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Article de revue

Psychomécanique et évolution de signifiant : le cas du coordonnant négatif à l'aube du français moderne

Pages 84 à 97

Notes

  • [1]
    Le terme de sémiologie apparaît pour la première fois chez F. Saussure (Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 5e édition, [1915] 1955, « introduction », p. 33) comme l'étude des signes en général, et des signes linguistiques en particulier. On le retrouve dans les Leçons de linguistique de G. Guillaume, où il désigne l'ensemble des « signes [équivalents guillaumiens des signifiants saussuriens] dont on se sert pour signifier la construction psychique qui s'est déterminée dans l'esprit » (LL, I, 143, cité par A. Boone et A. Joly, Dictionnaire terminologique de la systématique du langage, Paris, l'Harmattan, 1996, art. SÉMIOLOGIE, p. 373). C'est cette dernière acception que, pour notre part, nous retiendrons, le terme de « sémiologie » renvoyant ici à la forme du signe guillaumien, autrement dit, en termes saussuriens, à la forme du signifiant.
  • [2]
    C. Marchello-Nizia, Histoire de la langue française aux XIVe et XVe siècles, Paris, Bordas, 1979, p. 285.
  • [3]
    Pour s'en tenir aux ouvrages et non aux articles, voir A. Queffélec, 1985, La Négation en ancien français, Thèse de doctorat d'État, Université de Paris IV, 5 vol., pp. 926-927 notamment, et surtout O. Soutet, Études d'ancien et de moyen français, Paris, PUF, 1992, pp. 235-241.
  • [4]
    Du Cours de linguistique générale de F. de Saussure jusqu'aux travaux de linguistique diachronique les plus récents, notamment les travaux portant sur les processus de la réanalyse et de la grammaticalisation, c'est en effet presque toujours l'explication phonologique (ou, à défaut, l'explication par l'analogie) qui, lorsqu'explication il y a, est mise en avant. Voir F. de Saussure, ouv. cit., chapitre IV, « l'analogie », p. 231 : « C'est d'elle [l'analogie] que relèvent toutes les modifications normales de l'aspect extérieur des mots qui ne sont pas de nature phonétique ». Pour les travaux de linguistique diachronique récents, voir, entre autres, B. Heine et M. Reh, Grammaticalization and reanalysis in African Languages, Hamburg, Helmut Buske, 1984, p. 21 notamment ; ou C. Lehmann, Thoughts on grammaticalization (LINCOM studies in Theoretical Linguistics 01), München/ Newcastle, Lincom Europa, 1995, chap. 4.
  • [5]
    Cela n'est pas étonnant, tant, dans les raisonnements qui soutiennent la linguistique psychomécanique, un lien est toujours postulé entre la forme - c'est-à-dire la « sémiologie » – et la signification – c'est-à-dire, le « psychisme ».
  • [6]
    Le terme de « psychographie », forgé sur celui de « psychomécanique », est un cas particulier de « psychosémiologie » guillaumienne, appliqué à un corpus exlusivement écrit. (Sur la « psychosémiologie » chez Guillaume, voir A. Boone et A. Joly, ouv. cit., art. PSYCHOSÉMIOLOGIE, pp. 354-355. Il y est rappelé que « Guillaume distingue la psychosystématique, “qui a pour objet les constructions de pensée dont se compose la langue” et la psychosémiologie, “qui a pour objet – ce qui est autre chose – la découverte, la trouvaille, de signes capables de suffire à l'expression, partie par partie, desdites constructions de pensée” (LL4 20) »). Dans la continuité de la psychosémiologie guillaumienne, nous désignons, par « psychographie », toute graphie en adéquation avec le signifié de langue à représenter. Se situant dans une autre perspective que la perspective psychomécanique, N. Catach, dans L'Orthographe française à l'époque de la Renaissance, Genève, Droz, 1968, p. XVIII, évoque le phénomène considéré sous l'étiquette de « variation signifiante » : « Certaines des variantes [graphiques] sont ordinaires, standard, ou, si l'on veut non signifiantes pour l'utilisateur (comme écrire clef ou clé, j'essaierai ou j'essayerai aujourd'hui). Les autres sont signifiantes pour l'époque ».
  • [7]
    Le terme métaphorique d'« atmosphère », lancé par J. Damourette & E. Pichon, Des mots à la pensée : essai de grammaire de la langue française, Paris, D'Artrey, 1911-1940, VI, § 2244, constitue chez ces auteurs un équivalent imagé d'« environnement sémantique ». Repris dans les études guillaumiennes – notamment chez G. Moignet, Grammaire de l'ancien français, Paris, Klincksieck, 1984, p. 332, ou chez O. Soutet, ouv. cit., p. 238 – au titre des « atmosphères non pleinement positives », ce terme désigne, dans le cadre de cette collocation, tout environnement sémantique qui, sans contenir de marques grammaticales de négation, présente des éléments virtualisants, c'est-à-dire des éléments suspendant l'effectivité du procès évoqué.
  • [8]
    Au sens guillaumien de ce terme, tel que le définit O. Soutet dans ouv. cit, p. 264 : « Thétique (théticité). Litt. : “qui pose”. Terme de linguistique guillaumienne parfois synonyme d'“actualisant” ».
  • [9]
    Voir O. Soutet, ouv. cit., p. 239 et suiv.
  • [10]
    Au sens de M. Molho, « L'hypothèse du formant », Mélanges J. Stéfanini, 1988, p. 291-303, notamment p. 291 : « Nous appelons formants [...] des éléments ou particules qui, intervenant dans la structure d'un signifiant donné, se réitèrent en plusieurs autres », en l'occurrence, au sein du couple ne/ni, mais également au sein du couple marquant l'hypothèse se/si.
  • [11]
    Voir O. Soutet, ibid, p. 239.
  • [12]
    À ceci près que le corpus examiné par O. Soutet dans ouv. cit. ne comprend que deux textes (les Mémoires de P. de Novarre, de la première moitié du XIIIe siècle ; les Mémoires de Commynes, du XVe siècle) et que l'hypothèse du formant [e central / i] mériterait d'être testée, pour la période médiévale, sur un corpus plus vaste.
  • [13]
    D'où l'absence de références éditoriales.
  • [14]
    Ainsi dans la séquence figée ni même, indifféremment orthographiée ni/ny même (mesme, mêmes, mesmes).
  • [15]
    Voir à ce sujet N. Catach, ouv. cit., pp. 99, 100, 105, 111 et suiv., 256.
  • [16]
    Au sens de N. Catach. Voir notre note 6.
  • [17]
    Pour plus de précisions sur l'histoire du y grec dans les retombées classiques du débat orthographique, voir N. Catach, ouv. cit., pp. 241-244.
  • [18]
    Dans FRANTEXT, on trouve encore quelques occurrences du coordonnant ne en construction libre pour le premier quart du XVIIe siècle. Voir par exemple O. de Serres, le Théâtre d'agriculture, 1603, t. 1, pp. 172 et 189. Mais passé la première décennie du XVIIe siècle, le nombre d'occurrences se raréfie au point de ne plus devenir signifiant.
  • [19]
    La dernière occurrence de cette séquence figure dans Molière, Le Malade imaginaire, 1673.
  • [20]
    Voir H. Bonnard, Grand Larousse de la langue française, art. CONJONCTION, p. 896.
  • [21]
    Voir M.K. Pope, From Latin to Modern French, Manchester, Manchester Univ. Press, [1934], 1952, p. 216 ; E. & J. Bourciez, Phonétique française, étude historique, Paris, Klincksieck, 1967, p. 82 ; P. Fouché, Phonétique historique du français, Paris, Klincksieck, 2e éd., 1969-1970, [1952], 3 vol., p. 440.
  • [22]
    Voir à ce sujet O. Soutet, ouv. cit., p. 237, qui ne rapporte cette explication que pour la mettre en cause.
  • [23]
    Voir à ce sujet Ph. de Vigneulles, Les Cent Nouvelles nouvelles, 1515, où l'on trouve 8 occurrences de la séquence élidée ne n', et 24 occurrences de la séquence pleine ne ne, ainsi que l'Anonyme Voiage et pélerinage de sainte Caquette, 1518, qui présente une occurrence de la séquence pleine.
  • [24]
    Ainsi chez Ph. de Vigneulles, où les occurrences du signe ny (-i) restent assurément minoritaires par rapport aux occurrences du signe ne coordonnant négatif (11 occurrences de ne pour les quatre premières Nouvelles, Prologue compris, 2 occurrences de ni pour la totalité de l'œuvre, dont 1 seule jusqu'aux quatre premières Nouvelles, 12 occurrences de ny pour l'entier du recueil, dont 2 pour le Prologue et les quatre premières Nouvelles ; soit, en valeur relative, pour la tranche retenue [Prologue + Nouvelles 1, 2, 3, et 4] : 78,5 % de ne, 14,5 % de ny et 7 % de ni). Les formes ny et ni apparaissent dans des configurations où la désambiguisation catégorielle n'est pas de mise. Voir par exemple les occurrences de la tranche [Prologue + Nouvelles 1, 2, 3, et 4] : – en monstrant que on n'ai dit ni faict chose du passez qui semblable ne se puisse aujourd'huy faire ou dire (« Prologue ») ; - ne mirent autre chose au feu en pot ny en rot (« Nouvelle 4 ») ; – et n'en povoient manger ni avaller (« Nouvelle 4 »).
  • [25]
    G. Antoine, La Coordination en français, Paris, d'Artrey, 1962, T. II, p. 1024, n. 2.
  • [26]
    Au sens de S. Auroux, Histoire des idées linguistiques, Liège, Mardaga, 1992, T. II, p. 28.
  • [27]
    F. de Vaugelas, Remarques sur la langue française, [1647], Genève, Slatkine Reprints, éd. J. Streicher, 2000, p. 36.
  • [28]
    G. Antoine, ouv. cit., p. 1025.
  • [29]
    Voir FRANTEXT, G. Sand, Correspondance, 1830 :
    – J'ai vu ici une dame arrivant de la Capitale avec une robe faite en redingote d'homme (le corsage s'entend) et un jabot garni de dentelle, attaché avec des boutons d'or, ne plus ne moins qu'un garçon (p. 619).
    – je reste à tes polissons de genoux, ne plus ne moins que le pasteur galant qui [...]
  • [30]
    A. Queffélec, ouv. cit, pp. 926-927 notamment.
  • [31]
    L'expression est explicitement référée, chez O. Soutet, à la notion de « négation de virtualité » décrite et théorisée par R. Martin dans « la “Négation de virtualité” du moyen français », Romania, 93, 1972, pp. 20-49. La « négation de virtualité » correspond à une saisie précoce du mouvement de pensée, exprimé par ne, qui va du plus vers le moins.
  • [32]
    Voir O. Soutet, ouv. cit., p. 238.
  • [33]
    Voir O. Soutet, ouv. cit., p. 239. Pour une description complète de la négation (ou « mouvement de pensée allant du plus vers le moins ») dans les études guillaumiennes, voir A. Boone et A. Joly, ouv. cit., art. NÉGATION, pp. 285-286).
  • [34]
    Au sens guillaumien de « marqueur confirmant le mouvement de négativation enclenché par un autre morphème » (en l'occurrence, l'adverbe ne). Chez J. Damourette et E. Pichon, [1911-1940], à qui revient la paternité du mot « forclusif », le terme considéré désigne bien, initialement, le « second morceau de la négation » (t. I, § 116), mais il s'applique ensuite à l'ensemble des mots ayant pour fonction de « classer ce qu'ils expriment hors du champ de ce qui est aperçu comme réel ou réalisable » (t. VI, § 2241). C'est au sens restreint - retenu par la psychomécanique - de « second morceau de la négation », et à lui seul, que nous référons ici. Parallèlement, nous conférons dans cet article au terme de « discordantiel » le sens guillaumien de morphème enclenchant « un mouvement de pensée qui va du plus vers le moins » (R. Martin, « art. cit. », p. 41 ; G. Moignet, Systématique de la langue française, Paris, Klincksieck, 1981, p. 205). Le « discordantiel » est ainsi perçu par les guillaumiens comme un marqueur de négation alors que chez J. Damourette et E. Pichon, les créateurs du terme, il se contente de manifester un « clochement affectivo-intellectuel » (ouv. cit., t. VI, § 2209) et constitue à ce titre un pur signal de « discordance » (t. I, § 114-115). Chez certains psychomécaniciens (notamment Cl. Buridant, Grammaire nouvelle de l'ancien français, Paris, Sedes, 2000, § 615-617), le changement de sens est matérialisé par un changement orthographique, avec un passage de la graphie en -tiel (discordantiel) à une graphie en -ciel (discordanciel).
  • [35]
    Voir, outre les occurrences citées, J. Calvin, Des Scandales, 1550, p. 178, G. de Bruès, ibid., p. 271 ; J. Calvin, Inst. rel. chrest., 1560, L. 4, p. 365 ; B. Palissy, Recepte veritable, 1563, p. 139 ; J. de la Gessée, Les Jeunesses, 1583, p. 110, P. de Tyard, Mantice, 1587, p. 192 ; P. Matthieu, Clytemnestre, 1589, p. 145.
  • [36]
    Pour le détail des occurrences et la fortune de ce tour aux XVIIe et XVIIIe siècles, voir Cl. Badiou-Monferran, « Négation et coordination en français classique : le morphème ni dans tous ses états », Langue française, la Négation en français classique, 143, sept. 2004, pp. 69-92, notamment pp. 76-80.
  • [37]
    Outre l'occurrence citée, voir Anonyme, Six pièces polémiques du recueil La Vallière, 1530 ; M. de Navarre, L'Heptameron, 1550, p. 930 ; Ch. Estienne, Paradoxes, 1561, p. 191 ; J. de Lavardin, La Celestine (adapt.), 1578.
  • [38]
    Outre l'occ. citée, voir, entre autres, N. de La Chesnaye, la Condamnation du Banquet, 1508 ; F. Rabelais, Gargantua, 1542, p. 406 ; M. de Navarre, Trop, prou, peu, moins, 1544 ; M. de Navarre, L'Heptameron, 1550 ; F. Rabelais, Tiers Livre, 1552 ; J. Calvin, Inst. rel. chrest., 1560, L. 3 ; B. de Vigenère, l'Hist. de la décadence de l'Empire grec, « Préface », 1577.
  • [39]
    FRANTEXT donne, pour le XVIe siècle, de multiples attestations de et et ou en atmosphère non pleinement positive (notamment en contexte interrogatif et en contexte comparatif). Pour un relevé statistique de ce type d'occurrences, voir Cl. Badiou-Monferran, « art. cit. », pp. 77-78.
  • [40]
    Voir notre note 39.
  • [41]
    La lecture selon laquelle le second ne serait ici (comme, au demeurant, le premier) un adverbe discordantiel, mis en place de ne pas – « elle ne peut ne le craindre » étant alors paraphrasable par « elle ne peut pas ne pas le craindre » – semble exclue, dans la mesure où, à l'orée du XVIIe siècle, les conditions d'emploi de ne seul à la place de ne pas se sont considérablement réduites, et où notre énoncé ne correspond à aucune des configurations attendues pour l'apparition de ne seul. (À ce sujet, voir Cl. Muller, « Sur quelques emplois particuliers de pas et point à l'aube du français classique », Langue française, 143, sept. 2004, pp. 21-22). Force nous est donc de considérer que le second ne constitue ici un coordonnant à part entière, et que « elle ne peut ne le craindre et fuir » est glosable par « elle ne peut ni le craindre ni le fuir ».
  • [42]
    Pour les avatars de ce type de coordination en français classique, voir Cl. Badiou-Monferran, « art. cit », passim.
  • [43]
    Cette rareté rend compte de l'inadaptation de la forme ni à la représentation de la coordination de virtualité. En fait, pendant tout le XVIe siècle, ni, pour satisfaire au phénomène discursif de suffisance expressive, s'essaye à occuper la place laissée vide par ne, avant de disparaître définitivement dans cet emploi jugé contre nature (car ne mettant pas en adéquation le plan de l'expression et le plan de la représentation).
  • [44]
    O. Soutet, ouv. cit., p. 239.
  • [45]
    Ne coordonnant de syntagmes verbaux ne se maintient en effet après 1550 qu'à la faveur d'une haplologie. Voir entre autres à ce sujet : « Il ne fut ne sera jamais rien pire que la femme entre les calamitez des hommes » (J. de Lavardin, La Celestine, [adapt.], 1578, p. 54).
  • [46]
    Au sens où l'entend Guillaume, LL5 123, lorsqu'il évoque « la visée téléologique du langage ». Sur la téléologie ou la téléonomie chez Guillaume, voir A. Boone et A. Joly, ouv. cit., art. SYSTÈME, p. 431.
  • [47]
    Se dessine alors de la sorte la possibilité d'une morpho-phonologie guillaumienne, qui avait été ouverte en son temps par G. Moignet. (Voir entre autres G. Moignet, « Ancien français, si/se », Tra -Li -Li, XV, 1, 1977, pp. 267-289).

1 Pour les mots grammaticaux, le changement de sémiologie [1], ou changement de signifiant – si changement il y a – est rarement commenté. Ainsi, dans les ouvrages de linguistique diachronique consacrés à l'histoire du français, la double sémiologie du coordonnant négatif, d'abord graphié ne, puis ny (ou ni), donne-t-elle souvent lieu à un enregistrement « sec », privé de toute glose explicative. Du type :

2

[le coordonnant] ne se présente encore souvent sous cette forme en moyen français et on le rencontre encore au XVIIe siècle dans des expressions figées : ni apparaît au XIIIe siècle, mais ne s'impose vraiment qu'au XVIe siècle [2].

3 À notre connaissance, seules les études guillaumiennes [3] se sont demandé si, par-delà la raison phonologique généralement invoquée pour expliquer ce type de changement [4], il n'y avait pas, en profondeur, des raisons sémantiques à la substitution de ni à ne[5]. Elles ont examiné un corpus d'ancien et de moyen français et se sont penchées sur la première phase de variation ne-ni à l'intérieur de ce corpus. Partant du constat qu'en français médiéval, le coordonnant ne apparaît non seulement dans des contextes négatifs mais également en contexte non pleinement positif (comme dans les interro-positives, les hypothétiques, les comparatives de disparité, etc.), quand ni ne figure, pour sa part, qu'en contexte pleinement négatif, elles ont conclu à l'existence de « psychographies » [6], ne niant moins fortement que ni et disparaissant du jour où la coordination en n-, de « coordination de virtualité » – autrement dit, de coordination se contentant de marquer, en « atmosphère non pleinement positive » [7], la non-théticité [8] du contexte requis – tend à devenir coordination négative stricto sensu[9].

4 Cette explication débouche, chez O. Soutet, sur l'hypothèse psychomécanique d'un formant [10] [e central / i], l'élément e marquant un « engagement sémantique incomplet » (dans le plan de la négativité pour ne) et l'élément i un « engagement sémantique total » (ni constituant ainsi un coordonnant négatif stricto sensu) [11] : très convaincante pour la période de l'ancien et moyen français [12], cette description est-elle toujours valide pour la dernière période de concurrence ne-ni, à savoir, celle des XVIe et XVIIe siècles, au moment où ni prend le pas sur ne pour se substituer définitivement à lui ?

5 Après avoir rappelé dans le détail les termes du problème, nous montrerons que si l'hypothèse psychomécanique du formant [e central /i] est impuissante à rendre compte dans son entier de la dernière phase de variation ne/ni, elle permet en revanche d'expliquer, sur le long terme, le changement de ne en ni. Notre étude s'appuie principalement sur le dépouillement des textes des XVIe et XVIIe siècles fournis par FRANTEXT [13].

1. LES GRAPHIES NE, NY, NI SONT-ELLES DES « PSYCHOGRAPHIES » ?

6 Le corpus de FRANTEXT fait apparaître, pour les XVIe, XVIIe, et XVIIIe siècles, trois graphies concurrentes pour l'expression du coordonnant négatif : ne, ny, ni. Il reste à savoir si ces variations de signifiant recouvrent ou non des variations de signifié.

1. 1. Examen de la variation ni-ny

7 L'histoire de la langue privilégie, sur la longue distance, la graphie en -i. Minoritaire au XVIe siècle, où elle représente seulement 19 % du total des occurrences de ni-ny de FRANTEXT, cette graphie devient majoritaire après 1650 (elle représente 80 % du total des occurrences de ny-ni entre 1650 et 1700) et éclipse définitivement ny dans la seconde moitié XVIIIe siècle. Le XVIIe siècle constitue ainsi la période charnière où la proportion de ny et de ni s'inverse. Il s'agit alors de savoir si, dans ce retournement, il se joue autre chose qu'une question de graphie. Un rapide examen des occurrences de FRANTEXT laisse à penser que la concurrence de ny et ni entre 1500 et 1700 est purement orthographique. De fait, tout au long de la période considérée, les termes ni et ny apparaissent dans des configurations syntaxiques identiques [14], voire, au sein du même contexte syntaxique, lorsqu'ils constituent une coordination polysyndétique :

8

  • Et ne aura Saturne, ne Mars, ne Jupiter, ne aultre planete, certes non pas les anges, ni les sainctz, ny les hommes, ny les diables, vertuz, efficace, puissance, ne influence aulcune, si Dieu de son bon plaisir ne leur donne. (Rabelais, Pantagrueline pronostication, 1533).
  • nous ne pouvons donc ny nous reposer ni nous glorifier en nous-mesmes. (Bossuet, La dernière semaine du sauveur, 1704).

9 Autant dire que l'opposition ny/ni n'est pas psychographique mais bien orthographique [15]. Si la variante ny-ni est une « variante signifiante » [16], elle ne l'est qu'en ce qu'elle accuse les divergences entre les tenants de l'orthographe ancienne et de l'orthographe nouvelle [17]. Aussi ne retiendra-t-elle plus notre attention, et dorénavant, nous traiterons indifféremment des occurrences en -i et -y.

10 Qu'en est-il de l'opposition ne/ni-[y] ?

1.2. Examen de la variation ne-ni

11 La proportion de ne et de ny (i) semble s'inverser après 1560. Très largement majoritaire avant cette date, ne voit ses emplois diminuer dans la seconde moitié du XVIe siècle pour disparaître, du moins en construction libre, aux alentours de 1600 [18]. Dans la construction figée ne plus ne moins [que], ne persiste plus longtemps et se maintient jusque dans le troisième quart du XVIIe siècle [19]. Il reste à savoir si la variation ne-ni, qui cesse d'être active dans le dernier quart du XVIIe siècle, recouvre une opposition de signifiés.

12 La genèse mécanique de ni est bien connue (fausse coupe de ne icelui donnant ni celui [20], ou enclise de il dans ne dans le produit nil, dont serait issu ni [21]). En revanche, la concurrence ne-ni pendant la période où les deux formes coexistent n'a guère retenu l'attention des linguistes. Dans toute l'histoire de la grammaire historique, trois types d'explications, plus ou moins satisfaisantes, ont été avancées pour rendre compte de la variation ne-ni.

– l'explication phono-morphologique

13 Ni serait une forme diacritique permettant de distinguer le coordonnant de l'adverbe, notamment dans les séquences conjointes ne ne faisant succéder l'adverbe au coordonnant [22]. Or, le corpus de FRANTEXT invalide – du moins partiellement – cette hypothèse. Il manifeste conjointement, pour le premier quart du XVIe siècle :

14

  • la vitalité de ne ne [23], qui éclipse ny (-i) ne – dont on ne trouve même aucune occurrence pour la période considérée ;
  • l'implantation, au même moment, de ny (-i), dans des contextes ne comprenant aucune ambiguïté catégorielle entre le coordonnant et l'adverbe [24].

15 L'apparition de ni-y (au XIIIe siècle) – ainsi que son implantation dans des contextes catégoriellement non ambigus – est donc bien antérieure à la disparition de ne ne (après 1550). Autant dire que l'émergence de ni n'est pas due à une modification morphologique du coordonnant ne au contact de l'adverbe correspondant.

– l'explication sociolinguistique

16 Reprenant à leur compte l'explication phono-morphologique, d'aucuns ont tendance à réduire l'opposition ne-ni pendant la période de véritable concurrence (XVIe et – dans une moindre mesure – XVIIe siècles) à une variation de type sociolinguistique. C'est le cas de G. Antoine, qui, pour la période préclassique et classique, rend la graphie ne, graphie catégoriellement équivoque, aux gens du « peuple », et la graphie ni/ny aux « gens du beau monde » [25] : soit, aux locuteurs participant à la grammatisation [26] de leur langue, et donc, à la séparation formelle de l'adverbe et de la conjonction dans le fourre-tout des mots invariables. A l'appui de son analyse, G. Antoine cite la remarque célèbre de Vaugelas sur la séquence ne plus ne moins :

17

Pour signifier comme ou tout ainsi que, il faut dire ne plus ne moins, et non pas ny plus ny moins, qui est bon pour exprimer exactement la quantité d'une chose [...]. Et bien que partout ailleurs cette négative se nomme ny, et non pas ne qui est un vieux mot qui n'est plus en usage que le long de la rivière de la Loire, où l'on dit encore ne vous ne moy pour ny vous ny moi, si est-ce que l'ancien ne s'est conservé entier en ne plus ne moins [27].

18 G. Antoine, qui paraphrase « le long de la rivière de la Loire » par « le bon peuple des bords de Loire » [28] a sans doute ses raisons pour identifier la variation géographique notée par Vaugelas à une variation de type sociolinguistique. On voit moins, en revanche, en quoi son analyse permet de rendre compte de l'opposition ne plus ne moins/ ny plus ny moins, pointée par Vaugelas, au sein de la langue soutenue. Or, le corpus de FRANTEXT, corpus de langue littéraire, témoigne pour le XVIe siècle et le XVIIe siècle de la vivacité de cette opposition dans le registre soutenu. Et comme le pressentait Vaugelas en rapportant la séquence ne plus ne moins à la paraphrase tout ainsi que, la distribution de ne plus ne moins/ny plus ny moins recoupe, à l'orée du XVIIe siècle, une opposition de type syntaxique entre les deux tours. Notre corpus fait ainsi apparaître les résultats suivants :

ne plus
ne moins
ne plus ne moins que ny (-i) plus
ny (-i) moins
ny (-i) plus
ny (-i) moins que
1500-1550 
valeurs absolues
valeurs relatives
en % du total
des occ. de même
statut fonctionnel
07 
89 %
07 
58,5 %
07 
Il %
05 
41,5 %
1550-1660 
valeurs absolues
valeurs relatives
en % du total...
02 
P. Matthieu, 1589 
A. Hardy, 1625.
33,5 %
22 
46 %
04 
(seule forme :
forme en -y)
66,5 %
26 
(avec un quasi monopole
de la forme en
54 %
1660-1680 
valeurs absolues
valeurs relatives
en % du total...
00 
00 %
07 
06 occ. chez G. Naudé, 1669 
01 occ. chez Molière, 1673 
78 %
05 
(seule forme :
forme en -i)
200 %
07 
(seule forme : forme
en -i)
22 %
1680-2000 
valeurs absolues
00  07 
(archaïsmes de G. Sand) [29] 
60 
occur-

- rences
figure im1

19 Globalement dominante jusqu'en 1550 où elle représente 71,5 % du total des occurrences, la forme en -e vient servir jusqu'à cette date, préférentiellement à la forme en -i/y, aussi bien la locution conjonctive ne plus ne moins que que la locution adverbiale ne plus ne moins. Entre 1550 et 1680, elle disparaît lentement, dans toutes les configurations, au profit de la forme en -i/y, et se spécialise dans l'expression de la locution conjonctive ne plus ne moins que (qui représente 93 % du total des occurrences en -e).

20 Inversement, la forme en -y/i, minoritaire jusqu'en 1550 pour l'expression de la locution conjonctive comme de la locution adverbiale, gagne du terrain après 1550 et s'impose définitivement dans toutes les configurations après 1680. Entre 1550 et s'impose définitivement dans toutes les configurations après 1680. Entre 1550 et 1680, elle est requise, de préférence à la forme en -e, pour l'expression de la locution adverbiale, dont elle représente 82 % du total des occurrences (09 occurrences en ni plus ni moins contre 02 occurrences en ne plus ne moins).

21 In fine, le recouvrement progressif et global de la forme en -e par la forme en -i après 1550 dans la langue littéraire, dont rendent compte les valeurs relatives de ny/i et ne entre 1550 et 1680 (50 % seulement du total des occurrences de la locution conjonctive pour la forme en -e et déjà 50 % du total des mêmes occurrences pour la forme en -y/i ; 20 % seulement du total des occurrences de la locution adverbiale pour la forme en -e et 80 % du total des mêmes occurrences pour la forme en -y/ i) ne doit pas masquer un fait de distribution majeur : la spécialisation de la forme en -e dans l'expression de la locution conjonctive, le quasi monopole de la forme en -y/i pour l'expression de la locution adverbiale. Or, le commentaire socio-linguistique de G. Antoine sur l'opposition ne-ni ne permet pas d'expliquer cette répartition, interne à la langue soutenue – sinon à la langue tout court – du XVIIe siècle. Force nous est de lui substituer un autre type d'explication.

– l'explication sémantique

22 À la suite d'Ambroise Queffélec [30], Olivier Soutet propose de distinguer ne, « coordonnant de virtualité » [31] susceptible d'apparaître non seulement « en contexte pleinement négatif » mais aussi en « atmosphère non pleinement positive » (autrement dit, dans les énoncés virtuels que sont principalement les énoncés interrogatifs, comparatifs et hypothétiques) [32], et ni, « coordonnant négatif stricto sensu », dont la « sémiologie plus étoffée » serait « jugée comme étant mieux en convenance avec [un] engagement total dans la plan de la négativité » [33].

23 Autrement dit, l'émergence de ni, au XIIIe siècle, aurait permis de construire une structure sémiologique ne/ni correspondant à des jeux de polarité distincts : ni se faisant l'expression d'un jeu de polarité « négatif-négatif » (jeu de polarité pour l'expression duquel il entrerait, certes, en concurrence avec le signe hérité ne), ne se faisant l'expression (outre du jeu de polarité « négatif-négatif » qu'il était le seul à servir avant l'émergence de ni) d'un jeu de polarité « négatif-positif », tandis que les coordonnants et et ou serviraient prioritairement le jeu de polarité restant : celui du « positif-positif ». Le moyen français hériterait ainsi d'une systématique à trois termes (et-ou ; ne ; ny) dans laquelle l'opposition ne-ny serait profondément psychographique.

24 Cette description, de type psychomécanique, dont O. Soutet a montré la pertinence pour le corpus – restreint – d'ancien et de moyen français qui est le sien, est-elle reconductible pour la dernière phase de variation ne-ni, soit, la phase de variation affectant les XVIe et XVIIe siècles ?

II. L'HYPOTHÈSE PSYCHOMÉCANIQUE ET LA DERNIÈRE PHASE DE VARIATION NE-NY À L'AUBE DU FRANÇAIS MODERNE

25 Portant au XVIe siècle sur tout type de constructions, libres ou figées, la concurrence ne-ny ne concerne plus au XVIIe siècle que le tour figé n (e-y) plus n (e-y) moins. Aussi distinguerons-nous deux cadres d'analyse : celui des constructions libres, et celui des constructions figées (dans les faits réduit à l'examen du tour n (e-y) plus n (e-y) moins).

11.1. L'ultime phase de variation ne-ny en construction figée : examen du tour n (e-y) plus n (e-y) moins

26 À l'évidence, l'explication psychomécanique permet de rendre compte de l'opposition ne plus ne moins que vs ni plus ni moins. Dans le cadre de la locution conjonctive introduisant une proposition comparative, ne, coordonnant de virtualité, se contente de marquer la non-théticité du contexte comparatif. Il est ainsi susceptible de raccorder la comparative à une proposition support soit négative, soit positive :

27

support négatif
Ne plus ne moins qu'au corps humain, toutes les fonctions propres et séparées des membres ne dépendent que de l'âme (A. de Montchrestien, Traicté de l'œconomie politique, 1615,, p. 266)
support positif
[ils] estiment que la plus belle et saincte de leurs ordonnances soit de l'honorer, servir et révérer, ne plus ne moins que l'image du Dieu vivant qui régit et gouverne le monde (À. de Montchrestien, ouv. cit., p. 254).

28 En revanche le ni de ni plus ni moins, locution adverbiale, fonctionne comme un « coordonnant négatif stricto sensu ». Lorsque le syntagme adverbial est adverbe de constituant, il apparaît dans des énoncés pleinement négatifs et est incident, soit au verbe, dont il constitue un complément essentiel, soit à un complément du verbe. Dans les deux cas, il sert d'élément forclusif [34]. Lorsque le syntagme adverbial est adverbe de phrase, il s'adjoint, soit à une proposition négative, dont il rejoue, en clausule, la totalité du mouvement de négativation, soit à une proposition positive, dont il constitue, sous une forme condensée et elliptique, la reformulation négative. Considérons, à titre d'exemple, les occurrences en -i (et non pas les occurrences, bien plus nombreuses, en -y) de ni plus ni moins pour la tranche 1550-1680 :

29

  • ni plus ni moins est adverbe de constituant et forclusif de la négation
    • il est incident à un complément du verbe nié On ne les rend ni plus ni moins incommodes (P. Nicole, Essais de morale, 1671,1. I, p. 350)
    • il est incident au verbe, dont il constitue le complément essentiel. je n'en ferois ni plus ni moins (R. de Bussy-Rabutin, Lettres, t. 3,1666-1672,1672, p. 213) Il demeure d'accord de tout, et n'en fait ni plus ni moins (Mme de Sévigné, Correspondance, t. 1,1646-1675,1671, p. 227) Nous n'en avions attendu ni plus ni moins, et nous n'y fûmes pas trompés (J.-F. de Retz, Mémoires, t. 2, 1648-1649 / 1679, p. 471)
  • ni plus ni moins est adverbe de phrase
    • après une proposition négative, il constitue une clausule rejouant le mouvement de négativation de la proposition ce qui est simple au respect du double, ne le peut être ni plus ni moins sans destruire sa relation. (Dupleix Scipion, La Logique ou l'art de discourir et raisonner, 1607, III, 9, p. 130). que je ne die ni plus ni moins que ce qui en est (saint François de Sales, Introduction à la vie dévote, 1619, p. 243)
    • après une proposition positive, il constitue une clausule reformulant sur le mode négatif le contenu de la proposition l'on ne sçauroit trop avoir une certaine justesse de langage, qui consiste à se servir des meilleures façons de parler, pour mettre sa pensée dans l'esprit des gens comme on veut qu'elle y soit, ni plus ni moins (Chevalier de Méré, Les Conversations, 1668, p. 15).

30 Qu'il fonctionne comme un adverbe de constituant ou un adverbe de phrase, le syntagme adverbial a partie liée avec la négation pleine, et semble bien, à ce titre, s'opposer à la locution conjonctive, dans laquelle le coordonnant en n- fonctionne comme un « coordonnant de virtualité ».

II.2. Ultime variation ne-ny en construction libre

31 Parfaitement efficiente dans le cas de la distribution ne plus ne moins que/ni plus ni moins, l'explication psychographique mobilisant l'hypothèse d'un formant [e central / i] n'est toutefois pas à même de rendre compte de l'entier de la concurrence ne vs ny /ni pour la période considérée (à savoir, 1500-1680).

32 De fait, concernant l'expression de la coordination négative stricto sensu, le signe hérité en -e continue à se maintenir tout au long du XVIe siècle, même si, après 1560, on observe, statistiquement, une sérieuse montée en puissance du signe en -i (ou -y) pour le contexte requis :

33

  • il ne sçait veiller, escouter ne faire guest (À. Du Saix, La Touche naisve [...], 1537, p. 81.) ce ne sont point plusieurs ne divers sacrifices (J. Calvin, Inst. de la rel. chestienne, L.4, 1560, p. 447) sans discretion ne respect d'aage (P. de l'Estoile, Registre-journal du regne de Henri III, t. 5, 1587, p. 336).

34 Jusqu'à la fin du siècle, pour l'expression de la coordination négative stricto sensu, la forme en -e est ainsi susceptible d'alterner avec la forme en -i, notamment dans le cadre de suites polysyndétiques :

35

  • il n'est ne Dieu ny homme d'autant qu'il contient toutes les deux natures en soy [...] (J. Calvin, Institution de la religion chrétienne, 1560, Livre second, p. 257)
  • Car ce n'est ne mort de parens, ne perte de biens, ny espouvantement de vision, ne songe craintif, ny autre chose (J. de Lavardin, La Celestine, [adapt.], 1578, p. 167)
  • il n'y a plus ne rade [...] ny ancre (J. Amyot, Du trop parler, 1593, p. 201)
  • des choses qui n'ont ne sens ny ame (ibid., p. 235).

36 Parallèlement, concernant l'expression de la « coordination de virtualité », le signe en -e n'a plus au XVIe siècle l'exclusivité. Autant dire que – fait nouveau par rapport au fonctionnement de l'ancien et moyen français, du moins si l'on s'en tient aux relevés d'O. Soutet – le signe en -i n'est plus incompatible avec les contextes d'atmosphère non pleinement positive. Le corpus de FRANTEXT fait ainsi apparaître, pour la tranche 1500-1600 :

37

  • 09 occurrences de ni en interro-positives [35], dont : sçavois tu qu'estoit le soleil, la lune, le feu, l'air, l'eau ny la terre ? (Guy de Brués, Les Dialogues de Guy de Brués aux nouveaux académiciens, 1557, p. 164)
  • 11 occurrences de comparatives de disparité du type plus que x ni y et 10 occurrences du type plus x que y ni z [36] dont : ceste reverence vaut plus que le maistre, ny que son sçavoir. (P. de Larivey, Le Laquais, 1579, p. 85).
  • 05 occurrences de ni dans d'autres contextes non pleinement positifs : il n'y avoit arbre sur terre qui eust ny feuilles ny fleur (Anonyme, Les Chroniques admirables, 1515, p. 225) et bien peu me soucie ny d'elle ny d'aultre (F. Rabelais, Gargantua, 1542, p. 317)
    • il n'estoit arbre sus terre qui eust ny fueille ny fleur (F. Rabelais, Pantagruel, 1542, p. 31)
    • Il a tant refusé de bons partiz que je n'en saiche plus, ny près ny loing de luy, qui soit pour vous avoir (M. de Navarre, L'Heptameron, 1550, p. 856)
    • et avoir eu à contrecœur de mesler ny tricotterie ny finesse à mes jeux enfantins (M. de Montaigne, Essais, 1.1,1592, p. 110).

38 On le concède : au total, les occurrences de ni venues servir la coordination de virtualité sont, en valeur absolue, fort peu nombreuses. Et pourtant, pour le XVIe siècle, elles excèdent le nombre d'occurrences de ne en atmosphère non pleinement positive. Sauf erreur de notre part, pour tout le XVIe siècle, le corpus de FRANTEXT donne seulement :

39

  • une occurrence de ne en interro-positive : Et estimerons-nous rien excellent ne louable [...] ? (J. Calvin, Inst. rel. chrest., L.2, 1560, p. 43)
  • 5 occurrences de ne en comparatives de disparités du type plus que x ni y [37] et 09 occurrences de ne dans le type plus x que y ni z [38], dont : c'est un propoz ferme, qui sert plus que herbe ne tourteaux (M. de Navarre, Le Mallade, 1535) Plus dure est sa rencontre que de Hector ne Achiles (J. Marot, Le Voyage de Venise, 1536)
  • 6 occurrences de ne coordonnant dans les autres contextes non pleinement positifs :
    • pour braire ne pour crier qu'il fesist (Ph. de Vigneulles, Les Cent Nouvelles nouvelles, 1515, p. 229)
    • mais fortune lui estoit sy contraire que, pour peine qu'il print ne pour coucher tart ne lever matin, il ne pouvoit venir de pain à aultre (ibid., p. 238).
    • Il voise errant nuds piedz ne six ne sept annees (J. Du Bellay, Les Regrets, 1558, p. 209)
    • ne pouvant conjecturer ni entendre que signifoient ne les images ne les vers (B. Aneau, Alector ou le coq, 1.1,1560, p. 71)
    • lesquels toutefois ne sont suffisants pour nous approuver la superstition ne des Magiciens ne des idolâtres (J. Calvin, Inst. rel. chrest., L.1, 1560, p. 35)
    • il ne nous apparoist haut ne bas que malédiction (ibid., L.2, p. 107).

40 Ces résultats suspendent la validité de l'hypothèse d'un formant [e central / i] s'associant au thème consonantique n- pour la période du français renaissant.

41 De fait, concernant l'expression de la coordination négative stricto sensu, ils montrent qu'en français renaissant, l'alternance -e/-i pour la coordination négative en n- est moins psychographique que prosodique : ny-i apparaissant devant voyelle ou consonne aspirée afin de prévenir l'hiatus, et ne se maintenant devant consonne.

42 Concernant l'expression de la coordination de virtualité, ils montrent qu'à l'aube du français moderne, les emplois de ne dans ce contexte – qui constituait jusque-là pour ne un contexte de prédilection – se raréfient à l'extrême, non pas tant au bénéfice de ni, qu'au profit des coordonnants positifs et et ou [39].

43 In fine, rendu à l'expression de la coordination négative stricto sensu, via la massification des emplois de et et ou dans les contextes virtuels [40], le signe ne tend ainsi à voir se confondre ses emplois avec ceux de son concurrent ni. Force nous est donc de renoncer à l'hypothèse d'un formant [e central /i] apte à s'associer au thème consonantique n- pour la dernière phase de la variation ne-ni dans le cadre des constructions libres, avant la disparition de ne.

44 Toutefois, même fragilisée, cette hypothèse n'en est pas moins apte à rendre compte, sur le long terme, en vertu même de ses propres failles, du passage de ne à ni.

III. CONCLUSION : L'HYPOTHÈSE PSYCHOMÉCANIQUE ET LE CHANGEMENT DE NE À NI

45 Décrire en termes psychomécaniques le changement de ne, principal coordonnant négatif de l'ancien français, à ni, seul coordonnant négatif du français moderne, revient à s'interroger sur les causes de l'effondrement de la double sémiologie.

III. I. Ne, un signe de contradiction concurrencé par et sur le terrain de la coordination de virtualité

46 Déchiré entre le positif et le négatif, entre l'expression d'un jeu de polarité « négatif-négatif », au même titre que ni, et l'expression d'un jeu de polarité « positif-négatif », au même titre que et, ne constitue par excellence un signe de contradiction. D'où sa désystématisation, son exclusion du système des coordonnants, et la refonte de la systématique à trois termes propre à l'ancien français (et/ou ayant en charge le jeu de polarité « positif-positif », ni le jeu de polarité « négatif-négatif », ne les jeux de polarité « positif-négatif » et « négatif-négatif ») en une systématique à deux termes opposant une paire de coordonnants (et/ou) susceptible de rendre compte de tous les degrés de positivité (soit, de figurer en contexte pleinement positif comme en contexte non pleinement positif) et un unique coordonnant négatif, le coordonnant ni. Autrement dit, la disparition de ne serait tout autant imputable à la montée en puissance de ni dans l'ordre du négatif qu'à celle de et dans l'ordre du positif, quel que soit le degré de positivité requis. L'éviction, au XVIe siècle, du coordonnant ne pour l'expression de la « coordination de virtualité » – et ce, au bénéfice du coordonnant et – va évidemment dans ce sens. En français renaissant, la « phagocytose » de ne par et est tellement prégnante qu'elle est susceptible de s'exercer hors de son cadre naturel, à savoir le cadre de la coordination virtualisante. Il en va ainsi dans cet énoncé, par définition déviant, dans la mesure où et, corrélé à ne dans le cadre d'une polysyndète, vient servir une coordination strictement négative :

47

Ainsi la brebis juge et sent le Loup luy estre adversaire mortel, et ne peut ne le craindre et fuir (P. de Tyard, Mantice, 1587, p. 136) [41].

48 Si, au XVIe siècle, ne, signe de contradiction, est concurrencé par et (hors et) dans le cadre de la coordination de virtualité, il est également concurrencé par ni pour l'expression de la coordination strictement négative.

III.2. Ne, un signe de contradiction concurrencé par ni sur le terrain de la coordination strictement négative

49 On a montré ci-dessus qu'au XVIe siècle, ni était devenu susceptible de servir la coordination de virtualité : serait-il devenu lui aussi un signe de contradiction ? Et dans ce cas, pourquoi, sur la longue distance, le français a-t-il privilégié ni sur ne pour l'expression de la coordination négative ?

50 Outre le fait que l'aptitude de ni à coordonner en atmosphère non pleinement positive est historiquement limitée à la période du français renaissant [42], que, durant cette période, les occurrences relevant de ce cas de figure sont très rares [43], et que pour le coup, ni, spécialisé dès l'ancien français dans l'expression de la coordination négative, fait preuve d'une stabilité d'emploi qui manque au signe hérité, ni présente l'avantage d'avoir une sémiologie plus étoffée que ne, et de ce fait plus congruente avec un « engagement total dans le plan de la négativité » [44].

51 Déjà, dans sa Maniere de bien traduire d'une langue en aultre, de 1540, Etienne Dolet faisait remarquer la résistance de ni à l'élision, contrairement à ne. Partant, on serait tentée de mettre en relation l'épaisseur morphologique du coordonnant négatif en -i et sa capacité à occuper, dans la dernière phase de variation ne-ni, toutes les positions syntaxiques, même les plus marquées, quand, à l'inverse, le signe hérité voit progressivement ses emplois se réduire à l'expression des cas de coordination négative non seulement infrapropositionnelle, mais encore infraprédicative. Très tôt dans le siècle, et ce, en dépit de la forte résistance dans cet emploi de ne, qui bénéficie du poids de la tradition, la coordination de propositions est ainsi dévolue à ni :

52

Besoing vous n'aurez d'y pourvoir //Ne peur qu'elle vous soit ravie / / Ny n'aurez desir ny envie //De malladye ny santé (M. de Navarre, Le Mallade, 1535, p. 25)
Je ne joue ny je ne dance (M. de Navarre, Comédie de Mont Marsan, 1548, p. 292).

53 Parallèlement, à l'intérieur des propositions, ni supplante ne dans la coordination des prédicats (ou syntagmes verbaux). On a vu en effet que la séquence « verbe ne ne verbe » disparaissait définitivement au profit de « verbe ny ne verbe » après 1550 [45] :

54

ne regrette ny ne pleure les biens que ton maistre a heritez (J. de Lavardin, La Celestine, [adapt.], 1578, p. 54),

55 voire, au profit de la séquence – aujourd'hui perçue comme mal formée – « verbe ny verbe », ny, coordonnant négatif tout-puissant en français renaissant, pouvant même se passer de l'adverbe discordantiel ne :

56

Que jamais Dieu ne te regarde, jamais ne te visite, ny donne consolation (J. de Lavardin, ouv. cit, p. 57).

57 Au final, comme marqueur suffisant de négativation, situé en deçà ou au-delà de l'orbite du ne adverbial, ny supplante presque définitivement le coordonnant ne, après 1550, dans la fonction de sujet en place 1, qu'il soit ou non par la suite corrélé au discordantiel ne :

58

  • De sorte que ny la grandeur ny la force des bestes, ny la fermeté de leurs corps, ny la grande masse de chaire et d'os dequoy ils sont composez, ne peuvent empescher qu'ils ne soient domptez (P. de Boaistuau, Bref Discours de l'excellence et dignité de l'homme, 1558, p. 79)
  • Ny l'or prisé, ny la chère Pecune [...] me tire à doubte, et de doubte à terreur (M. Scève, Délie, 1544, p. 254).
  • Ny fruicts, raisins, ny bledz, ny fleurettes descloses / / Sortiront (Viateur) du corps qui gist icy (J. Du Bellay, Les Regrets, 1558, p. 177).

59 Pour le coup, dans la seconde moitié du XVIe siècle, ne coordonnant, nécessitant pour advenir l'appui de ne adverbial et gravitant toujours dans l'orbite de ce dernier, ne conjoint plus que des éléments infrapropositionels en fonction d'objet ou de circonstant. Partant, il constitue, à la différence de ny, un marqueur non suffisant de négativation. Bien des textes renaissants, jouant des structures d'emboîtement propres au français, attestent le rapport hiérarchique de ni (coordonnant fort) et ne (coordonnant faible) dans l'ordre du négatif :

60

vous deliberez, en quelque lieu que je sois, ne me chercher ne par parolle ne par contenance, ny esperer que je puisse ou vueille jamays changer ceste opinion (M. de Navarre, L'Heptameron, 1550, p. 772).

61 Finalement, le comportement syntaxique de ni/ne dans la dernière phase de variation montre que l'hypothèse psychomécanique du formant [e central / i] mérite à tous coups d'être repensée dans l'ordre de la coordination négative : pour la période du français renaissant, la double sémiologie ne sert certes plus à distinguer « coordination de virtualité » et « coordination négative » ; mais à l'intérieur de la coordination négative, elle permet de distinguer un coordonnant négatif faible (ne) et un coordonnant négatif fort (ni). Autant dire, un coordonnant manifestant un engagement incomplet dans le plan de la négativité et nécessitant, à ce titre, l'appui du discordantiel adverbial ne pour nier, et un coordonnant attestant un engagement total dans le plan de la négativité : d'où l'aptitude du dit coordonnant à nier, à tout niveau de la phrase, sans l'appui de l'adverbial ne. À se placer dans l'optique guillaumienne selon laquelle, en vertu d'un finalisme heureux [46], la langue sélectionnerait les morphologies les mieux adaptées aux signifiés et aux structures à représenter, l'hypothèse du formant [e central / i] tel qu'il est ici redéfini permet d'expliquer, sur la longue distance, le passage de ne, coordonnant tout-puissant en ancien français, à ni, unique coordonnant du français moderne [47].

Bibliographie

Principales références bibliographiques

  • A) Textes sources

    • Textes des XVIe et XVIIe siècles de la base FRANTEXT.
  • B) Principaux articles et ouvrages critiques cités

    • ANTOINE G., La Coordination en français, Paris, d'Artrey, 1962, 2 vol.
    • BADIOU-MONFERRAN CI., « Négation et coordination en français classique : le morphème ni dans tous ses états », Langue française, la Négation en français classique, 143, sept. 2004, pp. 69-92.
    • BONNARD H., Grand Larousse de la langue française, art. CONJONCTION.
    • BOONE A. et JOLY A., Dictionnaire terminologique de la systématique du langage, Paris, l'Harmattan, 1996.
    • BURIDANT Cl., Grammaire nouvelle de l'ancien français, Paris, Sedes, 2000.
    • CATACH, N., L'Orthographe française à l'époque de la Renaissance, Genève, Droz, 1968.
    • DAMOURETTE J. & PICHON E., Des mots à la pensée : essai de grammaire de la langue française, 1911-1940, 7 vol.
    • MARCHELLO-NIZIA Ch., Histoire de la langue française aux XIVe et XVesiècles, Paris, Bordas, 1979.
    • MARTIN R., « la “Négation de virtualité” du moyen français », Romania, 93, 1972, pp. 20-49.
    • MOIGNET G., « Ancien français, si/se », Tra -Li -Li, XV, 1, 1977, pp. 267-289.
    • MOIGNET G., Systématique de la langue française, Paris, Klincksieck, 1981.
    • MOIGNET G., Grammaire de l'ancien français, Paris, Klincksieck, 1984.
    • MOLHO, M., « L'Hypothèse du formant », Mélanges J. Stéfanini, 1988, pp. 291-303.
    • QUEFFÉLEC A., 1985, La Négation en ancien français, Thèse de doctorat d'État non publiée, Université de Pans IV, 5 vol.
    • SAUSSURE F. de, Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 5e édition, [1915] 1955.
    • SOUTET, O., Études d'ancien et de moyen français, Pans, PUF, 1992.

Mise en ligne 01/01/2012

https://doi.org/10.3917/lf.147.0084

Notes

  • [1]
    Le terme de sémiologie apparaît pour la première fois chez F. Saussure (Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 5e édition, [1915] 1955, « introduction », p. 33) comme l'étude des signes en général, et des signes linguistiques en particulier. On le retrouve dans les Leçons de linguistique de G. Guillaume, où il désigne l'ensemble des « signes [équivalents guillaumiens des signifiants saussuriens] dont on se sert pour signifier la construction psychique qui s'est déterminée dans l'esprit » (LL, I, 143, cité par A. Boone et A. Joly, Dictionnaire terminologique de la systématique du langage, Paris, l'Harmattan, 1996, art. SÉMIOLOGIE, p. 373). C'est cette dernière acception que, pour notre part, nous retiendrons, le terme de « sémiologie » renvoyant ici à la forme du signe guillaumien, autrement dit, en termes saussuriens, à la forme du signifiant.
  • [2]
    C. Marchello-Nizia, Histoire de la langue française aux XIVe et XVe siècles, Paris, Bordas, 1979, p. 285.
  • [3]
    Pour s'en tenir aux ouvrages et non aux articles, voir A. Queffélec, 1985, La Négation en ancien français, Thèse de doctorat d'État, Université de Paris IV, 5 vol., pp. 926-927 notamment, et surtout O. Soutet, Études d'ancien et de moyen français, Paris, PUF, 1992, pp. 235-241.
  • [4]
    Du Cours de linguistique générale de F. de Saussure jusqu'aux travaux de linguistique diachronique les plus récents, notamment les travaux portant sur les processus de la réanalyse et de la grammaticalisation, c'est en effet presque toujours l'explication phonologique (ou, à défaut, l'explication par l'analogie) qui, lorsqu'explication il y a, est mise en avant. Voir F. de Saussure, ouv. cit., chapitre IV, « l'analogie », p. 231 : « C'est d'elle [l'analogie] que relèvent toutes les modifications normales de l'aspect extérieur des mots qui ne sont pas de nature phonétique ». Pour les travaux de linguistique diachronique récents, voir, entre autres, B. Heine et M. Reh, Grammaticalization and reanalysis in African Languages, Hamburg, Helmut Buske, 1984, p. 21 notamment ; ou C. Lehmann, Thoughts on grammaticalization (LINCOM studies in Theoretical Linguistics 01), München/ Newcastle, Lincom Europa, 1995, chap. 4.
  • [5]
    Cela n'est pas étonnant, tant, dans les raisonnements qui soutiennent la linguistique psychomécanique, un lien est toujours postulé entre la forme - c'est-à-dire la « sémiologie » – et la signification – c'est-à-dire, le « psychisme ».
  • [6]
    Le terme de « psychographie », forgé sur celui de « psychomécanique », est un cas particulier de « psychosémiologie » guillaumienne, appliqué à un corpus exlusivement écrit. (Sur la « psychosémiologie » chez Guillaume, voir A. Boone et A. Joly, ouv. cit., art. PSYCHOSÉMIOLOGIE, pp. 354-355. Il y est rappelé que « Guillaume distingue la psychosystématique, “qui a pour objet les constructions de pensée dont se compose la langue” et la psychosémiologie, “qui a pour objet – ce qui est autre chose – la découverte, la trouvaille, de signes capables de suffire à l'expression, partie par partie, desdites constructions de pensée” (LL4 20) »). Dans la continuité de la psychosémiologie guillaumienne, nous désignons, par « psychographie », toute graphie en adéquation avec le signifié de langue à représenter. Se situant dans une autre perspective que la perspective psychomécanique, N. Catach, dans L'Orthographe française à l'époque de la Renaissance, Genève, Droz, 1968, p. XVIII, évoque le phénomène considéré sous l'étiquette de « variation signifiante » : « Certaines des variantes [graphiques] sont ordinaires, standard, ou, si l'on veut non signifiantes pour l'utilisateur (comme écrire clef ou clé, j'essaierai ou j'essayerai aujourd'hui). Les autres sont signifiantes pour l'époque ».
  • [7]
    Le terme métaphorique d'« atmosphère », lancé par J. Damourette & E. Pichon, Des mots à la pensée : essai de grammaire de la langue française, Paris, D'Artrey, 1911-1940, VI, § 2244, constitue chez ces auteurs un équivalent imagé d'« environnement sémantique ». Repris dans les études guillaumiennes – notamment chez G. Moignet, Grammaire de l'ancien français, Paris, Klincksieck, 1984, p. 332, ou chez O. Soutet, ouv. cit., p. 238 – au titre des « atmosphères non pleinement positives », ce terme désigne, dans le cadre de cette collocation, tout environnement sémantique qui, sans contenir de marques grammaticales de négation, présente des éléments virtualisants, c'est-à-dire des éléments suspendant l'effectivité du procès évoqué.
  • [8]
    Au sens guillaumien de ce terme, tel que le définit O. Soutet dans ouv. cit, p. 264 : « Thétique (théticité). Litt. : “qui pose”. Terme de linguistique guillaumienne parfois synonyme d'“actualisant” ».
  • [9]
    Voir O. Soutet, ouv. cit., p. 239 et suiv.
  • [10]
    Au sens de M. Molho, « L'hypothèse du formant », Mélanges J. Stéfanini, 1988, p. 291-303, notamment p. 291 : « Nous appelons formants [...] des éléments ou particules qui, intervenant dans la structure d'un signifiant donné, se réitèrent en plusieurs autres », en l'occurrence, au sein du couple ne/ni, mais également au sein du couple marquant l'hypothèse se/si.
  • [11]
    Voir O. Soutet, ibid, p. 239.
  • [12]
    À ceci près que le corpus examiné par O. Soutet dans ouv. cit. ne comprend que deux textes (les Mémoires de P. de Novarre, de la première moitié du XIIIe siècle ; les Mémoires de Commynes, du XVe siècle) et que l'hypothèse du formant [e central / i] mériterait d'être testée, pour la période médiévale, sur un corpus plus vaste.
  • [13]
    D'où l'absence de références éditoriales.
  • [14]
    Ainsi dans la séquence figée ni même, indifféremment orthographiée ni/ny même (mesme, mêmes, mesmes).
  • [15]
    Voir à ce sujet N. Catach, ouv. cit., pp. 99, 100, 105, 111 et suiv., 256.
  • [16]
    Au sens de N. Catach. Voir notre note 6.
  • [17]
    Pour plus de précisions sur l'histoire du y grec dans les retombées classiques du débat orthographique, voir N. Catach, ouv. cit., pp. 241-244.
  • [18]
    Dans FRANTEXT, on trouve encore quelques occurrences du coordonnant ne en construction libre pour le premier quart du XVIIe siècle. Voir par exemple O. de Serres, le Théâtre d'agriculture, 1603, t. 1, pp. 172 et 189. Mais passé la première décennie du XVIIe siècle, le nombre d'occurrences se raréfie au point de ne plus devenir signifiant.
  • [19]
    La dernière occurrence de cette séquence figure dans Molière, Le Malade imaginaire, 1673.
  • [20]
    Voir H. Bonnard, Grand Larousse de la langue française, art. CONJONCTION, p. 896.
  • [21]
    Voir M.K. Pope, From Latin to Modern French, Manchester, Manchester Univ. Press, [1934], 1952, p. 216 ; E. & J. Bourciez, Phonétique française, étude historique, Paris, Klincksieck, 1967, p. 82 ; P. Fouché, Phonétique historique du français, Paris, Klincksieck, 2e éd., 1969-1970, [1952], 3 vol., p. 440.
  • [22]
    Voir à ce sujet O. Soutet, ouv. cit., p. 237, qui ne rapporte cette explication que pour la mettre en cause.
  • [23]
    Voir à ce sujet Ph. de Vigneulles, Les Cent Nouvelles nouvelles, 1515, où l'on trouve 8 occurrences de la séquence élidée ne n', et 24 occurrences de la séquence pleine ne ne, ainsi que l'Anonyme Voiage et pélerinage de sainte Caquette, 1518, qui présente une occurrence de la séquence pleine.
  • [24]
    Ainsi chez Ph. de Vigneulles, où les occurrences du signe ny (-i) restent assurément minoritaires par rapport aux occurrences du signe ne coordonnant négatif (11 occurrences de ne pour les quatre premières Nouvelles, Prologue compris, 2 occurrences de ni pour la totalité de l'œuvre, dont 1 seule jusqu'aux quatre premières Nouvelles, 12 occurrences de ny pour l'entier du recueil, dont 2 pour le Prologue et les quatre premières Nouvelles ; soit, en valeur relative, pour la tranche retenue [Prologue + Nouvelles 1, 2, 3, et 4] : 78,5 % de ne, 14,5 % de ny et 7 % de ni). Les formes ny et ni apparaissent dans des configurations où la désambiguisation catégorielle n'est pas de mise. Voir par exemple les occurrences de la tranche [Prologue + Nouvelles 1, 2, 3, et 4] : – en monstrant que on n'ai dit ni faict chose du passez qui semblable ne se puisse aujourd'huy faire ou dire (« Prologue ») ; - ne mirent autre chose au feu en pot ny en rot (« Nouvelle 4 ») ; – et n'en povoient manger ni avaller (« Nouvelle 4 »).
  • [25]
    G. Antoine, La Coordination en français, Paris, d'Artrey, 1962, T. II, p. 1024, n. 2.
  • [26]
    Au sens de S. Auroux, Histoire des idées linguistiques, Liège, Mardaga, 1992, T. II, p. 28.
  • [27]
    F. de Vaugelas, Remarques sur la langue française, [1647], Genève, Slatkine Reprints, éd. J. Streicher, 2000, p. 36.
  • [28]
    G. Antoine, ouv. cit., p. 1025.
  • [29]
    Voir FRANTEXT, G. Sand, Correspondance, 1830 :
    – J'ai vu ici une dame arrivant de la Capitale avec une robe faite en redingote d'homme (le corsage s'entend) et un jabot garni de dentelle, attaché avec des boutons d'or, ne plus ne moins qu'un garçon (p. 619).
    – je reste à tes polissons de genoux, ne plus ne moins que le pasteur galant qui [...]
  • [30]
    A. Queffélec, ouv. cit, pp. 926-927 notamment.
  • [31]
    L'expression est explicitement référée, chez O. Soutet, à la notion de « négation de virtualité » décrite et théorisée par R. Martin dans « la “Négation de virtualité” du moyen français », Romania, 93, 1972, pp. 20-49. La « négation de virtualité » correspond à une saisie précoce du mouvement de pensée, exprimé par ne, qui va du plus vers le moins.
  • [32]
    Voir O. Soutet, ouv. cit., p. 238.
  • [33]
    Voir O. Soutet, ouv. cit., p. 239. Pour une description complète de la négation (ou « mouvement de pensée allant du plus vers le moins ») dans les études guillaumiennes, voir A. Boone et A. Joly, ouv. cit., art. NÉGATION, pp. 285-286).
  • [34]
    Au sens guillaumien de « marqueur confirmant le mouvement de négativation enclenché par un autre morphème » (en l'occurrence, l'adverbe ne). Chez J. Damourette et E. Pichon, [1911-1940], à qui revient la paternité du mot « forclusif », le terme considéré désigne bien, initialement, le « second morceau de la négation » (t. I, § 116), mais il s'applique ensuite à l'ensemble des mots ayant pour fonction de « classer ce qu'ils expriment hors du champ de ce qui est aperçu comme réel ou réalisable » (t. VI, § 2241). C'est au sens restreint - retenu par la psychomécanique - de « second morceau de la négation », et à lui seul, que nous référons ici. Parallèlement, nous conférons dans cet article au terme de « discordantiel » le sens guillaumien de morphème enclenchant « un mouvement de pensée qui va du plus vers le moins » (R. Martin, « art. cit. », p. 41 ; G. Moignet, Systématique de la langue française, Paris, Klincksieck, 1981, p. 205). Le « discordantiel » est ainsi perçu par les guillaumiens comme un marqueur de négation alors que chez J. Damourette et E. Pichon, les créateurs du terme, il se contente de manifester un « clochement affectivo-intellectuel » (ouv. cit., t. VI, § 2209) et constitue à ce titre un pur signal de « discordance » (t. I, § 114-115). Chez certains psychomécaniciens (notamment Cl. Buridant, Grammaire nouvelle de l'ancien français, Paris, Sedes, 2000, § 615-617), le changement de sens est matérialisé par un changement orthographique, avec un passage de la graphie en -tiel (discordantiel) à une graphie en -ciel (discordanciel).
  • [35]
    Voir, outre les occurrences citées, J. Calvin, Des Scandales, 1550, p. 178, G. de Bruès, ibid., p. 271 ; J. Calvin, Inst. rel. chrest., 1560, L. 4, p. 365 ; B. Palissy, Recepte veritable, 1563, p. 139 ; J. de la Gessée, Les Jeunesses, 1583, p. 110, P. de Tyard, Mantice, 1587, p. 192 ; P. Matthieu, Clytemnestre, 1589, p. 145.
  • [36]
    Pour le détail des occurrences et la fortune de ce tour aux XVIIe et XVIIIe siècles, voir Cl. Badiou-Monferran, « Négation et coordination en français classique : le morphème ni dans tous ses états », Langue française, la Négation en français classique, 143, sept. 2004, pp. 69-92, notamment pp. 76-80.
  • [37]
    Outre l'occurrence citée, voir Anonyme, Six pièces polémiques du recueil La Vallière, 1530 ; M. de Navarre, L'Heptameron, 1550, p. 930 ; Ch. Estienne, Paradoxes, 1561, p. 191 ; J. de Lavardin, La Celestine (adapt.), 1578.
  • [38]
    Outre l'occ. citée, voir, entre autres, N. de La Chesnaye, la Condamnation du Banquet, 1508 ; F. Rabelais, Gargantua, 1542, p. 406 ; M. de Navarre, Trop, prou, peu, moins, 1544 ; M. de Navarre, L'Heptameron, 1550 ; F. Rabelais, Tiers Livre, 1552 ; J. Calvin, Inst. rel. chrest., 1560, L. 3 ; B. de Vigenère, l'Hist. de la décadence de l'Empire grec, « Préface », 1577.
  • [39]
    FRANTEXT donne, pour le XVIe siècle, de multiples attestations de et et ou en atmosphère non pleinement positive (notamment en contexte interrogatif et en contexte comparatif). Pour un relevé statistique de ce type d'occurrences, voir Cl. Badiou-Monferran, « art. cit. », pp. 77-78.
  • [40]
    Voir notre note 39.
  • [41]
    La lecture selon laquelle le second ne serait ici (comme, au demeurant, le premier) un adverbe discordantiel, mis en place de ne pas – « elle ne peut ne le craindre » étant alors paraphrasable par « elle ne peut pas ne pas le craindre » – semble exclue, dans la mesure où, à l'orée du XVIIe siècle, les conditions d'emploi de ne seul à la place de ne pas se sont considérablement réduites, et où notre énoncé ne correspond à aucune des configurations attendues pour l'apparition de ne seul. (À ce sujet, voir Cl. Muller, « Sur quelques emplois particuliers de pas et point à l'aube du français classique », Langue française, 143, sept. 2004, pp. 21-22). Force nous est donc de considérer que le second ne constitue ici un coordonnant à part entière, et que « elle ne peut ne le craindre et fuir » est glosable par « elle ne peut ni le craindre ni le fuir ».
  • [42]
    Pour les avatars de ce type de coordination en français classique, voir Cl. Badiou-Monferran, « art. cit », passim.
  • [43]
    Cette rareté rend compte de l'inadaptation de la forme ni à la représentation de la coordination de virtualité. En fait, pendant tout le XVIe siècle, ni, pour satisfaire au phénomène discursif de suffisance expressive, s'essaye à occuper la place laissée vide par ne, avant de disparaître définitivement dans cet emploi jugé contre nature (car ne mettant pas en adéquation le plan de l'expression et le plan de la représentation).
  • [44]
    O. Soutet, ouv. cit., p. 239.
  • [45]
    Ne coordonnant de syntagmes verbaux ne se maintient en effet après 1550 qu'à la faveur d'une haplologie. Voir entre autres à ce sujet : « Il ne fut ne sera jamais rien pire que la femme entre les calamitez des hommes » (J. de Lavardin, La Celestine, [adapt.], 1578, p. 54).
  • [46]
    Au sens où l'entend Guillaume, LL5 123, lorsqu'il évoque « la visée téléologique du langage ». Sur la téléologie ou la téléonomie chez Guillaume, voir A. Boone et A. Joly, ouv. cit., art. SYSTÈME, p. 431.
  • [47]
    Se dessine alors de la sorte la possibilité d'une morpho-phonologie guillaumienne, qui avait été ouverte en son temps par G. Moignet. (Voir entre autres G. Moignet, « Ancien français, si/se », Tra -Li -Li, XV, 1, 1977, pp. 267-289).
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