Notes
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[*]
Irène Bennoun, psychologue clinicienne, psychothérapeute ; Marie-Christine Clément, pédopsychiatre.
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[1]
Service d’éducation et de soins spécialisés à domicile. sessad, L’Essor, 45 rue des Bergers, Paris 15e.
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[2]
C’est une épilepsie avec une origine génétique probable, qui débute souvent autour de trois-quatre ans.
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[3]
Il s’agirait d’une dissociation automatico-volontaire.
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[4]
Un comportement d’inhibition ou d’opposition face aux difficultés qu’elle rencontre.
1Les enfants atteints d’une épilepsie présentent souvent des troubles des apprentissages ou des troubles comportementaux. Les plaintes les plus fréquentes concernant les enfants avec épilepsie en difficulté scolaire sont : la lenteur, le manque d’attention, les difficultés de concentration, de mémoire, de compréhension et la maladresse motrice. Les troubles comportementaux observés sont : l’agitation, l’instabilité, l’agressivité ou la passivité. En observant ces difficultés, les parents et les professionnels sont souvent amenés à se poser la question de leur origine psychologique ou neurologique.
2L’expérience montre qu’il existe toujours une intrication de ces facteurs et que l’accompagnement de ces enfants nécessite une prise en charge pluridisciplinaire.
3Le cas d’une petite fille suivie par l’équipe du sessad L’Essor [1], spécialisé dans l’aide à l’intégration scolaire d’enfants présentant une épilepsie illustrera ce propos.
Une petite fille qui pose question
4La maman de Tania, trois ans et demi, s’inquiète depuis quelques mois du comportement de plus en plus difficile de sa fille qu’elle trouve tendue, irritable, agitée, inquiète. Elle la ressent d’ailleurs depuis sa naissance comme différente de ses autres enfants : son développement psychomoteur a été un peu plus lent, elle a marché à dix-huit mois et présente un retard de langage. Au cours des premières semaines de vie, la maman avait constaté des moments de repli et même des mouvements particuliers de torsion du buste, de la tête et des yeux vers l’arrière, qui avaient justifié un examen médical qui s’était avéré normal. Depuis toujours, elle a remarqué que sa petite fille était très sensible à l’environnement dans lequel elle se trouvait, réclamant beaucoup d’attention et d’étayage. Elle la décrit comme plutôt docile, peu coléreuse, observatrice, ceci avant la modification récente de son comportement.
5Cette maman éprouve un profond sentiment de culpabilité, convaincue d’y être pour quelque chose dans les troubles du comportement de Tania : la grossesse s’est déroulée dans un contexte familial difficile ; elle s’est sentie profondément déprimée pendant les semaines suivant la naissance. C’est pourquoi elle se demande s’il faut aller consulter un neurologue ou un psychologue.
6Elle ne va pas se poser la question longtemps car, alors que Tania a trois ans neuf mois, se déclenche un « orage » de crises épileptiques très violentes qui va rapidement conduire celle-ci à une hospitalisation dans un service de neuropédiatrie. Au cours de ce séjour, Tania présente des phases d’agressivité et de retrait, des difficultés de communication avec des cris, un langage incohérent.
7Le diagnostic de syndrome de Doose [2] est posé. Un traitement médicamenteux est mis en place et les crises, après plusieurs rechutes, cèdent environ quatre mois après le début de l’épilepsie. Par la suite, Tania n’a refait qu’une crise, à l’occasion d’un oubli de traitement.
Les premiers temps au sessad
8C’est après cette phase très aiguë de la maladie que Tania arrive au sessad. Elle a quatre ans et deux mois. À son arrivée, elle présente un comportement très fluctuant. Elle peut être tantôt fermée, amimique, mutique, sans contact visuel, tantôt avoir un bon contact, tout en étant agitée et agressive. Son langage est très rudimentaire et comprend des persévérations verbales et une écholalie. Le graphisme est très limité.
9Une évaluation neuropsychologique est proposée quelque temps après. Tania est plus calme, souriante, participe, mais ses performances sont fluctuantes. Le bilan montre une atteinte prédominante du langage, un trouble graphique, des difficultés de maintien de l’attention, une impulsivité, une agitation motrice, une intolérance à l’échec.
10Plusieurs suivis éducatif, orthophonique, en psychomotricité sont mis en place :
- le travail éducatif permet à Tania de reprendre confiance en elle, à travers la fabrication d’objets divers, très valorisante pour elle. L’éducatrice mène aussi un travail essentiel d’intégration à l’école, qui permet à Tania de prendre sa place parmi les autres enfants et de l’étayer sur le plan des apprentissages ;
- l’orthophoniste remarque que Tania a beaucoup de mal à mettre en mots sa pensée mais arrive quand même mieux à le faire en situation spontanée. Elle se demande si cela s’explique par un trouble neurologique [3] ou par une difficulté psychologique [4]. Son comportement est toujours très fluctuant, avec des moments où elle peut être très agressive et d’autres moments où elle est très douce ;
- la psychomotricienne essaie de travailler le graphisme, mais se heurte à l’impulsivité de Tania, qui paralyse son geste et la conduit à des tensions pouvant aller jusqu’à la rupture dans la communication lorsqu’elle se trouve confrontée à trop de difficultés. Elle propose des séances de relaxation qui aident Tania à canaliser cette impulsivité et lui permet de déplacer son agressivité à travers le jeu. Après quelques mois, elle constate qu’au cours des séances, Tania évoque un imaginaire très fécond peuplé de personnages qui lui veulent du mal, imprégné de thématiques religieuses avec une vision assez contrastée d’elle-même et du monde (bon/mauvais ; ciel/enfer), une intense demande affective et un besoin de réassurance. Elle s’empare volontiers de supports pour jouer des scénarios imaginaires ;
- pendant cette période de dix-huit mois, ont lieu des entretiens des deux parents avec la pédopsychiatre. Le papa est présent mais relativement peu inquiet de l’état de Tania, au contraire de la maman qui continue à se culpabiliser énormément et se sent débordée, épuisée par le comportement de sa fille. Au bout de quelques mois, elle peut exprimer l’agressivité qu’elle ressent vis-à-vis de celle-ci, qui complique une vie déjà très chargée dont elle s’autorise peu à se plaindre. Cela ne l’empêche pas d’être très présente à la prise en charge qui nécessite nombre de démarches et d’accompagnements.
La psychothérapie
11Tania a six ans. Une psychothérapie est alors mise en place.
12Tania ne s’adresse d’abord pas du tout à la psychothérapeute, et refuse que celle-ci s’adresse à elle. La psychothérapeute a l’impression qu’elle la maintient délibérément à l’écart, comme pour lui faire éprouver peut-être un sentiment d’abandon qu’elle-même a pu ressentir, ou comme pour se protéger d’un environnement extérieur qu’elle ressent comme dangereux. En même temps, elle lui demande d’être très attentive à elle et de noter tout ce qu’elle raconte. Tania représente tout d’abord des scènes très angoissantes dans ses jeux avec des thèmes de corps blessés, de familles désorganisées, d’ambulances et d’hôpitaux, de personnages inquiétants comme des sorcières, qui rendent malades maman et bébé. Elle représente également des scènes où des mamans sont, soit très proches de leur bébé, soit les abandonnent, et où la joie alterne avec des sentiments de désarroi profonds. Son discours est très limité, confus, précipité, souvent inintelligible et incohérent. Elle dessine des formes non figuratives, traits cercles, croix, ainsi que des gribouillages. Elle abîme très souvent ses productions qu’elle trouve moches et ratées.
13Au fil de la thérapie, elle accepte de mieux en mieux les interventions de la psychothérapeute. Elle introduit des personnages masculins qui rétablissent l’ordre à la fin des histoires. Elle est très interpellée par la grossesse de sa psychothérapeute et s’identifie à elle en imaginant avoir des bébés plus tard. Elle peut évoquer leur séparation prochaine. Son langage s’enrichit et devient plus compréhensible. Ses dessins deviennent figuratifs.
14Au retour du congé de maternité de la psychothérapeute pendant la deuxième année de psychothérapie, Tania semble apaisée. Elle cherche à partager avec sa psychothérapeute sa tranquillité, à recevoir des compliments sur ses dessins et les lui offre, montrant qu’elle a gagné une bien meilleure image d’elle-même et qu’elle est capable de gratitude. Elle dessine des bateaux très élaborés, très confortables, qui semblent indiquer qu’elle se sent « bien dans sa peau », en sécurité, et qu’elle a pu retrouver des relations plus sereines avec ses figures familiales. Cependant elle dessine toujours sa psychothérapeute à ses côtés, de façon très idéalisée, comme si elle cherchait à retrouver une relation parfaite qui exclurait tout risque de mésentente ou de séparation. Des scènes très idéalisées alternent avec d’autres scènes violentes comme au départ. Tania travaille alors ses inquiétudes autour de la séparation, puis aborde le conflit œdipien en exprimant des fantasmes de rivalité avec la mère.
15Après deux ans de thérapie, Tania est moins angoissée, a plus confiance en elle, s’exprime mieux, est plus dans la relation et la communication, s’est améliorée sur le plan du graphisme. De façon générale, elle se montre moins impulsive, elle peut maintenant raconter même si la parole manque encore de fluidité, elle peut se confronter davantage à ses difficultés dans les apprentissages.
16Néanmoins elle garde une certaine fragilité avec parfois encore une violence interne et des émotions qui peuvent être très contrastées. Quand elle est confrontée à la séparation ou à la difficulté, elle peut retomber dans des états de désorganisation et d’angoisse.
Des facteurs neurologiques et psychologiques étroitement intriqués
17Pour proposer une prise en charge adéquate aux enfants souffrant d’une épilepsie, il est important de comprendre au mieux les facteurs neurologiques et affectifs qui sont à l’origine de leurs symptômes. C’est un travail très difficile parce qu’il existe toujours une intrication étroite de ces facteurs. Il s’agit d’un questionnement permanent, qui s’élabore lors de discussions informelles entre les différents intervenants et lors des réunions de synthèse tout au long du suivi des enfants.
18La neuropédiatre, en collaboration avec la neuropsychologue qui établit un bilan neuropsychologique des compétences et des difficultés de l’enfant, compare le tableau des troubles cognitifs habituellement décrits dans le type d’épilepsie présenté par l’enfant avec les troubles cognitifs effectivement relevés chez l’enfant. Cela donne une première piste pour savoir quels troubles sont probablement à attribuer à l’affection neurologique.
19Pour Tania, la neuropédiatre s’est posé la question du rapport entre les troubles du langage et les troubles graphiques, l’épilepsie, et le retard développemental sur le plan du langage et du graphisme décrit par la mère.
20Elle a fait l’hypothèse qu’un retard préexistant développemental, expliquant le langage peu élaboré de Tania, a été lui-même aggravé par l’épilepsie ; l’écholalie et les persévérations sont classiquement rapportées dans le syndrome de Doose.
21De la même façon, en ce qui concerne le graphisme, l’impulsivité et l’hyperactivité connues dans le syndrome de Doose ont dû aggraver la maladresse graphique déjà présente.
22Sur le plan comportemental elle se demande si l’agitation, la provocation, sont la traduction d’une impulsivité d’origine neurologique ou la manifestation d’une angoisse, d’une impossibilité à gérer ses émotions internes ?
23En fonction du bilan neuropsychologique, un projet est réalisé par l’équipe du sessad, avec des indications spécifiques de prise en charge auprès des différents intervenants : orthophoniste, éducateur, psychomotricienne, qui réalisent à leur tour un bilan dans leur spécialité et orientent leurs prises en charge en fonction de ce bilan. On a vu qu’ils étaient en permanence amenés à se poser la question de la valeur instrumentale ou psychologique des troubles qu’ils constatent. On a montré également comment des troubles psychologiques pouvaient perturber ces différents suivis, ou comment au contraire les suivis pouvaient préparer la mise en place d’une psychothérapie.
24La psychiatre, qui reçoit les parents en entretien, reconstitue l’anamnèse de l’enfant, essaie de comprendre la dynamique familiale et l’impact de l’épilepsie sur cette dynamique… Elle travaille en étroite collaboration avec la psychothérapeute de l’enfant. En mettant en regard le sentiment de culpabilité de la maman, le comportement de Tania, et le déroulement de la psychothérapie, ces professionnelles se sont posé les questions suivantes.
25Peut-on faire un lien entre les particularités du développement de Tania et la dépression maternelle postnatale : manifestations précoces d’évitement du regard, retard de langage, besoin d’être constamment rassurée, docilité excessive, témoignent-ils de l’insécurité affective vécue par Tania au cours de sa première année, de la fragilité de son narcissisme primaire ?
26Que s’est-il passé dans les quelques semaines avant les crises, au moment où le comportement de Tania se détériore : existait-il une désorganisation cérébrale antérieure aux crises, comme on peut le voir dans certaines formes d’épilepsie ? Ou bien Tania a-t-elle été débordée par des tensions en écho à celles qu’elle ressentait chez sa mère à ce moment-là ? Le déclenchement des crises revêt-il le sens d’une désorganisation psychique, survenant sur un terrain génétique prédisposé ?
27Quel impact a eu ensuite la survenue de l’épilepsie sur cette personnalité fragile ? L’épilepsie seule aurait-elle entraîné le même tableau clinique chez une enfant sans antécédent particulier ? Ou « l’orage de crises » a-t-il fait resurgir chez Tania des angoisses narcissiques précoces qui l’ont déstabilisée ?
28Quel impact a eu la survenue de l’épilepsie de Tania sur la relation mère-fille ? Le déclenchement de la maladie a redoublé la culpabilité maternelle, culpabilité en lien avec des affects violents de la maman vis-à-vis de sa fille, à qui elle en voulait de sa maladie, de ses troubles du comportement. Tania a pu ressentir profondément cette violence maternelle contenue. L’épilepsie a-t-elle permis à Tania d’exprimer, à travers les troubles du comportement, ses sentiments haineux vis-à-vis de sa mère, qu’elle avait jusqu’alors contenus elle aussi ?
29La possibilité pour cette maman de prendre conscience et d’exprimer ses sentiments agressifs a certainement contribué à désamorcer les réactions en chaîne de désirs destructeurs entre la mère et la fille.
30Néanmoins cette maman a pu se montrer, peut être dans un mouvement de réparation, très proche, très présente et attentive à Tania, et le rôle du sessad, en tant qu’équipe, y a été sans doute important.
31En effet, pour beaucoup de parents d’enfants avec épilepsie, arrivant souvent déprimés, ayant parfois « galéré » avec le sentiment d’être incompris dans des structures de soins et pas toujours bien acceptés dans les écoles, le fait d’être accueilli dans une structure où l’on « connaît » la maladie est décrit comme un soulagement. La qualité de l’accueil, la disponibilité de l’équipe, la possibilité d’être aidés pour tout ce qui concerne les liens avec l’école, les échanges entre et avec les différents intervenants constituent un réseau de soutien et d’écoute permettant une certaine restauration du narcissisme de l’enfant, mais aussi des parents, tellement mis à mal par l’épilepsie.
En conclusion
32La composition de l’équipe avec en particulier la collaboration de neuropédiatre et pédopsychiatre, souvent en consultation en binôme, de neuropsychologue et psychologue clinicien, en coordination avec éducateurs, orthophonistes, psychomotriciens signifie l’intérêt porté aux différentes dimensions de la pathologie épileptique, dont l’intrication est discutée régulièrement en équipe, pour adapter au mieux la prise en charge.
33Tania avait besoin d’un neurologue, d’un psychologue et des autres.…
Mots-clés éditeurs : neurospychologie, psychopathologie, pluridisciplinarité, épilepsie, narcissisme
Mise en ligne 01/08/2007
https://doi.org/10.3917/lett.067.0093Notes
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[*]
Irène Bennoun, psychologue clinicienne, psychothérapeute ; Marie-Christine Clément, pédopsychiatre.
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[1]
Service d’éducation et de soins spécialisés à domicile. sessad, L’Essor, 45 rue des Bergers, Paris 15e.
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[2]
C’est une épilepsie avec une origine génétique probable, qui débute souvent autour de trois-quatre ans.
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[3]
Il s’agirait d’une dissociation automatico-volontaire.
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[4]
Un comportement d’inhibition ou d’opposition face aux difficultés qu’elle rencontre.