Notes
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[2]
Pour catégoriser les écrivants de notre échantillon, nous utilisons le code Valibel (ainsi que pour les retranscriptions), en indiquant d’abord les trois premières lettres du lien où l’expérimentation se déroule, suivi des deux premières lettres du prénom de l’élève (suivi d’un chiffre si deux individus portent le même prénom).
-
[3]
Ceci afin d’éviter des effets d’épuisement dans les réécritures, et de montrer aux élèves la dimension évolutive du travail de rédaction.
-
[4]
Fait remarquable ; il est également un des seuls à ne pas faire évoluer son texte via un découpage phrastique. Il alterne scission et fusion, afin de proposer des unités phrases plus cohérentes. La quantité de signes ne relève donc pas d’une surenchère, mais bien d’un véritable travail sur le texte à produire, avec des ajouts, des suppressions, des adaptations.
Constat et question de recherche
1 L’enseignement des questions liées à la ponctuation en Belgique francophone repose sur des balises peu observables. Les programmes, les manuels ou encore les pratiques enseignantes sont peu explicites et se confinent souvent à des considérations portant sur des connaissances déclaratives qu’il semble difficile de rendre opératoires.
2 Le présent article a pour intention d’objectiver ce constat d’une part et d’interroger les dispositifs didactiques à même de faire évoluer cette situation d’autre part, afin de permettre aux élèves d’envisager la ponctuation comme le lieu d’un effet produit ou à produire, d’une relation à la littérarité du texte, d’une possibilité d’oralisation comparative, bref, comme le lieu d’un choix à poser ou à constater, dans une dimension philologique consciente et volontaire.
Cadre de recherche et aspects méthodologiques
3 Pour répondre à nos questions de départ, à savoir : i) Quand les élèves discutent autour des productions des autres, discutent-ils de la ponctuation et dans quelle mesure ? ; ii) Comment la ponctuation des élèves évolue à l’intérieur d’un dispositif d’écriture où un étayage spécifique dédié est proposé ?, nous avons expérimenté un dispositif de production d’écrit élaboré sur les fondements associés du chantier (Jolibert 1989) et de l’atelier (Lafont-Terranova 2009) d’écriture, et nous avons observé l’évolution entre les jets et l’importance accordée à la ponctuation par les élèves dans leurs moments interactifs de discussions sur leurs productions écrites.
4 À l’intérieur dudit dispositif visant à faire écrire un texte descriptif (décrire son « doudou » d’enfance) des temps d’analyse en sous-groupes des jets d’autrui, destinés à donner des conseils moteurs de bonification sont proposés. L’ambition est d’analyser par ce biais les verbatim pour comprendre quand et pourquoi ces commentaires interviennent : à quels moments dans le processus d’écriture, dans quelles réécritures, à l’issue de quelle structuration, quels aspects de la ponctuation sont soulevés ?... À partir de constats ainsi posés, la question est de savoir quelles activités d’étayage mériteraient d’être proposées aux élèves afin de faire évoluer leurs savoirs et surtout leur savoir-faire en la matière ; en somme, comment rendre leur savoir véritablement opératoire sur les questions de ponctuation, au-delà de leur connaissance de la notion de phrase graphique ?
5 Notre proposition didactique a été testée dans une classe de 23 élèves de cinquième primaire d’une école bruxelloise à encadrement différencié. Deux périodes ont été nécessaires pour mener l’activité.
6 L’analyse des résultats de la recherche s’est déployée en deux temps : un premier quantitatif (avec comme matériau à traiter les écrits des élèves) a permis d’évaluer les effets des activités menées et de fixer les balises de l’interprétation. Un second moment, qualitatif quant à lui, a consisté en une analyse des interactions, filmées et retranscrites, afin de comprendre les résultats obtenus.
7 Pour l’analyse quantitative, nous avons utilisé les indicateurs suivants que nous avons appliqués aux textes avant et après l’étayage spécifique, ainsi qu’au chef d’œuvre. C’est sur ces résultats que nous nous baserons pour la suite de notre propos.
Items relatifs à la ponctuation | Avant étayage | Après étayage | Chef d’œuvre | Commentaires des correcteurs |
Nombre de phrases supposées dans la perception de l’élève. | /* | |||
Nombre de phrases supposées correctes [1] . | ||||
Nombre de points absents dans le texte. | ||||
Nombre de majuscules absentes dans le texte. | ||||
Nombre de virgules dans le texte. | ||||
Présence d’autres signes de ponctuation (lesquels/combien ?) |
Les élèves parlent-ils de ponctuation quand ils analysent les textes d’autrui ?
8 Lors de la première séance d’analyse des textes d’autrui (temps subséquent au premier jet), les élèves n’activent pas les éléments afférents à la ponctuation. Ils sont essentiellement centrés sur le respect de la consigne (cohérence avec les paramètres de la situation de communication), ce qui est évoqué (quel contenu ?) et l’organisation générale du texte. L’attention des relecteurs s’attache aux éléments phrastiques lorsque le texte présente peu d’éléments de ponctuation, comme l’illustre l’exemple ci-dessous [2] :
Extrait de MOLRO – Premier jet
Extrait de MOLRO – Premier jet
9 Absents des premiers échanges, l’aspect ponctuation apparait au fur et à mesure des réécritures, où les relecteurs se focalisent sur des aspects formels aisément vérifiables (présence des points, majuscules), avant de se heurter à des questions syntaxiques plus complexes, mais toujours isolées à la notion de phrase, et par rapport auxquels ils semblent avoir du mal à définir un usage ou un effet produit. Ainsi, on assiste à des débats tels que ceux-ci :
tubJU : ils ont tout le temps mis des points et des virgules
tubJU : non c’est pas normal / il y en a qui écrivent leurs phrases sans virgule
tubCO : oui mais c’est pas bon // là c’est une question / il doit mettre un point d’interrogation
[...]
tubBR1 : il doit mettre plus de ponctuation / on ne peut pas lui dire que c’est bien / il n’a mis qu’un point / c’est pas assez hein
tubLI1 : fais une ligne quand il peut mettre un point
tubVA1 : il doit mettre plus de ponctuation / là il a pas mis de point alors qu’il commence une nouvelle phrase / et il n’a aucune virgule
[...]
tubGA1 : il écrit / mon doudou est gros aussi orange / ça ne va pas
tubNO2 : ajoute un et / ou il peut faire deux phrases
[...]
VIEER : il a mis / il a mis beaucoup trop de virgules / on ne comprend plus rien
VIEJU : oui / il devrait mettre un point ici / pour finir sa phrase / et là
[...]
11 Dès lors, la longueur de la phrase, la quantité de virgules les interrogent, mais ils semblent peu outillés pour justifier d’un effet perçu (de trop ou de trop peu, par exemple) pour proposer des alternatives à mettre en lien avec cet effet perçu (diminuer, augmenter la quantité de virgules, les placer ailleurs...), pour développer des stratégies d’intervention (oralisation).
Proposition d’étayage didactique
12 Afin de permettre aux élèves de faire évoluer leur compétence, et de les amener à convoquer la ponctuation dans sa dimension interprétative, nous avons alors proposé un étayage spécifique (Bruner 1996 ; Bucheton 2009). La première intervention didactique a été proposée aux élèves entre leur deuxième jet et la rédaction de leur chef d’œuvre. Les modifications réalisées par ces derniers n’ont pas été immédiatement convoquées dans une réécriture complète, mais bien dans un aménagement de leur texte, lequel a été retravaillé pour améliorer le réseau anaphorique d’abord, pour la ponctuation ensuite [3]. Ainsi, entre le deuxième jet et le jet final, les élèves ont manipulé leur écrit avec un double code couleur. En rouge, ils ont identifié et fait des propositions d’aménagement pour éviter les répétitions, en vert, ils ont modifié au besoin l’organisation de la ponctuation du texte. Chacune de ces deux interventions a été soutenue par une structuration spécifique.
13 L’intervention relative à la ponctuation – construite sur base d’une situation problème (De Vecchi et Carmona 2002) – est détaillée ci-dessous.
Activité Génie de Silésie
Intention et mise en projet |
Mise en lien avec le projet d’écriture Annonce de l’intention : « vous allez apprendre à remarquer l’importance de la ponctuation dans un texte » Émission d’hypothèses à partir du titre du texte |
Recherche individuelle / défi |
Lecture orale du texte par l’enseignant, sans ponctuation. Prise de connaissance du document et formulation de la tâche par les élèves : ajouter la ponctuation manquante Temps de recherche individuelle |
Confrontation en groupe |
Confrontation par groupe de 3 ou 4 Tour de table métacognitif : quels obstacles ? quels besoins ? quelles stratégies utilisées ?... Lecture orale par l’enseignant de quelques textes choisis dans la classe Discussion sur les différentes lectures et des variations |
Relances proposées, en fonction du profil de travail |
Lecture du texte « selon l’auteur » et réactions Retour dans la tâche Relances distribuées aux élèves sous forme d’outils / papier pour surmonter les obstacles éventuels (l’enseignant observe le travail et propose les relances en fonction des difficultés diagnostiquées) : - le nombre de phrases selon l’auteur, - une banque de signe à utiliser, - le nombre d’ajout par ligne selon l’auteur... Se mettre d’accord en groupe et transcrire les propositions sur un texte agrandi A3 pour le groupe |
Confrontation en grand groupe / correction |
Comparaison des productions des différents groupes Lecture orale des propositions par l’enseignant et discussion autour des effets produits Comparaison d’un groupe qui a reçu les relances et d’autres pas et comparaison avec le texte de l’auteur : quel effet voulait-il produire ? |
Garder tracer et organisation du savoir |
L’enseignant conduit le groupe vers une synthèse des signes utilisés et des
effets qu’ils provoquent. Quels éléments sont négociables ou non ? Réflexion métacognitive : quelles stratégies garder pour le prochain texte à ponctuer |
Réutiliser – transfert |
Transfert immédiat : adapter son propre texte en fonction de l’activité
vécue ; Transfert à long terme : nouvelle situation d’écriture : « choisir un personnage dans un panel proposé et le décrire physiquement, et exprimer ses pensées ». |
Analyse des résultats obtenus et perspectives
Des éléments émergeants de l’activité proposée
14 Au visionnage de l’activité, il est intéressant de constater les réactions vives des élèves face au texte lu sans ponctuation :
MOLSA1 : il manque les points / on souffre / on arrive pas à tout dire en une fois
16 À l’écoute des groupes qui comparent leurs productions autour du texte du Génie (après le temps de réflexion individuel), et quand on interroge in situ via une médiation métacognitive, on se rend compte que la tâche est loin d’être aisée :
MOLOM : on ne sait pas trop quand mettre de la ponctuation / ni laquelle
MOLLAU : les points / ça se ressent où les mettre / mais les virgules / on ne sait pas où les placer
MOLAU : moi j’ai mis un point et une majuscule là // les autres ont mis une virgule / on ne sait pas ce qu’il faut faire
MOLJU : il y a aussi des signes différents / des points virgules / je ne sais pas où les mettre / certains en ont mis / moi pas
19 La discussion collective, à l’issue de la réflexion en équipe, est intéressante : les éléments non négociables isolés par les élèves au niveau des majuscules et des points semblent avoir été longuement débattus :
MOLNI : le sens de la phrase / quand l’information se termine / on met un point
MOLJU : et une majuscule à la phrase suivante
MOLTO : lire tout haut / ça peut aider / à trouver quand s’arrêter
21 En effet, le moment clé de l’activité semble être la lecture orale par l’enseignant des différentes propositions des équipes.
22 C’est véritablement en discutant des divergences dans les textes (d’abord en sous-groupe puis en groupe classe avec le soutien de l’oral) que les élèves ont pu se rendre compte des différents effets produits par les signes de ponctuation : les temps d’arrêts et leur durée, la différence entre ces arrêts, la nécessité de segmenter des passages pour qu’ils deviennent compréhensibles, le détournement de certaines phrases (le manque d’un point d’interrogation fait surgir un problème). Le fait d’avoir reçu, pour certains, un panel de signes différents a alimenté le débat et a généré plusieurs possibilités – et donc plusieurs effets – pour la même phrase.
23 Dès lors, il nous semble qu’en fin de séance, les élèves ont élaboré des stratégies pertinentes au niveau du placement de points et des majuscules ; ils ont « touché » aux autres signes de ponctuation activés par le texte, et ont mis en avant les effets produits par l’utilisation et la place des virgules sans pour autant avoir déterminé collégialement des balises sur lesdits effets. Il ne sera donc pas étonnant de constater que cet aspect n’est pas opérationnalisé dans les productions suivantes, comme nous le montrons ci-dessous.
Analyse des productions avant et après l’activité
24 L’analyse des productions des élèves dans leurs trois états (avant étayage spécifique, après étayage, chef d’œuvre) fait apparaitre de nombreux résultats intéressants, que nous traitons par item d’abord, puis dans une perspective plus globale et évolutive ensuite.
25 Nous avons appliqué un test d’analyse de la variance (ANOVA) à ces résultats afin de comparer les moyennes des différentes réécritures entre-elles et de pouvoir analyser finement l’évolution des écrivants.
Moyenne et écart-type des résultats obtenus par les élèves aux variables observées selon les temps d’écriture du texte (* : résultat significatif au seuil p<0,05 ; **, p<0,01 ; ***, p<0,001).
Moyennes et écart-type | Nombre de phrases | Phrases correctes | Absence de point | Absence de majuscule | Utilisation de virgules |
Avant étayage | 8,35 (2,78) | 7,58 (3,18) | 0,41 (0,87) | 0,52 (1,00) | 5,05 (4,29) |
Après étayage | 9,23 (2,86) | 8,64 (2,59) | 0,29 (0,95) | 0,17 (0,52) | 7,23 (4,10) |
Chef d’œuvre | 10,88 (4,38) | 10,64 (4,34) | 0,35 (0,60) | 0,11 (0,33) | 8,00 (5,63) |
ANOVA Rapport F | 2,39 | 3,44 | 0,08 | 1,80 | 1,77 |
* |
Phrases correctes
26 En termes de ponctuation, l’identification des phrases par la présence d’un point et d’une majuscule, et leur construction semble être le point d’appui le plus « solide » et donc le plus maitrisé pour les élèves. Généralement correcte, la structure phrastique est une porte d’entrée efficace pour aborder la question de la ponctuation des textes. Néanmoins, elle pose question sur certains aspects et, surtout, elle révèle des options rédactionnelles assez figées.
27 Pour ce qui concerne la correction formelle des phrases, comme le renseigne le tableau préalable et l’analyse, on constate une évolution significative entre les différents jets des élèves. Alors que dans les écrits avant étayage, certains écrivants produisent plusieurs phrases erronées, la proportion de phrases correctement construites tend vers 100 % dans les chefs d’œuvre.
28 Dans les cas de phrases erronées, il est très rare que manquent simultanément la majuscule en début et le point en fin de phrase. La plupart des omissions concernent les points qui sont absents, mais « compensés » par la présence d’une nouvelle majuscule qui signale le changement de phrase ou par un changement de paragraphe. Dans ce cas, la mise en page indique, par un passage à la ligne, la présence d’une nouvelle phrase.
29 De manière assez prévisible, la proportion de phrases correctement construites d’un point de vue formel évolue donc favorablement.
30 Si le concept de « phrase », et les signes de ponctuation qui y sont associés semblent donc globalement acquis, on constate néanmoins des confusions étranges. Ainsi, certains élèves de cinquième primaire entretiennent encore la confusion phrase-ligne, voire phrase-paragraphe, en marquant le passage à la ligne par une majuscule ou en produisant des paragraphe-phrase. Cette confusion évolue lentement, mais se maintient après l’étayage spécifique.
31 Correctement produites d’un point de vue formel, les phrases élaborées par les élèves peuvent également poser problème d’un point de vue sémantique. On rencontre ainsi, dans les écrits avant et après étayage, de nombreuses phrases qui commencent par une conjonction de coordination ; ce qui ne constitue pas une erreur absolue, mais signale parfois, par leur répétition, une méconnaissance de l’unité sémantique de la phrase et/ou du rôle des conjonctions.
32 Enfin, le nombre de phrases produites évolue entre les trois états du texte vers une augmentation progressive (sans pour autant que de nouvelles idées soient élaborées). La tendance est ainsi très nettement favorable à la scission phrastique plutôt qu’à la fusion, plus complexe à mettre en place en ce qu’elle nécessite l’usage de conjonctions ou de pronoms relatifs, par exemple. Les phrases jugées trop longues sont réduites, sans que la combinaison de phrases soit véritablement envisagée comme un ressort rédactionnel possible.
33 Il semble donc que les élèves maitrisent les connaissances déclaratives liées à la notion de phrase graphique, mais n’ont pas véritablement développé de savoir-faire procédural autre que celui d’un découpage et d’une identification de l’unité par la majuscule et le point. Ceci confirme la nécessité de conduire des activités variées et de multiplier les structurations raisonnées sur la langue afin d’éviter que les élèves développent une grammaire d’application non réfléchie (Garcia-Debanc 1993).
Virgules
34 La première observation, manifeste, en termes quantitatifs, est l’usage augmenté des virgules dans les trois états du texte. Peu présentes avant l’étayage spécifique, elles sont convoquées et exploitées dans les réécritures, et allègent la rédaction. Dans la mesure où les phrases, elles aussi, sont plus nombreuses, elles ne servent pas à équilibrer des structures phrastiques allongées.
35 Toutefois, l’usage des virgules, au-delà de leur augmentation quantitative, pose question. Ainsi, on observe que ces dernières se trouvent majoritairement présentes dans le premier paragraphe, et qu’elles sont peu nombreuses, voire absentes, des paragraphes suivants. Si on se réfère aux consignes données par l’enseignant et à la structure du texte demandé aux élèves, cela n’est que partiellement surprenant. En effet, la première partie de l’écrit concerne la description physique du personnage principal du texte (le doudou des élèves). On y trouve donc quantité d’adjectifs qui sont assez naturellement séparés par une virgule.
36 Cependant, les autres paragraphes, qui ont pour objectif de préciser comment le narrateur a construit sa relation avec le personnage du texte et quelles actions il(s) déploi (en) t, présentent des phrases généralement plus longues et des énumérations verbales. Or, dans ce cas, le recours à la virgule est délaissé au profit de l’utilisation de conjonctions de coordination en cascade. Outre le fait que la présence nécessaire d’une virgule devant les coordinations n’est manifestement pas acquise, la sélection presqu’exclusive d’une ponctuation par la conjonction interpelle. Il n’y a en effet pas de lien entre la longueur des phrases proposées par les élèves et la présence de virgules (ou, paradoxalement, plus la phrase est longue, moins elle comporte de virgules), de sorte que ces dernières ne semblent pas être perçues comme moyen de permettre une « respiration » dans la phrase complexe, même si la situation s’améliore un peu dans les chefs d’œuvre (virgules plus nombreuses et disséminées dans le texte).
37 Les lieux d’apparition privilégiés du signe restent donc liés aux énumérations d’adjectifs, et, dans les écrits retravaillés, à la clôture d’un complément circonstanciel mis en emphase en début de phrase ; mais l’articulation des phrases complexes reste essentiellement la coordination.
38 Par ailleurs, l’augmentation quantitative de virgules, dans l’écrit après étayage, semble subir les effets d’une « surcorrection » de la part des élèves, qui ajoutent parfois inadéquatement des virgules jusque là absentes dans des espaces textuels non autorisés (entre un sujet et son verbe, après une conjonction de subordination). Ce phénomène disparait dans le chef d’œuvre.
Autres signes
39 Autre constat intéressant, lié à l’analyse des productions des élèves : la quasi absence d’autres signes de ponctuation, hors les points et les virgules. Comme le montre le tableau suivant reprenant les essais d’utilisation des signes, quelques écrivants utilisent parcimonieusement les parenthèses ou les points d’exclamation, mais cela reste tout à fait anecdotique :
Utilisation d’autres signes de ponctuation.
"..." | : | ! | ; | () | |
avant étayage | 7 | 6 | 3 | 0 | 4 |
après étayage | 9 | 9 | 7 | 3 | 4 |
chef d’œuvre | 7 | 8 | 3 | 0 | 5 |
Utilisation d’autres signes de ponctuation.
40 Le peu de présence des points d’exclamation est surprenant, dans le cadre d’un texte à fort impact émotionnel, dans lequel les phrases manifestent un lien fort et une volonté de modaliser sémantiquement la relation entre le narrateur et son personnage. Par ailleurs, l’évolution entre les différents états du texte est, de ce point de vue, très hésitante et fluctuante.
41 On constate en effet, comme le précise ce graphique, que dans l’écrit après étayage une légère augmentation des autres signes, mais elle se produit de façon anarchique. À titre exemplatif, certains élèves semblent avoir veillé, après l’intervention didactique, à intégrer les « deux points », mais aucun de ces ajouts n’est réellement pertinent ; certains sont même fautifs. Ces signes disparaissent d’ailleurs systématiquement dans les productions ultérieures.
42 Seul un élève utilise et maitrise le discours rapporté, et emploie à bon escient les deux points et les guillemets qui y sont associés. C’est également l’élève qui produit le plus de phrases et, proportionnellement, le plus de signes de ponctuation, en quantité et en variété. De ce point de vue, cet élève présente une maitrise textuelle très nettement au-dessus de l’ensemble de ses camarades. Il est à lui seul responsable, sur l’ensemble des trois états de productions, de 31 signes sur les 75 répertoriés pour la classe, il endosse donc à lui seul la paternité de 41 % de ces signes auxiliaires [4].
Commentaires généraux et analyses intermédiaires
43 Outre l’analyse quantitative liée à la présence des signes de ponctuation dans les différentes versions des écrits, les observations de ces productions permettent de mettre en évidence plusieurs constats généraux.
44 D’abord, il semble que le concept de phrase soit globalement maitrisé, et les quelques lacunes encore présentes dans les écrits trouvent des hypothèses explicatives assez vraisemblables : les absences de point sont généralement « comblées » par la présence des majuscules en début de mots suivants, et on peut postuler qu’il s’agit davantage de négligence, les élèves ne produisant pas l’erreur de façon systématique, et la corrigeant assez aisément. Certaines confusions phrase/ligne/paragraphe sont maintenues dans les jets intermédiaires, mais disparaissent dans le chef d’œuvre. D’autres erreurs, essentiellement d’absence de majuscules, s’expliquent par le fait que les élèves travaillent sur un jet qui a déjà été modifié lors d’une intervention sur les répétitions. Certaines d’entre elles, transformées en groupes nominaux, ne trouvent pas la majuscule pour des raisons simplement typographique (présence de ratures, inscription dans l’entreligne, etc.) et se régulent naturellement dans le chef d’œuvre.
45 Ensuite, l’évolution du travail sur la ponctuation se fait essentiellement de manière augmentative, tous les élèves proposant dans leurs écrits finaux des textes qui comprennent plus de signes que dans leurs jets intermédiaires. L’augmentation est progressive tout au long du processus d’écriture. Ce n’est pas forcément une preuve de qualité, puisqu’aucun élève n’a veillé à réorganiser son texte en fusionnant des phrases au moyen de conjonctions, ou de pronoms relatifs, comme si un travail sur la ponctuation devait forcément induire une augmentation de signes. La relation quantité-qualité n’est pas toujours évidente. À titre d’exemple, le renforcement de la présence des virgules se cantonne à des lieux spécifiques et ne contamine pas l’ensemble des productions des élèves.
46 Enfin, il semble évident que les élèves identifient mal le rôle effectif que peuvent avoir d’autres signes de ponctuation, qu’ils utilisent de façon aléatoire, sans en percevoir l’intérêt ou le rôle effectif.
47 Tout cela tend à démontrer qu’une intervention sur la ponctuation est d’autant plus nécessaire qu’elle est manifestement peu réfléchie par des élèves qui mécanisent les démarches qui leur sont proposées, probablement parce que ces démarches ne sont pas assez présentes dans leur cursus de formation en écriture, et certainement pas assez associées aux effets produits sur le lecteur.
48 Il est néanmoins encourageant de constater que l’élève qui avait, dans son premier état de production, une maitrise des phénomènes de ponctuation nettement supérieure aux autres propose, en production finale, un écrit amélioré. De ce point de vue, le gain qualitatif a été plus grand pour l’élève qui avait déjà la plus grande compétence. Si cela interroge le dispositif, la présence du saut qualitatif justifie la mise en œuvre de séquences didactiques spécifiques. Simplement, ces séquences doivent manifestement être plus nombreuses et plus raisonnées ; la ponctuation, hors son aspect irréfutable pour ce qui concerne la détermination de la phrase, étant inévitablement liée, à la notion d’effet à produire et, partant, de variabilité.
49 En ce sens, travailler la ponctuation doit permettre aux élèves d’interroger leur texte et leur autorité, leur volonté interprétative sur ce dernier dans sa dimension « philologique » (Colognesi et Deschepper 2011). Ce qui remet bien évidemment en cause toute dimension mécaniste et demeure donc, par définition, peu rassurant.
Conclusion temporaire et mise en perspective didactique
50 Après analyse des écrits des élèves et relativement à notre objectif de recherche, il apparait nettement que l’étayage proposé ne suffit pas. Si les résultats de cet étayage confirment l’importance de disposer d’un socle de connaissances conventionnelles fiable, et laissent penser que les élèves ont à tout le moins acquis une base de connaissances déclaratives, voire opérationnelles sur la détermination de la notion de phrase graphique (comme le montre l’extrait de MOLRO ci-dessous), il leur manque une capacité argumentative qui leur permette de poser et de justifier des « options » rédactionnelles en termes de ponctuation. Et donc d’en interpréter les effets afin d’en faire un usage volontaire.
Extrait de MOLRO : 4ème réécriture, après la structuration.
Extrait de MOLRO : 4ème réécriture, après la structuration.
51 Il en résulte que les productions d’élèves – tout comme leurs connaissances et commentaires métaréflexifs – présentent essentiellement, voire exclusivement, une ponctuation minimale qui constitue l’ensemble de leur attention rédactionnelle : respect des règles formelles évidentes, recherche d’erreurs ou d’oublis orthographiques, focalisation sur une ponctuation locale sans perspective textuelle globale. Les éléments de ponctuation plus fluctuants que sont, par exemple, les virgules, étant perçus comme le lieu d’une subjectivité autorisée, mais peu interrogée dans les options qui s’y dévoilent. De même, le choix de la multiplication des phrases graphiques au détriment des processus de fusion, qui nécessitent la maitrise des phénomènes d’enchâssement, de coordination ou de juxtaposition, signale une construction de la ponctuation « par défaut » établie sur la base du degré de confort et de certitude de l’élève plutôt que sur la précision ou la littérarité du projet d’écriture.
52 Toutes observations qui démontrent, à notre sens, la nécessité de développer les apprentissages grammaticaux dans une perspective résolument philologique.
Annexe 1 – document élève
UN TEXTE À CORRIGER
53 « Quel défit : Le texte est suivant est proposé sans ponctuation. À toi de la retrouver pour que le texte devienne lisible et audible. »
(Inspiré de S. Colognesi et C. Gillet, 2014).
(Inspiré de S. Colognesi et C. Gillet, 2014).
Références bibliographiques
- • BRUNER, J.S. (1996). Le Développement de l’enfant : savoir faire, savoir dire. Paris : Presses universitaires de France.
- • BUCHETON, D. (2009). L’Agir enseignant : des gestes professionnels ajustés. Toulouse : Octarès Editions
- • COLOGNESI, S. & GILLET, C. (2014). Ça s’écoute en troisième primaire. Namur : Erasme.
- • COLOGNESI S. & DESCHEPPER C. (2011). Développer une démarche philologique d’accès au texte littéraire par la pratique de l’insertion. Les albums à structure itérative au service du lire-écrire. Diptyque, 21, 71-98.
- • DABÈNE, M. (2005). Un modèle didactique de la compétence scripturale. Repères, 41, 9-22.
- • DE VECCHI, G. & CARMONA-MAGNALDI, N. (2002). Faire vivre de véritables situations-problèmes. Paris : Hachette Éducation.
- • JOLIBERT, J. (1989). Former des enfants producteurs de textes. Paris : Hachette.
- • LAFONT-TERRANOVA, J. (2009). Se construire, à l’école, comme sujet-écrivant : l’apport des ateliers d’écriture. Namur : Presses universitaires de Namur.
- • LORD, M.-A. (2009). Composantes prises en compte dans l’évaluation de la compétence scripturale des élèves par des enseignants d’histoire du secondaire au Québec. Revue canadienne des jeunes chercheures et chercheurs en éducation, 2.
Mots-clés éditeurs : ponctuation, dispositif didactique, écriture en interaction, textes d'élèves
Date de mise en ligne : 13/02/2015
https://doi.org/10.3917/lfa.187.0043Notes
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Pour catégoriser les écrivants de notre échantillon, nous utilisons le code Valibel (ainsi que pour les retranscriptions), en indiquant d’abord les trois premières lettres du lien où l’expérimentation se déroule, suivi des deux premières lettres du prénom de l’élève (suivi d’un chiffre si deux individus portent le même prénom).
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Ceci afin d’éviter des effets d’épuisement dans les réécritures, et de montrer aux élèves la dimension évolutive du travail de rédaction.
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Fait remarquable ; il est également un des seuls à ne pas faire évoluer son texte via un découpage phrastique. Il alterne scission et fusion, afin de proposer des unités phrases plus cohérentes. La quantité de signes ne relève donc pas d’une surenchère, mais bien d’un véritable travail sur le texte à produire, avec des ajouts, des suppressions, des adaptations.