Notes
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[1]
Le nous utilisé dans cet article désigne l’auteure ainsi que ses apprenants, étudiants, stagiaires et collègues qui ont contribué à affiner sa réflexion. Qu’ils en soient ici vivement remerciés.
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Avec nos remerciements, pour la matrice de cette proposition, à Pierre Carle réalisateur du film La Sociologie est un sport de combat, film documentaire sur les travaux de Pierre Bourdieu.
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Il s’agit de propositions, non de phrases. C’est la raison pour laquelle ces propositions ne présentent pas les marques graphiques de la phrase.
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[4]
Ces exemples constituent des phrases et les marques graphiques de la phrase sont présentes.
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Jeu collectif inventé par des poètes surréalistes, théorisé ensuite par André Breton en 1954.
1 Une prétendue nouvelle notion est apparue dans les programmes 2015. Cela a entrainé de nombreuses réactions tant de la part des enseignants que des parents d’élèves et observateurs des programmes scolaires de tous les horizons. Nous [1] allons profiter de cette contribution pour resituer cette notion dans la description philosophique et grammaticale, pour en montrer la pertinence non dans une approche de la grammaire fondée essentiellement sur la description mais dans la perspective d’aider l’élève, quelle que soit sa langue première, dans son chemin pour aller de sa pratique langagière vers les attendus scolaires en termes d’usage de la langue ; soit aller de la maitrise de sa langue première à la maitrise de l’analyse. Dans cette perspective, quelques pistes didactiques seront proposées. Les exemples sont issus d’expériences en formation d’adultes faiblement lettrés, en situation d’enseignement/apprentissage avec des élèves à besoins éducatifs particuliers et de moments de formation d’enseignants.
Une notion qui pose problème, le prédicat
2 Deux réactions défensives ont eu lieu depuis que les programmes 2015 ont paru.
3 La première pourrait paraitre anecdotique si elle n’induisait pas des phénomènes de rejet. Il s’agit de l’analogie faite entre prédicat grammatical et le prédicateur religieux. Que l’église ait utilisé un terme antérieur à la chrétienté pour les besoins de sa liturgie, c’est son usage ordinaire des mots latins. Que les logiciens et grammairiens aient utilisé la même racine en référence au premier utilisateur et à ses traducteurs, c’est un usage tout autant normal. Dans toute langue, il y a des termes qui ont des significations différentes bien qu’ayant une origine commune. Les paraboles des évangiles ne gênent pas la représentation d’équations du second degré. Il y a sans doute plus à faire pour désambigüiser le terme temps qui peut désigner une grande période et un modèle de conjugaison que d’essayer de différencier des termes qui sont utilisés dans des domaines de connaissance très différents.
4 La deuxième s’est exprimée sous la forme : « encore une nouvelle terminologie pour une nouveauté ». Ce n’est en rien une nouveauté, mais ne jetons pas la pierre à ceux qui n’ont connu que la grammaire scolaire telle qu’elle s’enseigne depuis le XVIIIe siècle. Et c’est le cas de la grande majorité des locuteurs francophones. Néanmoins, ceux qui ont eu la chance d’étudier les Catégories d’Aristote (Ildefonse et Lallot 2002) savent que la notion est très ancienne. L’acception du terme dans les nouveaux programmes provient de cette tradition. En logique, le prédicat est la « qualité, propriété en tant qu’elle est affirmée ou niée d’un objet ». Pour simplifier, nous vous proposons la définition suivante, proche de celle d’Aristote : le prédicat est ce qu’on affirme de quelque chose (ce dont on veut parler). Il s’agit alors d’une proposition de type logique. Cette proposition peut être soumise à l’épreuve de vérité. Admettons les propositions suivantes :
5 Il est possible de dire, de ces deux propositions, qu’elles sont vraies ou qu’elles sont fausses. Il s’agit bien là de propositions au sens aristotélicien du terme : élément de discours qui affirme quelque chose de quelque chose. La production langagière est donc bien perçue comme étant au service d’un discours. À quoi serviraient les mots et les structures s’il n’y avait pas besoin de discours ?
6 Le terme a été repris par les auteurs de la Grammaire générale et raisonnée – dite de Port-Royal (Arnauld et Lancelot 1660) – dont l’un des auteurs, A. Arnauld, est également l’auteur de la Logique de Port-Royal. Le lien entre unité de logique et unité de langue s’est ainsi fait, permettant de rendre compte que la proposition logique est sous-jacente à tout énoncé, quelle que soit la langue. Ces précurseurs de la linguistique générale et contrastive ont mis en évidence ce point commun à partir du peu de langues qu’ils avaient étudiées. Cet aspect universel a été repris récemment dans la théorie des opérations énonciatives d’A. Culioli (1990) qui s’appuyait sur un très grand nombre de langues, et dans les travaux de A.H. Ibrahim (2009). Les linguistes contemporains s’inscrivent dans la lignée de la description en deux composantes de la phrase. Sans être exhaustifs, citons notamment, avec des conceptions différentes de la grammaire, P. Le Goffic (1993) et D. Van Raemdonck (2011).
7 Ce qui peut se résumer ainsi : pour tout locuteur, quelle que soit sa langue première, l’unité de discours se fait à partir d’une structure [sujet (ce dont je parle) / prédicat (ce que j’en dis)]. Cette structure logique n’est pas forcément celle qui va être produite, mais cela peut éventuellement être le cas.
8 Ainsi pour un contenu de proposition du type [la souris / donne du lait au chat], il peut y avoir des mises en discours différentes faisant intervenir ou non des modalisations. Les marques de modalisation vont permettre de percevoir le point de vue du locuteur sur la proposition. Nous utilisons cet exemple paradoxal pour mettre en évidence que c’est la syntaxe qui produit le sens et non des hypothèses d’interprétation liées au sémantisme des mots. Les élèves admettent facilement que cela peut être vrai s’il s’agit d’un dessin animé comme ils peuvent dire que cela leur parait faux. Ils mettent en œuvre leur jugement sur la proposition.
(4) Il semblerait que la souris donne du lait au chat.
(5) La souris donne du lait au chat ?
(6) La souris qui donne du lait au chat ! N’importe quoi !
(7) Le chat, tu sais, celui de mon voisin, eh bien, la souris, elle lui donne du lait [4].
9 Le poids de la grammaire de Port Royal et des grammaires latines qui ont servi de modèle à la grammaire scolaire a fait que le modèle canonique de la phrase soit calqué, en français, sur la structure de la proposition (Péret 2013). Ainsi, La souris donne du lait au chat est considéré comme une proposition indépendante en analyse logique. C’est une phrase qui peut être exceptionnellement trouvée en discours. Elle suppose un contexte iconique : « Dis-moi ce que font les animaux sur cette image » ou « quelle légende pourrait-on écrire pour cette image ? ». Dans les discours authentiques – et donc dans les pratiques langagières ordinaires des élèves – il y a peu de chance de trouver une telle phrase.
10 Avec l’analyse grammaticale traditionnelle, donne du lait au chat constitue le groupe verbal. Ce qui correspond au prédicat logico-grammatical. Et ce qui correspond au prédicat des programmes 2015. La tradition grammaticale n’offrait qu’un seul terme pour analyser le verbe alors que l’exercice prototypique consistait à trouver, pour chaque terme d’une phrase, sa nature et sa fonction. Cela est possible pour la, souris, du, lait, au, chat. Par contre, pour donne, on ne connait que sa nature, c’est un verbe. Mais la fonction ? On noyait le problème sous des indications de groupe, de temps, de personne… Pourtant s’il y a un terme qui est nécessaire dans une phrase verbale, c’est bien le verbe. Il a donc une fonction très importante. Pourquoi la tradition grammaticale n’a pas osé utiliser l’expression fonction prédicative qui correspond à la fonction du verbe ? Il n’est pas question ici de rechercher des hypothèses de réponse. Mais il est important de parler de la fonction prédicative, puisque c’est elle qui fait proposition. Et, tout comme les sujets peuvent être de différentes natures (nom, groupe nominal, pronom, verbe à l’infinitif…), la fonction prédicative peut être assurée par d’autres termes que le verbe. Elle peut être le fait d’un présentatif : « Tiens, voilà la souris ! » De la souris, je dis qu’elle arrive. Ou la prosodie, comme dans le cri du chat voyant arriver la souris : « La souris !!!! ». Ou encore la ponctuation : « La grammaire, un sport de combat. » ; « La grammaire, un sport de combat ! ? ».
11 Le prédicat peut s’analyser plus finement en un verbe qui assure la fonction prédicative et un groupe nominal éventuel ou autre proposition qui assurent la fonction de complément du verbe. Nous utilisons l’expression « assurer une fonction » comme on peut dire d’un être humain « quelle que soit sa nature » qu’il peut assurer une fonction dans l’administration. De même, le verbe peut assurer d’autres fonctions quand il est à l’infinitif.
Comment présenter le prédicat aux élèves ?
12 Les logiciens et grammairiens qui nous ont permis d’utiliser le concept opératoire de prédicat, n’étaient pas des didacticiens. C’est à ces derniers que revient le travail de transposition (Chevallard et Joshua 1991) pour faire qu’un élément descriptif devienne un moyen d’accéder à la langue normée exigée par la société. Des ouvrages didactiques récents le permettent (Chartrand, dir., 2016).
13 Dans un premier temps, il est important que les élèves prennent conscience qu’ils utilisent tous une structure prédicative pour parler. L’enseignant peut donc s’appuyer sur un savoir-faire déjà là. Le tout petit, dans ses mots-phrases, dit quelque chose de quelque chose : pas purée ; doudou… (Kail 2012).
14 Cette analyse en deux constituants est accessible aux élèves dont les fonctions cognitives ne sont pas encore très développées. Une proposition, qu’on peut appeler « phrase de base » (Gagnon et Péret 2016), est constituée de deux éléments. Ensuite, chaque groupe peut se présenter de différentes façons. Pour l’analyse des compléments du verbe, nous vous renvoyons à l’article de B. Bouard (2016) qui met en évidence la complexité inutile de l’analyse traditionnelle. Des enfants de 5 ans font très bien la différence entre je le donne et je lui donne pour peu qu’ils aient appris à parler avec des parents utilisant le français standard. Ils peuvent même dire « c’est moi qui l’ai faite » (en parlant de la tarte, même si c’est un garçon qui parle). Ce qui prouve que l’analyse de la langue par l’enfant est très efficiente. Par contre ils ne peuvent produire ce type d’énoncés s’ils ne les ont jamais entendus, si, dans leur entourage, on ne les a jamais repris.
15 Si un élève dit : « la souris, il le mange le chat », l’enseignant va être obligé d’aller rechercher la phrase de base. « Tu parles de la souris ? tu dis qu’elle mange le chat ? » ou « tu parles du chat ? tu dis qu’il mange la souris ? ». En « parler Tarzan », pour reprendre une expression utilisée avec succès avec des publics peu lettrés, tu dirais « souris mange chat » ? ou « chat mange souris » ? Selon la réponse de l’élève on peut mettre en évidence les « deux pattes » de la phrase de base. Et lui proposer de dire « la souris, elle le mange le chat » ou « la souris, il la mange, le chat » selon les indications qu’il a données.
16 Il s’agit là d’un étayage lors de la production orale pour permettre à l’élève de se corriger. L’exemple est tout à fait transférable pour une production écrite. L’enseignant, dans ce cas, donne le modèle syntaxique à l’élève.
17 Par contre, ce simple étayage (Bruner 1989) peut ne pas être suffisant, surtout pour les élèves pour qui l’analogie entre la structure de la proposition et la structure de la phrase de base n’est pas possible dans sa langue première, comme c’est le cas des énoncés les plus courants en amazigh. Un travail systématique est nécessaire pour ancrer les modèles de façon à ce que l’élève puisse construire ses propres énoncés en respectant les structures syntaxiques du français standard.
18 Nous proposons ici quelques pistes de travail en classe qui ont été testées et peuvent permettre aux enseignants de s’en inspirer pour proposer leurs propres situations.
La fabrique de propositions
19 Elle s’appuie sur la capacité à substituer un élément de la phrase par un autre. Cette capacité est la clé de l’aisance dans la production langagière. Il s’agit d’une manipulation très courante en classe. Nous suggérons de l’associer à la terminologie prônée par les programmes.
20 On peut partir d’une proposition non seulement de base, mais aussi minimale : [Paul/danse]. Les deux éléments constitutifs : sujet de la proposition/prédicat de la proposition sont facilement identifiables.
21 De qui parle-t-on ? De Paul. Que peut-on dire de Paul ? Il danse. Peut-on trouver d’autres mots à mettre à la place de danse ? L’enseignant fait appel aux idées des élèves. Il a le droit de jouer car certaines structures des prédicats peuvent ne pas être proposées par les élèves. S’il donne bien l’impression de jouer avec des expressions insolites, les élèves vont le suivre.
22 La présentation en tableau permet de visualiser les deux constituants de la phrase de base :
25 Puis on propose le même type de tâche en bloquant le prédicat et en faisant varier le sujet.
26 « Dans [Paul / danse], que dit-on de Paul ? On dit qu’il danse. De qui pourrait-on dire aussi qu’il danse ? »
27 Ou autre formulation qui prépare le terrain pour l’orthographe du verbe : « Qui est-ce qui peut danser ? »
28 On garde le même procédé de recueil pour arriver à un tableau qui peut ressembler à celui-ci :
31 La variation est possible en genre mais pas en nombre si dans un premier temps seul le présent est utilisé. Les exemples avec une forme composée du verbe pourront être envisagés ultérieurement.
32 Pour un élément de différenciation, on peut proposer à un groupe d’élève d’utiliser le prédicat dansent.
33 Pour ceux qui veulent aller plus loin dans la différenciation, dès la fin du cycle 2, certains peuvent chercher tout ce qui peut se placer à droite de est dans le prédicat. Même chose avec a, sont, ont. C’est ainsi que les élèves vont intégrer les cas d’emploi des graphies des homophones grammaticaux quand il s’agit des verbes être et avoir, plutôt que de chercher des procédures de substitution couteuses et parfois improductives, comme par exemple changer le temps ; ce qui peut s’avérer difficile puisque cela modifie un des paramètres de la situation d’énonciation (Elalouf et Péret 2009).
Déconstruction/reconstruction à l’origine de la création artistique
34 Il s’agit là d’une adaptation du célèbre jeu oulipien des Cadavres exquis [5]. Il s’agit, là aussi, d’une pratique courante en classe et le même objectif est poursuivi concernant la conception binaire de la phrase de base. Des phrases issues de la vie de la classe, si possible des phrases écrites ou dites par les élèves, sont distribuées aux élèves sous forme de bandes. Chaque élève doit couper une ou plusieurs bandes de papier en séparant le sujet du prédicat. Puis les morceaux sont collectés dans deux boites. Une boite porte l’étiquette « sujets » et l’autre, l’étiquette « prédicats ». Si nous insistons sur la mise en œuvre c’est parce que la boite matérialise la catégorie et l’étiquette le nom de la catégorie. L’effet serait moins opératoire avec des tas. Les élèves vont ensuite puiser au hasard quelques morceaux dans chacune des boites et, par petite équipe de deux ou trois, vont former des phrases de base. S’ils vont d’abord chercher des propositions du type l’ours mange des frites, ils vont chercher l’effet humoristique. C’est là qu’ils vont prendre le rôle de créateurs pour qui les mots sont un levier pour l’expression plus ou moins poétique : la libellule va se faire couper les cheveux ou la feuille morte qui vient de se détacher de l’arbre se souvient des jours anciens.
35 Si les élèves ont mal coupé les propositions initiales, ils ne peuvent pas créer de nouvelles propositions. On ne peut pas dire si la suite de mots Paul est danse est une proposition. On ne peut pas dire qu’on pense que c’est vrai ou que c’est faux. Si, dans un premier temps, l’enseignant a pris le soin de ne proposer au découpage que des propositions dans lesquelles le sujet est au singulier, une étape ultérieure pourra mélanger dans un premier temps des sujets au singulier ou au pluriel ; ce qui pourra mettre en évidence l’absence d’accord que le hasard pourra créer. Cela paraitra évident si les verbes utilisés sont des verbes pour lesquels le pluriel s’entend au présent ; ce qui est le cas des plus fréquents : être, avoir, aller, faire, dire, prendre.
36 Nous venons de voir qu’une visée orthographique était sous-jacente avec les homophones grammaticaux et l’accord du verbe. Mais il y a aussi une visée de production plus libre et, comme pour l’exemple paradoxal cité plus haut, c’est l’ouverture à l’expression métaphorique qui peut être atteinte. Les plus belles associations peuvent être placées dans un « sac à trouvailles » qui va servir de ressources pour des moments de production. Il est très intéressant de dire aux élèves que c’est un procédé utilisé par de grands poètes. Cette situation permet de sublimer leur pratique langagière ordinaire en pratique poétique.
De la proposition à la phrase et au discours
37 La phrase de base n’est pas, comme nous l’avons dit plus haut, une phrase authentique ou un énoncé tels qu’on peut les rencontrer dans les discours. Le lien entre l’unité de proposition et la production langagière doit être explicité, sinon les élèves peuvent ne pas comprendre à quoi servent ces activités sur la langue. Cela peut passer par un jeu de mise en discours, lequel jeu est d’abord appréhendé avec méfiance par les élèves les plus en difficulté avec la langue, mais est ensuite très apprécié. À partir d’un contenu de proposition présenté en « parler Tarzan », les élèves vont rechercher par petits groupes de deux ou trois, plusieurs façons de dire la même chose (de cinq propositions pour les élèves de cycle 2, à sept pour le cycle 3 et quinze pour la fin de secondaire et le supérieur). Ce travail permet également de donner des moyens d’expression. Les élèves peu lettrés pensent souvent qu’il n’y a qu’une seule façon de dire ce qu’ils pensent, et qu’ils ne maitrisent pas cette façon. La confrontation avec les propositions des autres groupes va leur permettre de penser d’autres possibilités de mise en discours, de prendre conscience que ce qu’ils disent est une façon parmi les autres d’exprimer le contenu, qu’il existe des possibilités qu’il vaut mieux privilégier dans certaines situations de communication. Souvent, on entend dire « ils ne maitrisent même pas le français ». Ce qui est faux. Ils maitrisent leur variante de français, celle avec laquelle ils se font comprendre et comprennent les autres dans leurs cercles familial et social. L’enjeu de l’apprentissage du français en classe est de connaitre différentes variantes du français, savoir identifier celle du français standard (français de la télévision, de la préfecture, du certificat de formation générale) utile pour l’intégration socioprofessionnelle et surtout de savoir passer de son français à un autre. La situation de construction de paraphrases permet ce travail. Il est possible ensuite de classer les phrases produites selon le contexte de production dans lequel elles peuvent être émises. Pour aller plus loin, il est possible de donner comme consigne de jeu de rôle de trouver la situation dans laquelle telle phrase peut être dite. Les propositions de paraphrases peuvent contenir des compléments qui permettent de situer l’ensemble de la relation sujet/prédicat en lieu ou en temps, de proposer des causes ou des conséquences. Quand minuit sonne, la souris danse. Au clair de lune, la souris danse. Pour montrer sa joie, la souris danse. Ces compléments peuvent être placés au début ou à la fin de la phrase mais, dans tous les cas, le prédicat reste le même.
Groupes syntaxiques, précision terminologique et accords
38 Nous allons présenter maintenant quelques clarifications pour ne pas embrouiller les élèves. Il y a un premier niveau d’analyse, il s’agit de celui de la proposition ou phrase de base en deux éléments : sujet de la proposition et prédicat de la proposition. Ensuite, une analyse de deuxième niveau peut avoir lieu à l’intérieur même de ces deux composantes. Le prédicat d’une phrase verbale est constitué d’un verbe dont la fonction est prédicative et d’éventuels compléments. Le verbe s’accorde avec le nom noyau du sujet. Le sujet peut être constitué d’un seul élément, nom propre ou pronom ou de plusieurs, il s’agit alors, dans la plupart des cas, d’un groupe nominal. Il existe d’autres cas, beaucoup plus rares qui relèvent de l’analyse plus fine telle qu’elle peut être menée en fin de scolarité obligatoire, comme par exemple la proposition sujet des tournures proverbiales : Qui aime bien châtie bien. En tout état de cause, l’analyse en sujet/prédicat n’est pas affectée. Il est important que les élèves identifient bien le verbe qui assure la fonction prédicative car c’est lui qui présente des marques d’accord différentes des autres mots. Dans les groupes nominaux, la marque d’accord du pluriel est -s ou -x. Pour le verbe, il y a conjugaison, au sens propre du terme, entre marques de personne et de nombre. Les marques de temps/mode, de personne, de nombre sont sous le même joug de la terminaison verbale.
Pour conclure
39 Nous espérons que les lignes précédentes ont permis de rendre la notion de prédicat plus familière. Notre objectif était de montrer que l’introduction de cette notion dans les programmes est une opportunité pour rendre la grammaire plus facile et qu’elle permet de faire du lien entre pratiques langagières des apprenants et le français cible des apprentissages scolaires. C’est parce qu’il aura une première analyse, valable pour toutes les phrases de base en deux éléments qu’il commencera son apprentissage de la prise de conscience des phénomènes syntaxiques. Ce n’est que parce que l’élève comprendra qu’il maitrise déjà la base des structures grammaticales qu’il acceptera d’élargir le champ de ses savoirs. Ce n’est que parce qu’on l’invitera à jouer avec la langue qu’il prendra de l’assurance dans la manipulation et pourra percevoir les effets de style des auteurs qu’il lira.
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Mots-clés éditeurs : apprentissage grammatical, didactique du français, étude de la langue, programmes officiels., prédicat
Date de mise en ligne : 06/10/2017
https://doi.org/10.3917/lfa.198.0067Notes
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Le nous utilisé dans cet article désigne l’auteure ainsi que ses apprenants, étudiants, stagiaires et collègues qui ont contribué à affiner sa réflexion. Qu’ils en soient ici vivement remerciés.
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Avec nos remerciements, pour la matrice de cette proposition, à Pierre Carle réalisateur du film La Sociologie est un sport de combat, film documentaire sur les travaux de Pierre Bourdieu.
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Il s’agit de propositions, non de phrases. C’est la raison pour laquelle ces propositions ne présentent pas les marques graphiques de la phrase.
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Ces exemples constituent des phrases et les marques graphiques de la phrase sont présentes.
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Jeu collectif inventé par des poètes surréalistes, théorisé ensuite par André Breton en 1954.