1 L’intérêt de l’AFEF pour l’oral en lien avec la réussite scolaire est important depuis longtemps, puisque l’association avait consacré à cette problématique son deuxième congrès, en 1977, à Limoges, avec une conférence de Pierre Bourdieu. Comme l’indique l’invitation du sociologue, le questionnement portait sur la réponse que peuvent apporter des pratiques d’enseignement à une discrimination sociale, particulièrement visible dans les pratiques orales. Cependant, depuis la mise en ligne de la revue Le français aujourd’hui en 2000, on ne trouve que deux numéros thématiques consacrés à l’oral, le numéro 146, « Oral : le rapport à l’autre », en 2004, qui traite principalement des activités d’argumentation orale et le numéro 150, en 2005, intitulé « Voix. Oralité de l’écriture ». Certes, des articles peuvent porter sur l’oral dans d’autres numéros thématiques. C’est le cas en particulier, en 2015, dans le numéro consacré à la logique des compétences, de celui de Roxane Gagnon, « Qu’est-ce qu’être compétent en argumentation à l’oral en secondaire professionnel ? », qui présente un ensemble d’activités visant à aider des élèves d’enseignement professionnel à réussir un entretien d’embauche. On ne doit pas oublier l’excellent numéro 101 coordonné par Françoise Gadet et Serge Lureau publié en 1993, « Norme(s) et pratiques de l’oral », qui traite d’une problématique centrale pour l’enseignement de l’oral, celle des normes de référence et du traitement de la variation. L’espacement temporel de ces publications témoigne de l’intérêt « intermittent » pour l’oral en didactique du français. Cet enseignement est jugé crucial pour la réussite des élèves et leur future insertion sociale, particulièrement pour les élèves de milieu populaire, mais il est en même temps apprécié comme particulièrement difficile par les enseignants. Comme le rappelle Élisabeth Nonnon, elle-même reprenant les propos de Jean-Claude Chevalier, « la question de l’oral resurgit quand l’école est confrontée à une crise et s’interroge sur ses missions sociales » (2011 : 185). Ceci explique sans doute la place accordée à l’oral dans les programmes de 1972 pour l’école primaire, de 1996 pour le collège, de 2002 et, aujourd’hui, de 2015. De même, en recherche, Élisabeth Nonnon rappelle que « l’histoire des travaux didactiques sur l’oral est une histoire à éclipses » (2011 : 184). La période actuelle correspond sans aucun doute à un moment favorable au questionnement de l’enseignement de l’oral, comme y invite le titre de la présente livraison du Français aujourd’hui.
L’évolution de la place de l’oral dans les programmes français
2 L’article de Lucile Cadet et Anne Pegaz-Paquet, en confrontant les directives relatives à l’oral présentes dans les programmes français depuis 1945, met en évidence la complexité de la définition de l’oral, qualifié par Jean-François Halté d’« objet verbal non identifié » (2005, cité ici). Les auteurs distinguent ainsi la « production orale […] (parler, oral spontané), l’oralisation comme expression orale d’un texte écrit (lire une histoire) et l’oralité qui concerne une production orale dont l’origine est un texte écrit (raconter une histoire) ». Elles mettent également en évidence la distinction, posée dès le milieu des années 1990, entre l’oral pour apprendre, moyen de communication et de construction des connaissances, et l’oral à apprendre, considéré comme objet d’enseignement. Ces deux thématiques étaient celles des numéros thématiques de la revue Repères, respectivement Repères n° 17, « L’oral pour apprendre » (1998) et Repères n° 24/25 (2001-2002), « Enseigner l’oral ». Ces auteures montrent comment, ensuite, les programmes 2002 intègrent le travail sur l’oral à la fois dans la dimension transversale de l’éducation citoyenne et dans les différentes disciplines, sous des modalités différentes. Elles soulignent enfin les deux principales dimensions nouvelles dans les programmes 2015 : d’une part, la permanente interaction entre l’oral et l’écrit ; d’autre part, la place accordée à l’éveil à la diversité linguistique, dès l’école maternelle. Elles montrent ainsi comment les injonctions institutionnelles portent trace des avancées des recherches didactiques sur cette question. Elles concluent toutefois en soulignant le décalage entre les prescriptions institutionnelles et les pratiques d’enseignement dans les classes, en insistant sur l’importance de l’accompagnement et de la formation continue.
L’enseignement de l’oral dans les différents pays de la francophonie
3 Le lecteur appréciera la dimension internationale de ce numéro avec des articles issus de plusieurs pays de la francophonie. Ainsi est étudiée la place de l’oral dans les programmes en France mais aussi au Québec et en Suisse romande. Cette approche comparative est toujours précieuse pour mettre au jour les traits communs mais aussi les spécificités de chaque tradition d’enseignement, et permettre le repérage de points aveugles. Ainsi l’oral semble occuper depuis longtemps une place importante dans l’enseignement secondaire et dans la formation initiale des enseignants au Québec. Lizanne Lafontaine présente les contenus des modules de travail qu’elle a mis au point successivement pour l’enseignement secondaire et pour l’enseignement primaire. Ils découpent les différents paramètres du fonctionnement du discours oral sur lesquels sont organisés des entrainements. Joaquim Dolz et Roxane Gagnon nous apprennent qu’en Suisse romande, les programmes distinguent un enseignement de l’oral commun aux élèves de 9ème année (équivalent de la classe de troisième) et un enseignement organisé de l’oral pour les élèves de certaines sections spécialisées : Communication et technologies et Langues vivantes et communication. Dans ces sections, s’appliquent des conditions-cadres matérielles et organisationnelles particulières : l’enseignement est en principe donné par un-e praticien-ne reconnu-e des arts de la scène, en groupes restreints, dans un local adapté et à l’aide d’un équipement adapté. Les deux didacticiens suisses ne reprennent pas l’enseignement de l’oral par genres, que l’équipe de Genève a développé depuis de nombreuses années (Dolz et Schneuwly 1998) mais s’intéressent ici à l’enseignement d’une dimension spécifique de l’oral, corps et voix.
Les enjeux sociaux de la maitrise de l’oral
4 Ce numéro du Français aujourd’hui met bien en évidence les enjeux sociaux de la maitrise de l’oral. Avec un article consacré à la recherche d’une école maternelle « davantage inclusive » (contribution de Séverine Behra, Rita Carol et Dominique Macaire) et un article analysant la production de récits oraux par des élèves allophones, il prend bien en compte la dimension plurilingue de l’école aujourd’hui. Hiba El Abed Gravouil et Jacques David, en confrontant les productions orales narratives d’élèves allophones en français langue de scolarisation et dans leur langue d’origine, mettent en évidence l’importance décisive des compétences acquises en langue première. Le constat est précieux mais les interrogations relatives aux interventions didactiques demeurent. Comment articuler le français langue de scolarisation et les langues maternelles des élèves ? La production d’un récit en langue d’origine peut-il permettre d’améliorer les productions orales des élèves dans la langue de scolarisation ? À quel moment du processus de travail ? Quelle place respective donner aux diverses langues dans la classe ? À quel moment et avec quelles modalités est-il pertinent de faire comparer les langues ? Autant de questions qui nécessiteraient des recherches-actions autour de dispositifs innovants avec une analyse de leurs effets sur les compétences des élèves.
5 La question de l’articulation entre les pratiques langagières orales des élèves et l’oral scolaire est centrale. On pourrait regretter que, ici encore, elle ne soit posée que pour les élèves d’école maternelle et les élèves allophones. Bien évidemment, c’est dans ces cas qu’elle se pose de façon la plus manifeste mais on peut regretter que les enseignants ne soient généralement pas suffisamment outillés pour questionner les normes de référence.
6 Emmanuelle Canut et Natacha Espinosa mettent en évidence l’intérêt des situations de jeu pour l’apprentissage du langage à l’école maternelle. Reprenant la typologie proposée dans les documents d’accompagnement des programmes 2015, distinguant « jeux symboliques, jeux d’exploration, jeux de construction et jeux à règles », elles montrent les potentialités importantes des jeux à règles, notamment de certains jeux de société, pour développer des conduites explicatives ou être utilisés comme « supports d’un entrainement au langage ». Une formalisation de la présentation de la règle du jeu par l’enseignant, avec une utilisation de certaines structures syntaxiques et des demandes de reformulation de la règle de jeu par les enfants, guidées par l’enseignant, favorisent le réemploi de certaines structures syntaxiques. Les extraits de corpus cités mettent bien en évidence l’importance de l’étayage enseignant et ses effets sur la qualité syntaxique des formulations des élèves. L’attention permanente aux formulations permet ainsi d’aider les élèves à passer d’une production verbale liée à la situation d’énonciation, où domine l’implicite, à une verbalisation plus explicite et plus précise permettant aux membres du groupe de se rallier à la règle de jeu. La répétition, voire la ritualisation de ces situations, contribue indéniablement aux progrès langagiers.
7 Les diverses contributions présentées dans ce numéro permettent de mettre en œuvre un enseignement progressif de l’oral. On peut toutefois se demander ce qui peut expliquer la faible évolution des pratiques dans ce domaine depuis une trentaine d’années, malgré les nombreuses publications de recherches en didactique du français (Nonnon 1999 ; Laparra 2008). Une des raisons importantes me semble liée au flou qu’a la signification du mot oral et à la difficulté à identifier les différents objets d’enseignement possibles.
Apprendre à produire de l’oral mais aussi à écouter
8 Là où, pour l’écrit, deux termes permettent de distinguer la réception et la compréhension en lecture et la production écrite, le terme d’oral renvoie à la fois à l’écoute et à la production de discours oraux. Comme le montre l’article d’Élisabeth Nonnon dans le numéro 146 du Français aujourd’hui (2004), écouter peut-être un objectif d’apprentissage. Diverses activités permettent de conduire les élèves à être attentifs à la parole orale, à en sélectionner les éléments-clés, à reformuler les discours de l’enseignant ou les discours des autres élèves, à récapituler les avancées d’un échange. Enseigner l’oral ce n’est pas seulement susciter la prise de parole des élèves.
L’oral ou des oraux ?
9 Pour diverses raisons, le pluriel parait préférable au singulier pour désigner les activités orales. Tout d’abord, parce que, plus encore que l’écrit, l’oral est sujet à variations de diverses sortes : régionales (l’accent ou les constructions syntaxiques), sociales (le parler banlieue), générationnelles (le parler jeune), situationnelles (on ne s’adresse pas de la même manière à ses camarades en cour de récréation et en classe, à ses collègues en situation informelle et en réunion…). Un même locuteur peut ainsi être amené à pratiquer diverses sortes d’oraux selon les situations. Quels traits communs entre l’oral de la participation à un débat ou à un travail de groupe, celui d’un exposé ou la diction d’un texte poétique ? Ce ne sont pas les mêmes compétences qui sont en jeu lorsqu’il s’agit de réfuter l’argument d’un autre locuteur ou de coopérer dans un travail collectif, de préparer un oral pour transmettre des connaissances ou de mettre en voix un texte écrit pour le faire partager à un auditoire. Dans le premier cas, l’oral est polygéré et l’élaboration du discours oral s’opère en interaction. Dans le second cas, l’oral est monogéré, avec une prise de parole en continu d’un seul locuteur, et préparé, prenant souvent appui sur un écrit. Quant à la troisième situation, elle ne suppose pas de production de discours mais un travail sur la mise en voix, le débit, l’intonation. Il est ainsi pertinent de caractériser les situations d’oral et d’indiquer le niveau d’analyse linguistique qui fait l’objet d’un travail d’enseignement.
Différents niveaux de fonctionnement de l’oral et divers objets d’enseignement possibles
10 Il est utile de distinguer sous quel angle est considéré l’oral et quels apprentissages/enseignements peuvent être mis en jeu. Chaque niveau d’analyse appelle des activités différentes. La référence à ces niveaux d’analyse peut aider chaque enseignant à analyser les dimensions qu’il privilégie et celles qu’il met au second plan dans son enseignement de l’oral. Elle peut aussi lui permettre de formuler des critères d’évaluation (Garcia-Debanc 1999) et de déterminer les différents objets d’enseignement relatifs à l’oral. Nous reprenons ici les éléments figurant dans l’ouvrage collectif Comment enseigner l’oral à l’école primaire ?, publié en 2004.
11 L’oral peut être considéré dans sa dimension locutoire, la manière de parler, débit, intonation, en articulation avec les éléments non verbaux. C’est ce que proposent Roxane Gagnon et Joaquim Dolz dans ce numéro. Les activités de mise en voix de textes littéraires ou de théâtralisation sont propices à ce travail.
12 L’oral peut être considéré dans sa dimension phonétique ou phonologique, comme en attestent de nombreuses activités de discrimination auditive ou de production de collections de mots comportant tel ou tel phonème, dès l’école maternelle et au début de l’apprentissage de la lecture. Si la prononciation est beaucoup travaillée en langues étrangères, est-elle abordée pour la langue de scolarisation ?
13 La dimension syntaxique de l’oral est également à prendre en compte. Cette dimension n’est pas oubliée dans ce numéro grâce à la contribution de Paul Cappeau, spécialiste de syntaxe de l’oral, dans l’héritage des travaux de Claire Blanche-Benveniste (voir notamment Blanche-Benveniste, 1997). La prise de conscience par les élèves de différences de fonctionnement du discours oral et du discours écrit est essentielle non seulement pour les jeunes élèves dans le cadre de la dictée à l’adulte mais aussi dans la prise en compte des spécificités de la structuration de l’écrit, elles-mêmes liées aux modes d’élaboration du discours. Ainsi, l’oral privilégie des repérages énonciatifs successifs, comme dans cet énoncé favori du linguiste Antoine Culioli : Moi, mon frère, sa mobylette, y a les freins qui déconnent. Au-delà de la variation lexicale, on notera les ajustements pour définir l’objet du discours, là où la norme écrite privilégie des enchâssements sous forme de compléments du nom : Les freins de la mobylette de mon frère ne fonctionnent pas. Cette dimension peut être travaillée par des reformulations successives et des activités de paraphrase. À l’intérieur même de l’oral, peuvent être observées des variations syntaxiques selon les locuteurs, certains d’entre eux utilisant ce que Claire Blanche-Benveniste appelle les formes de prestige ou « la langue du dimanche ». La linguiste montre l’intérêt de jeux de rôle et de la parodie pour entrainer l’utilisation de certaines structures syntaxiques ou de lexiques spécialisés, comme lorsque des enfants de 9 et 11 ans jouent aux dames snobs ou lorsque des adolescents jouent le directeur de grand supermarché (Blanche-Benveniste 1998).
14 L’oral porte aussi souvent directement la trace des ajustements lexicaux, sous la forme de bribes correspondant à des mots commencés et pas terminés ou de listes d’éléments lexicaux successivement proposés en paradigme. Ces ajustements sont la trace d’une recherche de formulation, qui s’opère différemment à l’oral et à l’écrit, l’écrit offrant la possibilité de raturer.
15 Les dimensions discursives ne sont pas spécifiques à l’oral mais se réalisent différemment à l’oral et à l’écrit, du fait de modes de planifications différents. Ainsi raconter, décrire, expliquer, argumenter à l’oral peuvent faire l’objet d’activités d’entrainement par des situations intégrées aux projets d’enseignement ou plus autonomes. Ces conduites discursives peuvent être travaillées alternativement à l’oral et à l’écrit, individuellement ou par coopération en groupes, par des dispositifs permettant des reformulations successives d’un même contenu à des interlocuteurs différents.
16 Les dimensions interactionnelles mettent en jeu l’écoute et la prise en compte des discours des autres locuteurs. Les élèves peuvent ainsi apprendre à reformuler l’argument d’un autre élève, à accrocher leur prise de parole à celle des autres interlocuteurs, à réfuter un argument ou à faire une concession, à récapituler les thèses défendues. Cet apprentissage est à la fois un apprentissage linguistique mais aussi un apprentissage social et participe à la construction de la citoyenneté.
17 Enfin, la dimension pragmatique se rapporte aux énoncés oraux comme actes de langage. Ainsi, en improvisation théâtrale ou au cours de jeux de rôle, peuvent être explorées diverses manières de formuler un ordre ou une demande, en variant les formulations syntaxiques mais aussi les intonations.
18 La prise en compte de ces différents niveaux peut aider à concevoir une programmation d’enseignement des différents niveaux de fonctionnement des oraux et à réguler les activités mises en place en mettant en évidence les dimensions travaillées et les compétences à développer.
La dynamique permanente entre oral et écrit sur le terrain scolaire
19 Dans un article de présentation des axes des programmes 2015, Sylvie Plane (2015) montre comment « l’oral et l’écrit sont souvent pensés en termes de concurrence ou de soumission : concurrence, comme si l’école devait choisir entre enseigner l’oral ou enseigner l’écrit ; soumission, comme si tout ce qui avait trait à l’oral devait avoir pour référence l’écrit. »
20 Lizanne Lafontaine place son article consacré à l’enseignement de l’oral sous l’égide de la littératie, ce qui peut sembler paradoxal, dans la mesure où ce terme désigne « l’ensemble des capacités de lire, d’écrire et de communiquer efficacement à l’oral ou à l’écrit avec différents supports » et laisse donc une place privilégiée aux compétences d’écrit. Ceci la conduit à utiliser l’expression de « littératie volet oral » pour désigner les recherches-actions portant sur l’oral. Cette appellation nous semble être l’indice du fait que, dans nos sociétés fortement structurées par l’écrit, l’oral ne peut se concevoir indépendamment de l’écrit. Il en est ainsi dans les différentes situations de travail, notamment à l’école. En effet, c’est conjointement que se développent la pratique de l’oral et celle des écrits de travail, fortement encouragée par les programmes 2015. Rappelons quelques exemples de ces situations qui placent en interaction dynamique permanente diverses formes d’oraux et d’écrits de travail. En sciences ou en français, un travail de groupe (oral) se réalise sous la forme d’un écrit de travail, par exemple une affiche, qui fait elle-même l’objet d’une présentation orale par un rapporteur du groupe et d’un échange en groupe-classe, eux-mêmes pouvant permettre une nouvelle version écrite du travail, par exemple sous la forme d’une synthèse, élaborée, commentée et reformulée oralement. Il est en de même lorsque les élèves débattent : les phases de recherches d’arguments (en lecture, avec prise de notes écrites) alimentent des moments de débat oral, faisant l’objet de prises de notes préparant une évaluation ou une écriture. En littérature, le carnet de lecteur permet de collecter des impressions écrites de lecture, qui peuvent ensuite alimenter des discussions orales : l’écriture subjective individuelle apparait alors comme une condition nécessaire pour que les interprétations de certains élèves n’écrasent pas celles de leurs camarades. De même, des situations de débats contradictoires pour conseiller ou déconseiller un livre aux autres élèves font l’objet d’un travail écrit préparatoire, qui alimente un débat oral, lui-même motivant la lecture. On aurait du mal à trouver des situations faisant appel exclusivement à l’oral ou à l’écrit.
Un continuum entre divers oraux et divers écrits
21 Là où les théories de la communication, il y a une cinquante d’années, pouvaient opposer l’oral de la communication spontanée immédiate et l’écrit de la communication différée, l’évolution des modes de communication brouille les pistes. Ainsi, dans ce numéro, Paul Cappeau montre bien comment les nouveaux modes de communication électroniques (chat, SMS…) modifient profondément les frontières oral/écrit. Il reprend à P. Koch et W. Œsterreicher (2001) la distinction entre deux paramètres : le médium (oral vs écrit) et le mode d’élaboration (dans l’immédiateté vs avec le temps de l’élaboration). Ces distinctions permettent de différencier des contributions électroniques écrites ou des SMS qui peuvent avoir des caractéristiques de l’oralité dans leur mode d’élaboration, des textes écrits normés utilisant le médium écrit et conçus selon un mode d’élaboration impliquant la réécriture, ou encore des oraux préparés qui empruntent le médium oral tout en ayant fait l’objet d’une élaboration longue. Les écrits, aujourd’hui, sont susceptibles de variations presque aussi importantes que les oraux. De sorte que la compétence communicative peut se définir comme la capacité à choisir l’oral ou l’écrit le plus adapté aux caractéristiques de la situation de communication. Où l’on retrouve l’importance de la variation et du choix de norme.
Enseignement de l’oral et TICE
22 À la fin de leur contribution, Lucile Cadet et Anne Pegaz-Paquet ont mis en évidence l’incidence profonde des nouvelles technologies sur les pratiques de communication. Il est regrettable qu’aucune contribution n’illustre cette dimension. Parce qu’elles facilitent les conditions d’accès aux données orales et l’enregistrement, les nouvelles technologies sont susceptibles de faciliter l’enseignement de l’oral. De nombreuses innovations se mettent en place dans les classes mais, à notre connaissance, peu de recherches en rendent compte. On consultera tout de même les Actes du 12ème colloque de l’AIRDF, « L’enseignement du français à l’ère informatique » consacré à cette problématique (Depersinge et alii 2016). Ces nouvelles opportunités sont également abondamment illustrées par des fiches de travail rendant compte de projets aux différents niveaux scolaires, de l’école au lycée, dans la brochure éditée en 2014 par le ministère de l’Éducation nationale français Les Métamorphoses de la parole à l’heure du numérique : enseigner l’oral. Émissions de radio, fabrication de bandes-sons ou correspondances orales mettent les élèves en position de comparer des versions différentes de la lecture d’un même texte littéraire, de rédiger des écrits de travail ou des textes littéraires pastiches, de les mettre en voix, de réécouter leurs prestations orales, de produire une nouvelle version oralisée tenant compte des remarques et critiques, de produire des discours oraux de présentation des textes oralisés. On travaille ainsi les différentes dimensions de l’oral dans une perspective intégrée : les enjeux culturels ne sont pas dissociés d’apprentissages plus techniques relatifs au débit ou au volume de la voix par exemple. Ainsi, les productions orales valorisent, diffusent et motivent les apprentissages culturels en français.
23 L’expertise de l’enseignant nécessaire pour concevoir et mettre en œuvre un enseignement des oraux est complexe, ce qui en explique les difficultés : bonne connaissance des caractéristiques de la syntaxe de l’oral et des diverses sortes d’oraux, vigilance sur la langue utilisée sans surnorme ni laxisme, travail de reformulation de la parole des élèves dans les interactions verbales, capacités d’écoute, clarification des différentes dimensions de travail possibles sur l’oral, conception d’évaluations objectives sans technicisme excessif, inventivité pour mettre en place des jeux de rôle divers mais aussi pour intégrer la dimension orale dans les différents projets de classe. Il faut aussi convaincre les enseignants de trouver le temps d’enseigner les oraux malgré des effectifs de classes importants. Pour leur proposer des dispositifs simples et efficaces, les recherches en didactique ont encore bien des études de faisabilité à mettre en place, à tous les niveaux du cursus, pour permettre aussi une continuité dans les enseignements.
Bibliographie
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