Notes
-
[*]
Dominique Hocquard, chargé de cours à l’université de Paris VIII, membre du Laboratoire de recherches en analyse institutionnelle.
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[1]
Dans son livre paru aux puf en 1993, intitulé Les Personnalités doubles et multiples ; entre science et fiction, Jacqueline Carroy se demande si la visée du savoir psychologique objectif au moment de son institutionnalisation n’a pas partie liée avec une (ou des) position(s) de dédoublement. Elle montre aussi avec précision la dualité et la duplicité parfois à l’œuvre dans le travail scientifique du psychologue.
-
[2]
C’est à Édouard Toulouse qu’on doit l’invention de cette technique d’observation physiologique et anthropométrique de l’homme.
-
[3]
À propos de ce projet on peut se reporter à l’excellent article de Liliane Lurçat paru dans la revue Esprit n? 11-12 de nov./déc. 1982 et intitulé : « L’impossible connaissance totale de l’enfant ».
-
[4]
Geneviève Paicheler, L’Invention de la psychologie moderne, Paris, L’Harmattan, 1992.
-
[5]
H. Gale avait été formé à la méthode expérimentale par Wundt et s’était très tôt (1896) associé à des publicitaires pour étudier l’attention du sujet aux mots, aux couleurs, aux parties de pages.
-
[6]
Cette histoire des liens de Binet avec les théâtres du Grand-Guignol et de Sarah Bernhardt pour lesquels il écrivit de nombreuses pièces sur le thème de la folie a été analysée dans D. Hocquard, « Alfred Binet ou les coulisses de la psychologie expérimentale », Perspectives de l’analyse institutionnelle (sous la direction de R. Hess et A. Savoye), Méridiens Klincksieck, Paris, 1988.
-
[7]
Les personnages que Binet met en scène sont toujours violents et pris d’accès de folie ; la déraison était aussi le thème qu’il examinait le jour avec ses instruments de mesure dans son laboratoire !
-
[8]
Lion Murard, Patrick Zylberman, « Robert-Henri Hazemann, urbaniste social », revue Urbi X, hiver 1986, p. 59-101.
-
[9]
É. Toulouse crée la revue Demain en 1912. Gonzague Truc y fut secrétaire de rédaction, Antonin Artaud y publia des articles et des poèmes. F. Buisson, président de la Ligue des droits de l’homme, fondateur président de la SLEPE (Société Libre pour l’Étude Psychologique de l’Enfant) ainsi que Belot, inspecteur général de l’Instruction publique et H. Piéron figurent parmi les illustres collaborateurs de cette revue.
-
[10]
É. Toulouse a écrit le scénario d’un film éducatif visant à sensibiliser les gens aux méfaits de l’alcool : La Double Existence du docteur Morart met ainsi en scène, pour mieux le dénoncer, l’alcoolisme d’un médecin réputé. Pour ce faire, le psychiatre s’était associé avec A. de Lorde, « le prince de la terreur », un dramaturge bien connu dans les milieux parisiens et qui, quelques années plus tôt avait travaillé avec A. Binet pour le théâtre du Grand-Guignol.
-
[11]
René Lourau, Actes manqués de la recherche, Paris, puf, 1994.
1 La psychologie scientifique telle que l’édifieront en France Alfred Binet et surtout Henri Piéron a pendant longtemps constitué le cadre de référence stable, la condition de possibilité de l’étiquetage au prix d’un consensus fondé sur l’interdit de la subjectivité.
2 Refoulée de la science comme une notion sans consistance épistémologique par des psychologues nourrissant l’illusion d’un sujet entièrement déchiffrable et mesurable, la subjectivité du chercheur et celle de son « objet » (le sujet d’expérience de la psychologie) étaient considérées comme un obstacle. Elle n’aura pourtant pas beaucoup de mal à s’y faufiler, car en fait elle s’y trouvait déjà de manière particulièrement ambivalente.
3 Entre subjectivité et rationalité, entre déterminations singulières et revendications scientifiques entre « science et fiction [1] », tout un jeu trouve donc à se déployer, qui nous invite à relativiser d’autant le crédit d’objectivité que l’on a pu porter à l’endroit des systèmes soi-disant scientifiques de catégorisation des personnes. C’est dire que le terme même d’objectivité, dont usèrent la plupart des psychologues du début du xx e siècle pour diffuser leur modèle de classement, ne doit pas nous abuser.
4 Il doit être pris pour ce qu’il est : une imposture aux conséquences parfois dramatiques, tant il est vrai que le refus de la subjectivité a parfois autorisé des pratiques sociales inégalitaires et discriminatoires fondées sur une conception réductrice et strictement utilitaire de l’homme.
Un peu d’histoire
5 La mise à l’écart de la subjectivité, le rejet de l’introspection dans la mesure de l’homme ont longtemps été considérés comme une façon normale de pratiquer la science et de concevoir les modes de classification des individus. Tout l’édifice de la machine scientifique repose sur le postulat idéologique de l’existence d’un sujet rationnel réduit à ses utilités sociales. Forgeant les notions d’aptitude et plus tard de « biotypologie [2] », nombre de psychologues vont s’ingénier à trouver la formule à partir de laquelle procéder scientifiquement au classement et au placement social des individus. La science devient ainsi le foyer très actif d’une institutionnalisation du social qui pose dès l’école primaire la connaissance totale de l’enfant comme une nécessité absolue.
6 Connaître totalement l’enfant [3] : ce projet incroyable et au fond très naïf a été formulé par des gens progressistes comme moyen de venir en aide aux enfants issus des milieux populaires. Toute une culture du diagnostic se met alors en place, dans laquelle l’intérêt pour le dépistage des arriérés, des anormaux croise les campagnes contre l’alcoolisme, la maladie, et celles pour l’hygiène sociale.
7 Trier, séparer les corps, distinguer les anormaux des enfants scolarisables devient un devoir d’hygiène publique.
8 Les corps doivent être mesurés et les maîtres sont requis pour procéder à l’examen physique de leurs élèves. Plus largement, tous les actes de la vie doivent être quantifiés comme autant de mesures permettant ensuite de classer et de catégoriser. Lorsque, au moment très concret de conseiller un enfant quant à son avenir ou d’envisager son instruction, l’impossibilité de nier sa subjectivité vient rendre problématiques l’affirmation d’une intériorité sans valeur pour la science, et les pratiques sociales qui lui sont liées, l’argumentation se retourne : la subjectivité existe à condition qu’elle puisse être mesurée ou saisie par diverses stratégies expérimentales.
9 Point d’orgue de ce véritable délire d’omniscience, « le livret biotypologique » du trio Toulouse-Laugier-Weinberg, véritable carte d’identité biologique à laquelle se référeront les praticiens toutes les fois qu’une décision devra être prise concernant l’activité individuelle, professionnelle, familiale, sociale du sujet.
10 À cette pointe extrême, la prétention positiviste des psychotechniciens, des morphopsychologues et autres biométriciens, s’avère être un non-sens. Le sujet objectivé est devenu abstrait, à l’écart de lui-même, privé de son unité existentielle.
11 Concernant les scientifiques, Geneviève Paicheler, dans son livre sur « l’invention de la psychologie moderne [4] », évoque le cas du psychologue américain Harlow Gale [5]. Formé à Leipzig par Wundt, il avait ouvert en 1894 le laboratoire de psychologie de l’université du Minnesota. « Il considérait la majeure partie des expérimentations comme des activités insignifiantes et triviales dont le seul avantage était qu’elle permettait de gravir l’échelle professionnelle. »
12 On peut aussi citer l’exemple de J. McKeen Cattel, un autre psychologue américain, expérimentaliste lui aussi, qui estimait que « le travail quotidien pénible du laboratoire était à peine plus stimulant que la routine de l’usine ou de la ferme ».
13 Face au peu d’enthousiasme constaté, l’image du psychologue arc-bouté sur des positions expérimentalistes serait-elle un mythe ? L’image du scientifique tout à sa passion de la mesure, dévoué corps et âme à la science, relèverait-elle de la légende ?
14 Peut-être. Ce qui est sûr, c’est que l’époque est loin d’être acquise à la science. Dans le champ social et intellectuel une conception de l’être humain existe, qui fait de l’inconscient, du temps du rêve, de la fantaisie, d’une certaine forme de subjectivité, la condition même de la connaissance.
15 En effet, au moment où les progrès de la science sacrifient pêle-mêle sur l’autel de la raison les dogmes religieux, les idées « fausses », tous les produits de l’imagination, au moment où les pouvoirs en place célèbrent les vertus rationnelles de la science et qu’en son nom on livre les combats pour l’école et l’orientation, au moment où l’on voit les produits de la science pénétrer tous les domaines de la vie, au moment où l’enjeu pour la psychologie est d’être, à l’instar des sciences dures, une science naturelle, des mouvements d’avant-garde (le surréalisme notamment) découvrent les valeurs de l’irrationnel, de l’imagination, de la contestation, en un mot de la subjectivité.
16 Tous ces mouvements prennent à contre-courant les idéaux sur lesquels se fondent les institutions de classement des individus : pas seulement le positivisme, le rationnel, mais aussi des catégories plus « morales », plus idéologiques, comme la famille, le travail, la patrie, le nationalisme, l’idée de progrès et de bonheur chère à la science. De nouvelles manières de penser voient donc le jour, qui diffusent une nouvelle conception du monde et de l’homme.
17 La notion de « ruine de la causalité » s’oppose aux notions scientifiques construites sur l’idée héréditaire d’un déterminisme biologique absolu. L’inconscient, le merveilleux, le rêve, la folie, les états hallucinatoires sont explorés et revendiqués comme les éléments d’une formidable connaissance de l’homme. « La psychologie de l’entendement » ainsi que la nommaient les surréalistes est contestée. On pourrait s’en tenir là et conclure que les attaques à l’endroit du positivisme et de la psychologie sont restées sans effet. Pire, qu’elles ont peut-être contribué à leur durcissement et à leur repli sur des bases scientistes comme pour mieux se prémunir de la part maudite d’un processus de subjectivation trop subversif, pas encore suffisamment maîtrisé ou instrumentalisé.
18 Par-delà un verrouillage épistémologique qui s’avérera très virulent, l’institution est cependant poreuse, un peu comme si, là où devait s’opérer le partage scientifique du corps et de l’âme, se dessinait aussi, en creux, l’image de l’unicité humaine.
19 Parmi quelques autres, deux hommes, deux scientifiques, ont développé des relations très étroites avec les mouvements de subjectivation, Binet et Toulouse.
Alfred Binet
20 Commençons par Binet, l’inventeur de l’échelle métrique d’intelligence, le psychologue, et aussi l’homme de théâtre [6].
21 Il n’est pas question ici de prendre parti pour Binet dramaturge, comme d’autres, à l’inverse, ont pris parti pour l’homme de science, je voudrais simplement interroger le statut de « hors-texte » du théâtre de Binet en le resituant dans le contexte de la production théorique et scientifique qu’il accomplit avec zèle et dévouement. L’intention est évidemment partisane. Il s’agit de restituer à l’institution du classement toute sa complexité et toute son ambiguïté. En clair, évoquer le théâtre de Binet revient à poser que les configurations hétérogènes qui constituent son système de pensée s’instituent à l’intérieur d’une ambivalence fondamentale qui caractérise la pensée psychologique. Un peu comme si, les pas de travers, les incursions dans l’imaginaire et les diverses formes de subjectivité, ces infractions à la science, étaient le résultat d’un péché originel dont Binet, malgré sa rigueur toute mathématique, ne pourra pas se débarrasser vraiment. Avec Binet, que le pédagogue Claparède appelait le « Paganini de la psychologie », il n’est pas interdit de voir, dans le prodigieux travail qu’il a effectué pour construire son identité de scientifique, une certaine forme d’art.
22 Même si le modèle théorique et scientifique qu’élabore Binet suppose une « schizophrénie » entre deux pensées, deux identités fonctionnant à des niveaux différents mais néanmoins associés, on peut penser que le théâtre et le laboratoire sont comme l’endroit et l’envers d’une même réalité. D’un côté, la scène qui libère les forces déchaînées de l’instinct [7], de l’autre, la passion raisonnable du savant qui dénonce les impasses « subjectives » et imaginaires d’une science toute à son devoir de produire « les technologies disciplinaires » que réclame le pouvoir politique.
23 Cette tension n’est tenable qu’à la condition de taire ses propres implications au cœur même de la science.
24 Voilà donc quelle pourrait être la trame paradoxale qui se dégage des oscillations entre une position où la déraison et la fureur sont mises en scène, avec leurs effets de sens, et une position d’absolue maîtrise où ce qui compte, rappelons-le, réside d’abord et surtout dans le projet de Binet de renforcer une science du classement encore trop inconsistante à son goût du point de vue des critères scientifiques.
25 Car, si le théâtre est, à n’en point douter, cette surface de projection dont se sert Binet pour gérer une économie personnelle complexe, il est aussi une tribune à partir de laquelle il relance la polémique qui l’oppose aux aliénistes. C’est probablement cet aspect de son théâtre qui a autorisé l’auteur d’un article nécrologique sur Binet à dire que certaines de ses pièces de théâtre étaient à « thèse scientifique et médicale ».
26 Quoi qu’il en soit, à travers ses « héros », Binet semble reconnaître cette part irréductible de l’homme, cette dimension complètement humaine. Avec le théâtre, il reconnaît ce que Freud théorisera : l’inconscient. Dans le secret de son rapport dramatique à la subjectivité humaine, à la passion des hommes et à leurs tourments, il va curieusement bâtir sa postérité scientifique. Dans son laboratoire, dans les écoles qu’il fréquentera, les images ne se déchaîneront pas. La raison l’emportera. Sa compréhension « dramatique » de l’homme aurait pu bouleverser le paradigme objectiviste dont il se réclamait le jour à travers le projet un peu fou de capturer la réalité humaine dans le filet du chiffre.
27 Il n’en a rien été. Au contraire, cette « folie raisonnante », comme disait Pinel pour évoquer les traits de l’obsession, va devenir la forme acceptable et rassurante au nom de laquelle les croisés de la psychologie iront pacifier le social.
Édouard Toulouse
28 C’est Édouard Toulouse, qui, entre autres, se chargera de cette mission aux accents eugéniques.
29 Le fondateur avec Laugier de la Société de biométrie humaine (1932), l’inventeur de la biotypologie, le vice-président du parti social de la santé publique, le « triple père de la ligue d’hygiène mentale qui depuis 1922 poursuit de ses affectueuses attentions le million de psychopathes encore en liberté, de l’association d’études sexologiques (1931) et de sa petite benjamine en 1932, la société de biotypologie [8] », est attiré par la littérature et le théâtre avant même de faire ses études médicales.
30 Devenu l’aliéniste réputé que l’époque salua de toutes sortes de distinctions, il rencontre Antonin Artaud, le compagnon de route des surréalistes, le poète maudit.
31 Avec lui, il entretient un dialogue sur la genèse de la faculté créatrice. Toulouse, comme Binet d’ailleurs, est fasciné par « le génie créateur » qu’il décèle comme la trace d’un « don » lié à la pathologie ou à la folie. C’est en 1920 que le psychiatre rencontre le poète. Il le croit syphilitique. Il lui fait des piqûres, le soigne. Mais très vite il en fait un de ses collaborateurs et lui propose de diriger la revue Demain [9].
32 Il l’invite à écrire des poèmes, des critiques de livres et de théâtre. Il en fait un associé attentif qui exprimera à plusieurs reprises son scepticisme à l’endroit des procédés scientifiques de classement des individus.
33 Derrière Artaud, ce sont des questions institutionnelles qui se profilent : la possibilité donnée au chercheur de comprendre la réalité humaine, non pas du point de vue de quelques grilles biotypologiques, mais à partir des conditions historiques, culturelles, sociales où elle s’accomplit. Avec Artaud, il aurait pu imposer à ses travaux une approche ayant recours à la critique, à la sensibilité, à la délibération, et se rendre compte que le sujet finit toujours par subvertir les cadres dans lesquels on veut l’enfermer et le réduire ; en un mot, analyser ses implications et entrevoir la conséquence de ses actes, ceux commis à classer les individus à partir de leur formule biologique.
34 Là aussi, dans ses rapports au poète, à l’acteur et au compagnon de route des surréalistes, dans la perception que le savant se fait de l’homme, on aurait pu croire en quelque retournement épistémologique remettant en cause les principes même d’un classement ordonné à partir de critères biologiques, physico-chimiques ou cognitifs. À l’instar de Binet, il n’en fit rien.
35 Le psychiatre, le sociologue, l’écrivain, le physiologiste, le journaliste, l’auteur d’un film de propagande contre les ravages de l’alcoolisme dans les milieux bourgeois [10], celui qui fut très impliqué dans le mouvement d’orientation professionnelle, se réclamant de Wundt et participant par ailleurs à l’introduction de la psychanalyse en France, ne participera pas au renouvellement de l’activité scientifique, ni même ses principaux collaborateurs, Piéron, Laugier, Lahy.
Égalité ou exclusion ?
36 Si avec Toulouse on a l’exemple d’un savant qui a su passer d’un milieu à un autre, d’un système de pensée à un autre, on a aussi l’exemple de quelqu’un qui, en instaurant des cloisons étanches entre ses différentes appartenances, a tenu de manière tenace à identifier le sujet à ses « actes » observables et mesurables, comme à un autre niveau, d’autres cloisons ont assuré de manière fonctionnelle la division du travail. Cette volonté de ne pas établir de « connexions existentielles », cette obsession de la fameuse coupure épistémologique installée entre le savoir scientifique et le savoir profane, ce refus de se regarder faire sont à l’origine d’une grave méprise, d’un terrible « acte manqué » par où la psychologie, loin de réaliser sa prophétie de justice et d’égalité sociale, va au contraire organiser la sélection et l’exclusion de tous ceux qui n’appartenant pas aux classes bourgeoises vont se retrouver dans les bas-fonds de la société avec la bénédiction de la science !
37 Dans la temporalité ordinaire de la science, la subjectivité à travers la potentialité d’analyse et de critique qu’elle recèle a été refoulée. Cette rencontre entre l’homme de science et le poète aurait pu être l’occasion d’une espèce de « co-gestion du sens » susceptible de réguler des modes d’appartenance et de provoquer un travail d’analyse des implications du chercheur.
38 Ce qu’on peut retenir, en somme, c’est qu’au départ, un certain nombre de psychologues a joué avec les milieux périphériques un jeu étrange, fait d’un mélange d’attirance et de répulsion. Sans jamais remettre en cause les lois de la communauté scientifique de l’époque, ils ont tenté d’endiguer les secousses qui risquaient de fissurer le dispositif institutionnel comme pour mieux exorciser leurs propres démons.
39 Ne peut-on en effet déceler dans le théâtre de Binet, les rapports de Toulouse avec Artaud, les recherches de Vaschide sur les rêves ou encore dans les expériences de Piéron sur les phénomènes parapsychologiques, le désir de circonscrire des phénomènes qui les attirent et qu’ils redoutent ?
40 Dans son propre espace de légitimation, soigneusement découpé, l’institution du classement est devenue une sorte de machine redoutable avec ses lois, ses principes et ses dogmes. Imperméable à l’expérience singulière, elle affiche une forte prétention à réduire dans l’apparente homogénéité de son discours et de son fonctionnement l’hétérogénéité du vécu ; elle disqualifie et ravale toutes les perspectives dissonantes, et les fond dans une stratégie technocratique et gestionnaire en phase avec les exigences économiques.
« Seul, avertit René Lourau, ce va-et-vient entre le dedans et le dehors de la science, entre l’autoréflexivité et le regard de l’autre – communication des esprits – débordant largement la cité scientifique, peut aider à traquer les actes manqués, à déceler l’échec au cœur des prophéties les plus exaltantes [11]. »
pour en finir avec le jugement de Dieu
Kré | Il faut que tout | puc te |
Kré | soit rangé | puk te |
pek | à un poil près | li le |
kre | dans un ordre | pek ti le |
e | fulminant | kruk |
pte |
Notes
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[*]
Dominique Hocquard, chargé de cours à l’université de Paris VIII, membre du Laboratoire de recherches en analyse institutionnelle.
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Dans son livre paru aux puf en 1993, intitulé Les Personnalités doubles et multiples ; entre science et fiction, Jacqueline Carroy se demande si la visée du savoir psychologique objectif au moment de son institutionnalisation n’a pas partie liée avec une (ou des) position(s) de dédoublement. Elle montre aussi avec précision la dualité et la duplicité parfois à l’œuvre dans le travail scientifique du psychologue.
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C’est à Édouard Toulouse qu’on doit l’invention de cette technique d’observation physiologique et anthropométrique de l’homme.
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À propos de ce projet on peut se reporter à l’excellent article de Liliane Lurçat paru dans la revue Esprit n? 11-12 de nov./déc. 1982 et intitulé : « L’impossible connaissance totale de l’enfant ».
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Geneviève Paicheler, L’Invention de la psychologie moderne, Paris, L’Harmattan, 1992.
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H. Gale avait été formé à la méthode expérimentale par Wundt et s’était très tôt (1896) associé à des publicitaires pour étudier l’attention du sujet aux mots, aux couleurs, aux parties de pages.
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Cette histoire des liens de Binet avec les théâtres du Grand-Guignol et de Sarah Bernhardt pour lesquels il écrivit de nombreuses pièces sur le thème de la folie a été analysée dans D. Hocquard, « Alfred Binet ou les coulisses de la psychologie expérimentale », Perspectives de l’analyse institutionnelle (sous la direction de R. Hess et A. Savoye), Méridiens Klincksieck, Paris, 1988.
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Les personnages que Binet met en scène sont toujours violents et pris d’accès de folie ; la déraison était aussi le thème qu’il examinait le jour avec ses instruments de mesure dans son laboratoire !
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Lion Murard, Patrick Zylberman, « Robert-Henri Hazemann, urbaniste social », revue Urbi X, hiver 1986, p. 59-101.
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É. Toulouse crée la revue Demain en 1912. Gonzague Truc y fut secrétaire de rédaction, Antonin Artaud y publia des articles et des poèmes. F. Buisson, président de la Ligue des droits de l’homme, fondateur président de la SLEPE (Société Libre pour l’Étude Psychologique de l’Enfant) ainsi que Belot, inspecteur général de l’Instruction publique et H. Piéron figurent parmi les illustres collaborateurs de cette revue.
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É. Toulouse a écrit le scénario d’un film éducatif visant à sensibiliser les gens aux méfaits de l’alcool : La Double Existence du docteur Morart met ainsi en scène, pour mieux le dénoncer, l’alcoolisme d’un médecin réputé. Pour ce faire, le psychiatre s’était associé avec A. de Lorde, « le prince de la terreur », un dramaturge bien connu dans les milieux parisiens et qui, quelques années plus tôt avait travaillé avec A. Binet pour le théâtre du Grand-Guignol.
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René Lourau, Actes manqués de la recherche, Paris, puf, 1994.