Couverture de LHOM_227

Article de revue

La fabrique d’une musique touarègue

Analyse comparée, du Sahara à la World Music

Pages 179 à 208

Notes

  • [1]
    Sorti le 12 octobre 2004 sur le label World Village d'Harmonia Mundi et produit par Emma Production/Triban Union (45 mn 57 s).
  • [2]
    J’utilise ici le syntagme anglais World Music, qui rend bien compte du caractère transnational du phénomène de mondialisation musicale. En France, cette appellation est parfois traduite par « musiques du monde » au pluriel.
  • [3]
    Pour une histoire critique des « rébellions touarègues », cf. : Pierre Boilley (1999) ; Hélène Claudot-Hawad, ed. (1990) ; Baz Lecocq (2010) ; Anne Saint Girons (2009).
  • [4]
    Le tindé est un tambour sur mortier lié à une partie de la production musicale dite « traditionnelle » (Mecheri-Saada 1994).
  • [5]
    Seuls deux enregistrements font exceptions : datés de 1992 et 1993, ils ont été effectués en studios en Côte d’Ivoire et au Mali par les solistes les plus connus du collectif Tinariwen (Amico 2019).
  • [6]
    On peut notamment écouter ce répertoire de tindé dans les deux volumes du disque intitulé Musique des Touaregs / Music of the Tuaregs de la collection « Archives internationales de musique populaire du Musée d’ethnographie de Genève » (Vde-Gallo, Aimp LXIX, 2002), qui recueillent quelques enregistrements de terrain des ethnomusicologues François Borel et Ernst Lichtenhan, effectués dans les années 1970 et 1980 au Niger.
  • [7]
    Cette traduction a été élaborée avec l’aide des musiciens Moussa ag Keyna et Aminatou Goumar, ceux-là mêmes qui m’ont fourni la cassette (Paris, mars 2012).
  • [8]
    Certains musiciens, faisant partie du mouvement à l’époque, affirment que ce passage du poème se réfère au retour de l’exil lybien, où les poètes avaient reçu un entraînement militaire. Toutefois, selon l’anthropologue Nadia Belalimat (2003), ce passage relaterait une mission de reconnaissance effectuée par des combattants à Inlamawan, au début des années 1980.
  • [9]
    Sur l’absence des Touaregs lors des événements culturels organisés par la nation malienne, cf. Marta Amico (2018).
  • [10]
    Je décris ici la photographie et la mise en page de la première, puis de la quatrième de couverture concoctées par l’équipe du manager Philippe Brix. Une autre couverture plus graphique, illustrant un dromadaire debout sur un manche de guitare, a été réalisée pour les disques destinés au marché anglo-américain à la suite d’un accord avec le label anglais Independent Records Ltd. Ces deux versions circulent massivement sur les sites dédiés à l’achat du disque sur internet.
  • [11]
    Il s’agit d’une technique de post-production que l’on appelle communément « overdubbing » ou « réenregistrement ». Elle consiste à enregistrer des nouveaux sons rajoutés à d’autres sons déjà enregistrés, afin de les mélanger au moment du mixage.
  • [12]
    Le mixage a la fonction de spatialiser les ingrédients sonores du morceau et d’optimiser les volumes.
  • [13]
    Cf. la page de la chronique dédiée à Amassakoul sur le site de la Bbc : http://www.bbc.co.uk/music/reviews/fx8c/
  • [14]
    Cf. la page du Cd Amassakoul sur le site d’Amazon : https://www.amazon.fr/Amassakoul-Tinariwen/dp/B0002CPFJW
  • [15]
    « Le seul moyen d’établir l’identité d’un être est d’examiner comment il a changé dans le cours du temps et, à travers cette succession de changements, a préservé son identité. Non seulement, par conséquent, il faut changer pour être le même (et évidemment, être le même pour être dit avoir changé) mais l’élucidation de l’identité d’un être ne se dévoile que dans ses changements. Qu’est-ce qui reste le même au cours d’un transformation ? » (Lenclud 2009 : 237).

1 Quelque part dans le désert du Sahara, entre le Nord du Mali et le Sud de l’Algérie en 1989 ou 1990, à la veille d’un conflit armé, des hommes et des femmes jouent sur des guitares électriques et chantent en chœur un répertoire commun. Une radiocassette est réglée sur la touche [Rec]. Plusieurs années plus tard, en 2003, dans un studio d’enregistrement à Bamako, capitale du Mali, c’est un ensemble nommé « Groupe de musique touarègue » qui interprète des « chansons ». Entouré d’un important matériel technique, il est assisté par un ingénieur du son venu exprès de France pour réaliser un enregistrement sous la forme d’un « album ». Il s’agit de deux situations où l’on produit « de la musique ». Dans la première, l’enregistrement est effectué par des acteurs non identifiés au sein d’une communauté saharienne. Dans la seconde, les acteurs ont des identités professionnelles bien définies : l’ingénieur du son se nomme Jaja et les musiciens appartiennent au groupe Tinariwen ; ensemble, ils produisent un album avec leur manager Philippe Brix. Intitulé Amassakoul[1], cet album sera distribué en Europe et en Amérique du Nord, puis couronné par une tournée internationale. Bien que les lieux et les fonctions attribuées aux deux enregistrements soient bien distincts (l’un est produit pour une circulation interne et entre soi, l’autre pour une diffusion sur le marché musical étranger), les matériaux enregistrés ont en commun d’être interprétés par le même soliste, un chanteur et guitariste du nom de Ibrahim ag Alhabib, et de contenir une même ligne mélodique appelée ici Chetma, constituée d’un texte poétique accompagné à la guitare.

2 Dans le présent article, une analyse comparative de ces deux versions de Chetma me permettra de suivre la trajectoire d’un répertoire, depuis sa naissance dans les années 1980 au Sahara jusqu’à sa promotion, au début des années 2000, dans les réseaux de la World Music[2]. Je pourrai ainsi faire apparaître le « filtre mondialisé » à travers lequel ce répertoire est redéfini en « musique touarègue », échantillon représentatif d’une catégorie à dénomination ethnique correspondant à une dizaine de groupes musicaux actifs sur les scènes européennes et nord-américaines. Cela pose la question des modalités de façonnage des musiques promises à la reconnaissance internationale : comment un morceau de musique passe-t-il d’un espace traditionnel, caractérisé par une interconnaissance entre les musiciens et leur public, à l’espace globalisé d’une World Music ? En découle une autre piste de réflexion sur la manière dont les nouvelles productions musicales peuvent servir de support à des représentations de la culture touarègue sur les scènes mondialisées : dans quelle mesure une production discographique contribue-t-elle à fabriquer un imaginaire d’un peuple du désert ?

3 Cette analyse d’un chant touareg ouvre ainsi un questionnement sur la catégorie de la World Music, qui a été popularisée par l’industrie du disque au début des années 1980. La plupart des études ethnomusicologiques francophones consacrées aux répertoires inclus dans cette catégorie portent sur les fusions, les syncrétismes, les métissages ou, au contraire, sur les logiques de reproduction d’une marque d’authenticité qui investissent les musiques offertes au marché international (Arom & Martin 2006 ; Borel 2011 ; Bouët & Solomos 2011 ; Mallet 2002 ; Martin 1996). Or, il me semble que ce phénomène de labellisation musicale mérite d’être abordé dans une perspective plus large, qui interroge les modes d’existence des « musiques du monde » dans les sociétés mondialisées (Bohlman 2002 ; Laborde 1997 ; Latour 2012 ; Souriau 2009) : par quels processus esthétiques, politiques et ontologiques, des répertoires auparavant liés à des pratiques culturelles enracinées au Sahara deviennent-ils des échantillons d’une diversité musicale à l’échelle internationale ? Pour répondre à cette question, je m’inscrirai dans ce qu’il est convenu d’appeler les « nouveaux terrains » de l’ethnomusicologie (Aubert 2001 ; Aubert, Desroches & Penna-Diaw 2016 ; Nattiez 2005 ; Stobart 2008), en me fondant plus particulièrement sur des travaux, reconnus dans le monde anglophone, qui explorent à la fois l’impact d’imaginaires globalisés sur les identités musicales collectives (Meintjes 2003 ; Taylor 1997 ; Stokes 2004 ; Erlmann 1996 ; Guilbault 1993) et les processus de création inspirés par les rencontres musicales en contexte mondialisé (White 2012). C’est donc au moyen d’une analyse musicologique que j’observerai comment la mondialisation s’incarne concrètement dans une pratique située entre le Sahara et l’Europe. Mais, pour ne pas se limiter à une comparaison de traces sonores « hors contexte », je m’appuierai parallèlement sur des études anthropologiques récentes consacrées à la mondialisation, afin de considérer comment, à partir des processus de création induits cette fois par de nouvelles techniques d’enregistrement, la musique touarègue en est venue à constituer un cas de figure exemplaire du phénomène de production de différences culturelles inhérent à nos sociétés contemporaines (Abélès 2008 ; Amselle 2001 ; Appadurai 2001 [1996] ; Augé 1994 ; Tsing 2005).

4 Le cas examiné dans cet article (Passeron & Revel 2005), à savoir une ligne mélodique et poétique transformée en une chanson commercialisée sous l’étiquette de World Music, m’amènera à me concentrer sur le cœur même de la production des sons, l’enregistrement, qu’il soit effectué lors d’événements festifs quelque part dans le désert du Sahara ou dans un studio professionnel à Bamako et en France. Cela inscrit également mon travail dans le sillage de l’« ontologie du rock » du philosophe Roger Pouivet, qui affirme qu’« au milieu du xx e siècle, on a assisté à un changement considérable dans l’ontologie des œuvres musicales, un changement lié à de nouvelles possibilités techniques permises par l’utilisation de moyens d’enregistrement et l’invention du studio d’enregistrement » (2008 : 29). Ainsi, selon ce dernier, les enregistrements des œuvres rock « ne sont pas des exécutions d’œuvres déjà existantes, mais des entités musicales à part entière » (Ibid. : 37).

5 Penser la fabrication d’une « œuvre World Music » implique de considérer son identité d’un point de vue génétique. En effet, au lieu d’appréhender la « musique touarègue » comme une catégorie culturelle toute faite qui subit l’impact de la mondialisation, je propose plutôt d’étudier la genèse de cette catégorie, pour montrer qu’elle est le résultat d’un travail de reconfiguration en fonction d’attentes esthétiques, et ce, au moyen de techniques d’enregistrement qui convertissent un répertoire poétique en produit musical (une chanson ou un album). En d’autres termes, il s’agit de prendre en compte les procédés par lesquels des répertoires traditionnels sont manipulés par des professionnels de l’industrie musicale – musiciens, producteurs et ingénieurs du son –, afin de reproduire une spécificité musicale « touarègue ». Comment définir cette spécificité et comment peut-elle être décrite ? Fruit d’une relation qui s’établit entre des acteurs organisés en réseau, la « musique touarègue » ne se réduit donc pas à un fait acquis qu’il suffirait de décrire, puisque c’est le « faire », précisément, qu’il s’agit d’observer et d’analyser.

6 Cette démarche axée sur le « faire » m’amènera d’abord à interroger les différentes figures de la médiation musicale (Hennion 1981) qui recomposent les pratiques musicales touarègues des années 1980 à nos jours, depuis l’émergence de celle du « soliste » au Sahara aux interventions des producteurs européens. Dans la même lignée, je décrirai les évolutions techniques qui constituent les productions musicales touarègues, de l’enregistrement local sur cassette audio aux manipulations effectuées en studio (Meintjes 2003). Ensuite, je procéderai à une analyse des caractéristiques formelles et acoustiques du morceau Chetma, pour identifier celles de sa nouvelle identité en tant que musique touarègue.

La cassette, vecteur transsaharien d’un message révolutionnaire

7 La ligne poétique et mélodique dont il est question dans cet article et son premier mode de circulation au Sahara sont intrinsèquement liés à l’histoire politique récente du désert malien et nigérien. Elle est, en effet, imbriquée dans un mouvement de contestation porté par les jeunes générations de Touaregs réfugiés climatiques ou exilés politiques, s’opposant aux États du Mali et du Niger pour la libération de leurs terres. À partir de la fin des années 1980, ce mouvement de résistance armée, communément appelé « rébellion touarègue » [3], s’accompagne d’une période de créativité artistique, notamment marquée par un nouveau genre musical, qui combine une poésie chantée à un support instrumental jusque-là inédit dans cette région, la guitare, et qui sera diffusé dans un vaste espace désertique compris entre l’Algérie, la Libye, le Mali et le Niger. Appelé au départ « Al Guitara », terme francisé par la suite dans le parler commun des Touaregs en « guitare », cette musique militante a été élaborée par de jeunes hommes connus sous le nom de « Tinariwen » (en tamasheck, la langue touarègue : « Ceux des déserts »). Au début, les Tinariwen ne prennent pas la forme d’un groupe de musique, mais renvoient plutôt à un collectif à géométrie variable, composé de jeunes Touaregs qui s’exilent de leurs terres pour aller s’entraîner dans les camps militaires du chef libyen Mouammar Kadhafi et se préparer à la lutte armée (Belalimat 1996 ; Borel 1997). Le collectif comprend des solistes et des compositeurs reconnus, mais aussi toutes celles et tous ceux désireux de s’approprier les chants de rébellion et de ralliement à la cause touarègue, de les composer ou de les jouer. Les textes de ces compositions priment sur le jeu instrumental, l’expression plus proprement musicale étant toujours mise au service d’un art poétique dominant (Borel 1997 ; Gattinara Castelli 1992 ; Dragani 2009). Cette particularité est caractéristique de l’importance de la tradition orale chez les Touaregs, que Dominique Casajus (2000) a décrits comme des « gens de parole », fins connaisseurs et expérimentateurs des richesses expressives de leur langue à travers différents genres poétiques, récités ou chantés, avec ou sans l’accompagnement d’instruments (Casajus 2000 ; de Foucault 1925 ; Mecheri-Saada 1994). En l’absence d’une structure politique unifiée, la langue est d’ailleurs le marqueur principal de l’identité collective : les Touaregs se définissent eux-mêmes comme Kel Tamasheck, « ceux qui parlent le tamasheck » (Bernus 1987).

8 Bien qu’encore limités à l’espace saharien et à la communauté réfugiée, les contextes de représentation des Tinariwen de cette époque se multiplient en fonction des déplacements des musiciens. Auprès des familles, éparpillées entre les campements nomades du Mali et du Niger, le nouveau répertoire est censé sensibiliser et instiller le sentiment d’un destin commun. Les performances ont lieu pendant des fêtes improvisées au moment de l’arrivée des jeunes hommes, qui apportent avec eux des guitares acoustiques ou électriques, achetées le plus souvent en Libye. À Tamanrasset, en Algérie, le répertoire est joué dans le quartier-ghetto des Touaregs émigrés de la frontière malienne, rassemblés pour l’occasion dans les cours des maisons, en étant accompagnés par des joueuses de tindé[4] (Bellil & Dida 1993). Dans les camps militaires libyens, il est le plus souvent joué par et pour les combattants, dont ils partagent les revendications, dans une intention à la fois fédératrice et mobilisatrice.

9 Autre innovation, la forme poétique et musicale « guitare » s’écoute sur cassette audio, qui est le premier moyen d’enregistrement et de reproduction sonore introduit au Sahara, probablement au début des années 1980. La cassette enregistrée, importée par les jeunes exilés des centres urbains libyens et algériens, est utilisée comme instrument politique au service de la résistance, durant la période où sa possession est prohibée par les autorités au Mali et au Niger (Belalimat 1996). L’arrivée d’une cassette culture (Manuel 1993) au Sahara bouleverse donc le lien de la société touarègue à l’écoute de la parole chantée, dont la circulation est désormais facilitée au gré des copies et dont le message, revendicatif et politique, peut se répandre jusque dans les endroits les plus reculés.

10 L’identité des interprètes, ainsi que les lieux et les dates des enregistrements ne sont pas toujours mentionnés sur les cassettes. Toutefois, peu à peu, certains auteurs et interprètes des Tinariwen finissent par être repérés des auditeurs et par sortir de l’anonymat. Cette célébrité se mesure au nombre exponentiel de cassettes qui circulent dans l’espace saharien, entraînant l’émancipation de la musique de son contexte de production. C’est l’émergence d’un nouveau statut artistique, celui du soliste, reconnu et admiré pour son habilité instrumentale et son art poétique, et dont la renommée se diffuse en même temps que les enregistrements de ses performances.

11 La pratique du sur-enregistrement sur la même cassette et des duplications jusqu’à l’usure efface et actualise constamment les messages véhiculés par les chants. Il s’agit d’un mode de circulation interne à la société, indépendant de toute volonté de préservation d’un patrimoine musical [5]. J’ai toutefois pu récupérer, dans des boîtes à chaussures conservées soigneusement par un ex-combattant, musicien saharien, certaines cassettes enregistrées à cette époque. Cette découverte m’a permis d’écouter le répertoire musical « guitare » dans le contexte d’énonciation qui était le sien quelque dix ans avant qu’il ne soit propulsé dans les circuits de l’industrie du disque. Dans la section qui suit, j’analyserai un morceau particulier conservé sur l’une de ces cassettes, un poème chanté intitulé Chetma, que je comparerai ensuite à une autre version de ce morceau, enregistrée sur un album commercialisé.

Chetma, un poème chanté pour la prise de Kidal

12 La cassette contenant l’extrait que j’ai choisi pour cette analyse a un aspect abîmé et poussiéreux, elle est usée à force d’être passée de mains en mains, sans son boîtier qui plus est. Collée sur une des faces, une étiquette écrite à la main indique : « Ibrahim et Diara 89-90 ». Une dizaine de morceaux y ont été enregistrés, tous joués par un effectif composé probablement de deux ou trois guitares, d’un chanteur soliste et d’un groupe de choristes, hommes et femmes, qui battent des mains en guise de percussion. À la minute 01:27 commence l’extrait que j’appelle ici Chetma. Il dure environ six minutes et correspond à une composition chantée par un soliste, accompagnée par le chœur et les guitares, mais sans début ni fin puisque, sur la cassette, les passages d’une mélodie à l’autre sont marqués par une interruption et une reprise manuelle de l’enregistrement. Derrière ces transitions bricolées se manifeste l’acteur anonyme qui manipule l’appareil et sans qui l’enregistrement n’aurait pu être effectué : un ingénieur du son improvisé en quelque sorte, chargé de presser les boutons [Rec] et [Stop] pour fixer le live des musiciens en vue de pouvoir le reproduire à l’identique.

13 Les informations inscrites sur l’étiquette nous renseignent sur l’identité des musiciens, Ibrahim et Diara, et sur les années d’enregistrement, entre 1989 et 1990. Le fait que les noms des deux musiciens soient marqués sur la cassette indique qu’ils étaient connus et populaires dans le monde touareg. La période d’enregistrement, quant à elle, correspond aux années du début de la lutte armée qui opposa les Touaregs aux États nationaux du Mali et du Niger jusqu’en 1996. Aucune autre information sur l’enregistrement (lieu, contexte, autres musiciens, choristes…) n’est mentionnée sur la cassette.

14 Pour rendre compte des procédés rythmiques et mélodiques adoptés par les interprètes ayant participé à l’enregistrement de Chetma, je recourrai ici à l’analyse musicale, qui s’avère être un procédé intéressant pour l’exercice de comparaison. Mais avant cela, je souhaiterais m’arrêter quelques instants sur certaines particularités de la langue touarègue, susceptibles de limiter l’efficacité de cette analyse musicale dans un univers sémantique où il n’y a pas d’équivalent pour le terme « musique » tel que nous l’entendons dans les sociétés occidentales. En effet, le tamasheck regroupe souvent sous le même terme un genre musical, un instrument, le fait de jouer de la musique et un événement où l’on en joue. Le mot « guitare », employé désormais couramment dans la langue tamasheck, est un bon exemple : la guitare désigne à la fois l’instrument, la forme poétique associée à cet instrument, mais aussi un événement musical – « Aller à une guitare » signifie se rendre à un événement festif, dans le désert ou en ville, où l’on se rencontre pour écouter de la musique, chanter et danser. Autre exemple, le terme iswat, que beaucoup de Touaregs considèrent comme l’équivalent de « musique », renvoie aussi, dans certaines régions, à une réunion musicale autour d’une femme soliste, chantant accompagnée de jeunes hommes qui lui répondent en chœur en tenant la ligne de basse. Le terme tesawit (pl. : tisiway), enfin, qui signifie « pièce de vers, poème » ou, au sens strict, « poème chanté ou récité accompagné du jeu instrumental » (Alawjeli ag Ghoubayd 1980), est aussi celui qui définit les pièces du nouveau répertoire dont il est question ici.

15 Cet aperçu linguistique interroge l’objectivité présumée de la catégorie « musique », montrant tout l’arbitraire qui gouverne la traduction des pratiques et des terminologies locales de l’époque dans une sémantique musicale qui ne reflète pas leur vocation première. C’est toutefois « sous la description musique » (Descombes 1996) que j’effectuerai l’analyse du morceau Chetma. Elle me permettra, en effet, de comparer dans la section suivante l’exécution de ce morceau sur cassette à celle sur Cd, pour mieux comprendre les procédés esthétiques et techniques qui transforment Chetma en produit discographique.

16 Nous l’avons vu, comme l’enregistrement sur cassette s’est fait manuellement, l’introduction et le final du morceau ont été coupés, de sorte que sa forme complète lors de cette interprétation nous est inconnue. Les instruments utilisés semblent être deux guitares électriques : la première, celle du soliste, joue la mélodie et les improvisations, la seconde, l’accord de base. La forme du morceau, typique de la production touarègue pour guitare, se compose de deux éléments alternés : refrains structurés qui se répartissent entre la voix du soliste et la réponse du chœur, et parties libres improvisées par le soliste à la guitare, que j’appellerai « interludes ». La base rythmique est une cellule répétée par le frappement de mains du public, qui suit plusieurs variations tout en reprenant l’un des rythmes de base du répertoire du tindé[6].

17 Le refrain présente une structure fixe. Une cellule répétée constitue l’unité générative du morceau qui propose le même schéma rythmique, alors que le texte du soliste change à chaque répétition. Le refrain présente une forme responsoriale, c’est-à-dire une alternance entre le soliste et le chœur. Le premier propose la même phrase musicale et une strophe différente à chaque répétition, tandis que le chœur, composé du public présent à la performance, répond en répétant toujours la première strophe prononcée par le soliste (Aghregh chatma nitila aghram / Sibdad falay alam natkar = « J’appelle les jeunes filles de toutes les villes / Ma peau se hérisse de colère ») et ponctue librement la performance par des battements de mains percussifs et des allocutions vocales, telles que les youyous.

18 La guitare dite « soliste », jouée par le chanteur, accompagne sa voix en apportant des petites variations à la mélodie, alors que les guitares dites « rythmiques » tiennent l’accord fondamental (ici : mi mineur). La transcription schématisée du refrain proposée ci-dessous ne restitue pas tous les éléments. Il faudrait aussi pouvoir prendre en compte des hauteurs non tempérées, les bases rythmiques non précisément mesurées de l’accompagnement à la guitare et des claquements de mains, ou encore l’irrégularité mélodique et rythmique dans l’interprétation du chant.

Transcription de la version sur cassette audio du refrain de Chetma

Figure 0

Transcription de la version sur cassette audio du refrain de Chetma

(© Marta Amico)

19 La mélodie repose sur une échelle pentatonique (ici : mifa # – lasi). Ce schéma rythmique et mélodique assez répétitif n’est en réalité jamais proposé tel quel pendant le morceau, mais se manifeste au fil des variations effectuées par des ornementations libres de la voix et de la guitare soliste à chaque répétition du refrain. Cela suggère que le refrain, qui expose le matériel musical sur lequel est construit le morceau, se stabilise dans la répétition, de par un processus de variation constante de microcellules mélodiques et rythmiques.

20 Si le refrain est l’espace d’expression des voix, l’interlude est celui de la guitare : le soliste s’y exprime exclusivement par le jeu de son instrument. Son improvisation ne prévoit pas un nombre fixe de mesures, le chant d’une nouvelle strophe marquera le début d’un nouveau refrain. Elle est soutenue par une base homogène, constituée par l’accord fondamental des guitares rythmiques et par les battements de mains percussifs du public-chœur. Ainsi, maître du dialogue avec sa communauté-chœur, le soliste détient le pouvoir sur la structure générale, sur le tempo, le nombre de refrains, la succession des strophes, la durée des interludes. Il dispose des refrains pour chanter et s’adresser directement au public, et des interludes pour montrer sa virtuosité à la guitare. C’est ainsi qu’émergent des individualités créatives intégrant ce que la sociologue Nathalie Heinich (2005) appelle un « régime de singularité » artistique. Dans le cas d’Ibrahim, le fait que son nom soit inscrit sur la cassette nous confirme que ce « soliste » était une figure reconnue à l’époque de l’enregistrement.

21 Au-delà de la structure musicale, une analyse textuelle des paroles de Chetma est également indispensable car, comme je l’ai souligné plus haut, à l’époque de l’enregistrement le texte primait sur l’aspect musical, les compositions étant conçues comme des « poèmes chantés » (tesawit). Voici une traduction en français de la version enregistrée sur la cassette :

22

« J’appelle les jeunes filles de toutes les villes
Ma peau hérisse de colère

23

Au moment où mes frères sont revenus
Cela faisait longtemps qu’ils étaient formés

24

Il y a eu un mouvement de la jeunesse
À l’entrée de la ville

25

Si la radio de Londres était à côté
Elle préviendrait le Mali et diffuserait ceci :

26

— “Attention ! Vous allez bientôt brûler”
Car cela fait des années que nous dormons avec cette colère

27

À l’entrée de la ville
De Kidal qui est notre souhait

28

Nous allumerons un seul feu, vous brûlerez
Et nous régnerons

29

J’appelle les jeunes filles de toutes les villes
Ma peau se hérisse de colère »
[7].

30 Dans ce texte à la première personne, l’interprète exprime son souhait de conquérir Kidal, une ville de la zone désertique du Nord-Est du Mali, proche de la frontière avec l’Algérie, et théâtre de révoltes dans les années 1960 puis 1990. Composé probablement dans les années 1980, ce chant se distingue de ceux produits à cette époque, car le destinataire, normalement la communauté touarègue, se confond ici avec l’ennemi interpellé par l’intermédiaire de l’émetteur radio anglais Bbc (vers 9 à 14), transformant symboliquement la parole poétique en une sorte de communiqué de presse (Belalimat 2003). L’interprète commence par lancer un appel explicite (« J’appelle les jeunes filles de toutes les villes »), s’adressant directement aux jeunes filles mais, plus symboliquement, à tous les Touaregs, pour les exhorter à prendre les armes. Après avoir décrit le sentiment qui l’anime (« Ma peau se hérisse de colère »), il affirme dans la seconde strophe être revenu d’un lieu non précisé où il aurait appris l’art de la guerre [8]. La troisième strophe se réfère au groupement armé (« un mouvement de la jeunesse ») qui se rassemble aux portes de la ville de Kidal avant de passer à l’offensive. Ensuite, le poète mentionne « la radio de Londres », la Bbc, qui était captée dans cette région et écoutée dans sa version arabe sur des postes-radio pendant la lutte armée. Si cette station avait été plus proche des combattants, elle aurait pu elle-même délivrer au Mali le message contenu dans le poème (« Si la radio de Londres était à côté […] elle diffuserait ceci »). Dans la cinquième strophe, le chanteur livre ce message par la voie détournée de la radio : il met en garde ses ennemis, car le feu de la haine qui couve depuis très longtemps chez les combattants touaregs va se déchaîner sur eux. Véritable déclaration de guerre, la dernière strophe nous projette dans la bataille à venir et annonce la prise de la ville de Kidal (« Nous allumerons un seul feu, vous brûlerez et nous régnerons »).

31 Par le biais de ces paroles, le soliste exprime l’état d’esprit de ceux qui, à partir des années 1980, préparent la lutte armée contre l’État malien. Il décrit son sentiment de colère et demande à sa communauté d’adhérer au projet de libération d’une terre promise, le désert de Kidal. Le texte exprime également un désir de prise sur le monde, dans l’idée que la « radio de Londres » pourrait relayer plus largement la voix des combattants. Il apparaît ainsi que l’objectif du chant est de servir de support médiatique, dédié à la sensibilisation et à l’activation de la mobilisation, mais communiquant aussi sur le programme des batailles à venir, ce qui l’apparente à une sorte de bulletin d’information ou de « presse chantée » (Bourgeot 1990). La forme responsoriale est adaptée à cet objectif : par l’alternance entre le soliste et le chœur, un dialogue s’instaure où le public est non seulement le destinataire des vers (« J’appelle les jeunes filles »), mais également partie prenante dans la mise en garde adressée à l’ennemi.

32 Ce chœur participatif et engagé renvoie à une métaphore du rôle social du répertoire des Tinariwen qui, par l’intermédiaire d’une voix charismatique, fédèrent leurs semblables confrontés aux mêmes réalités et contingences de l’époque, en leur fournissant les arguments pour les convaincre de contribuer à une action commune au service de la lutte armée. Reléguée aux marges des frontières étatiques établies par la décolonisation, cette communauté, qui s’est constituée autour du partage et de la circulation de la parole chantée, expérimente dès lors une nouvelle forme d’« intimité culturelle » (Hertzfeld 2005 [1997] ; Stokes 2010) motivant un engagement direct dans la « cause », la défense d’une forme de « touareguité » qui s’oppose aux projets nationalistes du Mali et du Niger.

33 Mais cette relation entre répertoire chanté et défense de la communauté ne s’arrête pas à la rébellion des années 1990. Aujourd’hui, près de trente ans après l’enregistrement saharien de Chetma, ces mêmes « Ibrahim et Diara » crédités sur la cassette sont devenus deux figures de proue de la musique touarègue en tant que catégorie mondialisée étiquetée World Music. En effet, l’on reconnaît dans la voix de « Ibrahim » celle du célèbre Ibrahim ag Alhabib, dit « Abrahibone », fondateur, compositeur, interprète et guitariste soliste du groupe Tinariwen, désormais promu au rang d’icône de la culture touarègue avec sept albums réalisés et des milliers de concerts donnés sur les cinq continents. « Diara » est le surnom de Liya ag Ablil, frère du guitariste Inteyeden qui avait fondé le collectif de l’époque avec Ibrahim ag Alhabib. Bien qu’ayant quitté Tinariwen, Liya ag Ablil est lui aussi engagé dans une carrière internationale : depuis 2007, il est membre du groupe Terakaft, qui a enregistré plusieurs albums avec un manager français et tourne aujourd’hui dans le monde entier. Au fil des circulations de Chetma, le destin de la communauté chantée par les jeunes exilés touaregs se trouve donc maintenant lié aux réseaux de l’industrie de la World Music et raconté à travers des milliers de disques commercialisés. Comment expliquer la trajectoire transculturelle de ce morceau, d’une diffusion locale et marginale à l’exploitation marchande et au succès international ?

Amassakoul, la construction d’un album entre Bamako et la France

34 La nouvelle vie de Tinariwen, celle qui relie le Sahara à l’Europe, commence en 1999. Après la fin des hostilités entre les rebelles touaregs et l’État malien, en 1996, le collectif des Tinariwen est invité à jouer à Bamako, capitale du Mali, au Festival du Théâtre des réalités. Alors qu’ils sont encore inconnus dans les centres urbains ouest-africains du fait de la marginalisation politique des Touaregs depuis les indépendances [9], les musiciens sahariens y rencontrent un manager et un ingénieur du son français, en même temps que les membres du groupe que ces derniers accompagnent, Lo’Jo. Ce groupe iconoclaste et cosmopolite, originaire de la ville d’Angers, s’investit régulièrement dans la découverte de nouveaux répertoires et collabore avec des musiciens d’horizons culturels divers. À la suite de cette rencontre fortuite, les musiciens des Tinariwen sont invités par ceux de Lo’Jo et leurs collaborateurs à venir jouer à Angers, en France. C’est à partir de ce moment que la formation Tinariwen se constitue en « groupe », se dotant d’un nombre fixe de musiciens et de compositeurs reconnus, crédités d’un répertoire propre. Cette mutation s’assortit d’un arrangement de la matière musicale, d’une reconfiguration esthétique et d’une recomposition identitaire pour des hommes et des œuvres qui atteignent alors la reconnaissance internationale. Pour ce faire, les musiciens de Tinariwen sont épaulés par des experts (managers, producteurs, professionnels de maisons de disques, journalistes…), coopérant au sein du « monde de l’art » (Becker 1988 [1982]) pour fabriquer une musique, désormais connue comme un objet singulier et ethnicisée par l’appellation « musique touarègue ».

35 Voyons comment cet engagement commun pour la musique touarègue se concrétise dans la fabrication du deuxième album de Tinariwen, intitulé Amassakoul (« Voyageur »). Bien qu’il ait été enregistré en 2003, cet album présente un ensemble de compositions qui datent, pour la plupart, des années 1980 et 1990. À la différence de la cassette audio qui, souvenons-nous, ne mentionnait ni les protagonistes ni les modalités de l’enregistrement, le Cd est accompagné d’un livret qui donne toute une série d’informations : le nom et la durée des onze chansons, le nom de toutes les personnes ayant participé à sa fabrication, de sa conception artistique à sa réalisation technique et matérielle, en passant par sa distribution. Le livret présente également chaque chanson : chacune occupe une page, contenant la traduction du texte en anglais et en français, ainsi que son titre, l’auteur de la musique et des paroles, les musiciens, le lieu d’enregistrement et de mixage, le nom des techniciens. En revanche, la date de composition n’est pas mentionnée, la version originale des paroles en tamasheck n’est pas retranscrite et aucune référence n’est d’ailleurs faite à cette langue. Le nom du traducteur n’est pas indiqué non plus. Or, il apparaît que la traduction estompe la portée poétique des textes originaux, ce qui laisse suggérer que l’urgence de capter un nouveau public a nécessité de lui rendre les paroles des chansons plus accessibles. Ainsi, pour fabriquer un objet culturel partagé, la traduction au sens littéral doit se coupler d’une traduction symbolique qui, à travers les textes et les images reproduites sur le disque, délivre le message chanté par les musiciens touaregs dans des termes intelligibles pour de nouveaux auditeurs. L’équilibre entre texte et images établit d’ailleurs des frontières entre le monde des musiciens, qui se montrent sur les photographies, et celui des producteurs, qui s’expriment par les écrits.

36 La photographie de couverture du livret du Cd[10] montre les membres du groupe, six hommes et une femme, habillés en tenue traditionnelle. Cinq des hommes portent un chèche en tissu indigo (en tamasheck : tagelmust) autour de leur tête et de leur visage, seul le leader, Ibrahim ag Alhabib, garde sa tête découverte et ses cheveux libres, un détail qui constituera la marque d’identité de son personnage médiatique. Il serre sa guitare électrique contre lui. La chanteuse, Mina Walet Oumar, se tient quant à elle au milieu du groupe, les bras croisés, la tête et les épaules recouvertes d’un long voile. Le nom du groupe et le titre de l’album sont centrés sur la partie supérieure de l’image, avec une traduction en tifinagh, l’alphabet touareg, en dessous. Sur le dos du livret, les membres du groupe sont photographiés devant une tente au milieu du désert. Tous sont assis, sauf l’un d’eux qui se tient debout avec une guitare acoustique dans les mains. À l’intérieur du livret, enfin, une série de photographies montre les musiciens enturbannés, une performance sous une tente, des dunes, un chameau, une tente traditionnelle et Ibrahim ag Alhabib avec sa guitare. Autant d’images qui participent de la création d’une spécificité culturelle, d’un imaginaire commun, d’un mythe assimilant la musique touarègue à une « musique du désert ».

37 Toutefois, et bien qu’ils ne soient pas véritablement associés aux choix iconographiques des producteurs européens, les musiciens de Tinariwen ne semblent pas être des sujets passifs au service de la construction d’un imaginaire exotisant. Au contraire, ils me racontent que lorsqu’ils enregistrent un disque, leur objectif reste le même que lorsqu’ils chantaient pour leur communauté, à savoir continuer à défendre leur culture touarègue et à parler de la situation politique dans le désert. Ainsi, pour eux, porter le chèche sur les photographies est un moyen d’afficher un signe d’appartenance et se montrer dans le désert équivaut à resituer l’album dans le contexte d’énonciation du message qu’il porte. La lutte peut donc se poursuivre « avec d’autres armes, celles de la musique », m’explique un des musiciens, qui ajoute : « Nous sommes un peuple oublié qui peine à exister. C’est pour une cause qu’on est en Europe, celle du peuple touareg » (entretien avec Eyadou ag Leche, Milan, 2007).

38 Dans ces propos perce la crainte de voir disparaître un « peuple », ce qui leur donne une dimension explicitement politique. Aussi se définir en tant que « Touaregs » dans le cadre d’un album de chansons signifie-t-il s’exprimer en cherchant à atteindre des publics différents et plus nombreux, et donc accéder à une forme de visibilité, nourrir des liens transculturels, se mobiliser pour la sauvegarde d’une culture menacée. Mais l’élaboration d’une parole militante filtrée à destination de l’extérieur ne va pas de soi. Comme elle est le fruit de la fabrication d’une différence, d’une « diversité culturelle » ou d’une « touareguité », elle nécessite la contribution de médiateurs. C’est pourquoi les producteurs de l’album Amassakoul ont ajouté quelques compléments d’informations à l’intérieur du livret, en s’exprimant à la première personne pour proposer leur interprétation de l’histoire du groupe. Des raccourcis sont notamment trouvés pour qu’un public extérieur aux événements politiques relatés et étranger à la langue d’origine des chansons puisse décoder le sens de leurs messages. À la deuxième page, par exemple, Andy Morgan, journaliste anglais et manager du groupe de 2004 à 2009, se lance dans une définition élogieuse de la « révolution de la guitare ». Par des références aux grands guitaristes rock, tels que Chuck Berry, John Lee Hooker, Jimi Hendrix ou Mick Jones, il fournit des pistes pour « expliquer » Tinariwen au public euro-américain. Mise en page à côté d’une photographie du leader du groupe, Ibrahim ag Alhabib, habillé à l’occidentale en pantalon de toile et tee-shirt avec sa guitare en bandoulière, sa définition est la suivante :

39

« Ils nous disaient que la guitare était finie et pleine de poussière… Mais il y a une vingtaine d’années la guitare a fait une révolution très particulière dans le sud du désert du Sahara, et son esprit est toujours très vivant. Comme les révolutions du rock’n’roll de 57, 67 et 77, ce bouleversement a concerné la jeunesse, l’attitude, la tribu et l’identité » (Andy Morgan, livret de l’album Amassakoul, 2004).

40 Le journaliste et manager rapproche donc la révolution des Touaregs de celles du rock’n’roll par le biais de la guitare, transformant de la sorte la lutte armée en un récit mythique destiné à séduire et sensibiliser les auditeurs non touaregs qui ne sont pas les premiers destinataires des chansons. Enfin, la clôture du livret est confiée aux producteurs, qui signent quelques lignes se voulant poétiques, adressées probablement aux musiciens : « Et puis les secrets, les non-dits, piégés en quelques mots de vos poèmes, pincés sous les cordes ou coincés dans le fond des gorges : MUSIQUE » (Triban Union, livret de l’album Amassakoul, octobre 2003).

41 Ces éléments décrivent un phénomène de « discomorphose » (Hennion 1981), un ensemble de comportements liés à la nature particulière de l’enregistrement, qui permet « cette transformation de la musique en un bien » (Hennion, Maisonneuve & Gomart 2000 : 53). Enquêter sur la fabrication d’un disque offre dès lors la possibilité de parler des musiques « non pas directement à travers une essence esthétique ou une authenticité sociale, mais à travers la façon dont elles dénoncent certains intermédiaires et en promeut d’autres » (Hennion 2007 : 348). L’attention se déplace vers ces « transformateurs fidèles » (Latour 1990), qui sont une partie indissociable de toute opération artistique et qui gouvernent le passage d’une pratique chantée en produit discographique.

42 Dans le cas de Tinariwen, le façonnement de leur nouvelle identité sonore est régi par le producteur principal de l’album, Philippe Brix. Ce dernier maîtrise les artifices de fabrication, de production et de distribution de l’industrie du disque, qu’il avait déjà mis en œuvre pendant sa carrière de manager du groupe français Lo’Jo. Il possède en outre une expertise sur la traduction du « son touareg », qu’il a eu l’occasion de consolider depuis les débuts de la carrière internationale du groupe Tinariwen, dont il a été le premier manager. L’enregistrement de l’album Amassakoul est effectué dans le studio le mieux équipé et le plus moderne du Mali, le Studio Bogolan situé dans la capitale Bamako, par un technicien nommé Jaja sous le contrôle de Philippe Brix, lui-même en relation avec des producteurs, éditeurs et distributeurs en Europe. C’est donc à partir de l’enregistrement réalisé par Jaja, que Brix va diriger la transformation des morceaux interprétés par les musiciens.

43 Au studio, des relations de pouvoir se cristallisent en permanence autour de l’enjeu principal que constitue l’arrangement électronique des sons enregistrés (Meintjes 2003). Lors d’un entretien daté de 2009, Philippe Brix me donne une illustration de ces relations en racontant sa réaction après la réception des bandes d’Amassakoul enregistrées par Jaja :

44

« J’ai dégagé Jaja, mais on n’avait pas le disque, il a fallu repayer pour le retrouver… J’ai été obligé de trouver un autre mec pour travailler avec moi et refaire à zéro le boulot […]. Qu’est-ce que je reprochais à Jaja ? Qu’il faisait un truc trop moderne, tout d’un coup c’était un truc de dub, qui n’était plus Tinariwen » (Mûrs-Erigné près d’Angers, avril 2010).

45 Par ce témoignage, nous comprenons que, certes les mélodies d’Amassakoul sont composées et jouées par les musiciens de Tinariwen, mais c’est bien le technicien qui, dans le projet du producteur, doit se charger de leur « donner le son » qui construira leur identité internationale. Ce « son World Music » serait donc davantage l’œuvre des techniciens et des producteurs que des musiciens eux-mêmes. Ce constat semble plutôt surprenant quand on pense à la teneur des discours diffusés dans le livret du Cd, où l’accent est mis sur l’authenticité de la guitare de Tinariwen. Or, il apparaît ici que c’est une chaîne de production installée en France qui a déterminé les critères esthétiques de l’album. Pour Philippe Brix en effet, le son proposé par Jaja ne convient pas. Mais, comme le son « original » des musiciens n’existe plus, les bandes ayant été trafiquées à Bamako, il décide de les retravailler à Angers à partir d’un matériel de seconde main, et avec l’aide d’autres ingénieurs, jusqu’à les rapprocher de son idée de l’identité sonore de Tinariwen. Cela met en évidence le poids de son jugement pour évaluer la pertinence des morceaux par rapport à ce projet :

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« J’ai demandé à Jean-Paul [Jean-Paul Romann, réalisateur du premier et du quatrième disque de Tinariwen] de remplacer Jaja […]. Première demi-heure, il travaille sur le premier morceau du disque et trouve le mix absolu, il comprend le truc. Moi j’écoute et je dis : “Jean Paul, mais on l’a, on l’a !”. C’est super, Tinariwen c’est ça ! » (Entretien avec Philippe Brix, Mûrs-Erigné près d’Angers, avril 2010).

47 L’idée esthétique exprimée par Philippe Brix s’élabore avec son collaborateur, faisant renaître symboliquement Tinariwen à travers la manipulation technologique. Le son touareg trouve alors une identité unique au sein des studios d’enregistrement européens, une identité sonore légitimée et respectée par le travail des producteurs. Mais celle-ci sera très éphémère. Le manager m’explique en effet que, à cause des « guerres » opposant les techniciens et les producteurs, ce « mix absolu » n’est pas celui qu’on écoute sur le disque, car il ne répondait pas aux exigences paradoxales d’un « son World Music », dont on attend à la fois qu’il corresponde aux formats d’un album ou d’une chanson « diffusable » selon les normes du studio, mais aussi qu’il évoque une forme d’authenticité et de dépaysement.

48 Et les musiciens ? Ils sont les grands absents du discours de Philippe Brix. Le producteur m’apprend qu’une fois l’enregistrement effectué, ils rentrent chez eux, dans le désert de Kidal, lui laissant la responsabilité des bandes enregistrées qui seront retravaillées en France. Il me confie aussi ses tentatives pour les impliquer dans le processus d’élaboration post-enregistrement, rendues vaines par leur relative ignorance des métiers de la production musicale et par les difficultés de communication dues à une très mauvaise connexion téléphonique et internet dans le désert. Plus largement, les commentaires des producteurs sur leurs collaborations avec les membres de Tinariwen suggèrent une conception différenciée du « métier » de musicien et du partage des tâches. De leur côté, les musiciens me parlent de la « confiance » qu’ils accordent aux producteurs quant au processus de manipulation sonore et au rendu qu’ils attendent de ce processus :

49

« Ce qu’on veut entendre dans nos disques, c’est le son de chez nous, le son du désert […]. Tout est différent au studio par rapport à la cassette qu’on connaissait avant. Là, par exemple, je fais mes prises et puis je pars, j’ai fini mon travail et d’autres continuent. Il ne me reste qu’à écouter l’album. C’est les techniciens qui font le reste, qui touchent aux machines et qui font la diffusion. Mais dans l’album je dois retrouver ce son du désert. Notre histoire depuis l’exil en Libye, elle doit toujours nous ressembler » (Abdallah ag Alhousseini, communication personnelle, Tombouctou, janvier 2009).

50 Le défi est troublant. Avec leurs moyens techniques, les ingénieurs doivent capter l’essence d’un « son du désert », connu et recherché par les musiciens, et la restituer pour qu’elle puisse être partagée avec les auditeurs de l’album en Europe. C’est ainsi que, exportés loin de leur contexte de production habituel, des poèmes chantés subissent un processus d’« artification » qui « institutionnalise l’objet comme œuvre, la pratique comme art, les pratiquants comme artistes, les observateurs comme publics, bref qui tend à faire advenir un monde de l’art » (Heinich & Shapiro 2012 : 21). Ils cèdent le pas à une musique de studio qui émerge d’un travail technique effectué par des tiers, ingénieurs du son et producteurs. Mais, malgré cette transformation, les musiciens touaregs ne perdent pas complètement le contrôle sur le processus de création. C’est à eux de valider ce « son du désert », dont ils ont temporairement délégué l’élaboration aux producteurs, et d’établir son authenticité et sa cohérence par rapport à l’histoire locale du répertoire « guitare ».

51 La fabrication de cet album offre donc un nouveau système de référence à des conduites sociales qui, par le fait que les musiciens acceptent de se conformer à des codes et à des formats imposés, ont évolué en pratiques culturelles dédiées au spectacle : les poèmes chantés deviennent une « musique touarègue ». Reprogrammé pour faire entendre un son touareg au-delà des étendues du Sahara, Tinariwen redéfinit sa tradition pour répondre aux critères de son nouveau « monde de l’art ». Mais à quoi cette tradition nouvelle ressemble-t-elle ? Dans la prochaine section, je resserrerai à nouveau la focale sur le morceau Chetma, pour analyser les manipulations esthétiques et acoustiques qui ont transformé le poème militant en une chanson de World Music.

Chetma, une musique touarègue pour un public européen

52 Le morceau musical analysé dans la première partie de cet article, dans sa version enregistrée sur une cassette audio anonyme et mise en circulation uniquement dans l’espace saharien, acquiert avec l’album Amassakoul un statut réglementé par le système de l’industrie du disque et une identité propre : son titre Chetma, qui signifie « Jeunes filles » ou « Sœurs », est désormais homologué et ce morceau de musique touarègue entre officiellement dans la catégorie « chanson ». Le livret du Cd nous informe que les paroles et la musique sont d’Ibrahim ag Alhabib, et les noms des musiciens et des instruments de cette exécution y sont également énumérés.

53 Dans l’album, le morceau Chetma est interprété par la même voix et guitare soliste que sur la cassette, celle d’Ibrahim ag Alhabib, mais ne dure que 5 minutes et 36 secondes. Le début, marqué cette fois à la minute 0:00 de la plage 3, est laissé à la percussion en levée, suivie par le reste des musiciens du groupe sur le temps fort de la mesure. Cet arrangement de l’introduction instrumentale de la chanson constitue un changement important par rapport à la forme précédente. Dans le désert, les morceaux émergent peu à peu du jeu des musiciens et se stabilisent de manière différente à chaque interprétation. L’introduction de la nouvelle version sur album, en revanche, est précisément marquée par la percussion, suivie des guitares. Le final est lui aussi ponctué par un accord sur la fondamentale dans le temps fort de la mesure. Cela suggère que la forme du morceau était suffisamment flexible pour être adaptée à sa nouvelle identité de « chanson », un objet fini, c’est-à-dire doté d’un début et d’une fin. Pour ce qui concerne le reste de la chanson, il n’y a pas d’autre différence structurelle par rapport à la version conservée sur cassette.

54 Si Ibrahim ag Alhabib se charge à nouveau de la strophe au chant et des interludes à la guitare, l’architecture harmonico-rythmique est soutenue par la guitare rythmique de Elaga ag Hamid, qui joue l’accord de la fondamentale (toujours mi mineur) en trois temps syncopés pour chaque mesure, par la basse de Eyadou ag Leche, par le djembé de Sayd ag Ayad et par les battements de mains de Mina Walet Oumar et Bajaye ag Ayad. La section rythmique est beaucoup plus incisive que dans la cassette. La présence d’une percussion derbouka est annoncée sur le livret. À l’écoute, il semble qu’il y ait aussi une calebasse. Le djembé et la basse marquent les accords et les accents, donnant à la chanson une assise rythmique stable et régulière. Bien que dans l’imaginaire occidental le djembé possède une forte connotation « africaine », il est en réalité complètement étranger aux pratiques sahariennes, et n’a été introduit dans le groupe qu’au moment de l’internationalisation de Tinariwen. Le percussionniste Sayd ag Ayad justifie cette introduction en expliquant qu’il a recherché un jeu particulier proche de la musicalité et du rythme du tindé, mais aussi de la batterie :

55

« La percussion, c’est bambara. Mais le jeu de la percussion est touareg, parce que j’ai un peu essayé de mélanger le son de la percu et de faire un peu la batterie dans la percu. Je fais un système qui fait un peu le rythme du tindé, le tamtam qui est joué par les femmes chez nous » (Entretien avec Sayd ag Ayad, Paris, 2011).

56 Voici une transcription du refrain :

Transcription de la version sur Cd du refrain de Chetma

Figure 1

Transcription de la version sur Cd du refrain de Chetma

(© Marta Amico)

57 Le refrain présente une structure identique à celle enregistrée sur la cassette, l’élément de changement étant apporté par la présence de la basse et du djembé. Comme le refrain, les interludes proposent eux aussi à peu près les mêmes procédés de variations et de réélaborations continues des éléments mélodiques et rythmiques. Variations sur des cellules mélodiques, changements de registre au cours de l’improvisation, hauteurs non tempérées sont les points marquants des improvisations d’Ibrahim ag Alhabib, qu’il les joue dans le désert ou en studio.

58 Cette comparaison d’un refrain et d’un interlude enregistrés sur cassette et sur Cd ne fait donc pas apparaître de transformations particulières d’une version à l’autre, non plus que dans l’exposition des procédés rythmiques et mélodiques, ou dans leur traitement lors des improvisations, de sorte qu’il y a une stabilisation de la forme. L’une des caractéristiques saillantes du genre appelé localement « guitare » est d’ailleurs la reprise d’un répertoire commun fait de mélodies qui sont librement chantées par les solistes et qui se fixent dans les mémoires à force de répétitions (Saladin 2010). Pourtant, les deux versions de Chetma « sonnent » très différemment. Or, il est difficile de rendre compte de ces différences via une analyse strictement musicologique, car « l’art de l’écriture ne remplace pas toujours l’art de la manipulation sonore » (Ribac 2005 : 58). Pour cela, il faut plutôt se pencher sur les opérations de médiations initiées par les producteurs. Pour le manager Andy Morgan, c’est avant tout une affaire d’harmonisation de codes culturels :

59

« Au niveau de l’enregistrement parfois en phase de production et de mixage nous arrangeons un peu les choses. On enlève un refrain, des choses comme ça… La matière, la composition, est la même que celle qui existait avant. J’ai écouté une cassette qu’ils avaient enregistrée d’un morceau d’Amassakoul, c’était plus ou moins la même chose, la même chanson, la guitare, le chant, le refrain. Ça n’a pas vraiment changé, ce qui a changé c’est la façon de se présenter… Alors le choc est de trouver une autre discipline qui permet de bien présenter les choses en Occident. Ça, c’était le choc. Il n’y a pas un énorme changement de la matière » (Entretien avec Andy Morgan, Paris, février 2007).

60 D’après ce témoignage, les négociations qui s’engagent entre acteurs touaregs et européens ne concernent donc pas le fond (« la matière »), mais la forme (« la manière de présenter les choses »). D’un point de vue musical, cela se traduit par un changement au niveau du « son » entre la cassette et le disque. Dans ce dernier, la présence du djembé, qui remplace les frappements de mains, rend les percussions plus incisives. La basse électrique contribue elle aussi à donner un ton marqué et rythmique, inexistant sur l’enregistrement de la cassette.

61 Un autre travail majeur est réalisé sur les chœurs chargés de répondre au soliste : alors que dans les performances sahariennes, le chœur est majoritairement féminin et constitué du public qui assiste à la performance, en studio, il est majoritairement masculin (une seule femme). Ainsi, de porteurs d’une parole engagée qui fédère la communauté saharienne, les musiciens deviennent les acteurs d’une représentation sonore de leurs pratiques, qui, grâce aux manipulations technologiques, jouent leurs rôles originaux auprès de la nouvelle communauté d’auditeurs du disque. En effet, le mix vient combler l’absence du chœur, retravaillant la diction et le volume des voix pour sonner fort et précis, et donner l’impression d’une présence importante, d’une masse de voix distinctes contrastant avec le refrain du soliste.

62 Par ailleurs, la voix et la guitare sont égalisées dans les timbres, comme pour confirmer que les deux sont liées par l’interprétation du « soliste ». Enfin, l’écoute révèle que, dans le montage de certains interludes de Chetma, des interventions de guitare supplémentaires ont été juxtaposées à l’effectif « de base », telles deux micro-interventions d’effet qui enrichissent l’improvisation d’éléments sonores destinés à lui apporter un caractère dynamique [11]. Les ingénieurs du son confirment a fortiori ces interventions opérées en studio, qu’ils attribuent à la nécessité de donner une direction au morceau pour différencier le début et la fin. Ainsi le mixage [12] respecte-t-il la cyclicité de la forme, tout en conférant à chaque élément sonore une identité précise selon une hiérarchie qui se fabrique par la manipulation des timbres : la voix et la guitare soliste sont les principaux protagonistes, puis viennent les chœurs et, enfin, les guitares rythmiques, le tout sur une base rythmique stable des percussions et de la basse.

63 À partir du suivi de ces opérations techniques, il est possible de faire apparaître le « filtre mondialisé » constituant une identité sonore « touarègue » qui respecte les codes esthétiques des enregistrements de World Music : un arrangement défini, un début et une fin différenciés, un timing serré, un aspect rythmique accentué, une égalisation des timbres, une diction précise de la langue étrangère, un ajout d’instruments qui renvoient à des références connues. C’est grâce à ce processus de transformation que Chetma peut faire sens pour son public international. Mais l’analyse montre aussi que, bien plus qu’une simple contribution technique, l’élaboration en studio implique la réduction des points de résistance esthétique, c’est-à-dire des éléments de la forme saharienne qui seraient moins perméables aux changements des conditions de la production musicale. La manipulation des sons est donc la condition de fabrication de la musique touarègue, pour le dire avec les mots de Roger Pouivet (2008), sa manière de venir à l’existence et sa manière d’être dans un monde marchandisé.

64 Toutefois, ces interventions essentielles pour l’identité sonore de Chetma doivent rester insoupçonnées, car des modifications trop évidentes mettraient en doute l’authenticité d’un répertoire que tout le monde associe désormais aux derniers « seigneurs des sables » apparaissant sur la jaquette de l’album. L’utilité de ce travail de comparaison réside peut-être là : dans cette mise en lumière des intentions cachées qui ont guidé la construction de Chetma en tant que morceau de « musique touarègue » connectant des pratiques musicales du Sahara aux filières de la World Music. Car, loin d’être de simples manipulations marketing, ces interventions dans la « matière » sont les éléments d’un changement du statut ontologique de Chetma, passant de poème militant à échantillon représentatif d’une spécificité culturelle inscrite désormais dans une nouvelle trajectoire esthétique et politique. On peut alors se demander comment l’appel aux armes, lancé dans la version originale par le soliste, a été reformulé dans la chanson destinée à la scène mondialisée. Voici le texte tel qu’il est traduit dans le livret de l’album :

65

« Lancez l’appel, mes sœurs,
Dans tout le village
J’ai sous la peau le feu
De la rage et de la colère
Criez au rassemblement de mes frères
Depuis trop longtemps dans la souffrance
Et dans la misère
Haut et fort
À la sortie du village
Si la radio de Londres était plus proche
Mes sœurs le feraient savoir à tous
Le feu brûle depuis trop longtemps
Dans notre sommeil perdu
Pour les animaux brûlés et tous les vieux tués
Aux portes de Kidal il faut se rassembler
Et se battre
Si forts que vous soyez
Vous brûlerez dans votre feu ».

66 Cette version reprend les thèmes de la cassette ; elle a perdu ses strophes mais gagné deux vers. Pour en rendre la lecture plus compréhensible à un public étranger, il n’est pas fait mention, par exemple, du retour des frères d’un lieu connu des seuls protagonistes. Les « sœurs » sont cette fois ouvertement sollicitées par le poète pour qu’elles « lancent l’appel » à leurs frères et les poussent à se ressembler aux portes de Kidal. Enfin, il n’y a pas de référence directe au conflit historique avec le Mali, de sorte que l’entité ennemie n’est pas clairement identifiée. Au-delà des éléments de traduction, ce qui retient mon attention ici concerne la façon dont des significations politiques et symboliques propres à la culture touarègue ont été transposées dans un système de représentations occidental (Amico 2016). Quelle forme peut prendre, dans un album de World Music, un texte intrinsèquement rattaché à une histoire singulière et à un combat isolé ? Les nouveaux destinataires de ces textes ne connaissent pas la langue tamasheck et peuvent donc les écouter sans comprendre les messages poétiques qu’ils sont censés transmettre. Par conséquent, le rapport entre texte poétique et contenu sonore s’inverse. L’élaboration musicale, effectuée en studio, prime sur l’élaboration textuelle, toujours maîtrisée par les musiciens mais nécessitant d’autres formes de narration, telles que les explications du livret. Les paroles reflètent donc le témoignage d’un « peuple touareg », raconté au monde via la médiation d’interprètes. Ainsi la signification politique originelle des morceaux n’est pas occultée par la traduction culturelle, mais présentée sous une nouvelle forme. Tinariwen ne parle plus directement aux Touaregs, mais fait parler des Touaregs dans les réseaux médiatiques. Dans une chronique du site de la Bbc, par exemple, on peut lire que la musique d’Amassakoul a le pouvoir de nous transporter dans « l’atmosphère caniculaire du Sahara », et que Tinariwen plonge « ses racines » dans la rébellion et la diaspora du peuple touareg (John Lusk, 2004) [13]. Dans la même veine, la plateforme de vente Amazon tient à rassurer les acheteurs potentiels de l’album sur l’authenticité du « son du désert » proposé :

67

« La précision reste néanmoins nécessaire qu’Amassakoul n’est pas une œuvre de producteur (pourtant partiellement confiée à Ben Findlay, qui a travaillé avec Peter Gabriel), pervertie par les tripatouillages en studio, et autres adjonctions de machines électroniques. Le vent du désert et le sable abrasif sont toujours d’actualité dans ces onze morceaux très majoritairement composés par le guitariste, chanteur et flûtiste Ibrahim Ag Alhabib, qui souhaite témoigner, depuis l’Adrar des Iforas, et à l’usage de la planète, du sort réservé à son peuple » [14].

68 Selon cet extrait, la World Music offre un nouvel espace de visibilité aux revendications des musiciens. Ainsi la relation autrefois symbiotique entre chant et combat se mue en instrument de légitimation et de promotion d’un produit destiné désormais au marché musical. C’est donc en suivant les codes d’une esthétique musicale et d’un imaginaire globalisé, et après avoir subi des « tripatouillages en studio » que le répertoire « guitare » peut en venir à représenter une supposée essence du peuple touareg, tout en restant symboliquement rattaché au « vent du désert » et au « sable abrasif », c’est-à-dire à son identité première. Loin d’être un « formatage » à sens unique, cette production technique de l’album Amassakoul menée entre le Mali et la France est ainsi la condition nécessaire pour qu’une identité culturelle touarègue puisse s’exprimer à l’échelle du monde.

69 À partir de la comparaison de deux enregistrements réalisés respectivement dans les années 1990 et 2000, j’ai analysé la trajectoire contemporaine d’une ligne mélodique et poétique appelée Chetma, depuis sa circulation cantonnée à la société touarègue saharienne jusqu’à sa diffusion commerciale à une échelle internationale. Plutôt que de considérer la musique comme une évidence, et de brosser à partir de ce concept un portrait des évolutions de la musique touarègue, j’ai appréhendé le morceau Chetma comme un objet de médiation, ou de traduction d’univers culturels distincts : d’ancien vecteur d’une parole poétique de résistance communautaire, Chetma est devenu un échantillon représentatif d’un label musical qui capte les « désirs d’ailleurs » des publics européens et nord-américains.

70 La description de la rencontre entre les attentes des professionnels de l’industrie du disque occidentaux et les représentations symboliques des musiciens touaregs permet de penser sous un jour nouveau les musiques dites « du monde » qui conquièrent le marché musical international. En effet, même si la « matière » mélodique et poétique reste quasiment inchangée entre la version sur cassette audio et celle sur le Cd, le morceau Chetma, tel qu’on le connaît aujourd’hui, est issu d’un travail d’adaptation à la fois sonore et culturelle au moyen de transformations techniques et technologiques. L’analyse comparée aura donc permis de restituer ce rôle central de l’enregistrement en studio, en tant que conduite technique, mais aussi en tant que processus ontologique qui inscrit l’œuvre de Tinariwen dans la catégorie de la World Music. Suivre les mécanismes sonores, visuels et discursifs qui composent la musique touarègue contenue dans les deux enregistrements nous fait alors entrer au cœur des mécanismes de production de la mondialisation musicale contemporaine.

71 L’analyse des opérations de « mise en musique » effectuées dans l’intimité des studios d’enregistrement montre encore que les désirs d’authenticité des musiciens, des producteurs et du public sont un moteur d’action, qui fournit des outils à la fois conceptuels et opératoires pour recomposer le monde touareg en France comme au Sahara, en lui prêtant notamment un idéal de pureté sonore. Mais la pureté du « son du désert » ne peut se construire que dans un jeu de relations entre les cultures musicales. L’objet guitare électrique en tant qu’élément de liaison entre le Sahara et l’Occident, ainsi que l’adaptation des « sons du désert » aux critères esthétiques des chansons commerciales font de la musique touarègue un symbole transversal de modernité et de métissage, une clé pour « mixer » et rapprocher les cultures, incarner l’idéal d’un monde réconcilié.

72 Enfin, loin des sirènes alarmistes tirées par les tenants d’une ethnomusicologie de sauvetage qui voudraient protéger des pratiques musicales locales menacées par « l’englobement auquel conduisent les tendances hégémoniques de l’industrie de la musique populaire mondiale » (Feld 2004 : 394), la présente analyse de Chetma montre aussi que le travail d’enregistrement et de production professionnel peut réaffirmer le mode d’existence d’une spécificité touarègue à l’échelle mondialisée, et ce, dans une période de bouleversements politiques importants qui modifient à jamais le rapport au territoire des populations nomades. En d’autres termes, si, comme l’affirme Gérard Lenclud, « l’élucidation de l’identité d’un être ne se dévoile que dans ses changements » dans le cours du temps [15], la nouvelle définition de la musique touarègue serait donc le garant d’une authenticité qui perdure grâce au geste des médiateurs cherchant à la connecter à de nouveaux publics. Les vers de Chetma évoquant, dès la première version, le recours à la Bbc pour diffuser leur message révolutionnaire confirment cette vitalité du répertoire saharien. Ils semblaient prédire cette évolution de l’identité touarègue qui, après le rassemblement autour d’un chœur interne à la communauté, expérimente d’autres formes d’expression de soi et d’ouverture sur le monde.

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Mots-clés éditeurs : ethnomusicologie, mondialisation, Touaregs, World Music, enregistrement sonore, exotisme musical

Date de mise en ligne : 05/02/2019

https://doi.org/10.4000/lhomme.32979

Notes

  • [1]
    Sorti le 12 octobre 2004 sur le label World Village d'Harmonia Mundi et produit par Emma Production/Triban Union (45 mn 57 s).
  • [2]
    J’utilise ici le syntagme anglais World Music, qui rend bien compte du caractère transnational du phénomène de mondialisation musicale. En France, cette appellation est parfois traduite par « musiques du monde » au pluriel.
  • [3]
    Pour une histoire critique des « rébellions touarègues », cf. : Pierre Boilley (1999) ; Hélène Claudot-Hawad, ed. (1990) ; Baz Lecocq (2010) ; Anne Saint Girons (2009).
  • [4]
    Le tindé est un tambour sur mortier lié à une partie de la production musicale dite « traditionnelle » (Mecheri-Saada 1994).
  • [5]
    Seuls deux enregistrements font exceptions : datés de 1992 et 1993, ils ont été effectués en studios en Côte d’Ivoire et au Mali par les solistes les plus connus du collectif Tinariwen (Amico 2019).
  • [6]
    On peut notamment écouter ce répertoire de tindé dans les deux volumes du disque intitulé Musique des Touaregs / Music of the Tuaregs de la collection « Archives internationales de musique populaire du Musée d’ethnographie de Genève » (Vde-Gallo, Aimp LXIX, 2002), qui recueillent quelques enregistrements de terrain des ethnomusicologues François Borel et Ernst Lichtenhan, effectués dans les années 1970 et 1980 au Niger.
  • [7]
    Cette traduction a été élaborée avec l’aide des musiciens Moussa ag Keyna et Aminatou Goumar, ceux-là mêmes qui m’ont fourni la cassette (Paris, mars 2012).
  • [8]
    Certains musiciens, faisant partie du mouvement à l’époque, affirment que ce passage du poème se réfère au retour de l’exil lybien, où les poètes avaient reçu un entraînement militaire. Toutefois, selon l’anthropologue Nadia Belalimat (2003), ce passage relaterait une mission de reconnaissance effectuée par des combattants à Inlamawan, au début des années 1980.
  • [9]
    Sur l’absence des Touaregs lors des événements culturels organisés par la nation malienne, cf. Marta Amico (2018).
  • [10]
    Je décris ici la photographie et la mise en page de la première, puis de la quatrième de couverture concoctées par l’équipe du manager Philippe Brix. Une autre couverture plus graphique, illustrant un dromadaire debout sur un manche de guitare, a été réalisée pour les disques destinés au marché anglo-américain à la suite d’un accord avec le label anglais Independent Records Ltd. Ces deux versions circulent massivement sur les sites dédiés à l’achat du disque sur internet.
  • [11]
    Il s’agit d’une technique de post-production que l’on appelle communément « overdubbing » ou « réenregistrement ». Elle consiste à enregistrer des nouveaux sons rajoutés à d’autres sons déjà enregistrés, afin de les mélanger au moment du mixage.
  • [12]
    Le mixage a la fonction de spatialiser les ingrédients sonores du morceau et d’optimiser les volumes.
  • [13]
    Cf. la page de la chronique dédiée à Amassakoul sur le site de la Bbc : http://www.bbc.co.uk/music/reviews/fx8c/
  • [14]
    Cf. la page du Cd Amassakoul sur le site d’Amazon : https://www.amazon.fr/Amassakoul-Tinariwen/dp/B0002CPFJW
  • [15]
    « Le seul moyen d’établir l’identité d’un être est d’examiner comment il a changé dans le cours du temps et, à travers cette succession de changements, a préservé son identité. Non seulement, par conséquent, il faut changer pour être le même (et évidemment, être le même pour être dit avoir changé) mais l’élucidation de l’identité d’un être ne se dévoile que dans ses changements. Qu’est-ce qui reste le même au cours d’un transformation ? » (Lenclud 2009 : 237).

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