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Article de revue

Culture et barbarie

La réplique d’Erich Auerbach à l’antijudaïsme de l’idéologie nazie ?

Pages 645 à 656

Notes

  • [1]
    Erich Auerbach, « Epilegomena pour Mimésis », trad. Robert Kahn, Poésie, n° 97, 2001, p. 122.
  • [2]
    Id., Figura. La loi juive et la promesse chrétienne, préface et trad. de Diane Meur, postface de Marc de Launay, Paris, Macula, 2003, « Argô », p. 143. (À cette même date [1938], Carl Schmitt publie son ouvrage Le Léviathan dans la doctrine de l’État de Thomas Hobbes. Sens et échec d’un symbole politique, trad. Denis Trierweiler, préface d’Étienne Balibar et postface de Wolfgang Palaver, Paris, Seuil, « L’ordre philosophique », 2002. Prenant appui sur quelques textes rabbiniques interprétant la création de ce monstre marin et ce qu’il adviendra à la fin des temps, Schmitt établit que les juifs sont les « destructeurs de l’État » dont l’autorité est symbolisée par ce grand cétacé. Ce n’est pas ici le lieu de discuter cette lecture et des textes rabbiniques et de Hobbes, mais à partir de cette doctrine, Carl Schmitt met en question la fidélité des « citoyens allemands de confession mosaïque » envers leur État, fragilise encore plus leur situation politique et sociale et prépare en quelque sorte leur éradication.)
  • [3]
    Erich Auerbach, Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, trad. Cornélius Heim, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des idées », 1968.
  • [4]
    C’est sous l’égide de Karl Vossler qu’Auerbach a préparé et soutenu, en 1929, sa thèse d’habilitation consacrée à « Dante, poète du monde terrestre », Écrits sur Dante, trad. Diane Meur, Paris, Macula, 1999, p. 33-189.
  • [5]
    C’est ainsi que le conçoit, par exemple, Marc de Launay, dans la belle et riche postface dont il a doté l’édition française de Figura, en citant un passage du livre (p. 92), lequel situe sa rédaction dans le sillage de ses travaux sur Dante et en discussion avec Karl Vossler (voir « Postface », in Figura, op. cit., p. 102 et sq.), allant jusqu’à souligner (avec agacement ? !) dans une note : « Auerbach n’en est pas venu ex abrupto à travailler de manière plus approfondie sur Dante ni ne s’est intéressé plus spécialement à la réinterprétation chrétienne de l’Ancien Testament durant le Moyen Âge à cause de sa situation de juif exilé » (ibid., p. 110, note 1. Nous soulignons).
  • [6]
    Dans le n° 22 de la livraison d’octobre-décembre 1938.
  • [7]
    Lettre du 6 octobre 1935 à Walter Benjamin, « Figures d’exil. Cinq lettres d’Erich Auerbach à Walter Benjamin », Les Temps modernes, n° 575, juin 1994, p. 55-56. Il poursuit : « En somme c’était plutôt de la folie que de la sagesse. Je vis au milieu de gens qui n’ont pas notre origine, sont dans de tout autres conditions – et qui, tous, pensent comme moi. C’est beau, mais mène à la sottise, à la croyance qu’il s’agirait là de quelque chose sur quoi on pourrait construire – alors qu’en réalité l’opinion d’individus, même s’ils étaient nombreux, n’a aucune valeur. Ce voyage m’a enfin libéré de cette erreur. »
  • [8]
    Ainsi qu’il l’écrit à Benjamin : « Ici aussi me voilà successeur de Spitzer, qui est allé à Baltimore ; c’est à lui, à Croce et à Vossler que je dois cette solution, qui ne fut d’ailleurs pas simple à réaliser, car au minimum sept camarades d’infortune et plusieurs ministres européens de l’Instruction publique, dont l’allemand et le français, ne voyaient pas ma candidature d’un bon œil » (lettre du 3 janvier 1937, art. cité, p. 59).
  • [9]
    Selon le témoignage de son fils Clemens, très exactement le 23 septembre 1947, qui se trouvait être, ajoute-t-il, la veille de Kippour.
  • [10]
    Les 3 et 4 octobre 1936 plus précisément. C’est en tant que professeur de droit public de l’université de Berlin et conseiller d’État de la Prusse – fonction détenue grâce au soutien des dignitaires nazis Hans Frank et Hermann Goering et à la haute protection de ce dernier jusqu’en 1945 –, sur le thème : « Le judaïsme dans la science du droit ».
  • [11]
    Cités, n° 14, trad. Mira Köller et Dominique Séglard, Paris, PUF, 2003, p. 173-180.
  • [12]
    Ibid., p. 174, souligné par l’auteur.
  • [13]
    Ibid., p. 174-175.
  • [14]
    Ibid., p. 175, nous soulignons.
  • [15]
    Ibid., nous soulignons.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    Ibid., p. 177, souligné par l’auteur.
  • [18]
    Ibid., p. 179.
  • [19]
    Ibid., p. 180, nous soulignons. Pour la citation finale, voir Mon combat, trad. J. Gaudefroy Demombynes et A. Calmettes, 60590 Le Vaumain, France, Nouvelles Éditions latines, s. d., p. 71-72.
  • [20]
    Adolf von Harnack, Marcion. L’Évangile du Dieu étranger. Une monographie sur l’histoire de la fondation de l’Église catholique, trad. Bernard Lauret, Paris, Cerf, « Patrimoines-christianisme », 2003.
  • [21]
    Journal de Schmitt d’août 1947 à août 1951 (« Notes inqualifiables », dit pudiquement Jürgen Habermas in « Le besoin d’une continuité allemande », Les Temps modernes, n° 575, juin 1994, p. 30), publié pour la première fois en 1991, et traduit par André Doremus, Ex Captivitate Salus, Paris, Vrin, 2003. Cette version est expurgée des textes qui font tache sur un Schmitt grand juriste qu’on voudrait laver de tout soupçon antisémite. Les extraits occultés ont été traduits et présentés par Denis Trierweiler, Cités, n° 17, Paris, PUF, 2004, p. 181-210.
  • [22]
    Adolf von Harnack, « L’idée d’un christianisme pur », Marcion, op. cit., p. 360-364.
  • [23]
    Sebastian Haffner, dans son Histoire d’un Allemand. Souvenirs 1914-1933, Arles, Actes Sud, 2003, raconte avoir entendu les cris de juifs qui déchiraient le silence des bibliothèques de droit lorsqu’on les en expulsait. (Nous citons de mémoire.) Il ne s’agissait donc pas de paroles en l’air, de violence symbolique, mais d’un passage à l’acte dont on connaît le funeste résultat. Et cette expulsion est double : existentielle (d’un lieu) et métaphysique (d’une culture).
  • [24]
    Lettre du 23 septembre 1935 à Walter Benjamin, art. cité, p. 55.
  • [25]
    Voir Erich Auerbach, « Epilegomena pour Mimésis », art. cité, p. 122. Voir aussi la citation placée en exergue de cette étude.
  • [26]
    Id., Figura, op. cit., p. 13.
  • [27]
    Ibid., postface de Marc de Launay, p. 114. C’est l’auteur qui souligne.
  • [28]
    Ibid., p. 52-53.
  • [29]
    Auerbach renvoie le lecteur aux passages des Épîtres pauliniennes où l’on trouve les premiers linéaments de cette interprétation. Ibid., p. 57 et sq.
  • [30]
    Ibid., p. 62, nous soulignons.
  • [31]
    Heinrich von Treitschke (1834-1896). Rappelons que, lors de sa controverse avec l’historien juif Heinrich Graetz, il proclame que les juifs, en formant un État dans l’État, sont un élément inintégrable qui contribue à la désintégration de l’État allemand. C’est à Treitschke que l’on doit la formule : « Les Juifs sont notre malheur » que les nazis ont exploitée ad nauseum.
  • [32]
    Karl Barth, Dogmatique, trad. fr., Genève, Labor et Fides, 1980 (je cite de mémoire).
  • [33]
    Paul Claudel, Une voix sur Israël, Paris, Gallimard, 1951, p. 49.
  • [34]
    Erich Auerbach, Figura, op. cit., p. 33-40.
  • [35]
    Ibid., p. 44-52.
  • [36]
    Ibid., p. 36.
  • [37]
    Ibid., p. 40. Je souligne « intra-historique » et « concret ».
  • [38]
    En 1934, dans « Quelques réflexions sur la philosophie de l’hitlérisme », Levinas préconisait une lutte commune du judaïsme, du christianisme et du libéralisme – associés au marxisme – pour barrer la route au paganisme hitlérien. Loin de nous l’idée de signaler ici une influence quelconque, mais nous soulignons tout simplement une convergence à un moment de l’histoire où l’on pensait encore que l’on pouvait arrêter le nazisme, Esprit, n° 26, 1934, p. 199-208.
  • [39]
    Emmanuel Levinas, Difficile Liberté, 3e éd., Paris, Le Livre de Poche, « Biblio Essais », 2010, p. 304.
  • [40]
    Erich Auerbach, « Epilegomena… », art. cité, p. 121. Rappelons que Mimésis est dédié à « tous ceux qui ont gardé sereinement dans leur cœur l’amour de notre histoire occidentale ».
Mon interprétation serait trop marquée par la temporalité et le présent.
Cela aussi est intentionnel.
Erich Auerbach [1]

1Comment interpréter Figura. La loi juive et la promesse chrétienne[2], un essai du célèbre philologue romaniste Erich Auerbach (1892-1957) ? Comment lire Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale[3], son opus magnum ? Comment les situer ? Dans la droite ligne d’œuvres de pure philologie romane ? En dialogue ou en débat avec son collègue et ami Leo Spitzer (1887-1960), ou encore avec le comparatiste Karl Vossler (1872-1949), son maître [4], lequel cherche à resituer le sujet parlant dans son contexte sociologique et historique, ou enfin avec Ernst Robert Curtius (1886-1956), qui tient à la conservation vivante des valeurs intemporelles de l’esprit ? Ou bien faut-il comprendre Figura comme un développement interne à son œuvre propre, inhérent, requis pour élaborer la méthode idoine qui lui permettra de déployer son talent dans toute son ampleur [5] ? Toutefois, peut-on faire abstraction de la date de publication de ce long article qu’est au départ Figura ? Peut-on ignorer que son auteur le publie, en 1938, dans la revue florentine Archivium romanicum[6], alors qu’il est depuis deux ans déjà, en exil, à Istanbul ? Peut-on se soustraire à l’évidence que ce chef-d’œuvre qu’est Mimésis a été écrit entre 1942 et 1945 et qu’il a trouvé éditeur chez A. Franke, à Berne, en 1946 ? Certes, on chercherait en vain dans ces deux textes des références directes ou indirectes aux temps sombres, mais ce silence n’est-il pas, en tant que tel, criant – voire intrigant ? Et n’exige-t-il pas d’être interrogé, sollicité, décrypté ?

2Notre hypothèse est que Figura répond de manière oblique au climat chargé d’antijudaïsme et… d’antisémitisme de la période d’avant la Seconde Guerre mondiale, en Allemagne, alors que Mimésis place l’histoire de la littérature occidentale sous l’inspiration de la Bible hébraïque. C’est ce que nous tenterons de montrer dans cette étude. Quelques éléments biographiques devraient aider à nous situer.

Qui est Erich Auerbach ?

3Né à Berlin en 1892 au sein d’une famille de la bourgeoisie juive assimilée, il passe son enfance dans le quartier de Charlottenburg, à forte population juive. C’est dans le « gymnase » franco-allemand, fondé par les huguenots qui ont trouvé refuge en Allemagne après la révocation de l’édit de Nantes, qu’il fait ses études secondaires – ce qui l’expose, dès son adolescence, à la langue et à la culture françaises. Dans le droit fil de la tradition familiale, il entreprend des études de droit à Heidelberg qui sont sanctionnées par un doctorat, en 1913. Après la Première Guerre mondiale, il change d’orientation et se tourne vers la philologie romane. Il obtient, en 1921, un second doctorat dans cette discipline. En 1923, il épouse Marie Mankiewitz dont il a un garçon une année après, garçon qu’il ne circoncit pas et qu’il prénomme Clemens. Sa thèse d’habilitation, présentée en 1929, lui permet d’être nommé professeur ordinaire à Marbourg, grâce aux recommandations de Leo Spitzer et de Karl Vossler, deux éminents philologues. Il y prend ses fonctions une année après le départ de Heidegger à Fribourg et se lie d’amitié avec le théologien Rudolf Bultmann et le philosophe Karl Löwith. Si les années marbourgoises garderont pour les Auerbach le goût de la Heimat, elles ont été aussi celles de l’ascension du parti nazi – ascension accompagnée de turbulences et d’exactions –, des années où « il n’était pas nécessaire de faire preuve d’une grande sagesse […] mais seulement d’un certain sang-froid, ce qui n’était pas toujours très facile [7] ».

4Parce qu’il avait devancé l’appel en 1914 et avait été blessé et décoré pour faits de guerre, Auerbach a échappé, en 1933, à la première vague de renvois des juifs de la fonction publique. Mais avec l’application des lois raciales de Nuremberg en 1935, l’Allemagne expulsant ses meilleurs esprits – les juifs et les antinazis –, il est destitué de son poste et se retrouve sur les chemins de l’exil. D’abord à Rome, où il attend de voir quelle tournure prendront les événements, puis à Istanbul, où on lui confie la chaire de philologie occidentale – grâce à une lettre de recommandation du philosophe italien Benedetto Croce, qui avait collaboré avec lui à la traduction de Vico, l’aide de son maître Vossler et de son prédécesseur Leo Spitzer [8]. Istanbul où il arrive en septembre 1936. C’est là que, tout en se chargeant de l’enseignement et de l’organisation du département de philologie de l’université stambouliote, sur le modèle de l’université allemande, selon la requête expresse de Mustafa Kemal Atatürk, il écrira et Figura et Mimésis. Auerbach restera en Turquie jusqu’en 1947, date à laquelle il débarque aux États-Unis [9] où, après trois années de galère, il est nommé à Yale. Peu avant son 65e anniversaire, en 1957, il meurt reconnu et célébré.

5En somme, une vie marquée, d’une part, par la Grande Guerre et ses conséquences : le traité de Versailles et la perte du milieu culturel d’avant la guerre, le dépérissement de l’État et de la société dans la République de Weimar, le krach de 1929, l’ascension du parti nazi ; et, de l’autre, par la Seconde Guerre mondiale et ses folies meurtrières, fût-ce loin du théâtre des opérations, en exil à Istanbul.

Un « nettoyage [ethnique] des bibliothèques »

6Alors qu’il vient de rejoindre sa terre d’accueil, les exactions se poursuivent et les turbulences s’amplifient en Allemagne. C’est ainsi qu’en octobre 1936, Carl Schmitt prononce le discours de clôture d’un congrès de professeurs d’université de la Fédération national-socialiste qu’il avait lui-même organisé [10] sur « la science allemande du droit dans sa lutte contre l’esprit juif [11] ». Après une brève introduction où il souligne l’importance des contributions de ses collègues pour la recherche, il énumère un certain nombre de questions pratiques[12].

71. L’objectif principal est d’établir avec la plus grande exactitude une bibliographie des œuvres juives dans la discipline juridique.

82. D’effectuer un nettoyage des bibliothèques

9

[afin] d’éviter chez nos étudiants la confusion consistant en ceci que, d’un côté, nous leur indiquons la nécessité de lutter contre l’esprit juif et que, de l’autre, à la fin de l’année 1936, la bibliothèque d’un institut de droit donne toujours l’impression que la plus grande partie de la littérature de la doctrine du droit serait produite par des Juifs [13].

103. Schmitt les exhorte, de surcroît, à ne plus citer un auteur juif :

11

Il serait vraiment irresponsable de citer un auteur juif comme témoin principal, voire comme une sorte d’autorité, dans un domaine quelconque.
Pour nous, un auteur juif n’a aucune autorité, et il n’a pas non plus d’autorité « purement scientifique » [14].

12Et comme si cela n’était pas assez clair pour le lecteur, il ajoute qu’il convient, si tant est qu’on le cite, d’accoler à son nom l’épithète « juif » : une manière d’estampiller à l’étoile jaune les produits de l’esprit. « Une fois la question de la citation ainsi résolue, notre littérature juridique scientifique ne sera plus infectée par des Juifs, mais sera authentiquement allemande. » Sans cette vigilance, « la purification de notre littérature juridique serait sinon impossible [15] ». Et il clôt ce point en affirmant :

13

Aujourd’hui, il n’y a plus du tout, concernant la question juive, d’affaires accessoires. Tout est lié de la manière la plus étroite et la plus intime dès qu’a commencé un combat véritable entre visions du monde [16].

14En somme, le juif est ici désigné explicitement comme « ennemi ».

154. Il livre ensuite son évaluation :

16

Mais le résultat le plus important qui découle pour nous de ces journées de Congrès est certainement l’établissement clair et définitif du fait que le contenu intellectuel des opinions juives ne peut pas être mis sur le même plan que les opinions des auteurs non juifs.

17Avant de poser comme un fait indéniable :

18

Le rapport de la pensée juive à l’esprit allemand est du type suivant : le juif entretient un rapport parasitaire, tactique et mercantile avec notre travail intellectuel[17].

19Pour terminer ce funeste chapelet de citations – nécessaires, hélas, à mon développement –, Schmitt se demande :

20

D’où vient la réceptivité de nombreux hommes de sang allemand, et d’où viennent la faiblesse et l’obscurcissement de notre espèce à nous, Allemands, l’absence de résistance au judaïsme à chaque instant historique [18] ?

21Et il répond pour terminer par une citation politico-théologique tirée du Mein Kampf d’Hitler :

22

Ce que nous recherchons et ce pour quoi nous luttons, c’est notre propre race authentique, la pureté intacte de notre peuple allemand. En me défendant contre le juif, je lutte pour l’œuvre du Seigneur[19].

23Ce discours utilise certes le lexique de l’idéologie nazie. Il préconise la déjudaïsation de la « haute science juridique allemande », la mise à l’index des œuvres juridiques juives (le « nettoyage des bibliothèques »), la purification de la littérature juridique de toute citation d’un auteur juif, le moindre contact ou rapport pouvant infecter ou contaminer cette discipline, sans oublier l’apothéose finale. Toutefois, une oreille aux aguets pourrait déceler les échos des controverses des années 1920, et même en deçà.

24En ces années-là et celles de la période nazie, un débat faisait rage en Allemagne, en particulier dans les cercles de l’Église protestante luthérienne, mais aussi ailleurs, sur la question de savoir si l’Ancien Testament faisait effectivement partie de la Bible chrétienne compte tenu de ses origines juives. Un débat alimenté par la publication, en 1920, de la monographie d’Adolf von Harnack (1851-1930) sur Marcion [20]. On sait que Schmitt avait lu cet ouvrage dès sa parution, notant dans son Glossarium[21] que c’étaient là des considérations dont il avait pris connaissance « avec beaucoup d’enthousiasme ». À cet égard, Bernard Lauret a, le premier, émis l’hypothèse – sans toutefois l’étayer – selon laquelle la théorie politique de Carl Schmitt recouperait les thèses de Marcion [22]. Bien entendu, le marcionisme de Schmitt n’est pas théologique. Il ne fait pas siennes les Antithèses de Marcion rédigées aux environs de l’année 140, œuvre aujourd’hui perdue. C’est un marcionisme sécularisé qu’il adopte, dont il retient la distinction de deux dieux radicalement antinomiques : le Dieu de la Nouvelle Alliance, foncièrement bon et rédempteur, s’opposerait au Créateur du monde, un Dieu cruel et vipérin. Et l’idée que le Christ n’a pas accompli mais aboli la Loi. Par là, il a dévoilé la contradiction décisive entre la Loi et l’Évangile. Il s’agissait pour Marcion d’établir l’indépendance du Nouveau Testament par rapport à l’Ancien, rendu désormais obsolète. L’hérésie marcionite compose un christianisme qui se pense à neuf en refusant un partage de l’expérience juive de Dieu, en rompant le lien indissociable à l’assise judaïque, dans un rejet du Dieu mauvais et de ses Livres, c’est-à-dire un christianisme déjudaïsé.

25Or, qu’entendons-nous dans le discours de clôture énoncé par Schmitt ? Très exactement ce que préconisait Marcion : séparer les deux Testaments. En fait, Schmitt, en ordonnant la mise au ban des livres de droit rédigés par des juifs, a donné aux thèses marcionites une expression politique. Il a scellé l’opposition tranchée et irréconciliable entre le droit allemand conçu et rédigé par les Allemands et celui que les juifs allemands ont produit. Et donc la déconnexion de la science juridique allemande de l’influence des auteurs juifs : la purification de cette discipline [23]. Il adopte la doctrine de l’autonomie de l’hérésiarque de Sinope. Sauf qu’il ne s’agit plus de théologie, de l’Ancien et du Nouveau Testament, mais de science juridique allemande à qui il veut rendre son authenticité, c’est-à-dire la désinfecter de tous les miasmes d’auteurs juifs. Le mythe de la pureté de la science juridique allemande, qui ressemble à celui d’un christianisme pur, aryen, puise lui aussi dans l’antijudaïsme. L’illusion que l’on puisse y accéder en se livrant à une opération chirurgicale pour séparer les frères siamois que sont les textes de la Bible hébraïque et de la Bible chrétienne sous peine de tuer l’un d’eux – et il n’est pas du tout certain que celui qui mourra lors de cette intervention soit bien celui que l’on voudrait exécuter –, car la Bible chrétienne est constituée par ce qui la précède et construit son sens en s’y référant, alors que l’hébraïque signifie par elle-même. Il va sans dire que cet arrachement, cette déjudaïsation, cette refonte du canon biblique – oserons-nous utiliser décanonisation –, est conçu comme une réponse au concept nazi d’enjuivement. Plus encore, le juif n’est pas considéré comme un élément étranger à la nation allemande, comme autre, mais comme « ennemi ».

26Auerbach a-t-il pris connaissance de ce texte de Schmitt ? L’eût-il lu, eût-il pu exprimer une opinion sur son néomarcionisme ? Rien n’est moins sûr ! Toujours est-il que rien – absolument rien – ne transparaît dans ses écrits quant à cette question. Pourtant ne pourrait-on pas étayer notre argument sur un faisceau de présomptions, compte tenu du fait que les hommes et les femmes de cette période redoublaient de prudence lorsqu’ils parlaient ou écrivaient, et évitaient de laisser des indices ou des traces sur de tels sujets afin de ne pas s’attirer de graves ennuis ? D’abord, son assistant, Werner Krauss, qui « se comporte d’une manière exemplaire à tous égards [24] », aurait pu l’en informer. Ensuite, ses collègues juristes, émigrés comme lui, ont peut-être échangé à ce sujet quelques propos avec lui (n’oublions pas sa première formation) au cours de leurs nombreuses rencontres, puisque cette petite communauté de déracinés vivait dans une relative sécurité, loin de l’épicentre du séisme, quasiment en vase clos. Enfin, lors de son retour en Allemagne, au cours de l’été 1937, avec sa femme et son fils, probablement en a-t-il discuté avec son ami Rudolf Bultmann. Et surtout, ce qu’il écrit lui-même au sujet de son opus magnum : « Mimésis est de manière résolument consciente un livre écrit par un certain être humain, dans une certaine situation, au début des années 1940 [25] », peut assurément s’appliquer à Figura avec un léger changement, puisque celui-ci est écrit entre 1936 et 1938. Et même s’il ne réagit pas directement à ce texte, Auerbach comprend, sans spéculer sur la suite des événements, ce qu’il a voulu un temps occulter, que le but du nazisme est d’éradiquer le juif de la culture et de la civilisation européennes, de le chasser non seulement de son pays natal mais aussi de sa patrie spirituelle.

Figura, la réplique ?

27Certes Figura se présente comme l’histoire d’un mot, du concept de typologie en tant que forme littéraire et artistique depuis les poètes romains jusqu’à Dante, en passant par les Pères de l’Église. Le livre s’ouvre sur l’hellénisation de la culture latine, au dernier siècle avant l’ère chrétienne, et il déroule, comme il sied à un ouvrage de philologie, l’étymologie du mot figura. D’un mot latin donc qui relève d’un champ lexical très concret désignant au départ un « objet façonné [26] ».

28

[Dans l’Antiquité païenne], figura est pris dans une constellation où, traduisant les termes grecs de schêma, tupos et plasis, il est d’abord mal distingué d’effigies, imago et forma. Mais Auerbach finit par montrer comment s’opère une sédimentation de l’usage, chez Lucrèce où figura désigne les configurations que peuvent former des atomes.

29C’est donc d’abord Lucrèce, poursuit Marc de Launay, puis Cicéron et ses successeurs

30

qui installent ce mot dans un lexique rhétorique en lui donnant le sens de « style » ou de « figure de style », jusqu’à Quintilien, au ier siècle de notre ère, pour qui figura signifie toute mise en forme du discours qui s’écarte de l’usage courant et direct ; par ce biais, figura peut également désigner l’allusion cachée sous-jacente à telle figure de style [27].

31Mais, avec l’avènement du Christ, la crucifixion et les sacrements, figura quitte le champ du lexique littéraire, nanti de toutes les alluvions dont il s’était chargé, pour devenir une notion théologique, tant outil d’exégèse que de polémique. Avant d’entrer plus en détail dans l’analyse théologique de cette notion, Auerbach revient à son étude sémantique pour mettre en lumière une autre dimension de sens à partir du grec typos.

32

Cela amène à supposer […] que figura a directement tiré sa nouvelle valeur de sa signification générale de « constitution », « formation », « aspect, figure », et l’usage qu’en font les premiers auteurs latins chrétiens semble effectivement le confirmer […] tout cela montre, dans la nouvelle notion de forme qui fait de figura une praefiguratio, la survivance de son sens d’« image rhétorique », à ceci près que le mot, quittant la sphère purement nominaliste des écoles de rhéteurs et la mythologie à demi ludique d’Ovide, est désormais entré dans le domaine tout à la fois réel et spirituel du véritable, du sérieux et de l’existentiel [28].

33C’est bien sûr Paul de Tarse [29] – et à sa suite tout un courant longtemps dominant dans la théologie chrétienne – qui va interpréter le rapport entre les deux Testaments sous la modalité annonce-accomplissement, à savoir ce qui a été annoncé, prophétisé, figuré ou préfiguré dans l’Ancien Testament se trouve confirmé dans le Nouveau, faisant de la Bible hébraïque une préhistoire du christianisme. La Bible juive n’est qu’approximations de celle qui, chrétienne, serait « en esprit et en vérité ». Si Auerbach souligne :

34

Les débats menés par la suite autour de l’Ancien Testament ont eu pour effet de maintenir en vigueur l’interprétation paulinienne ; l’influence des judéo-chrétiens et leur fidélité à la Loi perdirent bientôt du terrain,

35il n’omet pas de rappeler le fait que :

36

L’opposition se renforça en revanche du côté de ceux qui entendaient, soit éliminer tout bonnement l’Ancien Testament, soit en donner une lecture purement allégorique et abstraite, ce qui aurait nécessairement fait perdre au christianisme la cohérence de son histoire providentielle du monde, sa matérialité intramondaine, et sans doute une part de son universel pouvoir de persuasion.

37Et pour finir, il établit avec insistance :

38

Dans cette lutte contre ceux qui dédaignaient l’Ancien Testament et le vidaient de sa substance, la méthode figurative a de nouveau fait ses preuves et réussi à le faire valoir dans la perspective chrétienne de la Promesse [30].

39Auerbach traite bien entendu de la réception de l’interprétation paulinienne, il la situe dans le contexte d’alors, utilise l’imparfait, mais on ne peut pas ne pas référer ce passage, qui évoque l’hérésie marcionite sans la nommer, à sa situation contemporaine. Ne pas l’entendre comme une réplique à la croisade idéologique que l’on pourrait faire remonter à Heinrich von Treitschke [31], au débat houleux qui secoua l’Église luthérienne allemande à partir des années 1920, à l’antijudaïsme et à la guerre religieuse qui y sommeillaient, c’est manquer de discernement. On peut ou on doit même y entendre une critique mesurée des échos contre la tentative d’établissement d’un christianisme aryen. La dernière phrase pourrait être dirigée, semble-t-il, contre Karl Barth (1886-1968), un théologien antinazi parmi les leaders de l’Église confessante, qui a défendu les juifs, convertis ou non, en tant que personnes, ce qui l’a contraint à s’exiler à Bâle. Mais Barth n’avait pas de mots assez durs pour condamner le judaïsme, lequel est décrit dans sa Dogmatique comme « synagogue de la mort [32] ». Il concevait bien une unité de la révélation mais n’accordait de signification à l’Ancien Testament qu’en tant que faire-valoir du Nouveau Testament, et aux juifs qu’un rôle de « témoins du Christ avant le Christ mais non sans le Christ », faisant du juif le témoin de sa propre malédiction.

40On est donc autorisé à lire ce passage, qui semble décrire innocemment le contexte historique dans lequel s’insère la nouvelle signification de la méthode figurative, en dépit des flèches décochées ici et là, comme une allusion à la condition ou à l’in-condition juive sous le régime nazi. Le message sous-jacent à la présentation de Figura est on ne peut plus clair :

41

Vous pouvez réclamer à cor et à cri la mise au ban des Juifs et la mise à l’index de leurs textes, vous ne pourrez jamais effacer ou dissimuler la suture des deux Testaments en dépit de la rupture des deux religions. Vous pouvez nous chasser de votre pays, vous aurez toutes les peines du monde de nous expulser de votre histoire et de votre culture, car nous y sommes « emmanchés [33] » depuis les origines.

42Quiconque a un jour ouvert le Nouveau Testament ne peut pas ne pas être impressionné par le nombre de versets et de segments de verset de l’Ancien Testament, tressés à même le texte, qui sautent aux yeux au cours de la lecture. Et comme pour étayer son point de vue, Auerbach cite abondamment le Contre Marcion[34] de Tertullien et La Cité de Dieu[35] d’Augustin. Il forge alors une définition de l’interprétation figurative qui donne à penser en s’appuyant sur Tertullien qui refuse expressément d’infirmer la valeur littérale et historique de l’Ancien Testament.

43

La figure prophétique relève de la factualité sensible et historique, et elle trouve son accomplissement dans la factualité sensible et historique [36].

44Et, un peu plus loin, il affine son propos :

45

Pour être umbra ou figura du Christ, Moïse n’en est pas moins intra-historique et concret. Historiques et réelles, les figures doivent s’interpréter spirituellement, mais l’interprétation renvoie à un accomplissement charnel, c’est-à-dire historique – puisque la vérité, justement, s’est faite histoire ou chair [37].

46Auerbach suggère-t-il que, même comme faire-valoir, le juif conserve une factualité, une facticité et une épaisseur historique ?

Mimésis, la représentation de la réalité

47Après avoir montré que le judaïsme est comme un grumeau dans la pâte de l’histoire du christianisme, après avoir pensé que le salut de l’Europe pouvait se trouver dans la formation d’un front commun judéo-chrétien [38], Auerbach déroule dans Mimésis une histoire de la représentation de la réalité dans la littérature occidentale… mais sous l’égide de la Bible hébraïque. Pour lui, il ne s’agit plus de rappeler comment les deux Testaments sont entretissés à travers l’interprétation figurative, mais de mettre en valeur la propre intelligibilité de la Bible hébraïque. Car :

48

[dans] la perspective juive, le christianisme se justifiait : il portait le monothéisme aux Gentils. Mais qu’était donc le judaïsme dans la vision chrétienne ? Une prophétie qui survit à son accomplissement. Le témoignage incarné d’un échec. Une vierge aux yeux bandés. Un résidu. Une survivance. Un anachronisme. Un fossile. Une pièce à conviction [39].

49Un signifiant (Ancien Testament) dont tout le sens est dans le signifié (le Nouveau Testament), ou les préfigurations dont la foi chrétienne prétend connaître les accomplissements.

50Or Auerbach, en se livrant à une étude comparative entre un chapitre de l’Odyssée d’Homère et celui du sacrifice d’Isaac, laisse entendre que ce récit du chapitre 22 de la Genèse signifie par lui-même, rien en lui ne présage autre chose. Il signifie le terme des sacrifices humains offerts au Moloch auxquels sont substituées des offrandes animales en attendant que la parole, l’oraison, prenne le relais. Auerbach s’est-il tourné vers la Bible hébraïque pour défier l’hégémonie de l’héritage classique germanique ? De l’avis même de l’auteur, et bien que sur les vingt chapitres qui composent le livre seuls deux traitent de la littérature allemande, il semble que non.

51

Mimésis tente d’évoquer l’Europe, mais c’est un livre allemand, et pas seulement à cause de la langue. Qui connaît un peu la structure des sciences humaines dans les différents pays s’en rend compte immédiatement. Il est issu des motifs et des méthodes de l’histoire des idées et de la philologie allemandes ; il n’est pas concevable en dehors de la tradition du romantisme allemand et de Hegel, il n’aurait jamais été écrit sans les influences qui se sont exercées sur moi lors de ma jeunesse en Allemagne [40].

52Il n’empêche que le premier chapitre, en jouant le rôle d’une ouverture musicale, donne le ton à l’ensemble de l’ouvrage et montre qu’une des racines de l’Europe est constituée par la Bible hébraïque. De surcroît, le récit biblique déroule une histoire, la quantité impressionnante des verbes qui parsèment le récit de Gn 22 lui imprime une tension qui le mène vers un dénouement. Contrairement au récit homérique où le temps se décline au passé, dans le « flash-back » qui raconte la scène de chasse au cours de laquelle Ulysse a été blessé et qui lui a laissé la cicatrice par laquelle sa servante le reconnaîtra. Là, tout se trouve au premier plan, tout est exposé en détail devant les yeux du lecteur, et rien n’est laissé en arrière-plan, alors que le récit biblique suggère beaucoup plus qu’il ne prouve. Les non-dits sont aussi importants pour la compréhension du récit que les dits. Les accrocs ne sont pas des défauts inhérents à la narration, ils ne sont pas dus à l’inattention du narrateur, mais requièrent la participation du lecteur dans la constitution du sens. Le récit est dense, ramassé et parsemé d’indices qui seront déployés en faisceau de significations lors de la lecture effectuée par les maîtres de la Torah orale. Quoi qu’en dise Auerbach, cette opposition du mythe homérique à l’histoire biblique est en quelque sorte une critique du romantisme allemand qui renoue, par-delà les idéaux des Lumières, avec les arrière-mondes obscurs et meurtriers du mythe germanique et de la philosophie hégélienne qui dissout le judaïsme dans le christianisme.

53Peut-être ce chapitre signifie-t-il pour celui qui se définissait lors de la présentation de sa thèse de philologie, en 1921, comme « Prussien de confession mosaïque » le refus de la dignité de relique. Peut-être, présentant par l’étude du chapitre 22 de la Genèse un judaïsme qui survit vivant à l’avènement du christianisme, revendique-t-il désormais de reconnaître une continuité allant de l’Israël biblique aux juifs de son temps ? Ou plus hardiment d’avoir le privilège de poursuivre l’Histoire sainte ? Ou tout simplement d’être le témoin vivant et le partenaire à part entière indispensable au renouveau culturel de l’Europe…


Date de mise en ligne : 03/11/2017

https://doi.org/10.3917/lgh.056.0645

Notes

  • [1]
    Erich Auerbach, « Epilegomena pour Mimésis », trad. Robert Kahn, Poésie, n° 97, 2001, p. 122.
  • [2]
    Id., Figura. La loi juive et la promesse chrétienne, préface et trad. de Diane Meur, postface de Marc de Launay, Paris, Macula, 2003, « Argô », p. 143. (À cette même date [1938], Carl Schmitt publie son ouvrage Le Léviathan dans la doctrine de l’État de Thomas Hobbes. Sens et échec d’un symbole politique, trad. Denis Trierweiler, préface d’Étienne Balibar et postface de Wolfgang Palaver, Paris, Seuil, « L’ordre philosophique », 2002. Prenant appui sur quelques textes rabbiniques interprétant la création de ce monstre marin et ce qu’il adviendra à la fin des temps, Schmitt établit que les juifs sont les « destructeurs de l’État » dont l’autorité est symbolisée par ce grand cétacé. Ce n’est pas ici le lieu de discuter cette lecture et des textes rabbiniques et de Hobbes, mais à partir de cette doctrine, Carl Schmitt met en question la fidélité des « citoyens allemands de confession mosaïque » envers leur État, fragilise encore plus leur situation politique et sociale et prépare en quelque sorte leur éradication.)
  • [3]
    Erich Auerbach, Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, trad. Cornélius Heim, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des idées », 1968.
  • [4]
    C’est sous l’égide de Karl Vossler qu’Auerbach a préparé et soutenu, en 1929, sa thèse d’habilitation consacrée à « Dante, poète du monde terrestre », Écrits sur Dante, trad. Diane Meur, Paris, Macula, 1999, p. 33-189.
  • [5]
    C’est ainsi que le conçoit, par exemple, Marc de Launay, dans la belle et riche postface dont il a doté l’édition française de Figura, en citant un passage du livre (p. 92), lequel situe sa rédaction dans le sillage de ses travaux sur Dante et en discussion avec Karl Vossler (voir « Postface », in Figura, op. cit., p. 102 et sq.), allant jusqu’à souligner (avec agacement ? !) dans une note : « Auerbach n’en est pas venu ex abrupto à travailler de manière plus approfondie sur Dante ni ne s’est intéressé plus spécialement à la réinterprétation chrétienne de l’Ancien Testament durant le Moyen Âge à cause de sa situation de juif exilé » (ibid., p. 110, note 1. Nous soulignons).
  • [6]
    Dans le n° 22 de la livraison d’octobre-décembre 1938.
  • [7]
    Lettre du 6 octobre 1935 à Walter Benjamin, « Figures d’exil. Cinq lettres d’Erich Auerbach à Walter Benjamin », Les Temps modernes, n° 575, juin 1994, p. 55-56. Il poursuit : « En somme c’était plutôt de la folie que de la sagesse. Je vis au milieu de gens qui n’ont pas notre origine, sont dans de tout autres conditions – et qui, tous, pensent comme moi. C’est beau, mais mène à la sottise, à la croyance qu’il s’agirait là de quelque chose sur quoi on pourrait construire – alors qu’en réalité l’opinion d’individus, même s’ils étaient nombreux, n’a aucune valeur. Ce voyage m’a enfin libéré de cette erreur. »
  • [8]
    Ainsi qu’il l’écrit à Benjamin : « Ici aussi me voilà successeur de Spitzer, qui est allé à Baltimore ; c’est à lui, à Croce et à Vossler que je dois cette solution, qui ne fut d’ailleurs pas simple à réaliser, car au minimum sept camarades d’infortune et plusieurs ministres européens de l’Instruction publique, dont l’allemand et le français, ne voyaient pas ma candidature d’un bon œil » (lettre du 3 janvier 1937, art. cité, p. 59).
  • [9]
    Selon le témoignage de son fils Clemens, très exactement le 23 septembre 1947, qui se trouvait être, ajoute-t-il, la veille de Kippour.
  • [10]
    Les 3 et 4 octobre 1936 plus précisément. C’est en tant que professeur de droit public de l’université de Berlin et conseiller d’État de la Prusse – fonction détenue grâce au soutien des dignitaires nazis Hans Frank et Hermann Goering et à la haute protection de ce dernier jusqu’en 1945 –, sur le thème : « Le judaïsme dans la science du droit ».
  • [11]
    Cités, n° 14, trad. Mira Köller et Dominique Séglard, Paris, PUF, 2003, p. 173-180.
  • [12]
    Ibid., p. 174, souligné par l’auteur.
  • [13]
    Ibid., p. 174-175.
  • [14]
    Ibid., p. 175, nous soulignons.
  • [15]
    Ibid., nous soulignons.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    Ibid., p. 177, souligné par l’auteur.
  • [18]
    Ibid., p. 179.
  • [19]
    Ibid., p. 180, nous soulignons. Pour la citation finale, voir Mon combat, trad. J. Gaudefroy Demombynes et A. Calmettes, 60590 Le Vaumain, France, Nouvelles Éditions latines, s. d., p. 71-72.
  • [20]
    Adolf von Harnack, Marcion. L’Évangile du Dieu étranger. Une monographie sur l’histoire de la fondation de l’Église catholique, trad. Bernard Lauret, Paris, Cerf, « Patrimoines-christianisme », 2003.
  • [21]
    Journal de Schmitt d’août 1947 à août 1951 (« Notes inqualifiables », dit pudiquement Jürgen Habermas in « Le besoin d’une continuité allemande », Les Temps modernes, n° 575, juin 1994, p. 30), publié pour la première fois en 1991, et traduit par André Doremus, Ex Captivitate Salus, Paris, Vrin, 2003. Cette version est expurgée des textes qui font tache sur un Schmitt grand juriste qu’on voudrait laver de tout soupçon antisémite. Les extraits occultés ont été traduits et présentés par Denis Trierweiler, Cités, n° 17, Paris, PUF, 2004, p. 181-210.
  • [22]
    Adolf von Harnack, « L’idée d’un christianisme pur », Marcion, op. cit., p. 360-364.
  • [23]
    Sebastian Haffner, dans son Histoire d’un Allemand. Souvenirs 1914-1933, Arles, Actes Sud, 2003, raconte avoir entendu les cris de juifs qui déchiraient le silence des bibliothèques de droit lorsqu’on les en expulsait. (Nous citons de mémoire.) Il ne s’agissait donc pas de paroles en l’air, de violence symbolique, mais d’un passage à l’acte dont on connaît le funeste résultat. Et cette expulsion est double : existentielle (d’un lieu) et métaphysique (d’une culture).
  • [24]
    Lettre du 23 septembre 1935 à Walter Benjamin, art. cité, p. 55.
  • [25]
    Voir Erich Auerbach, « Epilegomena pour Mimésis », art. cité, p. 122. Voir aussi la citation placée en exergue de cette étude.
  • [26]
    Id., Figura, op. cit., p. 13.
  • [27]
    Ibid., postface de Marc de Launay, p. 114. C’est l’auteur qui souligne.
  • [28]
    Ibid., p. 52-53.
  • [29]
    Auerbach renvoie le lecteur aux passages des Épîtres pauliniennes où l’on trouve les premiers linéaments de cette interprétation. Ibid., p. 57 et sq.
  • [30]
    Ibid., p. 62, nous soulignons.
  • [31]
    Heinrich von Treitschke (1834-1896). Rappelons que, lors de sa controverse avec l’historien juif Heinrich Graetz, il proclame que les juifs, en formant un État dans l’État, sont un élément inintégrable qui contribue à la désintégration de l’État allemand. C’est à Treitschke que l’on doit la formule : « Les Juifs sont notre malheur » que les nazis ont exploitée ad nauseum.
  • [32]
    Karl Barth, Dogmatique, trad. fr., Genève, Labor et Fides, 1980 (je cite de mémoire).
  • [33]
    Paul Claudel, Une voix sur Israël, Paris, Gallimard, 1951, p. 49.
  • [34]
    Erich Auerbach, Figura, op. cit., p. 33-40.
  • [35]
    Ibid., p. 44-52.
  • [36]
    Ibid., p. 36.
  • [37]
    Ibid., p. 40. Je souligne « intra-historique » et « concret ».
  • [38]
    En 1934, dans « Quelques réflexions sur la philosophie de l’hitlérisme », Levinas préconisait une lutte commune du judaïsme, du christianisme et du libéralisme – associés au marxisme – pour barrer la route au paganisme hitlérien. Loin de nous l’idée de signaler ici une influence quelconque, mais nous soulignons tout simplement une convergence à un moment de l’histoire où l’on pensait encore que l’on pouvait arrêter le nazisme, Esprit, n° 26, 1934, p. 199-208.
  • [39]
    Emmanuel Levinas, Difficile Liberté, 3e éd., Paris, Le Livre de Poche, « Biblio Essais », 2010, p. 304.
  • [40]
    Erich Auerbach, « Epilegomena… », art. cité, p. 121. Rappelons que Mimésis est dédié à « tous ceux qui ont gardé sereinement dans leur cœur l’amour de notre histoire occidentale ».

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