1 Le présent numéro s’inscrit dans la continuité des nombreuses études qui, ces dernières années, ont tenté d’appréhender les propriétés des diverses formes qu- et leur fonctionnement syntaxique. Les contributeurs ont d’ailleurs tous une large expertise dans le domaine des divers emplois des proformes indéfinies (PI). Son objectif est d’explorer plus à fond, par des études couvrant un large éventail de formes et de constructions, la pertinence d’une appréhension unitaire des proformes indéfinies et les implications d’une telle saisie sur les notions d’indéfinition, de (non-) assertion ou de subordination.
2 Au cours des dix dernières années, de nombreuses contributions ou recueils d’études ont traité sous de multiples points de vue des questions abordées ici. Ainsi, le numéro 139 de Langue française (La grammatisation du français : qui que quoi vs qui (s) quod entre XVIe et XVIIIesiècles, Colombat ed. 2003) s’intéresse aux ‘indéfinis’ qui/ que/ quoi dans la perspective du processus de grammatisation du français à partir d’un moule latin et ceci à travers la tradition grammaticale et lexicographique latine et française. Les auteurs proposent en conséquence une analyse fine de la manière de traiter ces formes par les grammairiens et les lexicologues dans la tradition latine et la tradition française du XVIe au XVIIIe siècle. Le numéro XXIV-4 de Verbum (Interrogation, indéfinition, subordination, Le Goffic ed. 2002) traite également des formes qu- et propose une série de contributions traitant plus spécifiquement du rapprochement des classes des relatives, des ‘intégratives’ et des ‘percontatives’. La préoccupation centrale de la plupart des contributions est la caractérisation adéquate des mots en qu- comme « marqueurs d’opération ». Enfin Lexique (Le Goffic ed. 2007) est ciblé sur la communauté de fonctionnement des mots en qu-, notamment dans les emplois d’interrogatifs et de subordonnants. Un des objectifs du numéro est de montrer que ce qui constitue les mots en qu- en une famille, ce n’est pas prioritairement leur signifiant mais leur communauté de fonctionnement.
3 Les termes en qu- (qui, que, quoi, quel, où, quand, comme, comment et combien) non seulement jouent un rôle central dans la modalisation d’énoncés (cf. leur rôle dans l’interrogation et l’exclamation) mais fournissent aussi en français la totalité – mis à part si – des connecteurs interpropositionnels « synthétiques ». Leur éparpillement dans diverses catégories – déterminant, pronom, adverbe ou relatif, interrogatif, exclamatif ou comparatif, particule, conjonction – est mal fondé et depuis longtemps contesté (cf. déjà Martin 1967 ; Moignet 1967). « Que de que ! » titrait déjà Henri Bonnard (1968 : 13). Aussi, depuis près de quarante ans, l’analyse de leurs propriétés sémantico-syntaxiques et l’interprétation de leur fonctionnement dans la phrase nourrissent le débat linguistique. Mentionnons par exemple la controverse suscitée dans les années 1970-1980 par le complémenteur, l’élément COMP postulé par la grammaire générative (cf. Kayne 1974 ; Obenauer 1976), présent de façon sous-jacente dans les relatives, les interrogatives indirectes, les complétives et les circonstancielles. Et actuellement, les formes en qu- sont étudiées dans leur rapport avec l’ensemble de la classe des indéfinis, en particulier pour leur fonctionnement comme terme à polarité ou terme de libre choix (cf. e.a. Haspelmath 1997 ; Vlachou 2006 ; Tovena, Déprez & Jayez 2004 et Jayez & Tovena 2005).
4 Aujourd’hui, dans le prolongement des travaux de Muller (1996a) ou de Le Goffic (e.a. 1993 ; 1994 ; 2002 ; 2007), un certain consensus semble se dégager pour explorer plus à fond la piste d’une saisie unitaire des formes qu- à partir de leur fonctionnement de « pronom », « pronom réduit » ou de « conjonction » (Muller 1996a : 38-40). Ces proformes indéfinies ont la capacité de remplir le rôle fonctionnel d’une catégorie syntaxique et renvoient chacune à une catégorie ontologique fondamentale. Elles seront analysées soit comme des marqueurs de variable qui engagent « une opération de parcours » (Le Goffic, 2002), soit comme des morphèmes caractérisés par « une identification lacunaire d’un référent, qui ne peut être spécifiée qu’à travers un apport matériel externe » (Pierrard & Léard 2006).
5 Une telle approche implique des conséquences importantes qui doivent être analysées plus en profondeur : on en déduira par exemple que ces proformes indéfinies possèdent non seulement un même statut catégoriel mais qu’elles génèrent également
- des propriétés sémantiques similaires ;
- et/ou des rôles syntaxiques parallèles, en particulier dans la modalisation et la connexion de prédications.
7 L’ampleur de ces convergences et leur impact sur l’appréhension d’une série de concepts sémantico-syntaxiques doivent toutefois être testés sur un large éventail de constructions, dans la mesure où l’orientation proposée soulève encore une série d’objections pratiques et ouvre des débats autour de notions théoriques cruciales en sémantique et en syntaxe.
8 1. La démarche évoquée ici pose en premier lieu une série de questions concernant l’extension du domaine impliqué. Ces questions touchent fondamentalement au rapport entre le statut de proforme indéfinie et le fonctionnement de ces morphèmes dans la prédication.
9 1.1. Jusqu’où peut-on aller dans l’incorporation des formes dans la classe des PI ? Considérons les exemples suivants :
(1) a) Je pense que Paul viendra.
b) L’homme {qui est venu hier/que tu as vu hier} est mon frère.
c) Paul est aussi grand que Jean.
11 Doit-on considérer que la ‘conjonction’ que (1a) peut être rattachée aux PI ? Quelles en seront les modalités et surtout les conséquences pour l’interprétation de son fonctionnement ? Le statut du que ‘comparatif’ (1c) est lui aussi controversé (Muller 1996c : 245-248). Enfin, les formes qui/que en (1b) sont traditionnellement analysées depuis Kayne (1975) comme une variation du complémentiseur QU- (cf. aussi Blanche-Benveniste et al. 1990 ; Hirschbühler & Labelle 1996 ; Kahane 2002) et ne feraient donc pas partie du paradigme des PI.
12 1.2. Retrouve-t-on les caractéristiques des PI dans l’ensemble des constructions où ces formes sont utilisées ? De fait, l’extraordinaire expansion des constructions impliquant des PI semble entraîner un délitement de leurs propriétés de base :
(2) a) Je partirai quand tu partiras.
(incidence ou cooccurrence : « au (même) moment où »)
b) Quand la salle fut vide, on ferma les portes.
(coïncidence-antériorité : « une fois que »)
c) Quand on est maladroit comme ça, on reste chez soi.
(condition : « si »)
(3) a) J’agirai comme tu agiras.
(identité de manière)
b) Comme caissière, Léa est excellente.
(qualité)
c) Comme ses raisons paraissaient bonnes, on s’y rendit.
(cause)
14 À première vue, les emplois ‘conjonctionnels’, voire ‘prépositionnels’ (3b) de quand et comme en 2b-c et 3b-c sont déjà fort éloignés des emplois ‘intégratifs’ (2a/3a) qui peuvent encore être ramenés à un fonctionnement de PI (Benzitoun 2006 ; Léard & Pierrard 2003).
15 2. Le regroupement de l’ensemble des morphèmes considérés au sein d’une seule et même classe et surtout les propriétés sémantico-syntaxiques qui y sont associées suscitent une série de réflexions autour de concepts théoriques se rapportant une fois de plus à l’interaction entre indéfinition et prédication (cf. Corblin, Ferrando et Kupferman 2006).
16 2.1. Un premier domaine d’exploration touche au lien des PI avec différentes séries d’expressions indéfinies (EI) en qu- (qu- que ce soit, n’importe qu-, je ne sais qu-, quiconque, quelque : cf. e.a. Paillard 1997 ; Blanche-Benveniste 2003 ; Vlachou 1996 ; Muller 2006), qui peuvent fonctionner comme terme à polarité (qui que ce soit) ou terme de libre choix (n’importe qui). Ces expressions ont une PI dans leur base et sont également considérées comme des indéfinis. Or, les PI et les EI ne peuvent commuter :
(4) a) Le garçon {qui/ *qui que ce soit} est venu hier est l’ami de ma sœur.
b) Ils achètent {n’importe quoi/ *quoi} {n’importe où/ *où}.
18 Quelles conclusions tirer de cette confrontation pour la spécification du concept même d’indéfinition et pour le fonctionnement des expressions indéfinies ? La spécification de ces deux sous-classes d’indéfinis ne peut se concevoir qu’au sein de la prédication : « L’indéfini, et ceci l’oppose au défini, n’est pas une expression qui déterminerait son interprétation “indépendamment” de la proposition dont il remplit un argument » (Corblin, Ferrando & Kupferman 2006 : 7).
19 2.2. Et précisément, dans la prédication simple, le rapport des PI avec l’assertion mérite d’être creusé. En effet, un des contextes d’emploi les plus fréquents des PI se trouve dans une phrase indépendante non assertive, ou en périphérie d’une proposition assertée (cf. Lefeuvre 2006a ; Pierrard & Léard 2006) :
(5) a) Tu regardes quoi ? – Je regarde Le Voleur de Bicyclette de De Sica.
b) Comme il fait beau !
(6) a) C’était toujours un journal de droite, bon d’accord, mais libéral, quoi. (I220, Chourmo)
b) Il a réussi et comment !
21 Dans cet emploi en indépendante, les proformes ont la particularité de ne pas pouvoir être assertées, contrairement aux expressions indéfinies qui peuvent l’être dans certaines conditions :
(7) a) *Qui/ n’importe qui peut résoudre cette question.
b) Tu lui donneras *quoi/ n’importe quoi.
23 Les PI ne peuvent pas se stabiliser sur une ou plusieurs valeurs de la relation prédicative. Elles balaient tous les éléments d’une classe sans jamais s’arrêter sur un élément précis. Une proposition qui comporte un tel mot ne possède pas de valeur de vérité. En revanche, avec des pronoms tels que quelqu’un, quelque chose, on est assuré qu’un élément au moins pourra valider la prédication, ce qui rend possible l’assertion des énoncés où ils apparaissent :
(8) a) Quelqu’un est venu.
b) Tu regardes quelque chose.
25 Ces mots tels que quelqu’un et qui sont des variables en ce qu’ils ne correspondent pas par eux-mêmes à un élément précis d’une classe mais à une classe d’occurrences. Mais avec l’un, l’assertion est possible, alors qu’avec l’autre, elle est impossible.
26 2.3. Enfin, le rôle que jouent les PI dans la connexion de prédications (Muller 1996a ; Pierrard 2005) mérite d’être reconsidéré à la lumière du statut proposé pour les formes en qu-.
27 Souvent en effet, les PI se trouvent à l’intersection de deux propositions et semblent alors remplir la fonction d’un subordonnant. Or, ce qui les caractérise spécifiquement en connexion de prédications, c’est qu’elles établissent un lien entre ces prédications, soit en co-saturant des arguments dans les deux prédications (9a-b), soit en instaurant un rapport sémantique hiérarchisé de type source/ antécédent (10a) ou avant/ après et comparé/ étalon (10b) :
(9) a) J’aime qui m’aime/ J’aime ce que tu aimes.
b) J’irai où tu iras / Quand on veut, on peut.
(10) a) Voilà le livre qui m’avait été demandé
b) Il m’a téléphoné quand il est arrivé en France.
29 Dans cette optique, la ‘subordination’ serait une opération complexe, produit d’une combinaison de divers paramètres (rôles sémantiques, place syntaxique, réduction de la prédication, …). La saturation d’un argument du prédicat support (9a-b) par un élément qui est aussi argument du prédicat apport (11),
(11) Préd 1 <= qu- argument de Préd1/2 <= apport prédicatif particulier de Préd2.
(Je parlerai <= à qui <= tu parleras)
31 tout comme ensuite la hiérarchisation de la concomitance sous la forme d’un rapport source/anaphore (10a) ou avant/après (10b) ne constituerait dès lors qu’un des paramètres de cette opération. Plaident sans doute dans ce sens les emplois des PI où la valeur ‘subordonnante’ de la construction ne s’impose pas :
(12) a) Et Jean qui n’est pas encore là.
b) Il a récupéré ses bagages, après quoi nous sommes passés à la douane.
c) Ils se préparaient à gagner l’intérieur de l’île en remontant le rio, quand, soudain, une ombre se dressa devant eux. [Verne, Robur le conquérant]
33 Ces observations recoupent de vifs débats parmi les linguistes sur la pertinence même de la notion de subordination pour embrasser la totalité des relations multiples marquées par des ‘subordonnants’ (cf. Lehmann 1989 ; Koch 1995).
34 L’ensemble des textes de ce recueil doit donc se lire à partir d’une grille d’analyse qui oriente l’observation sur deux problématiques et qui fédère ainsi les diverses études particulières :
- l’évaluation de la pertinence du cadre d’appréhension unitaire proposé et des problèmes qu’il pose au niveau d’une large gamme de marqueurs et de constructions. Il s’agit à la fois de la place des morphèmes particuliers dans le paradigme global des proformes en qu-, ceci autant sur un plan sémantique que sur un plan syntaxique, et du statut catégoriel des proformes en qu-, ce qui inclut la question de l’unicité morphologique d’un morphème, sa grammaticalisation et sa réanalyse éventuelle mais aussi plus généralement l’étanchéité de la séparation entre proformes et conjonctions.
- la réflexion concernant le lien entre relations syntaxiques et classes grammaticales particulières, posé à travers les fonctionnements syntaxiques apparemment souvent hétérogènes des PI, ce qui pose la question des diverses implications théoriques de l’approche proposée : les rapports avec la subordination, la (non-) assertion et la modalisation, les marqueurs d’indéfinition, …
36 3. Voyons plus précisément de quels types de proformes et de tournures syntaxiques traitent ces huit contributions. Ce recueil s’ouvre sur l’article deClaude Muller qui dresse un vaste panorama des formes en qu-, leur attribuant deux propriétés fondamentales, l’indéfinition dans la sélection des individus d’un ensemble et la contrainte de double prédication. Celle-ci est illustrée notamment dans les relatives sans antécédent où le mot en qu- épouse une double fonction (COD du premier verbe et sujet du second dans J’interrogerai qui se présentera en premier). Elle se retrouve également dans les relatives à antécédent où la relation épithétique à l’antécédent s’ajoute à la relation argumentale dans la subordonnée et même dans les conjonctives en que avec une double relation de dépendance, que constituant le pivot de la rection du verbe conjugué de la matrice et induisant un lien de type cataphorique par rapport au verbe de la subordonnée. La vocation de ces formes à introduire des subordonnées n’est pas la seule puisque ces formes se retrouvent dans les emplois interrogatifs qui peuvent également s’expliquer comme une double prédication (la première correspondant au contenu propositionnel et la deuxième au savoir de ce qui est vrai et de ce qui est faux). Seuls les pronoms ou déterminants indéfinis échappent aux contraintes de la double détermination grâce à des extensions morphologiques – quelqu’un, qui que ce soit, n’importe qui.
37 S’ensuivent trois contributions sur le ou les « que » du français.
38 José Deulofeu s’intéresse à la forme que dans des emplois non standards répertoriés dans le français parlé, que en tant que « circonstant universel » (c’est laid que ça en peut plus), que articulant deux énonciations autonomes (ça nous a fait des frais que là les sous ils sont encore partis), que introduisant une principale, notamment dans le cas de la subordination inversée (il me le demanderait à genoux que je ne cèderais pas). La difficulté d’analyse de ces énoncés vient de la volonté de les traiter comme des extensions de la notion de rection. Après avoir soutenu qu’il est difficile de voir en ce que un adverbe relatif indéfini (Le Goffic 1993) ou un relatif de liaison (Moline 1994), l’auteur montre que ce que est une conjonction qui fonctionne à la fois comme marqueur de dépendance grammaticale en microsyntaxe et de relation discursive entre énonciations en macrosyntaxe.
39 Pierre Le Goffic se penche sur le complétif que. Son étude postule que ce mot fait partie intégrante des mots en qu-, qui sont des introducteurs de variable, ce qui fait d’eux, par nature, non seulement des interrogatifs mais aussi des instruments potentiels de subordination. La « conjonction » que ne constitue pas en effet un terme vide mais bel et bien un pronom employé de façon abstraite, un intégratif non humain (vs qui humain (qui vivra verra)), attribut de la subordonnée P avec ellipse de la copule dans les complétives en que P (je crois qu’il va pleuvoir), et un relatif neutre attribut de P avec ellipse de ‘est’ dans les complétives en ce que P (je tiens à ce que vous veniez). Cette analyse permet de donner une description unifiée de ces deux types de complétives.
40 Michel Pierrard s’interroge sur le statut catégoriel de que dans les comparatives équatives (Robert est aussi intelligent que Maria) en situant le fonctionnement de cet élément par rapport aux diverses propriétés associées aux formes identifiables comme des proformes indéfinies. S’appuyant sur le fait que ces proformes se situent au croisement de deux prédications, il examine le statut de que équatif en premier lieu de façon interne, au sein de la prédication 2 (que Maria) et en second lieu de façon externe, au sein de la prédication 1 (Robert est aussi intelligent que). D’un point de vue intraprédicationnel, que ne s’apparente ni au translateur (/conjonction) que ni aux proformes réduites que sont les relatifs, mais s’assimile à une proforme indéfinie avec laquelle il partage plusieurs propriétés ; en revanche, d’un point de vue extraprédicationnel, que diffère des proformes indéfinies en ce que la tête catégorielle n’est pas constituée par cet élément mais par le marqueur repère (aussi). Que équatif s’apparente plutôt à un corrélatif : les deux marqueurs MRep (marqueur du repère) et MEtal (marqueur de l’étalon) se caractérisent par une complémentarité syntaxique et sémantique. Ce rapport instauré entre les deux éléments corrélés assure, par la même occasion, la connexion entre les prédications.
41 Les quatre articles suivants examinent des proformes indéfinies particulières. Florence Lefeuvre et Corinne Rossari étudient la proforme quoi régime de préposition lorsqu’elle anaphorise une structure prédicative (Il déjeuna. Après quoi il partit). Elles mettent en évidence, dans cette configuration, la perte de plusieurs propriétés du mot quoi – signe d’une grammaticalisation en cours – et défendent l’idée que, dans ce type de schéma, quoi oscille entre un statut de pronom subordonnant relatif et un statut de pronom indéfini non subordonnant. Cinq types de groupes en préposition + quoi P se dégagent en fonction de la perte progressive des propriétés de subordonnant de quoi. Dans le premier, le démonstratif ce est fortement souhaitable comme antécédent de quoi (Ce à quoi il parvint) et joue un rôle prédicatif ; dans le deuxième, ce est facultatif (Ce en quoi il a raison / Ce à quoi elle répliqua que P), peut jouer un rôle prédicatif avec la préposition en mais pas avec à. Le troisième et le quatrième groupe comportent les énoncés où ce est impossible et distinguent ceux où le groupe prép. + quoi (à quoi) occupe une place argumentale de ceux où le groupe prép. + quoi joue le rôle d’un circonstant, induisant des relations de discours avec l’énoncé précédent. Enfin, dans le cinquième groupe surviennent des énoncés en prép. + quoi qui acceptent la modalité interrogative, quoi pouvant alors s’assimiler à un pronom indéfini.
42 Estelle Moline passe en revue les différents emplois de comme pour savoir s’il s’agit d’une proforme indéfinie. Comme peut être vu comme une proforme de manière pour rendre compte du fonctionnement d’un nombre important de constructions, caractérisées par une indéfinition fondamentale, laquelle engendre une impossibilité d’asserter. C’est le cas des emplois relatifs de comme, sans support nominal (Il se comporte comme un imbécile) ou avec support nominal (Voilà un roman comme tu les aimes). C’est le cas également des emplois exclamatifs de comme et, pour les quelques exemples attestés, de comme interrogatif ou concessif (comme que P). Pour tous ces emplois, il n’est pas possible d’ajouter un adverbial de manière. En revanche, pour d’autres, comme ne peut pas être considéré comme une proforme : c’est le cas des emplois où il est nécessairement suivi d’un objet P complet, mais où les propositions (d’analogie, circonstancielles et énonciatives) ne sont pas sujettes à ellipse, des emplois de grammaticalisation (N comme quoi P / V comme quoi P) de comme qualifiant (comme médecin, il est tenu au secret médical) et de comme métalinguistique (il grimpait comme magiquement). Un des arguments avancés est que la présence d’un adverbial de manière ne modifie pas pour ces énoncés leur acceptabilité.
43 Ce sont les expressions en où que P et n’importe où, renfermant la proforme indéfinie où, qui retiennent l’attention de Pascale Hadermann. En s’appuyant essentiellement sur le cadre développé dans Muller 2006 & Muller 2007, elle montre que où que P, partiellement lexicalisé, connaît encore une grande diversité formelle et continue à véhiculer la valeur de concessive hypothétique. Où que P se rapproche des termes à polarité et, dans une moindre mesure, des expressions de libre choix, sous condition d’une intégration plus poussée. N’importe où, nettement engagé dans le processus de lexicalisation, accepte plusieurs degrés d’intégration à Q : élément associé (rare), adjoint ou complément locatif. Il assure essentiellement le rôle de marqueur de libre choix se comportant comme un quantifiant universel et fonctionne exceptionnellement comme terme à polarité.
44 Christophe Benzitoun réfléchit quant à lui au statut catégoriel de quand, à l’aide des critères suivants : présence d’un trait sémantico-référentiel, possibilité d’être suivi par un infinitif, par la tournure c’est que / est-ce que, par le mot que et possibilité d’être précédé par une préposition. Si quand interrogatif semble sans problème constituer une proforme, l’auteur préfère avoir recours à un large corpus pour savoir ce qu’il en est des emplois non interrogatifs. Il ressort de l’étude que quand relève alors également de la catégorie de la proforme, même si les critères définis ne peuvent pas s’appliquer systématiquement à tous les exemples.
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