Notes
-
[1]
Leibniz, Textes inédits, publiés par G. Grua, Paris, 1948, p. 553-555. G. Grua ne distingue pas formellement les deux états, mais précise les suppressions et ajouts de Leibniz. Voir également E. Naert, Double infinité chez Pascal et Monade, Studia Leibnitiana, XVII/1, 1985, p. 44-51 (reproduction du manuscrit en hors-texte) ; F. Burbage et N. Chouchan, Leibniz et l’infini, Paris, puf, 1993, p. 117-119 ; Leibniz, Kleine Schriften zur Metaphysik, éd. H. H. Holz, Darmstadt, 1965, sous le titre Infinité (p. 372-385).
-
[2]
Outre quelques importantes remarques textuelles, on trouve une reproduction du folio 212v dans J. Baruzi, Leibniz et l’organisation religieuse de la terre, Paris 1907, hors-texte. L’état 2 est repris partiellement dans J. Baruzi, Leibniz, Paris, 1909, p. 299-301.
-
[3]
Pascal, Pensées sur la religion et quelques autres sujets, 2e édition, Paris, 1670, no 22, p. 169-175 (réimpression avec une présentation de G. Couton et J. Jehasse, Saint-Étienne, 1971), notée PR avec, dans le texte, l’indication de la pagination originale entre parenthèses. Les ajouts de PR aux manuscrits sont indiqués entre *…* et les suppressions entre […]. Sur cette édition, voir la présentation de l’édition indiquée et celle de M. Le Guern, in Pascal, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2000, p. 1593-1599.
-
[4]
L 199, Disproportion de l’homme, in Pascal, Œuvres complètes éd. L. Lafuma, Paris, Le Seuil, 1963, p. 525-528.
-
[5]
Je remercie vivement Arnaud Pelletier pour les indications qu’il a eu l’amabilité de me communiquer.
-
[6]
des parties (biffé)
-
[7]
approuvée, rayé puis remplacé au-dessus de la ligne par soutenue.
-
[8]
ne s’y sont point opposés (biffé)
-
[9]
dans le (biffé)
-
[10]
la aj. Leibniz.
-
[11]
Pascal, du début jusqu’ici :
9 – (Voilà où nous mènent les connaissances naturelles.
Si celles-là ne sont véritables il n’y a point de vérité dans l’homme, et si elles le sont il y trouve un grand sujet d’humiliation, forcé à s’abaisser d’une ou d’autre manière.
Et puisqu’il ne peut subsister sans les croire je souhaite avant que d’entrer dans de plus grandes recherches de la nature, qu’il la considère une fois sérieusement et à loisir, qu’il se regarde aussi soi-même – et qu’il juge s’il a quelque proportion avec elle, par la comparaison qu’il fera de ces deux objets.) -
[12]
Pascal : regarde
-
[13]
Pascal : n’est qu’une pointe… délicate
-
[14]
Pascal : ces
-
[15]
Pascal : Tout le monde visible
-
[16]
Pascal : n’en approche
-
[17]
Pascal : conceptions au-delà des espaces imaginables
-
[18]
Pascal : le plus grand caractère sensible
-
[19]
Pascal : à la place de l’ajout j’entends l’univers
-
[20]
Pascal : ces
-
[21]
Id.
-
[22]
Pascal : en
-
[23]
Pascal : ces
-
[24]
Pascal : lui veux
-
[25]
Pascal : mais l’immensité qu’on peut concevoir de la nature dans l’enceinte de ce raccourci d’atome
-
[26]
Pascal : d’univers
-
[27]
Leibniz ajoute : (ou des choses analogiques).
-
[28]
Pascal : qu’il se perdra
-
[29]
Pascal : dans
-
[30]
Difficulté : PR indique une virgule avant imperceptible et Lafuma ni Sellier (S 230) non. Est-ce l’univers qui est imperceptible ou le corps ?
-
[31]
Pascal: à présent
-
[32]
Pascal : du néant
-
[33]
Pascal : de soi-même
-
[34]
Pascal : et se considérant soutenu
-
[35]
Leibniz omet « éloigné ».
-
[36]
Pascal : de comprendre les extrêmes
-
[37]
Pascal (depuis extrêmes) : la fin des choses et leurs principes sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable.
Également – incapable de voir le -
[38]
Pascal : et
-
[39]
Texte remonté de quelques lignes (voir plus bas)
-
[40]
Pascal depuis < : Que fera(-t-)il donc sinon
-
[41]
Pascal : leur
-
[42]
Pascal : leur
-
[43]
Pascal : suivra
-
[44]
Pascal : tout
-
[45]
Texte omis dans PR :
Manque d’avoir contemplé ces infinis les hommes se sont portés témérairement à la recherche de la nature comme s’ils avaient quelque proportion avec elle.
C’est une chose étrange qu’ils ont voulu comprendre les principes des choses et de là arriver jusqu’à connaître tout, par une présomption aussi infinie que leur objet. Car il est sans doute qu’on ne peut former ce dessein sans une présomption ou sans une capacité infinie, comme la nature.
Quand on est instruit on comprend que la nature ayant gravé son image et celle de son auteur dans toutes choses elles tiennent presque toutes de sa double infinité. C’est ainsi que nous voyons que toutes les sciences sont infinies en l’étendue de leurs recherches, car qui doute que la géométrie par exemple a une infinité d’infinités de propositions à exposer. Elles sont aussi infinies dans la multitude et la délicatesse de leurs principes, car qui ne voit que ceux qu’on propose pour les derniers ne se soutiennent pas d’eux-mêmes et qu’ils sont appuyés sur d’autres qui en ayant d’autres pour appui ne souffrent jamais de dernier.
Mais nous faisons des derniers qui paraissent à la raison, comme on fait dans les choses matérielles où nous appelons un point indivisible, celui au-delà duquel nos sens n’aperçoivent plus rien, quoique divisible infiniment et par sa nature.
De ces deux infinis des sciences celui de grandeur est bien plus sensible, et c’est pourquoi il est arrivé à peu de personnes de prétendre connaître toutes choses. Je vais parler de tout, disait Démocrite.
Mais l’infinité en petitesse est bien moins visible.
Les philosophes ont bien plutôt prétendu d’y arriver, et c’est là où tous ont achoppé. C’est ce qui a donné lieu à ces titres si ordinaires, Des principes des choses, Des principes de la philosophie, et aux semblables aussi fastueux en effet, quoique moins en apparence que cet autre qui crève les yeux : De omni scibili.
On se croit naturellement bien plus capable d’arriver au centre des choses que d’embrasser leur circonférence, et l’étendue visible du monde nous surpasse visiblement. Mais comme c’est nous qui surpassons les petites choses nous nous croyons plus capables de les posséder, et cependant il ne faut pas moins de capacité pour aller jusqu’au néant que jusqu’au tout. Il la faut infinie pour l’un et l’autre, et il me semble que qui aurait compris les derniers principes des choses pourrait aussi arriver jusqu’à connaître l’infini. L’un dépend de l’autre et l’un conduit à l’autre. Ces extrémités se touchent et se réunissent à force de s’être éloignées et se retrouvent en Dieu, et en Dieu seulement.
Connaissons donc notre portée. Nous sommes quelque chose et ne sommes pas tout. Ce que nous avons d’être nous dérobe la connaissance des premiers principes qui naissent du néant, et le peu que nous avons d’être nous cache la vue de l’infini. -
[46]
Pascal : Bornés en tout genre, cet
-
[47]
Pascal : empêchent
-
[48]
Pascal : de discours l’obscurcit
-
[49]
Pascal : trop de vérité nous étonne. J’en sais qui ne peuvent comprendre que qui de zéro ôte 4 reste zéro. Les premiers principes ont trop d’évidence pour nous ;
-
[50]
Pascal : déplaisent dans la musique, et trop de bienfaits irritent
-
[51]
Pascal : Nous voulons avoir de quoi surpasser la dette. Beneficia eo usque laeta sont dum videntur exsolvi posse. Ubi multum antevenere pro gratia odium redditur
-
[52]
Pascal : empêche
-
[53]
Pascal : enfin les
-
[54]
Pascal : point
-
[55]
(ici bas) ajout de Leibniz.
-
[56]
Pascal : C’est ce qui nous rend incapables de savoir certainement et d’ignorer absolument.
-
[57]
Pascal : voguons
-
[58]
Pascal : poussés d’un bout vers l’autre ; quelque terme où nous pensions nous attacher et nous affermir, il
-
[59]
Pascal : et nous quitte, et si nous le suivons il échappe à
-
[60]
Pascal : nous glisse
-
[61]
Pascal : s’arrête pour nous
-
[62]
Pascal : C’est l’état qui nous est naturel
-
[63]
Pascal : le
-
[64]
Pascal : trouver une assiette ferme, et une dernière base constante pour y édifier
-
[65]
Pascal : fondement
-
[66]
« Ce qui est ajouté par moi à la marge, je l’ai mieux écrit sur un autre papier ». Transcription de J. Baruzi, O, 225. L’« autre papier » est sans nul doute le f. 213.
-
[67]
Tout l’alinéa est biffé.
-
[68]
Remplace un mot rayé.
-
[69]
du grec aion (ère).
-
[70]
[toujours subsistant par conséquent] biffé.
-
[71]
[Seul vrai Être, seule manière de vrai être, toujours subsistant, et qui ne périra jamais non plus que Dieu et l’univers, qu’il doit toujours représenter et en tout : étant en même temps moins qu’un Dieu et plus qu’un univers matériel ; s’apercevant de tout confusément, au lieu que Dieu sait tout distinctement sachant quelque chose distinctement, tout. Une divinité diminutive, un univers matériel éminemment. Dieu en ectype et cet univers en prototype, <puisque l’intelligible est la source du sensible par rapport à l’intelligence primitive source de toutes choses>.] biffé.
-
[72]
[ ; étant en même temps infiniment moins qu’un Dieu, et incomparablement plus qu’un. univers de matière ; sentant tout confusément, au lieu que Dieu sait tout distinctement ; sachant quelque chose distinctement, au lieu que toute la matière ne sent et ne sait rien du tout. Une divinité, diminutive, un Univers de matière éminemment ; Dieu en ectype et ce même univers en prototype ; imitant Dieu et imité de l’univers par <rapport à> ses pensées distinctes, semblable à Dieu par les pensées distinctes, semblable à la matière par les confuses ; l’intelligible étant toujours antérieur au sensible dans les idées de l’intelligence primitive source des choses.] biffé.
-
[73]
[elle imitera Dieu.] biffé.
-
[74]
[L’univers] biffé.
1Nous proposons un essai de reconstruction des deux états, constituée essentiellement à partir de l’édition de G. Grua [1] et des remarques de J. Baruzi [2], en reproduisant le passage de Pascal (à partir de l’édition dite de Port-Royal [3]) qui est recopié par Leibniz dans le premier état et que Grua avait omis. En variante au texte de Pascal nous indiquons le texte original, auquel Leibniz n’a pas eu accès, rétabli à partir de l’édition Lafuma [4] et ce que nous avons pu lire des modifications mineures apportées par Leibniz. La photocopie du manuscrit original (LH, IV, 212r-213v) a permis quelques ajouts et corrections aux éléments donnés antérieurement ; cette présentation n’a pas l’ambition de tenir lieu d’édition critique, qui reste entièrement à faire [5].
État 1 (f. 212 r-v)
2[Monsieur] <L’infini actuel dans les choses matérielles tant en augmentant qu’en diminuant, c’est-à-dire la division actuelle de chaque partie [6] de la matière à l’infini, et en même temps> l’infinité de l’étendue de la Matière, a été soutenue [7] par M. Pascal, et <il est visible que> ceux qui ont recueilli ses Pensées, aussi bien que les Évêques et docteurs qui les ont approuvées [8], y ont donné les mains. Voilà un des passages qui le fait connaître : c’est au [9] nombre 22, intitulé Connaissance générale de l’homme :
3(PR 169) *La première chose qui s’offre à l’homme, quand il se regarde, c’est son corps, c’est-à-dire une certaine portion de la [10] matière qui lui est propre. Mais pour comprendre ce qu’elle est, il faut qu’il la compare avec tout ce qui est au-dessus de lui, et tout ce qui est au-dessous, afin de reconnaître ses justes bornes.
4Qu’il ne s’arrête donc pas à regarder simplement les objets qui l’environnent. Qu’il* [11] contemple [donc] la nature entière dans sa haute et pleine majesté. Qu’il éloigne sa vue des objets [bas] qui l’environnent. Qu’il considère [12] cette éclatante lumière, mise comme une lampe (PR 170) éternelle pour éclairer l’univers. Que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit. Et qu’il s’étonne de ce que ce vaste tour lui-même n’est qu’un point [13] très délicat à l’égard de celui que les [14] astres, qui roulent dans le firmament, embrassent. Mais si notre vue s’arrête là, que l’imagination passe outre. Elle se lassera plutôt de concevoir que la nature de fournir. Tout ce que nous voyons du monde [15] n’est qu’un trait imperceptible dans l’ample sein de la nature. Nulle idée n’approche de l’étendue de ses espaces [16], nous avons beau enfler nos conceptions [17], nous n’enfantons que des atomes au prix de la réalité des choses. C’est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin c’est un des plus grands caractères sensibles [18] de la toute-puissance de Dieu que notre imagination se perde dans cette pensée. Que l’homme étant revenu à soi considère ce qu’il est au prix de ce (PR 171) qui est. Qu’il se regarde comme égaré *dans ce canton détourné de la nature*. Et que de ce *qui lui paraîtra ce* petit cachot où il se trouve logé, *c’est-à-dire ce monde visible* [19], il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes, [les maisons] et soi-même, son juste prix.
5Qu’est-ce qu’un homme, dans l’infini ? *Qui le peut comprendre ?* Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu’il recherche dans ce qu’il connaît les choses les plus délicates. Qu’un ciron, *par exemple,* lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ces [20] jambes, du sang dans ces [21] veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes. Que divisant encore ces dernières choses il épuise ses forces et [22] ses [23] conceptions et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours. Il pensera peut-être que c’est là l’extrême (PR 172) petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là-dedans un abîme nouveau. Je veux lui [24] peindre non seulement l’univers visible, mais encore tout ce qu’il est capable de concevoir de l’immensité de la nature dans l’enceinte de cet atome imperceptible [25]. Qu’il y voie une infinité de mondes [26], dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible ; dans cette terre des animaux, et enfin des cirons dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné [27], *et* trouvant encore dans les autres la même chose sans fin et sans repos, qu’il se perde [28] dans ces merveilles aussi étonnantes par [29] leur petitesse, que les autres par leur étendue. Car qui n’admirera que notre corps, qui tantôt n’était pas perceptible dans l’univers, imperceptible [30] lui-même dans le sein du tout, soit maintenant [31] un colosse, un monde ou plutôt un tout à égard de la dernière petitesse [32] où l’on ne peut arriver ?
6(PR 173) Qui se considérera de la sorte s’effraiera sans doute [33] de se voir comme suspendu [34] dans la masse que la nature lui a donnée entre ces deux abîmes de l’infini et du néant *dont il est également éloigné*, il tremblera dans la vue de ces merveilles et je crois que sa curiosité se changeant en admiration il sera plus disposé à les contempler en silence, qu’à les rechercher avec présomption. Car enfin qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout, *Il est* infiniment [éloigné] [35] des deux extrêmes [36] ; et son être n’est pas moins distant du [37] néant d’où il est tiré que de [38] l’infini où il est englouti.
7*Son intelligence tient dans l’ordre des choses intelligibles le même rang que son corps dans l’étendue de la nature [39] ; et tout ce qu’elle peut faire est* [40] d’apercevoir quelque apparence du milieu des choses dans un désespoir éternel de connaître ni le [41] principe ni la [42] fin. Toutes choses (PR 174) sont sorties du néant et portées jusqu’à l’infini. Qui peut suivre [43] ces étonnantes démarches ? L’auteur de ces merveilles les comprend. Nul [44] autre ne le peut faire.[***] [45]
8Cet [46] état qui tient le milieu entre deux extrêmes se trouve en toutes nos puissances.
9Nos sens n’aperçoivent rien d’extrême, trop de bruit nous assourdit, trop de lumière nous éblouit, trop de distance et trop de proximité empêchent [47] la vue. Trop de longueur et trop de brièveté obscurcissent un discours [48], [***] [49], trop de plaisir incommode, trop de consonances déplaisent [50]. [***] [51]. Nous ne sentons ni l’extrême chaud, ni l’extrême froid. Les qualités excessives nous sont ennemies et non pas sensibles. Nous ne les sentons plus, nous les souffrons. Trop de jeunesse et trop de vieillesse empêchent [52] l’esprit ; trop et trop peu *de nourriture troublent ses actions ; trop et trop peu* d’instruction *l’abêtissent*. Les [53] choses extrêmes sont pour nous comme si elles n’étaient pas [54] (PR 175) et nous ne sommes point à leur égard ; elles nous échappent ou nous à elles.
10Voilà notre état véritable <(ici-bas)> [55]. C’est ce qui resserre nos connaissances en de certaines bornes que nous ne passons pas, incapables de savoir tout, et d’ignorer tout absolument [56]. Nous sommes [57] sur un milieu vaste, toujours incertains et flottants *entre l’ignorance et la connaissance*, et si nous pensons aller plus avant, notre objet [58] branle, et échappe nos [59] prises, il se dérobe [60] et fuit d’une fuite éternelle ; rien ne le peut arrêter [61]. C’est notre condition naturelle [62] et toutefois la [63] plus contraire à notre inclination.Nous brûlons du désir *d’approfondir tout* et d’édifier [64] une tour qui s’élève *jusqu’* à l’infini. Mais tout notre édifice [65] craque et la terre s’ouvre jusqu’aux abîmes.
11Jusqu’ici M. Pascal. <Was am Rande von mir addiert, habe ich besser auf ein ander Papier geschrieben.> [66] Ce qu’il vient de dire de la double infinité n’est qu’une entrée dans mon système. Que n’aurait-il pas dit, avec cette force d’éloquence qu’il possédait, s’il y était venu plus avant, s’il avait su que toute la matière est organique, et que la moindre portion contient, par l’infinité actuelle de ses parties, d’une infinité de façons, un miroir vivant exprimant tout l’univers infini, de sorte qu’on y pourrait lire (si on avait la vue assez perçante aussi bien que l’esprit) non seulement le présent étendu à l’infini, mais encor le passé, et tout l’avenir [infini pour chaque moment] infiniment infini, puisqu’il est infini par chaque moment, et qu’il y a une infinité de moments dans chaque partie du temps, et plus d’infinité qu’on ne saurait dire dans toute l’éternité future. Mais l’harmonie préétablie passe encore tout cela et donne cette même infinité universelle dans chaque [presque néant] <premier presque néant (qui est en même temps le dernier presque tout et le seul pourtant qui mérite d’être appelé une substance après Dieu)> c’est-à-dire dans chaque point réel, qui fait une Monade, dont moi j’en suis une, et ne périra non plus que Dieu et l’univers, qu’il doit toujours représenter, étant [un Dieu] [comme Dieu] en même temps moins qu’un Dieu et plus qu’un univers de matière : un comme-Dieu diminutif, et un comme-univers éminemment, et comme prototype, les mondes intelligibles étant en ectype les sources du monde sensible dans les idées de Dieu [67].
État 2 (folio 213 r-v)
12Ce que Mons. Pascal dit de la double infinité, qui nous environne en augmentant et en diminuant, lorsque dans ses Pensées (n. 22) il parle de la connaissance générale de l’homme, n’est qu’une entrée dans mon système. Que n’aurait-il pas dit avec cette force d’éloquence qu’il possédait, s’il était venu plus avant, s’il avait su que toute la matière est organique partout, et que sa portion quelque petite qu’on la prenne, contient représentativement [68], en vertu de la diminution actuelle à l’infini qu’elle enferme, l’augmentation actuelle à l’infini qui est hors d’elle dans l’univers, c’est-à-dire que chaque petite portion contient d’une infinité de façons un miroir vivant exprimant tout l’univers infini qui existe avec elle ; en sorte qu’un assez grand esprit, armé d’une vue assez perçante, pourrait voir ici tout ce qui est partout. Mais il y a bien plus : il y pourrait lire encore tout le passé, et même tout l’avenir infiniment infini, puisque chaque moment contient une infinité de choses <dont chacune en enveloppe une infinité>, et qu’il y a une infinité de moments dans chaque <heure ou autre> partie du temps, et une infinité d’heures, d’années, de siècles, d’eônes [69], dans toute l’éternité future. Quelle infinité d’infinités infiniment répliquée, quel monde, quel univers <aperceptible> dans quelque corpuscule qu’on pourrait assigner. Mais toutes ces merveilles sont effacées par l’enveloppement de ce qui est <infiniment> au-dessus de toutes les grandeurs dans ce qui est <infiniment> au-dessous de toutes les petitesses ; c’est-à-dire notre harmonie préétablie, qui vient de paraître aux hommes depuis peu, et qui donne cette même plus qu’infinité <tout à fait> universelle, concentrée dans le plus qu’infiniment petit tout à fait singulier, en mettant virtuellement toute la suite de l’univers dans chaque point réel qui fait une Monade <ou unité substantielle> dont moi j’en suis une ; c’est-à-dire dans chaque substance véritablement une, unique, sujet primitif de la vie et action, toujours doué de perception et appétition, toujours renfermant avec ce qu’il est la tendance à ce qu’il sera, [70] pour représenter toute autre chose qui sera [71]. Le premier presque-Néant en montant du rien aux choses, puisqu’il en est la plus simple, comme il est aussi le dernier presque-tout, en descendant de la multitude des choses vers le rien ; et le seul pourtant qui mérite d’être appelé <un Être>, une substance après Dieu, puisqu’une multitude n’est qu’un amas de plusieurs substances, et non pas un Être, mais des Êtres. C’est ce sujet simple et primitif <des tendances et> des actions, celle source intérieure de ses propres changements, qui est donc la seule manière de vrai Être impérissable, puisqu’il est indissoluble et sans parties, toujours subsistant et qui ne périra jamais, non plus que Dieu et l’univers qu’il doit, toujours représenter et en tout [72]. Et si cette monade est un esprit, c’est-à-dire une âme capable de réflexion et de science [73], elle sera en même temps infiniment moins qu’un Dieu et incomparablement plus que le reste de l’univers des créatures ; sentant tout confusément, au lieu que Dieu sait tout distinctement, sachant quelque chose distinctement, au lieu que toute la matière ne sent et ne sait rien du tout. Ce sera une divinité diminutive et un univers de matière éminemment. Dieu en ectype et cet univers [74] en prototype, l’intelligible étant toujours antérieur au sensible dans les idées de l’intelligence primitive, source des choses. Imitant Dieu et imité par l’univers par rapport à ses pensées distinctes. Sujet à Dieu en tout, et dominateur des créatures autant qu’il est un imitateur de Dieu.
Notes
-
[1]
Leibniz, Textes inédits, publiés par G. Grua, Paris, 1948, p. 553-555. G. Grua ne distingue pas formellement les deux états, mais précise les suppressions et ajouts de Leibniz. Voir également E. Naert, Double infinité chez Pascal et Monade, Studia Leibnitiana, XVII/1, 1985, p. 44-51 (reproduction du manuscrit en hors-texte) ; F. Burbage et N. Chouchan, Leibniz et l’infini, Paris, puf, 1993, p. 117-119 ; Leibniz, Kleine Schriften zur Metaphysik, éd. H. H. Holz, Darmstadt, 1965, sous le titre Infinité (p. 372-385).
-
[2]
Outre quelques importantes remarques textuelles, on trouve une reproduction du folio 212v dans J. Baruzi, Leibniz et l’organisation religieuse de la terre, Paris 1907, hors-texte. L’état 2 est repris partiellement dans J. Baruzi, Leibniz, Paris, 1909, p. 299-301.
-
[3]
Pascal, Pensées sur la religion et quelques autres sujets, 2e édition, Paris, 1670, no 22, p. 169-175 (réimpression avec une présentation de G. Couton et J. Jehasse, Saint-Étienne, 1971), notée PR avec, dans le texte, l’indication de la pagination originale entre parenthèses. Les ajouts de PR aux manuscrits sont indiqués entre *…* et les suppressions entre […]. Sur cette édition, voir la présentation de l’édition indiquée et celle de M. Le Guern, in Pascal, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2000, p. 1593-1599.
-
[4]
L 199, Disproportion de l’homme, in Pascal, Œuvres complètes éd. L. Lafuma, Paris, Le Seuil, 1963, p. 525-528.
-
[5]
Je remercie vivement Arnaud Pelletier pour les indications qu’il a eu l’amabilité de me communiquer.
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[6]
des parties (biffé)
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[7]
approuvée, rayé puis remplacé au-dessus de la ligne par soutenue.
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[8]
ne s’y sont point opposés (biffé)
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[9]
dans le (biffé)
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[10]
la aj. Leibniz.
-
[11]
Pascal, du début jusqu’ici :
9 – (Voilà où nous mènent les connaissances naturelles.
Si celles-là ne sont véritables il n’y a point de vérité dans l’homme, et si elles le sont il y trouve un grand sujet d’humiliation, forcé à s’abaisser d’une ou d’autre manière.
Et puisqu’il ne peut subsister sans les croire je souhaite avant que d’entrer dans de plus grandes recherches de la nature, qu’il la considère une fois sérieusement et à loisir, qu’il se regarde aussi soi-même – et qu’il juge s’il a quelque proportion avec elle, par la comparaison qu’il fera de ces deux objets.) -
[12]
Pascal : regarde
-
[13]
Pascal : n’est qu’une pointe… délicate
-
[14]
Pascal : ces
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[15]
Pascal : Tout le monde visible
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[16]
Pascal : n’en approche
-
[17]
Pascal : conceptions au-delà des espaces imaginables
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[18]
Pascal : le plus grand caractère sensible
-
[19]
Pascal : à la place de l’ajout j’entends l’univers
-
[20]
Pascal : ces
-
[21]
Id.
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[22]
Pascal : en
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[23]
Pascal : ces
-
[24]
Pascal : lui veux
-
[25]
Pascal : mais l’immensité qu’on peut concevoir de la nature dans l’enceinte de ce raccourci d’atome
-
[26]
Pascal : d’univers
-
[27]
Leibniz ajoute : (ou des choses analogiques).
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[28]
Pascal : qu’il se perdra
-
[29]
Pascal : dans
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[30]
Difficulté : PR indique une virgule avant imperceptible et Lafuma ni Sellier (S 230) non. Est-ce l’univers qui est imperceptible ou le corps ?
-
[31]
Pascal: à présent
-
[32]
Pascal : du néant
-
[33]
Pascal : de soi-même
-
[34]
Pascal : et se considérant soutenu
-
[35]
Leibniz omet « éloigné ».
-
[36]
Pascal : de comprendre les extrêmes
-
[37]
Pascal (depuis extrêmes) : la fin des choses et leurs principes sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable.
Également – incapable de voir le -
[38]
Pascal : et
-
[39]
Texte remonté de quelques lignes (voir plus bas)
-
[40]
Pascal depuis < : Que fera(-t-)il donc sinon
-
[41]
Pascal : leur
-
[42]
Pascal : leur
-
[43]
Pascal : suivra
-
[44]
Pascal : tout
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Texte omis dans PR :
Manque d’avoir contemplé ces infinis les hommes se sont portés témérairement à la recherche de la nature comme s’ils avaient quelque proportion avec elle.
C’est une chose étrange qu’ils ont voulu comprendre les principes des choses et de là arriver jusqu’à connaître tout, par une présomption aussi infinie que leur objet. Car il est sans doute qu’on ne peut former ce dessein sans une présomption ou sans une capacité infinie, comme la nature.
Quand on est instruit on comprend que la nature ayant gravé son image et celle de son auteur dans toutes choses elles tiennent presque toutes de sa double infinité. C’est ainsi que nous voyons que toutes les sciences sont infinies en l’étendue de leurs recherches, car qui doute que la géométrie par exemple a une infinité d’infinités de propositions à exposer. Elles sont aussi infinies dans la multitude et la délicatesse de leurs principes, car qui ne voit que ceux qu’on propose pour les derniers ne se soutiennent pas d’eux-mêmes et qu’ils sont appuyés sur d’autres qui en ayant d’autres pour appui ne souffrent jamais de dernier.
Mais nous faisons des derniers qui paraissent à la raison, comme on fait dans les choses matérielles où nous appelons un point indivisible, celui au-delà duquel nos sens n’aperçoivent plus rien, quoique divisible infiniment et par sa nature.
De ces deux infinis des sciences celui de grandeur est bien plus sensible, et c’est pourquoi il est arrivé à peu de personnes de prétendre connaître toutes choses. Je vais parler de tout, disait Démocrite.
Mais l’infinité en petitesse est bien moins visible.
Les philosophes ont bien plutôt prétendu d’y arriver, et c’est là où tous ont achoppé. C’est ce qui a donné lieu à ces titres si ordinaires, Des principes des choses, Des principes de la philosophie, et aux semblables aussi fastueux en effet, quoique moins en apparence que cet autre qui crève les yeux : De omni scibili.
On se croit naturellement bien plus capable d’arriver au centre des choses que d’embrasser leur circonférence, et l’étendue visible du monde nous surpasse visiblement. Mais comme c’est nous qui surpassons les petites choses nous nous croyons plus capables de les posséder, et cependant il ne faut pas moins de capacité pour aller jusqu’au néant que jusqu’au tout. Il la faut infinie pour l’un et l’autre, et il me semble que qui aurait compris les derniers principes des choses pourrait aussi arriver jusqu’à connaître l’infini. L’un dépend de l’autre et l’un conduit à l’autre. Ces extrémités se touchent et se réunissent à force de s’être éloignées et se retrouvent en Dieu, et en Dieu seulement.
Connaissons donc notre portée. Nous sommes quelque chose et ne sommes pas tout. Ce que nous avons d’être nous dérobe la connaissance des premiers principes qui naissent du néant, et le peu que nous avons d’être nous cache la vue de l’infini. -
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Pascal : Bornés en tout genre, cet
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Pascal : empêchent
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Pascal : de discours l’obscurcit
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Pascal : trop de vérité nous étonne. J’en sais qui ne peuvent comprendre que qui de zéro ôte 4 reste zéro. Les premiers principes ont trop d’évidence pour nous ;
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Pascal : déplaisent dans la musique, et trop de bienfaits irritent
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Pascal : Nous voulons avoir de quoi surpasser la dette. Beneficia eo usque laeta sont dum videntur exsolvi posse. Ubi multum antevenere pro gratia odium redditur
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Pascal : empêche
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Pascal : enfin les
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Pascal : point
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(ici bas) ajout de Leibniz.
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Pascal : C’est ce qui nous rend incapables de savoir certainement et d’ignorer absolument.
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Pascal : voguons
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Pascal : poussés d’un bout vers l’autre ; quelque terme où nous pensions nous attacher et nous affermir, il
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Pascal : et nous quitte, et si nous le suivons il échappe à
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Pascal : nous glisse
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Pascal : s’arrête pour nous
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Pascal : C’est l’état qui nous est naturel
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Pascal : le
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Pascal : trouver une assiette ferme, et une dernière base constante pour y édifier
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Pascal : fondement
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« Ce qui est ajouté par moi à la marge, je l’ai mieux écrit sur un autre papier ». Transcription de J. Baruzi, O, 225. L’« autre papier » est sans nul doute le f. 213.
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Tout l’alinéa est biffé.
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Remplace un mot rayé.
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du grec aion (ère).
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[toujours subsistant par conséquent] biffé.
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[Seul vrai Être, seule manière de vrai être, toujours subsistant, et qui ne périra jamais non plus que Dieu et l’univers, qu’il doit toujours représenter et en tout : étant en même temps moins qu’un Dieu et plus qu’un univers matériel ; s’apercevant de tout confusément, au lieu que Dieu sait tout distinctement sachant quelque chose distinctement, tout. Une divinité diminutive, un univers matériel éminemment. Dieu en ectype et cet univers en prototype, <puisque l’intelligible est la source du sensible par rapport à l’intelligence primitive source de toutes choses>.] biffé.
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[ ; étant en même temps infiniment moins qu’un Dieu, et incomparablement plus qu’un. univers de matière ; sentant tout confusément, au lieu que Dieu sait tout distinctement ; sachant quelque chose distinctement, au lieu que toute la matière ne sent et ne sait rien du tout. Une divinité, diminutive, un Univers de matière éminemment ; Dieu en ectype et ce même univers en prototype ; imitant Dieu et imité de l’univers par <rapport à> ses pensées distinctes, semblable à Dieu par les pensées distinctes, semblable à la matière par les confuses ; l’intelligible étant toujours antérieur au sensible dans les idées de l’intelligence primitive source des choses.] biffé.
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[elle imitera Dieu.] biffé.
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[L’univers] biffé.