Notes
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[1]
Pour le français, voir notamment Blanche-Benveniste (1987, 2003) et Blanche-Benveniste et al. (1990). Au reste, ce déplacement de la limite compétence/performance n’en signifie pas l’abolition. Il a pour seul effet de réintégrer dans le champ de la grammaire certaines structures-types habituellement non prises en compte, et d’ouvrir sur une modélisation dynamique de celles-ci. Mais par ailleurs, relèvent toujours de la performance les traitements cognitifs, neuro-psychologiques, moteurs, etc. par lesquels les sujets parlants réalisent ces types en tokens dans des conditions de faisabilité particulières. L’étude en incombe aux psycho-linguistes, avec les moyens expérimentaux dont ils disposent. Ma perspective reste, quant à elle, strictement grammaticale.
-
[2]
Dans les travaux consacrés à la prosodie, ces fragments sont nommés tantôt « syntagmes prosodiques », tantôt « syntagmes intonatifs », tantôt « groupes intonatifs ». Pour plus de détails sur leurs démarcations, voir p. ex. Lacheret (2003).
-
[3]
En fait, cette séquence S résume l’ensemble des opérations que nécessite son encodage.
-
[4]
Les symboles figurant les gestes intonatifs se lisent comme suit : F : finalité (descente du F0 au niveau infra-bas) S, S : continuations mineures (montante, descendante) S+ : continuation majeure Q : question (montée au niveau supra-haut) A : exclamation, ou anticipation d’antagonisme (ton final supra-haut) E : intonation d’évidence (ton final modulé haut-bas) > : intonations réduites (de type appendice ou parenthèse) I? : geste intonatif inachevé Les nombres entre {} indiquent la longueur des pauses en centièmes de seconde.
-
[5]
Morel & Danon-Boileau (1998) les nomment paragraphes oraux, et Lacheret (2003 : 131) macro-périodes.
-
[6]
Sur cette conception de l’interrogation, voir Berrendonner (2004).
-
[7]
Je suis sur ce point l’analyse de Marandin (2004).
-
[8]
Cf. entre autres Rossi (1999) ; Mertens (1990 : 171) ; Lacheret & Beaugendre (1999 : 172) ; Lacheret (2003 : 76 sqq) ; Martin (2009 : 93 sqq). Au reste, les échelles de dominance varient d’un auteur à l’autre, quant au nombre d’intonèmes hiérarchisés, quant à la nature des paramètres acoustiques déterminants, et quant au poids attribué à chacun d’eux. Je pense ne pas trop m’aventurer en admettant une échelle {F > S+ > S}, c’est-à-dire en postulant (i) que les intonèmes conclusifs dominent les non-conclusifs, et (ii) que les intonèmes continuatifs se hiérarchisent selon la hauteur relative de leur ton final.
-
[9]
Je fais abstraction de [la porte]>F, UA à intonème réduit dont il sera question plus loin, et de [voilà], qui est vraisemblablement une parenthèse.
-
[10]
Pour une modélisation plus rigoureuse des proéminences et de leurs dominances, voir Lacheret (2003), et ce numéro.
-
[11]
Pour plus de détails, voir Berrendonner (2008b). Rossi tient ces intonèmes pour des copies réduites de celui qui les précède, mais ce n’est pas toujours le cas, voir par exemple (4) supra.
-
[12]
Les idées résumées dans ce paragraphe ne sont pas neuves. Les bases en ont été jetées dans Berrendonner (1978=1983), quoique formulées dans un cadre génératif peu opportun, dicté par l’époque. Un premier état de l’opposition entre morpho- et pragma-syntaxe est présenté dans Berrendonner & Reichler-Béguelin (1989). Des versions ultérieures, progressivement mises au point, se trouvent dans Berrendonner (2002, 2003). Une synthèse détaillée est sous presse, cf. Groupe de Fribourg (2011).
-
[13]
Hjelmslev les nomme déterminations. Il m’est arrivé dans le passé de les appeler rections, mais ce terme ayant suscité des méprises, je préfère maintenant me servir d’un néologisme vierge d’antécédents théoriques. Les ?-dépendances, telles que je les conçois, ne se réduisent pas, en effet, aux relations dites ordinairement rectionnelles, c’est-à-dire aux rapports entre une tête lexicale et ses régimes, mais englobent plus largement toute implication d’occurrence (généralement doublée de restrictions sélectives), quel que soit le rang de constituance où elle se situe. Les ‘circonstants extra-prédicatifs’, ‘adverbes de phrase’ et autres ‘associés’, par exemple, sont des expansions ?-dépendantes d’une P (proposition), puisqu’ils en impliquent formellement la cooccurrence. Sur ce point, mon analyse diffère de celle du GARS, qui voit dans ces éléments des périphériques macro-syntaxiques (Berrendonner à par.).
-
[14]
Définition : deux suites de morphèmes S1 et S2 sont ?-connexes ssi S1 contient une unité X et S2 une unité Y telles que X?Y et/ou X?Y.
-
[15]
Ce qui ne veut pas forcément dire qu’ils sont autosuffisants, ni syntaxiquement complets.
-
[16]
L’identification des rapports de ?-dépendance ne va pas toujours de soi. Selon le statut qu’on attribue aux morphèmes et ou puisque (marqueurs de ?-dépendance, ou connecteurs inter-énonciatifs ?), on peut aboutir à une segmentation en clauses quelque peu différente. J’ai retenu celle qui me paraît la plus vraisemblable, sans l’argumenter en détail. Seul m’intéresse ici le fait que S3, S4, S5 ne correspondent manifestement pas aux canons de la phrase bien formée, tels que décrits dans les grammaires.
-
[17]
Il pourrait, par exemple, être actualisé seul en guise de titre, ou de légende d’une photo.
-
[18]
C’est encore plus évident pour E1, qui ne fait que désigner le locuteur.
-
[19]
Pour plus de détails, voir Berrendonner (2002b, 2003) et Groupe de Fribourg (à par.).
1. PRÉALABLES
11.1. Le langage, sous-ensemble des actions humaines, obéit aux lois, principes ou règles qui s’appliquent aux actions en général, et sa description relève donc d’une praxéologie, c’est-à-dire d’une théorie générale des structures d’action. C’est dans cette perspective que j’aborderai ici l’analyse des textes oraux. Je partirai de l’idée qu’une langue n’est pas un système de signes, mais doit plutôt être conçue comme un système d’opérations de tous ordres contribuant à la communication (gestes phonatoires, recherches lexicales, assemblages morpho-syntaxiques, prédications, pointages référentiels, déclenchements d’inférences, etc.). Ces opérations ont le statut de types, et les sujets parlants les actualisent en tokens lorsqu’ils fabriquent du discours.
2Cette approche praxéologique a, entre autres, pour conséquence de déplacer la frontière entre faits de compétence et faits de performance, telle qu’on la pose ordinairement. Si décrire la langue, c’est modéliser le système des actions qui composent le discours, il devient impossible d’en exclure certaines, sous prétexte qu’elles ont l’air improvisées, malhabiles ou inabouties. Le fait de s’y prendre à plusieurs reprises pour exécuter une opération, ou le fait d’abandonner une procédure avant terme au profit d’une autre plus efficace, sont des virtualités ordinaires inhérentes à l’agir humain, et il n’y a pas de raison d’y voir des ratés d’exécution ou des déviances par rapport à un modèle idéal, bref, de les considérer comme des « accidents de performance ». D’autant plus que ces comportements, loin d’être aléatoires, obéissent à des régularités avérées,comme il ressort des travaux consacrés à la syntaxe de l’oral et à l’analyse ethno-méthodologique des conversations [1].
31.2. Mon propos, dans cet article, est d’entreprendre une analyse grammaticale des textes oraux en tant que combinaisons d’opérations de langue, autrement dit, de faire apparaître leur articulation en unités praxéologiques constitutives. Une telle entreprise se trouve immédiatement affrontée au fait que les textes oraux contiennent deux sortes de manifestations signifiantes, segmentales et suprasegmentales, qui, souvent, ne sont pas congruentes. La première question qui se pose est donc celle de la pertinence respective de ces deux ordres de signaux. Je la trancherai en donnant la priorité aux gestes suprasegmentaux, c’est-à-dire en faisant l’hypothèse que les unités prosodiques sont le cadre de base dans lequel se fait le traitement des unités segmentales, et dans lequel il convient par conséquent d’analyser leur syntaxe.
2. UNITÉS PROSODIQUES
2.1. Unités d’actualisation (UA)
4Au premier abord, un texte oral se présente à l’observateur comme une suite de segments séparés par des discontinuités prosodiques, c’est-à-dire démarqués par des contrastes locaux tels que pauses, pics mélodiques majeurs, sauts de fréquence et/ou d’intensité, allongements syllabiques, inversions de pente du F0, variations de débit, etc. [2]. Une hypothèse vraisemblable est que ce morcellement reflète les étapes successives par lesquelles est passée la génération du texte. On peut supposer que les sujets parlants, lorsqu’ils combinent des opérations de langue, les groupent par lots, c’est-à-dire les associent en coalitions plus ou moins complexes, selon des possibilités définies par la langue, en réponse à des besoins pratiques (limites d’habileté du parleur, contraintes imposées par le contexte opératif, etc.). Chaque segment prosodique correspond à un lot d’opérations linguistiques de toutes sortes ainsi coalisées ; autrement dit, c’est une unité élémentaire composée aux fins d’actualisation, ou en abrégé : une unité d’actualisation (UA).
5Chaque unité d’actualisation peut être figurée sommairement sous la forme A (S, I), où A est l’opérateur d’actualisation, S une séquence de morphèmes [3]et I un geste intonatif continu, borné par des discontinuités prosodiques. Par exemple, dans l’interview d’Anita Musso, le second tour de parole, dû à l’intervieweuse, apparaît composé de dix UA successives [4] :
A (mais pour l’instant, S+)
A (c’est une vraie question, F)
A (hein, >Q)
A (pour l’instant, S+)
A (c’est quand même, S)
A (en termes de temps, S+)
A (rentable, F)
A (aussi, >F)
A (de prendre la voiture, >F)
A (ça va plus vite qu’à pied, F)
7La division d’un texte en UA reflète l’existence de petits programmes discursifs fortement routinisés, comme (2a), dont on retrouve des occurrences dans presque tous les textes oraux, cf. (2b) :
a. A (moi, S)
A (ma voiture, S)
A (elle est garée dans la rue, S+)
b. moi - mon chat - il dort avec moi
les Égyptiens - leurs dieux - c’est les chats [cfa80]
moi - mon boulot - je suis préparateur en FA-18 [unine]
9Certaines de ces routines constituent une réponse ritualisée à une difficulté opérative rencontrée par les locuteurs. Elles comportent alors des ré-essais, retouches, reprogrammations, etc., et elles ont souvent pour effet qu’une unité syntaxique connexe n’est pas engendrée en bloc, mais en plusieurs « coups » successifs :
A (il faut me mettre des li : , I?)
A (il faut quand même me mettre des limites, S)
A (je ne peux pas m’empêcher d’ouvrir, S)
A (euh la porte,>F)
2.2. Période
11La prosodie ne fait pas que délimiter des unités d’actualisation. Elle fournit aussi des indices sur la façon dont celles-ci se groupent en séquences pour former des procédures de rang supérieur. Certains signaux, comme le contour intonatif F suivi ou non de pause, ont en effet une fonction conclusive, c’est-à-dire qu’ils bornent une série d’UA en indiquant que celles-ci forment ensemble une procédure achevée, une unité d’action parvenue à son terme. J’ai accoutumé d’appeler périodes ces complexes praxéologiques caractérisés par leur propriété de clôture exhibée [5]. Ils peuvent être de longueur et de complexité très variables : deux UA en (5), et douze en (6) :
[...]F [donc au dernier moment]S [je prends ma voiture]F
[...]F [par contre j’ai essayé le vélib deux trois fois en mettant ma carte bleue]S+[et c’est un mystère pour moi]S [donc il faudrait qu’ j’ aille à ma banque]S[et que j’ m’en occupe]S+ [quand même]>S+ {52} [euh puisque ma caution]S[quand on MET sa carte bleue qu’on n’a pas d’ carte d’abonné]S+ [ma caution euh]S [y a écrit caution]S [cent cinquante euros]S [j’valide]S [et elle m’est refusée]F
13Les gestes intonatifs conclusifs remplissent une double fonction : d’une part, ce sont des signaux démarcatifs de fin de période, et d’autre part, ce sont en même temps des indicateurs de posture énonciative : à travers eux, le locuteur fait montre d’un degré d’engagement plus ou moins ferme dans l’acte communicatif qu’il est en train d’accomplir, et surtout, révèle ses attentes de réactions de la part de l’allocutaire. Ainsi, le contour mélodique montant Q de (7), traditionnellement qualifié d’« interrogatif » :
[et c’est aussi des accros de la voiture]Q
15peut être décrit comme le signe que la locutrice, tout en accomplissant une assertion, n’en assume pas la validité – chargeant du même coup l’allocutaire du soin d’établir celle-ci, si elle en a les moyens [6]. Quant au contour « exclamatif » de (8) (ton suraigu et pic d’intensité sur la syllabe finale) :
[ah ben je je suis : pour]A
17il est l’indice que la locutrice anticipe une réaction d’antagonisme, i.e. s’attend à voir son assertion contestée par l’allocutaire (paraphrase grossière : ‘je sais bien que vous n’allez pas me croire, mais c’est pourtant comme ça : je suis pour’) [7]. À l’inverse, le ton final dynamique haut>bas de (9) montre que la locutrice pense énoncer une évidence qui suscitera l’assentiment de l’allocutaire :
[il faut quand même me mettre des limites]S+ {32} [pour m’empêcher de prendre ma voiture]E
19En exécutant ces gestes conclusifs, le sujet parlant affiche donc à la fois une attitude modale (évaluation de son propre dire) et un positionnement interactionnel (prévision des réactions appelées par son dire). Dans le paradigme des intonèmes conclusifs, le contour F (descente du F0 à l’infra-grave) semble avoir à cet égard le statut de terme neutre, non marqué en ce qui concerne la posture énonciative adoptée par le locuteur. C’est du moins ce que suggère le fait qu’il puisse borner aussi bien des UA assertives qu’interrogatives. Par exemple, les 7e et 10e UA de la série (1) supra sont des questions, mais elles portent néanmoins un contour F, qui ne les signale pas prosodiquement comme telles. C’est pourquoi la locutrice éprouve le besoin d’insérer une parenthèse méta-énonciative (« c’est une vraie question, hein »), qui explicite à l’avance leur visée communicative.
2.3. Prosodie et structuration des périodes
20La prosodie, enfin, renseigne sur la structure praxéologique interne des périodes, en indiquant comment les UA qui les composent se groupent en sous-procédures hiérarchisées. Deux grands types de configurations intra-périodiques peuvent, me semble-t-il, être distingués sur cette base.
212.3.1. D’une part, de l’avis de nombreux prosodiciens, il existe entre certains marqueurs intonatifs des rapports de dominance, qui révèlent des liaisons plus ou moins étroites entre UA [8]. Si, de deux UA consécutives, la seconde actualise un intonème dominant par rapport à celui de la première, on y voit le signe qu’elles sont couplées et englobées dans une même action d’ensemble. Le groupe intonatif dominant absorbe, i.e. enveloppe avec lui le ou les groupe(s) dominé(s) qui le précède(nt). Dans la période (10), par exemple [9], la seule observation des fréquences du F0 atteintes en finale d’UA permet de reconnaître les groupements suivants :
(10)
(10)
22Cette analyse, fondée sur un seul paramètre phonétique brut, est assurément hyper-simpliste. Elle illustre néanmoins la façon dont les rapports de dominance entre intonèmes structurent les périodes [10]. Celle de (10) apparaît organisée en quatre étapes ou sous-procédures qui, au vu des contenus exprimés, semblent correspondre chacune à un but communicatif partiel, du genre : (a) informations préalables ; (b) formulation d’une hypothèse ; (c) assertion dans le cadre de cette hypothèse ; (d) explicitation d’une inférence.
23On peut concevoir une période comme un programme d’actions séquentiel, grossièrement représentable par un modèle à états : chaque UA simple ou complexe est un pas d’action qui fait progresser le texte d’un état antérieur à un état résultant. Dans ce programme, les dominances intonatives constituent des marqueurs de progression : elles indiquent comment les pas d’action élémentaires s’enchaînent pour former des sous-procédures, composables récursivement.
242.3.2. Certaines UA, toutefois, se caractérisent par des contours intonatifs particuliers, que l’on peut à la suite de M. Rossi (1999) qualifier de « réduits » : ils présentent des modulations analogues à certains intonèmes pleins, mais s’en distinguent par une moindre saillance de leurs paramètres acoustiques : registre mélodique resserré et abaissé, intensité plus faible, syllabe finale moins longue [11]. Le plus notoire des intonèmes réduits a longtemps été décrit comme un contour « bas plat », dit parenthèse finale (Delattre 1969), appendice (Mertens 1990),thème externe (Rossi 1999), postrhème (Morel & Danon-Boileau 1999), etc., mais il apparaît plutôt à l’examen comme une forme réduite du marqueur de finalité F. La période (1) supra compte trois UA porteuses d’intonèmes réduits (en gras) que l’on retrouve sous (11) :
a. A (c’est une vraie question, F)
A (hein,>Q)
b. A (c’est quand même, S) A (en termes de temps, S+) A (rentable, F)
A (aussi,>F)
A (de prendre la voiture,>F)
26J’interprète les intonèmes réduits comme la marque qu’une UA ne constitue pas dans le programme périodique un pas d’action distinct, mais revêt le statut d’action subsidiaire, annexée à une autre UA déjà accomplie. En d’autres termes, elle ne prend pas rang dans la série de transformations qui font avancer le programme séquentiel en cours, mais vient seulement s’adjoindre à titre d’auxiliaire à l’UA précédente, toutes deux collaborant à la réalisation d’un même sous-but de ce programme. Ainsi, dans les exemples ci-dessus, le [hein]>Q est une demande de feed-back servant à contrôler que l’assertion précédente a bien été prise en compte par l’allocutaire ; quant à l’ajout [de prendre la voiture]>F, il ne faitqu’expliciter et confirmer la référence du pronom c’ actualisé un peu plus haut. Ces UA n’ont donc pas pour fonction de faire évoluer le savoir partagé vers un nouvel état, mais seulement, pourrait-on dire, de consolider l’état dans lequel il est déjà parvenu.
272.3.3. En résumé, les marques prosodiques confèrent aux périodes une structure interne à deux dimensions. L’une est constituée par des rapports de progression ; les dominances intonatives y délimitent des sous-procédures hiérarchisées. L’autre est formée de rapports d’annexion entre une UA et une voisine qu’elle auxilie.
3. UNITÉS SYNTAXIQUES
28Si l’on se tourne maintenant vers le matériau segmental, on peut y distinguer deux ordres de relations et d’unités [12].
3.1. Relations de ?-dépendance (morpho-syntaxiques)
293.1.1. On sait, au moins depuis L. Bloomfield (1933=1970 : 183) et L. Hjelmslev (1943=1968 : 55), que les chaînes de signes énoncées sont structurées par desimplications d’occurrence entre segments, soit des relations du type [X?Y] = ‘si X est présent, alors Y doit l’être aussi’. Exemples triviaux :
parce que ? [je pense que je suis [très ? malade]]
31Dans des syntagmes comme [très + Adj] ou [parce que + P], on peut avoir le second membre sans le premier, mais pas le premier sans le second. Les relations implicatives de ce genre ont pour termes des signes (morphèmes ou groupes de morphèmes), dont la combinaison constitue un signe de rang supérieur, nanti d’un signifié « compositionnel ». C’est pourquoi, on peut les décrire avec toute la généralité souhaitable en termes de contraintes distributionnelles sur des segments, ou en termes de restrictions sur une algèbre de concaténation (Chomsky & Miller, 1968 : 4). Je les qualifierai génériquement de ?-dépendances [13]. Ellesdéterminent l’existence de contraintes de complétude pesant sur la formation des syntagmes de tous rangs : de nombreuses procédures d’assemblage fixées en langue subordonnent l’actualisation d’un dépendant X à celle d’un régissant Y, si bien que l’occurrence de l’un sans l’autre ne peut constituer un signe complet.
323.1.2. Ces contraintes de complétude se répercutent en contraintes praxéologiques sur les UA. Si une séquence S contient un segment ?-dépendant, mais dépourvu de régissant, son actualisation A (S, I) ne peut être qu’une action partielle, non autosuffisante, destinée à s’intégrer dans une procédure plus complexe, en compagnie d’une autre UA qui actualise le régissant manquant. Tel est le cas, par exemple, en (13) infra :
A (donc au dernier moment, S)
A (je prends ma voiture, F)
34Le SP actualisé dans la première UA implique la cooccurrence d’un Verbe, mais celui-ci n’est instancié que dans la seconde UA. Lorsque deux unités d’actualisation sont dans ce rapport de complémentarité pratique, on dira qu’elles sontintégrables et forment ensemble une UA de rang supérieur. La notion d’intégration procède de l’idée praxéologique banale que certaines actions sont la résultante d’une suite d’actions plus élémentaires. On peut schématiser cela par des accolades :
(14)
(14)
35Cela veut dire que dans ce fragment de texte, trois actions ont été accomplies : deux actualisations élémentaires, l’une autosuffisante, l’autre non, et leur résultante, qui est l’actualisation de toute la séquence. On peut rendre compte de ce processus de composition d’actions à l’aide de la définition suivante :
(i) Deux UA voisines A (S1, I1) et A (S2, I2), dont les séquences S1 et S2 sont ?-connexes [14], ont pour résultante une UA complexe A ([S1+S2], I3).
(ii) Si I2 domine I1, alors I3 = I2. Si I2 est un intonème réduit, alors I3 = I1.
37(Cette dernière stipulation permet de différencier la résultante, selon qu’il existe entre les deux UA intégrées un rapport de progression ou d’annexion. Cf. (14)vs (15) :
(15)
(15)
38Par ailleurs, cette définition de l’intégration demanderait à être perfectionnée pour rendre compte des suites de « bribes » comme (3) supra.
393.1.3. Parmi les assemblages de segments ?-connexes, il en est qui n’entretiennent aucune ?-dépendance avec leurs voisins, c’est-à-dire se présentent de facto comme des signes encodés isolément [15]. Dans ma terminologie, ces signes de dimension maximale sont des clauses. Et une UA, simple ou complexe, qui correspond à l’actualisation d’une clause entière, et qui n’est par conséquent intégrable avec aucune de ses voisines, est une énonciation. Une énonciation est donc, en somme, l’unité d’action maximale de la combinatoire des signes.
40Il n’est peut-être pas inutile de souligner que les clauses ne coïncident pas avec les phrases de la tradition orthographique et grammaticale (Berrendonner 2002a). Exemple :
S1 = [par contre j’ai essayé le vélib deux ou trois fois en mettant ma carte bleue]
S2 = [et c’est un mystère pour moi]
S3 = [donc il faudrait que j’aille à ma banque] [et que je m’en occupe] [quand même] [puisque ma caution]
S4 = [quand on met sa carte bleue qu’on n’a pas de carte d’abonné]
S5 = [ma caution]
S6 = [y a écrit caution] [cent cinquante euros]
S7 = [je valide]
S8 = [et elle m’est refusée] [même si y a quand même ya des sous sur le compte]
S9 = [donc euh voilà]
42Cette séquence se compose de neuf clauses non ?-connexes entre elles [16]. Comme on voit, il en est plusieurs (S3, S4, S5) dont la structure morpho-syntaxique s’écarte notablement des modèles standard décrits ou générés par les grammaires de phrase. (Tout au plus pourrait-on y voir des phrases incomplètes, abandonnées à l’état de tentatives inachevées, et non intégrables avec la suite.)
3.2. Relations de E-dépendance (pragma-syntaxiques)
433.2.1. Entre les énonciations successives qui composent un période, il existe aussi des relations combinatoires, mais elles sont d’une tout autre nature que les ?-dépendances. Considérons, faute de meilleur exemple, le membre de période (17) :
45Cette séquence est bien l’actualisation de trois clauses indépendantes : un nominativus pendens comme moi ou ma voiture n’implique pas distributionnellement l’occurrence d’une proposition verbale à côté de lui [17], pas plus que l’inverse. Entre ces trois énonciations, on peut déceler deux types de rapports.
463.2.2. D’une part, E3 n’est interprétable que parce qu’elle est précédée de E2. Cela tient à l’usage du pronom elle, qui présuppose l’existence dans le savoir partagé des interlocuteurs d’un objet-de-discours déjà activé (= « topique »), catégorisé et porteur d’une dénomination usuelle féminine. Or, c’est E2 qui active cet objet-de-discours et qui crée ainsi les conditions requises pour une exécution ultérieure de E3. Il y a donc entre les deux énonciations une relation pratique que je noterai [E2 ? E3] = ‘E2 est un préalable nécessaire à l’accomplissement pertinent de E3’.
47Quant à l’énonciation E2, elle actualise une clause qui pourrait être pertinente dans d’autres circonstances, mais dont l’apport informatif est ici pratiquement nul : son seul effet est d’activer (= topicaliser) le référent R = ‘ma voiture’, vraisemblablement déjà connu. Cette action est dépourvue de pertinence isolément et ne peut constituer un but communicatif en soi [18]. Elle ne peut avoir de pertinence qu’en tant que contribution à une procédure communicative plus complexe, dans laquelle l’activation de R constitue un sous-but préparatoire, ouvrant la voie à un futur apport d’information. En d’autres termes, E2 ne peut être qu’une action partielle, qui appelle à sa suite au moins une autre énonciation, effectuant une prédication inédite sur R. Et cette condition qu’elle projette sur l’avenir, c’est E3 qui la satisfait, en effectuant l’action requise et en mettant ainsi fin à son attente. Je noterai ce rapport [E2 ? E3] = ‘E2 n’est pertinente que si elle est suivie de E3’.
3.2.3. Les relations ? et ?, ou relations de E-dépendance, ont des propriétés très différentes des relations de ?-dépendance notées « ? » supra.
- (i) Alors que les ?-dépendances imposent à leurs termes des conditions de cooccurrence largement arbitraires, les E-dépendances consistent en conditions de pertinence, motivées par des impératifs de rationalité pratique. Ce sont des implications du type « l’énonciation Ei n’est une action pertinente, utile, appropriée à ce point du discours, qu’à condition d’exécuter/d’avoir exécuté, par ailleurs, une énonciation Ej ». Il ne s’agit donc pas de contraintes formelles, mais pragmatico-cognitives.
- (ii) Par ailleurs, les E-dépendances sont des relations indirectes, qui s’établissent entre deux énonciations par l’intermédiaire de certains éléments du contexte informationnel. Une certaine énonciation Ei, pour être pertinente,exige, avant ou après elle, la présence d’une information X dans le savoir publiquement partagé par les interlocuteurs, et c’est une énonciation Ej qui satisfait ce réquisit en apportant X. La relation qui s’établit ainsi entre Ei et Ejest donc médiatisée par X.
- (iii) Il s’ensuit qu’il n’est pas possible de décrire les contraintes pesant sur la combinatoire des énonciations sans modéliser explicitement les états successifs de l’information partagée et leur évolution au fil du discours. Certaines relations pragma-syntaxiques ont pour termes ces entités cognitives non verbales, ce qui veut dire que la pragma-syntaxe n’est pas réductible à une algèbre homogène.
493.2.4. Selon le contenu informationnel et les effets communicatifs de leurs énonciations-termes, les relations ? et ? construisent des routines pragma-syntaxiques diverses [19]. Par exemple celle, fort banale, qui consiste à activer un objet-de-discours, pour prédiquer ensuite sur lui (18) :
(18)
(18)
50ou encore celle que forment deux assertions dont la première, à contenu générique, s’interprète comme posant une hypothèse, c’est-à-dire un cadre de validité en prévision de la seconde (Corminboeuf 2009) :
(19)
(19)
4. SYNTHÈSE
51Des observations qui précèdent, il ressort en gros le modèle suivant.
524.1. Un texte oral apparaît composé de trois rangs d’unités praxéologiques : (i) des UA élémentaires, lots d’opérations générant simultanément une séquence de morphèmes et un contour intonatif ; (ii) des énonciations, suites d’UA actualisant une clause ; (iii) des périodes, suites d’énonciations constituant des programmes discursifs clos, démarqués prosodiquement :
53Ces trois rangs d’unités résultent de la superposition de deux ordres de combinatoire, très différents dans leurs principes (deux « articulations du langage », au sens d’A. Martinet).
544.2. La morpho-syntaxe est constituée par les relations d’intégration qui s’établissent entre les UA élémentaires pour composer des énonciations. Ces relations reposent d’une part sur les ?-dépendances, contraintes de cooccurrence liant les signes segmentaux actualisés et, d’autre part, sur les rapports de progression/annexion signalés par les intonations. Ces deux facteurs se conjuguent pour déterminer des groupements d’UA en unités d’actualisation complexes. Une énonciation est l’unité maximale de cette combinatoire ; elle correspond à l’actualisation d’une clause, c’est-à-dire d’une suite ?-connexe indépendante de ses voisines.
554.3. La pragma-syntaxe est le domaine des relations qui s’établissent entre énonciations à l’intérieur des périodes. Ces relations reposent d’une part sur les E-dépendances, contraintes de pertinence imposées aux énonciations successives et, d’autre part, sur les rapports de progression/annexion signalés par les intonations. Ces deux facteurs se conjuguent pour déterminer des groupements d’énonciations en procédures. Une période est l’unité maximale de cette combinatoire ; elle consiste en une suite de procédures formant un programme d’action signalé comme clos.
564.4. À la base de ce modèle, il y a essentiellement une façon d’envisager la pertinence des structures prosodiques. Mon hypothèse est que celles-ci ne doivent pas être traitées comme des signifiants symboliques, codant conventionnellement des sens ou des statuts informationnels, mais plutôt comme le reflet direct des procédures pratiques mises en œuvre lors de la production du texte oral. En somme, la prosodie n’est pas un code gestuel que l’on utiliserait parallèlement au système des signes segmentaux, et qui le suppléerait dans le marquage de certaines valeurs, mais plutôt l’ensemble des marques laissées dans le texte par son processus de fabrication : une sorte d’échafaudage intégré au bâtiment.
Bibliographie
Références bibliographiques
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Mots-clés éditeurs : analyse du discours spontané, unités discursives, programme praxéologique, macrosyntaxe
Date de mise en ligne : 21/09/2011.
https://doi.org/10.3917/lf.170.0081Notes
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[1]
Pour le français, voir notamment Blanche-Benveniste (1987, 2003) et Blanche-Benveniste et al. (1990). Au reste, ce déplacement de la limite compétence/performance n’en signifie pas l’abolition. Il a pour seul effet de réintégrer dans le champ de la grammaire certaines structures-types habituellement non prises en compte, et d’ouvrir sur une modélisation dynamique de celles-ci. Mais par ailleurs, relèvent toujours de la performance les traitements cognitifs, neuro-psychologiques, moteurs, etc. par lesquels les sujets parlants réalisent ces types en tokens dans des conditions de faisabilité particulières. L’étude en incombe aux psycho-linguistes, avec les moyens expérimentaux dont ils disposent. Ma perspective reste, quant à elle, strictement grammaticale.
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[2]
Dans les travaux consacrés à la prosodie, ces fragments sont nommés tantôt « syntagmes prosodiques », tantôt « syntagmes intonatifs », tantôt « groupes intonatifs ». Pour plus de détails sur leurs démarcations, voir p. ex. Lacheret (2003).
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[3]
En fait, cette séquence S résume l’ensemble des opérations que nécessite son encodage.
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[4]
Les symboles figurant les gestes intonatifs se lisent comme suit : F : finalité (descente du F0 au niveau infra-bas) S, S : continuations mineures (montante, descendante) S+ : continuation majeure Q : question (montée au niveau supra-haut) A : exclamation, ou anticipation d’antagonisme (ton final supra-haut) E : intonation d’évidence (ton final modulé haut-bas) > : intonations réduites (de type appendice ou parenthèse) I? : geste intonatif inachevé Les nombres entre {} indiquent la longueur des pauses en centièmes de seconde.
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[5]
Morel & Danon-Boileau (1998) les nomment paragraphes oraux, et Lacheret (2003 : 131) macro-périodes.
-
[6]
Sur cette conception de l’interrogation, voir Berrendonner (2004).
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[7]
Je suis sur ce point l’analyse de Marandin (2004).
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[8]
Cf. entre autres Rossi (1999) ; Mertens (1990 : 171) ; Lacheret & Beaugendre (1999 : 172) ; Lacheret (2003 : 76 sqq) ; Martin (2009 : 93 sqq). Au reste, les échelles de dominance varient d’un auteur à l’autre, quant au nombre d’intonèmes hiérarchisés, quant à la nature des paramètres acoustiques déterminants, et quant au poids attribué à chacun d’eux. Je pense ne pas trop m’aventurer en admettant une échelle {F > S+ > S}, c’est-à-dire en postulant (i) que les intonèmes conclusifs dominent les non-conclusifs, et (ii) que les intonèmes continuatifs se hiérarchisent selon la hauteur relative de leur ton final.
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[9]
Je fais abstraction de [la porte]>F, UA à intonème réduit dont il sera question plus loin, et de [voilà], qui est vraisemblablement une parenthèse.
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[10]
Pour une modélisation plus rigoureuse des proéminences et de leurs dominances, voir Lacheret (2003), et ce numéro.
-
[11]
Pour plus de détails, voir Berrendonner (2008b). Rossi tient ces intonèmes pour des copies réduites de celui qui les précède, mais ce n’est pas toujours le cas, voir par exemple (4) supra.
-
[12]
Les idées résumées dans ce paragraphe ne sont pas neuves. Les bases en ont été jetées dans Berrendonner (1978=1983), quoique formulées dans un cadre génératif peu opportun, dicté par l’époque. Un premier état de l’opposition entre morpho- et pragma-syntaxe est présenté dans Berrendonner & Reichler-Béguelin (1989). Des versions ultérieures, progressivement mises au point, se trouvent dans Berrendonner (2002, 2003). Une synthèse détaillée est sous presse, cf. Groupe de Fribourg (2011).
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[13]
Hjelmslev les nomme déterminations. Il m’est arrivé dans le passé de les appeler rections, mais ce terme ayant suscité des méprises, je préfère maintenant me servir d’un néologisme vierge d’antécédents théoriques. Les ?-dépendances, telles que je les conçois, ne se réduisent pas, en effet, aux relations dites ordinairement rectionnelles, c’est-à-dire aux rapports entre une tête lexicale et ses régimes, mais englobent plus largement toute implication d’occurrence (généralement doublée de restrictions sélectives), quel que soit le rang de constituance où elle se situe. Les ‘circonstants extra-prédicatifs’, ‘adverbes de phrase’ et autres ‘associés’, par exemple, sont des expansions ?-dépendantes d’une P (proposition), puisqu’ils en impliquent formellement la cooccurrence. Sur ce point, mon analyse diffère de celle du GARS, qui voit dans ces éléments des périphériques macro-syntaxiques (Berrendonner à par.).
-
[14]
Définition : deux suites de morphèmes S1 et S2 sont ?-connexes ssi S1 contient une unité X et S2 une unité Y telles que X?Y et/ou X?Y.
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[15]
Ce qui ne veut pas forcément dire qu’ils sont autosuffisants, ni syntaxiquement complets.
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[16]
L’identification des rapports de ?-dépendance ne va pas toujours de soi. Selon le statut qu’on attribue aux morphèmes et ou puisque (marqueurs de ?-dépendance, ou connecteurs inter-énonciatifs ?), on peut aboutir à une segmentation en clauses quelque peu différente. J’ai retenu celle qui me paraît la plus vraisemblable, sans l’argumenter en détail. Seul m’intéresse ici le fait que S3, S4, S5 ne correspondent manifestement pas aux canons de la phrase bien formée, tels que décrits dans les grammaires.
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[17]
Il pourrait, par exemple, être actualisé seul en guise de titre, ou de légende d’une photo.
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[18]
C’est encore plus évident pour E1, qui ne fait que désigner le locuteur.
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[19]
Pour plus de détails, voir Berrendonner (2002b, 2003) et Groupe de Fribourg (à par.).