qui ne passe pas : le passé colonial. Ou plus exactement, pourrait-on dire avec Walter Benjamin et suite au choc de ces « grandes émotions », d’un « passé non encore accompli[4] », de l’actualisation d’un « oublié [5] » saisissant l’à-présent[6] colonial (et décolonial) de la république. Le décret instaurant l’État d’urgence au nom d’une loi adoptée en 1955 qui n’avait jamais été appliquée qu’en situation coloniale (en Algérie, ainsi qu’en Nouvelle-Calédonie en 1985) [7] en constitue l’aveu le plus manifeste, en ce qu’il lui permettait d’appliquer l’état d’exception uniquement sur certaines parties du territoire, rabattant symboliquement en droit durant deux mois leurs habitants au statut d’« indigènes [8] ».

2Il convient ici d’insister sur un point permettant de prendre la mesure de cet événement en tant que « passé non encore accompli » : son caractère à la fois familier et inédit. Familier d’abord parce qu’elles sont un point d’orgue dans une longue suite d’émeutes localisées inaugurées avec celles des Minguettes en 1981, le plus souvent liées au décès d’un jeune dans le contexte d’une intervention policière. Entre mars 1991 et octobre 2005, une chronologie sommaire et non exhaustive comptabilise une série de vingt-cinq phénomènes émeutiers marquants survenus dans les « zones sensibles » de l’hexagone [9], tandis qu’entre 1991 et 2000, les Renseignements généraux en ont recensé trois cent quarante-et-un [10]. Familier ensuite parce que l’événement est apparu à tous, et en premier lieu aux émeutiers et à leurs proches [11], comme annoncé, anticipé depuis longtemps : il suffit ici de penser à la notoriété de la chanson du groupe de rap NTM « Qu’est-ce qu’on attend », datant de 1995. Familier enfin en raison de leur morphologie : elles ne se rapportent à aucun « répertoire d’action collective [12] » qui puisse être considéré comme « légitime » dans l’espace public, à aucun « registre de résilience » permettant de ménager un espace de négociation [13]. En effet, ces émeutes n’illustrent aucun discours qui identifierait un adversaire social et porterait des revendications, mais elles sont revendiquées pour elles-mêmes en tant qu’elles confèrent une existence politique limitée au temps de l’émeute : « On n’est pas des casseurs, on est des émeutiers. On se rassemble tous, pour faire entendre notre révolte » ; « C’est la seule façon de faire parler de nous. Mais on sait très bien qu’il n’y aura plus une seule caméra quand tout redeviendra calme. On n’existera plus » [14]. Tout juste appuient-elles l’expression d’une indignation morale, une demande sommaire de justice pour les familles des victimes et l’incrimination du ministre de l’Intérieur dont les émeutiers réclamaient la démission, mais sans que l’exigence de celle-ci qualifie l’action au-delà du fait de prendre le ministre personnellement à partie sur les murs (« Sarkozy, on ne veut pas de toi ici » à Sevran-Beaudottes [15], voire, cas beaucoup plus rare, « Sarko, sale juif » dans un quartier de l’Ouest de la France qui n’a pas connu d’émeutes [16]). Les émeutes ne viennent donc qualifier aucune action politique entendue avec Weber comme action rationnelle en finalité, aucun acteur capable de donner une justification rationnelle de ses actes, ce à quoi Habermas conditionne l’entrée dans l’espace public et ordonne la publicité même. Pour autant, les cibles visées par les incendiaires sont claires : les institutions, à travers les équipements de proximité (centres sociaux, maisons de quartier, écoles, bibliothèques), le domaine public en général avec les incendies sur la voie publique (voitures, poubelles) ou d’équipements commerciaux, ces bris matériels ne s’accompagnant d’aucun pillage et d’aucune agression envers d’autres « communautés », contrairement à ce qui s’était passé lors des émeutes de Los Angeles en 1992. Ces émeutes cherchent donc à interpeller le public, et c’est dans cette stricte mesure qu’elles ont une dimension politique. En tout cas, elles ne sont pas à rapporter à l’expression d’une « haine » raciale ou communautaire, mais plutôt à celle d’une « rage » contre l’État, contre le système politique en général en tant que système d’acteurs et système de représentation. Toutes choses qui justifient pleinement, au demeurant, une sociologie historique comparée avec les formes d’action collective qui prévalaient sous l’Ancien Régime, à laquelle beaucoup d’analyses se sont risquées.

3Mais les « grandes émotions » de 2005, par leur durée (trois semaines) et leur dissémination dans tout l’espace national, sont également un événement inédit, du moins si on les compare à l’ensemble des émeutes qui sont intervenues avant ou après sur le territoire national. C’est de cela que nous voudrions chercher ici à rendre compte. À cet égard, une hypothèse forte mérite d’être posée, en relation avec un fait maintenant bien établi avec la grande enquête conduite par Gilles Kepel à Clichy et Montfermeil (2012), mais jusqu’à récemment objet sinon de déni, du moins d’esquive dans la majeure partie des travaux consacrés aux émeutes : la grenade lacrymogène lancée sur le pas de la mosquée Bilal, au moment des prières surérogatoires (tarawih) qui suivent le repas de rupture du jeûne du ramadan (iftar), semble avoir été l’événement de trop, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, à l’origine de la propagation des émeutes à l’ensemble du territoire national. La question qui mérite donc d’être posée, c’est bien celle de savoir ce qui s’est joué avec l’islam pour conférer à cet événement son caractère exceptionnel dans la longue litanie des émeutes de la jeunesse issue de l’immigration et des quartiers populaires. À cet égard, il convient notamment de se demander si la dimension religieuse de ce qui a fait événement, est venue conférer aux émeutes de novembre 2005 une autre dimension politique que celle qu’avaient déjà les émeutes localisées liées aux violences policières, une dimension nouvelle y compris par rapport aux émeutes dont Clichy et Montfermeil ont été le théâtre, principalement entre le 27 et le 29 octobre, suite à la mort de Zyed et Bouna. À cette question, nous verrons que la plupart des travaux écrits sur les émeutes ont répondu par la négative, essentiellement, et à juste titre, de crainte d’« islamiser » non seulement le problème social révélé ou soulevé par les émeutes, mais aussi la geste même des émeutiers. Ce faisant, il me semble cependant que la plupart des travaux ont esquivé le problème principal, à savoir ce qui dans l’événement résiste à l’objectivation, c’est-à-dire les affects qu’ils ont mis en jeu. Qu’est-ce qui, dans ce qui soutient l’économie morale des habitants des quartiers populaires, a ici été affecté et rompu ? Dans quelle mesure cette économie morale est-elle ici à la fois irréductible et articulée à celle qui sous-tend spécifiquement celle des « bandes de jeunes » des quartiers populaires quand ils entrent en rébellion contre la police [17] ? Pour aborder ce problème, il nous faut faire d’abord le point sur l’état de l’art concernant les émeutes de novembre 2005, et revenir sur la comparaison qui a été souvent faite avec les rébellions d’Ancien Régime. Puis revenir sur les explications qui ont été avancées pour rendre compte du phénomène afin de mettre en évidence que, pour aussi pertinentes qu’elles soient, elles ne permettent pas de le comprendre, et notamment elles ne permettent pas de saisir dans quelle mesure on peut leur conférer une dimension politique. Enfin, nous reviendrons sur l’événement lui-même, en nous appuyant sur une des très rares enquêtes de terrain menées dans une autre commune que celle de Clichy-sous-Bois au moment des émeutes, afin de mettre en évidence le lien direct entre l’événement de la grenade lancée sur le seuil de la mosquée Bilal pendant le mois de ramadan et le changement d’échelle et de morphologie des émeutes, et d’en tirer des enseignements pour penser les rapports entre religion et politique du point de vue de la théorie critique.

1 – Le choc des « grandes émotions » et l’à-présent colonial : les apports et les limites d’une sociologie historique comparée avec les « rébellions » d’Ancien Régime

4La morphologie des émeutes de novembre 2005, leur violence dirigée contre l’État comme la façon dont elles se sont propagées par cercles concentriques (d’abord en Seine-Saint-Denis, puis dans l’ensemble de l’Île-de-France, puis dans l’ensemble du territoire national), justifient amplement une sociologie historique comparée avec les rébellions d’Ancien Régime. Encore convient-il d’être précis et de « prendre dans son filet les aspects les plus actuels du passé [18] ». Et de pointer du même coup les limites heuristiques de la comparaison.

5En premier lieu, on peut se demander si parler de « jacquerie » et renvoyer les formes d’action collective des quartiers populaires à un imaginaire médiéval peut nous aider : cela revient soit à renvoyer les « grandes émotions » à un « répertoire d’action collective ancien, “protopolitique”, c’est-à-dire antérieur à toute entreprise “moderne” de mise en forme politique [19] », soit à faire des émeutiers des « primitifs » d’une « révolte » à la fois « infrapolitique » en tant qu’elle relève d’une rationalité instrumentale à défaut d’autres moyens de pression, et « suprapolitique » en tant qu’elle prend en charge une dignité morale privée d’autres modes d’expression [20]. Si la première interprétation conduit à disqualifier les événements de novembre 2005 comme mouvement social et les émeutiers comme sujets politiques dans la mesure où ils sont « voués à “être parlés” par les détenteurs de capital culturel [21] », la seconde, et de façon plus subtile pour le cas d’espèce, conduit à introduire une césure entre l’émeute qui « appartient au répertoire “normal” d’action politique » et les émeutiers qui ne sont pas « les acteurs d’un mouvement social » [22], celui-ci étant entendu, avec Alain Touraine, non pas seulement comme relatif à un conflit social, mais aussi comme orienté par une visée de changement social.

6Plus stimulante à mon sens, une troisième approche consiste, à l’encontre des deux premières, à poser l’hypothèse de « la modernité de l’émeute » : les événements de 2005 sanctionneraient un changement du répertoire de l’action collective par rapport au « cycle politique » inauguré en 1848 et identifié par Charles Tilly [23]. Cela conduit Alain Bertho à affirmer la dimension « post-politique [24] » des émeutes de banlieue en tant qu’elles se confronteraient directement à l’État sans la médiation du politique et qu’elles s’intégreraient à une « symbolique politique du corps » au travers « de son exhibition, de sa mise en danger dans l’expression de la révolte » contre le « biopouvoir » [25]. Cette perspective, s’appuyant sur une lecture sélective des postcolonial studies (essentiellement Arjun Appadurai pour évoquer l’idée qu’on pourrait parler d’un ethnoscape de l’émeute comme nouveau répertoire d’action collective [26]) et de Michel Foucault lu avec Giorgio Agamben, conduit à caractériser l’émeute non comme « une incapacité de parole mais comme un refus d’interlocution [27] ». « Fenêtre » sur le « faisceau de ténèbres qui provient de notre temps [28] », elle n’est donc qu’un moment d’« une catastrophe […] globale [29] ». S’apparentant ainsi plus à la guerre, « l’émeute n’est pas une politique », tout au plus « le signe criant de son absence » et « un désir désespéré de mots communs » [30]. Par rapport aux deux premières, cette approche conduit à conférer une indignité politique plus radicale encore aux émeutes de novembre 2005, et cette indignité rejaillit sur la comparaison légitime qui peut être faite avec les émotions populaires d’Ancien Régime, elles-mêmes étrangères au « cycle politique » des XIXe et XXe siècles, donc pré-politiques [31].

7Ainsi, chaque fois, la référence aux jacqueries médiévales ou aux rébellions d’Ancien Régime permet de situer les événements de novembre 2005 dans un hors-champ historique ou dans un éternel retour qui les tiennent à bonne distance du récit d’une modernité occidentale orientée vers le progrès social et l’émancipation individuelle, voire confrontée à la catastrophe que représenterait la fin de ce récit. Certes, les formes de la propagation de proche en proche à l’ensemble du Bassin parisien justifient notamment la comparaison avec la Grande Jacquerie de 1358 ou la Grande Peur de 1789. Cependant, dans le répertoire d’actions collectives d’Ancien Régime, celles qui se prêtent à la comparaison la plus suggestive avec les révoltes des banlieues sont les révoltes antifiscales rurales inaugurées en Saintonge en 1548 et qui s’éteignent à la fin du Second Empire dans la même région [32], plutôt que les prises de grain ou la défense des communaux que met plus volontiers en exergue Charles Tilly. Notons ici que l’étude quantitativiste des rébellions populaires sous le second absolutisme, menée par Jean Nicolas à partir de la recension des archives de police, met en évidence que les émeutes frumentaires représentent moins de 18 % des révoltes, contre près de 40 % pour les révoltes antifiscales, et près de 54 % pour l’ensemble des rébellions contre l’action de l’État en général [33]. La thèse convaincante de Charles Tilly d’un changement du répertoire de l’action collective à partir du milieu du XIXe siècle, plus pertinent pour identifier les changements fondamentaux que les renversements de régimes, ne doit donc pas occulter une faiblesse majeure de son interprétation de l’ancien répertoire d’actions : identifiant le nouveau répertoire comme adéquat au rapport capital-travail, il caractérise l’ancien en fonction de ce rapport qui serait en gestation sous l’Ancien Régime. La logique du profit commençant à l’emporter sur celle de la rente, les rébellions populaires contre les « accapareurs » traduiraient donc le refus du petit paysan de se laisser réduire à l’état de prolétaire. Dans cette perspective, l’État est appréhendé comme un pur instrument du capital, et les luttes antiétatiques relèveraient en dernière analyse de l’anticapitalisme. Cette hypothèse est certainement réductrice, car elle appréhende les luttes populaires d’Ancien Régime uniquement en fonction de celles du mouvement ouvrier des XIXe-XXe siècles, les marquant ainsi du sceau du défaut ou du manque. En effet, Charles Tilly définit l’ancien répertoire d’actions comme « communal et patronné », et le nouveau comme « national et autonome » [34]. Ce faisant, non seulement il se contredit quand il affirme à juste titre que le peuple a été abandonné par les nobles dans sa lutte contre l’absolutisme et qu’il « continue seul à résister » à partir de 1660 [35], mais il est également contredit par l’étude quantitativiste de Jean Nicolas qui montre que des nobles ou des notables de toutes sortes (clercs, magistrats, bourgeois…) sont impliqués dans à peine 15 % des rébellions populaires liées à la fraude fiscale [36]. Si donc l’opposition du communal et du national semble pertinente pour qualifier le changement de répertoire, la faire rimer avec l’opposition entre patronnée et autonome semble pour le moins discutable.

8Ainsi, comparer les « grandes émotions » de 2005 avec la Grande Peur de 1789 ne peut faire sens que si l’on considère avec Yves-Marie Bercé que cette dernière relève, comme l’écrasante majorité des révoltes du monde rural depuis le XVIe siècle, d’une mythologie antifiscale et non antiseigneuriale [37] : ces révoltes se répandaient de proche en proche par la rumeur, produisaient peu de discours mais beaucoup de violences rituelles à l’encontre notamment de tout ce qui pouvait évoquer une bureaucratie fiscale [38] et plus généralement l’univers de la ville [39]. Après avoir provoqué parfois des changements politiques majeurs par l’effroi et la peur qu’elles avaient fait naître (exemption de la gabelle dans le Sud-Ouest après 1548, abolition des privilèges le 4 août 1789), elles disparaissaient rapidement de l’agenda politique tout en ne cessant de le hanter.

9Par ailleurs, la comparaison avec les rébellions essentiellement rurales d’Ancien Régime se justifient par le fait que les émeutes des banlieues paraissent cadrer assez mal avec le paradigme plébéien, c’est-à-dire celui des révoltes urbaines. Si l’on s’en tient à la comparaison avec les mouvements populaires urbains de la période révolutionnaire, on peut apercevoir en quoi elles se distinguent notamment de l’émeute frumentaire du 5 et 6 octobre 1789, qui a abouti au « rapatriement » du roi de Versailles à Paris. Provoquée par une flambée des prix du pain, cette émeute partage certes avec les émotions paysannes et celles des banlieues actuelles le fait de s’en prendre à l’État, et non aux détenteurs du pouvoir économique : emmenée par les femmes, le petit peuple de Paris s’adresse à l’Hôtel de Ville, puis à Versailles, de façon à ce que les pouvoirs publics interviennent sur la fixation des prix [40]. Mais elle s’en distingue parce que pour la plèbe parisienne, cet État est localisé et incarné, à portée de pique, alors que pour les paysans, ce pouvoir est diffus et se loge dans le moindre privilège statutaire, au point de s’identifier à l’urbain (qui abrite nobles et bourgeois qui leur louent des terres et prélèvent l’impôt sous toutes ses formes, que ce soit celui de l’octroi à l’entrée de la ville, les cens seigneuriaux, la dîme ecclésiastique, ou surtout les impôts royaux, directs et indirects). Sur ce pouvoir diffus, les paysans n’ont en fait aucune prise, alors que la plèbe parisienne, en ramenant le roi à Paris, fait en sorte de l’avoir toujours sous la main pour prévenir toute nouvelle flambée des prix du pain. Cette scène inaugurale a fait du peuple de Paris un acteur politique majeur, s’épanouissant dans les multiples clubs et provoquant la chute de la monarchie et la proclamation de La Commune le 10 août 1792, véritable pouvoir concurrent de celui de l’Assemblée.

10Au regard de cette puissance politique, les émeutes des banlieues semblent à première vue faire pâle figure. En effet, elles se contentent apparemment de « faire pression » sur le pouvoir sans permettre au peuple des banlieues de « s’asseoir sur le trône » [41]. De ce point de vue, elles s’apparentent en effet plus à la « raison populiste [42] » de la « glèbe [43] » qui peut avoir aussi bien des implications politiques « progressistes » comme l’abolition des privilèges, que « réactionnaires » comme le retour de la monarchie avec la chouannerie, ou de l’empereur à la suite des grandes révoltes paysannes de 1848-1849 contre l’impôt des 45 centimes [44]. Mais cette raison populiste n’est pas attachée à la « glèbe », tout comme la liberté politique n’est pas le propre de la plèbe. La raison populiste est à l’œuvre également dans les émeutes frumentaires : celles-ci procèdent au premier chef du partage d’une émotion où se mêlent à la fois de la peur et de l’espérance [45], d’une compassion de ceux qui souffrent dans leur chair du harcèlement des « accapareurs » comme de celui des forces de l’ordre, et qui met à l’épreuve « la longue patience du peuple [46] ». Que la liberté politique y trouve son espace de déploiement ne résulte que d’un certain rapport au pouvoir, celui-ci requérant alors d’être à portée, c’est-à-dire familier voire incarné, donc localisé. La plèbe a donc pu se déployer comme acteur politique uniquement dans des villes où un tel pouvoir est identifiable, au point que jusqu’à la révolution américaine, on n’imaginait pas que les républiques puissent exister au-delà de grandes cités et de leur hinterland rural immédiat, à l’image des républiques italiennes. Par ailleurs, le fait que les révoltes des banlieues en général ne semblent pas faire souffler le vent de la liberté politique ne signifie pas que celle-ci n’émerge jamais des mobilisations collectives des quartiers d’habitat social. Lorsque celles-ci sont focalisées sur les municipalités, c’est-à-dire à l’encontre d’un pouvoir proche, familier, localisable et incarné, ne changent-elles pas de morphologie, au point de ne plus pouvoir être qualifiées de « violences urbaines » et de passer généralement inaperçues [47] ? Cela indiquerait que les mobilisations collectives, pour faire apparaître quelque chose comme « le peuple », le font moins en investissant d’emblée des « signifiants vides [48] », comme la dignité, la justice ou l’égalité, en fonction de la seule performativité de la déclaration égalitaire [49], qu’en parvenant à se retirer de l’espace neutralisé par le pouvoir, donc lui-même « homogène et vide [50] », pour l’investir en retour d’une géographie et d’une temporalité particulières. C’est bien là ce qui caractérise la paradigme plébéien, inauguré avec la sécession de la plèbe de Rome sur l’Aventin [51]. Pour que ces signifiants puissent être investis, ne faut-il pas en effet qu’ils le soient du lieu d’une histoire singulière qui se soustrait aux lieux où se noue et se joue l’exercice du pouvoir ?

11Enfin, il faudrait souligner que la limite la plus évidente à cette comparaison avec les révoltes de la « glèbe » d’Ancien Régime, c’est que l’on a affaire à des émotions citadines, à défaut d’être « urbaines » [52], et non à des soulèvements paysans. Mais cette constatation banale ne renvoie pas à une opposition synchronique entre tradition et modernité, elle réside seulement dans la distance qui sépare diachroniquement la société très majoritairement rurale d’autrefois à celle d’aujourd’hui où le « rural profond » n’est plus que résiduel, et où l’opposition entre rural et urbain n’a plus vraiment de pertinence d’un point de vue sociétal. Car si la comparaison s’impose en définitive avec les soulèvements paysans de l’Ancien Régime, c’est du fait de leur caractère résolument anti-institutionnel et anti-urbain. Cette comparaison fait donc sens au regard d’une lutte contre l’État[53], et en l’espèce contre l’emprise et l’approfondissement de l’État sur le territoire national, contre la mise en place et le développement de la gouvernementalité pastorale et de la police administrative comme technique de gouvernement des corps et de gestion des populations qui, selon Foucault, se rapporte fondamentalement à la ville [54]. Soulignons ici ce paradoxe apparent : le répertoire de l’action collective de la plèbe urbaine qui se déploie à raison même de sa proximité avec le siège du pouvoir, relève d’une certaine façon de formes plus « traditionnelles », plus « anciennes » de mobilisations collectives que les soulèvements paysans qui, eux, marquent incontestablement l’entrée dans la modernité [55]. Les contemporains de la Grande Jacquerie de 1358 ne s’y trompaient d’ailleurs pas :

12

« Les “commotions” n’ont pas toujours vraiment frappé les contemporains ; la ville est agitée et peuplée de mondes divers et imprévisibles : il n’y a nul lieu d’être surpris de ses agitations. Si les choses prennent trop d’ampleur, on recourra au roi. En revanche les “effrois” campagnards, en réalité moins graves, ont bien davantage fait trembler, car les réactions d’un vilain ne peuvent être que dangereuses : on continue donc bien à voir dans les rustiques la base de la société établie. Les troubles urbains sont des agitations, les troubles ruraux des ébranlements. [56] »

13Les troubles urbains ne sont possibles en effet que dans le contexte de cette proximité du souverain, mais plus encore en raison d’une structure socio-urbaine « traditionnelle », où prédomine le côtoiement des classes sociales – ce qui constitue pour les classes populaires une « véritable provocation pour les sens » et exacerbe leur « sentiment de pauvreté » bien plus qu’elle ne le neutralise [57], contrairement aux idées aujourd’hui reçues sur la « mixité sociale » – et l’atelier comme structure économique. C’est cette même structure socio-urbaine et sociopolitique qui étaiera les révoltes de la plèbe parisienne jusqu’en 1871. Si, par conséquent, la police comme technique de gouvernement s’est formalisée en ville, ne peut-on dire aussi que c’est en ville qu’elle a eu le plus de mal à mettre à distance le gouvernement par des dispositifs biopolitiques, si tant est qu’elle y soit jamais parvenue ? Avec la construction de l’État-providence, on a en effet pu croire à la socialisation et à la « nationalisation » d’une plèbe interprétant dorénavant un répertoire de l’action collective qui a le changement de régime pour visée, et à sa dissociation d’avec les « émotions » de la « glèbe » qui ne posent que « le problème des manières d’exercer le pouvoir » [58]. Mais ainsi que Charles Tilly en émettait l’hypothèse en 1986, Mai 1968 et les « nouveaux mouvements sociaux » identifiés par Alain Touraine sont venus remettre en cause cette perspective au moment même où l’État-providence triomphait [59]. S’il y a donc un fil qui relie les émotions paysannes et les révolutions du peuple de Paris du XVIIe siècle jusque vers 1850 au moins, avec les événements de novembre 2005 et les modes d’action des habitants des quartiers populaires, ce serait celui qui, par-delà les formes nouvelles de l’action collective, les interprète selon un répertoire d’actions localisées qui ont le lieu même où l’on habite pour support [60], et qui de ce fait nécessitent des événements exceptionnels leur permettant d’articuler des affects déterminés pour se coaliser et avoir un impact global [61]. En effet, les émeutes récurrentes des banlieues ne viennent-elles pas confirmer à la fois l’efficience et les limites de la police comme technique de gouvernement (les révolutions sont-elles encore possibles face à un pouvoir qui s’étend à tout ce qui concerne l’homme et son « bonheur » [62] ?) au travers de la résurgence d’une « glèbe » passée à la scène urbaine ? Et le caractère exceptionnel des émeutes de novembre 2005, par leur durée et leur extension à tout le territoire national, couplé à ce passage définitif à la scène urbaine, ne viennent-elles pas en définitive les inscrire dans l’« histoire discontinue de la liberté politique [63] » ?

14Ainsi, n’est-ce pas fondamentalement la même lutte de la société contre l’État[64] que l’on retrouve dans les multiples révoltes des banlieues et les innombrables séditions paysannes d’Ancien Régime, contre un État mis à distance par un pouvoir qui tente de s’exercer en assurant le bonheur des hommes, par les corps[65] plutôt que sur les corps, tout en ayant besoin pour l’exercer de gouverner un corps d’exception[66], inclus dans la « gouvernance pastorale » mais exclu (sauf exception) de ses bénéfices ? Ne sont-ce pas les mêmes « vilains » qu’on retrouve dans les rébellions d’Ancien Régime et les révoltes anticoloniales d’Abd-el-Kader en Algérie après 1830 et d’Abd-el-Krim dans le Rif marocain des années 1920, à Sétif et Guelma en 1945, dans les douars de Kabylie pendant la guerre d’indépendance, et dans les révoltes décoloniales d’aujourd’hui, celle qu’anima Elie Domota en Guadeloupe en 2009 comme celle des banlieues en 2005 [67] ? Si, en effet, assimilation et colonisation se distinguent comme le dedans du dehors de la métropole et par l’incommensurabilité des crimes de la seconde, il reste qu’elles relèvent d’une matrice commune, celle d’une « république aristocratique » dont le modèle originel est la société de cour, et qui s’est employée à promouvoir et à diffuser dans toutes les périphéries de l’hexagone et jusqu’aux confins de l’Empire l’étiquette à laquelle devaient se conformer les individus pour prétendre au statut de citoyen [68]. Comment donc les révoltes qui en procèdent parviennent-elles à entamer l’hégémonie culturelle de cette république aristocratique et à s’inscrire dans « l’histoire discontinue de la liberté politique » ? Dans quelle mesure les « grandes émotions » de novembre 2005 constitueraient-elles un de ces moments singuliers où la plèbe émerge de la « glèbe » ?

2 – Les impasses urbaines des sciences sociales

15S’agissant des « grandes émotions » de novembre 2005, ce qui indique qu’elles sont un de ces moments disruptifs surgissant du temps long des révoltes de la « glèbe » par le sceau de l’à-présent (dé)colonial, relève de la trame et du tissu même des événements. Si elles ont leur source dans une combinaison improbable de trois moments disruptifs, à savoir la saillie du ministre Sarkozy sur les « racailles » face à une foule hostile à Argenteuil le 25 octobre, la mort de Zyed et Bouna le 27 et les émeutes localisées sur Clichy et Montfermeil qui ont suivi, ainsi que la grenade lancée sur la mosquée de Clichy-sous-Bois le 30 octobre, il reste que c’est cette dernière qui a provoqué l’extension des émeutes aux communes de l’est et du nord-est de la Seine-Saint-Denis et qui lui confère son caractère sans précédent, alors que le phénomène avait amorcé son déclin dès le 29 octobre à Clichy, suggérant qu’on avait encore affaire à une énième répétition émeutière localisée malgré l’injure du ministre de l’Intérieur. Ce point est très souvent occulté, ignoré ou minoré dans les analyses qui ont été produites sur les émeutes [69]. Certes, tout comme pour les deux moments précédents, l’incident de la mosquée ne suffit pas en soi à rendre compte de l’extension des émeutes. Car il ne serait peut-être pas devenu ce moment disruptif qu’il a été sans la police qui a décliné toute responsabilité dans l’incident, et sans l’absence d’excuses publiques de la part du ministère de l’Intérieur. Toutefois, il reste que ni l’injure publique, ni la tentative manifeste de couvrir les policiers dont l’action avait provoqué la mort de Zyed et Bouna n’ont eu le même effet. Ainsi que l’indique bien Michel Kokoreff, l’incident de la mosquée a été la goutte qui a fait déborder le vase, cet événement en « trop » qui a donné aux grandes émotions de novembre leur caractère sans précédent [70].

16Or, la plupart des travaux se sont attachés à circonscrire cet en-trop, à lui trouver sinon une explication, du moins une raison, ce qui les conduit le plus souvent à souligner et à relativiser dans le même temps le caractère politique de ces événements, en montrant notamment :

  1. le lien entre la localisation des émeutes et la présence d’un projet de rénovation urbaine mis en évidence par Hugues Lagrange [71], ce qui tendrait à indiquer que les émeutes sont intelligibles en termes de réaction des habitants des quartiers populaires à ce qu’ils percevraient comme une tentative de les évincer de leur habitat, et qui permet d’introduire et de conduire une critique justifiée de la politique de rénovation urbaine entreprise en 2003 ;
  2. le rôle des histoires locales, des institutions et des réseaux d’acteurs sociaux dans les disparités des intensités émeutières selon les territoires, mis en évidence notamment par Michel Kokoreff [72], ce qui montre l’importance du tissu associatif et des travailleurs sociaux pour prévenir et contenir la survenue de ce type d’événement, et conduit à réhabiliter légitimement la politique de la Ville qui, avant 2003, venait en appui de ces réseaux ;
  3. le rôle nodal joué par les modes d’intervention de la police dans les quartiers populaires pour rendre compte de la survenue de ce type d’événement, ce qui permet de mettre en évidence l’absence d’une réelle police de sécurité publique (de « proximité ») dans les quartiers populaires [73], et plus généralement, d’argumenter sur les carences en termes de stratégie urbaine de sécurité passive (de « sécurisation » de l’environnement au travers de dispositifs de prévention situationnelle et plus largement de production d’ambiance « urbaine ») [74].
Ces observations, en-deçà du fait qu’elles convergent sur une critique légitime des politiques publiques urbaines, sociales et de sécurité conduites depuis 2002 et dont les principaux instruments ont été mis en place dans les années 1990, tendent à expliquer la survenue des émeutes et à rapporter leur caractère inédit à un changement récent en matière de politiques publiques. Les émeutes seraient alors le seul moyen pour des habitants qui ne bénéficient d’aucun canal d’expression politique adéquat, de signifier leur désaccord avec la politique conduite, et c’est en cela qu’elles auraient une signification politique. Or, on peut souscrire très largement à ces analyses et se demander dans le même temps si l’explication n’est pas réductrice, dans la mesure où ce type d’événement a émergé dès les années 1980 et où ce sont des circonstances très particulières, c’est-à-dire l’entre-choc des trois moments inauguraux de l’événement, qui rendent compte de son caractère inédit.

17C’est parce que cette explication n’est pas entièrement satisfaisante qu’un autre point de vue s’est également fortement affirmé depuis 2005 en termes d’explication ou de raison des émeutes, point de vue qui, au demeurant, rencontrait celui de « l’opinion commune » des éditorialistes et des chroniqueurs après les événements, à savoir que les émeutes sanctionnaient l’échec retentissant de la politique de la ville. S’engouffrant dans la brèche ouverte une dizaine d’années auparavant avec l’échec de l’évaluation de la politique de la ville [75] et la mise en place de premiers dispositifs dérogeant avec ses principes fondateurs [76], des travaux menés pour l’essentiel par des disciples de Bourdieu avant le lancement de la politique de rénovation urbaine en 2003, et donc bien avant les grandes émotions de novembre 2005, tendent à accréditer l’idée d’une faillite de la politique de la ville menée depuis 1981, et dont les premiers instruments ont été mis en place dès les années 1970, notamment avec le dispositif Habitat et Vie Sociale créé en 1977. Dans leur perspective, les émeutes urbaines en général sont l’écume d’une politique menée avec constance qui, en étant en réalité centrée sur l’enjeu de la réforme de l’État, a conduit à dépolitiser la question sociale [77]. Pour autant, si le diagnostic est assez largement partagé, il faut noter qu’il n’y a pas eu d’unité d’approche pour juger du caractère politique ou non des grandes émotions de 2005 chez les proches ou les disciples de Bourdieu en général, du fait même de leur ampleur et de leur caractère inédit (Bourdieu aurait-il parlé de « miracle » ?). Si l’accord se trouve sans difficultés pour ne pas réduire le phénomène à des actes de délinquance, on peut noter une différence d’approche entre ceux qui reconnaissent aux discriminations racistes un rôle dans l’origine et l’extension des révoltes [78] et ceux qui la dénient pour privilégier la question sociale, les seconds prenant bien soin de souligner l’inégalité d’accès aux répertoires d’actions légitimes et d’évoquer le caractère « protopolitique » de la révolte, symptôme au final d’un processus de dépolitisation et d’un irrésistible déclin de la conscience de classe [79]. Le point commun de ces approches réside toutefois dans la tentative d’expliquer le phénomène au travers d’une montée en généralité (ou d’une réduction selon le point de vue que l’on adopte), en invoquant les causes sociales, l’incurie de l’État, l’attitude de la police ou les discriminations racistes, sans jamais véritablement s’arrêter sur le déroulement même des événements [80]. Ainsi, pour tous également, la seule solution qui s’imposerait pour pouvoir sortir du cercle vicieux qui produit la misère du monde, c’est l’abandon de la territorialisation des politiques publiques qui tend à réduire la question sociale à celle du traitement de la pauvreté, et la relance de politiques publiques qui se fondent sur l’analyse des processus de domination sociale et qui visent à s’en affranchir.

18Cette position épistémologique m’intéresse ici non parce qu’elle produit des analyses qui nourrissent des jugements politiques aux antipodes l’un de l’autre (rien là de très original), mais parce qu’elles ont fait l’objet d’un feu croisé de critiques qui ont chacune tenté de disqualifier leurs présupposés scientifiques de points de vue politiques eux-mêmes opposés. Dans le premier cas notamment, elle a suscité une polémique violente avec le courant plutôt tourainien et/ou interactionniste [81], au point de mettre à mal l’accord sur les désaccords qui fonde le champ disciplinaire de la sociologie [82]. Dans le second cas, elle a essuyé des critiques fortes du côté d’un « courant » bien moins constitué et beaucoup plus poreux, remettant à l’ouvrage les outils conceptuels de la théorie critique de Foucault, prenant une part active à l’introduction des queer, subaltern et postcolonial studies [83], et mettant à l’épreuve la sociologie en tant qu’elle est à la fois un régime de pouvoir et un régime de savoir, ce que la polémique qui l’avait déchirée avait mis en pleine lumière.

19Or, d’un point de vue liminaire et sans tomber dans une apologie fade du juste milieu dans la mesure même où je me reconnais plus volontiers dans le dernier de ces trois « courants », il me semble que les analyses produites par chacun d’eux ne peuvent s’exclure mutuellement sans dommage d’un point de vue critique qui, comme tel, est toujours critique d’« une pratique instituée, d’un discours, d’une épistémé, d’une institution » [84] : si les changements récents et importants en termes de paradigmes d’action publique peuvent en effet rendre compte de la distribution spatiale des grandes émotions de novembre 2005, la lumière crue qu’elles projettent rétrospectivement sur l’ensemble de la politique de la ville ne peut être écartée au titre qu’elle ne serait pas scientifiquement fondée, précisément parce que cet éclairage est politique et qu’il invite à relier les changements de modélisation des politiques publiques aux processus incrémentaux ou cognitifs qui les ont produits en amont. Pour être complet cependant, cet éclairage doit prendre en compte l’efficience de la politique de la ville en termes de régime de vérité, donc les changements qui affectent les supports mêmes à partir desquels émergent et se cristallisent des mouvements sociaux. Or, la disqualification politique et/ou la relativisation de la « politicité [85] » des grandes émotions de 2005 tiennent largement au fait que le répertoire d’action politique légitime est rapporté à des formes traditionnelles du mouvement social.

20Pour autant, se réclamer de la démarche critique foucaldienne ne vaut garantie ni d’accès à la politicité des émotions de 2005, ni d’esquive des impasses urbaines que représentent les controverses relatives au bien-fondé de la politique de la ville. À l’écart du conflit qui a déchiré la sociologie, parce que située dans une discipline voisine, l’anthropologie, la perspective d’Alain Bertho permet, à première vue, d’affiner et d’élever une problématique, trop souvent enchaînée à ses mythèmes d’école en sociologie, à hauteur du défi politique lancé par les émeutiers. Il pointe en effet une dimension majeure de l’émeute de 2005, à savoir qu’elle a été « au cœur d’une stratégie de visibilité symbolique » et non d’une construction d’un rapport de force [86]. Il en veut pour preuve le fait que les affrontements directs avec la police ont été rares, que la plupart du temps l’émeutier disparaissait une fois le feu allumé, se contentant d’offrir flammes, sirènes et policiers courant dans tous les sens en spectacle aux badauds regardant depuis les fenêtres et aux éventuelles caméras [87]. Dans un premier temps, cette perspective l’a conduit de façon cohérente à qualifier les grandes émotions de 2005 de « mouvement politique [88] ». Comme je l’ai vu précédemment, il est cependant revenu sur ce point dans ses dernières analyses en qualifiant les émeutes de « post-politiques », en les amalgamant à l’ensemble des phénomènes émeutiers qu’il recense avec soin dans le monde entier [89], phénomènes qui peuvent avoir des motifs beaucoup moins reluisants que le sentiment de révolte lié au mépris des autorités et au comportement de la police, comme la haine ethno-raciale ou religieuse. La comparaison des phénomènes émeutiers est certes parfaitement légitime, rendre compte de la possibilité du glissement d’une logique politique à une logique de guerre du fait même du recours à la violence est évidemment indispensable, de même que de rendre compte de la difficulté bien réelle de tracer une frontière nette entre les deux d’un point de vue ethnographique. La « glèbe » n’est pas, en effet, le contraire de la plèbe, elle n’en est que le négatif, la trame ininterrompue de son histoire discontinue, et ce qui la hante au moment même où elle se rend manifeste. Et c’est précisément parce qu’elle en constitue la part intime, silencieuse autant qu’invisible, son confin et non son contraire, sa dimension impolitique [90] et non son inversion antipolitique, qu’on ne peut pas mettre sur un plan d’équivalence les émeutes des banlieues françaises de 2005 et les persécutions des Hui (Chinois musulmans) par les Han dans le Henan en 2004, ou les persécutions des chrétiens ou des musulmans par les hindous en Inde [91]. C’est d’ailleurs cela qu’il convient de remarquer à nouveau pour les émeutes de 2005, et pour les révoltes des banlieues en général, à savoir qu’elles ont donné lieu à très peu de violences à caractère antisémite malgré le lourd contentieux qui pèse sur les relations entre « communautés » juives et arabo-musulmanes en France à propos du conflit israëlo-palestinien [92].

21Ainsi, Alain Bertho en est venu à retirer aux émotions de 2005 la dignité (im)politique qu’il leur avait conférée dans un premier temps, en y voyant d’abord le déploiement d’une « stratégie de visibilité invisible [93] ». Mais en les caractérisant essentiellement en termes de refus d’interlocution après le mouvement du CPE [94], alors qu’y voir une stratégie de visibilité invisible aurait pu le conduire à les penser en termes de retrait [95] plus que de refus du politique, il retrouve une philosophie politique qui confère à la parole seule la capacité d’accéder à la dignité politique, le refus d’interlocution valant alors refus du politique lui-même. La tâche de l’anthropologue, ici indissociable du militant, se fait alors urgente, se devant de mettre des mots sur « le malheur des hommes [qui] ne doit jamais être un reste muet de la politique [96] ». Les mots sont alors indexés sur les cibles des émeutiers, dans la mesure où elles ne seraient pas choisies au hasard : les transports en commun sont visés parce qu’« ils sont plus qu’un symbole […], l’agent de l’assignation à résidence des couches populaires métropolitaines », les attaques d’établissements scolaires sont « un cri de rage contre l’humiliation » qu’ils produisent, et « les vitrines des commerces du centre de Saint-Denis volent en éclats tandis que le cinéma municipal est épargné » [97]. En sous-entendant de la sorte que les émeutiers ne s’attaquent pas aux équipements auxquels ils s’identifient, mais à ceux qui se rapportent à la classe dominante, quand bien même celle-ci serait « urbaine » et non plus seulement « sociale », ne s’expose-t-il pas au risque de la surinterprétation du choix des cibles et à la rationalisation de la geste émeutière, alors que ces émeutiers peuvent très bien incendier le centre social ou la médiathèque qu’ils fréquentent et qui abritent nombre de leurs souvenirs, voire brûler leurs propres voitures [98] ? Toujours est-il que les émeutes traduiraient selon lui un rapport de classe qui « doit être élargi au monde urbain dans son ensemble [99] ». La justesse du diagnostic relatif à la politique de la ville, qui est restée une politique périphérique et n’a pas permis de « penser l’enjeu urbain comme la nouvelle question sociale [100] », n’est pas ici en cause. Ce qui l’est, en revanche, c’est de saisir l’enjeu urbain comme la cause et non le support de la lutte [101], c’est de trahir le retrait de l’interlocution des émeutiers en pensant pouvoir « faire parler les subalternes [102] » et en leur prêtant l’intention de dire, ou en croyant qu’ils aimeraient dire : « nous sommes tous des indigènes urbains [103] ».

22Or, cela est éminemment contestable. On peut le déduire d’un autre angle de vue qu’Alain Bertho adopte sur les événements de 2005 : tout en disant se fonder sur le déroulé des événements et en soulignant que « le drame de Clichy-sous-Bois n’a pas été lui-même suffisant à mettre le feu à la plaine », il ne mentionne qu’en passant l’épisode de la mosquée et estime que le feu a pris en raison de « l’absence du moindre mot de regret ou de compassion institutionnelle » vis-à-vis de Zyed et Bouna, parce que « ni la douleur des proches, ni la solidarité générationnelle n’ont leur place dans l’espace public [104] ». Mais cela vient-il rendre compte des émeutes de 2005 plus que de toutes celles qui les ont précédées ou suivies ? À l’évidence non. S’il en avait été besoin, les émeutes de Villiers-le-Bel en novembre 2007 sont venues infliger un cinglant démenti à l’idée que le comportement de la police et l’absence de compassion du pouvoir ou du reste de la société face à la mort d’un « jeune de la cité » expliquerait l’extension de la révolte à toutes les banlieues du pays et la qualifierait politiquement [105]. Elles ont sonné le glas des illusions de ce qu’on pourrait qualifier le « politisme », nourries de la nostalgie des formes passées du mouvement social, de l’identification du politique au partage de la raison et à l’interlocution plutôt qu’à l’articulation de noms et d’affects déterminés [106], et de l’espoir que les grandes émotions de 2005 étaient le prélude d’un mouvement social propre aux banlieues – notamment avec la pâle imitation des forums sociaux conduite par le « Forum social des quartiers populaires [107] ». Elles accusent au contraire l’approfondissement de l’antagonisme entre police et jeunesse « indigène », sous l’action conjointe de « la militarisation du contrôle des quartiers populaires [108] » et de l’usage croissant d’armes à feu et de tactiques élaborées de guérilla urbaine visant ostensiblement à blesser, voire à tuer un policier. Mais comme telles, elles ne relèvent pas plus d’une logique de guerre que les « rescousses » auxquelles se livrait la « glèbe » d’Ancien Régime à l’encontre des gabelous qui, comme les policiers aujourd’hui, suscitaient « la haine » et cristallisaient « la rage » contre le « système ». Et comme ces rescousses, elles ne seront jamais que très localisées, circonscrites à la « douleur » des proches. Elles ne sont donc pas le prélude d’une lutte catégorielle (des jeunes de cité et/ou issus de l’immigration, des habitants des quartiers populaires) transposée de la scène de l’entreprise à celle de la ville, à l’image des modalités de l’action collective correspondant au répertoire « moderne » défini par Charles Tilly. Les disqualifier politiquement pour cette raison, c’est regretter que les émeutiers n’interprètent pas ce répertoire, alors que le fait même de changer de répertoire (en redécouvrant et en transformant un répertoire ancien) incite à penser exactement le contraire. Pour comprendre pourquoi et comment les révoltes s’étendent au-delà du cercle initial au moment même où les émeutes s’éteignent à Clichy avec un début de reconnaissance du préjudice causé aux trois jeunes et à leurs proches [109], il faut peut-être faire le deuil de l’espoir que les révoltes contre la police annoncent « ces conflits urbains à venir [110] » et prendre acte d’une bascule subjective qui s’est opérée avec les émeutes de 2005, congruente avec « la stratégie de visibilité invisible » qu’Alain Bertho a mise en évidence sur le moment, et consécutive à cet événement « en trop » repéré par Michel Kokoreff : la grenade lancée contre la mosquée.

3 – L’islam (in)visible et la politicité des émeutes de novembre 2005

23Et si, en effet, nous portions maintenant notre curiosité sociologique à la goutte plutôt qu’au vase, à cet en-trop qui ouvre une brèche, un spasme dans l’historicité des « zones sensibles » en la saturant de temps actuel, la portée politique de ces événements ne s’en trouverait-elle pas réévaluée ? Or, porter notre attention sur cet « en-trop » suppose un triple changement de point de vue, de focale sur ces événements :

241. D’abord, prendre au sérieux le fait que ce soit une mosquée qui, atteinte par une grenade lacrymogène, a été la « mèche » de « l’incendie », et non la réduire à un épiphénomène sans incidence sur la structure sous-jacente à l’accident, comme si elle était « en trop » pour l’objectivation sociologique elle-même [111]. Cela suppose d’admettre que le sacré a été atteint, c’est-à-dire quelque chose de particulièrement vulnérable, à savoir quelque chose comme la chair. Ce qui ne veut pas dire qu’une dimension primordiale a été soudain réveillée, dimension qui n’aurait pas été suffisamment domptée, apprivoisée, canalisée [112]. Mais cela veut dire que la mosquée, qui est certes d’abord une organisation parmi d’autres dans le quartier, relève en outre d’un univers de rites qui relient les corps à la ville [113]. Le fait que cette grenade soit tombée sur cette mosquée pendant le mois de ramadan, c’est-à-dire à un moment où les musulmans redoublent d’attention dans l’observance des rites et sont aussi beaucoup plus nombreux à les pratiquer, conforte l’hypothèse.

252. Prendre au sérieux la dimension religieuse de ces événements, « aujourd’hui, on le sait, petite et laide et qui, au demeurant, ne peut plus se montrer [114] », c’est aussi tenter de la voir là où elle se cache, alors que les religieux (les « barbus » ou musulmans pieux) se sont massivement mobilisés à Clichy dès le lendemain pour tenter d’empêcher la survenue de nouvelles émeutes et de donner une expression politique légitime à la colère, en barrant la route de façon préventive à toute tentative de récupération « djihadiste » ou à toute tentation de s’en prendre à la communauté juive – les esprits indignés à Clichy ne manquant pas de dénoncer le « deux poids, deux mesures » quant au traitement politique et médiatique réservé à de telles atteintes au sacré des juifs et des musulmans [115]. En effet, malgré l’importance de l’épisode dans toutes les consciences émeutières (ce qui va bien au-delà des seuls émeutiers [116]), au centre de toutes les discussions informelles dans les halls de toutes les cités, indignant même les parents immigrés prompts à soutenir la fermeté du ministre de l’Intérieur [117], et à l’origine de l’élaboration de ce que Gilles Kepel appelle le « Grand Récit [118] » de légitimation des émeutes, cet épisode a été beaucoup plus rarement invoqué publiquement sur le moment et dans les quelques mois qui suivirent. Lorsque les émeutiers parlaient – et ils ont en fait beaucoup parlé [119] –, les montées en généralités (« on ne fait rien pour nous », les discriminations, etc.) et les incriminations de la police et du ministre de l’Intérieur relativement à la mort de Zyed et Bouna prenaient le dessus, tandis que les hommages – imprégnés de religiosité musulmane – aux deux décédés se multipliaient sur les blogs [120]. Comment expliquer ce silence relatif concernant l’épisode de la mosquée, comparativement au bruit fait autour de l’invocation des « martyrs » Zyed et Bouna ? La blessure était-elle si vive qu’elle ne pouvait se conjurer que dans un travail de deuil ? Il y de cela, mais ce serait passer à côté de l’essentiel, à savoir qu’au meurtre qu’on peut dénoncer publiquement et aux morts qu’on peut honorer, a succédé quelque chose de l’ordre du viol qui est beaucoup plus difficilement communicable, surtout à l’adresse d’oreilles que déchirerait le fait d’entendre l’invocation « Allahou ‘akbar » en manifestation [121], plus que rétives à une dimension ne souffrant précisément « ni association, ni partage, juste le bon voisinage [122] ». Le silence des émeutiers à ce propos a été de plomb, notamment lors des procès à la chaîne qui ont suivi. En général muets ou incohérents lorsqu’il fallait rendre compte publiquement de leur geste, ce n’est qu’à de très rares occasions que le voile a été déchiré, notamment par des émeutiers qui n’étaient pas eux-mêmes musulmans ou d’origine musulmane, comme « Mickaël, déféré au tribunal de Bobigny, que rien ne semblait prédisposer à la violence selon les juges et le journaliste, [qui] explique qu’il ne faut pas tirer sur une mosquée, une mosquée, c’est un truc de Dieu ![123] » Imagine-t-on cependant ce qu’il en aurait été si cette motivation religieuse de la geste émeutière avait été d’emblée mise en avant, et revendiquée publiquement par les émeutiers ? En tout état de cause, elle aurait acté la thèse d’une expression locale du choc des civilisations, d’une sécession irréversible des « territoires perdus » de la république, alors que nombre d’analyses tentaient de la promouvoir à l’instar d’Alain Finkielkraut assimilant les émeutes à un « pogrom antirépublicain [124] », et étaient déjà bien promptes à y voir la main d’Al Qaida à l’image d’une responsable de Ni Putes Ni Soumises expliquant à l’ambassadeur américain que les émeutiers étaient des « islamistes à barbe rasée [125] ».

263. Prendre au sérieux l’étayage religieux des émeutes et la façon dont l’islam les a hantées, ce n’est donc pas prendre la proie pour l’ombre, puisque bien loin de nous éloigner de la signification politique des grandes émotions de 2005, on la retrouve au cœur même de l’action, et non dans les causes qui pourraient l’expliquer. Ce n’est pas un détour par la religion que nous permet de faire ce changement de focale, car elle nous ouvre au contraire la voie d’accès la plus directe au caractère politique de ces événements : leur dimension religieuse est « la brèche, le trauma, la lacune […] : non pas l’Origine, mais son absence, son retrait [126] », qui les a fait exister politiquement. Ce qui pose d’emblée le problème de l’articulation du religieux et du politique, dans la mesure où ce changement de focale implique de pouvoir penser l’ouverture de l’espace public politique depuis l’expérience même de la communauté religieuse. Ce qui suppose encore de prendre radicalement le contrepied d’une conception de la communauté qui l’oppose au politique en la rivant au communautarisme, c’est-à-dire à l’affirmation de l’identité et de l’homogénéité culturelle d’un groupe humain au moyen d’une clôture opposée aux autres groupes humains. En effet, cette inversion de perspective nous permettrait de considérer, avec le philosophe Roberto Esposito, que les tentations de clore la communauté sur elle-même relèveraient d’une dynamique immunitaire et non communautaire, en ce sens qu’elle serait précisément ce qui met en danger la communauté, ce qui menace de l’anéantir en la vidant de son « présupposé même » [127]. Ce ne serait donc pas le « communautarisme » qui nous menacerait, mais bien l’« immunautarisme », si l’on osait cet affreux néologisme qui a le mérite de souligner que son pendant n’a fait son entrée dans le dictionnaire qu’en 1997 [128].

27C’est donc une inversion complète de perspectives à laquelle nous conduit l’attention portée à ce moment où le cours des événements a basculé, où ils ont acquis leur caractère sans précédent. Inversion qui nous amène à porter moins notre attention sur les discours des émeutiers, toujours marqués du sceau du défaut ou du manque comme « proto », « post », « infra » ou « supra-politiques », que sur les pratiques politiques dont les émeutiers ou leur entourage sont parties prenantes, jusque dans les techniques de soi qu’ils adoptent et les rites d’interaction qu’ils instituent au regard d’une « praxéologie motrice politique [129] ». C’est-à-dire en tant qu’ils sont les vecteurs d’une visée de changement social qui se déploie dans l’espace public urbain mais qui n’est formalisée ni dans l’ordre du discours ni dans une organisation ; et en tant que les conduites sensori-motrices véhiculent des modes d’inscription dans l’espace public politique, que ce soit sous la forme émeutière ou sous d’autres formes d’action moins médiatiques mais non moins manifestes.

28Afin de prendre la mesure de ce qu’implique cette ouverture de perspectives pour la sociologie des mouvements sociaux, on peut affirmer ici à titre de postulat exploratoire que moins l’on relève ce qui cherche à rester invisible dans un mode d’inscription dans l’espace public, ou ce qui cherche à rester dissimulé dans la mise sur agenda d’un problème public spécifique, moins l’on est en mesure d’en saisir la dimension politique. Pour ce qui concerne les grandes émotions de novembre 2005 en particulier et les mobilisations collectives « post-ouvrières » dans les quartiers populaires en général, on pourrait dire alors que moins l’on relève leur dimension religieuse, moins on est susceptible de leur conférer une dignité politique. Le cas d’espèce pourrait être l’analyse de Hugues Lagrange qui a mis en évidence un lien structurant entre la politique de rénovation urbaine et de Zones franches urbaines d’une part, des taux élevés de familles nombreuses et de chômeurs de moins de 25 ans d’autre part, et la localisation des émeutes [130]. Le problème réside moins ici dans l’éclairage statistique qu’il apporte et les enseignements que l’on peut en tirer (notamment le lien de causalité que l’on peut établir entre survenue des émeutes et politique de rénovation urbaine), que dans la coloration qu’il lui donne, tout d’abord en attribuant le taux élevé de familles nombreuses et de jeunes chômeurs à la surreprésentation supposée des jeunes d’origine africaine parmi les émeutiers [131], puis en expliquant les écarts entre la probabilité statistique et la réalité émeutière par le « rôle pacificateur joué par le deal », citant en exemple le quartier des Hautes Noues à Villiers-sur-Marne « où tout portait au déclenchement d’incidents qui ne sont pas intervenus » [132]. Or, ce quartier est précisément le seul, à ma connaissance, à avoir été arpenté par un sociologue durant les émeutes, Marwan Mohamed, et celui-ci a fortement nuancé les explications données par Hugues Lagrange à la variabilité des intensités émeutières.

29En effet, Marwan Mohamed a d’abord témoigné qu’aux Hautes Noues, contrairement à ce que laisse penser le silence de l’AFP, des incidents quotidiens, certes limités (escarmouches avec la police et incendies de poubelles, « coups de main » sur des sites à l’extérieur du quartier, aux abords du commissariat et au centre commercial situés à l’extérieur du quartier, mais peu de voitures brûlées), ont eu lieu sans discontinuer du 31 octobre au 9 novembre et ont suscité d’importants déploiements policiers. Par ailleurs, il a invalidé l’hypothèse de l’emprise mafieuse pour expliquer le calme très relatif qui a régné sur le quartier : en établissant d’abord que ce sont les acteurs du pôle déviant eux-mêmes qui assuraient le « service » de l’émeute et que les acteurs les plus investis dans le deal ne pouvaient pas déjuger leurs actes sans se disqualifier auprès de leurs pairs ; en suggérant ensuite que c’est précisément en raison d’une certaine efficacité policière à l’encontre du pôle déviant peu de temps auparavant que celui-ci s’est trouvé affaibli pour affronter la période émeutière. Enfin et surtout, il a mis en évidence le rôle indirect joué six mois plus tôt par une mobilisation politique sur le quartier à l’encontre du maire UMP de la ville, auteur d’un pré-rapport au Premier ministre sur la prévention de la délinquance où il établissait notamment un lien entre bilinguisme et prédisposition à la délinquance : les habitants du quartier s’étaient en effet mobilisés autour du collectif « bamboula » à la suite de propos clairement racistes tenus lors d’une interview au site Afrik.com, où le maire opposait bons et mauvais parents immigrés (Maghrébins et Sahéliens contre Comoriens et Tamouls) et employait le terme « bamboula » pour désigner les Bambaras. Or, dans cette mobilisation qui a réussi à agréger de nombreuses associations et partis politiques d’opposition et qui a amené la municipalité à multiplier les contritions publiques et les mesures en faveur des habitants et des associations du quartier, les jeunes du quartier ont été en pointe, y compris les jeunes du pôle déviant. Pour Marwan Mohamed, tout se passe comme si l’acquis de cette lutte constituait une ressource collective – manifeste lors de discussions informelles à bâtons rompus dans les halls à propos de la grenade lancée sur la mosquée de Clichy, où seules les formes que devait prendre l’expression de la colère étaient en débat –, et avait permis une socialisation politique retirant aux conduites émeutières le monopole de la légitimité politique [133].

30Marwan Mohamed nous donne à voir ce qui se joue dans la localisation du mouvement social que manifestent les mobilisations collectives des quartiers populaires, qui résulte avant tout de l’affaiblissement des supports de ces mobilisations, de l’usine au quartier, du lieu de travail au chez soi, le mouvement social se déployant plus volontiers du lieu de dimensions qui touchent à l’intime – à ce qui permet de se tenir auprès de soi précisément – à la chair, à la dignité des personnes et des communautés, donc de dimensions plus culturelles que strictement socioéconomiques. D’où la tonalité et la coloration si particulières des « grandes émotions » de 2005 – mais que l’on retrouve dans beaucoup d’autres événements contemporains comme le mouvement des piqueteros en Argentine ou les révolutions arabes –, où les cibles symboliques et rituelles, tout en conférant au mouvement la saveur d’un ébranlement barbare [134], de cette « barbarie positive » dont parle Walter Benjamin [135] et qui procède non en laissant mais en effaçant ses traces[136], priment sur les victimes expiatoires, les viols et les pillages. Ce faisant, la mobilisation collective évite le piège de la « guerre des identités », pour mieux révéler cependant un rapport de domination qui se déploie avant tout dans le champ culturel [137], se rendant ainsi intelligible comme mouvement social décolonial.

31Ainsi, les répertoires d’action mobilisés par les habitants des quartiers populaires en France, ne traduisent pas un manque ou un défaut de politique, une incapacité à muer leur mobilisation collective en mouvement social, à exprimer et à exposer une visée sociétale. Au contraire, les répertoires d’action, qu’ils aient ou non recours à la violence, sont congruents avec leur visée sociale et politique : il s’agit toujours de donner à voir des interactions discordantes, d’exposer un corps dissident dans les lieux et les moments où s’incarne l’exercice du pouvoir – le domaine public en général, le centre social, l’école, la bibliothèque, le 14 juillet, voire les Champs-Elysées pour la geste émeutière en France. Parce que le corps est ici à la fois le support et l’enjeu de l’action collective, il la qualifie comme mouvement culturel et lui confère performativement une dimension politique, avant même toute formulation de revendication en termes de reconnaissance par les acteurs. On peut certes trouver aux émeutes de 2005 un air de famille avec une lutte pour la reconnaissance[138] dans le fait que les émeutiers de 2005 exigeaient de savoir ce qui s’était passé près du transformateur EDF et qui avait lancé la grenade sur la mosquée [139], mais leur mouvement social est avant tout intelligible en termes de lutte pour la visibilité, dans la mesure où la visibilité ne constitue pas ici le simple effet d’un mode d’action déjà répertorié, et ne résulte donc pas d’un procès de reconnaissance, mais constitue l’enjeu même de leur lutte. En effet, agir pour la visibilité ne consiste pas « à affirmer ou réaffirmer des identités forgées hors de ces combats […], mais à faire prévaloir un droit d’apparaître, droit d’ailleurs indissociable sans doute d’un droit de disparaître [140] ». Cet agir pour la visibilité a le corps musulman pour support et pour enjeu, dans la mesure où c’est à travers lui qu’il se donne une dimension politique, l’invisibilisation des émeutiers qui, la plupart du temps, évitaient les confrontations avec la police à compter du 31 octobre, et leur silence quant à leur motivations religieuses, étant consécutive à l’apparition du sujet pieux dans l’espace public ce même jour – avec la manifestation des musulmans pieux à Clichy, qui, en tentant de donner une expression légitime à la colère, ont cadré la suite des événements autant qu’ils les ont impulsés. En effet, cette lutte pour la visibilité n’est politique que dans la mesure où elle est solidaire d’un mouvement de retrait de sa motivation religieuse, la dimension politique de cette dernière n’étant saisissable qu’en tant qu’elle est impolitique, et que l’impolitique est précisément « le politique même observé à partir de son confin », le politique en négatif. Ce faisant, il se distingue de l’apolitique, qui oppose au politique une réalité extérieure qui en tant que telle n’existe pas, et de l’antipolitique qui est la négation du politique, dans la mesure où l’impolitique apparaît à la fois comme la limite et la condition du politique :

32

« L’impolitique n’est pas la négation du politique : il est son négatif. C’est le politique même observé à partir de son confin, à partir de la limite, de la blessure qui le coupe ou l’interrompt par rapport à son accomplissement même. Mais attention : je dis bien à partir de son confin. Non à partir d’une réalité extérieure qui, en tant que telle, n’existe pas. Donc l’impolitique n’impose pas au politique une autre réalité. Ni non plus – voire encore moins – une valeur que le politique aurait trahie […]. L’impolitique n’oppose aucune valeur au politique. Il est ce qui, au contraire, le libère définitivement de la valeur, ce qui critique toute considération du politique en termes de valeur, toute valorisation du politique. La valorisation du politique – sa constitution en Absolu – est ce que l’impolitique critique en tant que théologie politique, c’est-à-dire en tant que confusion entre le niveau du Bien (soit de la Vérité, ou de la Justice) et celui du pouvoir. Pour l’impolitique le Bien est irreprésentable par le pouvoir, tout comme le pouvoir ne peut traduire dialectiquement le mal en Bien. […] Le “pôle positif”, le Bien est, pour l’impolitique, irreprésentable. Voire l’Irreprésentable même. [141] »

33Ainsi, cette perspective de l’impolitique récuse d’un même mouvement deux acceptions courantes du politique, qui sont bien plus complémentaires l’une de l’autre qu’opposées l’une à l’autre : celle qui l’identifie à une visée en termes de valeurs, à l’éthique, et celle qui l’identifie à l’opposition schmittienne entre ami et ennemi, c’est-à-dire à la guerre. Pour autant, elle ne renvoie pas ce qui sous-tend ces acceptions courantes du politique, à savoir les enjeux éthiques et la question de la violence, à quelque chose qui lui serait étranger, mais à sa limite et à sa condition même de possibilité. Et c’est précisément en cela qu’elle permet de prendre la mesure du rôle qu’a joué l’islam dans la survenue et la morphologie des émeutes de novembre 2005, en tant qu’il en a constitué le support et la forme de politicité, mais non pas la raison ou la visée que se donnaient les émeutiers. Mais, au-delà des émeutes, cette perspective de l’impolitique semble particulièrement à même de saisir la politicité du renouveau islamique en général. Ainsi, le corps exposé de la femme voilée, dans la mesure où « plus il se cache, plus il se rend visible, et plus il se rend visible, plus il se cache [142] », cristallise cette « stratégie de visibilité invisible » autour de « points de tension » qui surgissent dans l’espace public urbain, de « moments violemment incompatibles » [143] au point qu’on peut se demander s’il ne constitue pas à lui seul un « lieu d’irruption de l’éveil [144] », c’est-à-dire l’image dialectique de ce réveil décolonial.

34Par ailleurs, si le corps est ici le vecteur et l’analyseur du mouvement social, c’est parce qu’il est irréductible à un discours toujours prompt à le trahir, à le traduire dans un langage qui n’est pas le sien, celui du dominant. On est ici confronté à la limite intrinsèque à tout mouvement social de subalternes [145]. Mais il ne faut pas sous-estimer pour autant la portée politique du corps comme « être exposé [146] », et la « praxéologie motrice politique » qu’il déploie sur fond de cette impossibilité. En effet, le corps ne maîtrise pas l’ensemble des signes qu’il émet et des traces qu’il laisse, car il n’y a aucun sujet qui les relève et les interprète au préalable. Aussi, ce procès de subjectivation politique à travers la seule exposition du corps s’opère-t-il à travers un mouvement de retrait de l’espace public politique, ainsi qu’on peut le dire avec Alain Bertho de la « stratégie de visibilité invisible » des émeutiers, ceux-ci effaçant leurs traces pour exister politiquement. Ce faisant, ils amplifient un processus de focalisation sur la visibilité disruptive de certains signes qui cristallisent la conflictualité : ainsi de l’islam qui, comme ressource capitale de la dynamique émeutière, n’a pas été associé à une identité politique, mais dessine ainsi l’horizon où la visibilité publique du corps musulman devient un enjeu politique. Il en est de même en Iran, où le mouvement vert ne s’est pas servi des produits culturels de la globalisation comme de labels d’une identité politique, mais a dessiné l’horizon où leur visibilité devient un enjeu politique en se retirant sur les toits pour crier « Allahou ‘akbar ». C’est pourquoi analyser les grandes émotions de 2005 comme un mouvement social suppose de prendre son parti du fait que la « matérialité du corps [nous déporte] invariablement vers d’autres domaines », et que « non seulement [les corps tendent] à faire signe vers un monde au-delà d’eux-mêmes », mais que « ce mouvement au-delà de leurs propres frontières, ce mouvement de la frontière elle-même, [paraît] tout à fait central à ce qu’ils [sont] » [147]. Aussi est-il impossible de s’en tenir, concernant les performances qu’il réalise dans « l’espace public », à une sociologie qui se saisit du corps uniquement comme vecteur des normes et des régularités du social. Ne peut-on, en effet, l’appréhender aussi comme un excellent analyseur des pulsations et des spasmes qui scandent la vie publique, c’est-à-dire comme ce qui dans la sociation résiste à la socialisation et dans la subjectivation résiste à l’assujettissement ?

Conclusion. Pour comprendre l’événement, conjuguer politique et communauté

35Ainsi, cette inversion de perspectives doit nous conduire à guetter non pas le caractère politique ou non des émeutes d’un point de vue normatif, ce qui serait le meilleur moyen de le perdre, mais ce qui affleure ou déborde de leur dimension impolitique, ici religieuse, et qui pourrait être le meilleur chemin pour le retrouver et le qualifier [148]. Elle nous invite en effet à reprendre entièrement la question du rapport entre communauté et espace public, en considérant le choc des grandes émotions citadines et de l’épisode de la mosquée en particulier comme un moment qui a permis de « rouvrir la brèche – ou le temps – de la communauté [149] ». C’est peut-être en cela qu’il s’agit d’une séquence politique majeure de ce début du XXIe siècle, au moins à l’échelle nationale et européenne. Car l’accueillir comme telle suppose de nous demander non pas « si l’on peut inclure la notion de communauté dans le lexique de la démocratie, mais si le concept de démocratie peut s’inscrire, ou du moins reconnaître quelque chose de sa propre vocation, dans le lexique de la communauté [150] ».

36Poser ainsi le problème de la conjugaison du politique et de la communauté implique de remettre en question des dichotomies conceptuelles avec lesquelles la philosophie et la sociologie du XXe siècle ont pensé la communauté, et qui ne font qu’obscurcir les enjeux. En premier lieu, cette approche situe la communauté dans une toute autre dimension que la façon dont l’appréhendent « les communitarians américains, en réaction à leur prétendus adversaires (liberals), dont ils constituent plutôt le pendant, en ce sens où, inconsciemment, ils en partagent le lexique subjectiviste et particulariste, en l’appliquant, plutôt qu’à l’individu, à la communauté elle-même – aux communautés conçues comme plusieurs individus distincts et opposés les uns aux autres [151] ». Car l’approche de Roberto Esposito saisit la communauté dans une altérité beaucoup plus radicale par rapport à l’individu, qui implique qu’elle soit en mesure de l’altérer, c’est-à-dire de défaire son caractère in-divis. Mais de façon plus subtile encore, elle implique de déconstruire l’opposition entre Gesellschaft (société) et Gemeinschaft (communauté) élaborée par Ferdinand Tönnies [152], une des fondations sur lesquelles repose peu ou prou toute la sociologie moderne :

37

« Car cette opposition […] reste prise dans l’un de ses deux termes – celui de société – au point qu’elle se révèle en être le produit. Non seulement cette idée de communauté découle de la société moderne, mais elle n’assume sa signification que par opposition avec elle. C’est la Gesellschaft qui “construit” son propre idéal-type opposé pour pouvoir s’auto-fonder – dans un esprit apologétique ou de dénigrement, selon le point de vue à partir duquel elle est observée et considérée. Le fait que la Gemeinschaft organique dont parle Tönnies […] n’ait jamais existé en tant que telle, constitue à la fois le signe et la confirmation du caractère mythologique de la dichotomie qui la fonde : celle-ci, en effet, ne constitue qu’une figure de l’auto-interprétation de la “société” dans sa plus haute phase de développement – qui coïncide avec celle de sa crise. [153] »

38Ainsi dépouillée de la charge idéal-typique que lui ont assignée les fondateurs de la sociologie, on la découvre à l’œuvre dans la sociation elle-même, c’est-à-dire dans la dimension la plus disruptive de la socialisation, dans la stricte mesure où, « faille qui cerne et transperce le “social” [154] », elle en constitue la limite irréductible à toute mise aux normes, et ne saurait donc s’identifier à lui sans combler cette faille où s’origine le social et d’où surgit le politique. Ce faisant, Roberto Esposito pousse jusqu’à ces ultimes conséquences des perspectives déjà entrevues en anthropologie, notamment avec les analyses de Victor W. Turner relatives à la liminarité[155] des rituels, et de ce qu’il appelle la communitas « pour distinguer cette modalité de relation sociale [156] » de ce qu’on entend généralement par communauté : en envisageant la communitas configurée par les rituels comme une « contre-structure » où les stratifications sociales sont mises entre parenthèses, créant ainsi une brèche dans la structure sociale qui rend possible sa contestation, Turner ouvre la voie à une approche des rituels non en termes de grammaire invariante des interactions sociales et de la vie publique, mais du lieu de leur performativité, de leur capacité à instaurer un espace-temps d’exception dans « l’espace-temps ordinaire » [157] par-delà les intentions des acteurs, et à interpeller le public jusqu’à l’inclure dans l’unité pragmatique ou performative de ce qui devient une action collective [158] dès que faire communauté génère des interactions discordantes [159] : il faut ici tirer toutes les conséquences du fait que les émeutes de 2005 n’auraient pas été l’événement qu’elles sont devenues sans « l’émeute de papier [160] » qu’elles ont suscitée, et que c’est cette dernière qui, en définitive, lui a conféré sa dimension politique en l’assurant de la « félicité » de sa « force illocutionnaire » [161] – cette émeute de papier s’apparentant à un gigantesque effort pour lui dénier ou lui conférer une dimension politique. En effet, en dernière instance, si l’islam est bien à l’origine de la politicité des émeutes de 2005, ce n’est pas l’islam en tant que tel qui leur donne leur dimension politique, mais bien le public en tant qu’il résilie ou réalise l’action collective [162].

39C’est pourquoi aussi l’inversion radicale de perspective que propose Roberto Esposito relativement à la communauté, entre en résonance toute particulière avec les tentatives qui se font jour en sociologie d’objectiver ce qui se joue à travers les événements et les ruptures, c’est-à-dire avec des rapports sociaux que les affects et les émotions transforment du lieu de leur caractère performatif plutôt qu’ils ne les reflètent. En complément de la conception du temps historique et de l’approche des phénomènes urbains de Walter Benjamin, la conception ouverte de la communauté de Roberto Esposito exige aujourd’hui de trouver des points d’articulation avec cette sociologie qui tente de tourner le dos à une vision évolutionniste du changement social [163] et de rompre avec la conception d’un temps continu, homogène et vide [164], pour lui préférer une méthodologie d’approche ethnographique et longitudinale qui tente de saisir ce qui se joue dans le temps des événements mêmes [165], solidaire d’un rapport au temps qui relève bien plus de la figure de Kairos que de Chronos, c’est-à-dire d’une figure du temps qui « suggère le temps opportun de l’occasion et le moment propice, particulièrement adapté pour rendre compte de l’action [166] ». Sans une démarche d’objectivation solidaire de cette figure de Kairos, le rôle de la religion dans la survenue des émeutes de 2005 est condamné soit à être dénié, soit à être appréhendé en termes de manifestation d’un repli sur soi incompatible avec la dignité de l’action politique, sans se figurer un seul instant le mépris dans lequel ces deux approches tiennent les personnes affectées par le « gazage » de la mosquée Bilal pendant les prières surérogatoires du mois de ramadan, et les réactions de haine qu’il peut engendrer bien au-delà de ceux qui, parmi les musulmans, sont adeptes de diverses formes de sectarisme religieux.

Notes

  • [1]
    Cf. Alexandre Piettre, « Les “grandes émotions” de novembre 2005. Perspectives pour un résistible nouvel échec politique à gauche », Mouvements, 43, 2006, p. 122-130. Parler d’« émotions » nous permet d’inscrire les événements de novembre 2005 dans le temps long des révoltes populaires, sans avoir à choisir entre les termes « émeute » et « révolte » et conférer à l’un ou l’autre le pouvoir illusoire de qualifier ou disqualifier politiquement, étant entendu que les deux termes dénotent une absence de révolution, c’est-à-dire de changement de régime. À la suite de l’historien Jean Nicolas, on peut à bon droit les qualifier aussi de « rébellions » pour souligner leur air de famille avec le répertoire d’action collective d’Ancien Régime (cf. Jean Nicolas, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1161-1789), Paris, Gallimard, 2008). Mais on y perdrait ce que le terme « émotion » dénote, à savoir le rôle fondamental des affects dans leur déclenchement, et ce que ce terme permet de souligner du côté de l’économie morale mise en jeu lors des événements de novembre 2005 et qui les distingue des rébellions récurrentes dans les banlieues. La seule expression que nous récusons pour qualifier ces événements, parce qu’elle leur dénie toute dimension politique, est celle de « violences urbaines ».
  • [2]
    Cf. Nacira Guénif-Souilamas (dir.), La République mise à nu par son immigration, Paris, La Fabrique, 2006.
  • [3]
    Cf. Emmanuel Brenner (dir.), Les territoires perdus de la République. Antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire, Paris, Mille et une nuits, 2002.
  • [4]
    Cf. Francisco Naishtat, « Les traces de la psychanalyse dans la théorie de la connaissance historique. Destin et délivrance dans les Passages benjaminiens (Passagen-Werk) », UTCP Booklet 1, Philosophie et Éducation : Enseigner, apprendre. Sur la pédagogie de la philosophie et de la psychanalyse, 2008, p. 63-84, p. 66.
  • [5]
    Cf. Françoise Proust, L’histoire à contre-temps. Le temps historique chez Walter Benjamin, Paros, Cerf, 1994, p. 41. Sur ce concept d’« actualisation » du passé, cf. Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXe siècle. Le livre des passages, Paris, Cerf, 1989, p. 477.
  • [6]
    Traduction possible du concept de « Jetztzeit », ou « temps actuel », qui « cite » le passé « exactement comme la mode cite un costume d’autrefois », et surgissant du « continu de l’histoire ». Il s’oppose terme à terme au « temps homogène et vide » correspondant à « l’idée de progrès ». Cf. Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire », thèses XIII et XIV, in Michael Löwy, Walter Benjamin : Avertissement d’incendie. Une lecture des thèses « Sur le concept d’histoire », 2001, p. 100-103.
  • [7]
    L’alternative aurait été de confier les pleins pouvoirs à l’exécutif au regard de l’ensemble de la Nation avec l’article 16 de la constitution de la Ve République.
  • [8]
    Cf. Robert Castel, La discrimination négative. Citoyens ou indigènes ?, Paris, Seuil, 2007.
  • [9]
    Cf. Sadri Khiari, La contre-révolution coloniale en France, Paris, La Fabrique, 2009, p. 118-121, qui reprend la chronologie établie par le collectif « Les mots sont importants » (LMSI).
  • [10]
    Cf. Lucienne Bui Trong, Les racines de la violence. De l’émeute au communautarisme, Paris, Audibert, 2003, p. 63 sq.
  • [11]
    Un exemple parmi tant d’autres, d’une jeune femme de Clichy-sous-Bois en novembre 2005 : « C’était comme une boule, on savait que ça allait péter » (Libération du 11-11-2005).
  • [12]
    Cf. Charles Tilly, La France conteste de 1600 à nos jours, Paris, Fayard, 1986.
  • [13]
    Cf. Michel Offerlé, « Périmètres du politique et coproduction de la radicalité à la fin du XIXe siècle », in Annie Collovald et Brigitte Gaïti (dir.), La démocratie aux extrêmes. Sur la radicalisation politique, Paris, La Dispute, 2006, p. 247-268.
  • [14]
    Émeutiers interviewés respectivement dans Le Monde du 8 novembre 2005 et Le Parisien du 5 novembre 2005, et cités par Didier Lapeyronnie, in « Révolte primitive dans les banlieues françaises. Essai sur les émeutes de l’automne 2005 », Déviance et société, 30/4, 2006, p. 431-448, p. 443.
  • [15]
    Noté en janvier 2006 lors d’une enquête auprès des habitants du quartier pour le compte du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment.
  • [16]
    Pour ce dernier graffiti, cf. Didier Lapeyronnie, Ghetto urbain. Ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd’hui, Paris, Robert Laffont, 2008, p. 381. Mais notons qu’au regard de la réalité du sentiment antijuif dans les quartiers populaires, c’est bien la très grande rareté des actes antisémites qu’il convient de remarquer : selon le bilan chiffré du ministère de l’Intérieur, seules deux synagogues (à Pierrefitte et Garges) comptent parmi les dix-huit lieux de culte qui ont subi des dommages (cf. Le Monde du 2 décembre 2005).
  • [17]
    Didier Fassin, « Les économies morales revisitées », Annales. Histoire, Sciences sociales, 64/6, 2009, p. 1237-1266.
  • [18]
    Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle. Le livre des passages, op. cit., p. 475 [N1a, 1].
  • [19]
    Gérard Mauger, L’émeute de novembre 2005. Une révolte protopolitique, Paris, Éditions du Croquant, 2006, p. 148-149. Il n’évoque pas explicitement la jacquerie de 1358, mais la comparaison est fortement suggérée, ne serait-ce que par la première de couverture.
  • [20]
    Cf. Didier Lapeyronnie, « Révolte primitive dans les banlieues françaises. Essai sur les émeutes de l’automne 2005 », art. cit., p. 441, où il fait une comparaison avec la jacquerie de 1358.
  • [21]
    Gérard Mauger, L’émeute de novembre 2005. Une révolte protopolitique, op. cit., p. 126.
  • [22]
    Didier Lapeyronnie, « Révolte primitive dans les banlieues françaises. Essai sur les émeutes de l’automne 2005 », art. cit., p. 433 et 447.
  • [23]
    Cf. Alain Bertho, Le temps des émeutes, Paris, Bayard, 2009, p. 13 sq.
  • [24]
    Ibidem, p. 197.
  • [25]
    Ibid., p. 231.
  • [26]
    Cf. Arjun Appadurai, Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot, 2005.
  • [27]
    Alain Bertho, Le temps des émeutes, op. cit., p. 61.
  • [28]
    Giorgio Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ?, Paris, Rivages Poche, 2008, p. 22, cité par Alain Bertho, in Le temps des émeutes, op. cit., p. 44-45.
  • [29]
    Alain Bertho, Le temps des émeutes, op. cit., p. 228.
  • [30]
    Ibidem, p. 232.
  • [31]
    Cf. ibid., p. 14 sq.
  • [32]
    Cf. Yves-Marie Bercé, Croquants et nu-pieds. Les soulèvements paysans en France du XVIe au XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1991.
  • [33]
    Cf. Jean Nicolas, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1161-1789), op. cit., p. 53-54. Remarquons ici que les émeutes frumentaires sont des révoltes essentiellement urbaines, alors que les rébellions anti-étatiques sont autant urbaines que rurales. Quant à la défense des communaux (les « invasions de champs » de Charles Tilly), elle ne fait pas l’objet d’une rubrique particulière dans la typologie qu’il a élaborée, formant une bonne partie des rébellions antiseigneuriales qui représentent elles-mêmes 5 % seulement du total des « émotions » et/ou « séditions » de la période considérée.
  • [34]
    Charles Tilly, La France conteste de 1600 à nos jours, op. cit., p. 547-548.
  • [35]
    Cf. ibidem, p. 55 : à partir de 1660, soit après la Fronde, dernière grande révolte contre l’absolutisme dirigée par l’aristocratie.
  • [36]
    Cf. Jean Nicolas, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1161-1789), op. cit., p. 139.
  • [37]
    Cf. Yves-Marie Bercé, Croquants et nu-pieds. Les soulèvements paysans en France du XVIe au XIXe siècle, op. cit., p. 156 sq. Cette thèse, convaincante, mérite cependant cette précision pour être entendue : le pouvoir légitime de police et de justice pour les sujets des campagnes, bien que volontiers et régulièrement contesté, était attaché, identifié et localisé à la seigneurie. Le pouvoir de l’État central qui était concrètement et essentiellement exercé par les gardes des fermiers généraux, y était en revanche perçu comme fondamentalement étranger, intrusif et illégitime, au point qu’il était associé au brigandage. C’est, consécutive à la « réaction féodale », l’association à la peur du gabelou d’un pouvoir seigneurial qui ne se limite plus à sa dimension symbolique, à la police et à la justice de proximité, qui est à l’origine de sa perte. En effet, les rébellions antiseigneuriales sont restées peu nombreuses jusqu’au seuil des années 1760 : près de la moitié des 512 rébellions comprenant une dimension antiseigneuriale ont eu lieu après cette date, dont 122 pour la seule décennie 1780-1789, Grande Peur non comprise (cf. Jean Nicolas, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1161-1789), op. cit., p. 330).
  • [38]
    Papiers des bureaux fiscaux, terriers (recueil des titres seigneuriaux), girouettes et pigeonniers des châteaux qui symbolisaient les droits seigneuriaux, mais aussi bancs d’église réservés non seulement aux nobles, mais aussi à tous ceux qui pouvaient les louer. Cf. Yves-Marie Bercé, Croquants et nu-pieds. Les soulèvements paysans en France du XVIe au XIXe siècle, op. cit., p. 168 sq.
  • [39]
    La prise d’armes et la marche sur la ville sont des éléments-clefs de ce répertoire d’action. Cf. ibidem, p. 179 sq. : « Procureurs, notaires, avocats, sergents, huissiers, praticiens, gens de loi […]. Les paysans sont leurs débiteurs, leurs métayers, leurs redevables, leurs assujettis. » (p. 180).
  • [40]
    Cf. Richard Sennett, La chair et la pierre. Le corps et la ville dans la civilisation occidentale, Paris, Éditions de la Passion, 2002, p. 204-205.
  • [41]
    Selon le mot de Roederer, proche des Girondins, lorsque les sections parisiennes ont envahi les Tuileries le 20 juin 1792, et ont contraint Louis XVI à s’exhiber parmi les manifestants coiffé du bonnet phrygien : « le trône est encore debout mais le peuple s’y est assis ». Cf. Jean-Pierre Jessenne, Révolution et Empire, 1783-1815, Paris, Hachette, 1993, p. 105.
  • [42]
    Cf. Ernesto Laclau, La raison populiste, Paris, Seuil, 2008.
  • [43]
    Nous employons ici le mot « glèbe », qui veut dire « terre », comme métaphore des rébellions populaires récurrentes et spécifiques à la modernité, apparues originellement dans les campagnes, pour les différencier des formes spécifiques d’apparition de la plèbe urbaine sur la scène publique, qui remontent à l’Antiquité. Pour marquer la métaphore, nous emploierons toujours des guillemets pour désigner le type de rébellion que nous caractérisons avec le terme « glèbe ».
  • [44]
    Cf. Yves-Marie Bercé, Croquants et nu-pieds. Les soulèvements paysans en France du XVIe au XIXe siècle, op. cit., p. 192 sq.
  • [45]
    Cf. George Lefebvre, La Grande Peur de 1789 [1932], Paris, Armand Colin. Son analyse de cet événement, un classique de l’historiographie de la Révolution française, a été reprise par Michel Vovelle, in La Mentalité révolutionnaire, Paris, Éditions sociales, 1988.
  • [46]
    Cf. Sophie Wahnich, La longue patience du peuple. 1792. Naissance de la République, Paris, Payot, 2008, notamment p. 169-170 pour le développement qui précède.
  • [47]
    J’ai eu l’opportunité d’analyser des mobilisations politiques locales significatives avant la survenue des émeutes de 2005. Cf. Alexandre Piettre, « Entre l’urbain et le social, un espace politique ? Histoire et devenir du quartier de la Plaine du Lys à Dammarie-les-Lys à l’aune de la mobilisation politique de l’association “Bouge qui Bouge” », L’homme et la société, 160/161, 2007, p. 103-134 ; et Entre urbanité et communauté, la politisation de l’espace public urbain, Thèse de doctorat, CSPRP, Université de Paris 7, notamment le chapitre V sur l’expérience politique et électorale du “Kollectif” de Bondy et de la liste “Rebondir” à la faveur des élections municipales de mars 2001, 2010.
  • [48]
    Cf. Ernesto Laclau, La raison populiste, op. cit.
  • [49]
    Cf. Jacques Rancière, Le maître ignorant. Cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, Paris, Fayard, 1987.
  • [50]
    Comme je l’ai déjà noté, Walter Benjamin caractérise ainsi la temporalité associée à « l’idée d’un progrès de l’espèce humaine à travers l’histoire », en affirmant qu’elle est « inséparable » de l’histoire mise en récit par les vainqueurs (« Sur le concept d’histoire », Thèse XIII, in Michael Löwy, Walter Benjamin : Avertissement d’incendie. Une lecture des thèses « Sur le concept d’histoire », op. cit., p. 99-100).
  • [51]
    Cf. Jacques Rancière, La mésentente. Politique et philosophie, Paris, Galilée, 1995.
  • [52]
    J’entends ici que ces émeutes sont « anti-urbaines », au sens où elles ne témoignent pas de l’urbanité que les politiques urbaines ont pour visée de « produire ».
  • [53]
    Cf. Pierre Clastres, La société contre l’État, Paris, Éditions de Minuit, 1974.
  • [54]
    Cf. Michel Foucault, « Espace, savoir et pouvoir », Dits et écrits II, Paris, Gallimard, 2001, p. 1089-1104, p. 1091, où il note qu’à partir du XVIIIe siècle, « le modèle de la ville devient la matrice d’où sont produites les réglementations qui s’appliquent à l’ensemble de l’État ».
  • [55]
    Remarquons ici avec Jean Nicolas (La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1161-1789), op. cit.) la diversité des modes d’actions collectives qui se déploient en ville, les conflits multiples occasionnés par les humeurs de la plèbe contre les « patriciens », et leur faculté à interpeller et à remettre en cause les institutions : les révoltes antifiscales, comme dans les campagnes, se focalisent sur les commis des fermes qui prélèvent aussi bien les impôts indirects royaux que les octrois municipaux (dont sont exemptés les bourgeois), mais elles peuvent aussi, pour cette raison, nourrir des rébellions mettant en cause l’autorité municipale ; les émeutes de subsistance ont lieu principalement en ville où elles sont l’affaire des femmes, et elles aboutissent parfois à interdire ou taxer l’exportation des grains ; les conflits autour du travail, souvent liés à l’emploi ou au salaire, ressemblent beaucoup à ceux qui feront l’essentiel de l’expérience plébéienne aux XIXe et XXe siècles, et ils se multiplient à partir de 1760. La « glèbe » est quant à elle essentiellement concernée par les révoltes antifiscales, et s’oppose à un pouvoir abstrait, distant et dévorant qu’il lui arrive d’identifier nommément « au loup » (p. 118) : elle se révolte encore sous le second absolutisme sur un mode communautaire (paroissial) contre le prélèvement de l’impôt direct (la taille), mais le gros de ses révoltes antifiscales à partir de 1660 consistent en « rescousses » visant soit à libérer des contrebandiers, soit à récupérer des saisies de contrebande (« faux-sel », « faux-tabac » notamment) ; en plus de ces « rescousses », on peut lui attribuer la majeure partie des troubles occasionnés par la jeunesse (notamment les « charivaris » dégénérant en affrontements qui sont essentiellement un fait rural, voire de bourgs ou de faubourgs), et 20 % des émeutes de subsistance lors des périodes de soudure (au printemps, lorsque les greniers sont vides), principalement sous forme d’attaques concertées et armées de convois de grains ; et bien sûr les rébellions antiseigneuriales qui se multiplient à partir de 1760.
  • [56]
    Cf. Robert Fossier, Le Moyen-Âge, t. III, Le temps des crises, 1250-1520, Paris, Armand Colin, 1983, p. 109.
  • [57]
    Cf. Richard Sennett, La chair et la pierre. Le corps et la ville dans la civilisation occidentale, op. cit., p. 203.
  • [58]
    Cf. Matthieu Potte-Bonneville, « Poser le problème des manières d’exercer le pouvoir », entretien, in Politis du 17 novembre, 2005, p. 7-8.
  • [59]
    Cf. Charles Tilly, La France conteste de 1600 à nos jours, op. cit., p. 540-541. Il est revenu à la fin de sa vie sur cette intuition qui nous paraît pourtant fort juste (cf. Charles Tilly, « Ouvrir le répertoire d’actions », entretien, in Vacarme, 31, 2005).
  • [60]
    Cf. Denis Merklen, Quartiers populaires, quartiers politiques, Paris, La Dispute, 2009.
  • [61]
    Ainsi, ce sont essentiellement des affects hétérogènes qui lient l’exigence égalitaire de la plèbe parisienne qui a abouti au 14 juillet, avec pour origine un conflit focalisé sur les barrières d’octroi à partir du 7 juillet, et la Grande Peur (peur des « brigands », des « Anglois », des « Huguenots »…) provoquée par la prise de la Bastille, attribuée confusément à un complot aristocratique dans les campagnes : quoique la Grande Peur soit étrangère dans ses motivations explicites à la visée des insurgés parisiens, c’est pourtant en retour l’ébranlement qu’elle a provoqué qui précipite l’abolition des privilèges le 4 août.
  • [62]
    Cf. Michel Foucault, « Omnes et singulatim : vers une critique de la raison politique », Dits et écrits II, op. cit., p. 953-980.
  • [63]
    Cf. Martin Breaugh, L’expérience plébéienne. Une histoire discontinue de la liberté politique, Paris, Payot, 2007.
  • [64]
    Cf. Pierre Clastres, La société contre l’État, Paris, Éditions de Minuit, 1974.
  • [65]
    C’est ainsi que Didier Fassin qualifie le « gouvernement des corps » qui se traduit par des dispositifs de « biolégitimité », comme le sont notamment les régimes de « confession laïque » appliqués en matière d’action sanitaire et sociale où les corps sont invités à exposer leur souffrance pour obtenir une aide. Cf. Didier Fassin, « Le corps exposé. Essai d’économie morale de l’illégitimité », in Didier Fassin et Dominique Memmi (dir.), Le gouvernement des corps, Paris, Éditions de l’EHESS, 2004, p. 237-266. p. 242.
  • [66]
    Cf. Sidi Mohammed Barkat, Le corps d’exception. Les artifices du pouvoir colonial et la destruction de la vie, Éditions Amsterdam, 2005. Ce corps d’exception, c’est bien évidemment celui, ni étranger, ni citoyen, de l’indigène, et de ses multiples avatars aujourd’hui : le musulman trop « visible », le sans-papiers, le jeune de cité, etc.
  • [67]
    Je différencie ici anticolonial et décolonial au regard du contexte socio-historique dans lequel la lutte contre le système de domination structurée par les rapports sociaux de race se déploie : quand elle est anticoloniale, elle implique une affirmation nationale, mais en tant qu’elle relève d’un « nationalisme sans nation » (cf. Abdelmalek Sayad, La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil, 1999), elle est décoloniale. Anti- ou dé-coloniale, l’essentiel est que dans la mesure où la lutte implique que ses acteurs se racialisent, elle confère une dimension culturelle au mouvement social, les perspectives ouvertes par Alain Touraine (par exemple dans Critique de la modernité, Paris, Fayard, 1992) étant ici en partie convergentes avec les études postcoloniales (cf. notamment Dipesh Chakrabarty, Provincialiser l’Europe. La pensée postcoloniale et la différence historique, Paris, Éditions Amsterdam, 2009 ; et Homi K. Bhabba, Les lieux de la culture, Paris, Payot, 2007).
  • [68]
    Cf. Nacira Guénif-Souilamas, « La république aristocratique et la nouvelle société de cour », in Nacira Guénif-Souilamas (dir.), La république mise à nu par son immigration, Paris, La Fabrique-éditions, 2006, p. 7-38.
  • [69]
    Si on a souvent noté que les émeutes ne s’étaient étendues au-delà de Clichy et Montfermeil qu’après l’épisode de la grenade lancée sur la mosquée, et parfois posé la question de savoir si « l’incident de la mosquée a joué un rôle dans le passage de la première à la deuxième phase de l’émeute » (Laurent Mucchielli et Véronique Le Goaziou (dir.), Quand les banlieues brûlent… Retour sur les émeutes de novembre 2005, Paris, La Découverte, 2006, p. 15), peu, à ma connaissance, ont tenté de répondre à cette question, à l’exception notable de Marwan Mohammed qui est l’un des très rares sociologues à avoir mené une enquête de terrain au moment des émeutes (cf. infra), et de Michel Kokoreff (Sociologie des émeutes, Paris, Payot, 2008, p. 54-55), qui s’appuie sur les observations de Didier Fassin et mes propres analyses pour souligner que cette séquence a construit la légitimité et le cadre politique des émeutes qui ont suivi. Ce rôle décisif de la grenade lacrymogène lancée sur le seuil de la mosquée Bilal pour rendre compte du caractère exceptionnel de l’événement de novembre 2005 a été depuis clairement mis en évidence par Gilles Kepel, in Banlieue de la République. Société, politique et religion à Clichy-sous-Bois et Montfermeil, Paris, Gallimard, 2012.
  • [70]
    Cf. Michel Kokoreff, Sociologie des émeutes, op. cit., p. 54 et 62.
  • [71]
    Cf. Hugues Lagrange, « La structure et l’accident », in Hugues Lagrange et Marco Oberti (dir.), Émeutes urbaines et protestations. Une singularité française, Paris, Les Presses de Science Po, 2006, p. 105-130.
  • [72]
    Cf. Michel Kokoreff, Sociologie des émeutes, op. cit.
  • [73]
    Cf. Fabien Jobard, « Sociologie politique de la racaille. Les formes de passage au politique des “jeunes bien connus des services de police” », in Hugues Lagrange et Marco Oberti (dir.), Émeutes urbaines et protestations. Une singularité française, Presses de Sciences Po, 2006, p. 59-79 ; Laurent Mucchielli, « Il faut changer la façon de “faire la police” dans les “quartiers sensibles” », in Ouvrage collectif, Banlieue, lendemains de révolte, La Dispute, 2006.
  • [74]
    Cf. Thierry Oblet, Défendre la ville. La police, l’urbanisme et les habitants, Paris, PUF, 2008.
  • [75]
    La politique de la ville consistant, à l’origine, à promouvoir une politique d’empowerment des habitants (cf. Marie-Hélène Bacqué, L’empowerment, une pratique émancipatrice, Paris, La Découverte, 2013) et à inventer de nouvelles procédures d’action publique pour ce faire, son échec relatif a conduit nombre d’analystes à disqualifier la visée originelle de la politique au profit d’une visée néolibérale de réforme de l’État, soit pour la louer, soit pour la condamner. Mais, à l’origine, elle avait donné lieu à des évaluations contrastées au sein même de l’institution chargée de la conduire : celle plus que mitigée de Jean-Michel Belorgey, président du Comité national d’évaluation de la politique de la ville, dans le rapport d’évaluation provisoire non validé par le Comité qu’il produisit en 1993, où il critique notamment le flou des orientations et des procédures de la politique de la ville, la faiblesse de la participation des habitants et son incapacité à enrayer le phénomène de l’exclusion ; et celle, très positive, de Jacques Donzelot et Philippe Estèbe (L’État animateur. Essai sur la politique de la ville, Paris, Esprit, 1994) : membres de ce même Comité, ils ont célébré la politique de la ville comme levier de la modernisation de l’État. Rejoignant sur l’essentiel le point de vue du premier, la sociologie critique de la politique de la ville a cependant identifié cette dernière à la conception qu’en avaient Donzelot et Estèbe, contribuant ainsi à sa manière à la disqualification de l’évaluation de Belorgey et de la politique de la ville dans son ensemble. (Cf. à ce sujet la thèse de Renaud Epstein, Gouverner à distance. La rénovation urbaine, démolition-reconstruction de l’appareil d’État, Thèse de doctorat en sociologie, ENS de Cachan, 2008, p. 33-34.)
  • [76]
    Il s’agit des Zones Franches Urbaines mises en place en 1994 : en instaurant un même statut dérogatoire au plan de la fiscalité appliquée aux entreprises qui s’implantent dans les zones sensibles, en contrepartie d’un pourcentage d’embauches réalisées sur le territoire concerné, elles rompaient avec une politique de la ville congruente avec des démarches de développement local dans lesquelles l’État lui-même s’implique via ses services déconcentrés.
  • [77]
    Je pense principalement aux travaux de Gérard Chevalier, Sociologie critique de la politique de la ville. Une action publique sous influence, Paris, L’Harmattan, 2005 ; et de Sylvie Tissot, L’État et les quartiers. Genèse d’une catégorie de l’action publique, Paris, Seuil, 2007.
  • [78]
    Cf. notamment Stéphane Beaud et Michel Pialoux, « La “racaille” et les “vrais jeunes”. Critique d’une vision binaire du monde des cités », liens socio, [En ligne], mis en ligne le 30 novembre 2005. URL :
    http://www.liens-socio.org/article.php3?id_article=977.
    Consulté le 13 septembre 2009 ; Sylvie Tissot, L’État et les quartiers. Genèse d’une catégorie de l’action publique, op. cit.
  • [79]
    Cf. Gérard Mauger, L’émeute de novembre 2005. Une révolte protopolitique, Paris, Éditions du Croquant, 2006.
  • [80]
    Cf. par exemple Laurent Bonelli, « Les raisons d’une colère », Le Monde diplomatique, décembre 2005, ou bien l’article du Collectif « Les mots sont importants », « État de l’opinion ou opinion de l’État ? Quand Le Parisien manipule “l’opinion” en prétendant l’enregistrer », [En ligne], mis en ligne en novembre 2005. URL :
    http://www.lmsi.net/spip.php?article483. Consulté le 31 août 2009.
  • [81]
    Cf. notamment Didier Lapeyronnie, « L’académisme radical ou le monologue sociologique. Avec qui parlent les sociologues ? », Revue française de sociologie, 45/4, 2004, p. 621-651. Dans cet article, l’auteur tente de disqualifier politiquement les travaux des disciples de Bourdieu, notamment Sylvie Tissot, Franck Poupau, Frédéric Lebaron et Loïc Wacquant, en les accusant de pratiquer un autisme social et un refus de la démocratie, et de défendre en dernière instance leurs propres intérêts de classe moyenne.
  • [82]
    Cf. Philippe Cibois, « Parler entre sociologues », Socio-logos, n° 1, 2006 [En ligne], mis en ligne le 19 avril 2006. URL :
    http://socio-logos.revues.org/document16.html. Consulté le 31 août 2009.
  • [83]
    Cf. Jérôme Vidal, « Les formes obscures de la politique, retour sur les émeutes de novembre 2005. À propos de Gérard Mauger, L’émeute de novembre 2005 : une révolte protopolitique, Paris, Éditions du Croquant, 2006 », La Revue internationale des livres et des idées, 3, janvier-février 2008.
  • [84]
    Judith Butler, « Qu’est-ce que la critique ? Essai sur la vertu selon Foucault », in Marie-Christine Granjon (dir.), Penser avec Michel Foucault. Théorie critique et pratiques politiques, Paris, Karthala, 2005, p. 75-101, p. 75.
  • [85]
    Concept proposé par Denis Merklen, « Paroles de pierre, images de feu. Sur les événements de novembre 2005 », Mouvements, 43, 2006, p. 131-137. Pour une élaboration plus complète de ce concept et son articulation avec celui de sociabilité, cf. Denis Merklen, Quartiers populaires, quartiers politiques, op. cit.
  • [86]
    Cf. Alain Bertho, « Nous n’avons vu que des ombres », Mouvements, 44, 2006, p. 26-30, p. 28.
  • [87]
    Ibidem, p. 29.
  • [88]
    Ibid., p. 28.
  • [89]
    Voir son site internet personnel : http://berthoalain.wordpress.com/
  • [90]
    Cf. Roberto Esposito, « La perspective de l’impolitique », Tumultes, 8, 1996, p. 59-69 ; Catégories de l’impolitique, Paris, Seuil, 2005.
  • [91]
    Cf. Alain Bertho, « Nous n’avons vu que des ombres », art. cit., p. 181.
  • [92]
    Sur dix-huit lieux de culte endommagés pendant les émeutes, seuls deux étaient des synagogues (selon le bilan du ministère de l’Intérieur, in Le Monde du 2 décembre 2005).
  • [93]
    Cf. Alain Bertho, « Nous n’avons vu que des ombres », art. cit., p. 26.
  • [94]
    Cf. Alain Bertho, « Du “grondement de la bataille” à l’anthropologie du contemporain », Variations, 8, automne 2006, p. 17-27.
  • [95]
    Cf. Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy, « Le “retrait” du politique », in Ouvrage collectif, Le retrait du politique, Paris, Galilée, 1983, p. 183-200.
  • [96]
    Michel Foucault, « Face aux gouvernements, les droits de l’homme », 1994, p. 708, cité en exergue de la page d’accueil du site personnel d’Alain Bertho :
    http://berthoalain.wordpress.com/. Consulté le 5 février 2010.
  • [97]
    Alain Bertho, « Nous n’avons vu que des ombres », art. cit., p. 29-30.
  • [98]
    D’après une immersion ethnographique de deux journalistes plusieurs jours durant dans la cité 112 d’Aubervilliers, in Le Monde du 8 novembre 2005.
  • [99]
    Alain Bertho, « Bienvenue au XXIe siècle », in Ouvrage collectif, Banlieue, lendemains de révolte, Paris, La Dispute, 2006.
  • [100]
    Ibidem.
  • [101]
    Cf. à ce sujet Denis Merklen, Quartiers populaires, quartiers politiques, op. cit. : reprenant le concept de support d’individuation élaboré par Robert Castel pour l’État social, il montre, principalement à partir de l’exemple argentin, comment le local devient ce support à la place de l’État social quand celui-ci est remis en cause.
  • [102]
    Cf. Romain Bertrand, « Faire parler les subalternes ou le mythe du dévoilement », in Marie-Claude Smouts (dir.), La situation postcoloniale, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2007, p. 276-284. Ce titre fait référence à l’ouvrage de Gayatri Chakravorty Spivak, Les subalternes peuvent-elles parler ?, (Paris, Éditions Amsterdam, 2009), un des textes fondateurs des postcolonial studies. La prétention à faire parler les subalternes est une critique souvent adressée à l’encontre des postcolonial et subaltern studies, mais elle aurait plus de pertinence si elle était adressée d’abord aux sociologies « hégémoniques », qu’on pourrait qualifier génériquement de western studies, et à leurs difficultés à « accepter que les autres se regardent sans nous » (Florence Bernault, « Les barbares et le rêve d’Apollon », in Nicolas Bancel et al. (dir.), Ruptures postcoloniales. Les nouveaux visages de la société française, Paris, La Découverte, 2010, p. 159-177, p. 176). Cf. à ce sujet Laurence Roulleau-Berger (dir.), Sociologies et cosmopolitisme méthodologique, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2012.
  • [103]
    Alain Bertho, « Bienvenue au XXIe siècle », art. cit.
  • [104]
    Alain Bertho, « Nous n’avons vu que des ombres », art. cit., p. 28.
  • [105]
    Survenues après la mort de deux adolescents percutés par une voiture de police, elles ont été beaucoup plus violentes que toutes celles survenues jusque-là, mais ont été aussi intenses que brèves (trois nuits) et ne se sont pas étendues au-delà des communes immédiatement environnantes, contrairement à ce que l’on pouvait craindre ou escompter.
  • [106]
    Cf. Ernesto Laclau, La raison populiste, op. cit., p. 288.
  • [107]
    Cf. Michel Kokoreff, Sociologie des émeutes, op. cit., p. 260 sq., qui évoque à cet égard un « désenchantement final » (p. 268).
  • [108]
    Cf. Mathieu Rigouste, « La guerre à l’intérieur : la militarisation du contrôle des quartiers populaires », in Laurent Mucchielli (dir.), La frénésie sécuritaire. Retour à l’ordre moral et nouveau contrôle social, Paris, La découverte, 2008.
  • [109]
    À partir du 2 novembre, avec un dépôt de plainte et le recours à un avocat contre la police et l’ouverture d’une information judiciaire pour « non assistance à personne en danger » par le parquet. Cf. à ce sujet Michel Kokoreff, Sociologie des émeutes, op. cit., p. 56 sq.
  • [110]
    Cf. Fabien Jobard, « Ces conflits urbains à venir. À propos d’une mobilisation politique à Dammarie-lès-Lys [été 2002] », Esprit, décembre 2002, p. 152-162.
  • [111]
    Cf. Michel Kokoreff, Sociologie des émeutes, op. cit., p. 56 : après avoir souligné l’importance de la séquence de l’incident de la mosquée pour la construction de la légitimité et du cadre politiques des émeutes, il en tire argument pour dire que s’ils sont politiques, c’est donc que « les vrais enjeux sont ailleurs », c’est-à-dire en-dehors de la religion. Pour autant, le fait que l’islam ait pu être le support, et non certes la cause ou le motif, d’une mobilisation politique sans précédent de l’ensemble des quartiers populaires du pays peut légitimement, nous semble-t-il, circonscrire une vraie problématique de recherche, et ce d’autant plus qu’elle constitue pour les sciences sociales un enjeu majeur d’un point de vue épistémologique et herméneutique.
  • [112]
    Pour une critique du primordialisme comme modèle explicatif des violences « ethniques », cf. Arjun Appadurai, Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, op. cit., p. 205 sq.
  • [113]
    Cf. Richard Sennett, La chair et la pierre. Le corps et la ville dans la civilisation occidentale, op. cit., notamment p. 274. J’évoque ici les rites autant dans leur dimension la plus ordinaire avec Erving Goffman (Les rites d’interaction, Paris, Éditions de Minuit, 1974) en tant qu’ils cadrent les interactions dans lesquelles sont engagées les personnes (autour de l’enjeu de sauver la face), que dans leur dimension liminaire avec Victor W. Turner (Le phénomène rituel, Structure et contre-structure, Paris, PUF, 1990), en tant qu’ils manifestent l’opposition de la communitas à la société structurée et permettent à celle-ci de se renouveler.
  • [114]
    Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire », Thèse 1, dans la traduction proposée par Michaël Löwy, Walter Benjamin : Avertissement d’incendie. Une lecture des thèses « Sur le concept d’histoire », op. cit., p. 28. Il qualifie ainsi la théologie lorsqu’elle se met « au service » du matérialisme historique, c’est-à-dire au service d’une politisation de l’histoire, et non lorsqu’elle en tient lieu, contredisant de la sorte Carl Schmitt sur son propre terrain (cf. Jacob Taubes, En divergent accord. À propos de Carl Schmitt, Paris, Payot & Rivages, 2003).
  • [115]
    Cf. Alexandre Piettre, « Les “grandes émotions” de novembre 2005. Perspectives pour un résistible nouvel échec politique à gauche », art. cit. Une version améliorée et augmentée de cet article a été mise en ligne le 10 mai 2006. URL : http://www.csprp.univ-paris-diderot.fr/IMG/pdf/ap_-_version_longue_en_ligne_les_grandes_emotions_de_novembre_2005_-_mouvements_43_janvier_2006.pdf
  • [116]
    Cf. notamment Nacira Guénif, « Le balcon fleuri des banlieues embrasées », Mouvements, 44, 2006, p. 31-35.
  • [117]
    Cf. à ce sujet Marwan Mohammed, « Les voies de la colère : “violences urbaines” ou révolte d’ordre “politique” ? L’exemple des Hautes-Noues à Villiers-sur-Marne », Socio-logos [en ligne], 2007, n° 2. URL : http://socio-logos.revues.org/document352.html (consulté le 11 juillet 2007). Marwan Mohammed est à notre connaissance un des très rares sociologues à avoir réalisé une enquête de terrain durant les émeutes, ce qui confère à son article une valeur inestimable dans toute la littérature produite sur le sujet. Il y met notamment en évidence l’impact considérable de l’épisode de la mosquée, et souligne combien il a été « sous-estimé » par ailleurs.
  • [118]
    Cf. Gilles Kepel, Banlieue de la République. Société, politique et religion à Clichy-sous-Bois et Montfermeil, op. cit.
  • [119]
    Comme le souligne à juste titre Didier Lapeyronnie, « Révolte primitive dans les banlieues françaises. Essai sur les émeutes de l’automne 2005 », art. cit., p. 447.
  • [120]
    Cf. Alexandre Piettre, « Les “grandes émotions” de novembre 2005. Perspectives pour un résistible nouvel échec politique à gauche », art. cit., p. 127-129.
  • [121]
    Comme lors de la manifestation des musulmans pieux de Clichy le lendemain de l’incident de la mosquée. Cf. Le Parisien du 02-11-05.
  • [122]
    Hadîth rapporté par Nasâ’i et Ibn Mâja, dans la traduction proposée par Youssef Seddik, Dits du prophète Muhammad, Paris, Actes Sud, 1997, p. 38. Le Hadîth complet dit ceci : « Ma terre à moi ne souffre ni association ni partage, juste le bon voisinage ».
  • [123]
    Rapporté par Didier Lapeyronnie, « L’académisme radical ou le monologue sociologique. Avec qui parlent les sociologues ? », art. cit., p. 441.
  • [124]
    Dans une interview au Figaro du 15/11/2005, et à Haaretz du 18/11/2005 (rapportée par Le Monde du 24/11/2005).
  • [125]
    D’après un télégramme de la diplomatie américaine révélé par Wikileaks. Cf. Luc Bronner, « Banlieues et minorités sous l’œil attentif des Américains », in Le Monde du 01/12/2010.
  • [126]
    Roberto Esposito, Communitas. Origine et destin de la communauté, Paris, PUF, 2000, p. 22.
  • [127]
    Ibidem, p. 27.
  • [128]
    Cf. Fabrice Dhume, « “Communautarisme”. L’imaginaire nationaliste entre catégorisation ethnique et prescription identitaire », VEI-Diversité, 150, novembre 2007.
  • [129]
    Cf. Jean-François Bayart, « “Total subjectivation” », in Jean-François Bayart et Jean-Pierre Warnier (dir.), Matière à politique. Le pouvoir, les corps et les choses, Paris, Karthala, 2004, p. 215-253, p. 235. Il s’appuie sur une approche développée par Jean-Pierre Warnier qui, à partir des travaux de Paul Veyne et de Michel Foucault, tente d’élucider les rapports entre les conduites sensori-motrices et la subjectivation politique, et se distingue des approches sémiotiques ou structuralistes des objets « en tant qu’ils font signe dans un système de communication », ou des analyses de la culture matérielle en termes de logistique ou de structure de la vie en société (cf. Jean-Pierre Warnier, « Pour une praxéologie de la subjectivation politique », in Jean-François Bayart et Jean-Pierre Warnier (dir.), op. cit., p. 7-31, p. 8-9).
  • [130]
    Hugues Lagrange, « La structure et l’accident », art. cit., p. 114.
  • [131]
    Ce lien supputé est en fait très peu documenté : il ne peut en aucun cas être étayé au regard du taux de ménages étrangers (les familles nombreuses d’origine africaine devraient plus souvent être primo-arrivantes) comme Hugues Lagrange le souligne lui-même, et peut être contesté sur la base d’autres enquêtes, comme celle qui a été menée sur les émeutiers mineurs jugés au tribunal de Bobigny, indiquant que la majorité d’entre eux sont d’ascendance maghrébine (cf. Aurore Delon et Laurent Mucchielli, « Les mineurs émeutiers jugés à Bobigny », Claris la Revue, 1, 2006, p. 5-16). Il me semble qu’apporter une caution scientifique à cette association entretient une équivoque dangereuse et contribue à naturaliser le phénomène émeutier : elle fait écho aux propos d’Hélène Carrère d’Encausse mettant en cause les familles polygames, et des représentants de l’extrême-droite n’ont pas manqué de la relayer (cf. par exemple le blog des Amis de l’UDC en Romandie, URL : http://udcfriends.romandie.com/post/4115/22283)
  • [132]
    Hugues Lagrange, « La structure et l’accident », art. cit., p. 115.
  • [133]
    Pour tout ce développement, cf. Marwan Mohamed, « Les voies de la colère : “violences urbaines” ou révolte d’ordre “politique” ? L’exemple des Hautes-Noues à Villiers-sur-Marne », art. cit.
  • [134]
    Pensons à la violence que représente la mise à feu des bibliothèques…
  • [135]
    Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », in Œuvres II, Paris, Gallimard, 2000, p. 364-372, p. 366.
  • [136]
    Cf. la façon dont Walter Benjamin concevait la résistance au fascisme, à la suite de Bertolt Brecht : effacer ses traces (versus laisser des traces). Il s’agit d’un motif que l’on retrouve dans de nombreux articles à partir de 1931 (Walter Benjamin, « Le Caractère destructeur », 2000, p. 330-332 ; « Brèves ombres < II > », p. 349-354 ; « Expérience et pauvreté », art. cit., in Œuvres II, op. cit.), ainsi que dans certains commentaires de poèmes de Brecht (Walter Benjamin, Œuvres III, Paris, Gallimard, 2000, notamment p. 246 sq.) et dans le Livre des Passages. Ces traces ne sont rien d’autre que les traces de synthèse d’une tradition perdue, le recyclage par l’Erlebnis (l’expérience vécue individuelle) des rebuts de l’Erfahrung (l’expérience collective traditionnelle que le sujet imprime et transmet « comme la main du potier sur le vase d’argile » comme il l’écrit dans le « second Baudelaire » - cf. Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », in Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, Paris, Payot, 1990, p. 147-207. p. 154). Pour ce concept de « trace de synthèse », cf. Ilaria Brocchini, Trace et disparition à partir de l’œuvre de Walter Benjamin, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 14 sq. : l’auteur part d’une lecture de « Benjamin qui nomme “synthèse” la reconstruction, à l’époque de l’Erlebnis, des produits de l’Erfahrung » dans le second Baudelaire (cf. Walter Benjamin, « Sur quelques thèmes baudelairiens », art. cit., p. 152).
  • [137]
    Cf. Ernesto Laclau, La guerre des identités. Grammaire de l’émancipation, Paris, La Découverte, 2000.
  • [138]
    Cf. Axel Honneth, La lutte pour la reconnaissance, Paris, Cerf, 2000.
  • [139]
    Cf. Entretien cité avec Matthieu Potte-Bonneville, p. 7-8.
  • [140]
    Voir la communication d’Étienne Tassin, (« Les gloires ordinaires. Actualité du concept arendtien d’espace public »), aux journées d’études IRIS – Publislam, A-t-on enterré l’espace public ? Enquête sur les avatars récents d’un concept, EHESS, 2 et 3 décembre 2009.
  • [141]
    Roberto Esposito, « La perspective de l’impolitique », art. cit., p. 62-63.
  • [142]
    Nilüfer Göle, « L’espace public et le “mahrem” de l’Islam », Communication aux journées d’études IRIS - Publislam, A-t-on enterré l’espace public ? Enquête sur les avatars récents d’un concept, EHESS, 2 et 3 décembre 2009.
  • [143]
    Cf. Bruno Tackels, Walter Benjamin. Une vie dans les textes, Paris, Actes Sud, 2009, p. 806.
  • [144]
    Walter Benjamin, Correspondance (1929-1940), tome II, Paris, Aubier-Montaigne, 1979, p. 186, à propos des précisions qu’il donne à Gretel Adorno sur le concept d’image dialectique.
  • [145]
    Cf. Gayatri Chakravorty Spivak, Les subalternes peuvent-elles parler ?, op. cit.
  • [146]
    Cf. Emmanuel Lévinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, La Haye, Martinus Nijhoff, 1978.
  • [147]
    Judith Butler, Ces corps qui comptent. De la matérialité et des limites discursives du sexe, Paris, Éditions Amsterdam, 2009, p. 11.
  • [148]
    Cf. Roberto Esposito, « La perspective de l’impolitique », art. cit.
  • [149]
    Roberto Esposito, « Immunité, Communauté, Démocratie », Transeuropéennes, 17, 2000, p. 35-44, p. 44.
  • [150]
    Ibidem, p. 36.
  • [151]
    Ibid.
  • [152]
    Cf. Ferdinand Tönnies, Communauté et société. Catégories fondamentales de la sociologie pure, Paris, PUF, 2010.
  • [153]
    Roberto Esposito, « Immunité, Communauté, Démocratie », art. cit., p. 36.
  • [154]
    Roberto Esposito, op. cit., p. 22.
  • [155]
    Du latin limen, qui veut dire « seuil ».
  • [156]
    Victor W. Turner, Le phénomène rituel. Structure et contre-structure, op. cit., p. 97.
  • [157]
    Laurent Amiotte-Suchet, « Les hospitaliers de Lourdes : une communauté événementielle ? », in Ivan Sainsaulieu, Monika Salzbrunn et Laurent Amiotte-Suchet (dir.), Faire communauté en société. Dynamique des appartenances collectives, Paris, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 75-88, p. 77-78.
  • [158]
    Francisco Naishtat, Action et langage. Des niveaux linguistiques de l’action aux forces illocutionnaires de la protestation, Paris, L’Harmattan, 2010.
  • [159]
    Nilüfer Göle, Interpénétrations. L’Islam et l’Europe, Paris, Galaade Éditions, 2005.
  • [160]
    Gérard Mauger, L’émeute de novembre 2005. Une révolte protopolitique, op. cit.
  • [161]
    Francisco Naishtat, Action et langage. Des niveaux linguistiques de l’action aux forces illocutionnaires de la protestation, op. cit.
  • [162]
    Ibidem.
  • [163]
    Marc Bessin, Claire Bidart et Michel Grossetti (dir.), Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, Paris, La Découverte, 2010, p. 10.
  • [164]
    Michèle Leclerc-Olive, « Des événements en souffrance : de Mead à Benjamin. Quelques considérations épistémologiques », in Philippe Simay (dir.), Walter Benjamin. La tradition des vaincus, Cahiers d’anthropologie sociale, 4, Paris, L’Herne, 2008, p. 43-62 ; « Enquêtes biographiques entre bifurcations et événements. Quelques réflexions épistémologiques », in Marc Bessin, Claire Bidart, Michel Grossetti (dir.), Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, op. cit., p. 329-346.
  • [165]
    Monika Salzbrunn, « Enjeux de construction des rôles communautaires dans l’espace urbain : le cas du quartier de Belleville à Paris », in Ivan Sainsaulieu et Monika Salzbrunn (éds.), Esprit critique, 2007, 10 (1) [en ligne] consulté le 25 octobre 2012. URL : http://www.espritcritique.fr/publications/1001/esp1001article05.pdf. Consulté le 25 octobre 2012 ; Michèle Leclerc-Olive, « Enquêtes biographiques entre bifurcations événements. Quelques réflexions épistémologiques », in Marc Bessin, Claire Bidart, Michel Grossetti (dir.), Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, op. cit., p. 329-346.
  • [166]
    Marc Bessin, « Le trouble de l’événement : la place des émotions dans les bifurcations », in Marc Bessin, Claire Bidart et Michel Grossetti (dir.), Les sciences sociales face aux ruptures et à l’événement, op. cit., p. 306-328, p. 317.
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