Je ferai ici un récit clinique à partir de la praxis du service que j’anime à Reims depuis les années 1980, orienté par la psychanalyse et la pédagogie institutionnelle (PI). Précisons que notre secteur, pour sa partie urbaine, correspond à ce que l’on nomme aujourd’hui « quartier », avec la « mise au ban », le regroupement massif de toutes les populations pauvres, immigrées et marginalisées. Quartier où pendant longtemps il était possible de vivre sans se sentir en danger. Nous y avions notre ancien centre médico-psychologique (CMP) et plusieurs de nos appartements thérapeutiques, et le club thérapeutique y vit le jour en 1980 dans des locaux prêtés par le centre social. Les patients circulaient eux aussi dans ces espaces urbains, portés par notre désir soignant et les institutions que nous construisions progressivement avec eux. L’un d’entre eux prit même des responsabilités dans une organisation d’entraide du centre social.
Une autre époque ! Aujourd’hui, nous avons dû déménager nos appartements thérapeutiques pour les rapprocher du centre-ville, car nous trouvions paradoxal de surexposer pour les soigner des patients déjà bien fragiles. Par ailleurs, l’ensemble des travailleurs sociaux a vu douloureusement s’exacerber les tensions, comme un peu partout en France. C’est dans ce quartier que vivait avec sa famille l’un des frères Kouachi, assassins des journalistes de Charlie Hebdo.
Nos patients nous rapportent être souvent insultés et menacés, et surtout approchés de près par certaines bandes de jeunes réunies autrefois par la petite délinquance, puis engagées dans le trafic de drogue, frayant maintenant avec les réseaux islamistes et djihadistes, avec de plus, depuis la guerre de Yougoslavie, une circulation d’armes…