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Article de revue

Les origines comparées de l’écriture et de la parole à la Renaissance

Pages 165 à 182

Notes

  • [1]
    Nous avons retracé l’histoire de ces conceptions dans Les Voix du signe. Nature et origine du langage à la Renaissance (1480-1580), Paris, Champion, 1992.
  • [2]
    Hermann Hugo, S. J., De prima scribendi origine et universa rei literariae antiquitate, Anvers, Plantin, 1617. Comme l’a fait remarquer Max Engammare lors du colloque, Hugo était beaucoup plus connu pour ses emblèmes dévots, les Pia desideria (Anvers, T. Aertssens, 1624), que pour cet ouvrage. Ce recueil a bénéficié d’un grand nombre d’éditions et de traductions jusqu’au xixe siècle. La première traduction française date de 1627 (Paris, S. Cramoisy) et celle de Cologne (1717) est attribuée au ministre Poiret et à Mme Guyon (Carlos Sommervogel, Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, 1890, p. 516-518).
  • [3]
    Chap. vii, p. 36 sq.
  • [4]
    Theodorus Bibliander (Theodor Buchmann), De ratione communi linguarum commentarius, Zürich, C. Froschover, 1548.
  • [5]
    Blaise de Vigenère, Traicté des Chiffres, ou secretes manieres d’escrire, Paris, A. L’Angelier, 1586. Claude Duret, Thresor de l’histoire des langues de cest univers […], Cologny, M. Berjon, 1613 ; Yverdon, 1619. Genève, Slatkine Reprints, 1972.
  • [6]
    Chap. xiv, p. 119 ; Barnabé Brisson, De Verborum, quae ad jus pertinent Significatione […], Lyon, Jean de Tournes, 1559 ; Paris, Sébastien Nivelle, 1596 ; le Lexicon juris de Brisson avait été aussi publié à Francfort (J. Wechel) en 1587.
  • [7]
    Sur cette création linguistique qui fait de l’étymologie le lien entre la vérité et le mythe, voir les nombreux travaux de Claude-Gilbert Dubois et de François Secret sur Postel.
  • [8]
    Jacques Peletier du Mans, Art poétique, 1555, dans Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, éd. Francis Goyet, Paris, Le Livre de Poche classique, 1990, p. 240.
  • [9]
    Hermann Hugo, op. cit., chap. iii, p. 54 : « e rerum figuris ; neque enim tam sunt literae, quam imagines et compendia sententiarum aut vocum ». Quelques auteurs (comme le cardinal Bellarmin dans sa grammaire hébraïque) expliquaient cependant certaines lettres de l’alphabet hébraïque par une origine pictogrammatique (à l’exemple de l’aleph signifiant le bœuf et représentant un crâne de bœuf stylisé).
  • [10]
    Hermann Hugo, op. cit., chap. iv, p. 60 : « Quemadmodum nempe non obstante sermonum dissimilitudine, solae literae sarcire possint dilaceratam tot gentium societatem. »
  • [11]
    Ibid., p. 60-61 : « Si singulae literae impositae essent, non vocibus, sed rebus ipsis significandis, eaeque essent hominibus omnibus communes ; omnes omnino homines, etiamsi gentes singulae res singulas diversis nominibus appellent, singularum gentium scriptionem intelligerent. Apparet ea res in literis Astronomorum hieroglyphicis. »
  • [12]
    Ibid. : « […] Atque ita Sinenses et Japones, qui linguis tam sunt dissimiles quam Hebraei et Belgae, mutuos tamen libros et scriptionem legunt atque intelligunt, quia earumdem rerum significativis literis iisdem utuntur, ut scribit Nicolaus Trigaultius noster in Sinensi Expeditione. » Le Français Nicolas Trigault (1577-1628) était arrivé en Chine en 1610. Il publie à Cologne en 1615 son histoire De christiana expeditione apud Sinas suscepta ab Societate Jesu, puis la traduction française (Histoire de l’expédition française au royaume de la Chine […], Lyon, 1616). Hugo n’a pas attendu pour l’exploiter. Voir Madeleine V. -David, Le Débat sur les écritures et l’hiéroglyphe aux xviie et xviiie siècles, et l’application de la notion de déchiffrement des écritures mortes, Paris, S. E. V. P. E. N., 1965, p. 32.
  • [13]
    C’est la doctrine aristotélicienne de base, que Hugo réaffirme avec Scaliger contre Cardan.
  • [14]
    Ibid., p. 61 : « Est autem huius arcani haec, ut puto, ratio ; quod res et earum conceptu in omnium hominum animis sint iidem (neque enim Hebraei aliter concipiunt canem aut equum, atque Hispani et Galli) unde et signa earumdem rerum significativa, si omnibus fuerint communia, suggerent quoque omnibus eosdem rerum conceptus. At si signa fuerint non rerum, sed vocum significativa, voces quidem illas facile legent omnes ii, quibus fuerint ea vocum signa communia ; at certe (quia apud singulos fere diversae sunt eiusdem rei voces, ut patet in Tauro et Geminis) non intelligent quid illae voces significent. Non enim Graecus intelliget librum Gallicum Graecis literis scriptum, etsi eum facile leget. Ergo ut et legere et intelligere quivis posset quaelibet scripta, necesse esset omnibus communes esse literas aliquas, non vocum, sed rerum proxime aut conceptuum significativas. Sic nempe coire possent denuo homines omnes, veterem illam primi orbis societatem tanto olim sermonum divortio dissipatam : sic nullo uspiam opus esset interprete ; nulla hominum librorumve esset inaccessa sapientia. »
  • [15]
    François Béroalde de Verville, Le Palais des curieux, Paris, Veuve M. Guillemot et S. Thiboust, 1612, dernier chapitre intitulé « Notte ».
  • [16]
    Blaise de Vigenère, Traité des chiffres, op. cit., 240 v° sq. Dans ces pages étonnantes, Vigenère laisse à ses lettres alphabétiques « réduites » un statut de graphèmes combinatoires.
  • [17]
    Voir Leonor Carvalho Buescu, Historiographia da Lingua Portuguesa, Lisbonne, Sá da Costa, 1984, p. 119.
  • [18]
    Voir l’étude importante de Jean-François Maillard sur l’insertion des caractères sino-japonais dans la collection de Vigenère : « Aspects de l’encyclopédisme au xvie siècle dans le Traité des Chiffres annoté par Blaise de Vigenère », in Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, XLIV, 2, 1983, p. 235-268 ; voir également, sur la fortune de ces « lettres de Chine », Jean Balsamo : « Les premières relations des missions de la Chine et leur réception française (1556-1608) », in Nouvelle Revue du xvie siècle, 16/1, 1998, p. 155-184.
  • [19]
    Stephen Meier-Oeser, Die Spur des Zeichens : das Zeichen und seine Funktion in der Philosophie des Mittelalters und der frühen Neuzeit, Berlin, De Gruyter, 1997, p. 164-165, qui cite Pierre d’Ailly, Insolubilia, dans Conceptus et insolubilia, s. d., b4v°-5r° : « propositio vocalis et scripta subordinantur mentali. Sed non oportet quod vocalis et scripta subordinentur inter se, sicut multi ponunt. Nam si quis legit propositionem scriptam vel intelligit, intendit quid per ipsam significatur ultimate vel non » ; voir également Joël Biard, Logique et théorie du signe au xive siècle, Paris, Vrin, 1989, p. 274 : « Une systématicité et une autonomie équivalant à celles du langage parlé sont accordées aux propositions écrites. Pierre d’Ailly paraît le premier à défendre une telle position. »
  • [20]
    Thomas Sébillet, Art poétique françois, 1548, in Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, éd. Francis Goyet, Paris, Le Livre de Poche classique, 1990, p. 98.
  • [21]
    Pierre Bouju de Beaulieu, Corps de toute la philosophie, Paris, C. Chastellain, 1614, coll. « Logique », p. 31.
  • [22]
    Maurice Scève, Microcosme, Lyon, Jean de Tournes, 1560, p. 58.
  • [23]
    Voir Les Voix du signe, op. cit., et l’ouvrage récent de Jean-Marie Fritz, Paysages sonores du Moyen Âge : le versant épistémologique, Paris, H. Champion, 2000.
  • [24]
    Francisco de Toledo, Commentaria […] in universam Aristotelis logicam [1560], Paris, Jacques du Puy, 1581, p. 192 : « Haec verba Alexander interpretatur similitudinarie, id est, sicut voces sunt signa conceptuum : ita scripturae vocum ; at Porph. et Boet. hoc non recipiunt, nam voces ita sunt signa conceptuum, ut mutatis vocibus non mutetur rei conceptus. At voces mutantur ex mutatione scripturarum, aliter enim una vox, aliter altera scribitur. » Et p. 195 : « Scripturae vocum sunt manifestativa, & suppositiva signa ; ut scribere, vocis prorsus locum obtineat ; est enim scriptura, vox quasi quaedam perpetua. »
  • [25]
    Stephen Meier-Oeser, Die Spur des Zeichens, op. cit., p. 160 sq.
  • [26]
    John Mair : « terminus scriptus est terminus qui oculo corporali percipi potest », Libri quos in artibus in collegio Montis Acuti Parisius regetando compilavit, « Liber terminorum » [Paris, 1506], Lyon, 1508, f° 4 v°a, cité par Stephen Meier-Oeser, Die Spur des Zeichens […], op. cit., p. 166 ; Josse Clichtove, Introductiones artificiales, Paris, Simon de Colines, 1535, 104 v°. La position de cet auteur semble participer à la fois du terminisme et du scotisme.
  • [27]
    Pierre Tartaret, Super libris logices Porphirii et Aristotelis cum textus […] expositione, Poitiers, s. e., 1493. Opera Omnia, Venise, Baptista Combus, 1621, f° 95r°. Pour la position originale de Tartaret, voir notre étude, « Le signe écrit dans les commentaires scotistes de Pierre Tartaret (1493) », dans Jean Duns Scot et la métaphysique classique, actes du colloque de Clermont-Ferrand, 1996, éd. Gérard Sondag, Revue des sciences philosophiques et théologiques, tome 83, n° 1, janvier 1999, p. 85-102.
  • [28]
    Agostino Nifo, qui gardait le parallélisme entre les lettres et le mot entier, glosait la similitude partielle par convenientia (In duodecim metaphysices Aristotelis et Averrois volumen Commentarii […], Venise, H. Scot, 1519, f° 3v°).
  • [29]
    Pedro da Fonseca, Institutionum dialecticarum libri octo [Londres, 1564], Lyon, Jean Pillehotte, 1598, I, ch. 8, p. 16. Rodolphe Goclenius (Göckel), Lexicon philosophicum, éd. de 1615. Georg Olms Reprints, 1980. Article Signum, p. 1045-1046.
  • [30]
    Pierre Tartaret, ibid., f° 96 v°.
  • [31]
    La définition apparaît dans le premier Commentaire de Scot sur le Peri Hermeneias, 1, q. 19 ; elle vient en fait de Lambert d’Auxerre (Logica) qui transpose le mode de la cause à celui de la signification. Stephen Meier-Oeser (p. 83) rappelle qu’elle est donnée plus tard par les Conimbres comme « celebris regula Scoti » (Commentarii Collegii Conimbricensis e societate Jesu […] in universam dialecticam Aristotelis Stagiritae, 1607, 2. 33).
  • [32]
    Blaise de Vigenère, Traité des chiffres, op. cit., f° 3v°.
  • [33]
    François Guyart, Tractatus preambulationis in omnem scientiam logicalem, omnium terminorum logicalium diffinitiones aut difficultates continens, Paris, H. Estienne, 1511 ; édition consultée : Paris, Jacob Guyllotoys, 1516, f° Di r°. Il parle de « terme mixte » lorsqu’il y a une différence entre ce qui est écrit et ce qui est pensé, si on pense ho et qu’on écrit mo.
  • [34]
    Francis Bacon, The Advancement of Learning, 1605, II. Il faut distinguer toutefois entre la version anglaise (antérieure à Trigault et à Hugo), qui mentionne seulement la propriété des hiéroglyphes de signifier comme les gestes, et la version latine (1623), qui insiste plus clairement sur leur congruence partielle avec les choses : « patet, Hieroglyphica & Gestus, semper cum re significata aliquid similitudinis habere, & Emblemata quaedam esse ; unde eas Notas Rerum ex congruo nominavimus » (De Dignitate et Augmentis scientiarum Libri IX, in Opera Omnia, Leipzig, Johannes Justus Erythropilus, 1694, VI, 1, p. 382). Madeleine V.-David pense que cette édition rapproche les hiéroglyphes des « chiffres » et des « caractères réels » ou alphabétiques, mais les exemples techniques de Bacon montrent au contraire les « chiffres » comme des encodages artificiels sans aucun rapport avec la nature des choses (Le Débat sur les écritures […], op. cit., p. 37-39).
  • [35]
    Pedro da Fonseca, Institutionum dialecticarum libri octo, op. cit., I, chap. x, f° 19 r° : « Verum non est necesse, ut cum ego audio vocem significativam alicujus rei, duo in me gignantur conceptus, alter ipsius conceptus rei, alter rei significatae ; nec item cum lego verbum aliquod apud Aristotelem, opus est, ut tria concipiam, vocem, quae rem significat, quaeque vocabulo respondet, conceptum rei, et rem significatam, mens enime celeritate sua, statim praevolat ad rem, praetermissis saepe mediis signis, interjectis inter primum signum : et rem significatam. »
  • [36]
    Antonio Rubio, Logica mexicana […] Commentarii breviores et maxime perspicui in Universam Aristotelis Dialecticam […], [1607], Lyon, Jean Pillehotte, 1611, p. 504 : « sunt enim scripturae quasi nomina, et verba depicta ».
  • [37]
    Pour la France, l’oubli est relatif, le maintien de cette tradition étant assuré par les néoaristotéliciens et par la « scolastique réformée », selon l’expression d’Olivier Fatio (Méthode et théologie : Lambert Daneau et les débuts de la scolastique réformée, Genève, Droz, 1976). Voir Stephen Meier-Oeser (Die Spur des Zeichens […], op. cit. p. 174 sq.), et la communication de Jacob Schmutz au colloque « Philosophie et théologie à Paris au xve siècle », 8-9 novembre 2001, organisé par Emmanuel Faye, Université Paris-X Nanterre : « La migration des concepts : de Paris à Salamanque, et retour » (à paraître).
  • [38]
    Voir Massimo Luigi Bianchi, Signatura rerum : segni, magia e conoscenza da Paracelso a Leibniz, Rome, Ateneo, 1987 et l’édition du colloque du « Lessico Intellettuale », Signum, Florence, Olschki, 1999 ; Béatrice Fraenckel, La Signature, Paris, Gallimard, 1992.
  • [39]
    Giambattista Della Porta, De furtivis literarum notis, vulgo de Ziferis, Naples, J. M. Scotus, 1563, et De occultis literarum notis, Strasbourg, L. Zetner, 1606. Johannes Trithemius, Steganographia, [ms. de 1500 environ] ; Francfort, M. Beckerus, 1606 ; Polygraphia libri sex, Bâle, J. Haselberg, 1518.
  • [40]
    Voir M. V.-David, Le Débat sur les écritures et l’hiéroglyphe, op. cit., p. 52 sq.
  • [41]
    Hermann Hugo, Pia desideria, op. cit, fig. 35, p. 305.
  • [42]
    Voir l’ouvrage de Pierre Béhar, Les Langues occultes à la Renaissance, Paris, Desjonquères, 1996. Cette étude, consacrée principalement à l’héritage de la philosophie occulte de Henri Cornelius Agrippa, n’inclut pas l’œuvre de Vigenère.
  • [43]
    Blaise de Vigenère, Les Commentaires de César […], [1576], Paris, Abel l’Angelier, 1589, f° 96 sq.

1Les langues et leurs systèmes d’écriture commencent à connaître des histoires différentes à une époque où la dépendance du signe écrit par rapport à son préalable, la vox, était l’opinion la plus couramment admise. Selon la doctrine aristotélicienne, il a fallu d’abord trouver les sons verbaux ou mots prononcés avant même d’avoir l’idée de les écrire, et l’écriture apparaît comme seconde, voire secondaire. L’Écriture sainte dit à peu près la même chose : Dieu a donné le langage à Adam dans la langue adamique, puis celle-ci a été « confondue », et plus tard Seth, Abraham ou Moïse auraient inventé les lettres puisqu’il a bien fallu écrire les tables de la Loi. Langage verbal et écriture se succèdent dans l’histoire des hommes comme dans l’histoire de l’homme, et le petit enfant apprend à parler avant d’apprendre à écrire [1].

2Or on voit apparaître à la Renaissance des opinions qui remettent en cause cette succession, dans des milieux fort différents : 1° au sein des courants ésotériques, qui favorisent l’idée d’une création de l’alphabet concomitante de la Création du monde elle-même ; 2° chez les terministes de la scolastique parisienne et chez les scotistes, qui accordent à l’écrit l’expression directe des concepts. Dans ces deux cas, certains signes écrits, qui ne sont pas obligatoirement des lettres, ont pu soit remplacer les signes verbaux, soit être directement l’expression de concepts sans verbalisation possible.

3Ces deux positions collaborent, chacune à leur manière, à une réévaluation de l’écriture, ce qui conduit à certaines utopies scripturales du xviie siècle. Le meilleur guide est le Père Hermann Hugo (1588-1629), un jésuite belge qui publie à Anvers en 1617 un De prima scribendi origine[2]. Ce texte témoigne d’une promotion de l’écriture associant une origine singulière à la possibilité de construire de nouveaux codes graphiques.

L’origine de l’écriture selon Hugo

4Cet ouvrage est avant tout une compilation assez complète de tout ce qu’on pouvait savoir et dire sur la chose écrite à la Renaissance. Peu d’autorités manquent à ce répertoire. Les auteurs jésuites sont largement mis à contribution, comme tel missionnaire de Chine ou du Japon (Nicolas Trigault en particulier), de même que des professeurs comme Pierre Grégoire de Toulouse. Les sources sont éclectiques : sur le plan de la méthode, Jules César Scaliger domine, c’est-à-dire un aristotélisme revisité par l’averroïsme padouan et une certaine tentation scotiste. Sur le plan de l’histoire ecclésiastique, l’auteur rend à Dieu ce qui lui revient, à savoir la Genèse et l’épisode de Babel sur lequel il ne s’étend guère. Visiblement, ce jésuite éclairé est sensible aux nouvelles tendances de l’historiographie, même si elles touchent à l’histoire sacrée : les fables linguistiques engendrées par le mythe babélien sont toutes mentionnées mais tout aussi poliment rejetées. Des auteurs comme Goropius et Postel ont été lus consciencieusement et mis de côté lorsqu’ils développent leurs nugae[3].

5Le De scribendi origine est par certains points une amplification des chapitres que Theodor Bibliander avait consacrés à l’écriture dans son De ratione communi linguarum commentarius de 1548, qui est un traité non seulement des origines diverses attribuées à l’invention des langues et des lettres, mais encore de la science graphique portant sur le papier, la taille des plumes, les tablettes et l’art de l’imprimerie [4]. Ces éléments encyclopédiques se retrouvent chez Hugo, encore augmentés par des auteurs plus obscurs, ecclésiastiques le plus souvent. Parmi les profanes, ceux qu’il ignore sont ceux que nous connaissons le mieux en France : Blaise de Vigenère pour son Traité des chiffres de 1586, qui développe une véritable mythologie de l’écrit, et son cousin et disciple Claude Duret pour son célèbre Thresor de l’histoire des langues de cest univers[5]. Duret utilise abondamment Vigenère pour la primauté de l’écriture, mais se sert non moins abondamment de Bibliander pour ses données encyclopédiques. Hugo dépasse encore ses prédécesseurs en incluant dans l’art d’écrire l’art épistolaire, ses formules et ses genres. Avec les systèmes d’abréviation, les codes employés en droit ou en médecine, le marquage des troupeaux et jusqu’à la rature des censeurs, l’écriture se fait éminemment sociale et civile : son livre de référence est alors le De verborum significatione du juriste Barnabé Brisson [6]. Si Bibliander était effectivement un pédagogue et un théologien (protestant et successeur de Zwingli à la Münsterhalle), Vigenère, Duret et Brisson appartiennent à la sphère juridique qui exerce le pouvoir effectif sur l’écrit, bien plus que les régents de collège.

6Hugo montre sur le plan de la méthode historique qu’il est à la fois disciple de Scaliger et de Bibliander : il suit l’analyse des langues en général telle que la propose le premier, mais sa façon d’examiner les hypothèses, de les peser selon le probable, de ne s’avancer qu’avec prudence sur le plan des opinions seulement vraisemblables, en fait comme Bibliander un disciple de Melanchthon, qui n’a pas influencé que des protestants. Comme pour le Zurichois, la recherche des origines se veut méthodique et rationnelle ; elle n’a que peu à voir avec l’« émithologie » postellienne [7].

7Bien qu’il ne l’ait sans doute jamais lu, Hugo relève le défi lancé par Jacques Peletier du Mans en 1555 dans son Art poétique :

8

De l’antiquité et de l’excellence de la Poésie.
Pline après avoir recensé les dissensions des Auteurs en l’invention des Lettres Alphabétiques, les uns les donnant aux Assyriens, les autres aux Égyptiens, les autres aux Syriens, et puis les autres aux Babyloniens : n’a su sinon conclure, l’usage en avoir été éternel. Mais les hommes sont toujours tels, qu’ils aiment mieux, à l’aventure, nommer quelque premier : que confesser ne savoir qui c’est [8].

9À partir de cette résignation, Peletier contestait la réforme orthographique de Meigret, concurrente de la sienne. Tout en admettant qu’ils poursuivent ensemble la même cible en ayant comme horizon la conformité de l’écriture à la « prolation », Peletier contredit Meigret sur le principe utopique de vouloir faire correspondre les lettres à la « naïve prolation » sans aller jusqu’au bout, c’est-à-dire sans inventer de nouveaux graphèmes qui rendent compte de l’évolution de la langue française. Nous sommes tributaires des caractères latins, bien insuffisants pour la variété du français parlé de leur temps.

10Hugo est à la fois loin de ce scepticisme concernant les origines et de la radicalité des réformateurs de l’orthographe, dont les soucis ne concernaient guère un auteur qui n’écrit qu’en latin.

Le point sur les origines

11Les trois premiers chapitres sont assez longs puisqu’ils font le tour d’à peu près toutes les opinions sur les différents inventeurs, en notant les dissensions entre les neoterici en particulier. La conclusion est toute biblique et conforme à ce qu’en dit Bibliander :

12

Il est certain que les premières lettres ont été hébraïques, car la première langue était l’hébreu, comme les noms propres en témoignent […] ; aux mots (voces) propres correspondent des lettres propres. Et les lettres n’avaient pas changé avant la confusion. On ne lit nulle part que la diversité des écritures ait été antérieure à cette confusion, même à l’intérieur d’un même alphabet avec la différence entre capitales, initiales et finales.
(Chap. iii, p. 42-43.)

13En mentionnant les premières lettres assyriennes, Pline parle selon Hugo des hébraïques, ce qui fait apparaître la concorde entre sources païennes et sacrées. D’autres équivalences sont posées : entre les phéniciennes, les cananéennes, les araméennes et les samaritaines. Ce sont des alphabets qui dérivent de la même source hébraïque, et Abraham a inventé les lettres chaldéennes. Quant à Cadmus, il est seulement l’inventeur des lettres grecques. En revanche les lettres éthiopiennes et les égyptiennes ne sont pas nées des hébraïques, mais « des figures des choses ; en effet ce ne sont pas tant des lettres que des images et des abrégés (compendia) de phrases ou de mots [9]. » Hugo ne tente nullement de rapporter les hiéroglyphes aux lettres hébraïques, dont certaines avaient pu passer pour hiéroglyphiques et servir ainsi de modèle universel. À ce point de son exposé, Hugo présente donc l’histoire des écritures dans un strict parallélisme avec l’histoire des langues, à l’exception notable des hiéroglyphes.

14Conformément à la ligne aristotélicienne maintenue par les Conimbres, il n’y a pas trace dans ce livre de la moindre analyse de type cratylien. La naissance de certains graphèmes est certes rapportée à la nature, comme le O qui imite l’ouverture de la bouche (chap. vii, p. 75), mais la même remarque pouvait entrer dans le cadre du conventionnalisme. L’examen lettre à lettre du tracé des alphabets est cependant précédé de l’examen de la « puissance » des lettres, c’est-à-dire de leur prononciation. Comme pour le Champfleury de Geoffroy Tory (qu’il ne semble pas connaître), l’auteur avait prévu d’écrire un grand livre sur la totalité de la chose littéraire (épître liminaire, p. 7) ; cette étude de l’écriture n’en est qu’un début. Bien qu’il soit allé un peu plus loin que Tory, resté au tracé des lettres capitales accompagnées d’une étude phonétique, Hugo regrette d’avoir seulement posé les bases de cette science, sans même s’attarder à fournir une collection d’alphabets.

L’utopie scripturale

15C’est à propos du nombre des lettres dans les alphabets respectifs, et après avoir détaillé la façon dont, après la confusion de Babel, les lettres primitives ont vu leur nombre augmenter et leur tracé se modifier, que l’auteur en vient à rêver d’une écriture universelle. Le nombre d’alphabets est en effet bien inférieur au nombre d’idiomes. Partant du constat qu’il n’y a aucun rapport fondamental entre tel système alphabétique et la langue qu’il transcrit, Hugo admire qu’un petit nombre de lettres puisse rendre compte d’une telle diversité de langues ; les nations se comprennent, non seulement par la parole, mais encore par la scriptio. De là, il est amené à penser qu’on pourrait réunir tous les peuples en une seule société grâce à l’écriture, « quand, nonobstant la dissimilitude des langues, les lettres seules pourraient réunir la société dispersée en tant de nations » [10].

16Cette solution est envisageable à condition que les lettres dénotent directement les choses, ce qui n’est évidemment pas possible dans le système alphabétique. Prudent, Hugo exprime son utopie au conditionnel :

17

Si les lettres prises une à une avaient été imposées, non aux mots, mais aux choses elles-mêmes pour les signifier, elles seraient communes à tous les hommes ; tous les hommes, et même toutes les nations appelleraient les choses singulières par des noms divers, et comprendraient l’écriture de toutes les autres [11].

18Il cite le cas des hiéroglyphes non des Égyptiens, mais des astronomes, puis rapporte l’exemple contemporain des Chinois et des Japonais dont les langues sont aussi différentes que celles des Hébreux et des Belges : pourtant, ces peuples orientaux lisent et comprennent leurs livres et écrits respectifs parce que ces peuples usent des mêmes lettres significatives, comme l’écrit Nicolas Trigault dans son récit d’expédition en Chine [12].

19On sait que la découverte des caractères chinois a été une révélation pour les Occidentaux, qui ont pris lentement conscience du caractère figuratif de l’écriture chinoise et de la fonction des idéogrammes. Hugo en vient à préciser comment, philosophiquement, une telle utopie scripturaire serait possible :

20

La raison de cet arcane est la suivante : puisque les choses ou leurs concepts sont les mêmes dans tous les esprits des hommes (ni les Hébreux ne conçoivent différemment un chien ou un cheval, ni les Français ou les Espagnols) [13], il en résulte que les signes significatifs de ces mêmes choses, s’ils étaient communs à tous, suggéreraient également ces mêmes concepts des choses. Mais si les signes étaient significatifs non des choses mais des mots […], tous ne comprendraient pas ce que ces mots signifient. En effet, un Grec ne comprend pas un livre français écrit en caractères grecs, même s’il le lit facilement. Donc pour qu’il soit possible à quiconque de lire et de comprendre des écrits quelconques, il est nécessaire que des lettres soient communes, et non des mots, mais aussi qu’elles soient significatives des choses ou des concepts. Ainsi tous les hommes pourraient à nouveau se retrouver ensemble, une fois qu’aurait pris fin l’ancienne dispersion des hommes. Il n’y aurait pas besoin d’interprète, ni besoin de cette science inaccessible des hommes ou des livres [14].

21Puis Hugo répond à l’objection immédiate, qui vient à l’esprit de quiconque a une idée de la complexité des signes chez les Chinois : il y a trop d’idéogrammes. La réponse est qu’il serait encore plus long d’apprendre toutes les langues.

22L’auteur abandonne ici son utopie pour continuer la description systématique de toutes les formes d’écriture. Mais on retrouve les hiéroglyphes et surtout les écritures codées aux chapitres xvi, xvii et xviii, où Hugo développe le principe des notae, que ses homologues français traduisent par « note » (chez Béroalde de Verville) [15] ou par « chiffre », comme le fait Vigenère.

23Dans son Traité des chiffres Vigenère, qui a pu avoir connaissance de l’écriture chinoise dès les années 1580, a pensé à un système entièrement conceptuel composé de O plus ou moins aplatis (il en reproduit le dessin) [16]. Bien qu’il ne détaille pas son invention, on peut penser qu’il supprime même la verbalisation intermédiaire, ce que Hugo ne fait pas. Le jésuite ne donne pas non plus d’exemple graphique de ce que seraient ces nouveaux caractères dont le modèle pourrait être les « hiéroglyphes » des astronomes : des idéogrammes et des pictogrammes verbalisés différemment selon les nations. Un peu avant Vigenère, Magalhães de Gandavo avait pensé à une internationalisation rationnelle de l’alphabet latin en 1574 [17], étape dépassée par la découverte des idéogrammes [18].

24La vision du jésuite est effectivement utopique et ne prend pas en considération le rapport étroit entre l’écrit et la langue nationale, qui aboutira, dans un mouvement inverse, à la différenciation de l’alphabet latin par les caractères accentués et par un usage national des signes de ponctuation. Pourtant, il est conscient des nouveaux pouvoirs de l’écrit dans les monarchies modernes qui font rédiger grands coutumiers et recueils de lois. Dans l’un des derniers chapitres, il s’interroge sur la force des pactes écrits, nous dirions sur la force contractuelle des actes illocutoires graphiques. Il assure que les mots écrits n’ont pas plus de valeur que la parole donnée, sinon celle que la société leur accorde. Même si Dieu est à l’origine de tout, une fois la Création achevée, c’est le groupe social qui tient lieu d’origine.

25Cet ouvrage est donc caractéristique sinon d’une doxa, du moins d’une opinion partagée par les hommes d’Église de son temps : une origine concomitante de la parole et de l’écriture en ce qui concerne l’hébreu, mais avec la conscience du rapport plus étroit que la communauté entretient avec son écriture depuis Babel. Hugo tire la conséquence de sa conception de l’écriture comme « chiffre » : elle pourrait permettre le retour à l’unité non pas selon le modèle de l’alphabet hébreu mais selon le principe de l’idéogramme chinois. De ce fait, le retour à l’unité n’est pas un retour à l’origine mais une véritable invention.

Philosophies de l’écrit

26Le caractère subalterne de l’écriture, issu de l’analyse aristotélicienne renforcée par Boèce et par Guillaume d’Ockham, est repensé à la fin du Moyen Âge dans le souci de mettre en avant un mode d’expression moins caduc que la parole. Si le principe de subordination est maintenu par beaucoup et notamment par les thomistes, la dépendance directe de l’écriture par rapport au concept et sans l’intermédiaire vocal avait déjà été défendue par Pierre d’Ailly [19]. En outre, l’écriture étant pour les humanistes un vecteur d’éternité et donc de gloire, elle bénéficiait d’une nouvelle considération. Sans reprendre le débat sur le logocentrisme/graphocentrisme de la Renaissance, il convient de rappeler les fondements théoriques de cet enjeu. Le schéma de la signification, ou triangle appliqué aux seuls signes linguistiques, s’élargit en un « losange sémiotique » qui inclut la dimension écrite de la parole :

figure im1

27Ce schéma, fort simplifié, tente de visualiser l’importance de la relation médiate entre les signes linguistiques et les référents. Les terministes avaient en outre dédoublé le conceptus en concept de la chose et en concept de la chose signifiée, et les scotistes avaient introduit encore d’autres distinctions formelles.

28L’adjonction des scripta propose trois relations dans le travail de signification opéré : relativement aux mots prononcés, aux concepts ou aux choses. La position canonique (celle d’Aristote et des grammairiens) est que les graphèmes (litterae) représentent les phonèmes (elementa), comme les scripta représentent les voces. Thomas Sébillet, qui promeut à la suite de Marot et Dolet l’usage des voyelles accentuées dans son Art poétique de 1548, rappelle la quadripartition standard en employant les termes de « signes » et de « notes » :

29

Car tout ainsi que les mots sont les signes des passions de l’esprit, ainsi les lettres sont les notes de ce que la langue prononce [20].

30Cette doctrine se prolonge bien au-delà du siècle. Elle est encore formulée chez Bouju de Beaulieu dans son Corps de philosophie (1614) :

31

l’escriture qui est comme une voix morte, mais permanente, sert de marque et de signe de nos pensees et de ce que la voix a proferé ; et est une forme de parler qui demeure apres que l’homme s’est expliqué de la voix ou de l’entendement [21].

32De même, Maurice Scève dans Microcosme avait repris, comme beaucoup d’autres, la fonction de représentation des « sons de la voix infinis », sans négliger le rapport de l’écriture avec la faculté « imaginative » indispensable à la fonction d’immortalisation :

33

Lettres, soulas trespront à la tarde memoire,
Mais luy apparessant la force de sa gloire :
Receptacle, & tableau, ou l’imaginative
Formee se reserve en sa vertu plus vive.
Divine invention ! peu de signes unis
Representer les sons de la voix infinis !
Par lesquels tout savoir a immortalité,
Et successif descent à la posterité [22].

34Sans être un réformateur radical, Scève est sensible à la relation harmonieuse entre phonème et graphème. Cette « vertu plus vive » de l’écrit, considérée ici comme un supplément non négligeable, a pu être envisagée par d’autres comme un caractère spécifique non partagé avec la voix. Cette conception s’oppose à l’opinion qui tient que la parole est au contraire plus proche du « vif », opinion partagée par Jacques Peletier du Mans et par Montaigne [23].

35Plus cruciale était l’objection au parallélisme des relations qui portait sur la médiation nécessaire ou non des mots prononcés. Selon Francisco de Toledo, Porphyre et Boèce se sont opposés à son application stricte, car un changement de mot n’affecte pas le concept, alors qu’un changement de graphie modifie la vox. Il résout le problème en recourant à sa distinction entre supposition et manifestation, alors que cette dernière notion ne s’applique en théorie qu’aux signes non linguistiques :

36

Les mots écrits sont manifestatifs des mots prononcés, et sont des signes suppositifs : comme l’écriture tient la place du mot prononcé ; et l’écriture est comme un certain mot perpétuellement prononcé [24].

37L’écriture a donc un double statut, comme signe suppositif et comme signe manifestatif. La notion de manifestation essaie de rendre compte de la spécificité de l’écrit, en tant qu’il n’est pas simple calque de l’oral, mais cette position l’exclut du losange sémiotique strict : le manifestant n’implique aucune relation de similitude avec son manifesté.

38Ce nouveau schéma fait apparaître la relative autonomie du signe écrit. L’étude des textes logiques de Pierre Tartaret, bon représentant du scotisme français « sorbonicole », concorde avec la thèse de Stephen Meier-Oeser sur les terministes, qui montre que, malgré les écoles philosophiques différentes, cette relation quadripartite est également connue dans les années 1500 dans le cercle terministe de John Mair [25]. La mise en question du parallélisme chez Pierre d’Ailly avait trouvé un écho favorable dans les deux courants. Toutefois, les disciples de Scot iront un peu plus loin que les terministes dans la désubordination de l’écriture. En effet, les disciples de Mair focalisent toujours la signification sur le concept, tout en étant sensibles à la dimension spécifique de l’écriture et du visuel, qu’ils comparent à une image dans un miroir. Selon Mair, « le terme écrit est un terme qui peut être perçu par l’œil corporel » et chez Josse Clichtove, on lit : « Parmi les signes écrits, certains signifient à plaisir, comme le mot homo écrit, certains naturellement, comme une image dans un miroir », et il s’agit de dessins [26].

39Dans son commentaire sur le Peri Hermeneias, Pierre Tartaret [27] manifeste une attention particulière au signe écrit. Il s’y distingue de Scot lui-même sur trois points : par la notion de « convenance » entre les voces et les scripta ; par la notion d’équivalence car les scripta signifient les choses, mediantibus vocibus et conceptibus ; et enfin par la « synonymie » entre scriptum et vox.

40« Il y a une convenance entre les voces et les scripturae », dit-il, de même qu’il y a une convenance entre les passiones animae ou concepts, et les choses [28]. La relation privilégiée que les scotistes prétendent démontrer entre l’expression verbale et les choses, s’étend naturellement à l’expression écrite. De même que les voces signifient les choses mediantibus conceptibus, de même les scripturae, mais les concepts ne sont pas des signes (contrairement à la description nominaliste). Il faut prouver que la proposition selon laquelle les scripturae ne supposent pas pour les choses est fausse.

41Dans les Catégories (I, 1), Aristote établit une relation d’« homonymie » entre animal, homo, et quod pingitur : l’exemple donné est celui de la statue d’Hercule, qui deviendra statue de César chez Pedro da Fonseca et effigie du roi chez Rodolphe Goclenius [29]. Le premier mode, celui de la convenance, correspond aux signes-mots ; le second est d’une importance particulière, car il est orienté vers la notion d’équivalence par la synonymie chez Tartaret : il propose un exemple concret, la statue d’Hercule que nous avons dans l’esprit, qui pourra être comparée au mode de signifier de l’écriture. Les sémioticiens contemporains considèrent que l’équivalence concerne seulement les signes-mots, l’inférence régissant les signes-choses. On ne trouve pas trace chez Tartaret de la notion d’inférence, pas plus que chez Hugo, bien que l’inférence stoïcienne ait été connue d’autres philosophes de la même époque. Tartaret explicite la notion de signification non ultimate (celle qui lie un mot à un concept) également par celle d’équivalence : le mot prononcé, le mot écrit et la statue d’Hercule ont le même type de signification dans l’esprit puisqu’ils sont « synonymes » [30]. C’est grâce à cette synonymie que Hermann Hugo peut imaginer son écriture universelle, fondée sur l’équivalence entre l’idéogramme, le mot dans une langue quelconque et le concept confondu avec la res.

42La notion d’équivalence, qui rapproche le signe écrit du signe peint ou de la statue, donne à un signe tributaire de la faculté visuelle un statut mental et cognitif. Plus proche de la phantasia, qui représente les objets, que la vox sonore, la scriptura est destinée non pas à rester dans ce rôle secondaire de signe d’un signe, mais bien du signifié de ce signe, même si Tartaret ne reprend pas cette définition attribuée à Scot [31]. Il n’élimine pas une théorie de la représentation au profit de la signification mais elles se confondent chez lui, notamment dans le signe écrit qui pourrait, comme la statue d’Hercule – mais de façon encore plus opératoire puisqu’il s’agit de mots – concentrer d’une manière spectaculaire une conception essentiellement visuelle de la représentation. Cette dimension cognitive fait que l’écriture est originelle et contribue à la définition de l’homme en tant qu’homme. Pour la même raison, Vigenère fait remarquer (c’est un lieu commun de la littérature des voyages en Amérique) que les peuples des terres neuves ne possèdent pas l’écriture ; de ce fait, ils sont « barbares, incivils et bestiaux » [32]. Les limites de l’humanité, qui pouvaient être contestées au nom d’un certain « langage » animal, sont reculées par le critère décisif de l’écriture. Les animaux n’écrivent pas.

43Tartaret et ses contemporains avaient préparé ce qu’on peut appeler le « raccourci » du signe écrit, présent dans un certain nombre d’autres textes et étranger à la doctrine de Scot lui-même. Il exprime l’intérêt des hommes de la Renaissance pour les signes visuels « directs », à savoir les signes tracés ou peints que l’on pensait en relation directe et ultimate avec la chose, comme les signatures, les sceaux et surtout, les hiéroglyphes. Ainsi, François Guyart du Mans, héritier de Pierre d’Ailly et de John Mair, affirme qu’il n’y a pas de différence entre le terminus scriptus, le cercle que l’on met devant la taverne, et les signes avec lesquels les moines communiquent dans les cloîtres [33]. Les idées de Hugo sur la lettre et l’hiéroglyphe pourraient s’inscrire dans la même tradition, intermédiaire entre une position visualisante (celle de l’hiéroglyphe comme symbole des idées) et une position plus moderne, intellectualisante (celle de l’hiéroglyphe comme signe abstrait des idées), assez proche de celle de Francis Bacon [34]. Les lettres sont en effet pour ce philosophe des « signa signorum » et les hiéroglyphes des « signa rerum ».

44La nouvelle considération de l’écrit chez ces auteurs a été reconnue par certains jésuites, comme Pedro da Fonseca et les Conimbres. Pedro da Fonseca souligne d’abord la symétrie de la relation et la double dépendance des scripta, vis-à-vis d’une part des concepts, d’autre part des voces : une langue inconnue ne fait surgir à l’esprit aucun concept. Mais dans la suite de ses Institutions dialectiques, Fonseca avoue que le processus de la compréhension dans la lecture, sans être indépendant de toute médiation, est susceptible d’une certaine immédiateté, au sens temporel cette fois :

45

Il n’est pas nécessaire, quand j’entends quelque mot significatif de quelque chose, que deux concepts me viennent, l’un le concept de la chose même, l’autre de la chose signifiée ; ni quand je lis quelque mot chez Aristote, de concevoir ces trois étapes, le mot prononcé qui signifie la chose et qui répond au vocable, le concept de la chose, et la chose signifiée ; en effet l’esprit, par sa célérité, vole au-devant vers la chose, en omettant souvent les signes médiats, interposés entre le premier signe et la chose signifiée [35].

46Ce raccourci sémiotique permet de réduire par l’acuité de l’esprit les étapes un peu laborieusement distinguées par les philosophes, tout en restant fidèle à la tradition.

47Antonio Rubio, autre jésuite connu pour sa Logica mexicana, admet une relation entre le dessin et l’écriture : « Les mots écrits sont comme des noms et des verbes peints [36]. » Quant aux Conimbres, ils effectuent une sorte de synthèse équilibrée entre le principe de signification médiate de l’écrit et les particularités de l’élément graphique. Les jésuites tiennent le plus souvent leur position, à savoir le double système de signification lorsqu’il y a signe vocal, tout en admettant la supposition directe dans le cas de l’écriture idéogrammatique et des hiéroglyphes.

48Que l’approche du signe écrit par Hugo soit en conformité avec celle des savants jésuites de son temps n’est en rien étonnant. Qu’elle soit aussi dans la lignée des scotistes pourrait l’être davantage. Mais les travaux de Stephen Meier-Oeser, de Jacob Schmutz et nos propres recherches convergent vers ce constat : l’héritage de la métaphysique et de la logique scotistes et du terminisme parisien de la fin du xve siècle est un apport majeur dans la constitution de la seconde scolastique, particulièrement chez les jésuites. Leurs maîtres de Salamanque ou d’Alcalà ont été formés à Paris au tournant du siècle précédent et les manuels utilisés dans les collèges européens ont réimporté une réflexion sémiotique qui paraissait oubliée [37].

Système de la « note »

49En mettant l’accent sur les transformations de la tradition logique, qui fait de l’origine de l’écriture bien plus un événement cognitif qu’un mythe, nous avons minimisé la tradition symbolique, la kabbale ou la théorie des signatures, qui n’est pourtant pas sans rapport avec cette nouvelle promotion de l’écrit [38]. Hugo témoigne assez bien à lui seul de ce qui différencie sa prudente méthode des divinations audacieuses de quelques autres : les systèmes symboliques fonctionnent en fait de la même manière, sur les mêmes principes d’équivalence ou d’inférence, de manifestation ou de supposition. Ils diffèrent surtout par la force de la croyance attachée au signe et à la trace écrite. Hugo s’exprime en théologien, en séparant la magie, inefficace et damnable, et les pieuses amulettes auxquelles Dieu concède parfois quelque pouvoir. Il rapporte fidèlement les procédés de la kabbale : moins irrévérencieux que Scaliger qui s’en moque ouvertement, il dit qu’on peut tenir en considération leur ancienneté (p. 152). Quand les mages prétendent que certains caractères ont la puissance de convoquer les esprits ou de guérir, il recourt à l’arsenal théologique de son collègue Martin Del Rio, qui fait bien la part entre superstition et pratique tolérée des talismans (p. 162, p. 179) ; il n’hésite pas à avoir recours, également, aux sarcasmes de Lucien (p. 179). En effet, l’efficacité des images pieuses ne vient pas d’elles-mêmes, elle est un don divin. La théorie des signatures, qui fait du monde entier une grande « pancarte » de Dieu, n’implique pas obligatoirement l’efficacité magique des signatures repérées par l’initié : chez Kepler et Leibniz, elle devient un code qui rejoint la mathématisation du monde.

50Hugo accorde une place particulière aux écritures chiffrées (notae) qui ne sont pas plus naturelles que les scripta. Avec un certain esprit de système qui rappelle l’arbre de Porphyre, il les divise en lettres et en non-lettres, ou chiffres, qui sont proprement des semeia. Il définit ces notae comme des signa, ou scriptilia elementa, cherchant à différencier le signe graphique et la trace écrite (chap. xviii, p. 136). Rien de mystérieux ni de magique en cela : le traitement des « lettres clandestines » (scriptio clandestina, p. 122) se fait aussi en toute transparence, si l’on peut dire. Un tableau à accolades déploie les différentes formes d’écritures codées : on ne saurait mieux révéler tous les secrets. S’il se réfère souvent à Della Porta ou à Trithème sur le sujet [39], Hugo avoue qu’il a découvert encore de nouvelles formes de codage, que l’on retrouve dans ce tableau dressé fort pédagogiquement (p. 123, fig. 1). Le souci méthodique est tel chez Hugo qu’il tient à classer les différentes directions d’écriture selon le carré logique des oppositions, ce qui a l’avantage de faire apparaître les possibilités verticales de l’alphabet chinois (p. 83, fig. 2). Ainsi, il ne rejoint qu’une seule des directions exploitées par le célèbre Kircher : bien que celui-ci ait aussi développé de nouveaux « chiffres » et reconnu la nature linguistique des idéogrammes, l’hiéroglyphe en tant que symbole allégorique et figuratif reste un aspect dominant de sa proliférante doctrine [40]. Dans un tout autre domaine, Hugo a également développé une volonté de clarté allant à l’opposé des langues occultes à la mode : les images de ses Pia desideria ne présentent guère d’obscurité ni d’encodage subtil. L’âme y est représentée par un personnage féminin en robe drapée : sa « liquéfaction » se manifeste par des gouttes qui tombent de ses mains et de son vêtement touchés par la flamme de l’amour divin (un angelot transfiguré) [41].

51Les « chiffres » de Vigenère relèveraient à première vue d’une doctrine occulte [42]. Mais, outre que l’auteur s’empresse de la divulguer et de la transmettre, ce qui va à l’encontre des principes élémentaires d’un secret jalousement gardé, Vigenère ne semble nullement promouvoir une nouvelle religion partagée par quelques initiés. Son traité des « secretes manieres d’ecrire » est guidé par l’enthousiasme devant les possibilités du signe écrit et surtout par l’espoir de contourner la différence des langues. Certes, ses choix sont orientés par des considérations mythiques sur la forme de certaines lettres et l’admiration pour les caractères hébraïques. Mais la prise en considération de ses autres travaux, notamment le Traité du feu et du sel et ses commentaires de César, invite à nuancer son ésotérisme apparent. L’alchimie du traité du feu est assez technique, fort peu mystérieuse, et ses commentaires de César, dans leur version de 1589, montrent à l’égard de l’histoire des langues un bon sens éloigné des imaginations postelliennes [43]. Le magistrat opère une dissociation efficace entre le chiffre et le signe écrit ordinaire, que son parent Duret n’a manifestement pas saisie, mais que Hugo retrouve par d’autres voies. Loin de superposer les deux types de signe, Vigenère fait du chiffre un semeion à la fois stéganographique et manifestatif, de même nature que les signes mathématiques. Il greffe le chiffre sur le scriptum. Comme chez Hugo, l’intérêt marqué pour l’origine des langues et des écritures se traduit par un regard prospectif : la vision de l’origine se renverse en prévision d’une écriture universelle.

52Hugo n’avait probablement pas lu Vigenère, ni Tory, ni Duret : il ne lisait sans doute pas le français, tout en lisant parfaitement les caractères latins. Cette différence linguistique n’empêche pas qu’on puisse reconnaître, à l’œuvre dans ces ouvrages rédigés à la louange de l’écriture, les témoignages d’un dépassement réel de la question des origines, dans la convergence de l’écrit vers la communauté des concepts. La méthode d’investigation historique du jésuite s’inscrit dans les limites de l’autorité ecclésiastique, mais elle l’amène à évoquer, par hypothèse, le retournement visionnaire de la dispersion originelle dans le partage, en toute concorde, des signes graphiques.


Date de mise en ligne : 03/11/2017

https://doi.org/10.3917/lgh.045.0165

Notes

  • [1]
    Nous avons retracé l’histoire de ces conceptions dans Les Voix du signe. Nature et origine du langage à la Renaissance (1480-1580), Paris, Champion, 1992.
  • [2]
    Hermann Hugo, S. J., De prima scribendi origine et universa rei literariae antiquitate, Anvers, Plantin, 1617. Comme l’a fait remarquer Max Engammare lors du colloque, Hugo était beaucoup plus connu pour ses emblèmes dévots, les Pia desideria (Anvers, T. Aertssens, 1624), que pour cet ouvrage. Ce recueil a bénéficié d’un grand nombre d’éditions et de traductions jusqu’au xixe siècle. La première traduction française date de 1627 (Paris, S. Cramoisy) et celle de Cologne (1717) est attribuée au ministre Poiret et à Mme Guyon (Carlos Sommervogel, Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, 1890, p. 516-518).
  • [3]
    Chap. vii, p. 36 sq.
  • [4]
    Theodorus Bibliander (Theodor Buchmann), De ratione communi linguarum commentarius, Zürich, C. Froschover, 1548.
  • [5]
    Blaise de Vigenère, Traicté des Chiffres, ou secretes manieres d’escrire, Paris, A. L’Angelier, 1586. Claude Duret, Thresor de l’histoire des langues de cest univers […], Cologny, M. Berjon, 1613 ; Yverdon, 1619. Genève, Slatkine Reprints, 1972.
  • [6]
    Chap. xiv, p. 119 ; Barnabé Brisson, De Verborum, quae ad jus pertinent Significatione […], Lyon, Jean de Tournes, 1559 ; Paris, Sébastien Nivelle, 1596 ; le Lexicon juris de Brisson avait été aussi publié à Francfort (J. Wechel) en 1587.
  • [7]
    Sur cette création linguistique qui fait de l’étymologie le lien entre la vérité et le mythe, voir les nombreux travaux de Claude-Gilbert Dubois et de François Secret sur Postel.
  • [8]
    Jacques Peletier du Mans, Art poétique, 1555, dans Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, éd. Francis Goyet, Paris, Le Livre de Poche classique, 1990, p. 240.
  • [9]
    Hermann Hugo, op. cit., chap. iii, p. 54 : « e rerum figuris ; neque enim tam sunt literae, quam imagines et compendia sententiarum aut vocum ». Quelques auteurs (comme le cardinal Bellarmin dans sa grammaire hébraïque) expliquaient cependant certaines lettres de l’alphabet hébraïque par une origine pictogrammatique (à l’exemple de l’aleph signifiant le bœuf et représentant un crâne de bœuf stylisé).
  • [10]
    Hermann Hugo, op. cit., chap. iv, p. 60 : « Quemadmodum nempe non obstante sermonum dissimilitudine, solae literae sarcire possint dilaceratam tot gentium societatem. »
  • [11]
    Ibid., p. 60-61 : « Si singulae literae impositae essent, non vocibus, sed rebus ipsis significandis, eaeque essent hominibus omnibus communes ; omnes omnino homines, etiamsi gentes singulae res singulas diversis nominibus appellent, singularum gentium scriptionem intelligerent. Apparet ea res in literis Astronomorum hieroglyphicis. »
  • [12]
    Ibid. : « […] Atque ita Sinenses et Japones, qui linguis tam sunt dissimiles quam Hebraei et Belgae, mutuos tamen libros et scriptionem legunt atque intelligunt, quia earumdem rerum significativis literis iisdem utuntur, ut scribit Nicolaus Trigaultius noster in Sinensi Expeditione. » Le Français Nicolas Trigault (1577-1628) était arrivé en Chine en 1610. Il publie à Cologne en 1615 son histoire De christiana expeditione apud Sinas suscepta ab Societate Jesu, puis la traduction française (Histoire de l’expédition française au royaume de la Chine […], Lyon, 1616). Hugo n’a pas attendu pour l’exploiter. Voir Madeleine V. -David, Le Débat sur les écritures et l’hiéroglyphe aux xviie et xviiie siècles, et l’application de la notion de déchiffrement des écritures mortes, Paris, S. E. V. P. E. N., 1965, p. 32.
  • [13]
    C’est la doctrine aristotélicienne de base, que Hugo réaffirme avec Scaliger contre Cardan.
  • [14]
    Ibid., p. 61 : « Est autem huius arcani haec, ut puto, ratio ; quod res et earum conceptu in omnium hominum animis sint iidem (neque enim Hebraei aliter concipiunt canem aut equum, atque Hispani et Galli) unde et signa earumdem rerum significativa, si omnibus fuerint communia, suggerent quoque omnibus eosdem rerum conceptus. At si signa fuerint non rerum, sed vocum significativa, voces quidem illas facile legent omnes ii, quibus fuerint ea vocum signa communia ; at certe (quia apud singulos fere diversae sunt eiusdem rei voces, ut patet in Tauro et Geminis) non intelligent quid illae voces significent. Non enim Graecus intelliget librum Gallicum Graecis literis scriptum, etsi eum facile leget. Ergo ut et legere et intelligere quivis posset quaelibet scripta, necesse esset omnibus communes esse literas aliquas, non vocum, sed rerum proxime aut conceptuum significativas. Sic nempe coire possent denuo homines omnes, veterem illam primi orbis societatem tanto olim sermonum divortio dissipatam : sic nullo uspiam opus esset interprete ; nulla hominum librorumve esset inaccessa sapientia. »
  • [15]
    François Béroalde de Verville, Le Palais des curieux, Paris, Veuve M. Guillemot et S. Thiboust, 1612, dernier chapitre intitulé « Notte ».
  • [16]
    Blaise de Vigenère, Traité des chiffres, op. cit., 240 v° sq. Dans ces pages étonnantes, Vigenère laisse à ses lettres alphabétiques « réduites » un statut de graphèmes combinatoires.
  • [17]
    Voir Leonor Carvalho Buescu, Historiographia da Lingua Portuguesa, Lisbonne, Sá da Costa, 1984, p. 119.
  • [18]
    Voir l’étude importante de Jean-François Maillard sur l’insertion des caractères sino-japonais dans la collection de Vigenère : « Aspects de l’encyclopédisme au xvie siècle dans le Traité des Chiffres annoté par Blaise de Vigenère », in Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, XLIV, 2, 1983, p. 235-268 ; voir également, sur la fortune de ces « lettres de Chine », Jean Balsamo : « Les premières relations des missions de la Chine et leur réception française (1556-1608) », in Nouvelle Revue du xvie siècle, 16/1, 1998, p. 155-184.
  • [19]
    Stephen Meier-Oeser, Die Spur des Zeichens : das Zeichen und seine Funktion in der Philosophie des Mittelalters und der frühen Neuzeit, Berlin, De Gruyter, 1997, p. 164-165, qui cite Pierre d’Ailly, Insolubilia, dans Conceptus et insolubilia, s. d., b4v°-5r° : « propositio vocalis et scripta subordinantur mentali. Sed non oportet quod vocalis et scripta subordinentur inter se, sicut multi ponunt. Nam si quis legit propositionem scriptam vel intelligit, intendit quid per ipsam significatur ultimate vel non » ; voir également Joël Biard, Logique et théorie du signe au xive siècle, Paris, Vrin, 1989, p. 274 : « Une systématicité et une autonomie équivalant à celles du langage parlé sont accordées aux propositions écrites. Pierre d’Ailly paraît le premier à défendre une telle position. »
  • [20]
    Thomas Sébillet, Art poétique françois, 1548, in Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, éd. Francis Goyet, Paris, Le Livre de Poche classique, 1990, p. 98.
  • [21]
    Pierre Bouju de Beaulieu, Corps de toute la philosophie, Paris, C. Chastellain, 1614, coll. « Logique », p. 31.
  • [22]
    Maurice Scève, Microcosme, Lyon, Jean de Tournes, 1560, p. 58.
  • [23]
    Voir Les Voix du signe, op. cit., et l’ouvrage récent de Jean-Marie Fritz, Paysages sonores du Moyen Âge : le versant épistémologique, Paris, H. Champion, 2000.
  • [24]
    Francisco de Toledo, Commentaria […] in universam Aristotelis logicam [1560], Paris, Jacques du Puy, 1581, p. 192 : « Haec verba Alexander interpretatur similitudinarie, id est, sicut voces sunt signa conceptuum : ita scripturae vocum ; at Porph. et Boet. hoc non recipiunt, nam voces ita sunt signa conceptuum, ut mutatis vocibus non mutetur rei conceptus. At voces mutantur ex mutatione scripturarum, aliter enim una vox, aliter altera scribitur. » Et p. 195 : « Scripturae vocum sunt manifestativa, & suppositiva signa ; ut scribere, vocis prorsus locum obtineat ; est enim scriptura, vox quasi quaedam perpetua. »
  • [25]
    Stephen Meier-Oeser, Die Spur des Zeichens, op. cit., p. 160 sq.
  • [26]
    John Mair : « terminus scriptus est terminus qui oculo corporali percipi potest », Libri quos in artibus in collegio Montis Acuti Parisius regetando compilavit, « Liber terminorum » [Paris, 1506], Lyon, 1508, f° 4 v°a, cité par Stephen Meier-Oeser, Die Spur des Zeichens […], op. cit., p. 166 ; Josse Clichtove, Introductiones artificiales, Paris, Simon de Colines, 1535, 104 v°. La position de cet auteur semble participer à la fois du terminisme et du scotisme.
  • [27]
    Pierre Tartaret, Super libris logices Porphirii et Aristotelis cum textus […] expositione, Poitiers, s. e., 1493. Opera Omnia, Venise, Baptista Combus, 1621, f° 95r°. Pour la position originale de Tartaret, voir notre étude, « Le signe écrit dans les commentaires scotistes de Pierre Tartaret (1493) », dans Jean Duns Scot et la métaphysique classique, actes du colloque de Clermont-Ferrand, 1996, éd. Gérard Sondag, Revue des sciences philosophiques et théologiques, tome 83, n° 1, janvier 1999, p. 85-102.
  • [28]
    Agostino Nifo, qui gardait le parallélisme entre les lettres et le mot entier, glosait la similitude partielle par convenientia (In duodecim metaphysices Aristotelis et Averrois volumen Commentarii […], Venise, H. Scot, 1519, f° 3v°).
  • [29]
    Pedro da Fonseca, Institutionum dialecticarum libri octo [Londres, 1564], Lyon, Jean Pillehotte, 1598, I, ch. 8, p. 16. Rodolphe Goclenius (Göckel), Lexicon philosophicum, éd. de 1615. Georg Olms Reprints, 1980. Article Signum, p. 1045-1046.
  • [30]
    Pierre Tartaret, ibid., f° 96 v°.
  • [31]
    La définition apparaît dans le premier Commentaire de Scot sur le Peri Hermeneias, 1, q. 19 ; elle vient en fait de Lambert d’Auxerre (Logica) qui transpose le mode de la cause à celui de la signification. Stephen Meier-Oeser (p. 83) rappelle qu’elle est donnée plus tard par les Conimbres comme « celebris regula Scoti » (Commentarii Collegii Conimbricensis e societate Jesu […] in universam dialecticam Aristotelis Stagiritae, 1607, 2. 33).
  • [32]
    Blaise de Vigenère, Traité des chiffres, op. cit., f° 3v°.
  • [33]
    François Guyart, Tractatus preambulationis in omnem scientiam logicalem, omnium terminorum logicalium diffinitiones aut difficultates continens, Paris, H. Estienne, 1511 ; édition consultée : Paris, Jacob Guyllotoys, 1516, f° Di r°. Il parle de « terme mixte » lorsqu’il y a une différence entre ce qui est écrit et ce qui est pensé, si on pense ho et qu’on écrit mo.
  • [34]
    Francis Bacon, The Advancement of Learning, 1605, II. Il faut distinguer toutefois entre la version anglaise (antérieure à Trigault et à Hugo), qui mentionne seulement la propriété des hiéroglyphes de signifier comme les gestes, et la version latine (1623), qui insiste plus clairement sur leur congruence partielle avec les choses : « patet, Hieroglyphica & Gestus, semper cum re significata aliquid similitudinis habere, & Emblemata quaedam esse ; unde eas Notas Rerum ex congruo nominavimus » (De Dignitate et Augmentis scientiarum Libri IX, in Opera Omnia, Leipzig, Johannes Justus Erythropilus, 1694, VI, 1, p. 382). Madeleine V.-David pense que cette édition rapproche les hiéroglyphes des « chiffres » et des « caractères réels » ou alphabétiques, mais les exemples techniques de Bacon montrent au contraire les « chiffres » comme des encodages artificiels sans aucun rapport avec la nature des choses (Le Débat sur les écritures […], op. cit., p. 37-39).
  • [35]
    Pedro da Fonseca, Institutionum dialecticarum libri octo, op. cit., I, chap. x, f° 19 r° : « Verum non est necesse, ut cum ego audio vocem significativam alicujus rei, duo in me gignantur conceptus, alter ipsius conceptus rei, alter rei significatae ; nec item cum lego verbum aliquod apud Aristotelem, opus est, ut tria concipiam, vocem, quae rem significat, quaeque vocabulo respondet, conceptum rei, et rem significatam, mens enime celeritate sua, statim praevolat ad rem, praetermissis saepe mediis signis, interjectis inter primum signum : et rem significatam. »
  • [36]
    Antonio Rubio, Logica mexicana […] Commentarii breviores et maxime perspicui in Universam Aristotelis Dialecticam […], [1607], Lyon, Jean Pillehotte, 1611, p. 504 : « sunt enim scripturae quasi nomina, et verba depicta ».
  • [37]
    Pour la France, l’oubli est relatif, le maintien de cette tradition étant assuré par les néoaristotéliciens et par la « scolastique réformée », selon l’expression d’Olivier Fatio (Méthode et théologie : Lambert Daneau et les débuts de la scolastique réformée, Genève, Droz, 1976). Voir Stephen Meier-Oeser (Die Spur des Zeichens […], op. cit. p. 174 sq.), et la communication de Jacob Schmutz au colloque « Philosophie et théologie à Paris au xve siècle », 8-9 novembre 2001, organisé par Emmanuel Faye, Université Paris-X Nanterre : « La migration des concepts : de Paris à Salamanque, et retour » (à paraître).
  • [38]
    Voir Massimo Luigi Bianchi, Signatura rerum : segni, magia e conoscenza da Paracelso a Leibniz, Rome, Ateneo, 1987 et l’édition du colloque du « Lessico Intellettuale », Signum, Florence, Olschki, 1999 ; Béatrice Fraenckel, La Signature, Paris, Gallimard, 1992.
  • [39]
    Giambattista Della Porta, De furtivis literarum notis, vulgo de Ziferis, Naples, J. M. Scotus, 1563, et De occultis literarum notis, Strasbourg, L. Zetner, 1606. Johannes Trithemius, Steganographia, [ms. de 1500 environ] ; Francfort, M. Beckerus, 1606 ; Polygraphia libri sex, Bâle, J. Haselberg, 1518.
  • [40]
    Voir M. V.-David, Le Débat sur les écritures et l’hiéroglyphe, op. cit., p. 52 sq.
  • [41]
    Hermann Hugo, Pia desideria, op. cit, fig. 35, p. 305.
  • [42]
    Voir l’ouvrage de Pierre Béhar, Les Langues occultes à la Renaissance, Paris, Desjonquères, 1996. Cette étude, consacrée principalement à l’héritage de la philosophie occulte de Henri Cornelius Agrippa, n’inclut pas l’œuvre de Vigenère.
  • [43]
    Blaise de Vigenère, Les Commentaires de César […], [1576], Paris, Abel l’Angelier, 1589, f° 96 sq.

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