Notes
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[1]
Bordeaux, Ducros et Paris, Nizet, coll. « C. D. », 1970.
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[2]
Venise, Arsenal Éd., coll. « La Via Lattea », n° 3, 1988,
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[3]
Ce problème général, sous la formulation de « La base et le sommet », a fait l’objet d’une étude collective du « Groupe de recherches polypoétiques », dont les articles ont été publiés dans Phréatique, n° 83, automne 1997. Nous y avons publié, sous le titre « Les triangles de Babel », quelques éléments de base du présent article, utilisés pour un objectif différent.
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[4]
On appelle Tabella smaragdina (« Table d’émeraude ») un texte latin apparu au Moyen Âge, qui fut assez vite attribué (fictivement) à Hermès Trismégiste et donna lieu à un commentaire de Martinus Hortulanus. Il s’agit d’un condensé des tables de la loi en matière d’alchimie, comparé aux tables de la Loi mosaïque (les récits de la Genèse étaient attribués à Moïse). Les éléments à valeur archétypique y sont nombreux et présentent une homologie avec ceux qui structurent le récit de Babel, comme l’analogie des contraires, la conjonction du divers et de l’Un, le symbolisme de la verticalité, la construction et la conduite du « Grand Œuvre ».
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[5]
Ézéchiel, 21, 31.
-
[6]
Étienne de La Boétie, De la servitude volontaire, éd. Nadia Gontarbert, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1993, p. 79.
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[7]
Injonction au couple originel : « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la » (Genèse, 1, 28) réitéré à Noé et ses fils (ibid., 9, 1).
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[8]
Étienne de La Boétie, op. cit., éd. cit., ibid.
-
[9]
Isaïe, 55, 11. Nous suivons, pour les citations bibliques, le texte de La Sainte Bible, traduite en français sous la direction de l’École biblique de Jérusalem, Paris, Cerf, 1956.
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[10]
Ces interprétations sont à l’origine de quelques disparités de traduction, comme celle d’Augustin Crampon : « Faisons-nous un monument » (sur laquelle l’auteur s’explique en note).
-
[11]
Sur les difficultés liées au mouvement ascensionnel, nous renvoyons aux articles de M. Michaud : « De la torture du vertical » et de M. W. Debono : « Tenter de gravir », qui les expriment sous une forme poétiquement subjective, dans Phréatique, n° cité, p. 65-70 et 79-82.
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[12]
Ces problèmes sont évoqués, dans le contexte historique de la Renaissance, par Claude-Gilbert Dubois, Mythe et langage au xvie siècle, op. cit. ; Marie-Luce Demonet, Les Voix du signe : nature et origine du langage à la Renaissance (1480-1580), Paris, Champion, 1992 ; Babel à la Renaissanc (sous la dir ; de James Dauphiné et Myriam Jacquemier), Mont-de-Marsan, Éditions Inter-Universitaires, 1999.
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[13]
On trouvera une étude et des illustrations sur les représentations imaginées de la tour de Babel à travers les siècles dans : Myriam Jacquemier, L’Âge d’or du mythe de Babel (1480-1600), Mont-de-Marsan, Éditions Inter-Universitaires, 1999.
- [14]
-
[15]
Athanasius Kircher, Turris Babel, Amsterdam, 1679, avec des gravures de C. Decker sur des dessins de Livius Creyl.
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[16]
Dante, De vulgari eloquentia, tr. fr. in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1965, p. 561-562.
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[17]
Claude-Gilbert Dubois, Mythe et langage, op. cit. Selon la Chronique de Salimbene de Parme, Frédéric II de Souabe voulut renouveler l’expérience, en pure perte, auprès de plusieurs enfants, qui tous moururent (cité par Umberto Eco, Le Mythe de la langue parfaite, Paris, Éditions du Seuil, 1994, p. 11).
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[18]
Actes, 2, 1-13.
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[19]
Umberto Eco, Le Mythe de la langue parfaite, op. cit., p. 397.
1Il y a maintenant plus de trente ans, profitant de l’air du temps très imprégné alors des théories post-saussuriennes, et curieux d’exploiter une dérivation de mes recherches en cours sur les mythologies nationales du xvie siècle, je me suis intéressé à la problématique des origines en la reportant sur l’imaginaire du langage et sur les diverses hypothèses, des plus plausibles aux plus délirantes, concernant la formation et l’évolution des langues. L’intérêt porté à ces questions a donné lieu, entre autres, à un modeste essai intitulé Mythe et langage au xvie siècle [1], qui a servi de tremplin à des travaux plus conséquents menés par d’autres chercheurs. Plus récemment, à l’initiative de mon collègue Carlo Ossola, et avec la collaboration de Lina Bolzoni et de Maria Daniela de Agostini, une édition italienne mise à jour en a été fournie sous le titre plus ambitieux de La Lettera e il mondo [2]. Ce petit livre ayant entraîné des œuvres beaucoup mieux nourries sur la même période, j’ai estimé peu utile de revenir là-dessus, et j’ai laissé la fermentation intellectuelle des idées de la Renaissance européenne pour reprendre le problème à sa base, ou en son sommet, si vous préférez, car je me propose d’utiliser dans mon développement la dialectique de la base et du sommet [3], qui caractérise les constructions pyramidales ou en forme de ziggurat, en revenant au texte fondateur de la Genèse, pour essayer de comprendre si la tradition chrétienne du Moyen Âge et, dans une certaine mesure, de la Renaissance, n’a pas commis un contresens en l’associant à une punition, à une malédiction, conséquence d’un péché, qui exigerait ensuite rachat ou rédemption. En d’autres termes, la « confusion » des langues serait, selon la tradition, une épreuve nouvelle pour l’humanité, dont le caractère pénible est un rappel de la faute et appelle un effort pour en sortir.
2La dialectique de la base et du sommet (et non celle de la faute et du rachat), avec un choix paradoxal en faveur du retour à la base contre le choix des hauteurs, m’a paru jouer un rôle essentiel dans le texte générateur du mythe de la variété des langues, en étant associée à deux autres formules aux conclusions tout aussi paradoxales. Il s’agit, d’une part, du problème qui oppose l’Un et le Multiple, dont la conclusion ordinaire, de nature platonicienne, est que le Multiple est une dégradation de l’unité, originellement parfaite et dont le retour, suscité par la nostalgie des origines, ne peut être que l’objet du plus puissant et du mieux justifié des vœux pour le futur. Le texte de la Genèse pourrait, et c’est là son paradoxe, prendre le parti inverse. Il s’agit, d’autre part, du symbolisme attribué à deux directions de l’espace, l’horizontalité extensive et la verticalité montante. Toute ascension est ordinairement perçue comme l’approche d’un idéal, qu’il soit de puissance, de science, de conscience ou de spiritualité, par nature gratifiant : elle est l’itinéraire normal pour ce qu’on appelle atteindre les « sommets ». L’extension en surface ne concerne que les conquêtes de territoire, œuvre de ces saccageurs de provinces, dit Voltaire, qui se font appeler héros, ou de voyageurs ou émigrés qui ne se sentent pas bien là où ils sont, et sont condamnés à « fuir, là-bas, fuir ».
3Le récit de Babel prend le parti inverse : la Tour, à l’initiative pourtant d’un vraisemblable saccageur de province, mais qui a sans doute épuisé les plaisirs de la conquête horizontale, veut élever son sommet vers le ciel. Or tout se déglingue : ingénieurs et contremaîtres ne s’entendent plus, et les ouvriers sont ramenés à leur base terrestre pour s’éparpiller en tous lieux de la surface. La base de la tour, qui devrait par définition être large pour avoir des assises, est en fait issue d’un rassemblement de tribus nomades et d’armées en campagne en un seul point. Ce rassemblement en un point évoque une pointe, c’est-à-dire un sommet. Il y a un paradoxe de Babel qui fait que, comme il sera dit plus tard dans la mystérieuse formule de La Table d’émeraude, « tout ce qui est en bas est comme ce qui en haut [4] », ou encore, selon la prophétie d’Ézéchiel : « Tout sera transformé. Ce qui est en bas sera élevé, ce qui est élevé abaissé. Ruine, ruine, ruine [5] ! » C’est pourquoi j’ai pensé à la figure du triangle pour évoquer le problème de la base et du sommet, et à la réversibilité de cette figure qui donne sa forme à l’emblème symbolique de l’« étoile de David » ou du « sceau de Salomon » par superposition de deux triangles inversés. Il m’a semblé voir inscrite dans le texte une superposition de triangles, si du moins on veut bien transformer la chronique en topique, et les éléments de la narration en figures de structuration. Quant à l’opposition entre l’Un et le Multiple, il m’a paru qu’une conception néoplatonicienne privilégiant l’unité, primordiale et finale, contre la diversité et la multiplication, n’avait vraiment rien à faire dans le contexte biblique. Non plus d’ailleurs que les figurations de type politique qui peuvent en être dérivées, monarchies, empires, centralisation, unitarisme et tout régime s’établissant sur une analogie avec Dieu – droit divin ou justification surnaturelle de l’État –, puisque Dieu est le grand Un, et que le chef terrestre, accaparant indûment l’attribut de la divinité, ne peut être que le reflet, illusoire, dans un miroir à la mesure du monde terrestre, du modèle devenu le grand Autre. C’est plutôt du côté de l’ouvrage paradoxal (ce paradoxe est consigné dans le titre, qui lui fut donné, de Contr’un) d’Étienne de La Boétie, que je pourrais trouver des explications. L’auteur du Discours de la servitude volontaire s’étonne de ce que « tant d’hommes, tant de bourgs, tant de nations endurent quelquefois un tyran seul, qui n’a puissance que celle qu’ils lui donnent [6]. » C’est reprendre l’opposition entre l’Un et le Multiple, en s’étonnant que « tant » de peuples (ce « tant » répété exprimant la multiplicité) acceptent de réduire (car le contraire d’une multiplication n’est pas une unification, mais au sens propre une « réduction » à l’unité) leur multitude, qui fait leur force, à un seul d’entre eux. Passer de l’Un au Multiple, pour les platoniciens et les politologues qui usent, pour leur propre pensée, de ce vocabulaire, c’est passer de l’unité à la division. Pour la Bible, la multiplication n’est pas une division, puisque, selon la formule donnée à Adam et à Ève, et répétée à Noé, elle est liée à la croissance : « Croissez et multipliez [7]. »
4De ces prémisses on peut conclure que la diversification des langues (désignée péjorativement par le terme de « confusion » dans sa traduction, fondée, il est vrai, sur un jeu de mots de l’original) ne peut être prise comme une punition divine, une forme de châtiment, mais au contraire comme une injonction à prospérer. Dieu est l’Unique par excellence, mais uniquement dans l’ordre de la transcendance. Lorsque Dieu se fait le gestionnaire des affaires humaines, il choisit le pluriel et le divers dans sa pratique politique. Il n’agit pas en autocrate, il n’agit pas en monarque, mais d’une manière véritablement « républicaine », soucieux de la chose publique qu’est pour lui l’avenir de l’humanité. Ce principe nous ramène à La Boétie : « Si ne veux je pas […] debattre cette question […] si les autres façons de republique sont meilleures que la monarchie. Ancore voudrois je sçavoir avant que mettre en doute quel rang la monarchie doit avoir entre les republiques, si elle en y doit avoir aucun, pour ce qu’il est malaisé de croire qu’il y ait rien de public en ce gouvernement où tout est à un [8]. » La question de la multiplication des langues apparaît comme une application particulière du problème de la diversification, qui est de volonté divine et de réalisation naturelle de cette volonté, car ici le vouloir divin prend force de loi naturelle. L’épisode de Babel ne signe pas la fin du Paradis perdu de la langue unique pour faire entrer l’humanité, hors de l’Éden linguistique, dans un univers de difficultés. Il met fin au pouvoir absolu de la langue unique pour instituer la république des langues. On ne peut toutefois séparer le problème linguistique de son contexte, qui porte sur l’esthétique (nulle part il n’est dit que ce chef-d’œuvre de la technique du temps était un bel ouvrage), sur le politique, et sur l’éthique (la diversité est-elle blâmable ?). Ces trois termes définissent un « triangle de Babel », et mettent en jeu l’avenir du mythe, qui porte sur des recherches picturales ou architecturales de reconstitution, des dissertations sur le choix des gouvernements (centralisation et fédéralisme, autocratie ou démocratie) et des spéculations sur la nature de la langue mère et le processus de diversification linguistique.
5L’histoire de la construction et de l’inachèvement de la tour de Babel est tout entière contenue dans un texte relativement laconique inséré dans la Genèse (11, 1-9). Ce texte, que les exégètes rattachent à la tradition « yahviste », vient interrompre pour un bref instant un long catalogue généalogique, de rédaction dite « sacerdotale » (10, 1-32 et 11, 10-32). Les interpolations yahvistes sont généralement, dans la Genèse, et spécialement dans cet extrait, des commentaires explicatifs, prenant parfois la forme d’une glose narrative, destinés à fournir un complément d’informations sur un point particulier du texte sacerdotal. Ce dernier texte est, dans le cas présent, constitué d’une liste aussi sèche qu’interminable de noms propres, qui identifient les descendants de Noé. C’est à l’intérieur de cette tapisserie aux mille noms, qui s’étale et s’étend sur une surface de texte aussi grande que la terre alors connue, que, dans une sorte de cartouche, isolé comme une figure historiée, vient s’insérer, par parenthèse, cet épisode, qui raconte l’histoire et l’échec d’une unification générale du genre humain, issue de la seule volonté humaine, et de son désir d’élévation jusqu’à « transpercer le ciel ».
6La « tapisserie aux mille noms » n’est ni uniforme ni anarchique. Elle part d’une racine unique, le nom du père de tous les peuples postérieurs au Déluge, le patriarche Noé, qu’elle réunit aux noms de ses trois fils. Ceux-ci reçoivent d’en haut cette injonction : « soyez féconds, multipliez, emplissez la terre », reprise de l’injonction donnée à Adam dans des termes identiques. À partir de cette souche unique, l’arbre se développe en trois lignées, celles des trois fils de Noé ; puis, dans chaque lignée, par une série de générations, ne comportant que des noms d’hommes (les femmes et les filles, exclues de ce programme, n’apparaissent qu’à la fin de l’énumération à travers les noms des épouses – dont l’une est citée parce qu’elle est stérile – d’Abram et de Nahor). La signification de ce catalogue est claire ; elle ressortit à la double injonction initiale : fécondité et multiplication, qui fait passer, dans le registre arithmétique, de l’Un au Multiple, dans le registre géométrique, du point à la surface ou à l’étendue, par un processus non seulement linéaire (par lignées), mais expansif (par dispersion et élargissement) et, dans le registre morphologique, de l’uniformité à la diversité. L’impératif de Yahvé désigne d’autre part un peuplement de toute la terre : l’injonction de totalité s’opère suivant trois directions, le nord et l’ouest, pour la lignée de Japhet, le sud pour la lignée de Cham, et l’est pour la lignée de Sem. La réalisation de ce programme recouvre toutes les directions de l’espace et l’ensemble des terres jusqu’à l’horizon connu à partir du lieu présumé de l’échouage de l’arche.
7Ce qu’on peut retenir de cette ordonnance, c’est qu’elle part d’un double sommet : d’une part la Parole de Yahvé, l’Unique par excellence, qui descend (suivant un symbolisme spatial commun adoptant la verticalité) jusqu’à Noé, l’unique origine du repeuplement de la terre ; celui-ci reçoit l’ordre de faire s’étendre sa descendance suivant l’horizontalité et d’autre part la recommandation au genre humain de pratiquer la dispersion, la multiplication, la diversification, que reproduit, d’un ton apparemment neutre, le long catalogue des noms multipliés et diversifiés. Il s’agit d’une extension « sur le terrain », au ras de la terre, en vue de l’occupation de la totalité du sol. Il y a dans ce texte de quoi revoir un certain nombre de préjugés, qui se sont établis par la suite, et donnant à l’Unité une prévalence absolue sur la diversité. Cette prévalence est un fait, puisqu’elle est une prérogative divine : mais elle est réservée à Yahvé ; aux hommes il est recommandé de cultiver le pluralisme et la différence. Il n’est donc pas possible d’établir une hiérarchie, sur une base commune, entre l’Un et le Multiple, comme le font les néoplatoniciens en considérant la multiplicité comme une dégradation de l’Un initial. La transcendance divine interdit, dans le contexte biblique, ce genre d’amalgame. En revanche, une continuité est établie, suivant le principe des générations, entre un sommet à pointe unique, le père des hommes selon la chair, et sa descendance élargie à tout l’horizon. L’horizontalité exprime la seule direction autorisée dans la promotion du genre humain. La Parole divine suit, quant à elle, un cheminement vertical, et elle a pour caractéristique de se réaliser en toute occasion, et par des chemins divers, soit directement, comme il est dit au début de la Genèse, dans la version sacerdotale (1, 3), soit après un périple, comme il est dit chez le prophète qui fait parler ainsi Yahvé : « La parole qui sort de ma bouche ne me revient pas sans résultat, sans avoir fait ce que je voulais et réussi sa mission [9]. » En vertu de l’efficacité de la Parole, les descendants multiples de l’unique rescapé du Déluge, avec sa famille, forment clans et tribus répartis par lignées, par régions et par langues (le texte supposerait l’existence de langues multiples, ce qui va être expliqué par une note du yahviste), et « ce fut à partir d’eux que les peuples se dispersèrent sur la terre après le déluge » (10, 32).
8Tels sont les fondements de ce qu’on pourrait appeler « le triangle de Noé ». La Parole, venue d’en haut, émise par le dieu unique, se transmet à Noé, et de lui à ses trois enfants, par projection sur un plan horizontal, sur lequel se forme un nouveau triangle, horizontal, qui à partir du fer de lance de l’humanité ou des hommes de pointe du peuplement humain, initie un mouvement d’éloignement et d’élargissement jusqu’à un horizon terrestre, représenté par la base opposée du triangle. L’ensemble des lignes du message et de sa réalisation, à partir de la transcendance divine, autorise une figuration en forme de pyramide, dont le « triangle de Noé » constitue la base terrestre de projection.
Le pouvoir de nomination
9C’est dans cette construction originelle et conforme aux injonctions divines qu’intervient la péripétie de Babel. L’épisode définit un processus d’opposition et d’inversion pour la constitution d’une figure qu’on pourrait appeler le « triangle de Nemrod ». Le texte sacerdotal, accompagné d’un commentaire du Yahviste, nous apprend que Nemrod, fils de Kush, appartient à la lignée de Cham : « Nemrod fut le premier potentat sur la terre. C’était un vaillant chasseur devant Yahvé, et c’est pourquoi on dit : comme Nemrod, vaillant chasseur devant Yahvé » (10, 8-9). La formulation proverbiale, dont le reste semble être une explication, induit à penser que Nemrod ne correspond pas à une figure historique déterminée (aucun autre document n’atteste l’existence de ce « potentat »), mais à une métonymie pour désigner une forme de pouvoir personnel et absolu, dans la tradition mésopotamienne. Cette suggestion est confortée par la localisation relativement précise et identifiable de son empire : « Babel, Ereq et Akkad, villes qui sont toutes au pays de Shinear » (10, 10). C’est là que les hommes, qui se déplacent vers l’Orient, trouvent une plaine dans laquelle ils s’établissent, et que leur vient le désir de construire une tour « dont le sommet pénètre les cieux ». Le but déclaré de ce projet est de « se faire un nom » et de ne plus « être dispersés sur la surface de la terre » (11, 4). Se faire un nom peut être compris comme l’indice du désir d’éternité (il s’agit de graver son nom dans un monument qui survivra aux siècles) et comme celui du désir d’appropriation (il s’agit de donner son nom à un lieu fixe qui servira de repère). Ce sont là en effet les deux interprétations fournies par les exégètes de l’expression biblique « se faire un nom » [10]. Dans les deux cas, il s’agit de rivaliser avec la Parole de Dieu. Il est dit en effet que seule la Parole de Dieu surmonte le temps. Si l’on se réfère à Isaïe, le seul nom ineffaçable est celui de Yahvé (55, 13). Le pouvoir de nomination a été délégué à Adam pour tout ce qui concerne les êtres animés sur lesquels il aura puissance. Mais il n’a pas été donné à l’homme de se nommer lui-même et d’imposer son nom pour l’éternité. Cette volonté blasphématoire de se faire soi-même un nom qui surmonte le temps est un renversement de l’ordre institué. La nomination va du supérieur à l’inférieur, du maître aux serviteurs, du père aux enfants, du sujet aux objets. On ne peut se nommer soi-même, car on ne sait pas ce que l’on est, et a fortiori il n’est pas possible de nommer l’Éternel (sauf par des attributs, comme celui-ci, qui évoque son éternité) lequel, détenant toutes les clés de la nomination, détient aussi toutes les clés du sens, c’est-à-dire du rapport des noms aux êtres, du langage à l’existence.
10La fonction de nomination est une fonction de maîtrise et d’appropriation. Les hommes de Babel s’érigent, par autoproclamation, en rivaux de Yahvé. Si on suit la deuxième interprétation de la formule (donner son nom à un lieu pour qu’il serve de repère géographique), on aboutit, par d’autres voies, à la même conclusion. On a affaire, de la part des hommes, à une ponctualisation de l’espace qui leur était dévolu. Au lieu de s’étendre, suivant l’injonction divine, ils se concentrent en un seul lieu, en unifiant, sous forme de société totalement collectivisée, la multitude qu’ils représentent. Cette aspiration à concentrer tout l’espace en un seul point et à unifier le nombre va, à double titre, à l’inverse de la volonté divine appliquée au devenir de l’humanité. Le triangle que va construire Nemrod, qui se pose en rival et en imitateur de la divinité, comporte un certain nombre de paradoxes : il a la tête en bas, puisque de la base il veut faire un sommet ; c’est un triangle dont la pointe sera terrestre et dont la base sera tournée vers le ciel, ce qui est à proprement parler instable et non viable. Le second paradoxe est que ce triangle s’établit suivant un plan vertical, et qui plus est, suivant une dimension ascensionnelle [11]. La verticalité est l’espace dévolu au trajet de la parole entre Yahvé et son peuple : les paroles divines tombent du ciel à la terre et les paroles humaines, lorsqu’elles s’adressent à la divinité, s’élèvent de la terre. Mais il ne s’agit pas ici de parole : l’ascension projetée doit s’effectuer in re, en effectivité. Il est vrai que la parole, mais la seule parole interhumaine, qui s’exprime dans un espace symbolique horizontal, joue un rôle dans cette entreprise. Pour la réaliser, les hommes disposent en effet d’un moyen qui comporte un caractère d’unicité et d’efficacité : c’est leur langage, dont le texte nous dit qu’il était unique et universel, et détenait de ce fait une réelle efficacité, mais uniquement dans les échanges interhumains, effectués dans un espace symbolique horizontal.
11Le « triangle de Nemrod » se manifeste donc comme une parodie, en reprenant la même armature que le « triangle de Noé », et comme un bouleversement, par inversion systématique des règles de construction, en faisant de la base terrestre un espace ponctuel, une pointe, vers une base située dans le ciel. À l’expansion horizontale, il oppose la ponctualisation de l’espace humain et l’élévation en hauteur. Ajoutons une troisième transgression, liée à l’unification générale du genre humain : en concentrant leur activité sur une entreprise unique, en un lieu fixe, « les hommes », dont le pluriel évoque la multiplicité, s’organisent en collectivité régie par les deux principes d’unité et de totalité. Ils se constituent en empire à visées unitaires (une seule énergie collective pour la réalisation du projet) et totalitaires (tous sont enrôlés dans ce travail). Le système nemrodien substitue à la multitude des tribus et des individualités une conception globale et massive du peuple, pensé comme un organisme unique.
12Dès lors, deux ambitions s’opposent : l’une, d’origine divine, maintenant la transcendance et réservant aux hommes une voie d’expansion sur terre, dans l’horizontalité, qui conserve la diversité et le pluriel (ce que nous avons appelé le « triangle de Noé »). L’autre, d’origine humaine, qui procède par concentration en un point des masses humaines, par unification de la foule dans une entreprise commune et unique, dont le plan de réalisation s’effectue suivant la verticalité, et qui aboutirait, à la limite, à la destruction de la transcendance. Le dénouement de cette ambition laisse penser qu’il s’agit d’une utopie, et qu’il n’y a pas moyen de détruire la transcendance, l’écart inséparable entre le ciel et la terre. Cette ambition, que l’on peut appeler, suivant les références à divers modèles mythiques, « nemrodienne » ou « prométhéenne », renvoie à ce que Montaigne, un homme qui opte délibérément pour l’aménagement d’un espace humain terrestre et qui vante les mérites de la diversité, définit à peu près, en termes imagés, comme mettre son cul au-dessus de sa position normale (le langage familier le dit en termes encore plus truculents). Mais, ajoute l’auteur des Essais, « au plus eslevé throne du monde, si ne sommes assis que sus nostre cul » (iii, xiii). Les effets ne se font pas attendre : c’est une culbute, résultat inévitable, dans la logique biblique, de cette position acrobatique qui consiste à se mettre cul par-dessus tête.
13Le Dieu de la Bible, qui admet si facilement le pluriel dans la diversité humaine et la multiplicité des créatures, symbolisée par l’arche de Noé, qui agit également en fonction de nombres symboliques pluriels, comme le trois, le quatre et le sept, est irréductiblement hostile à tout système binaire. Précisons cependant : en tant que créateur, il a sciemment utilisé son pouvoir de division par deux, parce qu’il s’agit là d’un pouvoir constructif, fondé sur la distinction et la catégorisation, et destiné à constituer des couples (il opérera de la même façon un « clonage », si l’on veut bien permettre l’anachronisme et l’impropriété osés, pour la transformation du premier homme en couple humain) qui ne sont pas antagonistes, mais complémentaires, comme le sont le jour et la nuit, les eaux d’en haut et les eaux d’en bas, la mer et les terres émergées. Mais il garde ce pouvoir pour lui-même, dans l’esprit de symétrie harmonique qui a été ci-dessus défini, et se montre terriblement jaloux à l’égard de ceux qui veulent en user avec d’autres objectifs : c’est en particulier le cas du Diviseur par excellence, Diabolos, suivant sa traduction grecque, le Diable, qui sépare pour engendrer la division sans distinction, la rivalité sans symétrie et la confusion sans séparation raisonnée. La confrontation des deux systèmes triangulaires d’influence ne peut donc évoluer, sur action divine, que d’une éphémère dualité à un duel à armes ouvertes.
14Le principe stratégique de dissolution de la dualité est simple et réside dans la construction d’un troisième triangle, que nous appellerons le « triangle de Yahvé », s’effectuant sur un plan vertical, mais replaçant l’unité (sommet ou pointe du triangle) à sa place, en haut, et la base, caractérisée par la multiplicité et la diversité, en son lieu terrestre. De sa résidence haut placée, trône céleste qui constitue la pointe du triangle, « Yahvé descend » (11, 5), pour apprécier, « sur le terrain », ce qui se passe chez les hommes. Il voit la ville et la tour construite par les hommes et il dit : « Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue. Tel est le début de leur entreprise. Maintenant aucun dessein ne sera irréalisable pour eux » (11, 7). Le système binaire, lorsqu’il procède par confrontation et non par complémentarité, ne peut être qu’instable, et dériver soit vers l’usurpation totalitaire par l’élimination d’un concurrent (c’est la crainte exprimée par Yahvé à l’égard de lui-même), soit vers l’anarchie ou la confusion, lorsque les forces sont égales, par l’instauration d’un état de guerre avec la puissance antagoniste. Pour éviter la première issue, Yahvé utilise l’arme de la division : « Confondons leur langage pour qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres. » Yahvé ne veut pas utiliser la violence et procéder par élimination comme il l’a fait pour l’épisode du Déluge, et comme il réitérera pour diverses expéditions punitives ultérieures. La conduite divine serait plutôt à rapprocher de la manière dont il a chassé Adam et Ève de l’Éden, ou puni Caïn : il préserve l’existence, mais il fait changer de statut. Plusieurs problèmes se posent sur la « confusion », qui est l’arme psycholinguistique, mais non biologiquement destructive, utilisée par Yahvé. D’abord elle va permettre un jeu de mots (mais il convient de rappeler que lorsque Yahvé joue avec les mots, ce qui lui arrive parfois, engendrant ce qu’on peut appeler l’ironie divine, le jeu n’en est pas un, car les mots de sa bouche se matérialisent immédiatement en réalités). Le jeu de mots porte sur la similitude phonétique entre Babel (Bab signifie « la porte » et El est une des appellations métonymiques de Dieu) et le radical bll qui signifie « confondre ». Voici donc, pour traduire la paronomase, la tour de Babel transformée en tour de babil. Une série de problèmes concerne la nature de cette confusion : faut-il comprendre que s’effectue un brouillage, dans l’esprit de chaque individu, entre les mots et leur représentation mentale, chacun se construisant son propre signifié dans une langue qui reste commune, mais dont les usages diffèrent selon les interlocuteurs ? Il s’agirait donc bien dans ce cas d’une confusion dans le langage comme processus de communication, et non dans le code. Cette interprétation est à l’origine de l’idée selon laquelle toutes les langues du monde portent trace de la langue originelle (c’est la conception dite « monogénétique » à l’origine de l’utopie renaissante de l’hébreu langue mère), et qu’il est possible, par confrontation des idiomes, de retrouver les règles fondamentales d’une langue universelle (c’est l’utopie de la langue universelle à base rationnelle du temps de Port-Royal et des Lumières). Une autre interprétation, qui est la plus courante, consiste à voir dans cette confusion une multiplication des codes : dans ce cas, la confusion naît de l’inexpérimentation, car chacun doit trouver les clés de ce nouveau code pour se réhabituer à parler de manière communicable, et inventer des moyens de traduire d’une langue en une autre [12]. Mais la signification la plus évidente est au-delà de ces arguties de théologiens : c’est que, par ce moyen, sans utiliser de violence, Yahvé remet l’humanité dans le chemin qu’il lui avait prescrit, de s’élargir par multiplication et différenciation. L’histoire continue, mais sans ce dernier vestige de l’unité originelle, l’existence d’une langue humaine unique et commune. S’il existe un fonds commun de l’humanité, c’est dans un au-delà idiomatique qu’il convient de le chercher, dans la possibilité qu’ont toutes les langues de donner du sens, quels que soient le matériau et le code. Ainsi, sans mort d’hommes, Yahvé reconquiert la maîtrise de son projet : « Il les dispersa sur toute la face de la terre » (11, 9). Mais il faut comprendre que cette dispersion, objet de la volonté divine, n’est ni désorganisation (sauf momentanée pour des raisons tactiques) ni désunion. Tout l’effort humain consistera désormais à retrouver le moyen de donner du sens, en prenant en considération, comme état de fait, la diversité des idiomes. Ce n’est pas une impasse dans l’histoire de la communication, mais une inflexion. Babel, l’inachevée, reste le tremplin d’un avenir remis sur un autre chemin, vers un autre et large horizon.
Le choix de la pluralité
15Le devenir du mythe s’établit suivant trois directions, déterminées par les diverses énigmes que le texte donne à résoudre, et selon les disciplines et les arts qu’elles concernent. La première voie met en jeu l’histoire des arts, en révélant une évolution dans la représentation du monument, dont les leçons convergent avec les autres directions d’exploitation. La deuxième est d’ordre politique : quel est le type de régime qui projette et permet la réalisation d’une œuvre monumentale unique et gigantesque, et que suppose-t-il du type de société qu’il veut instaurer ? La troisième, et la plus généralement exploitée, concerne l’histoire des langues.
16Nous ne nous attarderons pas sur le premier point, qui n’a d’importance, dans la perspective qui est la nôtre, que dans la mesure où il influe sur les deux autres, et qui a été jusqu’ici largement étudié [13]. Rappelons seulement quelques-uns des résultats apportés par l’archéologie et la créativité artistique. La construction d’une tour pourrait être un moyen de se prémunir contre l’éventualité d’un nouveau « déluge » sur les bords des fleuves mésopotamiens. Les matériaux choisis et les noms géographiques cités placent en effet le monument en Mésopotamie. Les fouilles menées à Babylone attestent l’existence de constructions élevées en forme de tours pyramidales appelées ziggurat. Ainsi semblait être la « Porte des dieux » (Bab-ilou) comportant à sa base un porche qui donnait accès à une rampe en escalier montant jusqu’au dernier étage. La Babel dont il est question pourrait utiliser l’image du sanctuaire consacré au dieu Bel-Mardouk, achevé par Nabuchodonosor au viie siècle, et qu’on appelait Etemen-an-ki, « la maison qui relie la terre au ciel ». Il est possible que les Hébreux, déportés à Babylone, aient participé à la construction de ce sanctuaire, qui représentait pour eux une abomination (selon Hérodote, une jeune fille était chaque nuit consacrée au dieu dans la plus haute chambre) et dont le gigantisme a pu les frapper.
17En passant dans le monde chrétien, la tour change de forme et devient, dans les miniatures de manuscrits et dans les fresques et mosaïques qui ornent l’intérieur des églises, une simple tour de château fort, de grandeur relativement modeste. L’accent est mis sur le chantier, avec ses promoteurs et ses exécutants, plus que sur le monument. L’intérêt change à partir du xve siècle, où la construction profite des derniers progrès de la technique architecturale et de l’art décoratif du gothique flamboyant. C’est la Renaissance qui amorce un renversement complet du modèle : la Tour devient, sous l’inspiration des monuments antiques, une sorte de Colisée tronconique, quelquefois penché, qui accapare l’attention. Dans les Flandres, où ce type de représentation connaît un certain succès, la comparaison avec les groupes humains atteste une volonté de marquer le gigantisme du monument en même temps que ses perfectionnements d’ordre technique [14]. Ses indices d’ambition associés à l’abandon de l’immense chantier révèlent un sentiment complexe, analogue à celui qu’exprime la gravure d’Albrecht Dürer, Melencolia, l’incertitude de mener à bien une tâche qui dépasse les possibilités de la créativité humaine, malgré les progrès de la technique et la richesse des savoirs acquis, puis délaissés. Cette forme architecturale, avec quelques variations, est reprise par Athanasius Kircher dans sa Turris Babel [15]. Ce gigantisme de mauvais aloi inspire également l’époque contemporaine : les films à dénouement apocalyptique, sur le modèle de « la Tour infernale » ont pour arrière-fond le mythe de Babel. La Fosse de Babel de Raymond Abellio, qui raconte la fin d’un monde périssant de ses querelles internes et de ses efforts infructueux de rénovation, associe de la même façon le mythe de Babel à des schémas apocalyptiques. On retiendra de cette évolution la présence de deux invariants : la démesure et la chute. Par là, le récit biblique rejoint la leçon de la mythologie antique, rêve des Titans et chute d’Icare. Le mythe illustre les effets pervers de la démesure, l’hubris des Grecs opposée à l’harmonia fondée sur la pondération des ambitions et sur l’équilibre des contraires, et la némésis ou la colère des dieux lorsque les humains veulent empiéter sur leur territoire et mimer indûment leurs prérogatives, comme elle s’exprime dans le dénouement de la geste des Titans, repris, sous forme d’une menace par Rabelais, dans son éloge du « Pantagruélion » conçu comme synecdoque du progrès technique. Dans ce premier point de vue, la tour de Babel est utilisée comme l’illustration d’une dramatique antithèse : l’avancée du progrès et les méfaits de son accélération, qui en détruit les effets positifs.
18Le récit de Babel peut être également perçu comme une fable sur les perversions de la concentration à outrance et les méfaits des monopoles et du pouvoir autocratique, lorsque rien ne le limite, et sur les inconvénients de l’unification, poussée à l’absolu, de la diversité ethnique et sociale. Le meneur de l’entreprise babélienne, qui n’est pas nommément cité dans le texte où il est remplacé par « les hommes » est toutefois assimilé à Nemrod, fils de Kush fils de Cham, dont il est dit qu’« il fut le premier potentat sur terre ». Rien ne permet d’y lire un personnage historique : il est seulement identifié comme le fondateur d’un empire situé quelque part en Mésopotamie. Sa présentation effectuée, à partir d’une expression proverbiale citée plus haut, semble montrer qu’il s’agit d’une abstraction. Il est l’emblème d’un état puissant, un empire. La Bible, qui est le porte-parole d’un peuple oriental d’importance numérique mineure, est très hostile aux grands États : les luttes successives contre l’empire du Sud, celui de Pharaon, l’empire de l’Est, celui de Nabuchodonosor, l’empire du Nord, celui d’Antiochos Épiphane, et celui de l’Ouest, l’empire romain, confortent historiquement cette hostilité générale aux grandes puissances. Dans la perspective qui nous intéresse, nous retiendrons l’esquisse d’une perversion du pouvoir politique, lorsque celui-ci prétend faire adopter par la multitude des sujets, divers dans leur nature et leur situation, une conduite uniforme au sein d’une armature sociale unitaire et totalitaire. C’est le choix du maître d’œuvre de Babel, qui embrigade la totalité de son peuple, « les hommes », dans une entreprise collective d’unification totale. Le choix de Yahvé va au contraire vers la multiplicité (il s’agit de sauvegarder la diversité des lignages) et vers la productivité diversifiée (il s’agit d’occuper l’ensemble du sol terrestre pour l’exploiter, au lieu de procéder par réduction et élévation) contre la concentration. Cette attitude qui définit un choix politique s’applique également à la politique linguistique.
19L’histoire de Babel a servi de base à une explication mythique (et schématique) de l’histoire des langues et de leurs apparentements. La conception chrétienne, qui a été la plus généralement retenue en Occident, établit trois ères linguistiques successives dont l’enchaînement s’opère selon une dialectique analogue à celle du salut : innocence originelle, dévastation provoquée par une chute ou une désobéissance, rédemption par l’épreuve. Dans l’histoire des langues, on retrouve ce schéma : la langue originelle, celle d’Adam, celle du Paradis, désormais perdue, après avoir été en usage jusqu’au temps de Noé et de sa première descendance ; l’épisode du babélisme, équivalent par ses effets du péché originel, qui entraîne la confusion des langues, la détérioration du réseau de communication universelle, en mettant un terme à toute entreprise unitaire dans l’humanité ; le rachat de la faute babélienne (exposé dans le corpus de textes chrétiens par le récit de la Pentecôte, qui reprend à son tour la triangulation symbolique du récit de Babel). Si l’on adopte ce schéma, on s’aperçoit que, par déduction, il pose une série de problèmes connexes, tous très abstraits, car dépendant de la spéculation plus que de l’observation.
20Première question : si l’on admet l’existence d’une langue originelle, unique et universelle pendant des générations, peut-on en définir les caractéristiques, à défaut d’en retrouver le fonctionnement ? Dieu ayant fait l’homme « à son image », la langue de l’homme va-t-elle être à l’image de la langue de Dieu ? Ce qui caractérise la langue de Dieu, c’est que l’énonciation se confond avec la réalisation de son contenu conceptuel. Toute parole proférée se traduit immédiatement en réalité, comme il apparaît dans le récit de la Création, au tout début de la Genèse. Dieu dit : « que la lumière soit », et l’injonctif, exprimé sur le mode subjonctif, devient aussitôt réalité, exprimée par le mode indicatif : « la lumière fut ». Toutefois, un autre texte de la Genèse donne des précisions sur la langue d’Adam : celle-ci ne réalise pas ce qu’elle énonce, puisque les choses et les êtres qu’elle désigne sont déjà réalisés. Il s’agit d’une nomination a posteriori. La question devient alors celle de la « convenance » : est-ce que le nom se conforme aux qualités de la chose nommée ? Rend-il compte, par simple profération orale ou par un graphisme, de sa nature et de ses qualités ? Question importante, alimentée par les commentaires sur le Cratyle de Platon où trois théories sont exposées, celle de Cratyle, qui opte pour la « convenance », celle d’Hermogène, qui choisit l’arbitraire des signes, et celle de Socrate, qui fait passer le sens par l’intermédiaire d’une représentation interne imagée. Ce débat ne cessera, au cours des siècles, d’alimenter la controverse entre réalistes et nominalistes.
21Deuxième question : les bâtisseurs de Babel représentent-ils toute l’humanité, ou seulement une fraction ? S’ils ne sont qu’une fraction, faut-il en conclure que d’autres peuples, non mêlés à cette affaire, ont gardé trace de la langue originelle ? Cette question, qui peut nous paraître naïve, est cependant posée, avec tout le sérieux qui convient à un tel sujet, par Dante dans son traité De l’éloquence vulgaire : « Presque tout le genre humain, assurément, s’était rassemblé dans l’ouvrage d’iniquité […]. Mais ceux auxquels devait rester l’idiome sacré n’étaient pas présents » [16]. L’auteur en conclut, d’une manière hâtive, mais selon une hypothèse plausible en son temps, qu’il peut s’agir de la langue d’une partie de la postérité de Sem, d’où est issu le peuple hébreu. Question associée : à partir de quoi se sont formées les différentes langues, lors de la diversification issue de Babel. Si leur formation s’est appuyée sur des éléments de la langue première, on peut, par étude comparative, essayer de retrouver des vestiges du noyau linguistique initial. Plus la langue est ancienne, plus elle doit se rapprocher de la langue originelle. C’est à partir de là qu’une frénésie de retrouver les origines des diverses langues s’empare des chercheurs. La conclusion la plus généralement retenue est que la langue la plus ancienne est l’hébreu. Mais bientôt une compétition, non dépourvue d’arrière-pensées idéologiques, s’empare des sourciers : la multiplicité des candidatures ôte toute vraisemblance aux résultats contradictoires. Partis sur de fausses pistes, les archéologues du verbe perdu ont cependant eu des intuitions fécondes, notamment sur la constitution de familles linguistiques. D’autres, abandonnant l’enquête d’ordre historique, prétendent se fonder sur une observation de nature et prennent appui sur l’expérience, rapportée par Hérodote, tentée par le pharaon Psammeticos : celui-ci a fait élever un enfant hors de toute proximité humaine pour savoir quels seraient les premiers vocables qui sortiraient de sa bouche. On pourrait en déduire que ce langage primordial, obtenu sans contamination de langues existantes, est celui de la pure nature, et que, par comparaison avec la norme naturelle, il serait possible d’établir une hiérarchie d’ancienneté des langues. Le caractère prétendûment démonstratif de cette expérience est rapidement mis en cause. Là encore, il n’y a pas d’issue. C’est une impasse [17].
22Il faudrait reprendre de plus près la critique de l’interprétation qui a été donnée du récit de Babel. La diversification des langues est-elle véritablement un fléau ou une malédiction ? Le texte de la Genèse ne dit rien de clair sur l’avenir des langues nées de la dissociation des moyens de communication. Ce qui est clair, en revanche, c’est le refus de la constitution d’un empire unifié, qui s’établirait en un seul point de la terre et choisirait la hauteur comme direction d’expansion. La volonté de Dieu est au contraire une expansion du genre humain sur l’ensemble de la surface des terres, dans laquelle chacun des groupes se définirait « selon clans et langues ». Ce qui est recherché est bien le respect de l’unité du genre humain, mais dans la diversité de ses manifestations ethniques, culturelles et linguistiques. Ce que Dieu refuse n’est pas l’unité du genre humain, mais l’uniformité et la concentration, dans le domaine linguistique comme dans les autres domaines. Par conséquent, il apparaît que prendre l’épisode de Babel comme un châtiment d’ordre divin est un contre-sens. C’est à l’inverse une restauration, après la perversion des objectifs que représente l’entreprise nemrodienne, par la voie du langage, de la diversité humaine nécessaire à son expansion sur la surface de la terre, dont il veut que toutes les parcelles soient exploitées. Dans cette stratégie d’occupation des sols, la fonction linguistique est utilisée comme instrument de maîtrise conforme à la nature qui a été donnée à l’homme. Il y a une unité du genre humain : celui-ci, après Babel, garde la faculté de symbolisation qui est le fondement du langage, outil verbal de communication. Mais chaque groupe dissocié a son identité propre, symbolisée par le caractère particulier de sa langue. Ainsi, le pluriel s’associe harmonieusement avec l’un : multiplicité des idiomes et des codes, unité du système général de symbolisation. Encore faudra-t-il accorder les signes et les sens. Ce sera la troisième phase d’un progrès continu, que symbolise l’épisode de la Pentecôte et l’entrée en jeu des vertus de l’« Esprit » sur le langage.
23Le texte de référence, pour cette entrée dans la troisième ère de l’histoire de la communication interhumaine – dans le vocabulaire ancien de Joachim de Flore, on pourrait l’appeler « le règne de l’Esprit » – se situe dans le document généralement intitulé les Actes des Apôtres [18]. La rédaction en est attribuée à l’évangéliste Luc, dont on a pu remarquer que les œuvres, largement tributaires de saint Paul, accordaient une place importante à ce qui est traduit par l’« Esprit » (pneuma, spiritus, un « souffle », une « respiration »), et qui deviendra la troisième personne de la Trinité chrétienne.
24Dans la mise en scène de l’événement surnaturel, l’accent est mis sur la réunion de plusieurs personnes en un même lieu. On pourrait voir là un départ analogue à celui du récit de Babel, avec rassemblement de tous en un seul point. En fait il ne s’agit pas, à proprement parler, d’unité, mais d’unanimité : tous sont d’accord, mais chacun reste lui-même ; la réunion résulte d’une libre convergence et non d’un rassemblement militairement mené par un chef. En revanche, ce qui vient du ciel est exprimé au singulier : un bruit (èchos), un coup de vent (pnoè), qui annonce physiquement la descente de l’Esprit. Dès son arrivée à proximité des hommes, l’esprit se divise et se manifeste par un pluriel (des « langues », glossai) avec un jeu de mots, semblable à celui du français, sur la « langue », qui désigne un organe, une forme de flamme, et un idiome. La division des langues de feu s’accompagne d’une individualisation (chacune d’elles se pose sur chacun d’eux). Enfin, le texte s’achève par un retour à l’unanimité (« tous » furent remplis de l’Esprit) exprimée par des mots au pluriel (« les langues », « d’autres langues ») et par une expansion linguistique à la surface de la terre, par l’intermédiaire d’une foule hétéroclite venue de toutes parts : « Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de Mésopotamie, de Judée et de Cappadoce, du Pont et d’Asie, de Phrygie et de Pamphylie, de l’Égypte et de Libye Cyrénaïque, Romains en séjour ici, Juifs et Prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons. » Ainsi prend commencement la mission « apostolique » de diffusion du message sur la surface de la terre, « selon clans et langues ».
25On retrouve dans ce récit, qui ne nous paraît pas une inversion, mais un prolongement, par un deuxième miracle, du miracle de Babel, la structuration triangulaire que nous avons relevée. Sommet unique, base multiple. Le texte joue sur un entrelacement révélateur des singuliers et des pluriels. Mais on ne saurait parler de rédemption après une malédiction. Il s’agit d’une continuation du miracle des langues : le premier miracle est l’attribution à l’homme d’une partie du pouvoir de nomination, qui est l’apanage divin ; le deuxième est la diversification des langues qui maintiennent à chacun une identité ; le troisième est la possibilité de communication entre elles des langues diversifiées. Agissant de la sorte, dans une continuité chronologique qui est aussi un dévoilement progressif et logique de son projet, Dieu révèle un objectif cohérent et complexe, qui est de fortifier la cohésion de cet ensemble appelé le genre humain (genus humanum) tout en maintenant les différences qui fondent les individualités personnelles ou collectives (homines, gentes, nationes). Il n’est pas guidé par l’hubris unitaire et totalitaire, mais par le principe d’harmonia qui procède par convergences, permutations et alliances, celui qui guide « le parfait chimiste » autant que l’« âme sainte ». C’est ainsi qu’agit, selon Baudelaire, le poète. C’est en poète qu’agit Dieu, lequel connaît les ressources les plus subtiles du Verbe, et non en saccageur de langage comme le sont les ingénieurs à langue unique de Babel.
Périls du monolinguisme
26L’histoire de Babel a-t-elle aujourd’hui une résonance autre que poétique pour exprimer la nostalgie d’un âge révolu, est-ce une simple illustration pour bande dessinée ou film coloré – tours qui montent et flammes qui pleuvent – pour divertir les enfants et les naïfs, sans supports scientifiques sérieux ? Le babélisme diversificateur et le totalitarisme monolinguistique sont au cœur de nos problèmes de communication. L’armature imaginaire sur laquelle s’inscrit l’histoire des langues garde sa force, à condition de lui trouver une interprétation adéquate. On a longtemps rêvé d’une langue à portée universelle : on a cru la trouver, en Europe occidentale du moins, avec le latin. Cet âge est révolu. Le retour à la langue d’Adam ou à une quelconque langue de nature ou de raison, comme l’ont pensé les siècles classiques, fait sourire. On a cru pouvoir la ressusciter avec d’autres langues, un temps le français au xviiie siècle, puis des langues synthétiques comme l’espéranto (qui a réussi à survivre dans des cercles de militants), l’interlingua ou le volapük, divertissements de savants sans base effective, au xixe siècle et au début du xxe siècle. Aujourd’hui, il existe un véhicule international de communication : c’est l’anglo-américain ramené à un usage strictement fonctionnel et simplifié, pour la diffusion des techniques, et la facilitation des échanges économiques et touristiques. Ce véhicule fonctionnel indispensable n’est ni complet ni parfait. Il a l’avantage d’exister et de remplir les fonctions dont il est chargé.
27La menace qui pèse sur la carte linguistique du monde n’est pas, pour demain, celle du babélisme, compris dans le sens d’une multiplication incontrôlée des langues engendrant la confusion des intellects, dont on a longtemps craint le caractère ingouvernable dans une cacophonie et une anarchie généralisées de l’univers linguistique. Ce serait plutôt – et c’est là que réside véritablement la perversion de Babel – le risque d’un monopole exercé par ce véhicule international incomplet. Son emprise est grande sur les langues qui n’ont pas ou ne veulent pas se donner les moyens de se défendre. Les réactions intempestives, qui lui sont parfois opposées, renfermements nationalistes et sécessionnistes violents, ressemblent plutôt à des soubresauts d’agonie. Le retour à la base, aux origines, ne saurait faire oublier la présence et le poids du sommet. Le seul espoir réside dans l’institution raisonnée d’une polyglossie minimale qui relierait la base et le sommet. On retrouve là un nouveau triangle : la langue de l’utile, pour les activités professionnelles et les échanges internationaux, la langue du cœur, qui rejoint celle des origines, qu’on appelle la langue maternelle et qui recouvre un secteur de proximité, et la langue du plaisir, optionnelle, variable selon les intérêts, les goûts ou les caprices. Dans son ouvrage sur La Recherche de la langue parfaite, Umberto Eco pose cette hypothèse paradoxale d’un polylinguisme originel, et cet espoir que « dans n’importe quelle langue les hommes peuvent retrouver l’esprit, le souffle, le parfum, les traces du polylinguisme originel. La langue des origines n’était pas une langue unique, mais l’ensemble de toutes les langues. Adam n’a peut-être pas eu ce don […], mais l’héritage qu’il a laissé à ses fils, c’est la tâche de conquérir la maîtrise, pleine et réconciliée, de la tour de Babel [19]. »
28Si l’on accepte cette hypothèse, la nostalgie des origines prend un nouveau sens. L’adamisme linguistique, loin d’être rétrograde, suscite une reconquête. L’épisode de Babel n’est pas une malédiction, mais un signal indicateur pour connaître la direction à ne pas suivre (celle du monopole linguistique et de l’uniformisation généralisée), et la direction à suivre (la prise en compte et la maintenance d’un état de fait) et à poursuivre (car il reste encore à la maîtriser et à l’organiser). Une Babel maîtrisée est l’espoir d’échapper à l’ennui de l’uniformité et à la dictature des monopoles.
Notes
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[1]
Bordeaux, Ducros et Paris, Nizet, coll. « C. D. », 1970.
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[2]
Venise, Arsenal Éd., coll. « La Via Lattea », n° 3, 1988,
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[3]
Ce problème général, sous la formulation de « La base et le sommet », a fait l’objet d’une étude collective du « Groupe de recherches polypoétiques », dont les articles ont été publiés dans Phréatique, n° 83, automne 1997. Nous y avons publié, sous le titre « Les triangles de Babel », quelques éléments de base du présent article, utilisés pour un objectif différent.
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[4]
On appelle Tabella smaragdina (« Table d’émeraude ») un texte latin apparu au Moyen Âge, qui fut assez vite attribué (fictivement) à Hermès Trismégiste et donna lieu à un commentaire de Martinus Hortulanus. Il s’agit d’un condensé des tables de la loi en matière d’alchimie, comparé aux tables de la Loi mosaïque (les récits de la Genèse étaient attribués à Moïse). Les éléments à valeur archétypique y sont nombreux et présentent une homologie avec ceux qui structurent le récit de Babel, comme l’analogie des contraires, la conjonction du divers et de l’Un, le symbolisme de la verticalité, la construction et la conduite du « Grand Œuvre ».
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[5]
Ézéchiel, 21, 31.
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[6]
Étienne de La Boétie, De la servitude volontaire, éd. Nadia Gontarbert, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1993, p. 79.
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[7]
Injonction au couple originel : « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la » (Genèse, 1, 28) réitéré à Noé et ses fils (ibid., 9, 1).
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[8]
Étienne de La Boétie, op. cit., éd. cit., ibid.
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[9]
Isaïe, 55, 11. Nous suivons, pour les citations bibliques, le texte de La Sainte Bible, traduite en français sous la direction de l’École biblique de Jérusalem, Paris, Cerf, 1956.
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[10]
Ces interprétations sont à l’origine de quelques disparités de traduction, comme celle d’Augustin Crampon : « Faisons-nous un monument » (sur laquelle l’auteur s’explique en note).
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[11]
Sur les difficultés liées au mouvement ascensionnel, nous renvoyons aux articles de M. Michaud : « De la torture du vertical » et de M. W. Debono : « Tenter de gravir », qui les expriment sous une forme poétiquement subjective, dans Phréatique, n° cité, p. 65-70 et 79-82.
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[12]
Ces problèmes sont évoqués, dans le contexte historique de la Renaissance, par Claude-Gilbert Dubois, Mythe et langage au xvie siècle, op. cit. ; Marie-Luce Demonet, Les Voix du signe : nature et origine du langage à la Renaissance (1480-1580), Paris, Champion, 1992 ; Babel à la Renaissanc (sous la dir ; de James Dauphiné et Myriam Jacquemier), Mont-de-Marsan, Éditions Inter-Universitaires, 1999.
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[13]
On trouvera une étude et des illustrations sur les représentations imaginées de la tour de Babel à travers les siècles dans : Myriam Jacquemier, L’Âge d’or du mythe de Babel (1480-1600), Mont-de-Marsan, Éditions Inter-Universitaires, 1999.
- [14]
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[15]
Athanasius Kircher, Turris Babel, Amsterdam, 1679, avec des gravures de C. Decker sur des dessins de Livius Creyl.
-
[16]
Dante, De vulgari eloquentia, tr. fr. in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1965, p. 561-562.
-
[17]
Claude-Gilbert Dubois, Mythe et langage, op. cit. Selon la Chronique de Salimbene de Parme, Frédéric II de Souabe voulut renouveler l’expérience, en pure perte, auprès de plusieurs enfants, qui tous moururent (cité par Umberto Eco, Le Mythe de la langue parfaite, Paris, Éditions du Seuil, 1994, p. 11).
-
[18]
Actes, 2, 1-13.
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[19]
Umberto Eco, Le Mythe de la langue parfaite, op. cit., p. 397.