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Article de revue

Le dessin animé pour apprendre à comprendre une histoire

Pages 37 à 47

1De récentes études menées sur le développement des habiletés de compréhension de textes témoignent des avancées marquantes que connait ce domaine de recherche (pour une synthèse, voir Blanc 2009). L’objectif général de ces travaux est d’identifier les conditions les plus propices à cet apprentissage pour mieux l’accompagner. Le caractère novateur des études qui sont aujourd’hui menées chez l’enfant repose sur deux idées originales mais néanmoins fondées. La première concerne la temporalité de l’apprentissage de la compréhension de textes et consiste à préconiser une sollicitation précoce de cette habileté. En effet, il s’agit d’accompagner l’enfant dans l’acquisition de ce savoir-faire si particulier qu’est la capacité à comprendre un texte avant même qu’il ne sache lire. La deuxième idée concerne le support à mettre à profit dans cette appropriation précoce de compétences en compréhension. Partant des moyens qu’offrent nos sociétés « technologisées », les recherches actuelles se tournent vers l’utilisation de la télévision, faisant fi de l’image négative qui lui est bien souvent associée. Deux ensembles de travaux examinent notamment les bénéfices à en tirer comme support d’apprentissage, les uns privilégiant les programmes éducatifs, les autres les programmes récréatifs (i.e., dessins animés).

2Après avoir présenté succinctement les principaux apports des études en faveur d’un apprentissage précoce de la capacité à comprendre une histoire, nous nous arrêterons sur les caractéristiques du programme récréatif, le dessin animé, qui en font un support pertinent pour amorcer ce type d’apprentissage avec de jeunes enfants. Seront ensuite rapportés les résultats d’une étude, celle de D. Linebarger et J. Piotrowski (2009), qui a pour avantage d’alimenter la réflexion sur l’usage des dessins animés comme supports pour « apprendre à comprendre un texte ». À l’appui de ces différents éléments, nous présenterons en détail une étude que nous avons réalisée auprès d’enfants scolarisés en maternelle. La contribution de cette étude fera l’objet d’une discussion ouverte sur les possibilités d’application d’un tel travail de recherche.

La capacité à comprendre une histoire : une compétence précoce ?

3Solliciter les capacités de compréhension des enfants dès leur plus jeune âge, au même titre que leurs habiletés langagières de base (conscience phonologique, connaissances des lettres, vocabulaire), est une idée forte que véhiculent les travaux menés par van den Broek et ses collègues (Kendeou et al. 2005 ; van den Broek et al. 2005 ; Kendeou et al. 2007 ; Kendeou et al. 2008). À l’appui de plusieurs études longitudinales, ces auteurs suivent l’évolution des capacités de compréhension chez l’enfant dès l’âge de quatre ans. Dans la plupart de leurs études, les capacités de compréhension des enfants, mais aussi leurs habiletés langagières de base, sont évaluées à quatre ans, à six ans mais aussi à huit ans. Deux principaux apports de ces travaux méritent d’être soulignés. Premièrement, ils révèlent que les habiletés de compréhension évaluées dès l’âge de quatre ans permettent de prédire les compétences futures de ces enfants en matière de compréhension. La période préscolaire n’est donc pas à négliger dans l’apprentissage de la compréhension de textes, et ce d’autant plus qu’elle serait susceptible de prédisposer au bon développement des capacités de compréhension mesurées ultérieurement en situation de lecture. Deuxièmement, en comparant les capacités de compréhension d’une histoire en situation auditive, en situation audiovisuelle, puis plus tard en situation de lecture, ces travaux mettent l’accent sur le caractère généralisable de cette activité cognitive, et par conséquent soulignent l’intérêt de diversifier les supports pour mieux l’appréhender (Blanc 2011).

4Au regard des connaissances dont on dispose aujourd’hui sur les compétences essentielles à la capacité de comprendre une histoire (Oakhill et Cain 2007), l’usage du dessin animé présente plusieurs avantages. Connaitre la structure narrative, être capable de produire des inférences et savoir auto-évaluer sa compréhension sont autant de compétences que l’enfant est susceptible de mettre en œuvre alors qu’il regarde un dessin animé. Sachant que ces trois compétences sont décisives à l’apprentissage de la compréhension de textes, le dessin animé semble donc être un support approprié pour mettre en travail précocement cet apprentissage. En résumé, le dessin animé permet à l’enfant de se familiariser de façon ludique avec la structure narrative des récits, lui offre la possibilité de produire des inférences en s’appuyant sur ses propres connaissances et constitue potentiellement une base de discussion qui l’amène à réaliser une auto-évaluation de ce qu’il a compris de la situation exposée. Précisons également que, par nature, le dessin animé fournit différents types d’indices (visuels, auditifs) qui facilitent la compréhension mais aussi favorise le maintien des capacités attentionnelles de l’enfant. Une autre des qualités du dessin animé, et non des moindres, est qu’il constitue une opportunité pour tous les enfants, quelle que soit leur origine sociale, d’être exposés à du matériel narratif semblable à celui rencontré dans les livres. La place accordée au livre n’étant pas la même dans tous les foyers, la télévision joue ainsi un rôle de narrateur d’histoires plus largement accessible à tous.

5Précisons que l’idée de recourir à un dessin animé pour étudier les capacités de compréhension des jeunes enfants n’est pas nouvelle. Dès 1996, P.W. van den Broek, et al. (1996) mettent à profit cette idée pour examiner quelle importance des enfants âgés de quatre ans et six ans accordent à la dimension causale d’une histoire télévisée lorsqu’ils doivent la raconter après l’avoir visionnée. Outre le fait que ce support leur permet de montrer comment les enfants s’approprient progressivement la dimension causale d’une histoire, ces auteurs ouvrent la voie à l’utilisation du dessin animé avec comme argument majeur que les habiletés de compréhension sollicitées pour comprendre une histoire seraient généralisables d’un mode de présentation à un autre (auditif, audiovisuel, lecture).

6Forte de ces considérations, une étude récente menée par D. Linebarger et J. Piotrowski (2009) confirme la pertinence de sonder les capacités de compréhension précocement à partir de dessins animés. Des enfants âgés de quatre ans et demi environ ont été exposés quotidiennement, pendant quarante jours, à un dessin animé dont la structure narrative de l’histoire est semblable à celle rencontrée traditionnellement dans les livres. D’après les auteurs, cette exposition s’est avérée bénéfique au développement de leur capacité à comprendre mais aussi à raconter une histoire, transfert de compétences particulièrement intéressant. De plus, l’exposition à ce type de matériel audiovisuel doté d’une structure narrative a contribué au développement de leur capacité à produire des inférences sur les aspects implicites d’une situation (par exemple sur les motivations et les émotions des personnages). Partant de ces résultats, D. Linebarger et J. Piotrowski (Ibid.) soulignent que l’acquisition précoce de connaissances en matière de structuration du récit permettrait à l’enfant d’allouer davantage ses ressources cognitives à la production d’inférences, cette compétence étant décisive en matière de compréhension de récits.

7Notre étude s’inscrit dans la lignée de l’ensemble de ces travaux et a pour objectif d’examiner si l’exposition en classe à des dessins animés peut contribuer au développement des capacités de compréhension de jeunes enfants scolarisés en zone d’éducation prioritaire. Pour évaluer la compréhension des enfants, une dimension critique quant à l’attention portée aux évènements d’une histoire a plus particulièrement retenu notre attention. Il s’agit de la dimension émotionnelle qui constitue un indice important à la mémorisation d’une histoire (Davidson et al. 2001), mais aussi à la production d’inférences chez des enfants relativement jeunes (Blanc 2010 ; Gouin-Décarie et al. 2005). En résumé, notre étude vise à explorer si la capacité des enfants à comprendre des histoires peut bénéficier d’un apprentissage réalisé à partir de dessins animés et si ce bénéfice attendu se maintient dans le temps.

Comprendre une histoire en maternelle : les atouts du dessin animé comme support d’apprentissage

Population

8Deux écoles maternelles ont été sollicitées pour la réalisation de cette étude. Précisons que l’une d’elles est classée en zone d’éducation prioritaire (ZEP). Deux niveaux ont plus particulièrement retenu notre attention : la moyenne section (enfants âgés en moyenne de cinq ans) et la grande section (enfants âgés en moyenne de six ans). Dans chacune de ces deux écoles, deux classes ont participé, soit une classe par niveau. Dans l’école classée en ZEP, quarante-neuf enfants ont été évalués quant à leur capacité à comprendre une histoire (vingt-cinq élèves de moyenne section et vingt-quatre élèves de grande section). L’effectif des enfants sollicités dans l’autre école est de quarante-cinq, soit seize élèves de moyenne section et vingt-neuf élèves de grande section. Au total, quatre-vingt-quatorze enfants ont pris part à cette étude.

Matériel

9Dans la collection intitulée « Les Drôles de Petites Bêtes » imaginée par Antoon Krings, nous avons sélectionné des dessins animés disponibles sur DVD. Ces dessins animés étaient au nombre de neuf, et duraient environ sept minutes chacun. La structure narrative de chacun de ces neuf épisodes a été analysée de sorte que la complexité des histoires qu’ils racontent soit comparable entre elles. En plus de ces dessins animés, nous avons utilisé deux histoires de la même collection qui, elles, étaient disponibles sur CD audio. D’une durée de dix minutes, ces histoires ont fait l’objet d’une même analyse structurale que les dessins animés ; ceci afin de garantir que les schémas narratifs employés étaient d’un même niveau de difficulté en situation d’écoute d’une histoire qu’en situation de visionnage d’un dessin animé.

10Chacune de ces histoires (sur DVD ou sur CD audio) a été sélectionnée de sorte que les situations évoquées dans le récit renvoient aux quatre émotions de base habituellement les mieux connues des enfants de maternelle : la joie, la colère, la tristesse et la peur. Partant de l’idée que la présence d’émotions favorise la compréhension de l’évènement décrit et sa mémorisation (Blanc 2010 ; Davidson et al. 2001 ; Gouin-Décarie et al. 2005), nous avons préféré recourir à une tâche d’attribution d’émotions pour sonder la compréhension des neuf dessins animés et des deux histoires données à écouter. Pour chaque dessin animé et chaque histoire, cette tâche d’attribution d’émotions était composée de neuf énoncés qui portaient sur certains passages dont la compréhension leur permettait de sélectionner, parmi les quatre émotions de base proposées, celle qui était appropriée à la situation décrite. Précisons que les enfants disposaient pour répondre de quatre émoticônes représentatives de l’expression faciale des quatre émotions de base (voir figure 1, ci-dessous). À chaque passage du dessin animé ou de l’histoire qui leur était rappelé, il leur suffisait de colorier l’émoticône qui leur paraissait être la plus adaptée à la situation évoquée. Par exemple, pour l’énoncé « Marie la fourmi se met à pleurer quand elle se retrouve toute seule dans le jardin », il leur était demandé de colorier l’émoticône qui traduit l’état émotionnel du personnage mentionné (en l’occurrence ici, celle qui est représentative de la tristesse).

11Afin de cibler l’une des capacités essentielles au bon développement des habiletés de compréhension, la capacité à produire des inférences, nous avons adopté la règle suivante. Tous les énoncés élaborés pour les tâches d’attribution avaient pour particularité de porter sur des évènements pour lesquels les émotions n’étaient pas explicitement désignées. Les enfants devaient donc utiliser les caractéristiques de la situation, le scénario ou encore les attitudes des personnages, pour inférer la dimension émotionnelle de la situation.

Figure 1

figure im1

Figure 1

Les émoticônes données à colorier comme mode de réponse à la tâche d’attribution d’émotions.

12Le matériel ainsi constitué a été réparti de la façon suivante. Parmi les neuf dessins animés et les tâches d’attribution d’émotions correspondantes, trois seulement ont été sélectionnés pour évaluer précisément les compétences de compréhension de tous les enfants. À ce matériel d’évaluation s’ajoutent les deux histoires à écouter. Les six dessins animés restants ont été utilisés dans les ateliers de compréhension proposés uniquement aux enfants de l’école classée en ZEP. Afin d’examiner si les compétences en compréhension bénéficiaient de la réalisation de ces ateliers, nous avons évalué la compréhension des enfants en trois temps : avant leur participation aux ateliers (niveau initial – évaluation 1) ; au terme des trois semaines consacrées aux ateliers (niveau intermédiaire – évaluation 2) et un mois et demi après la fin de la période destinée aux ateliers (niveau final – évaluation 3). Le niveau de compréhension était systématiquement évalué à partir de la présentation d’un dessin animé et de la tâche d’attribution d’émotions correspondantes. Précisons que, pour le niveau intermédiaire et le niveau final (évaluations 2 et 3), nous avons également évalué les compétences de compréhension à partir d’une histoire à écouter, l’idée étant d’examiner si les bénéfices attendus en matière de capacité de compréhension d’une histoire pouvaient être observés quelle que soit la modalité de présentation employée (audiovisuelle versus auditive).

Procédure

13Les enfants ont été sollicités trois fois au cours d’une même année scolaire : en février (niveau initial), en mars (au terme des trois semaines d’ateliers) et enfin en mai (niveau final). Rappelons que les six ateliers « compréhension » n’ont été proposés qu’aux enfants de l’école classée en ZEP. En d’autres mots, les enfants des deux écoles ont bien été évalués quant à leur niveau de compréhension en trois temps, sachant que seuls ceux de l’école classée en ZEP ont bénéficié des trois semaines d’ateliers « compréhension » entre l’évaluation initiale et l’évaluation intermédiaire. Ces ateliers ont été planifiés de sorte que les enfants puissent bénéficier de deux interventions par semaine pendant trois semaines ; chacune des interventions étant organisée autour d’un dessin animé et de la tâche d’attribution d’émotions correspondantes. Chaque atelier durait environ une heure, un temps de discussion libre avec les enfants étant systématiquement proposé pour leur permettre d’échanger verbalement sur l’histoire que racontait le dessin animé présenté. Notons que ces échanges avaient pour fonction d’inciter les enfants à auto-évaluer leur compréhension de l’histoire en confrontant leur propre représentation de l’histoire à celle des autres.

14Pour les trois temps d’évaluation, un livret nominatif a été remis à chacun des enfants. Chaque livret comportait les feuillets correspondant à chacune des tâches d’attribution d’émotions : évaluation 1 (dessin animé) ; évaluation 2 (dessin animé + histoire à écouter) ; évaluation 3 (dessin animé + histoire à écouter). Précisons que les énoncés ne figuraient pas sur les feuillets-réponses des élèves, seules les quatre émoticônes proposées comme mode de réponse pour chaque énoncé étaient représentées. Précisons également que tous les enfants étaient évalués à partir des mêmes histoires, qu’il s’agisse des dessins animés ou des histoires à écouter.

Tableau 1

Les différentes phases de l’étude réalisée et le matériel correspondant

Évaluation 1AteliersÉvaluation 2Évaluation 3
Moyenne
Section ZEP
Dessin animéSix dessins
animés
Dessin animé +
Histoire à
écouter
Dessin animé +
Histoire à
écouter
Moyenne
Section
Contrôle
Dessin animé-Dessin animé +
Histoire à
écouter
Dessin animé +
Histoire à
écouter
Grande Section
ZEP
Dessin animéSix dessins
animés
Dessin animé +
Histoire à
écouter
Dessin animé +
Histoire à
écouter
Grande Section
Contrôle
Dessin animé-Dessin animé +
Histoire à
écouter
Dessin animé +
Histoire à
écouter
figure im2

Les différentes phases de l’étude réalisée et le matériel correspondant

Résultats

15Les données recueillies lors des trois phases d’évaluation ont été codées de la façon suivante. Lorsque l’émoticône coloriée par l’enfant était correct compte tenu de l’évènement évoqué dans l’énoncé, un point était attribué. Dans le cas contraire, aucun point n’était reporté. Au total, nous disposions pour chaque enfant d’une moyenne d’attributions correctes pour chacune des trois évaluations réalisées à partir d’un dessin animé (figure 2), et d’une moyenne d’attributions correctes pour les évaluations intermédiaires et finales réalisées en parallèle à partir d’une histoire écoutée (figure 3).

16Concernant les bénéfices attendus de la participation des enfants de l’école classée en ZEP aux ateliers de compréhension, reportons nous à la figure 2 qui illustre les données recueillies aux évaluations 1, 2 et 3 à partir d’un dessin animé.

Figure 2

figure im3

Figure 2

Proportion moyenne d’attributions correctes de chaque classe aux trois évaluations réalisées à partir d’un dessin animé

17Nous pouvons remarquer que la comparaison des trois temps d’évaluation apporte des éléments en faveur de l’idée selon laquelle la présence des ateliers pourrait donner lieu à une amélioration des capacités de compréhension des enfants. Précisément, les enfants de moyenne section en ZEP semblent tirer profit des ateliers, car leur proportion d’attributions correctes d’une émotion connait une progression de l’évaluation initiale (0,43) à l’évaluation intermédiaire (0,51) pour atteindre un niveau élevé d’attributions correctes comparable à celui observé pour les deux groupes d’enfants de grande section (0,70). Notons par ailleurs que, si la proportion d’attributions correctes du groupe de moyenne section en ZEP est plus faible que celle du groupe contrôle de moyenne section aux évaluations 1 et 2, elle ne l’est plus lors de l’évaluation 3. En résumé, les enfants de moyenne section en ZEP semblent avoir tiré avantage de leur participation aux ateliers, comme en témoigne leur niveau de compréhension final à la tâche d’attribution d’émotions réalisée à partir d’un dessin animé. En outre, le bénéfice retiré des ateliers parait perdurer et s’accentuer avec le temps. Force est de constater que la proportion d’attributions correctes de ces enfants de moyenne section en ZEP ne diminue pas six semaines après l’arrêt des ateliers (évaluation 3), mais au contraire poursuit sa progression.

18Concernant les enfants de grande section en ZEP, la présence des ateliers ne semble pas avoir influencé leur capacité à comprendre une histoire racontée par un dessin animé. En effet, leur niveau de performance à la tâche d’attribution est relativement élevé et reste constant d’une évaluation à une autre. On peut néanmoins se demander si la présence des ateliers ne leur a pas permis de se stabiliser à ce niveau de performances constant, d’autant que le groupe contrôle de grande section présente, quant à lui, une proportion d’attributions correctes en diminution de l’évaluation 1 à l’évaluation 3.

Figure 3

figure im4

Figure 3

Proportion moyenne d’attributions correctes de chaque classe aux évaluations 2 et 3 réalisées à partir d’une histoire à écouter

19Considérons à présent la proportion d’attributions correctes de ces mêmes quatre groupes d’enfants en situation d’écoute d’une histoire en évaluations 2 et 3 (voir la figure 3). Dans l’ensemble, il apparait que les performances des quatre groupes augmentent de l’évaluation 2 à l’évaluation 3 ; même si cet écart s’avère plus prononcé pour trois des quatre groupes évalués. Il doit être remarqué que les performances observées à l’évaluation 2 sont relativement homogènes pour chaque classe d’âge. En effet, si l’on compare les proportions d’attributions correctes des deux groupes de moyenne section entre eux, la différence observée est très faible (0,03). Ce même constat peut être formulé si l’on compare les proportions d’attributions correctes des deux groupes de grande section entre eux (0,04). À l’évaluation 3, la proportion d’attributions correctes augmente de façon très marquée pour les deux groupes de grande section et le groupe contrôle de moyenne section, tandis que celle du groupe de moyenne section en ZEP augmente plus modérément.

20Enfin, en comparant les proportions d’attributions correctes obtenues à partir des deux types de supports utilisés aux évaluations 2 et 3 (dessin animé et histoire à écouter), deux résultats méritent d’être dégagés. Premièrement, les différences observées entre les deux supports à l’évaluation 2 sont modérées pour les quatre groupes, alors qu’elles s’accentuent à l’évaluation 3. Deuxièmement, à l’évaluation 3, il apparait : i) que les enfants de moyenne section en ZEP sont plus performants que le groupe contrôle seulement lorsqu’ils sont évalués à partir d’un dessin animé ; ii) que les deux groupes de grande section présentent une proportion d’attributions correctes plus élevée lorsqu’ils sont évalués à partir de l’histoire à écouter qu’à partir du dessin animé.

Contributions et perspectives

21Les apports de cette étude sont nombreux au regard des travaux qui font référence en la matière. Rappelons que notre objectif était d’examiner si des enfants de moyenne section et de grande section, scolarisés en école classée ZEP, pouvaient voir leur capacité de compréhension améliorée par la participation à des ateliers réalisés à partir de dessins animés. Nous avons donc comparé leur capacité de compréhension à celle d’enfants non scolarisés en ZEP, sachant que ces derniers ne bénéficiaient pas des ateliers. Les capacités de compréhension de tous les enfants étaient évaluées en trois temps, ceci afin d’examiner si une quelconque influence positive de la participation aux ateliers pouvait être observée.

22Une des contributions majeures de cette étude est de confirmer que la présence des ateliers s’avère propice aux capacités de compréhension des enfants scolarisés en ZEP. Conformément à D. Linebarger et J. Piotrowski (2009), l’évaluation des compétences en compréhension, en particulier celles des enfants de moyenne section, révèle un réel bénéfice suite à la participation aux ateliers. De plus, l’effet positif des ateliers n’est pas transitoire, il persiste et s’accentue même après l’arrêt des ateliers pour les enfants de moyenne section. Ce résultat plaide donc en faveur de l’introduction précoce d’ateliers de compréhension, ateliers dont les acquis peuvent potentiellement se poursuivre en dehors du cadre scolaire tant le dessin animé est un matériel familier et ludique, accessible à tous les enfants (Fisch 2004 ; Mielke 1994 ; Schmidt et Anderson 2007).

23Une autre des contributions de cette étude rejoint les travaux menés par P.W. van den Broek et ses collègues (1996 ; van den Broek et al. 2005 ; Kendeou et al. 2005, 2007, 2008) qui soulignent tout l’intérêt de solliciter précocement les habiletés de compréhension des enfants, notamment à partir de dessins animés. Toutefois, le transfert de compétences évoqué par ces auteurs d’une situation audiovisuelle à une situation auditive nous pose question. À la vue de nos résultats, notre étude suggère que ce transfert de compétences ne se met pas en place automatiquement : les enfants de moyenne section en ZEP présentent des performances supérieures à celles du groupe contrôle seulement lorsqu’ils sont évalués à partir d’un dessin animé, support conforme à celui rencontré dans les ateliers. Ainsi, afin de mettre en place des conditions propices à ce transfert de compétences, les études futures gagneraient certainement à combiner les deux types de supports au sein des ateliers de « compréhension », de sorte que l’enfant prenne conscience de la similarité des stratégies et des connaissances à employer pour comprendre une histoire et/ou un dessin animé.

24Enfin, cette étude nous fournit une piste de réflexion intéressante quant à la capacité des enfants à se représenter la dimension émotionnelle des évènements d’une histoire ou d’un dessin animé. En dépit du fait que les émotions évoquées étaient d’un même niveau de complexité dans les deux types de supports utilisés (émotions de base uniquement), nous observons lors de l’évaluation finale une différence inattendue entre l’histoire écoutée et le dessin animé. En effet, l’attribution des émotions est plus précise pour l’histoire écoutée que pour le dessin animé regardé (excepté pour le groupe de moyenne section en ZEP). Ce résultat suggère que la dimension émotionnelle d’un dessin animé peut s’avérer plus complexe à saisir que celle d’une histoire à écouter. Une explication possible de ce résultat repose sur le nombre d’indices émotionnels à prendre en compte : dans le dessin animé, il s’agit de combiner trois sources d’informations émotionnelles que sont l’expression faciale des personnages, leurs attitudes comportementales et leur intonation. Ainsi, prendre en compte cet ensemble d’informations serait plus difficile que de focaliser son attention sur deux indices seulement (attitude et intonation). D’autres travaux ne manqueront pas de venir enrichir et répondre à ce questionnement.

Bibliographie

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