Notes
-
[*]
Olivier R. Grim, docteur en anthropologie sociale et ethnologie, ehess.
-
[1]
Cf. O.R. Grim, 2000.
-
[2]
L’École des hautes études en sciences sociales.
-
[3]
Cf. K. Rouff, 2007.
-
[4]
Cf. J. Lévy, 1991.
-
[5]
R. Salbreux, 2000, p. 160.
-
[6]
« Malheur au monde à cause des scandales : car il est nécessaire qu’il arrive des scandales ; mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive. » Matthieu, XVIII, 7.
-
[7]
Cf. H.-J. Stiker, 2005.
-
[8]
H.-J. Stiker, 1996, p. 32.
-
[9]
Cf. M. Chauvière, 1980. Cf. C. Rossignol, 1998, 2000.
-
[10]
Cf. F. Bloch-Lainé, 1968.
-
[11]
A. Paré, 1573, p. 3.
-
[12]
Cf. M. Delcourt, 1938. Cf. N. Belmont, 1980.
-
[13]
Cf. O.R. Grim, 2008.
-
[14]
M. de Montaigne, 1588, p. 520.
-
[15]
Cf. J. Roger, 1963 – Cf. P. Tort, 1998.
-
[16]
P. Tort, 1998.
-
[17]
D. Diderot, 1749.
-
[18]
H.-J. Stiker, 2001, p. 28.
-
[19]
Ibid.
-
[20]
I. Geoffroy Saint-Hilaire, 1837, p. 68.
-
[21]
Cf. J. Guérin, 1838, 1843.
-
[22]
O. Roux, 2000.
-
[23]
Ibid., p. 398.
-
[24]
Ibid., p. 396.
-
[25]
Cf. E. Goffman, 1975.
Barnabé
1Le présent article est l’occasion de faire un point sur la notion de monstruosité appliquée au jeune enfant en situation de handicap. Mes premières réflexions sur le sujet, consignées dans un premier ouvrage [1], avaient été le fruit d’une nécessaire prise de recul effectuée dans le cadre universitaire [2]. À l’époque, j’étais confronté à une clinique qui s’était avérée éprouvante au fil du temps. Tout avait commencé le jour où l’on m’avait adressé un bébé à la laideur repoussante.
2À 6 mois, Barnabé était affligé d’un crâne aplati et bosselé sur lequel poussait de place en place un cheveu hirsute. Sous son front prématurément ridé, ses yeux globuleux, asymétriques et mi-clos, exprimaient une détresse contagieuse. Son absence quasi complète d’oreilles associée à un teint de peau jaune verdâtre évoquaient à l’envi un batracien ou un extraterrestre. Son nez massif et tordu était partiellement dévoré par une morve épaisse et gluante et de sa bouche mal dessinée pendait une stalactite de bave. Cette tête de cauchemar semblait posée sur un corps décharné figé dans une posture en zigzag. Je n’osais m’approcher, encore moins toucher. Mon oscillation entre effroi et dégoût était à la mesure de la souffrance des parents de cet enfant si étrangement dérangeant. Pris dans les glaces de la sidération, il m’était impossible d’accueillir avec empathie ce bébé et sa famille. Je faisais semblant. Sacrifiant aux apparences, nous faisions tous comme si de rien n’était. Je maudissais secrètement le médecin prescripteur. Si elle avait fait état de son retard de développement, elle avait soigneusement passé sous silence sa singularité.
3Au fil du temps, l’institution pour laquelle je travaillais prit l’habitude de m’adresser d’autres Barnabé. Jusqu’à la nausée. Dès lors, réfléchir sur ma pratique tenait du réflexe de survie. Au cours d’un dîner mondain, une première lueur me vint d’un échange avec un psychiatre. « En fait, vous êtes intéressé par les monstres », me souffla-t-il. C’était une révélation. Je n’avais pas pensé le problème en ces termes. Ainsi formulé, c’était pourtant une évidence. Tous les acteurs engagés autour de Barnabé avaient l’image d’un monstre dans la tête sans jamais oser l’exprimer. Il y avait là implicitement comme une limite à ne pas franchir. Rapprocher la figure du monstre et le jeune enfant – fût-il d’une laideur radicale – tenait du scandale. Roger Salbreux [3], pionnier avec Janine Lévy [4] de l’action médico-sociale précoce, s’en était fait l’écho lorsqu’il écrivit à propos de mon ouvrage : « Une polémique facile pourrait s’initier autour de la référence au monstre que les personnes handicapées et leurs familles seraient fondées à juger injurieuse, mais l’approche psychanalytique a tôt fait de nous convaincre, non sans résistances, que le monstre est en nous-même, dans notre imaginaire [5]. » Sachant, depuis les Évangiles [6], le sort malheureux réservé à celui par qui le scandale arrive, je l’avais échappé belle.
L’effacement
4Au-delà d’une posture sociale convenue, politiquement correcte pourrait-on écrire, l’effacement de la figure du monstre du discours populaire et savant à destination du sujet en situation de handicap n’est pas le fruit univoque de convenances instituées par l’air du temps. Il est le résultat d’une évolution de la pensée et des pratiques. Confinée aux marges du discours social, la figure du monstre désigne à l’heure actuelle plus volontiers le mal, incarné dans le criminel, que la difformité. Très active dans les représentations de l’imaginaire, elle arpente pourtant, tel un fantôme, les couloirs du médico-social. Ainsi, malgré les apparences, l’appartenance à l’humanité est aujourd’hui comme hier un caractère qui ne semble pas donné d’emblée au petit d’homme. Qu’advient-il de lui lorsque sa naissance est oblitérée par un handicap ? Si la notion de handicap est un regard social et historique sur l’infirmité, à quels types de grands schèmes de pensée des groupes sociaux l’infirmité renvoie-t-elle quand cette altérité-là est traitée sur le registre de la monstruosité ? La figure du monstre nous intéresse ici dans sa formidable capacité à révéler ce qui, chez l’autre, à l’épreuve de l’infirmité et du handicap, reste caché dans ses pensées, son discours et ses pratiques. Dans cette perspective, les usagers du handicap – pour oser la formule – savent combien, de l’individuel au collectif, la situation de handicap est un puissant révélateur. Sous le handicap court l’infirmité, sous l’infirmité se cache le monstre, tel un jeu de lentilles grossissantes, ce qui pouvait encore rester dans l’ombre ne peut échapper longtemps à la lumière crue dispensée par la figure du monstre. Il ne s’agit pas d’établir une équivalence logique, un lien linéaire direct entre monstruosité et handicap, mais plutôt de considérer la figure du monstre comme un point d’entrée anthropologique, une grille de lecture, un accès pour étudier les représentations sociales liées au handicap et à l’infirmité.
Déconstruire
5Opérer un tel retournement conduit au préalable à un travail de déconstruction des processus mis en œuvre. Ainsi, le mot « handicap » dans son usage ordinaire désigne une gêne, une entrave, une difficulté. Nous savons avec Henri-Jacques Stiker combien la notion de handicap est une figure historique de l’infirmité [7]. Importé du monde du turf et du sport dans celui du sanitaire dès le début du xxe siècle, ce terme débute sa carrière comme métaphore de la situation d’infirmité. Par son analyse, Henri-Jacques Stiker met en évidence l’idée sous-jacente d’égalisation sur laquelle s’appuient les pratiques professionnelles. Dans l’épreuve concurrentielle, certains participants subissent des handicaps afin d’être égalisés aux autres, à telle enseigne que les personnes entravées par des déficiences peuvent être « normalisées » sur la moyenne et ainsi participer à l’épreuve commune de la vie sociale. Pour Henri-Jacques Stiker le transfert de sens provoqué par la métaphore « transforme celle-ci en un modèle de traitement : on repère une population, on la classe, on l’entraîne et la réadapte par des procédés de plus en plus spécifiques eu égard à la classification, enfin on la réinsère, on la fait participer à la course [8] ». Ainsi donne-t-il une intelligibilité à la perception sociale de notre époque de l’infirmité. Dans une approche anthropologique, si la notion de handicap est précieuse, elle présente toutefois l’inconvénient d’être une notion datée. En France, elle succédera progressivement après guerre à la notion vichyste d’inadaptation [9] et connaîtra tout son succès avec notamment les travaux de François Bloch-Lainé [10]. La notion d’infirmité quant à elle est relativement neutre historiquement et socialement. Même si elle insiste plus sur la faiblesse ou la pathologie d’ordre physique, elle présente l’avantage de n’avoir jamais été technicisée. De toutes les époques, elle est la plus générique et, de ce point de vue, comme véhicule au champ d’action moins limité que celle de handicap, elle permet les allers et retours dans le temps et l’espace : avec elle point d’anachronisme. Elle permet de faire état de la monstruosité, ce que ne permet pas la notion de handicap, puisque l’idéologie qui la sous-tend a comme conséquence de renvoyer dans les cintres de la scène sociale l’idée même du monstre. Pour saisir l’effacement de la notion de monstruosité dans le discours social actuel, il est utile de poser comme socle à la réflexion quelques définitions retenues par l’histoire.
Le monstre chez Ambroise Paré
6La Renaissance finissante sous la plume d’Ambroise Paré nous offre en la matière un jalon en termes de représentations savantes. Fort de son expérience de chirurgien aux armées et de ses lectures, Ambroise Paré publie en 1573 deux livres de chirurgie dont le second s’intitule Des monstres tant terrestres que marins. L’ouvrage fera l’objet de plusieurs rééditions sous un titre modifié : Des monstres et des prodiges, modification due, selon certains historiens, à l’extension du projet initial aux « monstres célestes » et à la fascination de l’auteur pour ce sujet où il s’agit de faire « reconnaître la grandeur de Nature, chambrière de ce grand Dieu ». Ambroise Paré distingue monstres et prodiges. Les premiers « sont choses qui apparoissent outre le cours de Nature (et ce sont le plus souvent signes de quelque malheur à advenir) comme enfant qui naist avec un seul bras, un autre qui aura deux testes, et autres membres outre l’ordinaire », quant aux seconds ils « viennent du tout – c’est-à-dire entièrement – contre Nature, comme une femme qui enfantera un serpent, ou un chien, ou autre chose du tout contre Nature [11] ». Ce coup de sonde montre combien la question est essentiellement théologique. Bien avant l’anatomie et la physiologie, la classification d’Ambroise Paré repose sur des causes divines. Les créatures monstrueuses procèdent le plus souvent du jugement de Dieu et sont l’expression de sa colère à l’égard des hommes. Une sexualité à l’écart des canons religieux en vigueur est révélée et punie par une naissance monstrueuse. Notamment par la croyance antique d’un sang menstruel « vicieux, sale et corrompu », « les femmes souillées de sang menstruel engendreront des monstres », écrit Ambroise Paré. Dans sa recherche étiologique, il explique les monstres doubles par un excès de semence et les réductions à l’unité par un défaut de quantité. Les monstres se font également « par l’imagination » : il cite à titre d’exemple un bébé né velu comme un ours. Sa mère, pendant la conception, avait trop regardé une gravure de saint Jean vêtu de peau. Il fait également état de femmes restées trop longtemps assises ou ayant bandé trop fort et trop longtemps leur ventre pendant la grossesse. Nous mesurons ici l’héritage de l’Antiquité classique [12] et des sources judéo-chrétiennes [13].
Chez Michel de Montaigne
7Michel de Montaigne ouvre une autre perspective. Il fait état dans ses Essais d’un enfant âgé de 14 mois, exhibé à son attention par ses parents pour « quelque soul », dont la monstruosité réside en son aspect double et parasitaire et de sa rencontre avec un berger affligé d’hermaphrodisme. Son analyse sur l’état de monstruosité fait la part des regards, celui des hommes d’un côté, celui de Dieu de l’autre : « Ce que nous appelons monstres, ne le sont pas à Dieu, qui voit en l’immensité de son ouvrage, l’infinité des formes, qu’il y a comprises, et est à croire que cette figure qui nous étonne, se rapporte et tient à quelque autre figure de même genre, inconnu à l’homme. De toute sa sagesse il ne part rien que bon, et commun et réglé : mais nous n’en voyons pas l’assortiment ni la relation [14]. » Parce qu’il ne peut se déprendre d’une fausse équation, où habituel rime avec naturel à laquelle le monstre ne répond pas, le commun des mortels ne peut voir dans l’œuvre infinie du Créateur que ce qu’il appelle monstre n’est rien d’autre qu’une variété anthropologique dont la communauté et la règle échappent à sa compréhension.
Nicolas Lémery et Jacques B. Winslow, la controverse
8Si d’Ambroise Paré à Michel de Montaigne nous passons d’un Dieu ambivalent à un Dieu sage et bon dont les voies sont impénétrables, la question ne se règle point et donnera lieu au xviiie siècle à la célèbre controverse où s’opposèrent les deux anatomistes Nicolas Lémery et Jacques B. Winslow [15]. Le premier défend une théorie de la formation accidentelle et mécanique des monstres par confusion de germes ou par choc subi aux premiers stades du développement embryonnaire, contre l’hypothèse providentialiste du second où les monstres sont déposés comme tels dans les germes. Le débat reste avant tout théologique, l’existence des monstres peut conduire à penser un Dieu ignorant et/ou méchant alors qu’il convient d’affirmer avant tout la posture de Michel de Montaigne sur la sagesse et la bonté du Créateur. Une thèse « mécaniste » s’oppose à une thèse « préformationniste » et la polémique secouera l’Académie des sciences pendant dix-neuf ans (1724-1743). À force de se frotter l’une l’autre, les deux théories gagnent en porosité et échangent des éléments qui, au départ, les opposaient clairement. La théorie de Jacques B. Winslow se mécanise, celle de Nicolas Léméry se dynamise. À bout d’arguments, les deux thèses parvenues à un point stérile deviennent hétérogènes et la querelle prend fin avec la mort de Nicolas Lémery. Seule la thèse de ce dernier donnera lieu à des développements ultérieurs nommés par Patrick Tort [16] : Physique générale du vivant, où l’on privilégie l’idée d’une aptitude spontanée des organismes naturels à la réorganisation vitale dont les modalités restent à découvrir.
Les « Lumières » de Denis Diderot
9À cette rationalité basée sur l’observation et l’analyse des faits s’ajoute la position de Denis Diderot. Dans sa « Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient [17] », il expose une conception nouvelle de la vie et prend une position hardie sur la question de Dieu. Le renversement est radical : par le monstre il avance l’idée d’une éternité de la matière et d’une origine chaotique de la création. L’ordre n’est pas premier, il est le résultat d’un équilibre précaire. La vie est toujours en mouvement, elle est métamorphose. Elle n’est pas organisée dès l’origine, elle s’organise progressivement. Elle est spécifique et n’a pas à trouver d’explications hors d’elle-même. Si l’homme est le fleuron de la vie, le monstre en est une production naturelle au même titre. Elle est seulement plus rare. Pourquoi la Nature produirait-elle uniquement du même ? L’être humain est naturalisé et le monstre n’est ni une anomalie, ni une déviance, ni une erreur, encore moins le produit d’une volonté divine. Il est une variation anthropologique. Hormis la question de Dieu, réglée par son évacuation comme facteur de l’équation, Denis Diderot rejoint la position de Michel de Montaigne, prolonge le courant impulsé par Nicolas Lémery et ouvre « la double problématique de la rationalité des formes et de la luxuriance de la vie [qui] va habiter le xixe siècle [18] » et dont Étienne et Isidore Geoffroy Saint-Hilaire seront les fers de lance.
Étienne et Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, l’ensevelissement
10Le premier fabrique des monstres par lésions mécaniques d’œufs de poule et confirme expérimentalement l’hypothèse accidentaliste de Nicolas Lémery. Il pose le « monstre » né d’humains comme appartenant à l’Humanité et montre combien le monstre n’est pas monstre en son entier. « C’est la même position que Pinel pour la folie. Avec Étienne Geoffroy Saint-Hilaire la monstruosité est ordonnée, obéit à des lois rationnelles qui sont à chercher pour elles-mêmes sans s’occuper de Dieu, tenu à l’écart. La vie a ses propres lois car la vie n’est réductible à rien d’autre [19]. » La même idéologie scientifique traverse l’œuvre de son fils, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, notamment par la définition univoque et limitative – basée sur des critères objectifs –, qu’il donne de la monstruosité. Celle-ci « ne commence qu’avec la réduction à l’unité là où il doit y avoir dualité, par exemple un œil au lieu de deux, une partie du cerveau au lieu du tout, etc., ou au contraire quand il y a dualité là où il ne devrait y avoir qu’un exemplaire, tous les cas de doubles [20] ». Ainsi pour l’anatomiste, si toute particularité organique présentée par un sujet comparé à l’ensemble des individus de son espèce et de son genre constitue une anomalie, seules les plus graves et les plus apparentes, en fonction de leur nature, leur degré de complication et gravité au plan anatomique et leur répercussion fonctionnelle, composent une monstruosité. Selon Henri-Jacques Stiker, la définition où Isidore Geoffroy Saint-Hilaire sépare définitivement le corps monstrueux de l’infirmité en général met fin, pour ce qui est de la pensée savante, à l’histoire du corps infirme comme corps monstrueux. Cette circonscription précise de la monstruosité expulse la tératologie du champ médical et ouvre la voie de la rééducation des « anomalies [21] ».
Pour conclure
11Tenter de définir scientifiquement la monstruosité conduit à « mêler de manière constante et inextricable le pourquoi au comment », telle est la conclusion de la recherche d’Olivier Roux [22]. D’Ambroise Paré à Isidore Geoffroy Saint-Hilaire – pour considérer cette tranche historique de la pensée savante – « la sur-explication remplit en fait l’espace intermédiaire d’une dialectique […] dont les deux éléments sont moraliser la physiologie et physiologiser la morale [23] ». Dans cette perspective, la pensée savante du xixe siècle souhaite se démarquer du populaire et du passé au risque de concevoir chaque époque antérieure comme homogène, alors « que les différentes analyses qu’elles soient médicales, morales, hygiénistes ou divinatoires sont représentées, pourrait-on dire, “depuis toujours” [24] » dans un rapport exclusif, complémentaire ou parallèle. Les cinq vignettes historiques présentées montrent combien la pensée savante dialogue avec les représentations populaires et se construit par rapport à ces dernières. Si avec les Geoffroy Saint-Hilaire il y a une rupture dont nous sommes les héritiers, il n’en demeure pas moins vrai que les représentations collectives anciennes, loin d’être remisées sur les étagères de l’Histoire, traversent et influencent largement les représentations individuelles d’aujourd’hui, participent aux construits sociaux récents comme la notion de handicap et façonnent les pratiques. Aujourd’hui comme hier, des enfants à l’image de Barnabé peuvent être pensés comme une épreuve ou une punition divine, ou le résultat de desseins, de pratiques magiques ou bien encore comme ne faisant pas partie de l’Humanité. En un temps premier, ces représentations entravent toute rencontre authentique avec ces enfants en devenir, d’autant plus si elles sont inconscientes. Dans un temps second, penser ces enfants comme des monstres, loin de les stigmatiser au sens d’Erving Goffman [25], est le plus sûr moyen de les aider à façonner les outils de leur anthropogenèse, pour peu que nous ayons le courage de questionner nos positions subjectives. Le bénéfice secondaire de l’entreprise est appréciable. Nous sortons alors des ornières de la compassion, de la surprotection, de l’empathie non réfléchie, figures masquées du rejet. En d’autres termes nous gagnons en humanité, posture à distinguer ici des philosophies sacerdotales où, par ses actions à destination des personnes infirmes, on gagnerait son paradis. Enfin au temps troisième de ce processus, les pulsions de vie comme énergie positive exercent leurs bienfaits et sont au service des formes et des expressions diverses et variées de l’amour.
Bibliographie
Bibliographie
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- Chauvière, M. 1980. Enfance inadaptée, l’héritage de Vichy, Les Éditions Ouvrières.
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- Tort, P. 1998. L’ordre et les monstres. Le débat sur l’origine des déviations anatomiques au xviiie siècle, Paris, Les Éditions Syllepse.
Notes
-
[*]
Olivier R. Grim, docteur en anthropologie sociale et ethnologie, ehess.
-
[1]
Cf. O.R. Grim, 2000.
-
[2]
L’École des hautes études en sciences sociales.
-
[3]
Cf. K. Rouff, 2007.
-
[4]
Cf. J. Lévy, 1991.
-
[5]
R. Salbreux, 2000, p. 160.
-
[6]
« Malheur au monde à cause des scandales : car il est nécessaire qu’il arrive des scandales ; mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive. » Matthieu, XVIII, 7.
-
[7]
Cf. H.-J. Stiker, 2005.
-
[8]
H.-J. Stiker, 1996, p. 32.
-
[9]
Cf. M. Chauvière, 1980. Cf. C. Rossignol, 1998, 2000.
-
[10]
Cf. F. Bloch-Lainé, 1968.
-
[11]
A. Paré, 1573, p. 3.
-
[12]
Cf. M. Delcourt, 1938. Cf. N. Belmont, 1980.
-
[13]
Cf. O.R. Grim, 2008.
-
[14]
M. de Montaigne, 1588, p. 520.
-
[15]
Cf. J. Roger, 1963 – Cf. P. Tort, 1998.
-
[16]
P. Tort, 1998.
-
[17]
D. Diderot, 1749.
-
[18]
H.-J. Stiker, 2001, p. 28.
-
[19]
Ibid.
-
[20]
I. Geoffroy Saint-Hilaire, 1837, p. 68.
-
[21]
Cf. J. Guérin, 1838, 1843.
-
[22]
O. Roux, 2000.
-
[23]
Ibid., p. 398.
-
[24]
Ibid., p. 396.
-
[25]
Cf. E. Goffman, 1975.