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Article de revue

Avicenne, « philosophe analytique » des mathématiques

Pages 283 à 306

Notes

  • [1]
    Al-Nizāmī al-‘Arūdī al-Samarqandī, Jihār Maqāla, trad. en arabe par ‘A. ‘Azām et Y. al-Khashshāb (Le Caire, 1949), pp. 81 sq. Voir R. Rashed, « Abū Nasr ibn ‘Irāq: ‘indamā kāna al-Amīr ‘āliman (When the Prince was a scientist) », al-Tafahom, 40, 2013, pp. 145-170.
  • [2]
    Lettre à Kiyā, dans ‘A. Badawī, Aristū ‘inda al-’Arab, Koweit, 1978, p. 121.
  • [3]
    Ibn Sīnā, al-Shifā’, al-Mantiq, 5. al-Burhān, éd. A. ‘Afifi, Le Caire, 1956, pp. 194-5.
  • [4]
    Al-Shifā’. al-Ilāhiyyāt (1) (La Métaphysique), Texte établi et édité par G. C. Anawati et Sa‛īd Zayed, revu et précédé d’une introduction par Ibrahim Madkour, Le Caire, 1960, p. 145.
  • [5]
    Voir Toutes les figures sont à partir du cercle, dans R. Rashed, Œuvre mathématique d’al-Sijzī. Volume I : Géométrie des coniques et théorie des nombres au x e  siècle, Les Cahiers du Mideo, 3, Louvain-Paris, 2004 et Pour aplanir les voies en vue de déterminer les propositions géométriques dans R. Rashed, Les Mathématiques infinitésimales du ix e au xi e  siècle. Vol. IV : Méthodes géométriques, transformations ponctuelles et philosophie des mathématiques, Londres, 2002.
  • [6]
    R. Rashed, « Combinatoire et métaphysique : Ibn Sīnā, al-Tūsī et al-Halabī », dans R. Rashed et J. Biard (éd.), Les Doctrines de la science de l’antiquité à l’âge classique, Louvain, 1999, pp. 61-86.
  • [7]
    R. Rashed, « L’angle de contingence : un problème de philosophie des mathématiques », Arabic Sciences and Philosophy, 22.1 (2012), pp. 1-50 ; et Angles et grandeur : d’Euclide à Kamāl al-Dīn al-Fārisī, Berlin, Walter de Gruyter, 2015.
  • [8]
    Al-Shifā’. al-Madkhal (1), al-Maqūlāt, éd. G. C. Anawātī, M. Khuḍayrī et F. al-Ahwānī, Le Caire, 1960, p. 213. 7-8.
  • [9]
    Ibid., p. 214. 11.
  • [10]
    Il demeure qu’Avicenne, autant que je sache, n’a pas examiné les conséquences ontologiques et taxinomiques de cette nouvelle position non-aristotélicienne.
  • [11]
    Aristote, Métaphysique Z, 10, 1034b 27 sq. ; Métaphysique M, 8, 1084b 7 sq.
  • [12]
    Avicenne, Al-Shifā’. al-Ilāhiyyāt (1) (La Métaphysique), éd. Anawati et Zayed, p. 250. 11-12.
  • [13]
    Ibid., p. 250. 15-16.
  • [14]
    al-quwwa : lire li-al-quwwa.
  • [15]
    mayyitan : lire maniyyan.
  • [16]
    Avicenne, Al-Shifā’, al-Ilāhiyyāt (1) (La Métaphysique), op. cit., p. 251.14-252.5. C’est nous qui soulignons. Voir aussi al-Ta‛līqāt, Edited with Introduction and Notes by Seyyed Hossein Mousavian, Téhéran, 2013, p. 95.
  • [17]
    Epître sur l’angle, dans R. Rashed Angles et grandeur, op. cit.
  • [18]
    Al-Shifā’, al-Tabī‘iyyāt, 1. al-Samā‘ al-tabī‘ī, éd. S. Zayed, Le Caire, 1983, p. 186. 13-14.
  • [19]
    Voir Lettre à Kiya (al-Mubahāthāt), éd. Badawi, p. 171 et al-Mubahāthāt, p. 363-364.
  • [20]
    épître sur l’angle, dans R. Rashed Angles et grandeur, op. cit., p. 188 ; ar. p. 189, 4-7.
  • [21]
    Ibid., p. 188 ; ar. p. 189, 10-16.
  • [22]
    épître sur l’angle, dans R. Rashed Angles et grandeur, op. cit., p. 206 ; ar. p. 207, 12-13.
  • [23]
    Ibid., p. 206 ; ar. p. 207, 14-15.
  • [24]
    R. Rashed, « L’angle de contingence », art. cit., et Angles et grandeur, op. cit.
  • [25]
    épître sur l’angle, dans R. Rashed Angles et grandeur, op. cit., p. 210 ; ar. p. 211, 2-6.
  • [26]
    Al-Shifā’, al-Tabī‘iyyāt, 1. al-Samā‘ al-tabī‘ī (Physique, III, 5), éd. J. Āl Yāsin, Beyrouth, 1996, p. 205.
  • [27]
    R. Rashed, « L’angle de contingence », art. cit., pp. 9-14.
  • [28]
    Physique IV, 5, éd. Yasin, pp. 251-2 ; éd. Zayed, p. 277.
  • [29]
    R. Rashed, « L’angle de contingence », art. cit., pp. 10 sq.
  • [30]
    Voir Angles et grandeur, op. cit. pp. 566-568 ; ar. p. 567, 2-569, 13.
  • [31]
    Il a écrit un bref commentaire sur l’angle plan (voir ms. Téhéran Majlis Shūrā, Tabatabā’ī 1382).
  • [32]
    Il commente Avicenne dans al-Hikma al-muta‘āliya, première partie du second volume, publié à Qum en 1379 H., particulièrement la section VIII.
  • [33]
    Traité sur le lieu, dans R. Rashed, Les Mathématiques infinitésimales, op. cit., vol. IV, chap. III.
  • [34]
    Simplicius, In Phys. 59.23-60.7.
  • [35]
    Les Premiers Analytiques, II.25, 69a (pour la quadrature d’Hippocrate de Chio), voir la traduction arabe dans Mantiq Aristū, éd. Badawi, vol. I, p. 310. Les Seconds Analytiques, I. 9, 75b, 36- 76a (traduction arabe dans Mantiq Aristū, éd. Badawi, vol. II, pp. 355-358) ; Réfutations sophistiques, 11, 15-30 (traduction arabe dans Mantiq Aristū, éd. Badawi, vol. III, pp. 878-879).
  • [36]
    Oskar Becker, Das Mathematische Denken der Antike, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1966, p. 92 ; Thomas L. Heath, A History of Greek Mathematics, vol. I: From Thales to Euclid, Oxford : Clarendon Press, 1965, pp. 223 sq. ; Thomas L. Heath, Mathematics in Aristotle, Oxford, Clarendon Press, 1970, p. 50.
  • [37]
    Mantiq Aristū, ‘A. Badawi, 3 vol., Beyrouth, 1980.
  • [38]
    Al-Shifā’, al-Mantiq, 5. Al-Burhān, éd. A. ‘Afifi, Le Caire, 1956, p. 176.
  • [39]
    Ibid.
  • [40]
    Ibid.
  • [41]
    Abū al-Barakāt al-Baghdādī, Kitāb al-Mu‘tabar, Hyderabad, 1358, pp. 60 sq. ; Ibn Ghaylān, Hudūth al-‘ālam, éd. M. Mohaghegh, Téhéran, 1998.
  • [42]
    Al-Ishārāt wa-al-tanbihāt li-Ibn Sīnā ma‘ sharh Nasīr al-Dīn al-Tūsī, Qom, 1375, vol. 2, p. 73.
  • [43]
    Al-Shifā’, al-Tabī‘iyyāt, 1. al-Samā‘ al-tabī‘ī, éd. J. Al Yasin, p. 212.
  • [44]
    Cette thèse repose sur le petit lemme d’Ammonius : « Il n’existe pas de multitude plus grande que l’infini » ; voir Marwan Rashed, « Thābit ibn Qurra sur l’existence et l’infini : Les Réponses aux questions posées par Ibn Usayyid », dans R. Rashed (ed.), Thābit ibn Qurra. Science and Philosophy in Ninth-Century Baghdad, Berlin, Walter de Gruyter, 2009, pp. 617-673, aux pp. 657-658 N. 28.
  • [45]
    Marwan Rashed, « Thābit ibn Qurra sur l’existence et l’infini », art. cit., pp. 637-638 et 659-660.
  • [46]
    Abū al-Barakāt al-Baghdādī, Kitāb al-Mu‘tabar, p 85, 9-11.
  • [47]
    Ibn Ghaylān, Hudūth al-‘ālam, pp. 29. 22-30. 2.
  • [48]
    Al-Ishārāt wa-al-tanbihāt, éd. S. Dunia, Le Caire, 1957, vol. 2, pp. 160-164. Voir également le commentaire d’al-Tūsī (éd. Qom, pp. 59-60).
  • [49]
    Voir le commentaire d’al-Tūsī.
  • [50]
    Abū al-Barakāt al-Baghdādī, Kitāb al-Mu‘tabar, vol. 2, p. 85. 19-22.
  • [51]
    Ibn Ghaylān, Hudūth al-‘ālam, éd. M. Mohaghegh, p. 29. 2-5.
  • [52]
    Littéralement intervalle (bu‛d) ; en grec : διάστηµα.
  • [53]
    Cette traduction a été faite à partir de l’édition (Yasin, p. 159).
  • [54]
    Figure du texte telle qu’on la trouve dans l’édition.
  • [55]
    Al-Tūsī dans son commentaire des Ishārāt reprend ce même modèle, mais en des termes légèrement différents (éd. Qom, p. 73) : « La manière dont on se fait aider par le mouve­- ment est celle fondée sur la supposition d’une sphère telle que l’on mène de son centre un diamètre parallèle à une droite infinie dont il faut qu’il soit dans sa direction après lui avoir été parallèle en raison du mouvement de la sphère. Il s’ensuit nécessairement qu’il se trouve un premier point de la droite que le diamètre a pour direction. Et il est impossible qu’il existe un point que le diamètre a pour direction avant tout ; l’obstacle s’ensuit donc nécessairement. »
  • [56]
    Al-Najāt, éd. M. Kurdī (1938), p. 123.
  • [57]
    Abū al-Barakāt al-Baghdādī, Kitāb al-Mu‘tabar, p. 61. 2-3.
  • [58]
    Ibn Ghaylān, Hudūth al-‘ālam, p. 30. 13-18.
  • [59]
    59. R. Rashed, Les Mathématiques infinitésimales du ixe au xie siècle. Vol. I : Fondateurs et commentateurs : Banū Mūsā, Thābit ibn Qurra, Ibn Sinān, al-Khāzin, al-Qūhī, Ibn al-Samh, Ibn Hūd (London : al-Furqān, 1996) ; vol. IV : Méthodes géométriques, transformations ponctuelles et philosophie des mathématiques (2002) ; R. Rashed et H. Bellosta, Ibrāhīm ibn Sinān. Logique et géométrie au xe siècle (Leiden : E.J. Brill, 2000) ; R. Rashed, Œuvre mathématique d’al-Sijzī. Volume I : Géométrie des coniques et théorie des nombres au xe siècle, Les Cahiers du Mideo, 3 (Louvain-Paris : Éditions Peeters, 2004).
  • [60]
    60. Je crois avoir montré naguère que cette tendance « proto-formelle » sous-tend implicitement l’ontologie de l’émanation d’Avicenne : dans cette ontologie, on peut en effet désigner tous les êtres par des lettres de l’alphabet et procéder ensuite par combinaison. Or c’est précisément cette démarche combinatoire que Nasīr al-Dīn al-Tūsī a fondée et menée à son terme, suivi par d’autres, comme Ibrāhīm al-Halabī. Cf. R. Rashed, « Combinatoire et métaphysique : Ibn Sīnā, al-Tūsī et al-Halabī ».

1 Comme ses prédécesseurs grecs et arabes, Avicenne a cherché dans les mathématiques des méthodes d’exposition, des procédés de démonstration et des instruments d’analyse. Comme eux, il s’est employé à éclaircir la connaissance mathématique et à fixer sa place dans l’encyclopédie des savoirs rationnels qu’il voulait constituer. Mais Avicenne appartenait à un âge nouveau des mathématiques, que même ses prédécesseurs les plus proches, comme al-Kindī et al-Fārābī, n’avaient pas connu : les mathématiques et les sciences mathématiques n’avaient depuis deux siècles cessé de s’étendre, de s’enrichir de nouvelles disciplines et de s’approfondir. Avicenne est lui-même contemporain d’Ibn al-Haytham et membre, à Khwārizm [1], de la cour animée par Ibn ‘Irāq et al-Bīrūnī. C’est l’époque où les mathématiciens étendaient les mathématiques hellénistiques au-delà de leurs frontières et créaient de nouvelles disciplines, telles que l’algèbre, la géométrie algébrique élémentaire, l’analyse indéterminée, la géométrie des projections de la sphère, la géométrie sphérique etc. C’est également à cette époque que l’on assiste à la mathématisation systématique des disciplines traditionnelles telles que l’astronomie et l’optique, ainsi que de certaines disciplines pratiques, liées aux héritages et aux transactions en particulier. Avicenne était donc bien l’homme d’un âge nouveau, l’âge de la multiplicité des disciplines mathématiques et de leur spécialisation forcée – spécialisation différente en extension et en compréhension de celle qui s’était déjà opérée à Alexandrie au troisième et au deuxième siècle avant notre ère, et de celle qu’on observe à Bagdad au cours de la seconde moitié du huitième siècle et au début du neuvième siècle. Désormais on distingue entre algébristes et géomètres, entre ceux-là et les astronomes, les astrolabistes, etc. Avec cette nouvelle spécialisation, les mathématiciens se sont emparés des questions qui étaient jusqu’alors l’apanage des philosophes, relatives aux fondements des mathématiques et à la théorie de la démonstration, comme l’attestent les écrits de Thābit ibn Qurra, d’Ibrāhīm ibn Sinān, d’al-Qūhī entre bien d’autres.

2 C’est ce nouveau contexte qu’il faut avoir à l’esprit pour traiter du rapport d’Avicenne aux mathématiques. On présume en effet que, dans ce nouveau contexte, les liens entre les disciplines ne sont plus les mêmes (en particulier entre mathématiques et philosophie) et que les lignes de partage entre les spécialités se déplacent. Il est désormais bien moins aisé qu’à l’époque d’al-Kindī d’être à la fois philosophe et mathématicien inventif, et le philosophe entretient avec les nouvelles mathématiques des rapports qui prennent en compte leurs diverses disciplines. Pour traiter d’Avicenne et les mathématiques, on ne peut donc s’en tenir aux généralités, aussi importantes soient-elles, mais il faut partir de la connaissance que celui-ci avait des différents chapitres et de l’usage qu’il en faisait effectivement. Je m’en tiendrai ici à quelques exemples qui ont, me semble-t-il, valeur de preuve, en ce que, sans négliger le vieux problème de l’examen de la connaissance mathématique et de son acquisition, tous révèlent une nouvelle conception des liens entre philosophie et mathématiques : c’est en effet quelque chose comme une philosophie analytique des concepts mathématiques que développe Avicenne.

3Dans sa somme al-Shifā’ comme dans d’autres écrits, Avicenne réserve une place substantielle aux sciences mathématiques. Pour ne parler que de cette œuvre, pas moins de quatre livres y sont consacrés aux mathématiques, lesquels contiennent, en la matière, « toutes les sciences des anciens, y compris la musique [2] ». Ainsi, à la différence de ses prédécesseurs comme al-Kindī, Avicenne ne concevait plus les écrits mathématiques comme une nouvelle recherche originale et séparée de l’encyclopédie philosophique, mais comme partie intégrante de cette dernière. Il s’agit, en première approche, de la somme mathématique propédeutique à la physique et à la métaphysique, donc indispensable à la formation du philosophe se devant de maîtriser l’encyclopédie des disciplines rationnelles. Cette somme, en dépit de quelques nouveautés, est traditionnelle, c’est-à-dire hellénistique. L’astronomie, par exemple, est celle de Ptolémée, quand bien même Avicenne, dans la première partie de sa rédaction, abandonne la langue de la corde de l’arc double au profit de celle, toute moderne, des sinus et des cosinus, empruntée à la géométrie sphérique d’al-Būzjānī, d’Ibn ‛Irāq et d’al-Bīrūnī.

4L’Arithmétique d’al-Shifā’ est, en gros, celle de néo-pythagoriciens de la tradition de Nicomaque de Gérase. Avicenne y intègre toutefois le théorème de Thābit ibn Qurra sur les nombres amiables, ainsi que la langue et quelques notions de l’algèbre ; à quoi il faut ajouter quelques résultats de l’étude des congruences développée par ses prédécesseurs et ses contemporains. Dans le traité de La Démonstration d’al-Shifā’, Avicenne évoque également le théorème d’al-Khāzin sur l’impossibilité de l’équation x 3 + y 3 = z 3 en nombres rationnels, sans toutefois s’arrêter à la toute nouvelle question logique, celle des propositions négatives, dont la démonstration ne se ramène pas rapidement à une réduction à l’absurde [3]. Il se réfère également – dans la Métaphysique[4] – à la question traitée par al-Sijzī, celle de la dérivation de toutes les figures à partir du cercle, sans pourtant s’arrêter aux conséquences mathématiques et méthodologiques qu’en tire ce dernier [5]. Deux exemples qui indiquent les limites de la connaissance qu’Avicenne pouvait avoir des mathématiques avancées de son temps.

5 Cette connaissance se présente ainsi sous un double aspect, et cela ressort de la lecture de ses différents écrits. Elle est, d’une part, à la fois vaste et multiforme, englobant les disciplines traitées dans les Éléments d’Euclide ; l’Optique de ce dernier ; l’Almageste et les Harmoniques de Ptolémée ainsi que, peut-être, le Livre des Hypothèses ; l’Arithmétique de Nicomaque de Gérase. Mais on note, d’autre part, l’absence des traités des mathématiques avancées de l’époque hellénistique, ceux d’Archimède, d’Apollonius, de Ménélaüs et de Diophante, par exemple, en dépit du fait qu’ils avaient été traduits en arabe et travaillés par les mathématiciens avant Avicenne. Ce choix est délibéré, car Avicenne était sans aucun doute au fait de l’algèbre d’al-Khwārizmī, ainsi que de l’arithmétique indienne et de la théorie des nombres de Thābit ibn Qurra et d’al-Khāzin.

6 Quel usage Avicenne faisait-il donc alors, en philosophie, de ce savoir mathématique ? Si cette question se pose notamment en relation avec son ontologie [6], nous voudrions aborder aujourd’hui deux autres lieux avicenniens de rencontre entre mathématiques et philosophie, lieux « analytiques » comme annoncé en introduction, à savoir :

7 1° Lorsque le philosophe pense pouvoir résoudre une difficulté mathématique à l’aide de l’analyse des concepts. Avicenne procède dans ce cas par l’élucidation philosophique de la difficulté rencontrée par les mathématiciens anciens et contemporains. C’est ainsi que le philosophe pense venir à bout des difficultés que présente l’étude de l’angle et de l’angle de contingence ou – exemple non moins important – qu’il aborde la mise en œuvre de la méthode d’exhaustion pour résoudre le problème de la quadrature du cercle.

8 2° Lorsque le philosophe élabore un modèle mathématique pour poursuivre sa recherche en métaphysique, en physique et en logique, à l’occasion, en particulier de ses critiques des thèses infinitistes, de la théorie des grandeurs géométriques et physiques ou de la théorie arithmétique des congruences.

Élucidation philosophique d’un problème mathématique

1/ Angle et angle de contingence

91.1/ Comment caractériser les concepts d’angle, d’angle mixtiligne, d’angle de contingence etc. tels qu’ils se présentent dans la géométrie d’Euclide ? On n’a cessé de poser cette question, telle quelle ou partiellement, depuis l’antiquité grecque et l’antiquité tardive. Les mathématiciens et les philosophes arabes s’en sont emparés à leur tour, toujours dans le cadre de la théorie des grandeurs euclidiennes. Ainsi, à la fin du x esiècle et au début du siècle suivant, tandis que le mathématicien Ibn al-Haytham tentait en Égypte de répondre à cette question, Avicenne s’efforçait-il de la résoudre dans l’Orient musulman. Mais alors que le mathématicien inventait le premier modèle théorique, qui ne sera dépassé que par Newton quelques siècles plus tard [7], le philosophe se livrait à une tâche interprétative : dissiper les obscurités inhérentes à la notion d’angle. Lecteur de Simplicius et de Jean Philopon, travaillant avec Abū Sahl al-Masīhī (lui-même très versé dans les sciences hellénistiques), Avicenne ne pouvait ignorer les débats et controverses où s’étaient affrontés les anciens, et les modernes, à propos de l’angle. Au reste, si Avicenne a opté pour cette démarche d’élucidation, c’est délibérément, car il avait les moyens de discuter en géomètre de la notion d’angle. D’autre part, ce n’est pas là où elle se pose, c’est-à-dire dans la Géométrie d’al-Shifā’ où il propose une rédaction de la science des Éléments, le troisième livre notamment, qu’Avicenne aborde cette question, mais dans les livres logiques, physiques et métaphysiques de cet ouvrage. C’est donc bien en philosophe qu’il entend étudier l’angle, avec l’intention de trancher un débat qui se poursuivait depuis Proclus au moins à propos de la catégorie – ou des catégories – dont il relève ; et, précisément, c’est dans les Catégories d’al-Shifā’ qu’il engage cette tâche.

10 Avicenne y recherche une définition suffisamment générale pour englober les deux espèces d’angle, le plan et le solide. Il définit alors l’angle comme une grandeur, miqdār, sans d’ailleurs bien soupçonner les abîmes que re­couvre une telle définition. Il écrit : « […] Il est angle en tant que la grandeur est limitée par deux – ou des – limites qui rencontrent une limite [8] ».

11 Ainsi, l’angle plan est une surface bornée par deux limites, deux lignes, qui se rencontrent en un point, et il a deux dimensions (bu‛d), l’une élevée sur l’autre. L’angle solide est un solide limité par des surfaces qui se rencontrent en une ligne. L’angle en tant que grandeur relève donc de la catégorie de la quantité.

12 Cette définition englobe plusieurs éléments : une surface ou un solide ; les limites qui l’entourent ; des points où les lignes se rencontrent pour former l’angle plan ou des lignes où les surfaces se rencontrent pour former l’angle solide, ainsi que les modes de ces rencontres. Ces différents éléments se composent selon une hay’a, une configuration, qui, elle, détermine l’angle. Ce terme, hay’a, signifie à la fois une figure et une formation ou une détermination convenable. On parle ainsi de hay’a al-‛Ālam – la configuration de l’Univers –, de ‛ilm al- hay’a – l’astronomie comme « science de la configuration (sc. de l’univers) ». Le terme peut être rendu par « configuration », « organisation », voire « structure ».

13 Cette configuration, dit Avicenne, comme celle de courbe, rectiligne, triangulaire etc., relève de la catégorie de la qualité. Il écrit : « De même la configuration de l’angle est une qualité [9]. »

14 Avicenne soutient en fait dans les Catégories que l’angle relève de deux catégories au moins : la quantité et la qualité. Il est, si l’on peut dire, une organisation qualitative de la quantité ; ou encore une qualité appropriée à la quantité, comme le fait d’être rectiligne, circulaire, etc. Mais, si l’on s’attarde sur la définition de l’angle proposée, on doit encore y adjoindre deux catégories : la position et la relation. L’angle est donc un objet qui appartient à plusieurs catégories à la fois, ce qui le dote d’un mode d’existence plus formel que celui d’un objet qui relèverait d’une seule catégorie. On peut d’ailleurs voir là les raisons pour lesquelles Avicenne définit l’angle comme hay’a : il veut ainsi structurer ses divers éléments, les unifier et les munir de cette existence formelle [10].

15 Cependant, Avicenne savait mieux que quiconque que l’angle ne vérifie pas la définition euclidienne de la grandeur. Aussi a-t-il dû reprendre sa définition ; c’est ce qu’il fait dans la Métaphysique d’al-Shifā’ (Livre V, 9), lorsqu’il examine la notion de définition. Il prend l’exemple de la définition de l’angle aigu et de la catégorie dont il relève. Il distingue donc (à la suite du Stagirite aux livres Z et M de la Métaphysique[11]) entre l’existence de l’angle aigu et sa définition. Il montre que, pour établir l’existence de cet angle, on n’a pas besoin de supposer qu’il est une partie d’un autre angle, ni de le comparer à l’angle droit et à l’angle obtus. Il est, écrit-il, « en lui aigu en raison de la position de l’un de ses deux côtés auprès de l’autre [12] ». Mais cette position en tant que telle nous ramène à la catégorie de la relation. En effet, l’inclinaison d’un côté sur l’autre, leur proximité ou leur écart etc., relèvent bien de cette catégorie. Faudrait-il, pour définir l’angle, faire intervenir une troisième catégorie ? La réponse d’Avicenne est que, même si cela « n’indique pas une relation en acte en raison de sa difficulté, il l’indique en puissance en introduisant une relation en acte [13] ». Si donc l’existence de l’angle aigu n’exige pas qu’il soit considéré comme une partie d’un autre angle, qu’en est-il de sa définition ? Comme on ne peut définir une chose par elle-même, on ne peut définir l’angle aigu par lui-même. Avicenne a donc recours à l’angle droit : on dira que l’angle aigu est formé de deux droites qui se rencontrent en un point, et dont l’inclinaison de l’une sur l’autre est plus grande que dans le cas de l’angle droit, où l’une est élevée sur l’autre. Pour justifier ce recours, Avicenne s’explique ainsi :

16 […] Il reste donc, nécessairement, que sa définition se fait à l’aide de l’angle droit, qui ne reste pas préservé si l’on incline <l’un de ses côtés>. C’est comme si l’on disait : l’angle aigu est celui qui procède de deux droites dont l’une s’élève sur l’autre et s’incline plus que la ligne d’un angle droit si ce dernier était réalisé, en sorte qu’il soit plus petit que l’angle droit si celui-ci existait. Et nous n’entendons pas par là que l’angle aigu est en acte objet de comparaison avec un angle droit qui l’excède – car alors, la définition sera fausse –, mais avec un angle droit pourvu de cette détermination <à savoir, s’il existait, de l’excéder>. Et l’angle droit pourvu de cette propriété, c’est en tant qu’il est en puissance elle-même en acte puissance qu’il est un angle droit en puissance. Car à la puissance [14] en tant qu’elle est puissance appartient une existence en acte. De fait, il arrive que la puissance soit elle aussi en puissance, à savoir la puissance éloignée de l’acte, puis elle devient en acte puissance prochaine. Ainsi, la puissance prochaine en vue de l’engendrement de l’homme, dans la nourriture, est en puissance, puis, quand elle se transforme en sperme [15], cette puissance prochaine en puissance passe à l’acte, alors même que son acte n’est pas existant [16].

17 Pour définir l’angle aigu, on le rapporte donc à l’angle droit, non pas en acte absolument, mais par la puissance « elle-même en acte puissance ». Cette solution pour le moins intuitive permet à Avicenne de tenir compte, pour définir l’angle aigu, de la catégorie de la relation en même temps que des autres catégories.

18 1.2/ Avicenne a éprouvé le besoin de consacrer à l’angle un écrit indépendant [17]. Dans ce mémoire, il commence par examiner systématiquement les différentes doctrines relatives à l’angle, pour ensuite les critiquer et formuler la sienne propre. Il s’agit donc d’un écrit analytique et critique qu’Avicenne a rédigé, comme il le dit lui-même, à la suite de ses entretiens avec Abū Sahl al-Masīhī. Son but est manifeste : élucider, certes, cette notion générale d’angle – plan et solide –, mais sans s’arrêter aux diverses espèces étudiées par les géomètres : rectiligne, curviligne, mixtiligne, concave, convexe etc. Tout se passe comme si, dans ce mémoire, Avicenne avait voulu éviter de reprendre les questions épineuses discutées par ses prédécesseurs et par ses contemporains, celles de l’angle curviligne et de l’angle de contingence. Non qu’il ignorât le sujet, puisqu’il l’évoque à plusieurs reprises lorsqu’il aborde la critique des doctrines atomistes. Dans la Physique d’al-Shifā’ par exemple, il écrit :

19 Parmi leurs arguments, l’existence d’un angle indivisible, celui qu’Euclide a posé comme le plus petit des aigus [18].

20 Dans son livre al-Mubāhathāt[19], il évoque également l’angle de contingence dans un contexte semblable mais n’aborde pas ces questions difficiles, se bornant à affiner ses thèses sur l’angle en général.

21 Avicenne commence par énumérer les différentes thèses soutenues par ses prédécesseurs et ses contemporains sur les catégories dont relève l’angle. À cette occasion, il apporte deux témoignages remarquables, l’un à propos de Thābit ibn Qurra (826-901) et l’autre à propos d’Abū Hāmid al-Isfizārī [milieu du x esiècle]. De « celui qui considère que l’angle relève de la position », il écrit :

22 c’est Thābit ibn Qurra de Harrān, et un groupe d’anciens. Ce qui a entraîné cela, c’est que l’angle est engendré à partir du rapport des limites de la chose, ou des parties de sa limite les unes aux autres, dans <toutes> les directions ; et c’est la position. Par conséquent, l’angle relève de la catégorie de la position [20].

23 Ce témoignage, d’autant plus précieux que le texte de Thābit ibn Qurra ne nous est pas parvenu, nous informe que les positions de l’angle sont celles de l’étendue – ou de la surface – auxquelles se superposent ses parties. Ce sont les relations de ces parties les unes aux autres qui définissent la position.

24 Le second témoignage est tout aussi important. Avicenne nous apprend en effet que le philosophe Abū Hāmid al-Isfizārī soutenait que

25 l’angle est une certaine quantité, autre que la ligne, la surface et le solide, mais c’est une espèce de quantité qui est engendrée entre deux espèces. Ainsi, l’angle plan est engendré entre la ligne et la surface, […] De même, l’angle solide est entre la surface et le corps. [21]

26 Avicenne rejette les deux thèses, celle de Thābit ibn Qurra et (avec humeur) celle d’Abū Hāmid al-Isfizārī.

27 Au second chapitre de son mémoire, Avicenne se livre à l’examen critique des différentes thèses, de manière purement logique, c’est-à-dire sans recourir à la géométrie. Par exemple, pour critiquer la thèse selon laquelle l’angle relève de la catégorie de la qualité, il commence par dénoncer l’affirmation sur laquelle elle repose : l’angle admet similitude et non-similitude. C’est en effet un argument équivoque car, par « similitude et non-similitude », c’est en fait l’égalité et la non-égalité qu’on devrait avoir en vue, or l’on glisse ainsi vers la catégorie de la qualité.

28 Une fois achevé l’examen des cinq thèses, Avicenne est en mesure d’élaborer la sienne propre, ici encore en philosophe analytique. Il part de la définition la plus simple et communément admise : « L’angle est la surface (ou le solide) qui aboutit au point » ; puis il critique cet énoncé et l’enrichit graduellement pour parvenir à sa propre définition. Il commence par le trouver « bon », pour aussitôt remarquer qu’il n’est pas « vrai », car le point en soi n’est évidemment pas l’extrémité de la surface, mais l’extrémité de son extrémité. Force est alors de rectifier la définition pour admettre, dans le cas de l’angle plan, que la surface aboutit à ce qui aboutit au point. On dira alors que l’angle est une surface comprise entre deux extrémités qui aboutissent à une seule extrémité ; ou, plus concrètement, que l’angle est une surface comprise en acte par deux lignes qui se joignent ou qui se touchent.

29 Mais cette nouvelle définition, comme Avicenne le remarque lui-même, est équivalente à celle dont il est parti, même si elle est plus explicite et plus claire. Elle n’est donc pas plus satisfaisante, pour deux raisons au moins. D’une part, elle n’est pas assez générale pour valoir pour tous les angles – chacun sait que l’angle solide n’a pas pour extrémité un point, mais une ligne. D’autre part, elle ne permet pas de distinguer l’angle des figures telles que les triangles, les carrés etc., qui elles aussi aboutissent à un point.

30 Il va donc falloir modifier la définition pour qu’elle englobe les deux sortes d’angles, et lui adjoindre une propriété spécifique qui permette de distinguer l’angle des autres figures géométriques. Cette démarche amène d’abord Avicenne à critiquer deux autres définitions de l’angle, qu’il finit par écarter. La première, qui évoque celle d’Aghānīs (membre du cercle néoplatonicien de Simplicius), conçoit l’angle comme une grandeur ayant plus d’une dimension, qui aboutit à un point. Avicenne l’écarte : elle conviendrait tout au plus au seul angle plan et n’est donc pas générale.

31 Selon la seconde définition, « l’angle est une surface limitée par une seule ligne qui est déviée en un point [22] ». Avicenne montre qu’elle comporte un ajout tel que, si on l’ôte, on retrouve la première définition. On sous-entend effectivement dans cette seconde définition que « la ligne limite la surface ; donc, ou bien cette ligne est deux lignes unifiées en un point, ou bien réellement une ligne [23] ». Dans une longue discussion sur l’un (al-wāhid), l’unifié (al-muttahid ) et l’union (al-ittihād ), Avicenne montre que les deux branches de l’alternative sont l’une et l’autre impossibles. En fait, dans cette définition, on ne fait intervenir qu’une seule ligne, mais celle-ci est brisée ; il en résulte deux lignes que l’on unifie en une seule et cette ligne n’est pas une seule ligne, mais bien l’unification de deux lignes. On est donc en présence d’un sophisme.

32 Au cours de cette analyse, Avicenne aborde une dernière question, celle de savoir si le point de l’angle – celui sur lequel se rencontrent les deux lignes – est un seul point ou deux points, c’est-à-dire un point simple ou un point double. Cette question avait été agitée par les mathématiciens, à l’instar d’Ibn al-Haytham, à propos du point de contact de la tangente [24]. Avicenne écrit :

33 Mais, s’il y a deux points, cela est plus évident, et c’est là une opinion à laquelle ont souscrit bien des gens savants. Ils ont alors imaginé qu’il n’est pas possible que les angles soient des points uniques, car il n’est absolument pas possible que le point ait deux côtés : il n’est pas l’extrémité de deux lignes. Ici, nous n’avons pas besoin de prouver la vérité ou la fausseté de cette opinion car, pour connaître cela, il faut davantage d’explications que ce que nous avons [25].

34 Ainsi, il écarte la question importante de la multiplicité du point de rencontre ou de contact. À l’aide donc d’une analyse conceptuelle et critique, Avicenne s’efforce de déterminer les éléments nécessaires à la définition de l’angle plan en général. Ces éléments sont ceux déjà soulignés dans les Catégories :

35

  1. Deux lignes dont l’union se fait selon une certaine configuration (hay’a).
  2. Cette configuration elle-même.
  3. Une surface limitée par les deux lignes qui lui sont extérieures.
  4. La surface et les deux lignes comme une entité composée.

36 On a donc quatre éléments inséparables pour définir l’angle plan ; trois d’entre eux appartiennent à la catégorie de la quantité et un seul à la catégorie de la qualité. Ce dernier est précisément la configuration selon laquelle se réunissent les deux lignes, qui, comme toutes les autres configurations, relèvent de la qualité. En un mot, l’angle en tant qu’angle, c’est-à-dire indépendamment de toute autre détermination, est un objet composé d’une surface comprise par des limites et appartient de ce fait à la catégorie de la quantité. Mais cette limitation s’opère selon une certaine configuration, laquelle appartient à la catégorie de la qualité. Ainsi, le problème traité par Avicenne dans ce texte est en fait celui de la définition d’un objet complexe tel que l’angle, comme on l’a vu précédemment.

37 1.3/ Quant à l’angle de contingence, Avicenne l’évoque dans al-Shifā’ et dans al-Mubāhathāt lors de la discussion de la thèse des atomistes. Considérons seulement deux exemples ; l’un porte sur la divisibilité de cet angle et l’autre sur sa comparaison aux autres angles.

38 Contrairement aux atomistes, Avicenne soutient que l’angle de contingence est divisible, non par des droites mais par des arcs de cercle. Il écrit :

39 […] or il est divisible et il y a en puissance un nombre infini d’angles plus petits que lui. On a, en effet, établi la démonstration qu’il n’y a aucun angle rectiligne aigu plus petit que celui-ci. Mais dire qu’il n’existe aucune chose, ayant une telle propriété, plus petite qu’une telle chose, cela ne prouve pas qu’il n’existe pas du tout une chose plus petite qu’elle. Toute personne qui a acquis une connaissance des principes de la géométrie sait que cet angle est divisible indéfiniment par les arcs [26].

40 Remarquons que cet argument reposant sur la divisibilité par les arcs se trouve déjà chez Jean Philopon [27].

41 Avicenne revient à l’angle de contingence lors de la discussion de l’existence de l’égal comme relevant de ce qui admet le plus grand et le plus petit. Il écrit :

42 Nous connaissons avec certitude que l’angle rectiligne aigu est plus grand qu’un angle formé par un arc et une droite [l’angle de contingence] et plus petit qu’un autre [l’angle formé par un diamètre et la circonférence], et il est impossible que l’un des angles rectilignes aigus soit égal à l’une et à l’autre sorte. Nous ne disons pas que l’angle rectiligne aigu est plus grand que l’un des deux angles [l’angle de contingence] car l’angle curviligne [de contingence] existe en acte dans celui-là plus l’excédent d’un angle ; tandis que l’autre [celui formé par un diamètre et la circonférence] est plus grand que le rectiligne <aigu>, car le rectiligne se trouve en lui plus un excédent [28].

43 Notons que, cette fois encore, la question est traitée par Jean Philopon dans son commentaire des Seconds Analytiques[29].

44 Lors de sa rédaction de la Physique d’al-Shifā’, Avicenne était donc au fait des discussions sur l’angle de contingence et connaissait tout au moins celles de Jean Philopon. Fort de ces lectures, Avicenne a consacré un écrit à l’angle de contingence, dont le contenu a été conservé par Qutb al-Dīn al-Shīrāzī. Voici en quels termes al-Shīrāzī rapporte les propos tenus par Avicenne dans cet écrit perdu :

45 On lui doit en effet un traité selon lequel l’angle qui est formé de la circonférence et de la tangente, comme l’angle CAE, n’a pas de quantité, devenant pour lui un angle selon la qualité seulement – car il est à partir du contact de deux lignes par leur inclinaison sur une surface et qui ne se rejoignent pas sur leur prolongement – pour indiquer que l’angle CAB, qui est entre la circonférence et le diamètre, est droit, fixe ; étant donné que, s’il était moindre qu’un droit, alors l’angle CAE aurait une quantité et un rapport à l’angle EAB, qui est droit.

Figure 1.

Figure 1.

Figure 1.

46 Ainsi, si l’angle CAE était dupliqué de nombreuses fois, il serait plus grand que l’angle EAB car, entre les critères des grandeurs dont les unes ont des rapports aux autres, il y a que, si leurs doubles sont multipliés, les unes excéderont les autres.

47 Soit l’angle EAH et que les doubles aient pour nombre I. Si donc on divise l’angle droit EAB par I, on obtient un angle plus petit que l’angle CAE. Ceci est absurde car il est plus petit que tout angle aigu. Ainsi, les doubles de l’angle CAE, même si on les multiplie, n’excèdent pas l’angle EAB ; et s’ils ne l’excèdent pas, ils ne seront pas égaux à une partie ou à une certaine portion de lui, car toute partie ou certaine portion, doublée, sera plus grande que le tout. Mais, puisque, comme autre critère entre deux grandeurs différentes ayant des rapports les unes aux autres, il y a que, si on retranche de la plus grande d’entre elles etc., alors l’angle CAE, s’il avait une quantité, il aurait un rapport à l’angle droit EAB. Si donc on retranche de l’angle EAB plus grand que sa moitié etc., alors l’angle CAB, qui est entre la circonférence et le diamètre, est droit et complet ; et si on prolonge le diamètre du cercle, alors l’angle entre la circonférence et <le segment> mené du diamètre est aussi droit, pour compléter deux droits. Ce qu’il fallait démontrer.

48 Telle est la somme de ce qu’il a mentionné dans ce traité ; elle est trop évidemment corrompue pour que cela ne se voie pas, et bien plus que ce qu’on peut énumérer. Mais ceci est sans ambiguïté pour un imbécile, pour ne pas parler d’un intelligent. Quant à la fausseté de son affirmation selon laquelle l’angle CAE n’a pas de quantité, c’est parce que la sensation le dément, et aussi l’intellect, puisqu’il admet d’être divisé à l’infini par les lignes arquées. Quant à la fausseté de la commensurabilité, c’est par un rien ; nous n’admettons pas, en effet, que, si l’angle CAE avait une quantité, il aurait un rapport à l’angle droit EAB, étant donné que tout ce qui a une quantité n’a pas un rapport à tout ce qui a une quantité ; sinon, la ligne aurait un rapport à la surface, par exemple. Mais ce qui a une quantité a un rapport à ce qui a une quantité, s’il est de son genre. Mais, s’il n’est pas de son genre, alors c’est non. Or la démonstration de la non-homogénéité de l’angle de contingence à un autre s’est présentée plus d’une fois [30].

49 Avicenne semble s’écarter ici quelque peu de la thèse soutenue dans al-Shifā’. On vient d’y lire, en effet, que l’angle de contingence est divisible en puissance à l’infini par les arcs des cercles, et qu’il est donc, en puissance tout au moins, une quantité. Or, dans l’écrit que nous évoquons, Avicenne déclare que l’angle de contingence n’a pas de quantité, mais qu’il n’est angle que selon la qualité. Il propose une démonstration dont l’idée principale est que l’angle CAB est droit et que, par conséquent, l’angle de contingence CAE n’a pas de quantité puisque l’angle BAE est, lui aussi, droit. Comme l’avait remarqué al-Shīrāzī, cette démonstration est fautive, de son point de vue selon lequel il existe des grandeurs non archimédiennes non nulles. En fait, Avicenne voulait montrer que l’angle de contingence est une configuration particulière qui, à ce titre, relève de la catégorie de la qualité.

50 Tous ces thèmes développés par Avicenne seront repris par les mathématiciens et les philosophes avicenniens, comme Nasīr al-Dīn al-Tūsī, Qutb al-Dīn al-Shīrāzī, Kamāl al-Dīn al-Fārisī et, bien plus tard, l’astronome al-Khafrī [31] et le philosophe Sadr al-Dīn al-Shīrāzī [32].

2/ La quadrature du cercle

51L’étude de l’angle de contingence opère un coup de sonde dans la connaissance mathématique d’Avicenne, en révélant comment le philosophe pense pouvoir venir à bout d’une difficulté mathématique armé des seuls moyens de la philosophie. L’analyse logique et critique permet à ses yeux, en identifiant les causes de cette difficulté mathématique, de la dissiper. Dans le cas de l’angle, l’analyse a permis de ramener le problème à celui des grandeurs et des catégories, pour conduire finalement à la notion de l’angle comme « configuration ». Cette notion sera ensuite investie par les mathématiciens avicenniens, dont certains, inspirés par les écrits d’Ibn al-Haytham, l’infléchiront vers une théorie de la « configuration » comme ensemble de relations structurées, en liaison avec la mathématisation alhazenienne du concept de lieu [33]. Quant à l’angle de contingence, l’analyse n’a pas mené à la solution de la difficulté ; elle n’a fait que l’annuler.

52 Mais Avicenne ne réserve pas cette démarche à l’étude de l’angle et de l’angle de contingence. Il l’ajuste à d’autres problèmes mathématiques, comme celui de la quadrature du cercle, laquelle porte également sur la comparaison des grandeurs non-homogènes. Chacun sait qu’Aristote a abordé ce problème plus d’une fois lors de sa critique des tentatives de quadrature d’Hippocrate de Chio, d’Antiphon et de Bryson. Ammonius, le maître de Simplicius, y revient. Ce dernier écrit :

53 Notre maître Ammonius a dit qu’il n’était peut-être pas nécessaire, si cela s’est trouvé être le cas pour les nombres, que cela se trouve être le cas aussi pour les grandeurs. Ce sont des grandeurs non homogènes, en effet, que la droite et l’arc de cercle. « Il n’y a rien », dit-il, « de surprenant, à ce qu’on ne trouve pas de cercle égal à un polygone rectiligne, si du moins cela se trouve être le cas aussi pour les angles. De fait, un angle rectiligne ne saurait être égal ni à l’angle du demi-cercle ni à celui qui est de reste par rapport à l’angle droit, qu’on appelle corniculaire. C’est la raison pour laquelle », dit-il, « ce théorème, qui a fait l’objet des recherches d’hommes si illustres, n’a pas reçu de solution jusqu’à présent, même d’Archimède en personne ». Pour ma part, je disais à l’encontre de mon maître que s’il est vrai qu’une lunule – celle sur le côté du carré – peut être carrée (cela a fait l’objet d’une déduction où n’entre pas de faux-semblant) et si la lunule est homogène au cercle du fait qu’elle est composée d’arcs de cercle, qu’est-ce qui empêche que le cercle aussi, pour autant qu’il est en lui, soit carrable ? Mais si la surface de la lunule est dissemblable à celle du cercle en raison des cornes, alors toute lunule sera aussi dissemblable au polygone rectiligne. Mais pourtant, la lunule qui entoure le côté du carré se laisse carrer. Cependant, les angles, ceux du demi-cercle comme les corniculaires, composés les uns comme les autres d’un arc de cercle et d’une droite, sont non seulement non homogènes à l’angle rectiligne, mais ils lui sont même incommensurables. Par conséquent, ce qui est dit n’est pas suffisant, je pense, pour infirmer la découverte de la quadrature [34].

54 Cette fois encore, pour illustrer la différence entre le style du mathématicien et celui du philosophe, confrontons brièvement l’étude d’Ibn al-Haytham et celle d’Avicenne.

55 Dans son étude, Ibn al-Haytham avait éliminé la singularité du problème en l’intégrant à un domaine plus vaste, celui de la quadrature des lunules, des surfaces et des solides courbes. Pour la quadrature du cercle, il commence par démontrer rigoureusement à l’aide de la méthode d’exhaustion que, pour un cercle de diamètre d inscrit dans un carré d’aire A, il existe un rapport k entre

56 l’aire du cercle et l’aire du carré tel que

Figure 1.
. La difficulté est que ce rapport

57 n’a pas une valeur déterminable.

58 Face à cette valeur transcendante, le mathématicien engage une profonde réflexion sur la question d’existence en mathématiques et sur le rapport entre existence et construction. Bref, pour construire un modèle mathématique de cette quadrature, il commence par déplacer les frontières même du domaine des objets considérés.

59 À son tour, Avicenne, dans son livre sur La démonstration d’al-Shifā’, reprend l’exemple de la quadrature du cercle, mais en logicien-philosophe. Fidèle à sa conception de la tâche philosophique, il ne cherche pas à rectifier la démonstration de Bryson déjà critiquée par Aristote [35], ni à démontrer que cette quadrature est, ou non, possible ; son projet est d’exhiber la cause logique qui a empêché cette preuve de Bryson d’être un syllogisme démonstratif. Dans le style qui est le sien, il commence par évoquer le principe de cette preuve et les principales critiques qui lui ont été adressées. Bryson voulait démontrer que l’aire du cercle est plus grande que l’aire de tout polygone inscrit et plus petite que l’aire de tout polygone circonscrit, pour conclure ensuite que cette aire est égale à celle d’un polygone plus grand que tout polygone inscrit et plus petit que tout polygone circonscrit, et que par conséquent il existe un polygone dont l’aire est égale à celle du cercle [36].

60 Ce qui, évidemment, fait problème dans cette preuve, c’est qu’elle n’établit pas l’existence de ce polygone intermédiaire dont l’aire devrait être égale à celle du cercle. Mais ce n’est pas pour cette raison, semble-t-il, qu’Aristote l’avait dénoncée comme « sophistique » : il lui reprochait de s’appuyer sur des prémisses qui, même si elles sont vraies, ne remplissent cependant pas les autres conditions requises par une véritable démonstration. Pour avoir un syllogisme démonstratif, il faut en effet que les prémisses soient du même genre que ce qu’on cherche à démontrer, c’est-à-dire, en l’occurrence, qu’elles soient géométriques. Or les prémisses de Bryson sont communes à beaucoup d’autres choses : nombres, temps, couleurs, températures etc.

61 Aristote revient à cette critique à plusieurs reprises : dans les Premiers Analytiques II.25, les Seconds Analytiques I.9, les Réfutations sophistiques 11 – autant de textes qu’Avicenne connaissait dans leur traduction arabe. [37] Avicenne émet cependant des réserves sur cette critique et rappelle qu’il suffit de reformuler les prémisses de Bryson pour remédier à ce défaut.

62 Le raisonnement de Bryson, rappelons-le, consiste à considérer le cercle comme un intermédiaire entre les polygones inscrits, en nombre infini en puissance, et les polygones circonscrits, en nombre infini en puissance. Par « intermédiaire », on entend ce qui est plus grand que tous les inscrits et plus petit que tous les circonscrits. Bryson conclut qu’il existe un polygone plus grand que tous les inscrits et plus petit que tous les circonscrits, que donc le cercle et ce polygone ont des aires égales. Or, si de fait le cercle est plus grand que tous les polygones inscrits et plus petit que tous les polygones circonscrits, il n’est pas lui-même un polygone : la borne supérieure d’un ensemble n’est pas toujours son plus grand élément.

63 Avicenne souligne toutefois que, pour que cette démonstration soit valable, il faut supposer que le nombre des polygones – aussi bien inscrits que circonscrits – est infini, à moins que l’on puisse disposer ces polygones en deux suites dénombrables dont les termes soient, en plus, contigus ; ce qui est impossible pour les figures géométriques :

64 Si on suppose que les figures sont des figures déterminées, sans supposer qu’elles sont en nombre infini, les deux intermédiaires (le polygone dont l’aire serait égale à celle du cercle et le cercle) ne seront pas nécessairement égaux ; à moins de disposer ces figures selon un ordre continu (tartīb muttasil ), ce qui n’est pas possible pour les figures ; car, pour toute figure que nous supposons plus petite que le cercle, il y a une autre figure plus grande qu’elle et une figure plus petite que le cercle. De plus, il nous est nécessaire que les inscrits et les circonscrits soient des figures en nombre infini. Dès lors, il (Bryson) s’est trompé de deux manières : l’une dans la démonstration et l’autre dans le recherché [38].

65 Une telle exigence suppose qu’au préalable, comme l’avait souligné Aristote, les termes de la prémisse de Bryson soient géométriques. Mais, pour Avicenne, l’essentiel de l’erreur de la démonstration de Bryson n’est pas là. Si en effet ce dernier s’est trompé, c’est parce qu’il a considéré des choses en nombre infini en puissance et les a posées comme prémisses. Or, ce qui est en puissance, écrit-il, « n’est pas parmi les accidents essentiels des figures, ni parmi les accidents essentiels du genre de la quantité [39] ».

66 Quant à la seconde erreur de Bryson, celle qui touche au recherché, elle est du même genre que la première : le polygone dont l’aire serait égale à celle du cercle n’existe qu’en puissance et nullement en acte, et il est donc inconnu. Les objets géométriques « […] existent en acte dans l’imagination et l’intellect [40] ».

67 Telles sont, selon Avicenne, les raisons de la difficulté de la quadrature du cercle proposée par Bryson et discutée par Aristote.

Modèles mathématiques et recherches philosophiques

68 Recourir aux arguments mathématiques lors de l’étude des problèmes philosophiques est, comme on sait, une pratique aussi ancienne que la philosophie elle-même. Il suffit de parcourir les ouvrages logiques, mais aussi physiques et métaphysiques d’Avicenne pour constater que ces arguments s’y présentent, sous différentes formes et à plusieurs niveaux de la réflexion. Ils vont de la simple évocation d’un théorème connu à un calcul de congruences, par exemple, ou encore à l’emprunt ou à la construction d’un modèle mathématique pour étayer une thèse philosophique. C’est cette dernière démarche qui nous intéresse ici. Nous ne considérerons qu’un seul thème : la théorie des grandeurs, avec la critique des thèses infinitistes qui lui est inhérente. Mais, avant d’examiner quelques-uns de ces modèles, rappelons trois traits qui les distinguent et qui expliquent leur portée comme leurs limites.

69 Les modèles, empruntés ou construits, ont été façonnés dans les termes de la géométrie euclidienne, admettant donc le postulat des parallèles et la notion commune : « Le tout est plus grand que la partie. » Mais, à la différence d’Aristote et d’Euclide lui-même, et à la suite des géomètres de son temps, tels al-Qūhī et al-Sijzī, Avicenne n’hésite pas à introduire le mouve­ment dans ces modèles géométriques.

70 Un second trait caractérise ces modèles lorsqu’il s’agit de problèmes cosmologiques : Avicenne commence par réduire ceux-ci à des problèmes géo­- métriques où intervient l’infini, avant d’élaborer un modèle cinématique pour critiquer les infinitistes.

71 Enfin, lorsqu’il s’agit de l’infini, Avicenne ne considère que son existence et jamais la question de sa mesure – alors que cette dernière question a été abordée, pour la première fois dans l’histoire, par son prédécesseur, le mathématicien Thābit ibn Qurra.

72 Au cours de ces études analytiques et critiques, Avicenne parvient à avancer des arguments valides pour qui s’en tient au cadre de cette géométrie euclidienne. Il faudra attendre les débuts du xix esiècle pour pouvoir montrer ce qui leur fait défaut. On comprend que les successeurs d’Avicenne, et non des moindres puisqu’on y compte Nasīr al-Dīn al-Tūsī, aient repris ces modèles sans rien y trouver à redire ; et lorsque ceux qui sont hostiles à Avicenne, comme Abū al-Barakāt al-Baghdādī ou Ibn Ghaylān, avancent des critiques à leur endroit, celles-ci se retournent contre leurs auteurs [41].

73 Nous allons commencer par examiner deux modèles géométriques avant d’en venir aux modèles cosmologiques.

1/ Modèles géométriques

74 Ces modèles sont fondés, selon Avicenne, sur la superposition de deux droites : l’une est infinie du côté de l’une de ses deux extrémités ; l’autre est cette même droite, mais tronquée d’un segment à partir de l’extrémité où elle est finie. On montre alors, comme l’écrit al-Tūsī dans son commentaire des Ishārāt : « […] l’impossibilité de leur égalité en raison de l’impossibilité de l’égalité de la partie au tout [42] ».

75 Avicenne reprend ce modèle dans la Physique d’al-Shifā’ [43] et considère une droite AB prolongée indéfiniment du côté de B. On ôte de cette droite un segment AC du côté de son extrémité A. On trace ensuite la droite DE parallèle à AB, avec D à la verticale de C, et on prolonge indéfiniment DE du côté de E.

Figure 2.

Figure 2.

Figure 2.

76 On imagine alors que DE est orthogonalement projetée sur AB en faisant coïncider D avec A.

77 Avicenne distingue deux cas : si les deux droites coïncidaient entièrement, on trouverait que le tout (AB prolongée) est égal à la partie (CB prolongée) ; ce qui contredit la notion commune selon laquelle le tout est plus grand que la partie.

78 Second cas : si, au contraire, DE projetée sur AB ne se superposait pas complètement à celle-ci mais en différait du segment AC, alors AB (prolongée) et DE (prolongée) seraient inégales. Or, selon la thèse traditionnelle selon laquelle l’infini ne peut être plus grand qu’un autre infini [44], AB et DE sont toutes les deux finies, ce qui contredit l’hypothèse. On conclut qu’une grandeur infinie ne peut pas exister. Or on sait que la notion commune n’est pas valable pour les ensembles infinis. Quant à la thèse traditionnelle selon laquelle l’infini ne peut être plus grand que l’infini, elle avait déjà été critiquée par Thābit ibn Qurra, un siècle au moins avant Avicenne [45]. Ou bien ce dernier ignorait l’existence de ce traité, ou bien il l’avait négligé, ne portant que peu d’intérêt à un texte où le concept de l’infini actuel est défendu contre la tradition aristotélicienne.

79 Abū al-Barakāt al-Baghdādī (d. 547 H) critique ce modèle en ces termes :

80 C’est un argument fallacieux, car on l’invoque en faisant se mouvoir la droite et en la tirant de là où elle est la plus courte jusqu’à ce qu’elle se superpose à la première extrémité. Or on ne conçoit pas un mouvement de l’infini, et si on concevait un mouvement pour lui, alors son extrémité se mouvrait avec son ensemble [46].

81 Cette même critique sera reprise et explicitée par Ibn Ghaylān qui, contrairement à Abū al-Barakāt, attribue ce modèle nominalement à Avicenne. Il écrit :

82 On pourrait en effet placer le point D au point A s’il était possible de faire se mouvoir la droite DE par l’imagination et de la tirer jusqu’à ce que les deux points coïncident. Mais il est impossible de tirer une droite en faisant se mouvoir son commencement sans faire se mouvoir sa fin ; or il n’y a pas de fin pour la droite infinie telle qu’elle se meuve ou ne se meuve pas. Ainsi son commencement ne se meut pas et il n’est donc pas possible de placer le point D au point A. Et ainsi la droite DE ne coïncide pas avec la droite AB. Donc l’impossibilité ne s’ensuit pas nécessairement [47].

83 L’objection d’Abū al-Barakāt et d’Ibn Ghaylān revient à dire que, pour déplacer une droite, il faut déplacer ses extrémités. La droite DE, prolongée indéfiniment, n’a pas d’extrémité et ne peut donc être déplacée pour être amenée à coïncider avec la droite AB.

84 Avicenne propose dans al-Ishārāt un second modèle pour réfuter la thèse des infinitistes. Il écrit :

85 Il faut que tu sois certain qu’une distance ne peut se prolonger ni dans un plein ni dans un vide – si celui-ci existe – à l’infini ; sinon, il serait permis de supposer deux étendues infinies à partir d’un même commencement telles que la distance entre elles ne cesse de croître ; et il est permis de supposer entre elles des distances qui croissent d’une même grandeur ; et il serait permis de supposer entre elles (les deux étendues) ces distances à l’infini ; il y aurait donc la possibilité des accroissements sur un premier écart à l’infini. Mais, puisque chaque accroissement qui existe existe avec ce sur quoi il a été ajouté dans un seul (intervalle) et que, quels que soient les accroissements possibles, il serait possible qu’il y ait une distance qui comprend ce possible, sinon il serait alors possible que ces distances parviennent à une limite à laquelle il ne serait pas possible de rien ajouter. Il serait alors possible qu’il existe ce qui comprend une limite à partir d’un ensemble non limité en puissance [48].

86 Avicenne conclut donc à l’absurdité.

87 Commentons le texte d’Avicenne [49].

88 Soient les deux droites AB et AC qui représentent les deux grandeurs, d’origine A, prolongées à l’infini, et soient les points Bi et Ci (i = 1, 2, …) tels que BB1 = B1 B2 =… = Bn-1 Bn = … et CC1 = C1 C2 =… = Cn-1 Cn = …. ; alors les droites parallèles BC, B1 C1,…, BnCn,… ont des accroissements égaux Bi Di (i = 1, 2, …).

89 Avicenne affirme que, si les grandeurs infinies existent, alors il existe un intervalle BC composé d’un nombre infini d’accroissements égaux, limité par deux points B et C respectivement sur AB et BC prolongées. On aurait ainsi un nombre infini d’accroissements sur un intervalle fini, ce qui est absurde.

90 Avicenne raisonne ainsi :

91 On a B 1 C 1 = BC + B 1 D 1

92 ...............

93 B n C n = BC + n B 1 D ; puisque les intervalles B i D i sont égaux,

94 est pour lui un intervalle fini, puisqu’il est fermé, alors que la somme de BC et des intervalles BiCi est infinie.

Figure 3.

Figure 3.

Figure 3.

95 Avicenne parvient à cette contradiction car il admet l’existence des points extrémités B et C sur AB et BC infiniment prolongées. Il pense alors une droite infinie comme un intervalle fermé, ayant deux extrémités.

96 Ce modèle a été lui aussi critiqué par Abū al-Barakāt et par Ibn Ghaylān.

97 Abū al-Barakāt lui objecte en effet que les accroissements BB 1 , B 1 B 2… et CC 1 = C 1 C 2, en nombre infini peuvent bien exister sur les droites AB et AC prolongées, mais les droites BC, B 1 C 1,… ne contiennent jamais qu’un nombre fini d’accroissements ; on ne peut donc pas considérer qu’elles ont une partie finale qui contiendrait une infinité d’accroissements. Voici ce qu’il écrit :

98 [Cet argument] est du genre du premier argument (invoqué pour le modèle précédent) car ces deux droites (AB et AC) ne sont pas ainsi infinies dans l’existence – ni par détermination ni par existence – et leur prolongement à l’infini n’aboutit pas, en se prolongeant dans l’imagination, à une limite telle qu’il ne l’excède pas : il se prolonge et se prolonge toujours. Mais la largeur augmente et augmente toujours. Mais, autant l’imagination l’élargit longueur après longueur, elle reste finie [50].

99 La différence entre la position d’Avicenne et celle d’Abū al-Barakāt est qu’Avicenne pense une droite infinie en acte comme ayant deux extrémités, alors que, pour Abū al-Barakāt, il n’y a pas d’extrémités dans l’imagination. En fait, il s’agirait pour lui d’une infinité « en puissance ».

100 À son tour, Ibn Ghaylān reprend cet argument, pour commenter la conclusion d’Avicenne selon laquelle il existe un intervalle fini composé d’un nombre infini d’accroissements égaux ; ce qui, selon Avicenne, est impossible. Ibn al-Ghaylān écrit :

101 Cette impossibilité n’était impliquée nécessairement qu’à partir de la supposition de l’existence d’un intervalle (bu‛d) qui se prolonge dans un vide ou dans un plan infini, car les autres suppositions ne seraient pas impossibles si on admettait l’existence de l’intervalle infini. Ainsi l’existence de cet intervalle est impossible car ce à partir de quoi s’ensuit l’impossible est impossible [51].

102 On vient ainsi de voir deux modèles destinés à discuter de la finitude des grandeurs géométriques et à discréditer les thèses infinitistes. Qu’en est-il des grandeurs physiques ?

2/ Modèles cinématiques

103 Dans la Physique d’al-Shifā’, Avicenne, après avoir ramené un problème cosmologique à un problème géométrique, soulève, entre autres questions relatives à l’infini, celle de la finitude des grandeurs physiques. On retiendra ici le seul modèle qu’il élabore pour montrer l’impossibilité du mouve­ment circulaire dans le vide. Commençons par traduire ce texte, avant de le commenter. Avicenne écrit :

104 Il n’est pas possible qu’il y ait dans le vide un mouvement circulaire, et cela car le vide a pour caractère de ne s’arrêter ni de s’anéantir, à moins qu’il y ait au-delà de lui un corps fini ; ce corps l’empêche alors de s’étendre à l’infini.

105 Supposons donc un corps en rotation suivant un cercle ABCD. Supposons que le cercle lui-même est en mouvement et que son centre est I. Supposons, à son extérieur, une rectiligne GE prolongée à l’infini parallèlement à la droite AD, soit dans un vide ou dans un plein ou dans les deux à la fois. Que la droite IC joigne le centre et le point C, qui se déplace en suivant la rotation effectuée.

106 Puisque la droite IC s’élève, perpendiculaire ou comme perpendiculaire, sur AD, dans une direction autre que EG, alors, si on la prolonge à l’infini du côté de C, elle ne rencontre pas EG : le point I est en effet, sans aucun doute, dans une direction qui ne suit pas la ligne [52] EG et telle que tout ce qui pénètre en elle ne parvient pas à celui-ci, sinon la ligne envelopperait le cercle ABCD. Or cela n’a pas été supposé ainsi.

107 Que IC soit une ligne, ou une droite qui ne rencontre pas EG tant qu’elle est dans cette direction jusqu’à ce qu’elle se superpose à la droite AID, puis la dépasse. Elle coupera nécessairement EG. En effet, lorsqu’elle sera dans la direction de EG – qu’elle soit ou non perpendiculaire à AD – alors, si on la prolonge à l’infini, elle coupera nécessairement EG et rencontrera un point de celle-ci. Ce point n’est ni unique ni le seul. Tu peux en effet supposer sur la droite EG de nombreux points que tu joins au centre I par de nombreuses droites, telles que chaque fois la droite IC se superpose à l’une d’elles ; elle sera alors dans la direction du point d’intersection dont cette droite a été issue. Mais, puisque le fait d’avoir cette direction a eu lieu après le fait de ne pas l’avoir eue, il faut que le premier instant du temps d’avoir cette direction sépare les deux temps <correspondant> à la direction d’un point – qu’il soit le point H. Prenons le point K avant le point H et joignons I et K par la droite ILK. Ainsi, la droite CI, lorsqu’au cours de sa rotation elle parvient jusqu’à ce que C vienne au point L, sera alors dans la direction du point K de la droite EG, avant celle du point H. Or on avait dit que H est le premier point de la droite EG que <la droite IC> prenait pour direction ; ce qui est absurde. Bien plus, il s’ensuit nécessairement qu’elle est toujours dans <cette> direction et toujours dans une direction différente ; ce qui est impossible. Par conséquent, il n’y a pas dans le vide le mouvement circulaire qu’ils ont supposé [53]. [54]

Figure 454.

108 Voici comment Avicenne procède :

109 Soit un cercle ABCD, de centre I ; on suppose que I est fixe et que le cercle tourne autour de I, entraînant le point C et le diamètre AD perpendiculaire à IC.

110 On mène une droite EG parallèle à la direction initiale de AD dans le demi-plan déterminé par DA qui ne contient pas C ; on suppose que EG ne rencontre pas le cercle et qu’elle est fixe.

111 Initialement la demi-droite IC (prolongée) ne rencontre pas EG, d’après l’hypothèse, car, si tout rayon du cercle rencontrait EG, cette droite envelopperait complètement le cercle. La situation reste la même au début du mouvement tant que la droite AD n’a pas atteint la position perpendiculaire à EG. Mais, lorsque AD a dépassé cette position, la demi-droite IC rencontre nécessairement EG.

112 Avicenne suppose qu’il existe une direction IH, le point H sur EG, qui sépare les directions de IC qui ne rencontrent pas EG de celles qui rencontrent EG. Il en déduit une contradiction car, si K est un point de EG au-delà du point H, la direction IK est atteinte par IC avant IH ; et pourtant IC rencontre EG en K.

113 Ce modèle repose sur l’existence supposée du point H à distance finie, alors que celui-ci est rejeté à l’infini. Il a fallu attendre une autre géométrie pour le savoir.

114 Dans al-Najāt, Avicenne reprend un peu plus longuement cet argument cinématique [55] ; il écrit :

115 Nous disons : soit un mouvement circulaire dans un vide infini, s’il était possible qu’un vide infini existe. Que le corps en mouvement soit comme la sphère ABCD, qui se meut autour de son centre <le point E>. Imaginons dans le vide infini la droite IH. Que la droite EC – à partir du centre jusqu’à un côté de la circonférence – ne rencontre pas la droite IH dans la direction de H, même si elle est prolongée à l’infini. Mais, si la sphère tourne, cette droite [EC prolongée] sera telle qu’elle la [IH] coupe, la parcoure et s’en sépare. La rencontre et la séparation sont donc nécessairement dans la direction de deux points, qu’ils soient K ou L. Mais le point M est dans sa direction avant le point K. Mais le point K est le premier point de direction <de EC> ; ce qui est absurde. Mais le mouvement circulaire existe, donc le vide n’est pas infini. [56]

Figure 6.

Figure 6.

Figure 6.

116 Ainsi, lorsque la sphère tourne, elle entraîne dans sa rotation la droite EC prolongée. Celle-ci sera parallèle à IH avant de cesser de l’être pour la rencontrer en un point et ensuite la couper et la parcourir. Avicenne considère cette fois non pas un cercle, comme dans le texte d’al-Shifā’, mais une sphère qui tourne autour de son centre E et une droite infinie. Il envisage en fait deux points, soit H 1 et H 2, sur IH, tels que les directions EH 1 et EH 2 séparent les parties de EC rencontrant IH de celles qui ne la rencontrent pas (dans les deux sens de parcours de IH, vers I et vers H). Avicenne suppose que ces deux points H 1 et H 2 sont à distance finie. Or ils ne le sont pas. Les fondateurs de la géométrie non-euclidienne dans le premier tiers du xix esiècle (Gauss, Lobatchevski et Bolyai) ont mené un raisonnement parfaitement analogue à celui d’Avicenne mais ont compris que les points H 1 et H 2 sont nécessairement rejetés à l’infini. On appréciera l’intuition forte du philosophe du xi esiècle.

117 Sans cette fois rejeter l’argument d’Avicenne, Abū al-Barakāt s’exclame : « Toute cette peine pour admettre qu’il n’y a pas de mouvement dans ce qui est infini, alors qu’on l’admet par ce qui est plus facile que cela ! » – ce qu’il expose [57].

118 Quant à Ibn Ghaylān, il formule trois objections dont aucune ne présente rien de bien nouveau :

119 L’un des arguments est que l’existence d’une droite infinie dans un intervalle infini est possible, mais son mouvement n’est pas possible, selon ce que nous en avons mentionné – elle ne peut pas se mouvoir en totalité parce qu’il n’y a pas de totalité. Et, si elle se mouvait, alors sa partie qui se meut serait finie, et ainsi elle aurait une totalité et ne serait donc pas infinie. Si en effet il existait une droite menée du centre de la sphère à l’infini, la sphère étant en train de tourner, alors la droite ne tournerait pas avec elle et la sphère ne s’arrêterait pas à son arrêt. En effet, l’existence du mouvement de la sphère ne s’accorde pas avec le mouvement de cette droite, mais ne se rapporte qu’à ses propres causes ; ainsi, si ses causes s’accomplissent, elle se met en mouvement, sauf si un obstacle s’interpose pour empêcher ce mouvement [58].

Conclusion

120 Les thèmes que nous venons d’examiner illustrent à la fois l’importance et la diversité des rapports entre philosophie théorique et mathématiques dans l’œuvre d’Avicenne. Car l’élucidation philosophique de concepts mathématiques encore opaques ne se confond pas avec une autre démarche, plus traditionnelle, pratiquée elle aussi à l’occasion par le philosophe. Il ne s’agit pas simplement en effet de traiter des fondements des mathématiques et de la nature de leur apodicticité, tâche qui, à l’ère de la spécialisation et de la transformation des mathématiques, a été reprise par les mathématiciens eux-mêmes, tels Thābit ibn Qurra, Ibn Sinān, al-Qūhī, al-Sijzī et Ibn al-Haytham [59], qui l’ont menée plus loin et plus profondément que les commentateurs d’Aristote. C’est dans une autre voie que s’engage Avicenne, en philosophe, qui peut être qualifiée d’épistémique et d’étiologique à la fois. Il s’agira d’élucider logiquement les concepts mathématiques pour parvenir, à l’aide de cette seule analyse, à déterminer la cause des difficultés internes qu’ils contribuent à faire surgir. Cette orientation est encore plus manifeste, et se double d’une tendance « proto-formelle », lorsqu’Avicenne examine des concepts mathématiques plus généraux que celui de l’angle. Ainsi, lorsqu’il aborde un concept comme celui de grandeur, il ne peut éviter de manier lui-même des instruments mathématiques ; de même, c’est avec l’aide des modèles mathématiques qu’il étudie le concept de grandeur infinie. Par « proto-formelle », on qualifie ici une réflexion sur des objets extérieurs à l’empirie, que l’on peut représenter par les seuls moyens des mathématiques, ou même, d’ailleurs, plus généralement encore, d’une combinatoire [60].


Date de mise en ligne : 25/05/2016

https://doi.org/10.3917/leph.162.0283

Notes

  • [1]
    Al-Nizāmī al-‘Arūdī al-Samarqandī, Jihār Maqāla, trad. en arabe par ‘A. ‘Azām et Y. al-Khashshāb (Le Caire, 1949), pp. 81 sq. Voir R. Rashed, « Abū Nasr ibn ‘Irāq: ‘indamā kāna al-Amīr ‘āliman (When the Prince was a scientist) », al-Tafahom, 40, 2013, pp. 145-170.
  • [2]
    Lettre à Kiyā, dans ‘A. Badawī, Aristū ‘inda al-’Arab, Koweit, 1978, p. 121.
  • [3]
    Ibn Sīnā, al-Shifā’, al-Mantiq, 5. al-Burhān, éd. A. ‘Afifi, Le Caire, 1956, pp. 194-5.
  • [4]
    Al-Shifā’. al-Ilāhiyyāt (1) (La Métaphysique), Texte établi et édité par G. C. Anawati et Sa‛īd Zayed, revu et précédé d’une introduction par Ibrahim Madkour, Le Caire, 1960, p. 145.
  • [5]
    Voir Toutes les figures sont à partir du cercle, dans R. Rashed, Œuvre mathématique d’al-Sijzī. Volume I : Géométrie des coniques et théorie des nombres au x e  siècle, Les Cahiers du Mideo, 3, Louvain-Paris, 2004 et Pour aplanir les voies en vue de déterminer les propositions géométriques dans R. Rashed, Les Mathématiques infinitésimales du ix e au xi e  siècle. Vol. IV : Méthodes géométriques, transformations ponctuelles et philosophie des mathématiques, Londres, 2002.
  • [6]
    R. Rashed, « Combinatoire et métaphysique : Ibn Sīnā, al-Tūsī et al-Halabī », dans R. Rashed et J. Biard (éd.), Les Doctrines de la science de l’antiquité à l’âge classique, Louvain, 1999, pp. 61-86.
  • [7]
    R. Rashed, « L’angle de contingence : un problème de philosophie des mathématiques », Arabic Sciences and Philosophy, 22.1 (2012), pp. 1-50 ; et Angles et grandeur : d’Euclide à Kamāl al-Dīn al-Fārisī, Berlin, Walter de Gruyter, 2015.
  • [8]
    Al-Shifā’. al-Madkhal (1), al-Maqūlāt, éd. G. C. Anawātī, M. Khuḍayrī et F. al-Ahwānī, Le Caire, 1960, p. 213. 7-8.
  • [9]
    Ibid., p. 214. 11.
  • [10]
    Il demeure qu’Avicenne, autant que je sache, n’a pas examiné les conséquences ontologiques et taxinomiques de cette nouvelle position non-aristotélicienne.
  • [11]
    Aristote, Métaphysique Z, 10, 1034b 27 sq. ; Métaphysique M, 8, 1084b 7 sq.
  • [12]
    Avicenne, Al-Shifā’. al-Ilāhiyyāt (1) (La Métaphysique), éd. Anawati et Zayed, p. 250. 11-12.
  • [13]
    Ibid., p. 250. 15-16.
  • [14]
    al-quwwa : lire li-al-quwwa.
  • [15]
    mayyitan : lire maniyyan.
  • [16]
    Avicenne, Al-Shifā’, al-Ilāhiyyāt (1) (La Métaphysique), op. cit., p. 251.14-252.5. C’est nous qui soulignons. Voir aussi al-Ta‛līqāt, Edited with Introduction and Notes by Seyyed Hossein Mousavian, Téhéran, 2013, p. 95.
  • [17]
    Epître sur l’angle, dans R. Rashed Angles et grandeur, op. cit.
  • [18]
    Al-Shifā’, al-Tabī‘iyyāt, 1. al-Samā‘ al-tabī‘ī, éd. S. Zayed, Le Caire, 1983, p. 186. 13-14.
  • [19]
    Voir Lettre à Kiya (al-Mubahāthāt), éd. Badawi, p. 171 et al-Mubahāthāt, p. 363-364.
  • [20]
    épître sur l’angle, dans R. Rashed Angles et grandeur, op. cit., p. 188 ; ar. p. 189, 4-7.
  • [21]
    Ibid., p. 188 ; ar. p. 189, 10-16.
  • [22]
    épître sur l’angle, dans R. Rashed Angles et grandeur, op. cit., p. 206 ; ar. p. 207, 12-13.
  • [23]
    Ibid., p. 206 ; ar. p. 207, 14-15.
  • [24]
    R. Rashed, « L’angle de contingence », art. cit., et Angles et grandeur, op. cit.
  • [25]
    épître sur l’angle, dans R. Rashed Angles et grandeur, op. cit., p. 210 ; ar. p. 211, 2-6.
  • [26]
    Al-Shifā’, al-Tabī‘iyyāt, 1. al-Samā‘ al-tabī‘ī (Physique, III, 5), éd. J. Āl Yāsin, Beyrouth, 1996, p. 205.
  • [27]
    R. Rashed, « L’angle de contingence », art. cit., pp. 9-14.
  • [28]
    Physique IV, 5, éd. Yasin, pp. 251-2 ; éd. Zayed, p. 277.
  • [29]
    R. Rashed, « L’angle de contingence », art. cit., pp. 10 sq.
  • [30]
    Voir Angles et grandeur, op. cit. pp. 566-568 ; ar. p. 567, 2-569, 13.
  • [31]
    Il a écrit un bref commentaire sur l’angle plan (voir ms. Téhéran Majlis Shūrā, Tabatabā’ī 1382).
  • [32]
    Il commente Avicenne dans al-Hikma al-muta‘āliya, première partie du second volume, publié à Qum en 1379 H., particulièrement la section VIII.
  • [33]
    Traité sur le lieu, dans R. Rashed, Les Mathématiques infinitésimales, op. cit., vol. IV, chap. III.
  • [34]
    Simplicius, In Phys. 59.23-60.7.
  • [35]
    Les Premiers Analytiques, II.25, 69a (pour la quadrature d’Hippocrate de Chio), voir la traduction arabe dans Mantiq Aristū, éd. Badawi, vol. I, p. 310. Les Seconds Analytiques, I. 9, 75b, 36- 76a (traduction arabe dans Mantiq Aristū, éd. Badawi, vol. II, pp. 355-358) ; Réfutations sophistiques, 11, 15-30 (traduction arabe dans Mantiq Aristū, éd. Badawi, vol. III, pp. 878-879).
  • [36]
    Oskar Becker, Das Mathematische Denken der Antike, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1966, p. 92 ; Thomas L. Heath, A History of Greek Mathematics, vol. I: From Thales to Euclid, Oxford : Clarendon Press, 1965, pp. 223 sq. ; Thomas L. Heath, Mathematics in Aristotle, Oxford, Clarendon Press, 1970, p. 50.
  • [37]
    Mantiq Aristū, ‘A. Badawi, 3 vol., Beyrouth, 1980.
  • [38]
    Al-Shifā’, al-Mantiq, 5. Al-Burhān, éd. A. ‘Afifi, Le Caire, 1956, p. 176.
  • [39]
    Ibid.
  • [40]
    Ibid.
  • [41]
    Abū al-Barakāt al-Baghdādī, Kitāb al-Mu‘tabar, Hyderabad, 1358, pp. 60 sq. ; Ibn Ghaylān, Hudūth al-‘ālam, éd. M. Mohaghegh, Téhéran, 1998.
  • [42]
    Al-Ishārāt wa-al-tanbihāt li-Ibn Sīnā ma‘ sharh Nasīr al-Dīn al-Tūsī, Qom, 1375, vol. 2, p. 73.
  • [43]
    Al-Shifā’, al-Tabī‘iyyāt, 1. al-Samā‘ al-tabī‘ī, éd. J. Al Yasin, p. 212.
  • [44]
    Cette thèse repose sur le petit lemme d’Ammonius : « Il n’existe pas de multitude plus grande que l’infini » ; voir Marwan Rashed, « Thābit ibn Qurra sur l’existence et l’infini : Les Réponses aux questions posées par Ibn Usayyid », dans R. Rashed (ed.), Thābit ibn Qurra. Science and Philosophy in Ninth-Century Baghdad, Berlin, Walter de Gruyter, 2009, pp. 617-673, aux pp. 657-658 N. 28.
  • [45]
    Marwan Rashed, « Thābit ibn Qurra sur l’existence et l’infini », art. cit., pp. 637-638 et 659-660.
  • [46]
    Abū al-Barakāt al-Baghdādī, Kitāb al-Mu‘tabar, p 85, 9-11.
  • [47]
    Ibn Ghaylān, Hudūth al-‘ālam, pp. 29. 22-30. 2.
  • [48]
    Al-Ishārāt wa-al-tanbihāt, éd. S. Dunia, Le Caire, 1957, vol. 2, pp. 160-164. Voir également le commentaire d’al-Tūsī (éd. Qom, pp. 59-60).
  • [49]
    Voir le commentaire d’al-Tūsī.
  • [50]
    Abū al-Barakāt al-Baghdādī, Kitāb al-Mu‘tabar, vol. 2, p. 85. 19-22.
  • [51]
    Ibn Ghaylān, Hudūth al-‘ālam, éd. M. Mohaghegh, p. 29. 2-5.
  • [52]
    Littéralement intervalle (bu‛d) ; en grec : διάστηµα.
  • [53]
    Cette traduction a été faite à partir de l’édition (Yasin, p. 159).
  • [54]
    Figure du texte telle qu’on la trouve dans l’édition.
  • [55]
    Al-Tūsī dans son commentaire des Ishārāt reprend ce même modèle, mais en des termes légèrement différents (éd. Qom, p. 73) : « La manière dont on se fait aider par le mouve­- ment est celle fondée sur la supposition d’une sphère telle que l’on mène de son centre un diamètre parallèle à une droite infinie dont il faut qu’il soit dans sa direction après lui avoir été parallèle en raison du mouvement de la sphère. Il s’ensuit nécessairement qu’il se trouve un premier point de la droite que le diamètre a pour direction. Et il est impossible qu’il existe un point que le diamètre a pour direction avant tout ; l’obstacle s’ensuit donc nécessairement. »
  • [56]
    Al-Najāt, éd. M. Kurdī (1938), p. 123.
  • [57]
    Abū al-Barakāt al-Baghdādī, Kitāb al-Mu‘tabar, p. 61. 2-3.
  • [58]
    Ibn Ghaylān, Hudūth al-‘ālam, p. 30. 13-18.
  • [59]
    59. R. Rashed, Les Mathématiques infinitésimales du ixe au xie siècle. Vol. I : Fondateurs et commentateurs : Banū Mūsā, Thābit ibn Qurra, Ibn Sinān, al-Khāzin, al-Qūhī, Ibn al-Samh, Ibn Hūd (London : al-Furqān, 1996) ; vol. IV : Méthodes géométriques, transformations ponctuelles et philosophie des mathématiques (2002) ; R. Rashed et H. Bellosta, Ibrāhīm ibn Sinān. Logique et géométrie au xe siècle (Leiden : E.J. Brill, 2000) ; R. Rashed, Œuvre mathématique d’al-Sijzī. Volume I : Géométrie des coniques et théorie des nombres au xe siècle, Les Cahiers du Mideo, 3 (Louvain-Paris : Éditions Peeters, 2004).
  • [60]
    60. Je crois avoir montré naguère que cette tendance « proto-formelle » sous-tend implicitement l’ontologie de l’émanation d’Avicenne : dans cette ontologie, on peut en effet désigner tous les êtres par des lettres de l’alphabet et procéder ensuite par combinaison. Or c’est précisément cette démarche combinatoire que Nasīr al-Dīn al-Tūsī a fondée et menée à son terme, suivi par d’autres, comme Ibrāhīm al-Halabī. Cf. R. Rashed, « Combinatoire et métaphysique : Ibn Sīnā, al-Tūsī et al-Halabī ».

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