Notes
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[1]
Une non-langue, mais une parole vive, qui surgit au devant de la scène historique au XVIe siècle, dans le bassin méditerranéen comme un espace singulier de délimitation et de confrontation/négociation des paroles singulières, et qui révèle en creux la vitalité des plurilinguismes européens d’une époque « pré-nationale » (Dakhlia 2008 ; Siouffi 2010).
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Cette représentation constitue un indice fort, bien que procédant par un raccourci idéologique qu’il faudrait sans doute, une fois déconstruit, ré-historiciser. Un défaut d’optique nous amène régulièrement à repenser rétrospectivement, de manière co-occurrente, cette époque, dans le prisme matérialiste jacobin (les langues, le français-les patois, comme des fractures irréductibles qui n’auraient, par exemple, jamais vraiment permis une forme de bilinguisme) ou dans le prisme de la décolonisation/la fin des impérialismes (le français imposé à tous créant des formes diglossiques des usages linguistiques).
1 Dans un article de 1992 (repris en 2004 : 95), B. Py rappelait s’il en était besoin que « l’altérité est au cœur de la langue et du discours, et ceci sous les formes les plus variables ». C’est dans cette perspective que nous situons le numéro qui va suivre. Aborder la question du français au contact des langues c’est, en effet, explorer un espace singulier de relation/confrontation à l’altérité. Frontalier par nature, cet espace est plastique, difficile à saisir concrètement au-delà des pratiques langagières particulières, il est souvent le lieu de représentations très normées articulées autour de l’idée de maîtrise du français. Pour construire cet espace comme un objet de recherche propre aux sciences du langage, nous l’avons examiné d’un point de vue historique et politique, sociolinguistique et didactique.
2 La notion de relation et de contact s’enracine d’abord dans la linguistique, telle qu’elle apparaît au début du XIXe siècle : W. von Humboldt met les langues en relation, les compare pour mieux les comprendre, les classer, les repérer. L’histoire de la langue, pour sa part, met en lumière les emprunts, les influences étrangères, dans une langue donnée, présupposant évidemment des contacts de civilisations que, par ailleurs, l’histoire événementielle met bien en scène (les guerres, les conflits). Dès 1648, J.A. Coménius avait formulé des hypothèses socio-historiques sur les causes de la variation et du changement linguistiques :
Dès l’instant qu’ils furent disséminés, les hommes adoptèrent donc de nouvelles conduites de vie qui donnèrent lieu, par la même occasion, à l’apparition de formes nouvelles dans leur langue de communication. Ces changements linguistiques ne furent en effet rendus possibles que par les habitudes sociales aux multiples formes. [...] troisième cause de la mutation des langues. C’est l’émigration et le mélange des peuples qui entraînent le mélange de celles-ci. De là la naissance de nouvelles langues. (Coménius, 1648 in 2005 : 56, 59)
4 Les représentations de pureté ou de métissage, de dégénérescence et d’érosion vont réorienter lentement la linguistique européenne au XIXe siècle, et il est certainement difficile de la dégager nettement de ses conditions de production politiques et idéologiques.
5 C’est surtout depuis le début des années 1960 que la question du contact des langues occupe une place relativement positive dans les sciences du langage. La sociolinguistique, depuis ses origines (Weinreich, Labov, Fishman) a analysé, entre autres objets de recherche, ce type de contacts d’un point de vue synchronique. Elle a mis en évidence la question de la valeur sociale des langues, engagée jusque dans leurs usages quotidiens (diglossie vs bilinguisme, conflit linguistique). Elle a aussi fourni des éléments de description des usages linguistiques en milieux multilingues (corpus et statut des langues). L’orientation marquée par la sociolinguistique interactionnelle (Hymes, Gumperz) a permis une étude plus fine des interactions bi-/plurilingues et l’émergence de concepts permettant de décrire des situations langagières particulièrement construites à partir du contact de langues (alternance codique, parler bilingue, répertoire verbal). Il faut noter aussi que l’ethnolinguistique, en grande partie initiée par des africanistes comme M. Houis, a proposé des outils pour analyser, au sein des pratiques sociales, les contacts de langues. Enfin, la psycholinguistique et les recherches en acquisition des langues font porter l’éclairage sur les frontières internes aux sujets et la gestion des passages interlinguistiques (interlangue, transfert, stratégie) (Corder, Selinker).
6 La didactique des langues étrangères, notamment du français langue étrangère et seconde (FLES), a régulièrement été, en tant que discipline « outsider » au sein des sciences du langage, la grande bénéficiaire de ces divers apports conceptuels. Une partie même de sa disciplinarisation repose sur l’application et la transposition de ces concepts dans le champ de l’enseignement des langues étrangères. L’ensemble conceptuel qui relève du contact entre les langues y est traité, tant au niveau méthodologique qu’institutionnel, dans la perspective d’une conscientisation et d’une formalisation, au niveau des sujets et au niveau institutionnel, des écarts entre les langues. L’interrogation menée en didactique sur la progression des apprentissages linguistiques (compétence vs niveau) et la fonction des erreurs (interférences) repose sur cette idée fondamentale du passage réussi. Tout en faisant rupture (par exemple, avec la promotion de l’approche communicative), la didactique du FLE s’inscrit dans la même configuration que celle développée par l’enseignement du français langue maternelle depuis la fin du XIXe siècle. En effet, dans les deux cas, de manière générale, les contacts avec les autres langues ne sont jamais évoqués, et s’ils le sont, c’est dans l’objectif de les maîtriser. De fait, le cloisonnement strict de l’enseignement des langues étrangères favorise ce traitement du contact. Ainsi, la méthode directe dans l’enseignement des langues constitue une des expressions de type pédagogique les plus abouties de cette crainte du mélange et du métissage linguistiques. Une approche plus récente, articulée au projet européen d’harmonisation dans l’enseignement des langues, et portant notamment sur la question des classes bilingues, offre, pour certains chercheurs du domaine, la possibilité d’une didactique du bi-/plurilinguisme qui prenne en compte positivement les contacts tant au plan curriculaire et disciplinaire qu’à celui des apprentissages (Castellotti, Coste & Duverger 2007).
7 Il apparaît ainsi que la question de l’appropriation des langues, et de leur gestion dans le répertoire verbal individuel au sein d’interactions socialement situées et constamment co-construites, doit se replacer dans une relation constante d’interdépendance dynamique entre des individus et des configurations sociales (Élias 1985). Les représentations ordinaires sur les langues, leur histoire, leurs valeurs et leurs relations, les discours (des moins aux plus savants) sur les langues, ainsi que les politiques linguistiques font ainsi pleinement partie de cette question.
8 Le contexte national, au sens des « communautés imaginées » de B. Anderson (2002) est déterminant pour comprendre ce processus d’appropriation et de mise en place des représentations car, entre le début du XIXe et la fin du XXe siècle, la tendance forte est d’instaurer une équivalence, du moins dans les représentations des individus, entre frontières géographiques et linguistiques (Thiesse 1999). D’un point de vue historique, les contacts entre les langues sont souvent associés à des projets politiques de sociétés (colonisation, immigration, multiculturalisme, assimilation, intégration.), auxquelles sont liées diverses institutions (école, justice) ; alors que pour les sujets qui vivent ces contacts de langues à l’intérieur d’eux-mêmes, il s’agit de mémoire (langue d’appartenance, langue maternelle), de relations au regard d’autrui, de mélanges entre les langues, de construction identitaire et/ou de réussite sociale.
9 A contrario, penser les « langues sans demeure », pour reprendre le titre de M. Crépon (2005), ou la « Lingua Franca » [1], la non-langue par excellence, permet de surmonter cette difficulté spécifique de penser les langues à partir d’un temps qui a établi une relation idéologique forte entre langues et identités (Judet de La Combe 2007).
10 Dans la multiplication des relations à l’univers politique, les langues constituent des enjeux de promotion, de pouvoir et de contrôle (Sériot & Tabouret-Keller 2004). De ce point de vue, l’ancienneté de la mondialisation linguistique et culturelle a été déjà bien explorée (Gruzinski 2004). L’Europe de l’Ouest, portée par sa vision conquérante ou « découvreuse » du monde, s’est longtemps posée au centre de ce processus, qui, par ailleurs, a régulièrement provoqué, dans un même mouvement, des harmonisations/adaptations et des différenciations/disjonctions (voir le cas des conquêtes napoléoniennes et la politique linguistique européenne actuelle). Ces principes généraux ne suffisent cependant pas pour saisir les relations particulières entre les langues. Il est nécessaire d’entrer dans la complexité des configurations sociales et politiques au sein desquelles les contacts vont s’organiser.
11 Ce numéro de Langue française se présente donc comme une première approche de la problématique générale du contact entre le français et les autres langues. Il donne la parole à des chercheurs issus de disciplines voisines (linguistes, didacticiens, sociolinguistes, historiens de la linguistique, anglicistes) qui apportent ici une contribution à un nouvel objet de recherche.
12 Le point de vue diachronique, qui met au jour une histoire des contacts du français, permet de comprendre au mieux les enjeux linguistiques, politiques et sociaux qui ont reconnu, organisé, contrôlé ou rejeté ces contacts. Si l’histoire de la linguistique permet en arrière-plan de saisir les enjeux théoriques liés à cette histoire de contacts, elle ne constitue pourtant pas l’objet premier des articles qui constituent ce numéro.
13 Le point de vue synchronique évalue les réalités contemporaines de ces contacts et permet de saisir les formes de bilinguisme/plurilinguisme impliquant le français. Il faut noter aussi le parti pris dans ce numéro de placer le français au centre de la problématique et les autres langues en périphérie. Il ne s’agit pas seulement d’adopter une posture qui s’inscrit dans la continuité même de cette histoire spécifique du français. Il s’agit avant tout d’interroger cette dynamique centrifuge dont on constate encore les effets en francophonie où il est toujours difficile de penser plusieurs centres. Choisir d’étudier le contact du français avec d’autres langues, c’est de toute façon, pour infléchir ce parti pris, envisager la plasticité des frontières linguistiques et le mouvement incessant qui les construit, les déconstruit et les reconstruit en fonction des temporalités et des espaces (Lüdi 1994). Pour les locuteurs, précisément, le mouvement est souvent inversé : schématiquement, leur (s) langue (s) maternelle (s) est (sont) au centre, le français dans une sorte de périphérie mobile.
14 Quelles sont les autres langues en question ? Il parait difficile de faire une histoire sociale du français, au-delà de l’histoire de la langue elle-même, sans, même en creux, faire surgir les rivalités politiques, idéologiques, linguistiques et culturelles qui semblent depuis si longtemps la traverser, que ce soit face au latin (durant la grammatisation du français), aux patois (durant la francisation des Français), à l’allemand (durant l’introduction des langues vivantes au lycée et après 1870), à l’arabe et aux « langues indigènes » et aux créoles (durant la colonisation), plus récemment, à l’anglais (dans le mouvement de globalisation), ou encore aux langues de France (dans la question de l’immigration).
15 Les approches diachronique et synchronique amènent à distinguer une géographie interne (sur le territoire métropolitain) et externe (en dehors du territoire), dans un double mouvement : celui de la diffusion de la langue et celui de la mobilité des populations (surtout dans la seconde partie du XXe siècle). À partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, théories sur le langage, théories politiques et promotion/diffusion du français se répondent dans une forme de synchronisation autour du thème de l’universalité, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des frontières nationales. Ce mouvement est paradoxal : on relève d’un côté une relative démocratisation politique (ouverture) et, de l’autre, une définition nationale et territoriale (fermeture) ancrée dans l’interdépendance des puissances économiques européennes (Angleterre-Allemagne-France). Après la relative homogénéité, au XVIIIe siècle, de cette idéologie linguistique de l’universalité du français, apparaissent, tout au long du XIXe siècle, les défis de la diffusion populaire ; puis, à la fin du XIXe siècle et au XXe siècle, ceux de la subordination politique. Que devient alors cette idéologie ? La colonisation, par exemple, répond avant tout, dans le positionnement européen de l’époque, à une nécessité politique et économique, mais elle offre aussi à la France l’opportunité extraordinaire de réaliser une « suture » idéologique : l’articulation de nécessités économiques industrielles impérialistes à la vocation « missionnaire » de la langue, précédemment élaborée dans le laboratoire révolutionnaire (Balibar & Laporte 1974). Ce que H. Blumenberg (1999) désigne par l’expression d’un « pathos missionnaire et didactique » spécifiquement français, qui permet de mieux comprendre les débats récurrents depuis le XIXe siècle sur la question de l’assimilation.
16 La diffusion (la recherche de nouveaux locuteurs, l’extension géolinguistique) et la promotion (la conservation et l’enrichissement du patrimoine acquis dans un territoire, notamment national) de la langue (Ammon 2007) décuplent l’attention sur la langue elle-même. Or, cette attention pour la langue française est ancienne. Le développement régulier du statut et du corpus du français fait déjà partie de son historiographie, mais aussi de la vulgarisation de son mythe de « langue du roi » [2]. De ce fait, la promotion et la diffusion du français ont partie liée avec la question de la transmission et, plus particulièrement, de l’institution école (Chervel 2006 ; Balibar 1985b), qui met en scène des formes particulières de la langue (Cerquiglini 2007) en fonction des espaces qui sont visés. Le statut des langues écrites qui permettent de fixer les institutions et, par le développement de l’instruction, celui du secteur tertiaire – indispensable au fonctionnement de l’État nation –, s’équilibre alors dans cette rivalité européenne, surtout après 1870. C’est ainsi qu’historiquement, en France, l’ensemble des questions touchant la littéracie en français (Barré-de Miniac, Brissaud & Rispail 2004) doivent être analysées à partir de configurations bi-/plurilingues, où langues maternelles et langues d’enseignement sont en relation étroite (latin-français ; français-patois ; latin-français-patois), même si dans la construction progressive d’une idéologie monolingue l’institution n’en reconnaît pas l’existence, voire cherche à la dénier. L’école apparaît donc aussi comme un lieu très favorable pour observer ces contacts entre les langues, car elle intervient pour les réguler, les interdire. Par exemple, dès le XVIIIe siècle, elle les interprète selon un découpage social en modélisant les pratiques linguistiques orales, et surtout écrites, des élites (le colinguisme français/latin des lycées, Balibar 1985a). Au XIXe siècle, des interdictions plus ou moins contraignantes concernent les langues maternelles (les patois/le français des écoles primaires de la 3e République, Chanet 1996). À la fin du siècle, apparaissent les polémiques autour de la fonction des langues vivantes au lycée (Bréal 1900). Au début du XXIe siècle, l’école présente encore souvent ces contacts français/langues maternelles des enfants issus de l’immigration comme autant d’obstacles à l’apprentissage du français et, de fait, le contact avec les autres langues (celles des enfants, des personnels ou de l’école même, avec les enseignements de langues étrangères) est, de différentes manières, nettement écarté (Galligani 2008). Dans une culture éducative et linguistique (Beacco, Chiss, Cicurel & Véronique 2005) comme la société française contemporaine où domine la relation entre maîtrise de la langue et appartenance à la communauté publique, on voit que l’école joue un rôle majeur dans la construction de la langue de référence (Dabène 1994), le français langue des apprentissages et langue de l’entrée dans l’écrit.
17 C’est, d’un point de vue plus général, cette relation spécifique du français à l’école, son statut revendiqué de langue maternelle, de langue étrangère, de langue seconde, de langue d’enseignement (souvent très éloigné de son statut réel pour les locuteurs, d’un point de vue individuel) qui configure, en fonction des contextes, non seulement les manières d’enseigner le français, mais aussi les représentations partagées sur une langue généralement associée à la culture écrite.
18 La première partie du numéro rassemble trois articles qui proposent des éclairages différents sur l’histoire de la diffusion du français au XVIIIe et XIXe siècles, dans et à partir du territoire national : « De l’‘universalité européenne’ du français au XVIIIe siècle : retour sur les représentations et les réalités » (G. Siouffi) ; « Contact de langues et enseignement des humanités : revisiter le colinguisme » (D. Savatovsky) ; « Mondialisation du français dans la seconde partie du XIXe siècle : l’Alliance Israélite Universelle et l’Alliance Française » (V. Spaëth). Pour les deux premiers, il s’agit de revenir sur les impacts réels et imaginaires produits par les contacts et la rivalité fondatrice entre le français et le latin, aussi bien dans les représentations et réalités linguistiques qu’à l’école. Le troisième propose de montrer que le contact du français avec les langues et les cultures extra-européennes a donné lieu aux premières institutions de diffusion et à un partage idéologique fort.
19 Gilles Siouffi remet en cause les représentations, encore souvent partagées, concernant l’universalité du français en Europe au XVIIIe siècle. Loin d’avoir remplacé le latin comme langue « universelle » de culture, le français, dès la seconde partie de ce siècle, est au contraire pris dans la dynamique produite par la rivalité entre les langues européennes. Cette « dynamique de multiculturalité » favorise la circulation des langues hors frontières et fait émerger une Europe multilingue qui fait apparaître des usages linguistiques différenciés, pour le français même. C’est dans cette période charnière que l’auteur enracine deux traits « du rapport moderne aux langues : la ‘culturalité’ de la langue et le ‘sentiment de la langue’ ». C’est au prix de leur « déterritorialisation » que les langues européennes se constituent comme langues de culture.
20 Dan Savatovsky nous amène à l’école, dans l’enseignement des humanités. Il s’agit pour lui de « revisiter » le concept de colinguisme tel qu’il a été élaboré par R. Balibar, mais en s’attachant plus particulièrement au contact grec-français. Il met ainsi en lumière, à travers notamment l’analyse de travaux d’élèves et d’étudiants ou de libellés de sujets d’examen, l’impact de « l’éducation colingue » dans la mise en place de la culture écrite scolaire française au XIXe siècle et dans la constitution du français comme discipline autonome, contribuant de cette façon à une « anthropologie de l’acculturation scolaire ».
21 Valérie Spaëth compare les deux premières institutions de diffusion du français qui apparaissent au XIXe siècle : l’Alliance Israélite Universelle (AIU) et l’Alliance Française (AF). Elle montre que ces deux associations s’inscrivent dans une configuration plus ancienne où apparaît la tension transmission/appropriation, mais qu’elles radicalisent ce partage sur le plan idéologique et politique. L’AIU visant la « régénération » et l’émancipation des communautés juives du Bassin favorise des formes d’appropriation, quand l’AF visant la « propagation du français dans les colonies et l’étranger » modélise la transmission. La question linguistique interne – quel français diffuser ? – est fortement articulée à ces objectifs et conditionne la prise en compte, ou non, des autres langues en présence. Selon l’auteur, la francophonie contemporaine garderait des traces de ce partage.
22 La seconde partie du numéro présente six études de contextes linguistiques et culturels où le français constitue directement un élément dynamique et problématique de la configuration linguistique. Elles se situent généralement d’un point de vue synchronique, mais ont en commun de puiser dans l’histoire des éléments importants pour l’analyse. Le point de vue adopté, externe, en Europe et hors Europe, contribue aussi à une forme d’unité. Les deux questions qui traversent cet ensemble pourraient être les suivantes : qu’advient-il, en situation de contact avec le français comme langue de référence, des variétés de français, des autres langues, de leur légitimité ? Qu’en est-il des formes de bi-/plurilinguisme au moment où, au Conseil de l’Europe, on prône une éducation au plurilinguisme ?
23 Deux articles généraux posent les cadres différenciés d’une réflexion de type culturel et politique.
24 D’abord, dans le cadre des études post-coloniales, Emilienne Baneth-Nouailhetas s’interroge sur une relation de rivalité recomposée après la décolonisation. Dans « Anglophonie et francophonie : un rapport postcolonial ? », elle montre comment dans le monde anglo-saxon, les études postcoloniales ont largement contribué à construire, d’une part, la réflexion entre langues et questions coloniales et, d’autre part, à refonder des domaines disciplinaires entiers (anglais/littérature). Elle oppose précisément dans cette perspective, en analysant ces concepts dans les littératures respectives, « l’anglophonie » (souvent confondue à des fins culturelles et politiques avec l’anglais comme langue véhiculaire) à la « francophonie ». Ce sont ainsi des « visions du monde » qui sont en rivalité, largement clivées par leur approche respective des faits coloniaux.
25 Puis, dans le cadre de la politique linguistique, Jean-Claude Beacco et Kenza Cherkaoui Messin envisagent précisément dans « Les politiques linguistiques européennes entre multilinguisme et plurilinguisme » la relation entre les politiques linguistiques et éducatives européennes, largement représentées par le fameux Cadre Européen Commun de référence (CECR), et la politique linguistique française à l’égard des langues régionales et des langues de France. Ils montrent que l’écho fait à la reconnaissance de la diversité linguistique n’implique pourtant pas, même à l’école, une véritable prise en charge (répétition) des pratiques linguistiques plurilingues dont le français est partie prenante.
26 Viennent ensuite quatre articles qui contextualisent complètement la question du contact avec le français et constituent des exemples à resituer dans les deux cadres d’analyse précédents.
27 L’article de Michel Francard « Variation diatopique et norme endogène. Français et langues régionales en Belgique francophone » nous fait rester en Europe, et met en évidence un renversement de situation entre le français de France et un français de Wallonie romande. Alors que le premier a constitué la norme et la référence, le second tend actuellement à s’imposer dans les pratiques, les représentations et attitudes linguistiques, notamment chez les jeunes. Selon l’auteur, on assiste donc à une remise en cause des normes de référence au profit de normes endogènes, dont la valeur identitaire semble forte.
28 Georges Daniel Véronique, dans une contribution qui porte sur « Les créoles français : dénis, réalités et reconnaissances au sein de la République française » propose, en creux, une lecture des politiques linguistiques successives du français face aux langues des différents territoires de la République. Il montre la relation complexe, d’un point de vue linguistique et sociolinguistique, entre le français et les créoles français. C’est aussi, selon lui, dans la relation à l’écriture et à l’école que se révèlent des tensions propres aux Départements d’Outre-Mer et à la République française.
29 Dans son article intitulé « De la mission civilisatrice du français en Afrique à sa mise en discours post-coloniale », Cécile Canut revient sur les cadres discursifs coloniaux, sous-tendus par les rapports de domination politique et linguistique, et l’émergence chez les élites de la Négritude et de la Francophonie, qui laissent entrevoir une possibilité d’existence pour les langues africaines. Elle se propose ensuite d’analyser, dans un mouvement comparatif, les nouvelles configurations discursives représentées actuellement au Sénégal et au Mali où apparaît une nouvelle posture face au français et aux langues nationales, cherchant ainsi à dégager « la polyphonie discursive » propre à ce type de productions.
30 Enfin, cette seconde partie s’achève sur un article de Mohamed Miled qui nous amène aux confins de la sociolinguistique et de la didactique à travers un sujet très sensible, « Français et arabophonie ». Le statut très mobile du français au Maghreb, corrélé à la réalité sociolinguistique de ses usages parmi les arabophones, constitue un défi pour les différents systèmes éducatifs. Ce défi doit leur permettre d’envisager positivement les formes de bilinguisme sociétal et doit les amener à envisager une convergence méthodologique dans l’enseignement du français.
31 Loin d’être exhaustif sur la question, le numéro proposé prétend d’abord poser un regard général, qui permet aussi de rendre compte de l’état actuel de la recherche en ce domaine, qui reste assez parcellaire et éclatée, mais auquel ce travail collectif permet de donner sens. Il appellera nécessairement d’autres recherches et une exploration plus fine des différents contextes.
Bibliographie
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Notes
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[1]
Une non-langue, mais une parole vive, qui surgit au devant de la scène historique au XVIe siècle, dans le bassin méditerranéen comme un espace singulier de délimitation et de confrontation/négociation des paroles singulières, et qui révèle en creux la vitalité des plurilinguismes européens d’une époque « pré-nationale » (Dakhlia 2008 ; Siouffi 2010).
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[2]
Cette représentation constitue un indice fort, bien que procédant par un raccourci idéologique qu’il faudrait sans doute, une fois déconstruit, ré-historiciser. Un défaut d’optique nous amène régulièrement à repenser rétrospectivement, de manière co-occurrente, cette époque, dans le prisme matérialiste jacobin (les langues, le français-les patois, comme des fractures irréductibles qui n’auraient, par exemple, jamais vraiment permis une forme de bilinguisme) ou dans le prisme de la décolonisation/la fin des impérialismes (le français imposé à tous créant des formes diglossiques des usages linguistiques).