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Article de revue

Grossesse, maternité : circuit court ou court-circuit ?

Pages 67 à 71

Adolescence et maternité

1 En France, en 1996, les statistiques de l’insee relevaient 6 191 enfants nés de mineures (moins de 18 ans), pour 734 000 accouchements dans la population générale, soit 0,8 % des naissances, dont 880 mineures de moins de 16 ans, soit 14 % des naissances issues du groupe de mères mineures. Si le nombre de grossesses d’adolescentes est stable (statistiques insee de 1997 : 1 % des naissances, 7 554 naissances sur 726 768), les naissances chez les moins de 16 ans sont en relative augmentation : de 10 % en 1991, à 14 % en 1996 et 13 % en 1997. Ce sont ces dernières maternités de mères de moins de 16 ans qui sont les plus problématiques du fait d’une plus grande précarité psychologique, sociale et familiale.

2 Dans le service où je travaille, en gynéco-obstétrique à l’hôpital de Gonesse (95), en 2000, on a compté 34 naissances de mères mineures pour 2 000 accouchements, il y a donc une forte représentativité dans ce service (1,7 %) due au tissu social : familles en difficulté, population immigrée fortement représentée.

3 Pour comparer, aux États-Unis, la situation est plus alarmante. En 1995, 5 % des naissances concernaient des mineures. Il s’agit d’un problème de santé prioritaire de même qu’au Royaume-Uni (Seince et Uzan, 2000).

Les problèmes spécifiques

4 Les maternités chez l’adolescente présentent en soi deux ordres de difficultés.

5 1. Concernant l’adolescente elle-même : il s’agit presque toujours d’une grossesse accidentelle, non désirée au début, vécue dans un grand isolement, avec une difficulté à communiquer avec les proches (parents ou substituts parentaux en particulier). La grossesse survient chez un être inachevé physiquement et surtout psychologiquement, et peut révéler des difficultés relationnelles, une situation familiale très perturbée et très conflictuelle.

6 Le processus de maturation en cours à l’adolescence – incertitudes, remaniements identitaires, transformations corporelles, recherche de sa féminité – risque de se figer. Les projets – désirs d’études, de formation professionnelle – sont suspendus, voire remis sine die. Un désir de rencontre amoureuse, dans ce contexte de survenue de grossesse, n’est pas rare et peut devenir problématique. Le malaise de ces adolescentes enceintes s’exprime par un sentiment de honte, des affects dépressifs, un enfermement psychologique.

7 2. Concernant l’enfant nouveau-né : il est souvent l’objet d’une relation ambivalente, exacerbée par des élans fusionnels ; il vient compenser les difficultés relationnelles de l’adolescente, son manque affectif. Il peut être rejeté, par ailleurs, car il entrave une vie d’adolescente avec les sorties, les relations amicales, amoureuses, les ambitions sociales, les projets d’études ou d’apprentissage. Les risques de maltraitance sont fréquents. L’entourage familial est alors essentiel : les parents de l’adolescente acceptent finalement cette grossesse et, après un moment conflictuel ou de grande angoisse, comprennent le désarroi de leur fille et sont prêts à l’entourer, pour qu’elle puisse alors élever son enfant avec des relais possibles (familiaux ou assistante maternelle, ou crèche). Elle peut poursuivre ses investissements d’adolescente : études, apprentissage professionnel, sorties avec des amis, etc.

8 Si le milieu familial reste hostile à cette situation et désorganise la jeune mère, il est indiqué d’avoir alors recours à des lieux d’accueil extérieurs à la famille : soit foyer maternel, soit famille d’accueil de l’Aide sociale à l’enfance. Le recours à la protection du juge des enfants pour la jeune femme et le nouveau-né est alors nécessaire.

9 L’essentiel est de permettre à l’enfant nouveau-né un véritable accueil dans un milieu plus neutre, moins passionnel, moins culpabilisant et de permettre à l’adolescente de se restructurer, d’être suivie sur le plan éducatif et psychologique afin qu’elle puisse reprendre une vie psychique, sociale, avec des projets positifs.

10 Le suivi obstétrical bienveillant a une incidence essentielle sur la qualité de la grossesse et de l’accouchement, mais aussi sur l’investissement psychologique de cet enfant (plus grande prise de conscience de la grossesse par les échographies, les enregistrements cardiaques de l’enfant).

11 Le recours à l’accouchement sous X est peu fréquent chez l’adolescente. Elle peut subir la pression familiale. Il est indispensable d’entendre la jeune fille seule et d’entendre sa décision personnelle, qui peut être contraire à celle du milieu familial. Dans ce cas, le recours au juge des enfants est indispensable.

12 La grossesse chez l’adolescente peut survenir aussi bien après une première relation sexuelle que dans une vie sexuelle installée. Il peut s’agir d’un passage à l’acte au moment d’une recherche d’affirmation et d’identité sexuelle, ou lors d’une relation amoureuse très investie et « non protégée ».

13 J’ai été confrontée dans le service de gynéco-obstétrique à deux ordres de situation, pour ces adolescentes enceintes.

14 1. Certes l’adolescente est mineure, mais elle vit en couple avec l’accord de ses parents. Il peut s’agir d’une jeune fille mariée de manière traditionnelle, issue d’une population immigrante fortement représentée dans notre service (quatre cas sur dix). Ces situations sont bien tolérées dans le tissu familial et social. Il s’agit de jeunes femmes de 16-18 ans pour l’essentiel.

15 2. L’adolescente est une mineure enceinte avec une vie de couple précaire. La situation peut être connue, voire acceptée par les parents, mais elle peut aussi être rejetée par la famille, ce qui entraînera des mesures sociales, éducatives, voire un placement. Il est étonnant de rencontrer des dénis familiaux par rapport à la grossesse de l’adolescente qui va parfois jusqu’au déni de la connaissance de sa vie sexuelle. Il est redoublé, en début de grossesse, par l’adolescente elle-même. Elle peut aussi cacher sa grossesse à son milieu familial. Cette dernière éventualité est un bon pronostic pour l’investissement de cette grossesse. Il n’est pas exceptionnel que les protagonistes, l’adolescente et ses parents, apprennent l’existence de la grossesse au terme de celle-ci, à l’accouchement. Dans ce cas, la grossesse n’a pas été suivie : au-delà des risques somatiques, son investissement reste problématique.

16 Pour les maternités de très jeunes adolescentes de moins de 15 ans, si la sexualité est présente, l’amour n’est pas toujours au rendez-vous et la grossesse peut être le symptôme de relations sexuelles non consenties (viol, inceste, emprise...).

17 J’ai peu parlé jusqu’à présent, du partenaire, père de l’enfant. Il existe des relations de couple relativement stables, comme je l’ai déjà indiqué, et le père de l’enfant est présent lors du suivi de la grossesse et de l’accouchement. La situation la plus fréquente est que l’adolescente se retrouve seule pour la suite de la grossesse. Dans la prise en charge psychologique, il est plus question de ses relations avec ses parents que de celle avec le père de l’enfant. Il est essentiel, dans le travail de prise en charge, de ne pas évincer le partenaire, père de l’enfant ou compagnon actuel. Il peut être absent mais présent par la parole. Cette expérience difficile pour la jeune fille peut l’amener à mûrir dans ses relations amoureuses.

Une possible prévention ?

18 Comment prévenir ces grossesses, trop tôt survenues, accidentelles, non désirées au départ, chez un être en cours de maturation ? L’information sexuelle à l’école ou dans le milieu familial est insuffisante à l’heure actuelle.

19 La contraception est en progression (pilule ou recours à des préservatifs) mais n’est utilisée que par la moitié des jeunes (à 80 % des cas actuellement) lors des premiers rapports sexuels. Une contraception à l’adolescence ne se met en place qu’après un an de relations sexuelles sporadiques et irrégulières.

20 La pilule du lendemain, comme le Norlevo, peut prévenir un certain nombre de grossesses, trois sur quatre (Seince et Uzan, 2000). Il existe de nombreux débats actuellement. Doit-elle être donné par une infirmière de collège après entretien approfondi ? Le recours à la famille est privilégié mais parfois impossible, refusé par l’adolescente. Le recours au centre de planning préconisé si possible donne souvent lieu à une accessibilité, dans le temps et géographiquement, insuffisante. L’urgence de la situation peut être résolue au niveau de l’infirmière du collège, avec registre tenu des demandes. L’écoute, la recherche du sens, l’évaluation du consentement de l’adolescente dans ses relations sexuelles rappellent les modalités de l’entretien pré-ivg. Une formation spécifique paraît nécessaire pour cette écoute et cette intervention.

21 Le recours à l’ivg : 3 % des ivg concernent les mineures en France (de même aux États-Unis), c’est un tribut pour commencer sa vie affective et sexuelle. En 1994, 6 000 ivg concernent des adolescentes mineures en France, deux grossesses sur trois pour ce groupe d’âge (Seince et Uzan, 2000).

22 L’adolescente est reçue au centre de planning avec sa famille, mais elle doit être entendue seule, obligatoirement selon la loi, par une psychologue conseillère conjugale ou une assistante sociale et le gynécologue obstétricien.

23 Chez les adolescentes, le rapport à la contraception est énigmatique. Le lien entre rapport sexuel et grossesse peut être dénié. « Je ne pensais pas que cela m’arriverait comme cela » n’est pas une formule rare malgré l’information sexuelle. L’information en matière de contraception reste insuffisante, de plus elle ne fera pas disparaître totalement des grossesses accidentelles et en particulier à l’adolescence. Elle ne peut infléchir un désir inconscient, complexe, ambivalent de grossesse, où la jeune femme pose, par la grossesse, un acte dans une recherche identitaire. Le désir inconscient de grossesse sans projet qu’elle arrive à son terme, pose question et demande un accompagnement psychologique et social.

Quelques exemples cliniques

24 Nous allons maintenant montrer, à l’aide d’exemples cliniques, comment une mère peut pousser son adolescente à agir des relations sexuelles précoces, et comment une grossesse acceptée d’une adolescente met sa famille (en particulier sa mère) en danger.

25 Claire a 13 ans et demi, elle vient à ma consultation pour des entretiens psychothérapiques, car elle a des moments dépressifs et des difficultés relationnelles avec sa mère avec laquelle elle vit, ses parents étant séparés. Elle est jolie et physiquement semble avoir au moins 16 ans. Des garçons s’intéressent à elle mais elle, pour l’instant, s’intéresse à ses copines, à ce qu’elles vivent, à leurs amours, avec une certaine curiosité mais aussi dépit, du fait que ses copines la délaissent éventuellement pour un garçon. Sa mère lui a proposé de consulter une gynécologue si elle désire avoir des relations sexuelles, lui demandant toujours si tel garçon qui téléphone souvent à la maison n’est pas un petit ami. Cela la met hors d’elle, elle n’a pas envie d’avoir des relations sexuelles à son âge, elle trouve qu’elle a le temps et que sa mère l’envoie un peu vite dans la sexualité en toute inconscience. Elle critique vivement la représentation de sa mère en ce qui la concerne et, malgré une certaine maturité dans ses propos, elle affirme clairement qu’elle est intéressée par la sexualité mais pour y penser, pour en rêver, pour plus tard.

26 Nathalie, 15 ans et demi, consulte la sage-femme, pour la première fois à six mois de grossesse. En présence de sa mère, Mme L., elle dit vouloir accoucher sous X. Seule, elle affirme vouloir garder l’enfant. La mère refuse cette solution et affirme ne plus vouloir s’occuper de sa fille, trop têtue et dont elle ne peut rien faire, elle est lassée de sa vie familiale avec des enfants difficiles et un mari reparti à l’étranger depuis deux ans. Elle nous demande, à nous qui avons écouté Nathalie et tenu compte de son avis, de nous en charger. Un signalement au juge des enfants est fait et son placement est décidé en famille d’accueil. Elle se révèle une adolescente difficile, parlant peu et agissant beaucoup. Elle a une relation de type fusionnel avec son ami de 16 ans, ils sont toujours l’un contre l’autre, sans se parler. Les entretiens avec moi sont difficiles, se passant dans le silence. Elle est à la fois inhibée et opposante dans la parole.

27 L’équipe de l’ase travaille sur le placement familial de Nathalie, et avec sa mère par ailleurs. Nathalie accouche, son ami est présent et veut reconnaître l’enfant. Le jeune couple est en contact physique, se regarde beaucoup, se parle très peu. Par la suite, Mme L. accepte de la revoir avec son enfant nouveau-né, Kevin. Elle décide de la reprendre dans son foyer avec le bébé et elle est prête à l’aider à élever son fils.

28 Nathalie reprend ses cours en seconde au lycée avec difficulté. Six ans après, c’est-à-dire maintenant, je suis interpellée pour cette famille. Mme L. est hospitalisée pour dépression. Le fils de 16 ans, avant-dernier, ne va plus au collège depuis un an. Nathalie, 22 ans, travaille et vit toujours chez sa mère avec son fils Kevin, 6 ans. La famille semble s’effondrer. Les problèmes se sont déplacés de Nathalie à sa mère et à son frère. La dépression de la mère de Nathalie semble l’axe principal, insuffisamment traitée lors de la rencontre avec Nathalie à 15 ans et demi, enceinte.

29 L’adolescente est dans une quête d’elle-même, de son identité, de sa féminité qu’elle met en scène dans la relation amoureuse. La survenue d’une maternité perturbe et court-circuite cette recherche sur soi-même. La question d’être une femme s’efface par la question d’être mère, trop tôt survenue.

30 La relation sexuelle est présente plus précocement, actuellement (de 17 ans à 15 ans et demi en moyenne). Mais la relation amoureuse peut être plus tardive et plus longue à se constituer.

31 Les mutations sociales et psychologiques provoquent une sexualité réalisée et agie précocement. Les maternités précoces peuvent entraîner un lien de dépendance à la famille au moment où la plus grande liberté est réclamée. Elles suscitent toujours un contretemps, une rupture dans la recherche de la féminité et de l’identité sexuelle. Le travail de lien, d’altérité, du fantasme se fera ensuite, le lien amoureux s’élaborera éventuellement dans un deuxième temps.

Bibliographie

Bibliographie

  • Guettier, B. 1999. « Adolescence et maternité », Dialogue, 4e trimestre, « Recherches cliniques et sociologiques sur le couple et la famille ».
  • Seince, N. ; Uzan, M. 2000. « Contraception et sexualité de l’adolescente », Mises à jour en gynécologie et obstétrique, Paris, Diffusion Vigot.

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