Notes
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Les engraineurs, 1 rue des Noyers, 93300 Aubervilliers, www.les-engraineurs.org
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Colloque du grape « Pourquoi les adolescents nous poussent-ils à inventer », 29-30 novembre et 1er décembre 2007, Paris.
1Pascale Mignon : Votre association « Les engraineurs » a déjà de nombreuses années d’expérience qui témoignent de sa vivacité.
2Boris Seguin : On fête nos dix ans cette année. L’idée est venue d’un premier film que j’avais réalisé aux Courtillières à partir d’un travail fait avec des élèves dont Sadio qui était alors en 4e. Julien Sicart produisait le travail d’écriture, supervisait et a aussi produit le film. Ça nous a donné envie de continuer ce travail d’écriture, de tournage et on a monté, à la suite de cela, une association
3P.M. : Qu’est-ce qui a motivé cette idée de création avec des adolescents ?
4B.S. : Je suis prof de français depuis presque quarante ans et j’ai toujours considéré comme importante l’idée de faire écrire les élèves. J’ai commencé en 1973. À l’époque, faire des romans de classe c’était révolutionnaire, mal vu, parfois considéré comme ringard..., mais pourtant c’était toujours d’avant-garde ! En arrivant ici, j’avais un certain nombre de préjugés, je me suis dit que des romans, ça allait être compliqué, qu’il fallait plutôt les faire écrire sur des formats courts de poèmes. Et ça a très bien marché. Les élèves avaient plein de choses à dire de manière surprenante et amusante. J’ai fait lire ces poèmes à des copains qui ont trouvé ça bien et je me suis débrouillé pour les faire éditer. Et ensuite cela m’a donné l’idée, plutôt que de leur faire écrire des poèmes, ce qui est un travail un peu solitaire, de les faire travailler deux par deux sur des dialogues. Ils sont alors partis sur le divorce, l’amour, l’amitié... Deux gamins dialoguaient sur un thème et ensuite Laurent Patlowsky, un réalisateur qui venait de l’extérieur et qui avait fait un petit film, les a mis en scène. Comme le premier travail que l’on avait fait avec lui s’était bien passé, on en a fait un deuxième qui s’est un peu moins bien passé. Ensuite, j’ai saisi l’opportunité que l’on m’a donné de tourner moi-même et plutôt que de faire des petits sketchs, des petits dialogues, de faire une vraie fiction. Les jeunes venaient le mercredi après-midi, ils étaient une vingtaine, pour écrire ce scénario. Ça a donné un film et on a battu le record du monde : on a commencé l’écriture en septembre et on a terminé en décembre. On l’a envoyé au cnc, on a eu une avance, on a tourné en juin, on l’a monté pendant les vacances, il est sorti en septembre et il a eu un premier prix au festival de Tignes. Il a été diffusé sur Canal+ en 1998. Donc, après, comme le tournage s’était bien passé, qu’il y avait eu beaucoup de complicité, il est apparu que ça pourrait être un levier pour travailler avec les jeunes sur des fictions qui ne sont pas très loin de leur vécu, mais où il y a un travail de distanciation par rapport à ce vécu parce qu’on invente des personnages et des histoires qui restent bien des personnages et des fictions.
5P.M. : Pourquoi ne vous ne vous êtes vous pas satisfait du roman, pourquoi y a-t-il eu cette nécessité d’aller du côté du cinéma ?
6B.S. : Tout bêtement parce que c’est plus excitant, pour un jeune, de se dire que l’on va jouer des personnages Le cinéma a quelque chose de fascinant. Mais il faut aussi faire tout un travail d’explication parce que ça peut créer de gros dégâts et que des gamins peuvent se faire instrumentaliser. Il est arrivé que des réalisateurs viennent faire leur marché de petits comédiens qui ont la tchatche, les fassent tourner et après les jettent. On en connaît plusieurs qui ont mal fini... Il n’y a pas de suivi et ils se retrouvent gros jean comme devant. Nous, on est ici, il y a un suivi et on est toujours là.
7P.M. : Comment vous parleriez, vous, Sadio, du trajet que vous avez fait au sein de cette association ?
8Sadio Doucouré : J’ai commencé en 6e avec l’écriture du dictionnaire.
9« Les céfrancs parlent aux français. » Toute une partie a été écrite par Boris Seguin et Frédéric Teillard, sur leur parcours scolaire pendant un an à leur arrivée aux Courtillières. L’autre partie, c’est un dictionnaire qui retrace le langage que l’on a entre nous à l’école, dans le quartier, le verlan quoi. On a défini ce que voulaient dire les mots que l’on emploie et à chaque fois, essayé de trouver des synonymes plus ou moins familiers pour que l’on comprenne ce que l’on disait et que l’on nous comprenne.
10Avec les dialogues qu’on avait commencés à écrire en 5e, on a fait des courts métrages et moi, j’ai joué dans l’un d’entre eux. J’ai continué, parce que ça me plaisait et que c’était une autre manière de travailler le français, travailler la grammaire, c’était plus excitant que par les livres et d’apprendre par cœur. En 4e on a écrit Miskine pendant un an. On était une vingtaine. J’ai passé le casting pour jouer le premier rôle, je l’ai eu et à la création de l’association, j’ai continué. Pour moi, passer de l’écriture à la réalisation c’est une continuité, c’est dans la logique, commencer par l’écriture, voir qu’après l’écriture on peut jouer et ensuite on passe à la technique, et de la technique on réalise. C’est une suite logique de plusieurs événements.
11P.M. : Peut-on parler de construction dans ce passage de la réalité à la fiction ?
12B.S. : Le projet de l’association était d’initier ces jeunes à l’image, pas uniquement les faire jouer avec les gratifications narcissiques dangereuses, qu’il peut y avoir. C’est un travail de construction, on ne dit pas n’importe quoi, on ne fait pas n’importe comment. Leur donner envie d’être actif, de maîtriser les images qu’ils produisent et de ne pas être toujours victimes de l’instrumentalisation qu’en font les médias et particulièrement les chaînes télé quand elles viennent dans le quartier.
13S.D. : Au départ j’ai subi l’image que les médias donnaient des gens qui vivent dans les quartiers ; des reportages sont faits et au final, ce que l’on voit n’est pas du tout ce que l’on a dit au départ. Maintenant je n’ai plus l’impression de subir cela, j’ai l’impression de vivre et de construire ce dont j’ai envie de parler, les choses que j’ai envie de montrer, tout en m’inspirant de la réalité dans laquelle je vis. Je suis plus apte à parler de ce que je connais vraiment : le quartier. C’est important de pouvoir créer ses propres images à l’intérieur de toutes ces autres images. C’est s’approprier l’image, l’image que l’on donne de soi à soi et pouvoir en sortir quelque chose qui nous corresponde plus, ce que j’ai envie de dire, envie de montrer, ce que je vis.
14P.M. : Toucher au langage, à la manière dont on s’exprime, modifie aussi le rapport aux autres... Est-ce que cela a eu des effets dans les liens avec votre famille par exemple ?
15S.D. : Pour mes parents, si quelqu’un leur dit « c’est formidable, votre fille elle réalise un film... », ils ne voient pas cela comme quelque chose de concret, un vrai métier, ça ne fait pas partie de « la culture ». En ce sens ils sont « à côté de la plaque ».
16F.P. : Ils ont vu le film ?
17S.D. : Non, mais moi-même je ne leur en parle pas. Quand on est parti au Mali, on a fait un court métrage, je leur ai montré ensuite des images et ils disaient « ah Bamako ! » Ils n’ont pas regardé l’histoire, ce qui les intéressait c’était les images de Bamako, du Mali. J’attends d’avoir le dvd pour leur montrer. Mes frères et sœurs, eux, ils suivent, ils sont venus. Au départ, quand je leur disais qu’on faisait des films, ils disaient « ouais, vous avez vos p’tites caméras, vous rigolez dehors et tout... », mais l’autre jour quand mon frère est venu au cinéma 104 où il y a eu une projection, il disait « mais il est drôlement bien le film, la qualité de l’image ! c’est trop bien ! ». Il s’est rendu compte qu’il y a un vrai travail qui se fait. Maintenant quand je dis que je vais aux « Engraineurs », ce n’est plus pareil.
18B.S. : Ils ont tourné dans un film, à quatorze ans ; le film est passé sur Canal + ; il a eu un grand prix, et ils ne s’en sont pas vantés devant leurs parents ou leurs parents n’ont pas réagi, mais ils n’en ont même pas parlé ! Dans leur cv, ils ne le marquaient pas. Pourtant n’importe quel gamin s’en serait vanté. Sans parler de l’hostilité que l’on a rencontrée au départ parce que le cinéma est plutôt mal vu dans la cité. Les profs c’est pareil. Quand on fait une projection, il y a 2 profs sur 30 qui se déplacent. Quand on a fait Miskine, cela a été plutôt mal reçu par les enseignants. On considère que ce n’est pas du travail.
19S.D. : C’est à cause du rapport que l’on a aux médias, à la caméra. Il y a toujours dans nos têtes que l’on va montrer le côté négatif. C’est ce que l’on a l’habitude de voir dans les médias etc. Mais maintenant ça fait dix ans qu’on est sur le quartier, qu’il y a des films qui se font et qui passent à la télé, je pense que les gens portent un autre regard.
20B.S. : Il y a un truc qui est significatif : lorsqu’on a tourné le premier film, Miskine, il n’y avait pas un adulte. C’était un huit clos adolescent, il y avait des adultes prévus dans le scénario mais je ne les ai pas montrés parce que c’était difficile de faire tourner des adultes du quartier dans le film. Je me suis dit que finalement c’était pas mal parce qu’il y a leur vie dans leur famille et puis leur vie entre jeunes où les liens sont très forts et, c’était cela aussi le thème du film. Il a fallu aussi que les gens comprennent sur le quartier ce qu’on faisait, pourquoi on le faisait. Aujourd’hui quand on sollicite des parents, ils tournent volontiers dans les films qu’on réalise.
21P.M. : Vous disiez qu’une certaine forme de liens, de rencontre se construisait entre jeunes, est-ce que là aussi vous trouvez que les liens se sont transformés ?
22S.D. : Quand on a commencé le travail avec Miskine, le petit groupe constitué était celui avec lequel j’allais à l’école, mes voisins, donc on se voyait à l’école ou en bas de chez nous. En travaillant toute l’année sur le dictionnaire, les dialogues et sur le scénario forcément ça a développé d’autres liens. Aujourd’hui on a toujours des contacts, quelque chose s’est construit et continue de se construire même si on est très éloignés. On suit les constructions de chacun que ce soit dans la vie privée ou au niveau professionnel. Mais on parle toujours de Miskine. On se revoit la cassette et on rigole.
23P.M. : Comment se fait le passage à l’écriture ? Vous vous réunissez, il y a un thème qui est choisi ?
24S.D. : Pour le Mali par exemple, c’est parti d’une discussion avec celui qui organise le projet de voyages d’échange et de solidarité auquel on participe tous les ans. Toute la journée on entendait à la télévision : immigration expulsion, immigration, expulsion, je me suis dit pourquoi pas faire un court métrage autour de ce sujet-là ? J’en ai parlé aux autres, ils m’ont dit « ok commence à écrire »... et j’ai commencé à écrire... et je montrai à Boris ou à Jérôme ou à Julien pour voir s’il fallait modifier des choses.
25B.S. : Sonia, elle partait avec sa caméra, faisait des trucs et puis après elle nous le montrait... on discutait sur la longueur, le montage.
26Cette année, avec des petits, on a commencé une petite histoire qui visiblement va prendre des proportions importantes et on ne pouvait pas finir cette année, alors, on reprendra l’année prochaine et on leur trouvera de petits sujets pour les faire jouer, jouir de l’image, du jeu avec la caméra, du côté théâtral et amusant des sketches, sinon c’était des semaines avec le stylo, le papier... En même temps ce qui est important dans ces ateliers d’écriture, qui part à contre-courant du côté attractif de l’image, c’est de faire comprendre à ces jeunes que le temps est nécessaire. « Rendez-vous la semaine prochaine », comme dans les feuilletons télévisés, il faut savoir attendre, savoir construire, ce n’est pas tout de suite devant la caméra... c’est une autre appréhension du temps. Les jeunes en général et particulièrement ici, sont dans le présent perpétuel, un jour efface l’autre.
27F.P. : Par rapport à jouer qui engage le corps, l’écriture est plus abstraite...
28B.S. : Oui, ça engage plus loin, il faut se projeter. Beaucoup de gamins ont du mal à se projeter ou bien par fatalisme ou bien parce qu’ils vivent au jour le jour : on va écrire et ça va faire un film...
29F.P. : C’est une démarche différente de ce que pourraient être des scènes d’improvisation à partir desquelles on écrirait par exemple ?
30B.S. : On peut jouer aussi là-dessus. Il y a des gamins qui ne peuvent pas écrire, qui ne peuvent pas rester en place, mais si on les met dans la situation de jouer, là ils sortent des tas de trucs, alors on écrit, on rejoue...
31F.P. : Ça les aide à passer à l’écriture ?
32Sonia Chikh : Ils ont un support. Ils ont tous pris le stylo. À un moment donné c’était Jérôme qui animait l’atelier et ils ont dit « ouais pourquoi c’est toujours toi qui écris on comprend pas ton écriture » et ils ont pris le stylo, et là ils ont écrit eux-mêmes.
33S.D. : Nous, c’était nous-mêmes ; on se mettait en groupe de 4 de 5 dans un coin et à partir de la trame on imaginait des situations différentes avec des personnages. En fait ça dépend. Il y a des gens qui aiment bien écrire, d’autres non, d’autres préfèrent improviser. D’autres qui préfèrent ni écrire, ni jouer, mais s’intéressent à la technique.
34S.C. : Et même ne rien faire mais être là.
35B.S. : Oui il y a un côté aumônerie, on vient, on peut draguer aussi... Je m’étais rendu compte quand j’étais arrivé ici, que ces jeunes recréaient de la non mixité, il n’y avait pas un garçon à côté d’une fille même en 3e. Dans le travail en commun il s’agissait aussi de créer une mixité, que les garçons travaillent avec les filles, que des adultes travaillent avec les ados, que des gens extérieurs à l’association travaillent avec des gens du quartier parce qu’il y a le côté ghetto fermé ici.
36P.M. : Pour vous, Sonia, quel a été votre parcours aux Engraineurs ?
37S.C. : J’étais au collège quand je suis arrivée à l’association, je suis de la génération après Sadio. C’est Fatima qui m’avait ramenée à l’association. Je suis venue un jour, j’ai vu comment cela se passait et j’ai adhéré tout de suite et puis après j’étais accro. C’était ma drogue après les cours, la Maison de quartier, les Engraineurs. Ce n’était pas que le fait d’écrire des scénarios, c’était aussi la convivialité que l’on avait dans le bureau, c’était vachement sympa, au moindre petit truc on pouvait venir parler et c’était sympathique. Après il y avait les ateliers d’écriture, les moments de tournage, moments intenses pour nous. On avait quinze ans. On passait devant la caméra... C’était un peu magique.
38Aujourd’hui, j’ai un peu grandi et j’essaye de passer le flambeau aux plus petits en animant des ateliers, en les initiant à la caméra, le côté technique que Boris nous a appris. À un moment donné nous, on va partir et les jeunes vont prendre le relais. On essaye de faire que tout le monde soit polyvalent sur chaque poste.
39P.M. : Vous pensez que quelque chose a changé en vous dans la rencontre avec cette association, ces adhérents et ce qu’elle propose ?
40S.C. : À un moment donné dans l’association on a fait 93 tv. C’était un moment où je n’étais plus dans le milieu de la cité avec les copines. On partait à l’extérieur, on est sorti et je me suis intéressée à la mondialisation, à des trucs que je ne touchais pas avant et qui était intéressants. Cela m’a permis de sortir et de me diriger vers d’autres personnes et ça a été aussi un tremplin pour moi. Maintenant j’en fais un peu mon métier et c’est un outil.
41F.P. : Vous et d’autres, vous avez l’intention de continuer, de poursuivre dans une autre création à l’âge adulte ou c’est quelque chose qui appartient à une période de votre vie et vous pensez qu’ensuite vous irez vers autre chose ?
42B.S. : Sadio vient de réaliser, d’écrire le film qu’elle va présenter. Il a été tourné l’année dernière, monté cette année. On sort d’un moyen métrage, qui a duré deux ans, il y a eu deux ans de travail d’écriture, plus la réalisation, plus le montage, il faut qu’elle ait digéré tout ça pour repartir.
43S.D. : Pour le moment, moi je suis à la fac, l’année prochaine, j’aimerais bien terminer sur un master professionnel, politique culturelle, et, bien évidemment, à côté, continuer de suivre des projets aux Engraineurs, d’écrire, de réaliser, de jouer parce que j’aime ça. La structure il faut la faire vivre le plus longtemps possible, pour que des gens puissent s’exprimer comme moi j’ai pu le faire et donc je continuerai à être là et à proposer.
44F.P. : Pour tourner ces films vous avez à faire à des techniciens qui viennent de l’extérieur aussi. Cela ouvre sur un autre groupe, un autre monde.
45B.S. : Oui, des gens de l’extérieur d’âge varié qui peuvent être des copains de Jérôme qui a intégré l’association il y a quelques années et qui a ramené, sur des films en tant que techniciens, des copains qui faisaient le même bts que lui. Mais cela peut être aussi des copains de Julien Sicard, qui a fait partie de l’association et qui venait avec des copains techniciens mais aussi comédiens professionnels.
46S.D. : Cette ouverture se fait aussi avec les stages de formation que Jérôme a mis en place pour l’association, qui accueillent des gens qui viennent de l’extérieur, jeunes et moins jeunes, de Paris, Épinay, Saint-Denis... Le premier était autour de l’image, avec Jérôme Polidor et un ancien professeur de bts de Boulogne, Bernard Richard. Et le deuxième c’était un stage montage. Deux stages techniques.
47B.S. : C’est un stage technique mais il s’agit aussi d’apprendre comment montrer la réalité, comment on peut faire dire à une image un truc et son contraire, le contraire de la réalité qu’elle est censée représenter, comment on peut à travers des images avoir un point de vue critique sur la réalité. Une réflexions sur ce que c’est que le documentaire, le parti pris que l’on doit prendre.
48F.P. : Et l’écriture de scénario peut faire l’objet de réflexion ? l’écriture du cinéma est une écriture particulière différente de celle du roman.
49S.D. : L’année dernière, pour le film du Mali, je trouvais ça compliqué parce que on disait toujours il ne faut écrire que ce que tu vois et pas ce que tu penses. Ce que tu vas montrer. C’est compliqué d’écrire toujours des actions, c’est des actions pas des pensées, c’est ça qui m’était le plus difficile. En réalisant, en étant sur le tournage après, on comprend que c’est pas si compliqué que cela. Si jamais le personnage pense il faut montrer qu’il pense, il faut l’écrire.
50C’est une démarche que je n’avais jamais fait toute seule, je ne l’avais fait qu’en atelier. C’est un bon exercice de se mettre à écrire tout seul en fait.
51B.S. : Dans un roman on peut écrire « il se mit à penser que... », au cinéma il faut faire passer autrement l’intimité des personnages.
52F.P. : Vous dites beaucoup « on écrit ce que l’on voit ». Est-ce le réalisme de cinéma qui décrirait la réalité de ce qui se voit ou la fiction qui donnerait à voir au-delà de ce que l’on voit ?
53S.D. : Ce que je veux montrer, c’est en général ce que je veux que les gens comprennent.
54S.C. : C’est un mixte aussi, parce que on montre ce qu’on a vu et ce qu’on a vécu, sauf qu’on le montre en le fictionnant, en le minimisant ou en le grossissant, en rajoutant des choses autour.
55B.S. : Oui et on l’inscrit dans une forme avec une fin. Ce que je trouve le plus intéressant dans toutes ces histoires, c’est le moment où, après avoir inventé des centres d’action des personnages, on arrive à « bon, ça finit comment ? ». C’est là que s’interroge ce que veut dire notre histoire, ce qu’on raconte, Il s’agit aussi de notre responsabilité, on a pris la caméra, on a pris le temps des gens... pour leur dire quoi ?
56F.P. : Est-ce que les élèves des collèges ont vu ces films et en discutent avec vous ?
57S.D. : Quand on fait des interventions dans les collèges, ils discutent. Par exemple avec Sale réput’, un film qui parle beaucoup des rapports que des gens, des jeunes de banlieue ont avec les médias, on en discute beaucoup. Avec un autre film comme Le coup du lapin, ils rigolent pendant tout le film et ensuite ils parlent.
58S.C. : Les petits ils commencent à s’intéresser parce qu’ils nous voient dans le film et nous demandent comment on a fait pour apprendre le texte, ils ont des questions vite fait, mais on ne leur met pas le film dans une salle pour faire un débat autour du film.
59B.S. : Dans ces films, il y a des fins ouvertes, ce sont des tranches de vie. À chaque fois on a voulu traiter un thème, ça permet d’amorcer des débats alors que si le prof arrive et qu’il veut parler de la mixité, des rapports garçons filles, y a rien qui se passe. S’il est question d’une histoire d’amour où le père ne veut pas que... où la fille ment à son père... cet angle-là permet d’enclencher des débats, des discussions.
60F.P. : Cela fait partie de vos objectifs d’essayer de développer les rencontres avec d’autres collèges là où il y a des ciné-club par exemple ?
61B.S. : Oui, mais c’est un travail à part entière, à la fois trouver des contacts y aller, d’organiser des débats...
62S.D. : On fait déjà des interventions scolaires. La question c’est plus comment on diffuse les films, pourquoi, où... Est-ce qu’on ne fait que des séances scolaires et on y va avec une personne où est-ce qu’on leur laisse le film et ils le visionnent...
63F.P. : Dans des groupes de parole dans un lycée les élèves n’arrêtent pas de dire que les profs ne s’intéressent pas à eux et ont peur d’eux. Finalement cela a à voir avec la façon dont on se débrouille pour développer la créativité des élèves.
64B.S. : La créativité est un gros mot, les matières littéraires sont complètement désertées... il faut des résultats. La créativité est un mot complètement désuet, c’est pour cela que j’ai accepté d’emblée de venir à votre colloque [2] parce que c’est un mot démodé que je n’avais pas entendu depuis longtemps. Vous êtes à l’avant-garde !
Notes
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[1]
Les engraineurs, 1 rue des Noyers, 93300 Aubervilliers, www.les-engraineurs.org
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[2]
Colloque du grape « Pourquoi les adolescents nous poussent-ils à inventer », 29-30 novembre et 1er décembre 2007, Paris.