Notes
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[1]
Voir le volume M. Heinz (éd.), Herders Metakritik. Analysen und Interpretationen, Stuttgart, Frommann-Holzboog, Problemata 154, 2013, et notamment O. Bayer, « Wider die Sprachvergenssenheit transzendentaler Vernunftkritik. Eine Einführung in Hamanns Metakritik über den Purismus der reinen Vernunft » (ibid., pp. 65-79).
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[2]
Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, III, trad. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 1986, § 458. J. Simon, Hegel und das Problem der Sprache, Stuttgart, Kohlhammer, 1966 ; « In Namen denken. Sprache und Begriff bei Hegel », dans B. Lindorfer, D. Naguschewski (éds.), Hegel: Zur Sprache, Tübingen Günter Narr Verlag, 2002, pp. 33-46. F. Schleiermacher, Herméneutique, trad. Chr. Berner, Paris-Lille, Cerf-PUL, 1989.
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[3]
À son tour, la grammaire générale telle qu’elle apparaît à Port Royal innove profondément par rapport à la tradition grammaticale en réduisant la complexité des formes linguistiques au niveau de la pensée, à partir de laquelle elles sont organisées. On passe avec elle de l’analyse des langues à la proposition d’un modèle explicatif depuis une philosophie de la représentation. Pour une caractérisation concise, voir J.-Cl. Chevalier, « Grammaire générale de Port Royal et tradition grecque : la constitution des parties du discours, classement et signification », dans A. Joly, J. Stéfanini (éds.), La Grammaire générale : des Modistes aux Idéologues, Lille, PUL, 1997.
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[4]
Par contraste, la Grammaire de Port Royal posait : « On ne peut bien comprendre les diverses sortes de significations qui sont enfermées dans les mots qu’on n’ait bien compris auparavant ce qui se passe dans nos pensés, puisque les mots n’ont été inventés que pour les faire connaître » (Grammaire générale et raisonnée (1660), Paris, Perlet, 1803, IIe partie, p. 270).
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[5]
Contrairement à l’idée répandue que Kant aurait négligé le langage, reproche émis en premier par Hamann dans sa Métacritique et réitéré par Herder et tant d’autres depuis. Car Hamann reproche l’absence de sensibilité apparente pour la dimension historique du fonds lexical, qui est pour lui le signe d’une inscription de l’homme dans la finitude, dans la tradition et l’histoire, et donc une limitation de la raison. Sur cet aspect, je me permets de renvoyer au développement de cet argument après Kant, dans D. Thouard, « Une métacritique des catégories. L’usage critique d’Aristote par Trendelenburg », dans id. (éd.), Aristote au XIXe siècle, Lille, P. U. du Septentrion, 2004, pp. 37-62. Pour Kant, c’est la position d’un sujet fini, nécessairement perspectif, qui limite, positivement, la raison, et non l’asservissement à des contenus préétablis. Kant a pensé la dimension performative du langage, ce que Fichte a développé avec une grande radicalité. Sur cet aspect chez Kant, l’ouvrage fondamental de J. Simon, Kant. Die fremde Vernunft und die Sprache der Philosophie, Berlin, de Gruyter, 2003.
-
[6]
Kant, Kritik der reinen Vernunft, éd. J. Timmermann, Hambourg, F. Meiner, 2003, § 19.
-
[7]
Voire de la performance du locuteur depuis le niveau des structures profondes du langage, comme l’avait souligné Chomsky, Cartesian Linguistics, MIT, 1968. L’interprétation de la grammaire générale en termes de compétence et performance est sujette à caution, comme les reconstructions historiographiques inventant une « tradition cartésienne » inexistante. Mais Chomsky a cependant vu un point essentiel.
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[8]
Kant, Leçons de métaphysique, traduction de Monique Castillo, Paris, Livre de poche, 1993, p. 192. Voir aussi les Prolégomènes, § 39, A 118 ; trad. J. Rivelaygue, Œuvres t. II, p. 100. Pour une étude de la grammaire transcendantale, voir M. Riedel, « Vernunft und Sprache. Grundmodell der transzendentalen Grammatik in Kants Lehre vom Kategoriengebrauch », dans Urteilskraft und Vernunft. Kants ursprüngliche Fragestellung, Francfort sur le Main, Suhrkamp, 1989, pp. 44-60. J. Simon, Kant, op. cit., 2003. Prochainement la publication de la thèse de R. Ehrsam, Le Problème du langage chez Kant, qui offre un bilan précis de tous les textes kantiens sur cet argument (à paraître).
-
[9]
Kant, Logik, AA IX, 11 sq. ; Logique, traduction de Louis Guillermit, Paris, Vrin, 1966.
-
[10]
Kant, Kritik der reinen Vernunft, § 10.
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[11]
Kant, Logique, p. 11 ; AA IX, 12.
-
[12]
Et dans les Progrès de la métaphysique en Allemagne depuis Leibniz et Wolff, en 1788, Kant écrit dans l’introduction : « Il ne s’est pas accompli beaucoup de progrès depuis l’époque d’Aristote. En effet, de même qu’une grammaire est la résolution d’une forme linguistique en ses règles élémentaires, ou la logique quelque chose de semblable pour la forme de la pensée, elle est une résolution de la connaissance en concepts qui résident a priori dans l’entendement et qui ont leur usage dans l’expérience… » (Cf. trad. A. Marty, Kant, Œuvres t. III, p. 1216). Dans les leçons sur la logique, Kant ne considérait pas encore la grammaire comme une science.
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[13]
C’est aussi la fonction qui était dévolue au commentaire des Aphorismes de Platner, dont l’essai sur le langage prend le relai. Voir notamment la lettre à Christian Gottlob Voigt du 18-19 novembre 1794, dans Fichte, Briefe, Leipzig, Reclam, 1986, p. 124.
-
[14]
Fichte, Sur le concept de la Doctrine de la Science, dans Essais philosophiques choisis, trad. A. Renaut, Paris, Vrin, 1984, p. 39.
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[15]
Comme le résume très justement Kurt Müller-Vollmer : « Derrière la tentative d’une histoire de la langue d’après des principes a priori, il y a l’intention de déterminer à neuf, d’un point de vue transcendantal, les représentations ou les concepts de la grammaire philosophique ou générale, telle qu’elle provenait de la tradition de la linguistique cartésienne des XVIIe et XVIIe siècles. Ce qui demeure souvent chez Fichte à l’état d’indication ou d’allusion, et qui désorientait le lecteur dans son accomplissement, Bernhardi et Humboldt en font peu après le point de départ d’une nouvelle théorie du langage, dans laquelle une fonction essentielle revient à la grammaire générale comprise de façon transcendantale. Fichte produit ainsi une liaison entre les lois de la pensée et les catégories de la grammaire » (« Fichte und die romantische Sprachtheorie », dans K. Hammacher (éd.), Der transzendantale Gedanke, Hambourg, F. Meiner, 1981, p. 444).
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[16]
Fichte, Von der Sprachfähigkeit und dem Ursprung der Sprache, L’Essai sur la faculté linguistique et l’origine du langage (1795), dans Essais philosophiques choisis, trad. A. Renaut, Paris, Vrin, 1984. L’Essai a paru en trois livraisons dans le Philosophisches Journal de Niethammer en 1795 et exerça une grande impression sur les contemporains, alors que la critique s’est le plus souvent trouvée désemparée face à lui (A. Philonenko, dans la préface à la traduction française ; J. Quillien, L’Anthropologie philosophique, p. 590). Eva Fiesel avait souligné son importance, notamment pour Bernhardi. Voir E. Fiesel, Die Sprachphilosophie der deutschen Romantik (1801-1816), Tübingen, Mohr, 1927, p. 29, pp. 56-58, comme L. Formigari, La logica del pensiero vivente, Bari, Laterza, 1977, pp. 53-60. En 1797, Fichte donna à nouveau au semestre d’été des leçons sur la logique et la métaphysique « Sur l’origine du langage » (GA VI/I, 292-326). L’incidence de ce texte pour Humboldt a été soulignée, après K. Müller-Vollmer, par J. Quillien, L’Anthropologie philosophique de G. de Humboldt, Lille, PUL, 1991, p. 591, 593 ; W. Janke, « Logos : Vernunft und Wort. Humboldts Weg zur Sprache und Fichtes Sprachabhandlung », dans W. Janke, Entgegensetzungen, Amsterdam, Rodopi, 1994, pp. 23-45. Sur le texte de Fichte, on lira des éléments intéressants chez K. Kahnert, « Sprachursprung und Sprache bei J.G. Fichte », dans Chr. Asmuth (éd.), Sein-Reflexion-Freiheit. Aspekte der Philosophie J. G. Fichtes, Bochum, Grüner, 1997, pp. 191-219.
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[17]
L’Essai sur la faculté linguistique, p. 115.
-
[18]
Sur l’illusion inévitable liée à la condition langagière de la pensée : le schématisme permettant de désigner l’esprit (spiritus, l’air, pp. 132-133) ; plus important encore, les deux « fantômes » de la philosophie transcendantale, les concepts abstraits de « chose » (un étant en général) et d’« être » (caractère suprême de la raison) risquant, du fait du langage, d’être assimilés à des substances (pp. 129-130). Voir l’article de W. Janke, « Die Wörter “Sein” und “Ding”. Überlegungen zu Fichtes Philosophie der Sprache », dans Der transzendantale Gedanke, pp. 49-69). Sur les implications de ces analyses pour la stratégie du discours fichtéen, voir D. Thouard, Le Partage des idées, Paris, CNRS, 2007, pp. 67-83.
-
[19]
L’Essai sur la faculté linguistique, p. 119.
-
[20]
Essai sur la faculté linguistique p. 120.
-
[21]
Novalis Werke II, 12, éd. H. J. Mähl, R. Samuel, Hambourg, Hanser, 1978 ; cf. Novalis, Les Années d’apprentissage philosophique. Études fichtéennes 1795-96, traduit par Augustin Dumont, Lille, P. U. Septentrion, 2012, p. 39. Voir aussi Augustin Dumont, L’Opacité du sensible chez Fichte et Novalis. Théories et pratiques de l’imagination transcendantale à l’épreuve du langage, Grenoble, J. Millon, 2012.
-
[22]
Essai sur la faculté linguistique, p. 122 ; GA I, 3, 310.
-
[23]
Essai sur la faculté linguistique, pp. 132-133. GA I, 3, 323.
-
[24]
Essai sur la faculté linguistique, pp. 133-134.
-
[25]
Cette opposition trouve son origine chez Kant, avec la distinction de l’imagination productrice (transcendantale) et reproductrice (empirique) : la synthèse de l’imagination est « un exercice de la spontanéité qui est déterminant et non pas simplement déterminable
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[26]
comme le sens, et, par suite, elle peut déterminer a priori le sens, quant à sa forme, conformément à l’unité de l’aperception » (Kritik der reinen Vernunft § 24 ; trad. Œuvres t. I, p. 867). Le langage est le fait de l’imagination reproductrice, dont la synthèse est uniquement soumise à des lois empiriques, celles de l’association, et n’appartient pas à la philosophie transcendantale, mais à la psychologie.
Essai de la faculté linguistique, p. 138. -
[27]
Essai de la faculté linguistique. p. 141 ; GA I, 3, pp. 334-335. Des analyses comparables se rencontrent chez Kant, Anthropologie, § 1, ou Hegel, mais elles prennent une portée particulière avec Fichte, puisqu’elles réfléchissent chez lui le lieu même de la raison comme acte, voire comme performatif selon I. Thomas-Fogiel, Fichte. Réflexion et argumentation, Paris, Vrin, 2004.
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[28]
Essai de la faculté linguistique, p. 144.
-
[29]
La confrontation avec la tradition condillacienne a été l’occasion d’un débat concernant les influences réelles ou supposées subies par Humboldt. Une interprétation équilibrée est fournie par W. Oesterreicher, « Wem gehört Humboldt ? Zum Einfluß der französischen Aufklärung auf die Sprachphilosophie der deutschen Romantik » (Logos Semantikos, I, Berlin, New York, de Gruyter, 1981, pp. 117-135).
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[30]
Fichte (à Schiller, 27 juin 1795 ; à Reinhold, 2. Juillet 1795), Briefe, Leipzig, 1986, p. 155, p. 160.
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[31]
W. von Humboldt, Gesammelte Schriften (GS), Berlin, Akademie der Wissenschaften, 1900 : GS VII, pp. 581-583. Voir la traduction que j’en propose infra.
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[32]
Jean Quillien pense que ces pages ont été provoquées par l’article de Fichte, qu’elles sont en débat non avec Herder comme il est parfois dit, mais bien avec Fichte. Cependant il souligne l’opposition à Fichte et la proximité avec Herder, alors que nous y voyons au contraire le témoin décisif d’une inspiration fichtéenne en ce qu’il met en avant la subjectivité dans le langage. Voir J. Quillien, L’Anthropologie philosophique de G. de Humboldt, Lille, PUL, 1991, pp. 591-598. Voir également W. Janke, « Logos : Vernunft und Wort. Humboldts Weg zur Sprache und Fichtes Sprachabhandlung », dans Entgegensetzungen, Amsterdam, Rodopi, 1994, pp. 23-45 ; Ch. Stetter, Schrift und Sprache, Francfort sur le Main, Suhrkamp, 1999, pp. 400-411.
-
[33]
Il intervient sur le fond d’un débat où les positions de Herder sur l’inséparabilité de la réflexion et du langage, de Jacobi sur la consanguinité de la raison et du langage et le primat de l’interlocution ont certainement joué un rôle. Jacobi a pu répercuter certaines thèses anti-kantiennes de Hamann, avec qui il entretint une relation étroite, ainsi qu’une correspondance.
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[34]
GS V, 374.
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[35]
Der erste Anstoß – le vocabulaire est proche de Fichte qui fait suivre aussitôt après ce « coup d’envoi » un « contrecoup », Gegenstoß, faisant intervenir autrui sous la forme plus générale du Non-Moi. Ici (§ 16), c’est l’Ausstoß qui répond à l’Anstoß, mais comme simple extériorisation de l’affect.
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[36]
C’est un « coup d’arrêt » nécessaire dans le flux des représentations. Sur le thème de l’interruption et son importance pour Humboldt, voir l’étude de Christoph König consacrée à son échange avec Schiller au sujet du poème « La promenade », Chr. König, « Penser le langage. Humboldt après Schiller », dans Chr. König, D. Thouard (éds.), La Philologie au présent, Lille, P. U. du Septentrion, 2010, pp. 109-125.
-
[37]
Fichte, Grundlage der gesamten Wissenschaftslehre, Leipzig, 1794, p. 173.
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[38]
Fichte précisait dans l’article de 1795 : « Unwillkürlicher Ausbruch der Empfindung ist nicht Sprache ». Humboldt oppose de même l’Empfindgunsgeschrei comme Naturlaut au langage (§ 16).
1 On considère souvent que le romantisme a introduit une rupture dans les conceptions du langage que les penseurs des Lumières auraient vu comme un simple moyen d’expression et de communication des idées, extérieur et indifférent à celles-ci. Contre cette approche instrumentale réduisant le langage à un ensemble de signes pour un usage, le romantisme aurait rappelé le caractère concret, individuel, historique des langues, allant jusqu’à y voir un organe de la formation de nos pensées. Dans quelle mesure ce partage divise-t-il la philosophie post-kantienne ?
2 Un des arguments majeurs des premiers critiques de Kant était son oubli du langage et l’impression qu’il donnait de penser une raison pure soustraite à tout contexte historique et à toute condition concrète d’exercice. C’est notamment le cas de l’objection métacritique adressée par Hamann puis par Herder [1]. En effet, la philosophie du langage et l’herméneutique ne manquent pas de dénoncer l’abstraction, voire l’oubli des langues, dans la philosophie rationaliste. Rappeler la condition langagière de la pensée aurait été ainsi un des apports du romantisme et aussi de plusieurs penseurs relevant de l’idéalisme allemand. Pour Hegel, mais il en va de même pour Schleiermacher ou Schelling, on pense dans les mots [2]. À cet égard, la pensée de Humboldt, explicitement consacrée au langage, paraît assumer un tel « tournant linguistique » avant la lettre. Une des questions préalables est ici de savoir si cette évolution s’est bien dressée contre Kant, ou bien si elle n’a pas plutôt été préparée par lui. En reconstituant de façon serrée l’émergence de l’intérêt de Humboldt pour le langage, il est manifeste qu’il situe son projet dans la continuité de la refondation des grammaires philosophiques suggérée par Kant, qu’il complétera ultérieurement, mais sans abandonner celle-ci, par l’étude comparée des langues.
De Kant à Fichte
3 La critique kantienne a remis en cause un ordre philosophique dont les grammaires générales des XVIIe et XVIIIesiècles, prétendant exhiber les lois universelles du langage, nonobstant la diversité des langues, étaient largement solidaires [3]. Avec Kant, l’identité des représentations empiriques qui composent l’ordinaire du langage n’est plus garantie. Il n’y a pas des « significations » qui seraient attachées une fois pour toutes à des « mots », puisqu’elles sont produites dans un travail de conceptualisation et de mise en forme toujours repris [4]. C’est au sein d’une expérience que se détermine la signification des énoncés. Le jugement d’expérience s’énonce non moins que la loi morale. La concordance des représentations dans le langage n’est plus présupposée, mais doit être constamment renégociée dans la pratique de l’interlocution. L’identité sémantique n’est garantie que lorsque nous construisons les concepts, ce qui est le cas dans les mathématiques, mais non dans le langage ordinaire où se meut la philosophie. Seules les critiques de la connaissance et de la raison pratique rendent compte de deux domaines d’objectivité où le jugement peut s’exercer de façon catégorique, pour légitimer les sciences de la nature et pour fonder l’action sur un impératif pratique. L’objectivation comme l’obligation sont fondées par la reconduction de la raison aux opérations subjectives, de la parole aux actes d’énonciation qui assurent la synthèse subjective [5].
4 Pour Kant, tout acte de jugement s’opère en fonction d’une catégorie de qualité, quantité ou relation, constitutive de l’expérience. Ces catégories, qui constituent le corps de la logique transcendantale comme logique de l’expérience, sont dans un ordre nécessaire et forment un véritable système car elles sont dérivées d’un principe a priori : l’unité transcendantale de l’aperception [6]. Le jugement est l’« acte de l’entendement […] consistant à soumettre le divers de la représentation à l’unité de la pensée en général ». La synthèse du jugement est donc l’unique fondement originaire (B 140-141).
5 Les catégories ne sont ainsi que des fonctions logiques, leur usage est restreint à l’expérience. Elles ne sont plus des instruments pour notre connaissance, comme la logique transcendantale n’est plus un organon, mais expriment un acte libre de synthèse. Cet aspect trouve sa contrepartie du côté de la grammaire générale, qui mettait en avant le travail de la synthèse du jugement dans la phrase [7]. Kant a nettement souligné en plusieurs endroits la solidarité des problèmes philosophiques et grammaticaux :
6 Kant paraît sous-entendre la facilité d’une grammaire, et veut ainsi faire comprendre le caractère naturel de sa grammaire des catégories. Il donne ainsi au début de son cours de logique l’exemple de la grammaire, explicitant les lois du langage selon lesquelles nous parlons sans que nous en ayons la plupart du temps conscience, de même que nous pensons sans être toujours conscients des lois de la logique [9]. En même temps, il présente la découverte du système des catégories comme un de ses plus grands services [10]. Si « la science qui contient ces règles universelles et nécessaires » est possible en tant qu’elle contiendrait la « forme de notre connaissance » en général, l’entreprise kantienne ne fait rien d’autre que d’opérer sur la raison et avec un fondement déterminé ce que la grammaire générale opérait sur le langage. Il envisage bien une « grammaire générale qui ne contient rien de plus que la simple forme de la langue en général, sans les mots qui appartiennent à la matière de la langue [11] ». Si l’on prend au sérieux « l’apparentement très étroit » des réflexions logique et grammaticale [12], et si l’on ne perd pas de vue l’originalité philosophique de ses catégories qui ne composent plus un agrégat, mais bien un système, n’est-on pas en droit d’attendre, du côté de la grammaire, le même effort que celui fourni par Kant pour la logique de la connaissance ? Et l’insuffisance des précédentes « grammaires générales » n’apparaît-elle pas au grand jour ? Or une grammaire fondée sur les « règles de l’usage effectif des mots » ou leur forme de liaison, pour être systématique, doit être déduite d’un principe : la synthèse du jugement comme expression de la conscience de soi. Par avance, Kant lui apporte sa caution philosophique.
L’essai de Fichte
7 On comprend ainsi que l’intérêt de Fichte pour la question de la grammaire n’ait rien d’une anomalie ou d’une étrangeté, mais relève de la logique de la philosophie transcendantale qu’il expose à partir de 1794. C’est pourquoi la publication de son essai sur le langage un an plus tard constituait à ses yeux une « introduction » à la philosophie transcendantale [13]. Fichte cherchera à radicaliser les indications kantiennes, assurant avoir élevé le tableau kantien des catégories, encore divers en lui-même, à une unité véritablement « systématique », car déduite d’un seul principe, certain en et par lui-même, « une proposition identique à elle-même, immédiatement certaine, dont toutes les autres propositions tirent leur certitude », qui « accompagne tout savoir, est contenue dans tout savoir, et [que] tout savoir […] présuppose » [14]. Là où la déduction transcendantale, chez Kant, n’a qu’un sens juridique et s’entend comme légitimation, la déduction fichtéenne est bien génétique et prétend exhiber la production d’un concept à partir de toutes ses condi- tions. Prolongeant la simple indication de Kant sur le caractère réalisable d’une révolution en théorie du langage [15], sur le modèle de la « révolution philosophique », Fichte esquisse ce que pourrait être une grammaire enfin philosophique dans l’Essai sur la faculté linguistique et l’origine du langage de 1795 [16]. En dépit de son titre, cet essai ne se réfère ni à la problématique de l’origine au sens historique, ni à celle des facultés au sens psychologique, mais, en un sens transcendantal, à la déduction de la nécessité de l’invention du langage à partir de la raison humaine [17]. Il dépasse les deux questions par une réflexion critique sur les conditions de l’extériorisation de la raison.
8 La nécessité du langage pour l’interaction sociale se trouve ainsi déduite en deux temps, non dans une visée première de communication, mais afin de limiter les risques de mécompréhension et de malentendus qui ne manquent pas d’apparaître dans le jeu de plusieurs libertés muettes, toujours en quête de reconnaissance. Le langage est ici un auxiliaire du vivre-ensemble, de la difficile coexistence des libertés, à partir du primat de l’incompréhension non-langagière ; mais lui-même introduit à son tour une illusion « ontologique », au sens où les mots paraissent renvoyer à des choses [18].
9 Fichte commence par y déduire la nécessité du langage en général, à partir de l’exigence de la raison en tout homme, puis celle de la langue comme langue de mots articulés.
10 L’homme est défini par sa rationalité pratique, son essence originaire le pousse à « tout rendre rationnel ». S’il peut rencontrer un être déjà rationnel, il n’a plus à le transformer, mais à le reconnaître. Or, pour reconnaître un tel être rationnel, à savoir agissant d’après des fins, il convient que celui-ci ne soit plus considéré par moi comme un objet d’observation, attitude qui sera toujours insuffisante à distinguer un être vraiment final d’un être naturel agissant par instinct. Pour que je le reconnaisse, il faut qu’il me reconnaisse à son tour, c’est-à-dire qu’il en vienne à modifier sa finalité après que je lui ai appliqué la mienne [19]. C’est l’existence d’une action réciproque ou Wechselwirkung entre lui et moi qui garantit notre reconnaissance mutuelle, attestant de la coexistence de deux libertés. La Wechselwirkung est la catégorie de la relation qui réunit la causalité et la substantialité. Une communauté humaine s’est formée par une coopération où chacun est, agit et réagit par rapport à d’autres. Cette action réciproque est le fondement à partir duquel se déduit la nécessité du langage comme moyen de communication des pensées, expression claire d’une liberté à une autre, des intentions qui l’animent [20]. Le langage est ainsi posé à titre de condition de l’action sociale commune. Il convient maintenant d’en déduire la nature.
11 Le problème de Fichte est de fonder la possibilité d’une désignation de la pensée permettant un échange réciproque sans ambiguïté. L’esprit doit déterminer pour ses fins un ensemble de signes déterminables. L’idée d’un langage résulte ainsi de la tendance fondamentale de l’homme à chercher son prochain en tant qu’il cherche la raison hors de lui. Fichte déduit la possibilité d’un ordre de signes soumis à l’arbitraire de l’esprit humain après avoir souligné les limites de ce qu’il appelle le « langage hiéroglyphique », à savoir d’un langage imitatif des impressions et construit sur les perceptions extérieures. Il se confronte par-là au discours empiriste voyant dans l’origine sensible des désignations linguistiques une marque de sa subordination à un usage, dans une tradition issue de Condillac.
12 Fichte considère que le langage hiéroglyphique renvoie à un état fruste et vite dépassé du langage. Il se tient à bonne distance des mythes romantiques autour de la langue de l’origine. Celle-ci ne saurait être recherchée du côté d’une antériorité temporelle ou simplement reconstituée sur le mode fictif ou pseudo-scientifique, mais relève d’une nécessité rationnelle. Il est intéressant de remarquer que Novalis relève précisément ce moment dans ses Études fichtéennes (Fichte-Studien), où il commente l’essai sur le langage, en affirmant que le « Je a une force hiéroglyphistique [hieroglyphystische] [21] », retournant en quelque sorte contre Fichte cette capacité hiéroglyphique. Dans les Disciples à Sais, il développera ainsi une théorie des signes naturels, opposant la résistance de l’imagination, son opacité, à sa réduction en signes fonctionnels, déterminés. Le déterminable se refuse à la détermination et élève un défi pour l’interprétation. Or, ce qui marque les limites de la langue originaire ou hiéroglyphique selon Fichte, c’est l’absence de réciprocité, donc d’interaction. Du fait des nécessités de la communication mutuelle, les hommes, dit Fichte, sont passés aux signes auditifs. L’identité peut-elle se dire dans des signes, dans une articulation intellectuelle, ou bien seulement dans des images, en tant que celles-ci garderaient mieux, comme le fait un symbole, l’allusion de l’identité qu’elles déchirent en l’énonçant ? Les deux voies jouent sur la même structure contradictoire de l’imagination, mais différemment. Les signes naturels réinventés par Novalis renvoient à l’opacité sensible du langage que celui-ci prend en charge autrement que Fichte. Mais l’écriture poétique constitue-t-elle une réponse satisfaisante, une position consistante sur le langage ? La revendication des associations sensibles de la langue hiéroglyphique est-elle à prendre comme une apologie de la sensibilité, plus encore, de la finitude ? Pour le langage, la conséquence est de savoir si nous le parlons où s’il parle à travers nous. Novalis pencherait pour la seconde option, Fichte pour la première, au moins dans ce texte.
13 Selon Fichte, le dialogue est ainsi impossible avec de tels signes [22]. La réciprocité ne passe pas dans les figurations. Seul le passage à des signes auditifs pourra assurer la continuité de l’attention. L’abstraction des sons favorise également la relation, mobilise l’attention et accomplit la visée communautaire du langage.
14 Si le langage procède nécessairement d’abord par des désignations sen- sibles, il s’oriente, dans sa progression, d’après des concepts de la réflexion qui n’ont point encore de désignation convenable. Les désignations sont d’abord nécessairement sensibles, l’étant se donne comme une chose (Ding), l’être est exprimé comme s’il était une substance et ainsi de suite. Les concepts génériques sont produits par l’adjonction d’une marque commune aux concepts spécifiques, les différents arbres étant désignés en allemand par la spécification de l’arbre générique : Apfelbaum (arbre à pommes, pommier), Kirschbaum (arbre à cerises, cerisier) et ainsi de suite. L’élément sensible reste déterminant dans les désignations du langage. Seule la réflexion philosophique nous permet progressivement de nous défaire de l’illusion du langage, dans un effort de clarification et de correction qui risque de n’être jamais achevé [23].
15 Fichte entend asseoir la possibilité d’un ordre propre à la logique linguistique de la grammaire qui garantisse à son tour l’indépendance des lois de la pensée par rapport au langage hérité. Le but de l’essai est de montrer comment la sensibilité, l’imagination et l’entendement coopèrent dans l’établissement des catégories linguistiques. Elles le font en allant, elles aussi, du déterminable au déterminé, non comme le seul organe de l’imagination, mais bien de l’ensemble de la pensée. L’imagination schématise, dessine une représentation figurable, mais elle sert par là l’entendement qui pense ses concepts, lesquels ne sauraient se réduire à leur mode de désignation. L’imagination fournit ainsi des schèmes que la raison utilise à ses fins, pour désigner des concepts spirituels. L’esprit fut par exemple désigné d’après le schème de l’air, le plus évanescent des sensibles, alors même qu’il n’est pas sensible. Cette ambiguïté signalée par la philosophie empiriste ne signifie pas que les mots du langage ne pourraient renvoyer qu’à des concepts sensibles, mais que les concepts suprasensibles se servent, en les re-déterminant, des désignations sensibles. Elle cause des malentendus, ce pourquoi la raison doit lutter contre l’origine sensible des mots, contre les figurations lexicales qui lui permettent de se formuler. C’est à ce niveau que Fichte, après avoir présenté la formation des mots, s’attache à leur assemblage pour un sens déterminé. Autrement dit, c’est ici qu’il envisage la genèse de la syntaxe :
16 Ce faisant, il trace les grandes lignes d’un programme entièrement déductif. Le langage, dans sa plus simple expression, aurait été composé de mots valant des phrases entières, comprenant un substantif et un verbe à l’aoriste de la troisième personne… Le caractère dominant de ce premier langage est l’indétermination, qui s’exprime par exemple dans la 3e personne, dans le neutre ou dans l’aoriste. Le langage est dans son essence infiniment déterminable, mais non pas pour cela déterminé [25]; il est une possibilité de l’homme, non une contrainte. En effet :
17 C’est pourquoi la langue commence avec le substantif, comme le plus indéterminé, puis viennent les adjectifs. Ainsi, le style narratif impersonnel devait précéder l’expression de l’interlocution et l’apparition des pronoms personnels. La différenciation des phrases prédicatives s’est dégagée des phrases-mots initiales. Avec la distinction du sujet et du prédicat, c’est la position d’une subjectivité qui devient possible. La troisième personne constative précède la seconde, impliquée dans les négociations et les contrats, dans l’ordre pratique, qui précède à son tour l’éclosion de la forme même de la subjectivité :
18 Le Je, comme première personne, témoigne […] d’un plus haut degré de civilisation et fut donc désigné en dernier lieu. […] Je exprime le caractère suprême de la raison. [27]
19 Comme l’autoposition du Je est au fondement de l’exercice de la pensée, sa position dans le langage est l’indice de la réflexivité. Temps et cas sont dérivés de la sorte, du moins déterminé au plus déterminé. Un substantif est ainsi spécifié par la prédication, qui peut introduire des déterminations circonstancielles (temps et lieu) et adjectives. « C’est ainsi que naquit la grammaire, du seul besoin de la langue, et grâce au progrès que la raison humaine fit peu à peu [28]. »
20 Par l’explication de la liaison entre les lois de la pensée et les catégories de la grammaire, par l’esquisse d’une possible grammaire philosophique, Fichte, dans la Doctrine de la Science en général et dans cette application locale en particulier, rend possible après Kant une nouvelle approche théorique du langage.
Humboldt en 1795 : Penser et parler
21 Une question importante pour l’appréciation de l’inspiration kantienne et fichtéenne de Humboldt en direction d’une pensée du langage qui en prolonge, mais aussi remet en question les positions, est de situer les commencements de son intérêt et les apports théoriques dont il a pu se nourrir. Le premier texte qu’il ait rédigé directement sur des problèmes de langage, précède en effet son long séjour à Paris et son étude des philosophes français [29]. Si l’échange avec Schiller fut important, celui-ci était d’abord un poète aux yeux de Humboldt, pas un philosophe. Schiller ne réfléchit pas sur la langue. Mais depuis quand est-ce le cas de Humboldt ? Il séjourne alors à Iéna depuis 1794, année où Fichte publié un résumé de ses cours qui faisaient alors sensation, la Grundlage der Wissenschaftslehre. Il était un auditeur attentif de Fichte [30]. Nous ne connaissons qu’un texte de deux pages et demi, daté par Leitzmann des années 1795-96 et intitulé par lui Über Denken und Sprechen, où il esquisse en 16 propositions une théorie du langage [31]. Dans quelle mesure se situe-t-il dans le prolongement de Kant et Fichte ? En quoi annonce-t-il déjà sa propre pensée du langage ?
22 Dans ses thèses, Humboldt montre qu’il connaissait Fichte et réagit manifestement au texte sur l’origine du langage [32]. Celui-ci est conçu comme un instrument de la liberté, en un sens pragmatique, lié à l’intersubjectivité [33]. Deux questions se posent ici : Humboldt a-t-il déjà l’idée du langage comme accès premier à la connaissance, comme « organe formateur de la pensée [34] » ? Manifestement non, puisqu’il déduit encore le langage des opérations de l’esprit séparant et unissant la sensibilité et l’entendement. De façon kantienne, il note que la pensée, y compris la plus abstraite, ne peut se passer des formes de la sensibilité que sont le temps et l’espace. Seule l’analyse de ces continus en signes sensibles, notamment en signes langagiers, permet à la pensée de parvenir à son expression et à la conscience d’elle-même. Une pensée ne peut se « produire » (geschehen), il ne peut autrement dit y avoir une « expérience de la pensée » que par la sensibilisation des concepts purs de l’entendement que sont les catégories. Ce sont les signes qui permettent la pensée. L’auto-affection procède des signes linguistiques et engage donc l’intersubjectivité.
23 Le langage est le temps qui est là, interrompu et noté, permettant la réflexion du temps lui-même. Le primat du temps dans la schématisation qui est d’abord une temporalisation des concepts se retrouve et justifie le primat des sons comme les éléments temporels discrets successifs permettant l’articulation. Ce n’est pas ici le simple modèle de l’écoute comme suggestion abstraite (dans une tradition luthérienne retrouvée par Herder), mais comme déploiement d’une articulation temporelle, relevant des signes les plus disponibles, libérant d’autant la pensée dans son organisation.
24 Il y a dans ce premier texte sur le langage de Humboldt deux expressions qui indiquent cette propriété de mise à distance du flux des représentations : l’esprit doit « s’arrêter un instant », still stehen (§ 2) pour isoler une « unité ». C’est la condition de la « réflexion ». En même temps que ce premier acte de réflexion, l’homme s’éveille à la conscience de lui-même dès le premier « mot » (§ 7) qui lui donne pour ainsi dire un « premier point d’appui » [35], qui lui permet de « s’arrêter soudain [36] », de « regarder autour de lui et de s’orienter ». Dès lors, il peut non seulement se fixer dans la continuité temporelle, mais aussi s’inscrire dans un espace – car la langue spatialise. Cette irruption du « mot » est le véritable point archimédien de la conscience de soi. Il est significatif de voir que Humboldt ne pense pas ici ce coup d’arrêt comme venu de l’extérieur, de l’expérience, de la tradition (comme auraient dit Hume ou Hamann), mais au contraire comme étant « donné à lui-même », der erste Anstoß, den sich der Mensch selbst gibt ! L’arrêt dans le flux des représentations est une autolimitation du moi. Le signe linguistique permet la prise de conscience en tant qu’il donne à l’esprit un premier point d’appui. Ce retour à soi est le fait du moi lui-même et procède de son autoposition. De même, dans la Grundlage der WL, Fichte explique la réflexion par le retour à soi de l’activité du moi, produisant son autolimitation [37]. L’arrêt suppose l’activité du moi. L’autolimitation conditionne l’autodétermination et ultérieurement la constitution de la sphère objective. Le signe linguistique récapitule ainsi les trois dimensions de l’auto-affection chez Kant : celle du sens interne renvoyant à la temporalité, au choix du medium de la succession sonore ; celle du respect qui renvoie à l’altérité et à l’interlocution ; celle enfin du plaisir esthétique renvoyant à la communicativité.
25 Humboldt reprend une analyse fichtéenne, mais la rapporte à la problématique du langage. C’est pourquoi il donne l’impression de livrer un commentaire de l’article de Fichte sur la faculté linguistique, qu’il corrige en direction d’une réévaluation du langage sensible. Le mot à quoi se réduit ici le langage est un signe dans le temps, détaché par la « voix » du continu temporel (§11), que l’esprit se « donne à lui-même » indépendamment de toute prise en compte de sa formation empirique. Humboldt oppose nettement le cri issu de la sensation (Empfindung) au domaine proprement linguistique, qui suppose la distance et la conscience de soi [38]. La voix (Stimme) s’oppose au cri (Geschrei) comme étant l’élément qui peut être déterminé (bestimmbar), lieu d’affirmation de la pensée et de la liberté. L’articulation conduit à la pensée, qui est aussitôt pensée sous le signe de la compréhension mutuelle. La pensée se constitue via le langage et porte en elle la dimension de l’interlocution.
26 Il est significatif de voir Humboldt reconnaître au langage la faculté d’étendre la capacité de penser par des combinaisons inédites de jugements, mais en cela d’affirmer surtout la liberté. Cette liberté est d’emblée une liberté partagée, que l’échange vient animer. Si la connaissance d’un contexte plus vaste de discussion sur le langage doit être présupposée sans que l’on puisse aller au-delà des conjectures, l’empreinte idéaliste, liée aux échanges intellectuels nourris lors de son séjour à Iéna, est indéniable. Le contexte post-kantien de réflexion sur le langage fut marqué par la publication de l’essai de Fichte et par les discussions qu’il suscita, directement ou indirectement. La conscience de soi nait dans l’écart que les signes instaurent et qu’ils marquent dans la synthèse de la phrase. Ils permettent un arrêt du devenir, un regard périphérique (Umsicht) et une orientation.
27 Les thèses de 1795 indiquent précisément comment Humboldt comprend alors le rôle du langage dans le « travail de l’esprit » accédant à la conscience de soi. Ainsi, les coordonnées d’une réflexion adéquate sur le langage en général sont posées dès ces premières pages humboldtiennes. Sans reprendre le style de la spéculation fichtéenne, Humboldt retient cependant l’idée d’une indispensable réflexion générale sur le langage comme orientation de toute étude spécifique. Il fait porter sa réflexion sur le motif d’une libération par le langage, condition et amplification de la conscience de soi. En explicitant la fonction d’autoposition de la conscience de soi dans le langage, Humboldt place celui-ci au centre de la subjectivité. La fonction du verbe représentant l’acte synthétique de la conscience de soi demeurera le point crucial de son analyse des langues. Par son appropriation de Kant et de Fichte, Humboldt préparait le fondement de son analyse du langage ultérieure dans son aspect universel. Il la complétera par la dimension de la diversité sans jamais renier l’orientation philosophique.
Wilhelm von Humboldt Penser et parler (Gesammelte Schriften, t. VII, pp. 581-583)
28 Traduit de l’allemand par Denis Thouard
- L’essence de la pensée consiste à réfléchir, c’est-à-dire à distinguer le pensant du pensé.
- Pour réfléchir, l’esprit doit s’arrêter un instant dans sa progression, saisir en une unité ce qu’il vient de représenter et de cette façon se l’opposer à soi en tant qu’objet.
- Les unités dont il peut par cette voie former plusieurs, il les compare à leur tour entre elles et les sépare et relie selon ses besoins.
- L’essence de la pensée consiste ainsi à faire des coupes dans sa propre marche ; par là à former des totalités à partir de certaines portions de son activité ; et à opposer ces formations séparément entre elles, mais toutes ensemble en tant qu’objet au sujet pensant.
- Aucune pensée, pas même la plus pure, ne peut se produire autrement qu’à l’aide des formes universelles de notre sensibilité ; ce n’est qu’en elles que nous pouvons la saisir et pour ainsi dire la fixer.
- La désignation sensible des unités sous lesquelles certaines portions de la pensée sont réunies pour être opposées, en tant que parties à d’autres parties d’une totalité plus grande, en tant qu’objet au sujet, s’appelle au sens le plus large du mot : langue.
- La langue commence donc immédiatement et aussitôt avec le premier acte de réflexion, et comme l’homme s’éveille à la conscience de soi à partir de la torpeur des désirs où le sujet engloutit l’objet, le mot est aussi là – pour ainsi dire le premier appui que l’homme se donne à lui-même pour s’arrêter soudain, regarder autour de lui et s’orienter.
- L’homme qui cherche la langue cherche des signes sous lesquels il puisse, en vertu des coupes qu’il fait en sa pensée, résumer des totalités en tant qu’unité. Pour de tels signes, les phénomènes compris sous le temps sont plus commodes que ceux compris sous l’espace.
- Les contours de choses paisiblement contiguës se confondent facilement pour l’imagination comme pour l’œil. Dans la succession temporelle en revanche, l’instant présent découpe une limite déterminée entre le passé et le futur. Entre être et n’être plus, aucune confusion n’est possible.
- L’œil pris immédiatement et de lui-même ne déterminerait aucune autre limite qu’entre des couleurs différentes, mais non entre différents objets suivant leurs contours. Il ne parvient à cette détermination que par la main qui tâte, donc accompagne le corps dans une succession temporelle, soit par le mouvement par lequel un objet s’arrache à un autre. D’une façon comme de l’autre, c’est après coup qu’il construit ses déductions analogiques.
- Parmi toutes les altérations dans le temps, les plus incisives sont celles produites par la voix. Elles sont en même temps les plus brèves, et provenant de l’homme lui-même, avec le souffle qui l’anime, et résonant instantanément, de loin les plus vivantes et les plus stimulantes.
- Les signes linguistiques sont donc nécessairement des sons, et selon l’analogie cachée qu’il y a entre tous les pouvoirs de l’homme, l’homme devait nécessairement, aussitôt qu’il reconnut distinctement un objet en tant que séparé de lui, énoncer immédiatement aussi le son qui devait le désigner.
- La même analogie se poursuivit. Quand l’homme chercha des signes linguistiques, son entendement avait pour tâche de distinguer. Il forma ainsi des totalités, qui n’étaient pas des choses réelles, mais des concepts, permettant donc un libre usage, de nouvelles séparations et de nouvelles liaisons. Conformément à cela, l’organe de la langue choisit aussi des sons articulés, consistant en éléments permettant de nombreuses nouvelles compositions.
- Il n’existe sinon pas de tels sons dans tout le reste de la nature, parce que personne, hormis l’homme, n’invite ses comparses à comprendre en partageant des pensées, mais au plus à agir en partageant des sentiments.
- L’homme n’accueille ainsi dans sa langue aucun son naturel à l’état brut, mais en forme toujours un semblable à celui qui est articulé.
- Il distingue même nettement son propre cri exprimant ses sentiments de la langue ; et en cela le sentiment oriente très justement même le plus cultivé. S’il est si agité qu’il ne peut plus penser comment écarter de lui l’objet au moins dans la représentation, il expulse le son de nature ; au cas opposé, il parle et n’élève le son qu’à proportion de son affection.
Notes
-
[1]
Voir le volume M. Heinz (éd.), Herders Metakritik. Analysen und Interpretationen, Stuttgart, Frommann-Holzboog, Problemata 154, 2013, et notamment O. Bayer, « Wider die Sprachvergenssenheit transzendentaler Vernunftkritik. Eine Einführung in Hamanns Metakritik über den Purismus der reinen Vernunft » (ibid., pp. 65-79).
-
[2]
Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, III, trad. B. Bourgeois, Paris, Vrin, 1986, § 458. J. Simon, Hegel und das Problem der Sprache, Stuttgart, Kohlhammer, 1966 ; « In Namen denken. Sprache und Begriff bei Hegel », dans B. Lindorfer, D. Naguschewski (éds.), Hegel: Zur Sprache, Tübingen Günter Narr Verlag, 2002, pp. 33-46. F. Schleiermacher, Herméneutique, trad. Chr. Berner, Paris-Lille, Cerf-PUL, 1989.
-
[3]
À son tour, la grammaire générale telle qu’elle apparaît à Port Royal innove profondément par rapport à la tradition grammaticale en réduisant la complexité des formes linguistiques au niveau de la pensée, à partir de laquelle elles sont organisées. On passe avec elle de l’analyse des langues à la proposition d’un modèle explicatif depuis une philosophie de la représentation. Pour une caractérisation concise, voir J.-Cl. Chevalier, « Grammaire générale de Port Royal et tradition grecque : la constitution des parties du discours, classement et signification », dans A. Joly, J. Stéfanini (éds.), La Grammaire générale : des Modistes aux Idéologues, Lille, PUL, 1997.
-
[4]
Par contraste, la Grammaire de Port Royal posait : « On ne peut bien comprendre les diverses sortes de significations qui sont enfermées dans les mots qu’on n’ait bien compris auparavant ce qui se passe dans nos pensés, puisque les mots n’ont été inventés que pour les faire connaître » (Grammaire générale et raisonnée (1660), Paris, Perlet, 1803, IIe partie, p. 270).
-
[5]
Contrairement à l’idée répandue que Kant aurait négligé le langage, reproche émis en premier par Hamann dans sa Métacritique et réitéré par Herder et tant d’autres depuis. Car Hamann reproche l’absence de sensibilité apparente pour la dimension historique du fonds lexical, qui est pour lui le signe d’une inscription de l’homme dans la finitude, dans la tradition et l’histoire, et donc une limitation de la raison. Sur cet aspect, je me permets de renvoyer au développement de cet argument après Kant, dans D. Thouard, « Une métacritique des catégories. L’usage critique d’Aristote par Trendelenburg », dans id. (éd.), Aristote au XIXe siècle, Lille, P. U. du Septentrion, 2004, pp. 37-62. Pour Kant, c’est la position d’un sujet fini, nécessairement perspectif, qui limite, positivement, la raison, et non l’asservissement à des contenus préétablis. Kant a pensé la dimension performative du langage, ce que Fichte a développé avec une grande radicalité. Sur cet aspect chez Kant, l’ouvrage fondamental de J. Simon, Kant. Die fremde Vernunft und die Sprache der Philosophie, Berlin, de Gruyter, 2003.
-
[6]
Kant, Kritik der reinen Vernunft, éd. J. Timmermann, Hambourg, F. Meiner, 2003, § 19.
-
[7]
Voire de la performance du locuteur depuis le niveau des structures profondes du langage, comme l’avait souligné Chomsky, Cartesian Linguistics, MIT, 1968. L’interprétation de la grammaire générale en termes de compétence et performance est sujette à caution, comme les reconstructions historiographiques inventant une « tradition cartésienne » inexistante. Mais Chomsky a cependant vu un point essentiel.
-
[8]
Kant, Leçons de métaphysique, traduction de Monique Castillo, Paris, Livre de poche, 1993, p. 192. Voir aussi les Prolégomènes, § 39, A 118 ; trad. J. Rivelaygue, Œuvres t. II, p. 100. Pour une étude de la grammaire transcendantale, voir M. Riedel, « Vernunft und Sprache. Grundmodell der transzendentalen Grammatik in Kants Lehre vom Kategoriengebrauch », dans Urteilskraft und Vernunft. Kants ursprüngliche Fragestellung, Francfort sur le Main, Suhrkamp, 1989, pp. 44-60. J. Simon, Kant, op. cit., 2003. Prochainement la publication de la thèse de R. Ehrsam, Le Problème du langage chez Kant, qui offre un bilan précis de tous les textes kantiens sur cet argument (à paraître).
-
[9]
Kant, Logik, AA IX, 11 sq. ; Logique, traduction de Louis Guillermit, Paris, Vrin, 1966.
-
[10]
Kant, Kritik der reinen Vernunft, § 10.
-
[11]
Kant, Logique, p. 11 ; AA IX, 12.
-
[12]
Et dans les Progrès de la métaphysique en Allemagne depuis Leibniz et Wolff, en 1788, Kant écrit dans l’introduction : « Il ne s’est pas accompli beaucoup de progrès depuis l’époque d’Aristote. En effet, de même qu’une grammaire est la résolution d’une forme linguistique en ses règles élémentaires, ou la logique quelque chose de semblable pour la forme de la pensée, elle est une résolution de la connaissance en concepts qui résident a priori dans l’entendement et qui ont leur usage dans l’expérience… » (Cf. trad. A. Marty, Kant, Œuvres t. III, p. 1216). Dans les leçons sur la logique, Kant ne considérait pas encore la grammaire comme une science.
-
[13]
C’est aussi la fonction qui était dévolue au commentaire des Aphorismes de Platner, dont l’essai sur le langage prend le relai. Voir notamment la lettre à Christian Gottlob Voigt du 18-19 novembre 1794, dans Fichte, Briefe, Leipzig, Reclam, 1986, p. 124.
-
[14]
Fichte, Sur le concept de la Doctrine de la Science, dans Essais philosophiques choisis, trad. A. Renaut, Paris, Vrin, 1984, p. 39.
-
[15]
Comme le résume très justement Kurt Müller-Vollmer : « Derrière la tentative d’une histoire de la langue d’après des principes a priori, il y a l’intention de déterminer à neuf, d’un point de vue transcendantal, les représentations ou les concepts de la grammaire philosophique ou générale, telle qu’elle provenait de la tradition de la linguistique cartésienne des XVIIe et XVIIe siècles. Ce qui demeure souvent chez Fichte à l’état d’indication ou d’allusion, et qui désorientait le lecteur dans son accomplissement, Bernhardi et Humboldt en font peu après le point de départ d’une nouvelle théorie du langage, dans laquelle une fonction essentielle revient à la grammaire générale comprise de façon transcendantale. Fichte produit ainsi une liaison entre les lois de la pensée et les catégories de la grammaire » (« Fichte und die romantische Sprachtheorie », dans K. Hammacher (éd.), Der transzendantale Gedanke, Hambourg, F. Meiner, 1981, p. 444).
-
[16]
Fichte, Von der Sprachfähigkeit und dem Ursprung der Sprache, L’Essai sur la faculté linguistique et l’origine du langage (1795), dans Essais philosophiques choisis, trad. A. Renaut, Paris, Vrin, 1984. L’Essai a paru en trois livraisons dans le Philosophisches Journal de Niethammer en 1795 et exerça une grande impression sur les contemporains, alors que la critique s’est le plus souvent trouvée désemparée face à lui (A. Philonenko, dans la préface à la traduction française ; J. Quillien, L’Anthropologie philosophique, p. 590). Eva Fiesel avait souligné son importance, notamment pour Bernhardi. Voir E. Fiesel, Die Sprachphilosophie der deutschen Romantik (1801-1816), Tübingen, Mohr, 1927, p. 29, pp. 56-58, comme L. Formigari, La logica del pensiero vivente, Bari, Laterza, 1977, pp. 53-60. En 1797, Fichte donna à nouveau au semestre d’été des leçons sur la logique et la métaphysique « Sur l’origine du langage » (GA VI/I, 292-326). L’incidence de ce texte pour Humboldt a été soulignée, après K. Müller-Vollmer, par J. Quillien, L’Anthropologie philosophique de G. de Humboldt, Lille, PUL, 1991, p. 591, 593 ; W. Janke, « Logos : Vernunft und Wort. Humboldts Weg zur Sprache und Fichtes Sprachabhandlung », dans W. Janke, Entgegensetzungen, Amsterdam, Rodopi, 1994, pp. 23-45. Sur le texte de Fichte, on lira des éléments intéressants chez K. Kahnert, « Sprachursprung und Sprache bei J.G. Fichte », dans Chr. Asmuth (éd.), Sein-Reflexion-Freiheit. Aspekte der Philosophie J. G. Fichtes, Bochum, Grüner, 1997, pp. 191-219.
-
[17]
L’Essai sur la faculté linguistique, p. 115.
-
[18]
Sur l’illusion inévitable liée à la condition langagière de la pensée : le schématisme permettant de désigner l’esprit (spiritus, l’air, pp. 132-133) ; plus important encore, les deux « fantômes » de la philosophie transcendantale, les concepts abstraits de « chose » (un étant en général) et d’« être » (caractère suprême de la raison) risquant, du fait du langage, d’être assimilés à des substances (pp. 129-130). Voir l’article de W. Janke, « Die Wörter “Sein” und “Ding”. Überlegungen zu Fichtes Philosophie der Sprache », dans Der transzendantale Gedanke, pp. 49-69). Sur les implications de ces analyses pour la stratégie du discours fichtéen, voir D. Thouard, Le Partage des idées, Paris, CNRS, 2007, pp. 67-83.
-
[19]
L’Essai sur la faculté linguistique, p. 119.
-
[20]
Essai sur la faculté linguistique p. 120.
-
[21]
Novalis Werke II, 12, éd. H. J. Mähl, R. Samuel, Hambourg, Hanser, 1978 ; cf. Novalis, Les Années d’apprentissage philosophique. Études fichtéennes 1795-96, traduit par Augustin Dumont, Lille, P. U. Septentrion, 2012, p. 39. Voir aussi Augustin Dumont, L’Opacité du sensible chez Fichte et Novalis. Théories et pratiques de l’imagination transcendantale à l’épreuve du langage, Grenoble, J. Millon, 2012.
-
[22]
Essai sur la faculté linguistique, p. 122 ; GA I, 3, 310.
-
[23]
Essai sur la faculté linguistique, pp. 132-133. GA I, 3, 323.
-
[24]
Essai sur la faculté linguistique, pp. 133-134.
-
[25]
Cette opposition trouve son origine chez Kant, avec la distinction de l’imagination productrice (transcendantale) et reproductrice (empirique) : la synthèse de l’imagination est « un exercice de la spontanéité qui est déterminant et non pas simplement déterminable
-
[26]
comme le sens, et, par suite, elle peut déterminer a priori le sens, quant à sa forme, conformément à l’unité de l’aperception » (Kritik der reinen Vernunft § 24 ; trad. Œuvres t. I, p. 867). Le langage est le fait de l’imagination reproductrice, dont la synthèse est uniquement soumise à des lois empiriques, celles de l’association, et n’appartient pas à la philosophie transcendantale, mais à la psychologie.
Essai de la faculté linguistique, p. 138. -
[27]
Essai de la faculté linguistique. p. 141 ; GA I, 3, pp. 334-335. Des analyses comparables se rencontrent chez Kant, Anthropologie, § 1, ou Hegel, mais elles prennent une portée particulière avec Fichte, puisqu’elles réfléchissent chez lui le lieu même de la raison comme acte, voire comme performatif selon I. Thomas-Fogiel, Fichte. Réflexion et argumentation, Paris, Vrin, 2004.
-
[28]
Essai de la faculté linguistique, p. 144.
-
[29]
La confrontation avec la tradition condillacienne a été l’occasion d’un débat concernant les influences réelles ou supposées subies par Humboldt. Une interprétation équilibrée est fournie par W. Oesterreicher, « Wem gehört Humboldt ? Zum Einfluß der französischen Aufklärung auf die Sprachphilosophie der deutschen Romantik » (Logos Semantikos, I, Berlin, New York, de Gruyter, 1981, pp. 117-135).
-
[30]
Fichte (à Schiller, 27 juin 1795 ; à Reinhold, 2. Juillet 1795), Briefe, Leipzig, 1986, p. 155, p. 160.
-
[31]
W. von Humboldt, Gesammelte Schriften (GS), Berlin, Akademie der Wissenschaften, 1900 : GS VII, pp. 581-583. Voir la traduction que j’en propose infra.
-
[32]
Jean Quillien pense que ces pages ont été provoquées par l’article de Fichte, qu’elles sont en débat non avec Herder comme il est parfois dit, mais bien avec Fichte. Cependant il souligne l’opposition à Fichte et la proximité avec Herder, alors que nous y voyons au contraire le témoin décisif d’une inspiration fichtéenne en ce qu’il met en avant la subjectivité dans le langage. Voir J. Quillien, L’Anthropologie philosophique de G. de Humboldt, Lille, PUL, 1991, pp. 591-598. Voir également W. Janke, « Logos : Vernunft und Wort. Humboldts Weg zur Sprache und Fichtes Sprachabhandlung », dans Entgegensetzungen, Amsterdam, Rodopi, 1994, pp. 23-45 ; Ch. Stetter, Schrift und Sprache, Francfort sur le Main, Suhrkamp, 1999, pp. 400-411.
-
[33]
Il intervient sur le fond d’un débat où les positions de Herder sur l’inséparabilité de la réflexion et du langage, de Jacobi sur la consanguinité de la raison et du langage et le primat de l’interlocution ont certainement joué un rôle. Jacobi a pu répercuter certaines thèses anti-kantiennes de Hamann, avec qui il entretint une relation étroite, ainsi qu’une correspondance.
-
[34]
GS V, 374.
-
[35]
Der erste Anstoß – le vocabulaire est proche de Fichte qui fait suivre aussitôt après ce « coup d’envoi » un « contrecoup », Gegenstoß, faisant intervenir autrui sous la forme plus générale du Non-Moi. Ici (§ 16), c’est l’Ausstoß qui répond à l’Anstoß, mais comme simple extériorisation de l’affect.
-
[36]
C’est un « coup d’arrêt » nécessaire dans le flux des représentations. Sur le thème de l’interruption et son importance pour Humboldt, voir l’étude de Christoph König consacrée à son échange avec Schiller au sujet du poème « La promenade », Chr. König, « Penser le langage. Humboldt après Schiller », dans Chr. König, D. Thouard (éds.), La Philologie au présent, Lille, P. U. du Septentrion, 2010, pp. 109-125.
-
[37]
Fichte, Grundlage der gesamten Wissenschaftslehre, Leipzig, 1794, p. 173.
-
[38]
Fichte précisait dans l’article de 1795 : « Unwillkürlicher Ausbruch der Empfindung ist nicht Sprache ». Humboldt oppose de même l’Empfindgunsgeschrei comme Naturlaut au langage (§ 16).