Notes
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[*]
Martine Menès, psychanalyste.
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[1]
« Au sens le plus large : onanisme », précise Freud dans « Les fantasmes hystériques et la bisexualité », Névrose, psychose et perversion, Paris, puf, 1973, p. 151.
-
[2]
J. Lacan, Le séminaire, livre V, Les formations de l’inconscient, Paris, Le Seuil, p. 482 : « Cet élément (le pénis) n’est sur le corps propre qu’un point de volupté, et c’est ainsi que le sujet le découvre d’abord. »
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[3]
Écrit en 1905 et remanié en 1915.
-
[4]
J. Lacan, rsi, leçon du 17 XII 1974, inédit.
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[5]
S. Freud, « Les fantasmes hystériques et la bisexualité », Névrose, psychose et perversion, Paris, puf, 1973, p. 151.
-
[6]
S. Freud, « Un exemple de travail psychanalytique », Abrégé de psychanalyse, Paris, puf, 1978, p. 61.
-
[7]
Lacan écrit ainsi le phallus imaginaire, celui qui pourrait être perdu ou pousser, pour le distinguer radicalement du pénis réel dont l’enfant, garçon comme fille, reconnaît très vite l’enracinement effectif.
-
[8]
La névrose infantile est un soin iatrogène, une psychanalyse spontanée mais inachevée, qui s’en tient au thérapeutique, jusqu’à fabriquer un symptôme noueur qui sera pourtant ce qui amènera le sujet à… faire une psychanalyse pour s’en débarrasser.
-
[9]
C’est une spécificité de la psychanalyse de l’enfant de rencontrer sans détour la question adressée à l’Autre.
-
[10]
S. Freud, « Les théories sexuelles infantiles », La vie sexuelle, Paris, puf, 1969, p. 24.
-
[11]
M. Menès, La « névrose infantile », un trauma bénéfique, Paris, Éditions du champ lacanien, 2006.
-
[12]
S. Freud, « Les théories sexuelles infantiles », La vie sexuelle, Paris, puf, 1969, p. 18.
-
[13]
S. Freud, « Le clivage du moi dans le processus de défense », Résultats, idées, problèmes II, Paris, puf, 1985, p. 284.
-
[14]
S. Freud, note 3, VIII, Résultats, idées, problèmes II, Paris, puf, 1985, p. 288.
-
[15]
J. Lacan, « Le désir et ses interprétations », leçon du 10 juin 1959, inédit.
-
[16]
J. Lacan, Le séminaire livre XX, Encore, Paris, Le Seuil, 1975, p. 10.
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[17]
Titre d’une nouvelle de Stefan Zweig.
1La perversion polymorphe est le nom donné par Freud au polymorphisme d’une jouissance qui est le propre de la sexualité infantile de l’enfant préœdipien. De l’activité libidinale qui s’épanouit durant cet âge du paradis qui n’existe que perdu, je ne retiendrai qu’un agissement : l’onanisme. Souvent confondu avec la masturbation [1], qui n’en est qu’une forme limitée, l’onanisme est une activité relevant des caractéristiques de la sexualité infantile, car il s’agit par tout moyen de se procurer par soi-même un plaisir limité à une zone corporelle partielle, non spécifique, indépendant de l’objet, strictement autoérotique. L’infans cherche à reproduire les sensations de plaisir organique découvert [2] ou éveillé par l’Autre des soins.
2Le phénomène est noté dans le deuxième des Trois essais sur la sexualité, dans le chapitre sur « Les manifestations de la sexualité infantile [3] », comme un comportement sexuel infantile banal. Freud remarque qu’« il n’est pas rare que la friction de certaines parties sensibles du corps, de la poitrine, des organes génitaux externes, se combine avec la succion voluptueuse. Beaucoup d’enfants passent, par cette voie, du suçotement à la masturbation ». Garçons et filles usent de cette possibilité de prendre du plaisir de leur propre corps, mais il y a une difficulté – spécifique aux garçons ? – pour phalliciser le pénis, le faire entrer dans la combinatoire signifiante, apprivoiser cet organe parasite pour l’enraciner, comme l’écrit Freud à propos de Hans, pour se marier avec, comme le dit Lacan dans rsi : « Il faut bien qu’il s’en accommode, à savoir qu’il soit marié avec ce phallus (puisque…), l’homme, il en est affligé [4]. »
3Dans « Les fantasmes hystériques et la bisexualité [5] », Freud développe la phase qui suit ce premier temps de jouissance perverse polymorphe autoérotique. Les gestes de friction typiques de la toute petite enfance font place à la masturbation. Il s’agit dès lors d’une activité pulsionnelle associée à une représentation « de désir provenant du domaine de l’amour d’objet ». Autrement dit, l’activité sexuelle de l’enfant est engagée dans le lien avec un objet d’amour externe, celui, dit Freud, de l’amour œdipien que l’enfant, garçon comme fille, adresse d’abord à la mère.
4Je m’en tiendrai, avec trois courtes illustrations cliniques, à l’effort que doit faire le jeune « pervers polymorphe », qui hante l’existence de tout sujet devenu adulte s’il en est, pour passer d’une excitation du corps qui insiste à un plaisir qui résiste. Je partirai pour ce, non seulement de l’enfant pervers polymorphe, mais du polymorphisme d’une activité qui, pour sembler identique sur le plan du phénomène, a pourtant des statuts très différents selon que le sujet arrive à nouer ou non la satisfaction de son organisme à un savoir inconscient.
De la d’hommestication
5Hans illustre l’obligation qu’a l’enfant de traiter ce qui s’impose à son insu d’excitation libidinale et se manifeste dans son corps de vivant. Bref rappel : il s’interroge sur la jouissance de son pénis réel, sur « se jouir » organique dont le non-sens l’angoisse. Il se tourne vers l’autre maternel pour poser sa question : que faire de l’organe ? L’on sait qu’il rencontre un « laisser en plan » qui, Lacan le souligne, est toujours du côté des signifiants, du symbolique. C’est dire qu’au-delà des particularités parentales, il y a, de structure, une jouissance du corps impossible à prendre en compte toute par le signifiant.
6Freud place à ce temps logique la révélation du désir de l’Autre, c’est-à-dire de son manque, dont le corollaire pour le sujet est l’angoisse de castration. Et il fera, dans « Un exemple de travail psychanalytique » en 1938, de cette rencontre un trauma, voire le trauma le plus grave de l’existence du jeune sujet [6]. L’interdiction des pratiques masturbatoires y prend sa part ; mais elle n’est efficace, souligne Freud, que corrélée au complexe de castration, soit à l’interprétation de la différence des sexes en termes de mutilation.
7Lacan s’éloignera de cette représentation imaginaire du manque en identifiant la castration au trou dans le savoir, au « il n’y a pas », référence vide, manque dans l’Autre du langage (S ) qui oblige le sujet à inventer sa réponse, symptomatique, singulière. L’enfant teste les limites de « son » autre, à l’occasion la mère, jusque-là vécu comme tout-puissant, avec ses questions répétées et répétitives, ses pourquoi sans fin, et manifeste souvent sa déception lorsqu’il rencontre ce qu’il cherche, à savoir la défaillance de l’autre. Renoncer à la mère phallique, ultime espoir qu’une au moins y échappe, c’est renoncer au fantasme de complétude, c’est accepter la castration aussi pour soi-même, et d’hommestiquer la jouissance du corps.
8Comment Édouard, jeune analysant (six ans), a-t-il mené sa question au terme logique où il en est, à la construction d’un mythe individuel qui le cadre et l’apaise ? C’est-à-dire au premier temps de la névrose infantile qui permet de faire passer le pénis organe réel au -phi [7], organe imaginaire de la castration [8] ?
9Il vient me parler parce qu’il a toujours la main dans la culotte. Il se « gratte », c’est son mot. Et il (se) pose beaucoup de questions sur ce jouir-du-corps qui l’encombre, par exemple : « Pourquoi mon zizi est raide le matin ? » Il va jusqu’à regretter le manque de signifiant dans l’Autre : « Il faudrait que j’arrive à dire le mot pour que ça s’arrête ; si je savais comment ça s’appelle [9]. »
10Il m’annonce dès la première rencontre : « J’ai une angoisse, je suis trop câlin », et précise au cas où je n’aurais pas compris : avec sa mère. Comme Hans à l’orée de sa phobie, il a peur qu’elle ne disparaisse, ou lui, c’est-à-dire d’en être séparé. Dès la deuxième séance, il s’interroge sur la situation matrimoniale de ses parents, à laquelle il attribue le fait que ceux-ci n’arrivent pas à faire un petit frère. Freud place cette question à l’origine des théories sexuelles infantiles : « L’enfant se préoccupe… (de savoir) quels sont l’essence et le contenu de cet état que l’on appelle être marié [10]. » Et il relève que ce travail intense de recherche, de savoir est initié par « l’excitation du pénis ».
11C’est le rapport entre ses parents, et le désir de sa mère au-delà de lui-même comme « petit bout », comme celle-ci l’appelle tendrement, qu’Édouard interroge. Il lui demande si on peut se marier entre frère et sœur, et devant la réponse négative, recule : « J’aimerais pas être amoureux sexuel. » Cet énoncé défensif signale qu’Édouard tombe dans la faille qui s’est ouverte en lui entre l’amour et le désir, renonçant à sa demande incestueuse sans pour autant passer encore à l’exogamie.
12Il s’est aperçu que son image phallique ne sature pas le désir maternel, sans doute parce que le souhait déclaré de celle-ci d’avoir un autre enfant lui a ouvert les yeux. Mais il y a un petit souci, qui embarrasse sa recherche, c’est que le père déclare forfait. Sa place dans la procréation est d’abord totalement ignorée, ou niée (« le papa, il sert à rien »). En même temps, il n’en est pas si sûr et il suggère à son père une solution : qu’il épouse sa mère et ça s’arrangera. Mais qu’il se demande si, en cas de mariage, son père prendrait le nom de famille maternel indique qu’il a quelque doute sur le désir de ce dernier.
13À cette période apparaissent des peurs phobiques somme toute très classiques : il y a un loup sous le lit, et même dans la maison. Elles permettent de faire l’hypothèse de la reprise d’une névrose infantile quasi banale.
14L’enfant, ne reculant plus devant le désir, se propose d’avoir une amoureuse définie ainsi : une fille à laquelle on donne son numéro de téléphone. Il annonce son projet d’avenir, devenir maçon afin de construire leur maison… et non plus, comme au début de l’analyse, policier « pour arrêter son père » (sic), ou quelques semaines plus tard, pompier pour éteindre l’incendie qui le brûle ; « c’est trop dangereux finalement », déclare-t-il prudent. Il élabore ce qui est une théorie sexuelle infantile typique, orale : « Dès qu’on se fait un gros bisou, on (sic) est enceinte. »
15En énonçant cela, il met en scène, dans un jeu de construction, son enterrement et celui de sa mère, le tout sans angoisse ni émotion apparente. « C’est pour rire, déclare-t-il, mais si ma maman meurt en vrai, alors là je serai triste. » Et dans le même temps où il enterre la mère de la jouissance, Édouard se fabrique un père auquel il peut emprunter un trait d’identification : « Comme lui, j’aime le foot. » C’est en s’appuyant sur ce père-symptôme qu’il va mettre en place la signification phallique. L’activité masturbatoire est abandonnée. L’enfant lâche la proie de la jouissance pour l’ombre du signifiant.
16L’œdipe est en somme une ultime version sexuelle infantile permettant à l’enfant de se détacher de ses premières amours, trauma nécessaire [11] pour devenir sujet de sa vie. Freud parle à ce moment de réalisation de la castration d’un « clivage psychique [12] » (en 1908), terme qui reviendra dans son dernier article, trente ans plus tard, autour d’une élaboration concernant précisément l’acte masturbatoire. Dans cet article, « Le clivage du moi dans le processus de défense », Freud évoque le conflit à propos de la masturbation entre la revendication libidinale et l’objection faite par la réalité, opposition qui entraîne une « déchirure dans le moi, déchirure qui ne guérira jamais plus […], noyau d’un clivage du moi [13] ».
Brûlant secret
17Lorsque je vais chercher dans la salle d’attente Théodore, neuf ans, je suis frappée par l’atmosphère peu commune qui règne dans cette pièce habituellement lugubre et fade. Un rien de fébrilité flotte dans une lumière pourtant toujours aussi blafarde. Les femmes détournent la tête, l’air étonnamment très affairé, je ne vois pas à quoi. Les hommes, dos au mur, échangent des regards mais sont très occupés à ne pas regarder, je ne vois pas d’abord, qui. Un silence bruisse. Assise, une femme sourit. Hautes cuissardes noires, minijupe fendue et chemisier largement ouvert, maquillage de star des années 1960, cheveux de jais et ongles argentés, elle brille d’une présence que je n’hésite pas une seconde à qualifier : libidinale. À ses côtés, un long et fin garçonnet, à l’allure sobre et classique, sourit à l’envi (e).
18L’enfant vient parce que sa mère, qui consulte de sa propre initiative, c’est à noter, le trouve trop solitaire, râleur, « il n’est jamais content » ; il a aussi du mal à s’endormir, fait des cauchemars, et surtout il est « obsédé sexuel », depuis toujours. Lui aussi se frotte et se masturbe, mais uniquement en famille…
19Dès les séances suivantes, il est peu loquace, ne réagit guère à mes offres d’en dire un peu plus, mais vient sans réticence. Il raconte des bribes de mauvais rêves, qu’il ne ferait que chez sa mère, où il s’endort tard car il la surveille.
20Le père vient. Sa ressemblance avec son fils est évidente. Ils sont tous deux mesurés et retenus dans leurs mots comme dans leur gestuelle, chaleureux cependant. Et une amie dont la ressemblance de style avec la mère est évidente accompagne le père. Il ne dira pas grand-chose sinon qu’il ne voit pas où est le problème puisque avec lui il n’y en a aucun. Théodore confirme. Ils sont tous deux gentiment muets.
21Je reçois à nouveau l’enfant avec sa mère. Elle regrette que l’excitation sexuelle de son fils reste toujours aussi envahissante. Je m’autorise à faire une intervention brutale : je dis à cette dame quelque chose du genre : « Savez-vous que vous êtes très sexy et que votre fils n’y est sûrement pas insensible ? » Tandis que lui fait des grands oui avec la tête tout en souriant très franchement, elle raconte que, depuis petite, elle aime ainsi à se montrer, au sommet de la mascarade féminine. Théodore au moment de partir me dit que son projet d’avenir est d’être « éducateur de chiens ». Pour l’instant, il lui reste à éduquer la bête qui ne sommeille pas assez en lui.
22Satisfaire la poussée pulsionnelle n’est pas satisfaire le désir. Freud en 1938 [14] parle de la nature insatisfaisante en soi de l’onanisme infantile, qui rate toujours sa satisfaction. Colette Soler, dans son cours de l’année 1996-1997 sur La malédiction sur le sexe, situe un effet réprimant qui ne passe pas par un interdit extérieur de la masturbation, mais par une limite interne à cause de ce caractère insatisfaisant de la jouissance. C’est pourquoi Théodore n’est jamais content.
23La masturbation, dit Lacan, est écrasement du désir plus que satisfaction, court-circuit dans la quête du plaisir. « La jouissance masturbatoire n’est pas la solution au problème du désir sexuel mais son écrasement, exactement comme l’enfant à la mamelle dans la satisfaction du nourrissage écrase la demande d’amour à l’endroit de la mère [15]. » Théodore reste attaché à sa mère par son organe réel, peine à passer de la mère toute de la jouissance à la mère interdite du désir. Qui plus est, il a un père dont le symptôme n’est pas une femme, mais un trait métonymique chez des femmes. Il lui incombe donc de construire un père qui lui interdise la jouissance vers une mère/exception.
Jouir sans entrave
24Venons-en à interroger la conduite masturbatoire chez un enfant qui reste en deçà du trauma bénéfique de la castration.
25Jean, sept ans, ne se plaint de rien. Il vient traîné par une mère elle-même poussée par une injonction de l’école. École qui, suivant l’époque ne veut plus rien savoir de la sexualité infantile ni de ses avatars et qui face au comportement sexuel débridé de ce jeune élève fait un signalement pour suspicion d’abus sexuel. À l’enfant dégénéré du xixe siècle à l’enfant pervers, au mieux polymorphe, du xxe, le nouveau siècle substitue sans le moindre doute l’enfant victime. Ce qui fera bien évidemment avorter la prise en charge, la mère soupçonnant le cmpp d’être partie prenante de la police des familles.
26Quoi qu’il en soit, Jean paraît se situer en amont de cette déchirure. Lui aussi se masturbe, mais pas discrètement comme Édouard planqué au fond de la classe. Jean s’exhibe, baisse sa culotte devant les filles, les pourchasse pour leur toucher les fesses, mime le rapport sexuel, fait des propositions à faire rougir un marin affamé de sexe.
27Malgré son hostilité déclarée : « Toi je te parle pas », il raconte des bribes de cauchemars, très vite, à voix basse, d’un ton niais et régressif, se tortillant comme un petit gêné par la bêtise découverte. « Des voleurs arrivaient dans la ville. Ils m’ont pris, ils m’ont jeté par terre, ils m’ont fait… j’étais par terre. J’arrivais pas à me contrôler. » C’est tout. J’entends la jouissance de l’Autre qui s’impose à lui, toute-puissante et sans limite, comme il l’impose lui-même aux autres. Le surmoi précoce, constitué par l’intériorisation de la dépendance primitive à la puissance de l’Autre, lui ordonne de jouir [16] comme l’Autre jouit de lui. Rien ne prouve quelque réalité dans ce scénario psychique, mais rien ne s’y oppose non plus. Ce n’est seulement pas du même registre.
28Très vite, Jean refuse de venir dans le bureau. Il est recroquevillé en boule dans un coin de la salle d’attente, collé aux murs, et mutique. Je vais chercher un livre sur une famille de hérissons (car il me fait penser à cette charmante petite bête…) et commence à le lui lire. Il se déroule, me le prend des mains et continue la lecture, puis se désintéresse vite de cette histoire très infantile de Picounet qui fait ses courses, se perd, se retrouve, etc. Ses préoccupations sont moins édulcorées, il lâche à nouveau quelques mots sur ses cauchemars : « Un monstre voulait m’attaquer », « Maman ouvrait le robinet, un serpent sortait. Moi j’allumais mon bain, il y avait des serpents partout. »
29Nous en resterons là, non sans qu’à la dernière séance où je l’interroge sur son être hérisson, il ne me révèle qu’il fait ça jusqu’à ce que sa mère cède, ce qu’elle fait toujours ; je l’avais en effet remarqué. Autrement dit, Jean, n’acceptant aucune frustration, ne peut être, par ce biais, introduit au manque symbolique. Est-ce un refus déterminé, une décision de faire porter la « déchirure » par l’autre ? Est-ce un engluement persistant dans l’inséparation ? Les angoisses massives et persécutrices de ses cauchemars plaident pour cette option.
30Quant à la masturbation, chez lui elle n’atteint jamais le statut de satisfaction pulsionnelle qui la porterait à la jouissance phallique, limitée par le signifiant, causée par un objet fantasmatique, mais reste recherche d’une satisfaction mythique non médiatisée, non entamée par le langage, non liée par le désir.
31Pour conclure, le même embarras face au sexe, car c’est de cela dont chacun de ces garçons témoigne à sa façon, trouve un destin différent que la puberté viendra consacrer. Édouard, pour lequel la masturbation a fait symptôme, entre apaisé dans la période de latence, havre de paix aux portes duquel reste Théodore, inhibé par son « brûlant secret [17] ». Tandis que Jean, englué dans l’angoisse, en est pour l’instant très éloigné.
Mots-clés éditeurs : névrose infantile, onanisme, masturbation, castration
Date de mise en ligne : 01/08/2007
https://doi.org/10.3917/lett.068.0069Notes
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[*]
Martine Menès, psychanalyste.
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[1]
« Au sens le plus large : onanisme », précise Freud dans « Les fantasmes hystériques et la bisexualité », Névrose, psychose et perversion, Paris, puf, 1973, p. 151.
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[2]
J. Lacan, Le séminaire, livre V, Les formations de l’inconscient, Paris, Le Seuil, p. 482 : « Cet élément (le pénis) n’est sur le corps propre qu’un point de volupté, et c’est ainsi que le sujet le découvre d’abord. »
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[3]
Écrit en 1905 et remanié en 1915.
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[4]
J. Lacan, rsi, leçon du 17 XII 1974, inédit.
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[5]
S. Freud, « Les fantasmes hystériques et la bisexualité », Névrose, psychose et perversion, Paris, puf, 1973, p. 151.
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[6]
S. Freud, « Un exemple de travail psychanalytique », Abrégé de psychanalyse, Paris, puf, 1978, p. 61.
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[7]
Lacan écrit ainsi le phallus imaginaire, celui qui pourrait être perdu ou pousser, pour le distinguer radicalement du pénis réel dont l’enfant, garçon comme fille, reconnaît très vite l’enracinement effectif.
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[8]
La névrose infantile est un soin iatrogène, une psychanalyse spontanée mais inachevée, qui s’en tient au thérapeutique, jusqu’à fabriquer un symptôme noueur qui sera pourtant ce qui amènera le sujet à… faire une psychanalyse pour s’en débarrasser.
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[9]
C’est une spécificité de la psychanalyse de l’enfant de rencontrer sans détour la question adressée à l’Autre.
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[10]
S. Freud, « Les théories sexuelles infantiles », La vie sexuelle, Paris, puf, 1969, p. 24.
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[11]
M. Menès, La « névrose infantile », un trauma bénéfique, Paris, Éditions du champ lacanien, 2006.
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[12]
S. Freud, « Les théories sexuelles infantiles », La vie sexuelle, Paris, puf, 1969, p. 18.
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[13]
S. Freud, « Le clivage du moi dans le processus de défense », Résultats, idées, problèmes II, Paris, puf, 1985, p. 284.
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[14]
S. Freud, note 3, VIII, Résultats, idées, problèmes II, Paris, puf, 1985, p. 288.
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[15]
J. Lacan, « Le désir et ses interprétations », leçon du 10 juin 1959, inédit.
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[16]
J. Lacan, Le séminaire livre XX, Encore, Paris, Le Seuil, 1975, p. 10.
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[17]
Titre d’une nouvelle de Stefan Zweig.