Notes
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[1]
« Policiers et polissons », Strip-Tease, FR3, avril 2008.
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Eric Debarbieux a noté lors d’une enquête que, dans une école où 80 % des enfants étaient frappés, il y avait dix fois plus d’enfants qui se tapaient. Il souligne qu’en l’occurrence, c’est la pédagogie du modèle qui est efficace alors que les leçons de morale sont totalement inefficaces (Libération, 22-23 mars 2008).
« L’autorité des enseignants se fonde sur son rôle de responsable du monde. Vis-à-vis de l’enfant, c’est un peu comme s’il était un représentant de tous les adultes, qui lui signalerait les choses en lui disant : “Voici notre monde”. »
1Les châtiments corporels à l’école sont interdits et ce depuis 1834, bien avant donc 1968, cause selon certains de tous nos maux, et il semblait que l’opinion publique se soit depuis ralliée à cette condamnation des châtiments corporels, comme en témoigne la lutte contre la maltraitance des enfants.
2On peut donc être surpris et interrogé qu’un enseignant ayant giflé son élève qui l’avait traité, à mi-voix paraît-il, de connard, ait reçu un soutien massif non seulement de nombre de ses collègues et d’une partie de la population (on parle de 40 000 signatures de soutien) mais du Premier ministre et de l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Luc Ferry, qui n’hésite pas à affirmer « qu’à la place de ce père, il aurait doublé la mise ».
3Tous les intervenants dans le champ de la protection de l’enfance ont rencontré des parents qui non seulement frappent leurs enfants mais recommandent aux éducateurs d’en faire autant… mais justement ils font l’objet de mesures d’accompagnement éducatif. Cependant lorsqu’un documentaire [1] nous montre un directeur de police municipale conseiller à des parents la « baffothérapie » envers leur adolescent « lymphatique » après l’avoir lui-même bien secoué, quelle n’est pas notre surprise d’entendre nombre de personnes – travaillant eux-mêmes dans des lieux éducatifs – sinon le défendre, du moins ne pas s’en indigner !
4« Réaction virile d’homme à homme », bien que cela soit plutôt d’homme à enfant, ont commenté certains, « Normal de répondre à l’insulte » ont avancé d’autres. Argument qu’on ne considère pas lorsque des élèves se battent dans les cours de récréations et dans la rue pour « laver » des insultes, ce qui entraîne des sanctions pouvant aller jusqu’à l’exclusion. Les mêmes enseignants – mais est-ce vraiment les mêmes ? – s’efforcent de les convaincre à la fois qu’on ne doit pas proférer d’insultes mais qu’il y a d’autres manières d’y répondre que les coups. Évidemment lorsqu’un éminent personnage de notre République les profère, et si de plus ces « réactions » sont considérées comme légitimes et signes de virilité pour un enseignant, leur lutte contre l’« incivilité » risque de s’en trouver entamée.
5De quoi s’indigne-t-on ? Apparemment pas du retour du châtiment corporel comme méthode éducative. La punition, l’autoritarisme, la crainte comme méthodes éducatives semblent faire un retour en force : du succès d’émissions sur les méthodes éducatives « traditionnelles » aux nouvelles lois sur la délinquance des mineurs.
6Le soutien important à cet enseignant témoignerait-il de cette tendance au retour de « l’éducation musclée » face au désarroi suscité par ces adolescents, ces enfants, que l’on ne sait plus contenir, à l’angoisse et la difficulté que suscitent certains jeunes au point de ne plus trouver que ces « gestes malheureux » pour faire face ? Certes un enseignant, même s’il a le devoir de se contrôler, a le droit d’être exaspéré par des jeunes dans l’impossibilité de supporter l’effort et les contraintes scolaires et qui en font le bouc émissaire de leur échec passé, présent et à venir. Les enseignants qui soutiennent le professeur inculpé ne témoignent-ils pas de la défaillance institutionnelle à créer les moyens de travailler avec des enfants, des adolescents en difficulté, et notamment d’un déficit de formation ? Ou plus généralement d’une évolution de notre société dans laquelle la place institutionnelle ne suffit pas à asseoir cette autorité et à générer l’obéissance ?
7Cependant de tels actes méritent-ils une plainte, une garde à vue, un procès après que cet enseignant s’est excusé ? Comme l’on peut regretter que l’enseignant n’ait pas trouvé d’autres moyens de sanctionner son élève, on peut s’étonner que les excuses du professeur n’aient pas suffi au père gendarme. Est-ce une conception rigide de l’application de la loi ? Une vengeance à l’égard des enseignants qui n’apprécient pas à sa juste valeur son enfant, comme nombre de parents qui vont jusqu’à insulter, voire frapper, les professeurs lorsqu’ils ne sont pas d’accord avec eux ?
8Toujours est-il que la judiciarisation a envahi le terrain de l’école et plus généralement celui de l’éducation. Le nombre de plaintes de parents contre les enseignants, et au-delà contre d’autres enfants, ayant malmené leur enfant ne cesse d’augmenter. Le nombre de plaintes contre les enseignants a quadruplé en dix ans, et 75 % d’entre elles concernent des gifles, des coups de pied ou des violences verbales. Simultanément, le nombre de plaintes des professeurs contre les parents et les enfants a doublé. On peut penser que cette croissance de l’appel à la loi, que l’on peut d’ailleurs constater dans de nombreux domaines, est liée à l’extension de la violence dans le champ social et notamment en milieu scolaire, mais ne témoigne-t-elle pas également d’un certain délitement du lien éducatif, ce qui générerait en retour de la violence [2] ? De même que l’effet pervers de la lutte contre la maltraitance a été de mettre en difficulté l’autorité des parents, la judiciarisation des relations parents/enseignants ne décrédibilise-t-elle pas les enseignants et par contrecoup tous les adultes en position d’autorité et donc de responsabilité ?
9Jeunes comme adultes parlent de respect. Si le respect ne saurait se confondre avec la crainte qu’inspirent les coups, comment respecter des adultes qui ne savent gérer leurs propres conflits que par des assignations en justice sans pouvoir faire preuve de la véritable autorité qui suppose responsabilité et échange humain langagier ?
Notes
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[1]
« Policiers et polissons », Strip-Tease, FR3, avril 2008.
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[2]
Eric Debarbieux a noté lors d’une enquête que, dans une école où 80 % des enfants étaient frappés, il y avait dix fois plus d’enfants qui se tapaient. Il souligne qu’en l’occurrence, c’est la pédagogie du modèle qui est efficace alors que les leçons de morale sont totalement inefficaces (Libération, 22-23 mars 2008).