Couverture de LEPH_071

Article de revue

L'homme ruyérien

Pages 63 à 84

Notes

  • [1]
    « Croître et multiplier » (1970), in Dits et écrits I, Paris, Gallimard, « Quarto », 2001, p. 967-972.
  • [2]
    « En marge du culturalisme et du psychologisme », Revue philosophique, 1968, p. 17.
  • [3]
    « Les limites biologiques de l’humanisme », in Originalité biologique de l’homme, Recherches et débats, Cahier no 18, Paris, Fayard, 1957, p. 156.
  • [4]
    L’homme nu, Paris, Plon, 1971, p. 614-615.
  • [5]
    La gnose de Princeton, Paris, Fayard, 2e éd., « Pluriel », 1977, p. 34.
  • [6]
    Ibid., p. 34.
  • [7]
    Op. cit., p. 615-616.
  • [8]
    « La connaissance comme fait cosmique », Revue philosophique, 1932, p. 370.
  • [9]
    « Inconscient et inconscience », Psyché, no 11, septembre 1947, p. 1094.
  • [10]
    « Les limites biologiques de l’humanisme », art. cit., p. 155.
  • [11]
    La gnose de Princeton, p. 33.
  • [12]
    Pour un panorama de l’éthologie comparée des grands singes et de l’homme, cf. P. Picq et Y. Coppens (dir.), Aux origines de l’humanité, vol. 2 : Le propre de l’homme, Paris, Fayard, 2001.
  • [13]
    D. Lestel a proposé une synthèse sur cette question dans Les origines animales de la culture, Paris, Flammarion, 2001.
  • [14]
    « Inconscient et inconscience », art. cit., p. 1094.
  • [15]
    Le monde comme perception et réalité, Paris, Vrin, 1974, p. 11.
  • [16]
    C’est moi la vérité, Paris, Le Seuil, 1996, p. 63 (le texte original est souligné).
  • [17]
    Über den Humanismus, Francfort-sur-le-Main, Vittorio Klostermann, 1946 ; tr. fr., Lettre sur l’humanisme, in Questions III et IV, Paris, Gallimard, « Tel », 1966 et 1976, p. 80.
  • [18]
    « Domaine animal et monde humain », Diogène, no 18, 1957, p. 41-42.
  • [19]
    « Inconscient et inconscience », art. cit., p. 1094.
  • [20]
    « Les conceptions nouvelles de l’instinct », Les Temps modernes, no 96, novembre 1953, p. 857.
  • [21]
    Cf. L’animal, l’homme, la fonction symbolique, Paris, Gallimard, 1964 (abrégé AHFS), p. 88.
  • [22]
    « Homonculus et Méganthrope », Revue de métaphysique et de morale, no 3/1957 ; « Domaine animal et monde humain », art. cit.
  • [23]
    Sur l’équivalent de cette problématique chez Bergson, cf. G. Lebrun, « De la supériorité du vivant humain dans L’évolution créatrice », in Georges Canguilhem. Philosophe, historien des sciences, Paris, Albin Michel, 1993.
  • [24]
    An Essay on Man (1944), tr. fr., Essai sur l’homme, Paris, Minuit, 1975, p. 107.
  • [25]
    Ibid., p. 43.
  • [26]
    Susanne K. Langer (1895-1985), philosophe américaine, est l’auteur de Philosophy in a New Key. A Study in the Symbolism of Reason, Rite and Art (1942), Cambridge, HUP, 1979 (abrégé PNK). L’ouvrage eut un grand succès aux États-Unis. Il est dédié à Whitehead, qui fut le maître et l’ami de Langer, et dont le texte Symbolism, its Meaning and Effect eut une grande influence sur elle. Connue également pour ses recherches en esthétique, S. Langer a tenté, à l’instar de Cassirer dont elle est très proche, de proposer une compréhension globale de l’homme en intégrant l’ensemble des activités humaines dans une théorie générale du symbolisme. L’ampleur des matières traitées et la justesse des aperçus font tout l’intérêt de ses travaux, qui n’ont jamais été traduits en français.
  • [27]
    Cf. Langer, PNK, p. 31 et 60 sq. ; Ruyer, AHFS, p. 94-95.
  • [28]
    PNK, p. 45 (nous traduisons).
  • [29]
    AHFS, p. 126.
  • [30]
    Ibid., p. 90.
  • [31]
    Cf. « L’expressivité », Revue de métaphysique et de morale, no 1-2, 1955, p. 85.
  • [32]
    Dieu des religions, Dieu de la science, Paris, Flammarion, 1970, p. 51.
  • [33]
    « L’esprit philosophique », Orientation. Recueil de conférences faites au Centre universitaire de l’Oflag XVII A, Paris, Éd. de Champagne, 1946, p. 61.
  • [34]
    AHFS, p. 90. Si Ruyer emploie ici le terme de « surnature », il le récuse lorsque celui-ci renvoie non plus au « métaphysique » mais au « surnaturel » (cf. ci-après).
  • [35]
    PNK, p. 42.
  • [36]
    Ibid., p. XIV et 44.
  • [37]
    AHFS, p. 30.
  • [38]
    La nature. Notes de cours du Collège de France, Paris, Le Seuil, 1994, p. 269.
  • [39]
    Philosophie de la valeur, Paris, Armand Colin, 1952, p. 198.
  • [40]
    AHFS, p. 91.
  • [41]
    Cf. Leroi-Gourhan, Le geste et la parole I : technique et langage, Paris, Albin Michel, 1964, et les commentaires de Franck Tinland dans La Différence anthropologique, Paris, Aubier Montaigne, 1977.
  • [42]
    La genèse des formes vivantes, Paris, Flammarion, 1958, p. 216.
  • [43]
    Le fait a été remarqué depuis fort longtemps. Le biologiste à l’avoir exposé d’une façon systématique est l’anatomiste hollandais Louis Bolk. Sa conférence Das Problem der Menschenwerdung (1926) a été traduite en français sous le titre « La genèse de l’homme », dans Arguments, 4e année, no 18, 1960, p. 3-13.
  • [44]
    L’homme végétal, Paris, Albin Michel, 2003, p. 296-297.
  • [45]
    Cf. Néo-finalisme, Paris, PUF, 1952, p. 197 – « Le phénomène de l’ “empreinte” et le “choix” amoureux », Journal de psychologie normale et pathologique, 1956, p. 38 – « Les limites biologiques de l’humanisme », art. cit., p. 155.
  • [46]
    « Le domaine naturel du trans-spatial », Bulletin de la société française de philosophie, séance du 31 janvier 1948, p. 135.
  • [47]
    Ibid., p. 140.
  • [48]
    L’embryogenèse du monde et le Dieu silencieux, inédit, 1983.
  • [49]
    « Un livre récent sur la connaissance de la vie », Revue de métaphysique et de morale, no 1-2, 1953, p. 187.
  • [50]
    « Les limites biologiques de l’humanisme », art. cit., p. 158-159.
  • [51]
    Philosophie de la valeur, p. 211.
  • [52]
    « Domaine animal et monde humain », art. cit., p. 50 ; Dieu des religions, Dieu de la science, p. 53.
  • [53]
    Modes of Thought (1938), tr. fr., Modes de pensée, Paris, Vrin, 2004, p. 49.
  • [54]
    « Les limites biologiques de l’humanisme », art. cit., p. 165.
  • [55]
    AHFS, p. 240.

1Si la réflexion de Ruyer sur l’homme présente un intérêt considérable, c’est qu’elle a su faire fond sur l’ensemble des savoirs disponibles en son siècle, et donner par là le moyen de s’orienter dans la pensée, au sein des querelles opposant l’humanisme et la proclamation de la mort de l’homme. Ruyer apporte un arrière-plan philosophique des plus originaux à toutes les discussions actuelles sur la question anthropologique. On pourrait toutefois s’en étonner : sa philosophie n’est-elle pas une métaphysique spéculative, reposant sur les présupposés inhérents à ce type de démarche ? N’est-elle pas ainsi d’emblée mal appropriée au traitement nuancé et sans a priori du problème anthropologique, qui risque de n’être vu qu’au travers d’un prisme déformant ? Or le bénéfice de la démarche de Ruyer réside précisément dans l’explicitation desdits présupposés, qui, plutôt que de représenter des ornières dans lesquelles retombe à son insu la pensée, forment des options théoriques fondamentales exhibant leurs coûts respectifs. La vertu du travail métaphysique tient à cet éclaircissement.

2Sous son aspect le plus superficiel, la question de l’homme n’a cessé d’osciller entre une position humaniste selon laquelle l’homme demeure l’étalon central (et la thèse de Ruyer fera apparaître par contrecoup des formes particulièrement raffinées de ce dispositif), et une position anti-humaniste qui restitue aux systèmes culturels autonomes ce dont l’homme s’imaginait être l’auteur. L’anti-humanisme a sans doute culminé symboliquement avec la rencontre, à la fin des années 1960, du structuralisme ethnologique et de la génétique moléculaire, toutes disciplines qui s’inspiraient de la cybernétique et de la théorie de l’information. Michel Foucault pouvait noter, dans son compte rendu de La logique du vivant de François Jacob, le parallèle existant entre ces deux désenchantements féconds qu’étaient l’élimination de l’ « homme » et de la « nature humaine » dans l’analyse des systèmes de la société et de l’homme, et la constitution d’une biologie faisant l’économie de la « vie » et secondarisant la notion d’individu au profit de l’hérédité génétique [1]. Aujourd’hui la controverse se poursuit au gré des avancées des biotechnologies et des appels bien intentionnés à un humanisme obsolète. Ruyer pour sa part donnait largement raison aux structuralistes, reconnaissant la justesse globale des approches culturalistes – culturalisme et structuralisme partageant pour Ruyer le même type d’approche méthodologique –, et considérées comme le point de départ obligé d’une réflexion souhaitant éviter la naïveté philosophique des conceptions traditionnelles [2]. Il insistait également sur les « limites biologiques de l’humanisme » et sur l’exigence d’un « humanisme plus modeste » [3]. Il aurait pu aisément reprendre à son compte les déclarations de Lévi-Strauss sur la nécessité de « faire abstraction du sujet – insupportable enfant gâté qui a trop longtemps occupé la scène philosophique » [4]. Toutefois on doit aussitôt prendre acte d’une objection, que Ruyer formule à plusieurs reprises, et dont La gnose de Princeton fournit la version la plus concise : c’est qu’on ne peut, malgré tout, « être à la fois le Ptolémée et le Copernic de la culture » [5]. Si en effet on place au centre la culture et non l’homme, la structure et non le sujet, on ne peut pas se contenter de les poser comme autosuffisantes, c’est-à-dire miraculeusement douées de sens dans un monde entièrement muet. Il n’y aurait guère d’intérêt à dépouiller l’homme au profit des systèmes culturels si c’était pour se contenter d’affirmer qu’en dernière instance, ce sont les hommes qui font la culture. Le décentrement copernicien du sens, s’il est bien compris, ne saurait être contrebalancé par un ptolémaïsme de compensation, mais ne peut que déboucher sur la considération de la source la plus extérieure, vers laquelle pointent sur leur bord extrême les structures. « Pour comprendre les lois de l’organisation sociale, de l’amour, du langage, si l’on n’en fait pas l’œuvre arbitraire des hommes, il faut bien invoquer une Source, une Unité, un Ordre universel », avertit Ruyer [6]. Les significations sont toujours sur fond d’une expressivité primordiale. Lévi-Strauss lui-même, dans les réflexions terminales de L’homme nu, avait reconnu avec une grande lucidité l’inévitabilité de ce type de considérations. Mais il ne souhaitait pas en tirer les conséquences au-delà de l’ébauche prudente d’une sorte de néo-finalisme, aperçu à travers l’évolution de l’univers et les adaptations de l’environnement [7]. La singularité de Ruyer est de porter de telles ébauches à l’état de système. Si les sciences humaines ne peuvent s’en tenir à un perpétuel aller et retour entre la culture et l’homme, mais ouvrent à des considérations supérieures, l’originalité de la position théorique de Ruyer sur le problème anthropologique ne fait alors aucun doute : elle tient à sa cosmologie.

3Cela ne va pas de soi cependant, car comment rejoindre l’homme depuis un système de cosmologie ? L’effet premier de telles constructions est précisément d’estomper l’importance de l’humain au profit de l’univers. Le décentrement est maintenant si puissant que la question anthropologique ne peut surgir que de façon subsidiaire. Il en va ainsi à propos de Whitehead par exemple, qui fut l’un des grands inspirateurs de la pensée ruyérienne. Et il faut constater que Ruyer ne consacrera un ouvrage spécifique au problème, il est vrai maintes fois abordé auparavant, que tardivement, en 1964, avec L’animal, l’homme, la fonction symbolique, soit bien après la mise en place du système, et comme un codicille à la métaphysique. Si c’est seulement aux confins de leurs investigations que les sciences humaines en viennent à soupçonner l’existence d’un ordre cosmique sous-jacent au symbolisme de la culture, ce n’est symétriquement qu’au terme de leur itinéraire métaphysique que les cosmologies philosophiques laissent apparaître en filigrane la question anthropologique. En réalité, en nous permettant de ne pas aller trop vite vers ce qui fait le « propre » de l’homme, quand bien même il s’agira pour finir de le déterminer, et en favorisant ainsi une approche de l’homme dénuée de tout « ptolémaïsme » caché, lequel était au fond l’aporie essentielle des sciences humaines, le point de vue cosmologique débouche sur une formulation efficace du problème. C’est qu’en effet, dans ces conditions, la difficulté de principe quant à la possibilité d’un traitement du problème anthropologique du sein d’une cosmologie prend l’allure d’une alternative tranchée : entre l’homme et le reste des êtres, la différence est-elle ultimement de nature ou seulement de degré ? Cette forme de la question est inévitable si l’on suit la démarche cosmologique. Elle peut certes paraître pécher par simplicité, mais elle a pour effet de dessiner une ligne de partage riche d’enseignements entre les positions possibles. Au terme de son argumentation, Ruyer choisira, ainsi que l’avait fait Whitehead avant lui, une des branches de l’alternative, mais non sans que ce choix ait été longuement préparé par une série de considérants qui en définissent les conditions et le sens. Il faut donc se pencher de plus près sur le corpus ruyérien, en combinant des notations éparses dans toute son œuvre.

4Ruyer a toujours accepté sans arrière-pensées la nécessité du point de vue naturaliste, qui fait de l’homme un être de la nature au même titre que les autres. Cela implique de contester à la fois une position philosophique – l’idéalisme – et un phénomène spirituel – l’inconscience. Quant au premier, l’adversaire le plus évident issu de la tradition, surtout dans ces années 1930 où Ruyer commence à écrire, est le kantisme. Kant pourtant, dans son écrit de cosmologie de 1755, Histoire générale de la nature et théorie du ciel, avait exposé la formation des planètes à partir de la nébuleuse solaire. Cependant, remarque Ruyer, « la théorie kantienne de la connaissance n’a pas assez, comme toile de fond, cette nébuleuse primitive, et l’on y sent vraiment un peu trop, au contraire, l’antique conception de l’homme, directement créé par Dieu, comme sur le plafond de la Sixtine, ou dans l’oratorio de Haydn » [8]. Kant, naturellement, n’est pris ici que comme le représentant éminent d’une manière de pensée idéaliste dont on trouve des exemples à foison. Ce qu’il convient de noter, c’est que des positions philosophiques de ce type relèvent en fait d’un phénomène spirituel : l’inconscience. À la différence de l’inconscient qui se situe sur le plan psychologique, l’inconscience, thème privilégié des romanciers et des moralistes, est d’ordre spirituel et témoigne d’une incapacité à saisir des rapports, des sens, des valeurs. Dans le cas présent, l’homme est aveugle aux indications qui lui assignent une position déterminée dans la nature, aveuglement dont le résultat est le narcissisme et l’anthropocentrisme de l’espèce humaine. Le meilleur remède à l’inconscience est toujours la vision dans un miroir, qui invite à se percevoir soi-même dans sa condition réelle, et à gagner ainsi en conscience.

5Dans le cas de l’homme, un tel miroir, destiné à faire qu’il se ressaisisse dans son animale condition, est fourni par les sciences. Reprenant allusivement l’inventaire des trois blessures narcissiques proposé par Freud dans le dix-huitième chapitre des Leçons d’introduction à la psychanalyse, Ruyer remarque en effet que « les découvertes qui ont diminué l’inconscience humaine sont celles de Galilée, de Darwin, des préhistoriens, des ethnologues, des historiens économistes, des psychanalystes, de tous ceux qui nous replacent dans le Cosmos, la vie, l’histoire, la société, avec la brutalité grossière et saine par laquelle un homme de bon sens et expérimenté “remet à sa place” un jeune fou qui s’oublie » [9]. Si l’astronomie, dont Kant n’avait pas fait réellement usage, la préhistoire et l’ethnographie jouent un rôle important, il est vrai cependant que c’est l’éthologie comparée qui représente l’instrument le plus efficace pour guérir l’inconscience de l’espèce humaine. Les avancées remarquables dans l’observation du comportement animal permettent aujourd’hui de recueillir méthodiquement les fruits de la comparaison. Cela constitue un préalable à tout traitement philosophique du problème anthropologique : « Le véritable humanisme, c’est-à-dire la notion juste de ce qu’est l’homme, doit commencer par être une éthologie comparée, qui replace les mœurs et les coutumes humaines dans les mœurs et coutumes des mammifères, des oiseaux, des vertébrés, et de tous les êtres vivants. » [10] On constate pourtant que la plupart des philosophies continuent de ne se préoccuper que de l’homme, qu’il s’agisse des différentes pensées politiques ou éthiques, à visée libératrice, de l’existentialisme en ses différentes versions, ou finalement, en raison du paradoxe déjà évoqué, des sciences humaines. Mais, pour Ruyer, ce narcissisme lui-même ne saurait être durable, et l’illusion a une source assignable : « Le singe sans toison s’émerveille du succès biologique momentané de son espèce. La densité du grouillement obnubile les individus, comme la densité de la fourmilière ou de la ruche isole du monde extérieur les insectes individuels, en les obsédant de la présence et du contact de leurs congénères et de la régurgitation mutuelle de leur nourriture. » [11] Au total donc, on trouve chez Ruyer un mouvement en trois temps : la présence obsédante des congénères provoque chez l’homme une inconscience spirituelle de sa place dans l’univers, qui est, à son tour, dans le domaine particulier de la philosophie, la source de tous les idéalismes philosophiques. Il appartient alors à l’éthologie de briser le cercle.

6L’étude soigneuse des comportements animaux a produit des résultats innombrables. Un fonds d’arguments naturalistes précis et incontestables s’est ainsi constitué qui s’enrichit perpétuellement. Il est apparu qu’il n’est en réalité pas un domaine de l’activité humaine qui soit totalement privé de préfiguration animale. De la production d’outils aux modes de communication langagière, en passant par la conscience de soi (on connaît les célèbres expériences de Gallup sur les chimpanzés face au miroir) et la production d’objets esthétiques, jusqu’à la transmission culturelle de savoir-faire acquis, et, plus récemment, au sens moral, tout ce que l’on croyait l’apanage exclusif de l’homme a été mis en évidence chez différentes espèces vivantes, en particulier chez les simiens dits justement anthropoïdes [12]. Selon Ruyer il convient avant toute chose de reconnaître les origines zoologiques de la culture [13]. Et ce n’est pas, en conséquence, la culture comme telle qui est apte à définir l’homme, à l’encontre de ce qu’affirme la tradition humaniste. Il faudra chercher plus avant ce qui peut constituer un « propre » de l’homme. Avec l’éthologie et les autres branches de la biologie, le naturalisme est devenu, de l’idée spéculative qu’il était jusque-là, une science rigoureuse. Car il avait certes déjà été retenu comme une hypothèse possible : Ruyer rappelle à cet égard que Montaigne cherchait à mettre sur le même plan, autant que faire se pouvait, les animaux et les hommes, mais tout en demeurant privé d’une biologie rigoureuse [14]. Or aujourd’hui le naturalisme possède des bases scientifiques. Cette rationalisation effective, par des procédés d’observation et d’analyse placés hors de doute, constitue selon Roger Chambon un événement « d’une portée incalculable », et « nul, à la longue, ne pourra feindre de l’ignorer, ni échapper aux incidences qu’il ne manquera pas d’avoir sur les idées et les croyances individuelles et collectives » [15]. Ce que d’aucuns appellent la « révolution éthologique », Ruyer fait partie de ces rares philosophes à l’avoir perçue et acceptée pleinement, et par là à nous permettre de la penser.

7L’acceptation du naturalisme n’avait cependant rien d’évident, si l’on considère, pour s’en tenir aux seuls philosophes, la position de nombre de penseurs du XXe siècle. Un auteur tourné vers le christianisme comme Michel Henry considère que l’on en savait plus sur la vie au temps d’Abraham et du Christ qu’à l’époque de la biologie moderne, et qu’il est « paradoxal pour qui veut savoir ce qu’est la vie d’aller le demander aux infusoires, dans le meilleur des cas aux abeilles » [16]. Ce qu’est la vie, et ce qu’est l’homme, nous ne le saurions qu’à travers le Christ. La génétique moléculaire a pourtant mis au jour le fait que les vertébrés partagent avec les invertébrés des gènes de structure, intervenant dans l’organisation du corps (gènes dits « à homéoboîte »), qui permettent d’en conclure avec une assez grande certitude à l’existence d’un ancêtre commun, et donnent ainsi une base rigoureuse à ce que Geoffroy Saint-Hilaire avait avancé au XIXe siècle au sujet de l’unité du plan de composition de tous les êtres vivants. Si l’on se tourne vers Heidegger, on voit celui-ci rappeler à juste titre que l’essence de l’homme ne tient pas dans son organisme. Mais c’est pour en conclure que l’essence de l’homme n’a rien à voir avec son animalitas, et que le corps même de l’homme est de toute façon « quelque chose d’essentiellement autre qu’un organisme animal » [17]. Il s’agit là d’une pétition de principe, et là encore d’un refus affectif bien plus que rationnel, conduisant à une véritable transfiguration du corps humain. Quoique Heidegger soit parfaitement fondé à affirmer que l’homme ne se réduit pas à son existence animale ou même cérébrale, il n’empêche qu’on ne saurait écarter par principe les considérations zoologiques tant leur apport est décisif pour la compréhension de l’homme. À cet égard, Ruyer, insistant sur les origines zoologiques de la culture, reprend la fantaisie humoristique de Clarence Day, This Simian World, écrite en 1920, dans laquelle l’auteur se demande à quoi ressemblerait la civilisation humaine si le développement des hémisphères cérébraux s’était surimposé non pas aux instincts du simien, mais à ceux du tigre par exemple. La valeur attachée par l’homme à la parole aurait été très différente, dans la mesure où les singes sont effectivement des animaux très « bavards », tant dans leur habitat naturel qu’en captivité, ce qui n’est pas le cas du tigre. Notre prédilection pour le Logos est sans doute un caractère éminemment simien. Comme l’écrit Ruyer, « les hommes-félins auraient plutôt revendiqué avant tout le droit de libre combat singulier et c’est la Griffe, non le Logos, qui aurait été le Dieu suprême » [18]. Corrélativement à cette absence d’intégration de la zoologie, la pensée heideggérienne du Dasein, il est vrai ressaisi par Ruyer sous un angle très sartrien, débouche finalement selon lui sur un humanisme naïf : « Il y a danger réel que de trop subtiles analyses de la Réalité humaine (Dasein des Menschen) ne fassent un peu trop oublier tout ce qui a été acquis patiemment, depuis l’Antiquité et le Moyen âge, pour “replacer” cette réalité humaine. » [19]

8En même temps Ruyer concède que l’analytique existentiale est dans ses droits lorsqu’elle refuse le biologisme, quand bien même elle paie ce refus au prix d’un humanisme en recul par rapport aux acquis passés. C’est que le naturalisme, tout en étant un préalable indispensable, ne doit pas être confondu avec un pur et simple « zoologisme » réducteur. Comparer les sociétés humaines avec des termitières serait par exemple absolument abusif. Si quantité de rapprochements sont éclairants, « on ne doit cependant pas aller trop loin. L’humanisme à base de “science des mœurs animales”, que nous proposent les biologistes, risquerait de devenir, à sa façon, encore plus étriqué que l’humanisme à base d’Antiquité gréco-latine. Ce nouveau “biologisme” appliqué à l’homme et aux sociétés humaines, doit être transposé, si l’on ne veut pas manquer l’essentiel en cherchant le fondamental. Les instincts animaux ne sont chez l’homme qu’un canevas » [20]. Le fond animal indique seulement une direction des activités, il ne va pas jusqu’à leur donner un contenu propre. Se voit ainsi par avance récusé ce qui fera par la suite l’essentiel de la théorie sociobiologique et des interprétations exclusivement néo-darwinistes appliquées au phénomène humain. Ruyer tente de dessiner une position qui soit à la hauteur de la rationalité moderne, mais dont la condition – le préalable naturaliste – finit par rencontrer une limite inévitable. Cette dernière n’est pas telle qu’elle remette en question ce qui vient d’être acquis, car nous nous situons définitivement après la révolution éthologique, mais elle invite à déterminer plus précisément la différence anthropologique, qui ne saurait se ramener à une simple différence d’espèce au sein du vivant. S’il y a préfiguration chez l’animal de phénomènes tels que le langage, la reconnaissance de soi ou le comportement éthique, dans tous ces cas et les autres fait défaut ce qui relève chez l’homme de ce qu’on peut globalement désigner comme norme. C’est que l’homme, rappelle Ruyer, est un animal raisonnable au sens normatif plus encore qu’au sens intellectuel [21]. On ne trouve pas chez les animaux, semble-t-il, l’équivalent du comique, de la religion ou de la folie, toutes manifestations qui exigent la perception d’une norme. Il s’agit donc à présent d’établir de la façon la plus compréhensive possible ce qui caractérise le passage de l’animalité à l’humanité.

9Du point de vue de la méthode, on observe que Ruyer associe simultanément deux démarches : montrer à quel point l’homme est un être vivant comme les autres, selon la primordialité du moment éthologique, et conjointement déterminer ce qui fait l’irréductible singularité humaine. L’accès au plan humain ne doit être tenté qu’une fois combattue l’inconscience de l’espèce, mais la différence doit être affirmée dans toute sa force. La méthode consiste donc à accuser le contraste entre les deux séries de faits qui définissent l’humanité. En témoigne la publication concomitante, en 1957, de deux articles explorant respectivement l’un et l’autre de ces deux aspects : « Homunculus et Méganthrope » et « Domaine animal et monde humain » [22]. L’objectif est d’éviter les formes d’humanisme naïf qui ne tiennent pas compte de la révolution éthologique, sans être acculé à une position réductionniste. On voit qu’il ne s’agit donc pas, dans un premier temps, de chercher à réduire ce qui a été désigné traditionnellement comme dualité de nature en l’homme. Toutefois, l’écart est d’emblée patent avec la tradition en ceci que l’animalité n’est plus synonyme de bestialité à dépasser mais au contraire de préfiguration positive de ce que sera l’humanité ; d’autre part, l’autre nature ne saurait plus être interprétée comme une sur-nature, un vestige de transcendance, mais devra précisément, comme nous le verrons, trouver un statut nouveau. L’homme possède une double nature, non comme ange et comme bête, mais comme animalitas féconde et comme nature élargie au-delà de l’espace-temps sans être pour autant surnaturelle. Tout l’enjeu sera de savoir comment est possible cette dernière détermination. C’est seulement de cette manière que le biologisme peut être fécond, autrement dit que le naturalisme peut se distinguer du zoologisme [23]. En attendant, il faut marquer de la façon la plus exacte possible ce qui fait la singularité de l’homme.

10Répondre à une telle question n’a rien d’évident, tant le phénomène humain témoigne de diversité. On perçoit immédiatement la difficulté : d’une part on risque toujours de retenir un phénomène certes significatif mais arbitrairement privilégié par rapport aux autres, quand bien même il s’agit de la rationalité discursive que retient la définition de l’ « animal rationnel » ; d’autre part des prémisses animales ne peuvent être exclues pour aucun domaine, l’éthologie ayant ainsi rendu fort problématique l’idée de « propre » substantiellement défini. Ruyer, pour surmonter ces obstacles, s’appuie sur la réflexion de Cassirer. Celui-ci a remarquablement exposé, dans son Essai sur l’homme, la crise de la connaissance de soi qui caractérise l’époque moderne. C’est que la profusion des savoirs sur l’homme se paye d’une désorientation complète par manque de centre de référence. Malgré les divergences d’interprétation qui pouvaient se faire jour dans les époques antérieures, une orientation générale demeurait toujours à l’horizon. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, si bien que jamais l’homme n’a été à ce point un problème pour lui-même. L’excès de faits, issus de très nombreuses disciplines, possédant chacune leurs principes et leurs méthodes, n’est pas synonyme de richesse de pensée. La surabondance du matériau accumulé exige donc de découvrir un fil d’Ariane pour s’orienter dans ce labyrinthe. Pour Cassirer, on doit obligatoirement tenir compte de l’ensemble des activités humaines, et ainsi rejeter la démarche qui consiste à poser un principe inhérent qui définirait une essence de l’homme. C’est le cercle entier des activités humaines qui doit être pris en considération, mais de façon formelle et non plus matérielle, par accumulation. Il s’agit de saisir l’homme comme vinculum non pas substantiale mais functionale. La démarche de Cassirer s’inspire d’un des grands résultats établis antérieurement par lui, qui veut que le mouvement de la connaissance aille toujours de la substance vers la fonction. Ce n’est donc pas la matière des activités humaines qui doit retenir notre attention : « Si nous nous contentons de contempler les résultats de ces activités – les créations du mythe, des rites ou des croyances religieuses, des œuvres d’art, des théories scientifiques –, il semble impossible de les réduire à un commun dénominateur. Mais une synthèse philosophique signifie autre chose. On ne cherche pas l’unité des effets, mais l’unité de l’action : non celle des produits, mais celle du procès créateur. » [24] Quel sera alors le foyer commun qui réunit les rayons multiples du phénomène humain ?

11Le critère que retient Cassirer, c’est celui qu’il a placé au centre de sa philosophie, à savoir la notion de fonction symbolique. Le symbolisme peut être décrit comme une forme inédite d’adaptation au milieu, qui permet de tenir en quelque sorte la réalité à distance, de ne plus la voir face à face. « Loin d’avoir rapport aux choses mêmes, l’homme, d’une certaine manière, s’entretient constamment avec lui-même. » [25] Le symbolisme ainsi caractérisé est plus large que la stricte rationalité. L’un des intérêts majeurs de l’approche de Cassirer est qu’il cherche à dégager la part de vérité contenue dans la formule traditionnelle de l’animal rationale tout en en pointant les limites. Or l’homme, plutôt qu’un animal rationale, est un animal symbolicum. La première définition traduisait en fait avant tout un impératif moral, elle ne rendait pas compte de façon suffisamment empirique de la nature humaine. La rationalité est un critère inadéquat pour englober les phénomènes tels que le mythe, la religion et l’art, activités qui sont pourtant l’expression de l’humanité. On voit le progrès effectué par rapport à la définition classique : pour Ruyer, l’animalité de l’animal humain n’est plus synonyme de bestialité, et avec Cassirer qu’il reprend à son tour, la différence se laisse comprendre par le symbolique plutôt que par le rationnel. Le refus du rationnel chez Cassirer et chez Ruyer a un sens fort différent de celui qu’il prend chez Heidegger. Si la rationalité comme critère est incontestablement prise en défaut, cela ne conduit pas à un irrationalisme, mais à un élargissement des définitions : ainsi que le montre l’exemple de la mythologie et de l’art, il existe des formes de cohérence non conceptuelle et non linguistique. La rationalité n’est pas raturée, mais englobée dans cette fonction plus large qu’est le symbolisme. Avec Heidegger d’un côté, et Cassirer et Ruyer de l’autre, on a bien deux manières de saisir la limite de la ratio de l’animal rationale. Heidegger est fondé à mettre en cause, comme il le fait dans La lettre sur l’humanisme, le biologisme réductionniste et l’exclusive focalisation sur la rationalité – de cela Ruyer convient explicitement. Mais cela ne signifie pas qu’il faille abandonner et la biologie et la raison, l’enjeu étant précisément de délimiter un biologisme non réducteur et une rationalité élargie, englobée dans une fonction plus vaste. Du diagnostic légitime de Heidegger, on passe ainsi, avec Cassirer et Ruyer, à de toutes autres conclusions que celles faisant de l’homme celui qui a la « garde » de l’être et qui habite le langage comme « maison » de l’être. La définition de l’homme comme animal rationale est transformée, elle n’est pas abandonnée. L’animal rationale est un jalon, non une impasse.

12Il reste alors à définir le symbolique de façon plus précise. Cassirer fournit déjà de nombreuses indications, telles que l’universalité de la visée, la transposabilité (ce qu’il appelle « mobilité »), le sens du possible et la capacité d’abstraction, mais Ruyer trouve également une inspiration dans la réflexion de Susanne Langer [26]. L’apport de cette dernière concerne, d’une part, la description du symbolique et, d’autre part, comme nous le verrons par la suite, la naturalisation du processus de symbolisation, à l’encontre de l’idéalisme néo-kantien de Cassirer. Pour Langer le symbolique est la « nouvelle clé » de la philosophie, comme invitent à le penser les résultats d’une foule de disciplines très diverses, de la logique à la psychanalyse en passant par la théorie de la connaissance, qui convergent toutes vers l’idée fondamentale de la nature transformationnelle de l’esprit humain. Cette nouvelle conception de l’esprit doit désormais servir de paradigme pour la philosophie. Pas plus que chez Cassirer l’activité symbolique ne saurait être ramenée au seul langage, bien que celui-ci en soit l’expression la plus éminente. Trois déterminations permettent de caractériser la pensée symbolique. Tout d’abord, ce qui fait que quelque chose devient un symbole, c’est la capacité à désigner une autre chose in absentia. Le symbole n’indique plus l’objet voisin mais permet de concevoir l’objet en l’absence même de celui-ci. Il a cette propriété de ne pas susciter une action particulière, telle qu’elle serait habituellement liée à la présence de l’objet évoqué. Par exemple, on ne salue pas la personne évoquée comme si elle était là en chair et en os. Le symbolisme est la faculté de l’inactuel [27]. En cela il s’oppose au simple signal. Helen Keller, aveugle, sourde et muette, en eut la révélation intérieure le jour où, plaçant l’une de ses mains sous l’eau et se faisant épeler sur l’autre le mot water par son institutrice, elle comprit que le mot signifiait la chose, que le mot avait donc une signification, une expressivité intemporelle, et que toutes les choses pouvaient ainsi être nommées. Au lieu de s’intégrer dans un conditionnement selon lequel le signe water n’était qu’un signal par lequel l’eau était demandée ou attendue, le mot acquiert soudainement sa pleine valeur de symbole indépendamment de tout aspect utilitaire. Cela conduit au deuxième aspect essentiel du symbolisme : l’origine du comportement symbolique ne réside sûrement pas dans l’intention pragmatique de communication, mais dans ce qui s’apparente à une forme de ritualisation. « La vie humaine est de part en part imprégnée de rituel, comme elle l’est également de pratiques animales », écrit Langer [28]. La fonction utilitaire du langage lui-même n’est sans doute que secondaire, comme le montre l’étude de la conscience enfantine. C’est l’interruption de la communication immédiate chez certains singes anthropoïdes qui a permis l’accès au symbolisme, et le devenir humain. Ce point de vue, commun à Langer et à Ruyer, permet de contester les approches réductrices des néo-darwiniens qui cherchent à rendre compte du moindre phénomène humain par sa valeur utilitaire en termes de survie. La sélection naturelle n’explique pas tout, comme Ruyer l’a souvent souligné.

13Enfin, signification et ritualisation possèdent leur concomitant psychique : ce troisième aspect du symbolisme correspond à ce que Edward Bullough, que Ruyer connaît grâce à Langer, a appelé « distance psychique » dans l’expérience esthétique. Elle correspond à plusieurs égards au « jugement désintéressé » au sens de Kant. Cette distance essentielle se retrouve en réalité, au-delà de l’esthétique, dans toutes les actions symboliques : le langage et le discours théorique, le jeu et les cérémonies, le comique et le pathétique, l’amour même, qui implique une distance que l’on ne trouve pas dans la pure sympathie instinctive. Si l’on prend l’exemple du jeu, activité que l’on attribue volontiers aux animaux, on doit selon Ruyer remarquer qu’il s’agit en réalité de ce que Konrad Lorenz appelle « des Leerlaufreaktionen, c’est-à-dire des réactions à vide, des mouvements instinctifs se déroulant en l’absence de leur stimuli habituels, mais qui restent donc de l’ordre des stimuli-signaux et qui n’accèdent pas au plan du symbolisme » [29]. La distance psychique seule est ce qui permet de parler de jeu véritable, car c’est elle qui donne sens à la notion de convention. Elle est aussi ce qui, par suite de cette relation tout à fait particulière au symbole, autorise une capitalisation culturelle des outils, des formes, des rites et des connaissances. Ce trait, qui fait que chaque génération humaine part du point où était arrivée la précédente, a souvent été retenu, sous diverses formules, comme la marque distinctive de l’homme par rapport à l’animal. S’il est vrai que certains animaux ont fait preuve de transmission culturelle ponctuelle, la véritable aventure temporelle ne commence qu’avec l’homme.

14Le symbolisme produit ainsi un bouleversement global des activités vitales. La vitalité ne disparaît pas, mais elle est maintenant transformée. Il faut précisément tirer parti de cette simultanéité des bouleversements pour obtenir une définition de l’humanité. Ruyer en a fait un instrument heuristique : « Ce n’est évidemment pas un hasard si l’homme, seul de tous les animaux, à la fois parle, crée des conventions juridiques, des religions, des techniques, et a une histoire proprement dite. On conçoit malaisément que le champ total de ce qui est la culture humaine soit partagé en secteurs, auxquels diverses espèces animales auraient eu accès, les Perroquets, par exemple, ayant le langage, les Félins la religion, les Chimpanzés la technique, les Chevaux, comme dans les Voyages de Gulliver, les conventions juridiques et politiques, et les Éléphants la continuité historique. » [30] Descriptivement, c’est, dira-t-on, le vinculum functionale, tel que le conçoit Cassirer. Mais Ruyer entreprend de donner de celui-ci une interprétation métaphysique et non simplement descriptive. L’analyse du symbolisme montre que l’humanité accède à un plan nouveau. Ruyer ne cessera de définir l’homme comme cet accès à un domaine qui est au-delà de l’espace et du temps. En réalité, c’est comme si l’humanité préexistait comme un ensemble de significations singulières situées sur un plan trans-spatial, où elles sont fonctionnellement reliées, et que se voyait transfiguré en humain tout être vivant ayant la possibilité d’y accéder. On ne doit pas objecter qu’il s’agit là d’une lecture métaphysique de ce que décrivait Cassirer, car précisément une définition accomplie de l’homme ne peut échapper à un éclaircissement des présupposés qu’elle engage. Cassirer pour sa part adoptait une position idéaliste puisque les formes symboliques sont pour lui du même ordre que l’a priori chez Kant. Ruyer adopte quant à lui une position ontologique qu’il rattache lui-même au platonisme [31]. L’humanité se définit par l’accès au sens, et c’est ce qui explique que les hommes puissent se rejoindre et se comprendre, quelles que soient les écarts culturels qui les séparent. On est en droit alors d’évoquer un « monde hyperbiologique » [32]. Il y a chez Ruyer un platonisme du sens. Cela est si vrai que ce qui pour lui constitue l’humanité semble être moins l’ouverture d’un monde que la participation aux valeurs et aux essences d’une transversale métaphysique. Certes il s’appuie fréquemment sur la distinction entre Umwelt animal et Welt humain proposée par Von Uexküll, ce qui est aussi reconnaître implicitement la validité des nombreuses analyses phénoménologiques qui s’en inspirent. Mais pour Ruyer, percevoir, c’est avant tout saisir des essences, c’est une opération noétique. La sensation n’est que l’occasion, et non le lieu propre, d’une appréhension de sens. L’homme est alors cet être qui, à la différence de l’animal, voit dans toute chose l’incarnation d’une idée.

15Ce privilège de la valeur sur l’être, de l’essence sur le monde, appelle deux sortes de remarques. Tout d’abord, cette orientation tient sans doute au rationalisme de Ruyer car essences et valeurs font l’objet d’une déduction logique, appelée par l’examen minutieux des faits. Le platonisme indiqué à la fin de Philosophie de la valeur intervient comme un remède aux difficultés dans lesquelles s’enferment les autres théories. De même les thèmes biologiques sont déduits de l’observation des faits embryologiques, et ils sont suggérés, via la notion de potentiel, par les biologistes eux-mêmes. Par contraste, l’être et le monde de Heidegger ou de Merleau-Ponty apparaissent comme évanescents, sont peut-être des abstractions creuses. Ruyer envisage le monde comme bruissant de sens incarnés plutôt que comme néant révélé dans toute sa pureté par quelques expériences pathiques particulières : « Martin Heidegger décrit comme Ennui le sentiment de la totalité de l’existence, Ennui qui devient Angoisse dès que cette totalité paraît sur fond de Néant. Il nous semble qu’il serait aussi juste de décrire le sentiment métaphysique comme Ivresse absolue, ivresse dionysiaque. » [33] Une plénitude enivrante d’un côté, qui tient à un monde invisible peuplé d’essences et de valeurs, un vide angoissant de l’autre, immanent à l’être. C’est dire qu’il s’agit bien de deux approches philosophiques possibles, celle de Ruyer étant résolument dualiste, puisqu’il y a deux étages de réalité, deux plans de l’invisible : celui des domaines absolus, et celui, « vertical », des essences. Mais ce privilège platonicien du noétique est porteur d’une autre signification. Si les essences et les valeurs devaient s’avérer être en continuité avec les thèmes biologiques, le principe d’une solution naturaliste demeurerait disponible. Cependant, à première vue, c’est bien le problème de la transcendance dans la définition de l’homme qui, au terme de l’étude de la fonction symbolique, reste posé. Comme l’écrit en effet Ruyer : « L’homme, comme créateur de culture, se meut dans une sorte de milieu nouveau, dans une nature, ou surnature, qui n’est pas sans doute étrangère à la nature tout court, mais qui semble obéir aussi à d’autres lois, et qui a son unité propre. » [34]

16Le bilan théorique de la réflexion de Ruyer parvenue à ce stade nous confronte ainsi à la difficulté suivante : le symbolisme a certes battu en brèche les prétentions d’un zoologisme réducteur, mais alors c’est l’intérêt même d’une approche naturaliste qui est en question, celle-ci conservant tout au plus une valeur négative. Le platonisme auquel conduit l’analyse de la fonction symbolique, en commandant la définition de l’humanité comme un plan transcendant auquel accèdent certains vivants, instaure un régime de bifurcation. Plus immédiatement dit encore : en quoi n’est-on pas en tout cela ramené à la conception traditionnelle de l’animal rationnel, avec ses deux natures, ou plutôt avec sa nature et sa surnature, la biologique et la symbolique ? Certes un progrès notable dans la définition de l’animalité et dans celle du logos, désormais mieux compris comme symbolisme, est à mettre au crédit de Ruyer. Mais ce progrès incontestable n’est pas synonyme de rupture véritable par rapport à la tradition. Or procéder par différenciation (l’homme est un animal possédant un prédicat qui le singularise), ce qui fut la méthode habituelle, ne peut conserver une justification que si l’on cherche ensuite une continuité d’une nature plus profonde – ce que, du reste, Ruyer lui-même laissait discrètement sous-entendre. L’enjeu est donc désormais d’établir une continuité possible entre l’animalitas et le symbolisme. Puisque l’humanité est un plan trans-spatial de sens, si l’on veut éviter les inconvénients théoriques d’une nouvelle transcendance, il faut d’abord adopter un point de vue naturaliste et non idéaliste, ce qui implique d’étudier l’envers naturel du passage que l’on vient de décrire. Il conviendra ensuite d’examiner en quoi le trans-spatial constitue lui-même une nature et non pas une sur-nature.

17L’accès aux essences et aux valeurs, autrement dit l’effectivité de la fonction symbolique, n’est pas indépendante de bases biologiques. Il existe un envers naturel du symbolisme, qui est le fonctionnement cérébral. Reconnaître que le cerveau est le lieu du bouleversement de la vitalité dû à la participation « verticale » est une fois encore une manière de combattre l’idéalisme philosophique, dont Cassirer restait prisonnier. Quoique le réalisme de Ruyer, sans cesse réaffirmé, et qui est le point de départ de sa philosophie (les sensations ont lieu dans notre tête, le cerveau n’est que l’envers visible de la conscience), l’ait tout naturellement incité à adopter un point de vue cérébraliste, il est vrai que la thèse de Susanne Langer sur les fondements naturels du symbolisme a dû lui apparaître comme une confirmation supplémentaire de ses vues. Pour Langer en effet le cerveau n’est pas simplement un « bureau téléphonique central », comme on le pensait à la fin du XIXe siècle, mais un véritable convertisseur, non pas un transmitter mais un transformer [35]. La transformation symbolique de l’expérience a lieu comme une forme supérieure de réponse nerveuse [36], et sans que cela implique un point de vue matérialiste réductionniste puisque dans le panpsychisme de Ruyer conscience et matière ne s’opposent pas. Ce qui se produit fondamentalement chez l’homme par rapport aux autres êtres vivants est une inversion du rôle du cerveau. Alors que la cerveau était jusque-là au service de l’organisme, l’hominisation est caractérisée par une autonomisation du cerveau qui se subordonne l’organisme et devient l’instrument de contact avec le monde des valeurs et des essences. L’humanité, c’est un usage révolutionnaire du cerveau.

18Bien des philosophes ont pourtant considéré que la définition de l’homme devait nécessairement intégrer sa corporéité. On invoque traditionnellement la station debout et la libération de la main, la modification de la mâchoire, ou l’abaissement de la position du larynx qui permet l’articulation de sons, donc un certain nombre de faits anatomiques et posturaux. Il est toutefois difficile de construire un scénario précis à partir de ces données. Mais surtout, on ne doit pour Ruyer en aucun cas s’engager dans une interprétation de l’humanité par ses traits corporels. Il n’a cessé d’insister sur le fait que c’est le cerveau qui est primordial, non le corps. « C’est un fait que l’homme s’identifie de plus en plus avec son seul cerveau », affirme-t-il [37]. Ruyer s’oppose aux philosophes qui font de la forme humaine une composante essentielle de la définition de l’homme. Locke par exemple, dans l’Essai sur l’entendement humain, en 2. 27. 8., critique la définition de l’homme comme animal rationnel, car, prise à la lettre, elle autorise un perroquet doué de parole à être un homme. Et c’est là ne pas tenir compte de la forme du corps humain, qui n’est pas n’importe quel corps animal. L’idée d’homme inclut celle d’un « corps fait de telle ou telle manière ». Pour Merleau-Ponty de même, être homme, c’est une autre manière d’être corps. Ainsi écrit-il dans ses Notes de cours : « L’homme n’est pas animalité (au sens de mécanisme) + raison – Et c’est pourquoi on s’occupe de son corps : avant d’être raison l’humanité est une autre corporéité. » [38] Rien de plus étranger à Ruyer qu’un tel mode de raisonnement. Cela est si vrai qu’il est amené à adopter la position exactement inverse de celle de Locke et de Merleau-Ponty : pour lui un perroquet qui accèderait au symbolisme et aux valeurs mériterait d’être considéré comme un homme. Ruyer suit en cela Max Scheler et sa théorie réaliste de la valeur, dont il rappelle l’un des aspects : « Si, par exemple, les valeurs spirituelles apparaissaient à un animal, cet animal, qu’il soit singe, éléphant ou perroquet, deviendrait une personne, et il pourrait, par là, former une unité spirituelle avec l’homme – il serait “homme” malgré sa biologie. » [39] Ruyer propose un apologue : si une expédition de biologistes et d’ethnologues découvrait dans une île des êtres possédant une apparence humaine, mais incapables de parler et dépourvus de toute tradition culturelle, et d’autre part des êtres pourvus d’une longue queue mais avec lesquels on pourrait s’entretenir, discuter de croyances et de techniques, les biologistes hésiteraient alors à classer les premiers parmi les hommes, tandis que les ethnologues considéreraient volontiers comme tels les seconds [40]. L’ensemble des organes corporels ne sont pour le cerveau humain que des auxiliaires, extrêmement pratiques certes, mais qui n’entrent pas dans la définition essentielle de l’homme, d’autant que le corps humain s’étend de plus en plus loin avec toutes ses prothèses techniques. Le cerveau est « domaine absolu » qui commande à tous ses montages en circuit externe, qu’il s’agisse d’un poumon naturel et d’une main, ou bien d’un poumon artificiel et d’une usine, et le corps sensori-moteur est commandé par les homunculi sensitif et moteur du cortex cérébral. Cependant, ne faut-il pas objecter à cette approche de l’homme le rôle joué par les transformations corporelles dans le développement du cerveau, et cela malgré le vague des scénarios envisagés ? Qu’on ne puisse établir les faits avec précision n’empêche pas de reconnaître que la station debout et la libération de la main ont été déterminantes pour l’évolution cérébrale du primate humain. Ruyer reconnaît l’importance de ces facteurs morphologiques, sur lesquels ont insisté de nombreux auteurs [41] ; néanmoins ce sont là des conditionnements extérieurs, indispensables sans doute, mais qui ne doivent pas occulter que le vrai facteur de continuité demeure entièrement situé du côté du cerveau. Les effets récurrents des montages secondaires, dont la main fait partie, ne brisent pas la vraie ligne de continuité, des domaines protoplasmiques au cerveau humain, car « tout dépend du caractère de surface absolue des formes organiques » [42]. Le corps humain pour Ruyer ne possède aucun privilège. On ne trouve pas chez lui cette épiphanie du corps de l’homme fréquente dans la tradition occidentale. Il y a donc bien deux écoles de pensée : l’approche « cérébraliste » (Ruyer) et l’approche « corporaliste » (Locke, Merleau-Ponty, etc.). Le facteur de continuité qui fait que l’animalitas et le symbolisme ne sont pas scindés n’est pas pour Ruyer à chercher du côté du corps mais du côté du cerveau.

19Un autre phénomène ayant pu contribuer à l’encéphalisation retient cependant davantage l’attention de Ruyer. Il s’agit de la néoténie, c’est-à-dire l’extension démesurée de la croissance à partir d’un arrêt du développement, conduisant donc à l’abandon de la phase adulte. C’est un fait que l’homme adulte ressemble davantage à un jeune singe qu’à un singe adulte, tant du point de vue du rapport entre la tête et le corps que de l’absence de pelage épais. L’homme serait donc un primate ayant modifié son mode de développement, et restant à l’état embryonnaire jusqu’à la fin de ses jours [43]. Il naît démuni, et poursuit sa croissance sur une période extraordinairement longue. L’homme est un prématuré inadapté. Mais c’est cette inadaptation qui va constituer un avantage exceptionnel, dans la mesure où elle ouvre non plus un milieu déterminé mais la possibilité d’un monde. Le défaut premier d’adaptation est inséparable d’une capacité adaptative renforcée. Certes le phénomène de la néoténie est loin d’être propre à l’homme, puisqu’il est observé aussi bien chez d’autres animaux que chez les plantes. Mais, comme l’écrit Gérard Amzallag, « si l’homme n’est pas une exception, il reste quand même un cas très particulier, parce que cette juvénilisation dont nous sommes le fruit affecte tout particulièrement un organe : le cerveau. [...] Dans ces conditions, l’image la plus appropriée pour se représenter le cerveau n’est pas celle d’une machine sophistiquée (un ordinateur, par exemple), mais plutôt celle d’un végétal, organisme comportant des modules plus ou moins homologues (les feuilles), et qui ne cesse son développement toute la vie durant. » [44] Confronter prématurément le cerveau en formation à un environnement riche, aussi bien du point de vue naturel que culturel, autorise une conservation de la plasticité cérébrale. C’est donc la fœtalisation de l’être humain qui l’aurait rendu apte à la saisie du monde des significations et des normes. Le phénomène de la néoténie est devenu chez nombre de scientifiques et de philosophes d’aujourd’hui une manière de penser la continuité de l’animal à l’homme, et de trouver des conditions naturelles pour l’accès au symbolisme. Ruyer a mentionné l’hypothèse du Simien néoténique à plusieurs reprises [45], et il en appréciait d’autant le pouvoir de suggestion qu’elle est liée à ce qui est pour lui le fait fondamental, à savoir la morphogenèse.

20Cependant, qu’a-t-on fait réellement en prenant en compte les bases cérébrales du passage au symbolique et le rôle possible de la néoténie ? On a montré que l’accès au monde des essences et des normes avait pour instrument le cerveau humain, mais rien n’indique que ce monde hyperbiologique lui-même ne constitue pas une surnature. Néoténie et encéphalisation peuvent être corrélées à ce que l’on observe chez l’homme en termes d’attitude symbolique ; mais il ne s’agit pas d’une explication directe. La considération des conditionnements naturels finit par se heurter de nouveau au mystère du symbolique. Tenir compte du cerveau est un principe méthodologique de réalisme. Ce n’est pas le moyen de réduire l’écart du biologique et du symbolique. La transcendance n’est pas conjurée, et l’homme conserve son essence hétérologique. Trois résultats ont été acquis pour l’instant : l’animalité n’est pas synonyme de bestialité mais préfigure l’homme, la fonction symbolique est plus large que la seule rationalité discursive, et le cerveau du primate néoténique est l’instrument de l’accès au monde des valeurs. Il reste que cette dernière détermination ne réussit pas complètement à effacer le caractère traditionnel d’une participation surnaturelle, qui fait de l’homme un être déhiscent. Le symbolique est bien situé sur un autre plan. L’effort de naturalisation a-t-il atteint sa limite ?

21Il s’agit donc désormais, en une quatrième étape, de chercher les traits du symbolique qui pourraient faire du monde hyperbiologique non une « surnature » mais une nature élargie. On sait que pour Ruyer une telle nature est déjà constituée par ce qu’il appelle les thèmes biologiques, à caractère mnémique puisqu’ils interviennent comme de véritables réminiscences. L’examen des faits embryogéniques conduit en effet à poser l’existence de modes de régulation impliquant une dimension trans-spatiale et trans-temporelle. Aucune théorie biologique ne réussit à rendre compte de la morphogenèse par des enchaînements physico-chimiques se déroulant de proche en proche ; il faut bien plutôt reconnaître l’existence et l’intervention de potentiels non spatiaux et non temporels auxquels s’abouchent les êtres en construction et qui sont comme le thème d’une invention en cours, qui est non pas concret et parfaitement déterminé comme un modèle, mais abstrait et incorporant ses propres actualisations. Ruyer demande que l’on n’assimile pas le naturel et le spatio-temporel ou, parallèlement, le trans-spatio-temporel et le surnaturel. On doit au contraire admettre « entre la Surnature et l’espace-temps un très vaste domaine encore naturel, en communication régulière, légale, avec les existants actuels » [46]. Reprocher à une telle conception de s’égarer dans la métaphysique, voire dans la théologie, n’est qu’à moitié fondé. Car l’embryon contient si peu les formes futures de l’adulte comme des micro-structures actuelles que des expériences de transfert de territoires embryonnaires présumés ont mis en évidence un développement qui se rattrapait selon le lieu de l’embryon où avait eu lieu la greffe, au lieu de continuer son développement de façon programmée. Ce sont les embryologistes, tels que Driesch ou Étienne Wolff, qui ont suggéré l’existence de potentiels pour rendre raison des faits observés. Ruyer ne fait que développer ces indications, et ses catégories métaphysiques restent perpétuellement ajustées aux processus visibles.

22Or la transition se fait insensiblement des thèmes aux essences et aux valeurs, c’est-à-dire en fait d’essences spécifiées et converties en types aux essences plus abstraites et aux normes. « Les thèmes mnémiques ressemblent à des essences ou à des valeurs, et ils se fondent d’une manière imperceptible dans les essences et les valeurs. » [47] Ruyer concède qu’on ne peut se représenter le mode de subsistance du monde trans-spatial et de ce qui le peuple, mais nous sommes contraints de l’inférer. Le lien est si étroit entre formes biologiques et valeurs que tout le dernier chapitre des Éléments de psycho-biologie y est consacré. Si Ruyer fut un grand théoricien des valeurs, c’est parce qu’il fit d’abord une philosophie de la biologie, et sut apercevoir que les conclusions tirées dans un domaine étaient transposables dans l’autre. Dans ces conditions, le monde hyperbiologique qui définit l’humanité pour le vivant qui réussit à y accéder ne saurait être assimilé à une surnature. Pas plus que les potentiels morphogénétiques ne sont l’antichambre de la théologie, l’accès aux valeurs n’est à interpréter comme l’étincelle de la divinité en l’homme. C’est à partir de considérations scientifiques philosophiquement interprétées que Ruyer parvient à élargir le sens du concept de nature et à y intégrer les essences et les valeurs. Cette ontologie de la nature permet de donner un statut nouveau au langage abstrait, prérogative de l’homme lorsqu’on le prend en toute rigueur, et à la linguistique. Car l’analyse de la morphogenèse montre que le sémantisme est à l’œuvre bien avant l’apparition du langage. La subsistance selon le sens, par opposition à la simple subsistance matérielle ou énergétique, caractérise non seulement les mots d’une langue, qui ne seraient autrement que des sons vides, mais déjà les organes d’un être en formation. Ils existent physiquement, mais subsistent ou consistent selon un sens immatériel. Le langage est une embryogenèse continuée. C’est précisément ce qui fait écrire à Ruyer, dans son manuscrit inédit où il rappelle cet ensemble de faits, et en ces années où les théories de Chomsky étaient répandues, que « l’embryologie est une science plus fondamentale que la linguistique » [48].

23La fonction symbolique et l’accès au monde hyperbiologique dont elle est synonyme sont ainsi inscrits dans une nature, qui n’est en rupture avec les conceptions plus habituelles que parce qu’on la confond trop aisément avec la physico-chimie. Il semble alors que Ruyer soit en mesure de suturer la vie et l’esprit, en retrouvant une continuité naturelle plus profonde dans laquelle l’homme vient s’inscrire. La solution ruyérienne est particulièrement clairvoyante. C’est que dans les conceptions seulement vitalistes, au rang desquelles on peut placer celle de Bergson et aussi celle de Canguilhem, une redoutable difficulté se fait jour lorsqu’il s’agit de rendre compte du passage, réalisé en l’homme, de la vie à la valeur. Que peut-on exactement demander, en matière d’explication, à la vie ? « La prise de conscience de la polarité axiologique de la vie suffit-elle à fonder un ordre de valeurs transcendant à la vie ? », demande avec une grande lucidité Mikel Dufrenne, et il fait valoir la nécessité du recours à une éidétique en plus d’une simple génétique [49]. Si les vitalistes rejettent une telle philosophie de l’esprit, que l’existence même de l’homme paraît pourtant appeler, c’est parce qu’elle leur semble d’une part négatrice de la vie, et d’autre part passablement arbitraire. Or avec Ruyer ces deux objections tombent, car il montre que l’appui sur une dimension transversale est nécessaire au plan même du vivant, qu’il entre dans la définition même de la vie ; et de plus que la supposition réaliste de thèmes mnémiques se tire d’une interprétation minutieuse des données de la science et n’est pas une invention purement gratuite. L’éidétique, ou le platonisme, que Ruyer appelle encore l’ « encadrement », est au cœur de la vie et à l’horizon des sciences.

24La justification de l’encadrement permet également de mettre en lumière les difficultés auxquelles s’expose une approche comme celle de Merleau-Ponty. Autant que Bergson et que Ruyer, Merleau-Ponty fait partie de ces philosophes qui ont reconnu que l’homme était d’abord un être vivant, qui ont su intégrer le naturalisme à la démarche philosophique, et qui ont cherché à penser la vie de l’esprit. Cependant Merleau-Ponty a refusé l’encadrement de type platonicien ou whiteheadien pour s’en tenir à une démarche génétique. Ruyer le regrette dans un passage discret mais très significatif, et qui témoigne d’une lecture extrêmement attentive de Merleau-Ponty : faisant référence à l’analyse de l’éros dans la Phénoménologie de la perception, il remarque qu’ « il est parfaitement vrai que la sexualité, pour l’individu, n’est pas une sorte de mécanisme à réflexes autonomes, avec des stimuli externes et internes ajustés à ce mécanisme, mais une intentionnalité vitale, une libido qui est “sens”, et non “processus hormonal”. Mais alors, il faut bien que ce sens soit rattaché, comme un ruisselet dérivé, à un Sens surindividuel et surhumain. L’interprétation phénoménologique – et non physico-chimique – de la libido, postule impérieusement quelque chose qui ressemble fort à la croyance à un Logos, ou tout au moins à un thématisme cosmique qui passe par-dessus la tête de l’homme, comme individu existant » [50]. Et lorsque Merleau-Ponty, dans sa dernière philosophie, cherchera à penser un symbolisme naturel, attribué à la chair, il n’aura pas davantage recours à un ordre encadrant. Or non seulement il éprouvera de grandes difficultés à assurer le passage de la vie à l’esprit, mais surtout le symbolisme archaïque de la chair aura une implication assez lourde. En effet, considérer que c’est maintenant l’être qui est porteur de ce que l’on attribuait auparavant à l’homme, et que l’homme n’est finalement plus que la subjectivité qui co-conditionne les manifestations du symbolique, la chair étant perceptibilité éminente et logos silencieux, contraint à « adresser » ces manifestations retenues à l’homme, pour qu’il les réalise. On a là un subtil idéalisme renversé : l’homme y est certes dépouillé de ses prérogatives, mais le creux qu’il laisse devient le centre attractif de l’être au profit duquel il a été dépouillé. D’où les nombreuses formules de Merleau-Ponty indiquant que la chair est visibilité éparse, comme si celle-ci exigeait et attendait l’homme pour s’accomplir. Si le symbolisme s’enracine de façon immanente dans la nature, alors, à moins d’absurdité, il ne peut que posséder le statut d’une virtualité que l’homme doit venir actualiser. L’impasse est parfaitement logique : si l’on rejette le logos encadrant, ou bien on a un surgissement irrationnel comme chez Bergson, ou bien on s’engage dans une archéologie préméditante comme Merleau-Ponty, qui ne peut que renvoyer l’être et l’homme l’un à l’autre, le premier comme instance du possible et le second comme agent de l’actualisation, dans une relation spéculaire qui est la forme la plus raffinée de l’idéalisme.

25On peut toutefois faire remarquer une chose s’agissant de l’éidétique : Ruyer lui-même soulignait malgré tout que l’activité symbolique de l’homme était irréductible à l’activité thématique de l’animal. On peut donc se demander si la difficulté initiale n’a pas été simplement déplacée au plan même du trans-spatial, puisqu’il s’agirait maintenant d’apprendre à distinguer entre thèmes et valeurs. Pourtant, sans que la difficulté doive être minimisée, il faut être conscient du fait que la véritable opposition est moins entre la vie et l’esprit, ou entre les thèmes et les valeurs, qu’entre ce monde hyperbiologique source d’unité et les phénomènes statistiques de foule sans unité vraie. Dans ces conditions, il est possible de répondre qu’en dernière instance, la différence entre l’homme et les autres vivants est plutôt de degré que de nature, puisque il y a, entre les thèmes et les essences, « toutes les transitions possibles » [51]. Cela n’empêche pas Ruyer de dire à plusieurs reprises que la différence anthropologique ne peut être comprise seulement en termes de degré [52] ; mais il s’agit alors de corriger une tentation réductionniste, trop peu inquiète du bouleversement qui caractérise l’humain. Peut-être faut-il dire avec Whitehead que « la distinction entre les hommes et les animaux n’est en un sens qu’une différence de degré. Mais l’étendue de ce degré fait toute la différence. Le Rubicon a été franchi » [53]. La vie et l’esprit, une fois effacées les oppositions que Ruyer juge trop tranchées, se rejoignent. Dès lors, « ce mot vague, l’esprit, ou le domaine de l’esprit, désigne seulement les dernières conquêtes de la vie, le dernier étage, encore à l’état de chantier, où rien n’a encore eu le temps d’être harmonisé. L’homme, être vivant, ne semble être l’agent de l’esprit, il ne semble déchiré entre deux maîtres que parce qu’il est, sur la planète Terre, la zone de croissance de la vie, ouverte vers une phase encore mystérieuse » [54]. Ruyer peut ainsi comparer la situation de l’homme à celle de l’embryon en croissance qui, ne sachant vers quoi le mènent les thèmes mnémiques auxquels il participe, est une sorte de chantier discordant ouvert sur un avenir incompréhensible.

26Ces perspectives sont complétées chez Ruyer par deux autres types de considérations, qui nécessiteraient des développements autonomes, et qu’on se contentera donc de mentionner ici à titre subsidiaire. Tout d’abord, la philosophie de Ruyer effectue un dernier geste d’intégration de l’homme dans la nature. Pour la plupart des auteurs qui recherchent une continuité, celle-ci ne va toutefois pas au-delà de celle fournie par la vie, comme si la matière et l’espace physique représentaient un obstacle définitif. Mais en réalité la matière n’est pas non plus en franche opposition avec la vie et l’esprit. Pour se contenter d’une indication nécessairement brève, la physique contemporaine a montré que les entités fondamentales se comportaient d’une façon qui autorisait selon Ruyer la comparaison avec des domaines absolus vitaux ou conscients. L’ordre unitaire du cerveau humain est en continuité avec l’ordre unitaire des unicellulaires, qui elles-mêmes ont dû bénéficier du transfert d’ordre venu des particules élémentaires. Ces dernières se rattachent à leur tour à des courbures et états divers de l’espace-temps. Or l’espace, en son unité, ne peut avoir qu’une consistance de type « domaine absolu », comme l’avait pressenti Newton avec la notion de « sensorium » divin. L’espace-temps dans son unité possède une nature cérébrale, parce qu’il possède une unité. Si l’on définit l’homme par son cerveau et non par son corps, et que l’on conçoit l’espace non comme le vide peuplé d’atomes inertes du matérialisme mais comme un domaine en formation, « on comprend la présence de l’homme dans un Univers-Dieu auquel il ressemble, on comprend la présence d’un cortex dans un espace-temps qui est une sorte de cortex fondamental » [55]. Toute forme vraie est finalement comparable à un cerveau. Ruyer défend ainsi un « cérébro-morphisme » qui est l’accomplissement de son panpsychisme. Ce type de spéculations, dont nous ne donnons qu’un très bref aperçu, tend simplement à montrer qu’on ne doit plus considérer la matière brute comme la vérité dernière de l’univers, celle-ci n’étant qu’un phénomène de foule à un certain niveau, et que dès lors l’étrangeté de l’être humain dans l’univers n’est plus irréductible. Qu’il s’agisse de cette unité fondamentale avec laquelle le cerveau est en continuité ou de la source dernière des thèmes et des normes, aussi indispensables l’un que l’autre à la définition de l’homme, ils ouvrent sur la perspective d’une théologie rationnelle, horizon nécessaire d’une pensée de l’homme. Le deuxième type de considérations développées par Ruyer, si l’on revient à l’homme tel qu’il vit sur terre, concerne le destin historique de l’espèce humaine. Il a consacré à ce problème un ouvrage de « futurologie » sérieuse, Les cents prochains siècles, où il se pose notamment la question des risques de domestication de l’animal humain, pour en conclure cependant que l’homme ne pourra jamais être entièrement domestiqué, et qu’il demeure une espèce sauvage. Ruyer posait ainsi les bases d’une anthropologie politique, venant compléter son anthropologie philosophique.

Notes

  • [1]
    « Croître et multiplier » (1970), in Dits et écrits I, Paris, Gallimard, « Quarto », 2001, p. 967-972.
  • [2]
    « En marge du culturalisme et du psychologisme », Revue philosophique, 1968, p. 17.
  • [3]
    « Les limites biologiques de l’humanisme », in Originalité biologique de l’homme, Recherches et débats, Cahier no 18, Paris, Fayard, 1957, p. 156.
  • [4]
    L’homme nu, Paris, Plon, 1971, p. 614-615.
  • [5]
    La gnose de Princeton, Paris, Fayard, 2e éd., « Pluriel », 1977, p. 34.
  • [6]
    Ibid., p. 34.
  • [7]
    Op. cit., p. 615-616.
  • [8]
    « La connaissance comme fait cosmique », Revue philosophique, 1932, p. 370.
  • [9]
    « Inconscient et inconscience », Psyché, no 11, septembre 1947, p. 1094.
  • [10]
    « Les limites biologiques de l’humanisme », art. cit., p. 155.
  • [11]
    La gnose de Princeton, p. 33.
  • [12]
    Pour un panorama de l’éthologie comparée des grands singes et de l’homme, cf. P. Picq et Y. Coppens (dir.), Aux origines de l’humanité, vol. 2 : Le propre de l’homme, Paris, Fayard, 2001.
  • [13]
    D. Lestel a proposé une synthèse sur cette question dans Les origines animales de la culture, Paris, Flammarion, 2001.
  • [14]
    « Inconscient et inconscience », art. cit., p. 1094.
  • [15]
    Le monde comme perception et réalité, Paris, Vrin, 1974, p. 11.
  • [16]
    C’est moi la vérité, Paris, Le Seuil, 1996, p. 63 (le texte original est souligné).
  • [17]
    Über den Humanismus, Francfort-sur-le-Main, Vittorio Klostermann, 1946 ; tr. fr., Lettre sur l’humanisme, in Questions III et IV, Paris, Gallimard, « Tel », 1966 et 1976, p. 80.
  • [18]
    « Domaine animal et monde humain », Diogène, no 18, 1957, p. 41-42.
  • [19]
    « Inconscient et inconscience », art. cit., p. 1094.
  • [20]
    « Les conceptions nouvelles de l’instinct », Les Temps modernes, no 96, novembre 1953, p. 857.
  • [21]
    Cf. L’animal, l’homme, la fonction symbolique, Paris, Gallimard, 1964 (abrégé AHFS), p. 88.
  • [22]
    « Homonculus et Méganthrope », Revue de métaphysique et de morale, no 3/1957 ; « Domaine animal et monde humain », art. cit.
  • [23]
    Sur l’équivalent de cette problématique chez Bergson, cf. G. Lebrun, « De la supériorité du vivant humain dans L’évolution créatrice », in Georges Canguilhem. Philosophe, historien des sciences, Paris, Albin Michel, 1993.
  • [24]
    An Essay on Man (1944), tr. fr., Essai sur l’homme, Paris, Minuit, 1975, p. 107.
  • [25]
    Ibid., p. 43.
  • [26]
    Susanne K. Langer (1895-1985), philosophe américaine, est l’auteur de Philosophy in a New Key. A Study in the Symbolism of Reason, Rite and Art (1942), Cambridge, HUP, 1979 (abrégé PNK). L’ouvrage eut un grand succès aux États-Unis. Il est dédié à Whitehead, qui fut le maître et l’ami de Langer, et dont le texte Symbolism, its Meaning and Effect eut une grande influence sur elle. Connue également pour ses recherches en esthétique, S. Langer a tenté, à l’instar de Cassirer dont elle est très proche, de proposer une compréhension globale de l’homme en intégrant l’ensemble des activités humaines dans une théorie générale du symbolisme. L’ampleur des matières traitées et la justesse des aperçus font tout l’intérêt de ses travaux, qui n’ont jamais été traduits en français.
  • [27]
    Cf. Langer, PNK, p. 31 et 60 sq. ; Ruyer, AHFS, p. 94-95.
  • [28]
    PNK, p. 45 (nous traduisons).
  • [29]
    AHFS, p. 126.
  • [30]
    Ibid., p. 90.
  • [31]
    Cf. « L’expressivité », Revue de métaphysique et de morale, no 1-2, 1955, p. 85.
  • [32]
    Dieu des religions, Dieu de la science, Paris, Flammarion, 1970, p. 51.
  • [33]
    « L’esprit philosophique », Orientation. Recueil de conférences faites au Centre universitaire de l’Oflag XVII A, Paris, Éd. de Champagne, 1946, p. 61.
  • [34]
    AHFS, p. 90. Si Ruyer emploie ici le terme de « surnature », il le récuse lorsque celui-ci renvoie non plus au « métaphysique » mais au « surnaturel » (cf. ci-après).
  • [35]
    PNK, p. 42.
  • [36]
    Ibid., p. XIV et 44.
  • [37]
    AHFS, p. 30.
  • [38]
    La nature. Notes de cours du Collège de France, Paris, Le Seuil, 1994, p. 269.
  • [39]
    Philosophie de la valeur, Paris, Armand Colin, 1952, p. 198.
  • [40]
    AHFS, p. 91.
  • [41]
    Cf. Leroi-Gourhan, Le geste et la parole I : technique et langage, Paris, Albin Michel, 1964, et les commentaires de Franck Tinland dans La Différence anthropologique, Paris, Aubier Montaigne, 1977.
  • [42]
    La genèse des formes vivantes, Paris, Flammarion, 1958, p. 216.
  • [43]
    Le fait a été remarqué depuis fort longtemps. Le biologiste à l’avoir exposé d’une façon systématique est l’anatomiste hollandais Louis Bolk. Sa conférence Das Problem der Menschenwerdung (1926) a été traduite en français sous le titre « La genèse de l’homme », dans Arguments, 4e année, no 18, 1960, p. 3-13.
  • [44]
    L’homme végétal, Paris, Albin Michel, 2003, p. 296-297.
  • [45]
    Cf. Néo-finalisme, Paris, PUF, 1952, p. 197 – « Le phénomène de l’ “empreinte” et le “choix” amoureux », Journal de psychologie normale et pathologique, 1956, p. 38 – « Les limites biologiques de l’humanisme », art. cit., p. 155.
  • [46]
    « Le domaine naturel du trans-spatial », Bulletin de la société française de philosophie, séance du 31 janvier 1948, p. 135.
  • [47]
    Ibid., p. 140.
  • [48]
    L’embryogenèse du monde et le Dieu silencieux, inédit, 1983.
  • [49]
    « Un livre récent sur la connaissance de la vie », Revue de métaphysique et de morale, no 1-2, 1953, p. 187.
  • [50]
    « Les limites biologiques de l’humanisme », art. cit., p. 158-159.
  • [51]
    Philosophie de la valeur, p. 211.
  • [52]
    « Domaine animal et monde humain », art. cit., p. 50 ; Dieu des religions, Dieu de la science, p. 53.
  • [53]
    Modes of Thought (1938), tr. fr., Modes de pensée, Paris, Vrin, 2004, p. 49.
  • [54]
    « Les limites biologiques de l’humanisme », art. cit., p. 165.
  • [55]
    AHFS, p. 240.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.171

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions