Couverture de LEPH_044

Article de revue

Les vérités éternelles et l'autre monde : les racines juives de Spinoza

Pages 507 à 522

Notes

  • [1]
    Conférence prononcée dans le cadre d’une Journée d’études sur Vérités et possibles de Descartes à Leibniz, organisée par E. Faye et K.-S. Ong-Van-Cung, le 8 février 2002, au CNRS-CHPM. Le texte est traduit de l’américain par Denis Moreau, que je remercie.
  • [2]
    Voir par exemple, Thomas M. Lennon, « The cartesian dialectic of creation », in Daniel Garber and Michael Ayers (éds.), The Cambridge History of Seventeenth-Century Philosophy (Cambridge, Cambridge University Press, 1998), p. 331-362, spécialement p. 335-352 ; et Margaret J. Osler, « Divine will and mathematical truth : Gassendi and Descartes on the status of the eternal truths », in Roger Ariew and Marjorie Grene (éds.), Descartes and His Contemporaries (Chicago, University of Chicago Press, 1995), 145-158.
  • [3]
    Deux cartésiens, la polémique entre Malebranche et Arnauld, Paris, J. Vrin, 2000.
  • [4]
    Jonathan Bennett, A Study of Spinoza’s Ethics (Indianapolis, Hackett, 1984), 357. Il poursuit dans cette voie en affirmant : « Je ne crois pas qu’on puisse sauver les doctrines finales [de la cinquième partie]. La seule tentative de sauvetage complet que j’ai rencontrée m’est demeurée inintelligible, et n’avait que peu de rapport avec ce que Spinoza a vraiment écrit [...]. Après trois siècles d’échec pour en tirer profit, le temps est venu d’admettre que cette partie de l’Éthique n’a rien à nous apprendre, et est très certainement vaine [...] tout cela est sans valeur. » Ou bien Bennett exagère de façon délibérée, ou bien il n’a pas compris l’importance de l’œuvre.
  • [5]
    Voyez par exemple Stuart Hampshire, Spinoza (Harmondsworth, Penguin, 1951) ; Edwin Curley, Behind the Geometrical Method (Princeton, Princeton University Press, 1988) ; Pierre-François Moreau, Spinoza : L’expérience et l’éternité (Paris, PUF, 1994), Troisième Partie ; and James Morrison, « Spinoza on the self, personal identity and immortality », in Graeme Hunter (ed.), Spinoza : The Enduring Questions (Toronto, University of Toronto Press, 1994), qui admettent tous que Spinoza rejette l’immortalité personnelle ; et parmi ceux qui prétendent qu’il la préserve : Alan Donagan, Spinoza (Chicago, University of Chicago Press, 1988) ; Harry Wolfson, The Philosophy of Spinoza, 2 vol. (Cambridge, Harvard University Press, 1936) ; et Tamar Rudavsky, Time Matters : Time, Creation and Cosmology in Medieval Jewish Philosophy (Albany, SUNY Press, 2000), 181, 186.
  • [6]
    Comme je le montre dans Spinoza’s Heresy : Immortality and the Jewish Mind (Oxford, Oxford University Press, 2002), spécialement au chap. 4.
  • [7]
    Toutes les références renvoient à Levi ben Gerson, Les Guerres du Seigneur (abrégé désormais : Guerres) ; les pages sont celles de la traduction anglaise de Seymour Feldman, 3 vol., [Philadelphia, Jewish Publication Society, 1984-1999]. Pour le texte hébreu, je me sers de l’édition de Leipzig, Sefer Milchamot ha Shem (1866), et de l’appareil critique de Feldman qui signale à la fin de sa traduction les erreurs de cette édition.
  • [8]
    Guerres I . 6, vol. 1, p. 151.
  • [9]
    Ibid., V . 13. L’analogie avec le projet vient de l’introduction de Feldman, Guerres, vol. 1, p. 82.
  • [10]
    Puisque l’Intellect agent émane d’intellect séparés plus élevés, il inclut également la connaissance qu’ils ont de leurs domaines respectifs. Voir Guerres V . 13.
  • [11]
    Touati compare cela à la doctrine de la « vision en Dieu » chez Malebranche ; voir La Pensée philosophique et théologique de Gersonide (Paris, Éd. de Minuit, 1973), p. 25.
  • [12]
    Guerres I . 10, vol. 1, p. 204.
  • [13]
    Voir Touati, La Pensée philosophique et théologique de Gersonide, p. 413-423.
  • [14]
    Guerres I . 6, vol. 1, p. 150. Herbert Davidson rejette le modèle de l’abstraction pour décrire comment l’intellect matériel est supposé engendrer la connaissance des formes, avec l’aide de l’Intellect agent. Il rejette également le modèle de l’émanation et celui de l’illumination entendu de façon littérale. Sa conclusion, avec laquelle je suis d’accord, est que Gersonide « nous laisse tout simplement dans l’obscurité à ce sujet » ; voir « Gersonides on the material and active intellects », in Gad Freudenthal (éd.), Studies on Gersonides (Leiden, Brill, 1992), p. 247.
  • [15]
    Guerres I . 10, vol. 1, p. 205. Gersonide insiste bien sur le fait que l’Intellect agent n’opère pas sur l’objet senti ou sur son image sensible : ce n’est pas l’image elle-même qui devient intelligible. C’est plutôt l’Intellect agent qui opère sur l’intellect matériel et le « meut » au moyen de l’image des sens : voir Guerres I . 10, vol. 1, p. 206-207.
  • [16]
    Seymour Feldman, « Gersonides on the possibility of conjunction with the agent intellect », Association for Jewish Studies Review, 3 (1978), 117-118.
  • [17]
    La citation est de Touati ; voir La pensée philosophique et théologique de Gersonide, V . 1.
  • [18]
    Guerres I . 10, vol. 1, p. 206. Dans tous les cas, Gersonide insiste bien sur le fait que cela n’implique pas que l’Intellect agent lui-même soit connu par l’intellect matériel. En fait, nous ne pouvons jamais atteindre complètement le type de science contenu dans l’Intellect agent ; voir Guerres I . 6-7.
  • [19]
    C’est aussi un aspect de la providence divine, c’est-à-dire la « providence spéciale » par laquelle ceux qui ont atteint la perfection intellectuelle sont capables de se diriger avec succès parmi les vicissitudes de la nature ; voir Guerres IV.
  • [20]
    Guerres I . 11, vol. 1, p. 212.
  • [21]
    Ibid., I . 13, vol. 1, p. 223.
  • [22]
    Feldman, dans l’introduction au livre I des Guerres, vol. 1, p. 72.
  • [23]
    Ibid., p. 212.
  • [24]
    Ibid., p. 213.
  • [25]
    Ibid. 1, p. 224.
  • [26]
    Ibid. 1, p. 224-225.
  • [27]
    Ibid. 1, p. 224.
  • [28]
    La théorie de Gersonide sur l’individuation peut amener un autre problème, pour distinguer et personnaliser l’intellect acquis après la mort. Il affirme que « c’est par la matière que la distinction numérique est produite dans les essences ; mais quand les essences sont prises comme abstraites de la matière, on ne peut pas du tout les concevoir comme objets individuels » (Guerres I . 6, vol. 1, p. 156). Pourquoi le même principe ne serait-il pas appliqué au corps de connaissance abstrait qui constitue l’intellect acquis ? La matière est-elle également nécessaire pour son individuation ?
  • [29]
    Touati ne semble pas rencontrer de difficulté avec ce que dit Gersonide sur ce point. Il remarque simplement que « chaque intellect humain conserve son individualité et son immortalité ; chaque personne est une monade avec sa propre aperception personnelle » (La pensée philosophique et théologique de Gersonide, 441). Mais ce qui manque ici, c’est précisément une explication claire d’une telle aperception !
  • [30]
    Guerres IV . 6, vol. 2, p. 182-183.
  • [31]
    Voir ce que Gersonide dit de la Providence, Guerres, Livre IV.
  • [32]
    Guerres I . 13, vol. 1, p. 224-225.
  • [33]
    Guerres IV . 6, vol. 2, p. 197.
  • [34]
    Ils ont été relevés de façon assez rapide par Wolfson ; voir The Philosophy of Spinoza, vol. 2, chap. 20, section 3.
  • [35]
    I, def. 8.
  • [36]
    Voir IV, prop. 20-26.
  • [37]
    Je suis donc d’accord avec Yovel quand il explique qu’avec le troisième genre de connaissance, « rien de neuf ne s’ajoute à l’information scientifique qu’on possède déjà ». L’un et l’autre exprime « fondamentalement la même information » ; voir Spinoza and Other Heretics, vol. 1 : The Marrano of Reason (Princeton, Princeton University Press, 1989), 156, 165-166.
  • [38]
    V prop. 25. Tous les commentateurs ne sont pas d’accord avec ma lecture des rapports et des différences entre le deuxième et le troisième genre de connaissance. Je crois que le contenu est le même dans les deux cas, et que la différence consiste seulement dans la manière dont ce contenu est saisi – avec, peut-être aussi, une différence épistémique concernant la certitude.
  • [39]
    Spinoza Opera, éd. de Carl Gebhardt, 5 vol. (Heidelberg, Carl Winters Universitätsverlag, 1972), vol. 2, p. 37.
  • [40]
    Spinoza’s Heresy, chap. 5.
English version

I

1La plupart des études sur les vérités éternelles dans la philosophie du XVIIe siècle prennent Descartes comme point de départ – et cela à bon droit. Disséminées dans ses œuvres et sa correspondance, ses remarques sur le statut des vérités éternelles posent les bases de toutes les approches de cette question dans les années qui suivront. Quand on cherche par exemple à comprendre les doctrines de Spinoza, Malebranche et Leibniz sur le rapport entre les vérités nécessaires et la volonté divine, il est utile de les rapprocher et de les distinguer de l’extrême volontarisme cartésien [2]. C’est aussi un projet passionnant que d’examiner le degré d’adhésion des cartésiens à l’opinion de leur inspirateur philosophique sur les vérités éternelles, comme Denis Moreau l’a récemment fait dans son étude de la polémique entre Malebranche et Arnauld [3], et de rechercher les sources et les antécédents de ces pensées classiques (par exemple, comment elles doivent ou ne doivent pas être rapportées aux théories médiévales sur la puissance absolue et ordonnée de Dieu).

2Il est évidemment essentiel de considérer les thèses de Spinoza sur les vérités éternelles dans ce contexte cartésien. Pour comprendre la métaphysique et l’épistémologie de Spinoza, il est tout spécialement utile d’opposer son nécessitarisme au créationnisme (modéré ou radical) des autres philosophes. Toutefois, si nous nous limitons à ce contexte du XVIIe siècle et à ses racines dans la philosophie ou la théologie latine médiévales – et, pour autant que je le sache, cela a été le cas de toutes les études sur les vérités éternelles chez Spinoza – nous laissons de côté un aspect très important de l’entreprise spinoziste. En particulier, nous devenons incapables de saisir le rôle que joue dans l’ensemble du système spinoziste la connaissance des vérités éternelles par les êtres humains.

3Dans cette communication, je vais m’attacher aux thèses de Spinoza sur la connaissance humaine des vérités éternelles, et les replacer dans un contexte entièrement différent. Cela nous permettra non seulement de mieux comprendre certains éléments très importants, mais très difficiles de la cinquième partie de l’Éthique – il s’agit en fait, expliquerai-je, des propositions constituant le point culminant de l’œuvre – mais aussi de mieux comprendre une autre tradition médiévale importante dont proviennent les thèses de Spinoza.

II

4Les commentateurs de l’Éthique de Spinoza sont presque toujours arrêtés par la cinquième partie de l’ouvrage, et plus particulièrement par la doctrine de l’éternité de l’esprit. Dans ce qui ressemble au cri de frustration de celui qui s’est heurté aux propositions de la cinquième partie portant sur ce sujet, un célèbre commentateur affirme que cette partie de l’œuvre est un « désastre complet et apparemment injustifié [...] une absurdité qui fait écrire des absurdités » [4]. Un autre commentateur reconnaît de façon plus sereine « qu’en dépit de nombreuses années d’étude, je n’ai toujours pas le sentiment d’avoir compris cette partie de l’Éthique ». Il ajoute : « Je l’admets sans complexes, car je crois aussi que personne d’autre ne l’a correctement comprise. » Les commentateurs ont en particulier été incapables de saisir le rôle que joue dans l’éternité de l’esprit ce que Spinoza appelle le « troisième genre de connaissance », impliquant des idées adéquates des essences des choses, et de déterminer si, dans les propositions dont il est ici question, Spinoza propose ou non une théorie de l’immortalité personnelle de l’âme [5].

5Je vais montrer que l’usage que fait Spinoza des idées adéquates constituant le troisième genre de connaissance – qui se ramène fondamentalement à un ensemble de vérités éternelles en tant qu’elles sont saisies par un esprit humain – trouve ses plus importantes racines dans une certaine tendance intellectualiste du rationalisme médiéval juif. De plus, cette épistémologie des vérités éternelles permet à Spinoza d’affirmer à la fois que l’esprit est, en un sens, éternel, et que la doctrine de l’immortalité personnelle de l’âme est une fiction. En effet, le refus que Spinoza oppose à l’immortalité personnelle grâce à son épistémologie des vérités éternelles est une suite naturelle des vues de ses prédécesseurs juifs médiévaux, en particulier Maïmonide et Gersonide. En d’autres termes, pour comprendre les vastes ramifications de la théorie spinoziste de la connaissance des vérités éternelles, il faut la situer non pas dans le contexte du cartésianisme du XVIIe siècle ou de la scolastique latine, mais dans la philosophie juive médiévale (et aristotélicienne).

III

6Dans cette communication, je vais me limiter à une étude de l’œuvre du rabbin provençal du XIVe siècle Levi ben Gerson, ou Gersonide, même si j’estime que l’enquête pourrait également s’étendre jusqu’à Maïmonide [6].

7Gersonide débute sa grande œuvre philosophique, Les Guerres du Seigneur (Sefer Milchamot ha-Shem), en se demandant comment l’intellect humain (ha-sekhel) parvient à la connaissance vraie, qui est une compréhension des vérités abstraites, éternelles [7].

8Laissé à lui-même, l’intellect humain est incapable d’obtenir la connaissance vraie. Selon Gersonide, en effet, la connaissance ne parvient jusqu’à l’être humain que par ce qu’il appelle l’Intellect agent. Il s’agit de l’intellect séparé, ou de l’être spirituel et éternel associé à la sphère sublunaire de ce monde (si on en croit la cosmologie aristotélicienne, que Gersonide reprend à son compte, chacune des sphères célestes possède un intellect séparé qui lui est associé). Cet Intellect agent, qui émane du plus haut des intellects séparés qui à son tour émane de Dieu, gouverne la sphère où nous habitons. Il possède la connaissance complète – celle-là même que possède un créateur – de l’ordre qu’il impose au monde :

« Puisque l’agent responsable de [l’existence] de tous les êtres dans le monde sublunaire doit posséder la connaissance de l’ordre [de ce monde], tout comme un ouvrier doit avoir une idée de l’ordre parmi les choses qu’il va créer ; et puisque [...] cet agent est l’Intellect agent, [...] il s’ensuit que l’Intellect agent possède la connaissance de l’ordre dans le monde sublunaire. » [8]

9En engendrant les formes naturelles sublunaires, l’Intellect agent est la cause des substances ; et comme il émane de manière éternelle et nécessaire des intellects séparés supérieurs, et en dernier recours de Dieu, il connaît ainsi complètement le plan qu’il met en œuvre. L’Intellect agent contient les concepts de tous les êtres, organisés de manière compréhensive et systématique, si bien que la totalité de ce que contient cet Intellect agent constitue un corps de science exhaustif. Sa connaissance est une sorte de projet complet et archétypal du monde qu’elle gouverne, ce monde-ci [9]. De fait, Gersonide l’appelle « l’ordre rationnel du monde terrestre », même si cette science contient également la connaissance de tous les phénomènes célestes [10]. C’est un ordre éternel et incorruptible, par contraste avec la succession changeante, corruptible et temporelle des choses et des événements dans ce monde, qui illustre et exemplifie cet ordre de façon dynamique. Dans l’Intellect agent, cette connaissance existe de manière parfaite et unifiée. Elle constitue un corps de vérités éternelles.

10Dans sa relation à la connaissance humaine, l’Intellect agent joue aussi un rôle épistémologique. En fait, ce rôle est rendu possible par celui qu’il joue en tant que cause intelligente, c’est-à-dire le rôle d’agent (ou d’exécutant) du déterminisme astral qui opère dans le domaine sublunaire. L’Intellect agent est le responsable de « l’illumination » des esprits humains, et de l’engendrement de la connaissance humaine, des concepts généraux des choses, et des vérités rationnelles, c’est-à-dire de la « vraie science ». En raison de l’union entre l’intellect humain et cet intellect séparé plus élevé, la puissance de l’intellect matériel (ha-sekhel ha-hayulani) dans l’être humain – qui n’est rien d’autre que la simple capacité de penser qui se trouve dans tout corps animé – peut être actualisée, et l’être humain peut ainsi acquérir une connaissance des choses qui dépasse le simple savoir sensible par des images particulières [11]. Ainsi, c’est par l’intermédiaire de l’Intellect agent que le monde devient intelligible à l’être humain. Si la connaissance est l’appréhension des formes des choses, la saisie de leurs déterminations essentielles et générales, alors l’activité de l’Intellect agent dans sa propre connaissance des formes est la cause de la compréhension de ces dernières par l’intellect humain. « L’intellect matériel ne peut appréhender d’autres formes que celles du monde sublunaire, et il ne peut les appréhender qu’après que l’Intellect agent les a rendues intelligibles. » [12]

11Les formes des choses sont leurs natures générales. [13] Il est nécessaire qu’une nature générale existe actuellement dans chacun des individus qui ont cette nature en commun. La nature générale du cheval est dans chaque cheval. À partir de perceptions sensibles répétées, c’est-à-dire à partir de la réception d’images particulières dans la faculté imaginative de l’intellect matériel, l’intellect (mû par l’Intellect agent), peut faire abstraction des particularités qui différencient la rencontre avec un objet sensible d’un certain genre et la rencontre avec un autre objet sensible du même genre ; et l’intellect atteint ainsi une compréhension de cette nature commune [14]. Par exemple, après avoir vu un certain nombre de chevaux, on parvient à comprendre ce qu’est l’essence du cheval. C’est l’Intellect agent qui rend ce processus possible en illuminant l’intellect humain par l’ordre éternel qu’il contient ; il informe l’intellect humain avec la connaissance générale dont cet intellect a besoin pour rendre intelligibles les sensibles particuliers.

« L’Intellect agent agit sur l’intellect matériel, et le rend capable de devenir connaissant en acte alors qu’il l’était seulement en puissance. Par conséquent, l’Intellect agent rend l’image intelligible en acte alors qu’elle l’était en puissance, seulement dans un sens accidentel. » [15]

12Mais ce que nous recherchons en dernier recours n’est pas seulement l’image de tel ou tel type d’être particulier. Une partie de ce qui est contenu dans une « nature » est une série de fonctions qui permettent d’apercevoir l’ensemble des caractéristiques intrinsèques et relationnelles d’une chose. C’est un système de semblables vérités, à la fois complet et unifié, que nous recherchons vraiment. Pour un être humain, l’objet réel de la connaissance est « l’ordre des choses » tel qu’il est contenu dans l’Intellect agent, ce qu’un commentateur appelle la « structure formelle de la nature » [16]. Il s’agit, fondamentalement, des lois de « la providence astrale qui gouverne ce monde. » [17] Comme cet ordre est éternel, universel et immuable, lui seul possède les traits caractéristiques de la connaissance vraie.

« [L’ordre] intelligible de l’image possédée par l’Intellect agent est pour nous un objet de connaissance plus approprié que l’image elle-même. En effet, puisque pour l’intellect matériel, l’image devient intelligible grâce à l’ordre conçu qui se rattache à cette image dans l’Intellect agent, c’est cet ordre, plutôt que l’image, qui doit être l’objet de la connaissance de l’intellect matériel [...]. Car l’image ne devient en aucune façon intelligible, puisque le particulier, en tant que tel, n’est pas connaissable ; ce qui est connu, c’est plutôt l’ordre correspondant à l’image en tant qu’il est présent dans l’Intellect agent. » [18]

13Voilà donc comment l’esprit humain, limité au départ par son union avec un corps matériel dépasse, au moyen des images, la connaissance sensible, jusqu’à l’appréhension des intelligibles, des formes des choses sous leur matière, et en dernier recours du plan de la nature lui-même. Aidé tout au long de ce processus par la cause intelligente de l’ordre du monde sublunaire, l’esprit humain parvient à la compréhension de l’ordre véritable du monde. En fait, sa connaissance tend à refléter, autant que cela est possible pour des êtres humains, la connaissance qui se trouve dans l’Intellect agent lui-même. Nous devenons directement illuminés par les vérités éternelles dans l’Intellect agent.

14Le résultat de tout cela dans celui qui connaît – c’est-à-dire la connaissance de l’ordre même inhérent à l’Intellect agent – est ce que Gersonide appelle « l’intellect acquis » [ha-sekhel ha-nikneh] [19]. Gersonide remarque qu’il est clair que l’intellect acquis représente la perfection de l’intellect matériel provoquée par l’Intellect agent [20]. L’intellect acquis est un corps de connaissances conceptuelles appartenant à l’être humain. Pour celui qui connaît, cela constitue une acquisition intellectuelle ; c’est seulement la connaissance des vérités éternelles de cette personne-ci. Mais comme il s’agit d’une saisie partielle d’un tout plus large, et que cette saisie n’est pas entièrement systématique, l’intellect acquis n’est pas identique à la connaissance de l’Intellect agent lui-même. « La connaissance que nous acquérons n’est pas réellement identique à la connaissance de l’Intellect agent, car cette dernière existe de façon unifiée. » [21] Le contenu de l’intellect acquis reflète toutefois à un certain degré la connaissance de cet esprit. Selon la description qu’en a proposé un commentateur, l’intellect acquis est « la somme complète des connaissances intellectuelles obtenues par un individu sa vie durant » [22].

15Tous ces thèmes sont en relation directe avec l’atteinte de l’immortalité. Selon Gersonide, ce qui est immortel dans l’être humain, ce n’est en effet rien de plus que l’intellect acquis. Même si cet intellect est engendré en nous, il ne s’ensuit pas pour autant qu’il est corruptible ; Gersonide rejette la thèse aristotélicienne selon laquelle « tout ce qui est engendré est corruptible » [23]. Comme l’ordre rationnel du monde dans l’Intellect agent est éternel et incorruptible, notre connaissance de cet ordre (une fois que nous l’avons acquise) doit également être éternelle et incorruptible, puisque la connaissance (étant identique à ce qui est connu) tire ses caractéristiques de l’objet connu. De plus, explique Gersonide, à la différence de l’intellect matériel, l’intellect acquis est à la fois immatériel et susceptible d’être séparé du corps, et il n’est par conséquent pas soumis aux forces qui détruisent le corps. « L’intellect acquis est immatériel, et une substance immatérielle ne possède pas les caractéristiques requises pour être sujette à la corruption. » [24] Donc, conclut-il, « l’intellect acquis est immortel ». Quand une personne meurt, son âme entendue comme l’intellect matériel cesse [son activité] en même temps que le corps. Et par conséquent, tout nouvelle acquisition de connaissance devient nécessairement impossible. Mais l’intellect acquis demeure. L’immortalité offerte à tout être humain consiste donc dans cette persistance, après la mort du corps, de la connaissance qu’il ou elle a acquise durant sa vie.

16Gersonide possède-t-il une doctrine de l’immortalité personnelle ? Après la mort d’une personne, le corps de connaissance qui constitue son intellect acquis peut-il être distingué de celui d’une autre personne ? Et, ce qui est encore plus important, puisqu’en théorie c’est le moi d’une personne qui est récompensé de l’immortalité, l’intellect acquis de cette personne peut-il, post mortem, être relié à sa vie et identifié à son moi ? Apparemment, Gersonide pense qu’il en est ainsi. L’intellect acquis de chaque personne, explique-t-il, est une unité [echad] numériquement une, et peut donc, sans aucune référence au corps, être distingué d’un autre intellect acquis, même si ces deux intellects possèdent une certaine connaissance en commun. « Une connaissance peut être commune à Ruben et Simon et pourtant être différente en [chacun] d’eux, dans la mesure où le genre d’unité diffère en eux ; ainsi, par exemple, l’unité dans l’intellect acquis de Reuben diffère de l’unité dans l’intellect acquis de Simon. » Ce qui donne à chaque intellect acquis son unité et son identité est à la fois l’ensemble de connaissance qu’il comprend et le contenu ou la nature de cette connaissance – et, en sus de ces éléments, la façon dont ils sont reliés ou synthétisés.

« Il faut attribuer ces différences [entre l’intellect acquis de Reuben et celui de Simon] aux différences quantitatives et qualitatives dans l’acquisition de cette connaissance. En effet, quand quelqu’un acquiert plus de connaissance dans le cadre d’une science particulière, l’unité de cette connaissance dans son intellect acquis diffère de l’unité de la connaissance de celui qui a acquis moins de connaissance dans cette science. De même, quand quelqu’un a acquis une connaissance dans une science différente de la science dans laquelle quelqu’un d’autre a acquis [cette connaissance], son intellect acquis diffère de celui du second. Et ainsi, il y a des différences considérables entre les niveaux de perfection intellectuelle. » [25]

17Des gens différents acquièrent des connaissances intellectuelles différentes, qui constituent des ensembles de connaissances différents. C’est cela qui permet probablement de distinguer un intellect acquis désincarné d’un autre intellect acquis. Et Gersonide semble estimer qu’un sens de soi ou de l’identité accompagnera cette unité. Il parle à ce sujet du bonheur et du plaisir que l’âme immortelle ressentira quand, ayant été séparée du corps, elle contemplera la connaissance qu’elle a acquise durant son existence temporelle et incarnée [26].

18La thèse proposée par Gersonide semble toutefois ne laisser à l’intellect acquis qu’une sorte d’unité plutôt pauvre et un type d’individualité seulement accidentel. Il ne s’agit pas d’une unité qui se ramène à une collection d’éléments de connaissance grâce à l’unité substantielle de celui qui connaît ou de la conscience (ou âme) à laquelle ces éléments appartiennent, un peu à la façon dont des grappes de raisins forment une unité grâce au pied de vigne auquel elles sont reliées. Dans l’intellect acquis, il n’y a rien au-delà de la connaissance elle-même ; et, à strictement parler, le contenu de cet intellect n’appartient à rien. Et on n’a pas davantage ici quelque chose de semblable à l’unité phénoménologique « interne » – l’unité que nous percevons et dont nous avons conscience – que la mémoire fournit à nos états de conscience. L’intellect acquis de Gersonide n’est pas une conscience, ni même une substance vraie ; c’est un corps de connaissance (éternelle). Dans les propres termes de Gersonide, deux esprits pourraient « approcher l’unité de la connaissance dans l’Intellect agent » précisément de la même manière et au même degré ; auquel cas chacun des « détenteurs de cette connaissance » aurait atteint le même « niveau de perfection » [27]. Les intellects acquis de ces deux personnes ne seraient-ils pas indiscernables l’un de l’autre, particulièrement après la mort de leurs corps ? Si la quantité et le contenu de leur acquisition intellectuelle sont les mêmes, comment l’intellect acquis de l’un pourra-t-il être distingué de celui de l’autre ? Et si les intellects acquis ne peuvent en définitive pas être distingués qualitativement parlant, comment pourront-ils être personnalisés, c’est-à-dire identifiés avec une vie humaine plutôt qu’avec une autre  [28] (et d’ailleurs, comment un corps de vérités éternelles peut-il par lui-même être relié, ou renvoyer à une vie particulière, temporelle) ? Plus encore, d’où le sens du moi dont j’ai parlé vient-il ? Et qu’est ce qui explique la conscience et la mémoire que Gersonide semble attribuer à l’intellect acquis immortel [29] ?

19Gersonide ne semble pas préoccupé par ces questions. De son point de vue, les avantages philosophiques et théologique de sa conception de l’immortalité de l’âme par rapport à la doctrine averroïste sont évidents. Et les conséquences pour notre bonheur et notre bien-être – en cette vie assurément et de façon encore plus importante dans l’autre monde – en sont immenses. Le vrai bonheur humain consiste dans l’accomplissement intellectuel représenté par le perfectionnement de l’esprit, grâce aux conquêtes de l’intellect acquis.

« La véritable récompense et la véritable punition [pour la vertu et le péché] ne consistent pas dans ces biens et maux [matériels] que nous rencontrons [en cette vie]. Car il faut que la récompense et la punition échues à un homme en tant qu’il est un homme soient un bien et un mal vraiment humains, et non pas un bien et un mal qui ne sont pas humains. Et le bien humain consiste dans l’acquisition du bonheur spirituel, car ce bien concerne l’homme en tant qu’homme, ce qui n’est pas le cas de la recherche de bonne nourriture ou d’autres objets sensuels. » [30]

20Durant cette vie, nous pouvons jouir jusqu’à un certain point de cette perfection. La connaissance qu’elle nous offre nous octroie un certain degré de protection contre les vicissitudes de ce monde [31]. Pour gouverner sa vie dans ce monde, il est utile et bon de posséder un savoir de la nature qui s’approche du savoir de celui qui a fait cette nature. Mais les exigences du corps et la force des événements du monde se dressent souvent sur le chemin qui mène à la jouissance de la vraie perfection. Ainsi, même les gens vertueux – eux qui ont dédié leur vie à la recherche de la connaissance vraie – sont assujettis aux éléments, aux troubles et aux imperfections du monde. C’est seulement à leur mort qu’il sont capables de jouir de leur plus haut bonheur au plus haut degré.

« Il est important de réaliser que tout homme ayant atteint cette perfection jouit après sa mort du bonheur résultant de sa connaissance. Nous pouvons avoir une certaine idée de ce que sera ce plaisir à partir du plaisir que nous tirons de ce peu de connaissance que nous possédons pour le moment, et qui permet de réfréner la partie animale de notre âme, de sorte que l’intellect peut exercer isolément son activité. Ce plaisir ne peut pas être comparé aux autres plaisirs, et il n’entretient avec eux absolument aucune relation. Et ainsi notre plaisir après la mort sera d’autant plus grand que toute la connaissance que nous avons acquise durant cette vie sera contemplée de manière continue et que tout ce qui se trouve dans notre esprit sera appréhendé de manière simultanée – puisqu’après la mort l’obstacle qui empêche ce genre de connaissance, c’est-à-dire la matière, aura disparu [...]. Après la mort, [l’intellect] appréhendera toute la connaissance qu’il a acquise durant cette vie de manière simultanée. » [32]

21Selon Gersonide, c’est dans l’autre monde que se trouve la véritable récompense de la vertu, d’une vie consacrée à la connaissance et à l’accomplissement intellectuel.

« L’opinion de nos rabbins d’heureuse mémoire est que les véritables récompenses et punitions adviennent dans l’autre monde, et que dans ce monde, rien ne détermine la récompense et la punition de telle manière que le juste reçoive des biens matériels, et le pécheur des maux. » [33]

IV

22Quiconque est familier avec la cinquième partie de l’Éthique verra clairement la pertinence de la comparaison que je propose. Les échos des thèses de Gersonide dans la doctrine spinoziste des idées adéquates et de l’éternité de l’esprit sont remarquables [34]. En fait, Spinoza reprend juste une théorie intellectualiste de l’immortalité qu’il trouve dans la tradition rationaliste juive et, partant des doctrines de Maimonide et Gersonide, il pousse cette théorie jusqu’à sa conclusion logique et naturelle. Si ce qui demeure d’une personne n’est rien d’autre qu’un corps de vérités éternelles, ne possédant qui plus est qu’un degré d’unité et d’individualité très ténu, alors la doctrine de l’immortalité personnelle n’est rien d’autre qu’une fiction, et même une fiction plutôt pernicieuse si l’on considère ses effets sur nos passions, spécialement sur nos espoirs et nos craintes.

23Pour Spinoza, l’esprit humain participe à l’éternité de deux façons différentes. En premier lieu, il y a l’éternité qui lui appartient parce qu’il est l’idée (ou l’expression dans l’attribut Pensée) de l’essence matérielle (dans l’attribut Étendue) du corps humain (V, prop. 22, prop. 23). Tout comme l’essence matérielle du corps humain dans l’Étendue est, sub specie aeternitatis et indépendamment de toute considération sur la durée et l’existence actuelle, [une essence] éternelle – et cela est vrai de tous les corps quels qu’ils soient – de même, le noyau de l’idée qui lui correspond dans l’attribut Pensée (c’est-à-dire dans l’esprit) est lui aussi éternel (et cela est également vrai pour toutes les idées des essences étendues des corps quels qu’ils soient).

24Mais c’est la seconde sorte d’éternité à laquelle l’esprit humain peut participer qui est importante pour mon propos. Cette éternité de l’esprit comprend cette sorte d’existence atemporelle qui caractérise les idées des essences. Mais il s’agit d’une éternité qui est offerte seulement aux esprits humains, puisqu’elle n’est acquise que par les agents rationnels.

25Spinoza définit « l’éternité » simplement par le fait de se tenir hors de toute durée ou de tout temps. « L’Éternité ne peut se définir par le temps ni avoir aucune relation au temps » (V, 23, scol.). Une chose n’est pas vraiment éternelle si sa durée est sans commencement ni fin ; ce n’est là que la sempiternité, ou la perpétuité dans le temps. La véritable éternité, que Spinoza distingue explicitement de la sempiternité, se tient en dehors de toutes les catégories temporelles quelles qu’elles soient [35]. Il est complètement impossible d’appliquer à ce qui est éternel « avant », « après », « maintenant », « plus tard » et toutes les indications temporelles de ce genre. Dieu, ou la substance, est éternel ; les attributs « Pensée » et « Étendue » le sont aussi. Et les choses finies particulières sont également éternelles sous un certain aspect – lorsqu’on les considère non pas dans les limites de leurs relations temporelles et spatiales aux autres choses finies, c’est-à-dire quand ce qui est en question est leur existence actuelle, dans la durée ; mais plutôt quand on les considère, depuis une perspective plus abstraite, comme des essences atemporelles – ce que Spinoza appelle [les considérer] sub specie aeternitatis. Cette façon de regarder les choses va jouer un double rôle dans la théorie spinoziste de l’éternité de l’esprit.

26Selon Spinoza, les êtres humains, quand ils agissent rationnellement, tendent naturellement vers la connaissance. En effet, puisque nous sommes les seuls parmi toutes les créatures à être dotés de la raison et de la capacité de compréhension – c’est-à-dire d’esprits intelligents – nous reconnaissons que notre bien propre, notre perfection ultime et notre bien-être, consiste dans la recherche de ce qui est bénéfique pour cette partie la plus élevée de notre être. Mais qu’est ce qui peut bien être bénéfique pour nos facultés intellectuelles les plus élevées, sinon la connaissance ? Par conséquent, si, comme le dit Spinoza, la vertu est la recherche de notre propre intérêt, et si l’acquisition de la connaissance est ce qui est dans notre propre intérêt, alors la vertu humaine consiste dans la recherche de la connaissance [36].

27Mais Spinoza ne parle pas ici de la simple recherche de n’importe quel genre de connaissance ordinaire. Ce qui est le plus bénéfique pour un être rationnel, c’est plutôt un type particulier de compréhension profonde qu’il appelle « le troisième genre de connaissance ». C’est une compréhension intuitive des choses dans leurs relations aux causes les plus élevées, aux aspects infinis et éternels de la nature. C’est, pour le dire vite, une saisie de vérités éternelles.

28Tout comme l’attribut de Dieu, « Pensée », l’esprit humain contient des idées. Certaines de ces idées – les images sensibles, les sentiments (comme le plaisir et la peine), les données de la perception – sont des phénomènes qualitativement imprécis. Ils ne sont rien d’autre que l’expression dans la pensée des états du corps en tant qu’il est affecté par les corps qui l’entourent. De telles idées n’offrent pas une connaissance du monde adéquate et vraie, mais seulement une image relative, partielle et subjective de la façon dont les choses paraissent à un individu percevant à un instant donné, en fonction des limitations de perspective dues à la place qu’il occupe dans le monde. Il n’y a dans ces perceptions ni ordre systématique, ni surveillance critique de la raison. « L’esprit humain, toutes les fois qu’il perçoit les choses suivant l’ordre commun de la nature, n’a ni de lui-même, ni de son propre corps, ni des corps extérieurs une connaissance adéquate, mais seulement une connaissance confuse et mutilée » (II, 29, cor.). Dans une telle situation, nos idées sont simplement déterminées par nos rencontres fortuites et hasardeuses avec les objets du monde extérieur. Ce rapport superficiel ne nous donnera jamais la connaissance des essences de ces objets. En fait, c’est inévitablement une source de fausseté et d’erreur. Cette « connaissance par expérience vague » est, selon Spinoza, le « premier genre de connaissance » et résulte de l’accumulation de ce qu’il appelle des « idées inadéquates ».

29À l’opposé, les « idées adéquates » sont formées de manière rationnelle et ordonnée. Elles sont nécessairement vraies et révèlent les natures essentielles des choses. La « raison » est l’appréhension de l’essence d’une chose au moyen d’une procédure discursive, inférentielle. Avoir une idée vraie ne signifie rien d’autre que connaître une chose parfaitement, ou de la meilleure façon possible. Cela implique la saisie non seulement des connexions causales entre la chose et les autres objets, mais aussi, et de façon plus déterminante, entre la chose et les attributs de Dieu et les modes infinis (les lois de la nature) qui en suivent immédiatement. Ainsi, dans l’idée adéquate d’un corps particulier, le corps est inséré non seulement dans ses relations mécaniques avec les autres corps, mais aussi dans le cadre des lois qui régissent le mouvement, le repos et la nature de la matière (l’étendue) elle-même. L’idée adéquate d’une chose situe donc clairement et distinctement son objet dans toutes ses connexions causales et montre non seulement ce qu’elle est, mais aussi comment et pourquoi elle l’est nécessairement. Celui qui possède une connaissance vraie d’une chose voit les raisons pour lesquelles elle a été déterminée à être ce qu’elle est et ne pouvait pas être autrement. « Il est de la nature de la raison de considérer les choses non comme contingentes, mais comme nécessaires » (II, prop. 44). La croyance dans le caractère accidentel ou spontané – c’est-à-dire causalement indéterminé – d’une chose ne peut être fondée que sur une saisie inadéquate de l’explication causale de cette chose, et sur un rapport partiel et « mutilé » avec elle. Percevoir par des idées adéquates, c’est percevoir la nécessité inhérente à la nature. L’expérience sensible seule ne pourra jamais nous fournir les informations qu’apporte une idée adéquate (ici, Spinoza suggère que la différence entre une idée adéquate et une idée inadéquate d’une chose se ramène à la différence entre la connaissance simple d’une conclusion et la saisie de la façon dont cette conclusion découle de prémisses spécifiques (cf. II, prop. 28). Les sens présentent les choses seulement comme elles viennent à apparaître dans une perspective particulière et à un moment donné du temps. À l’opposé, en montrant comment une chose suit nécessairement d’un des attributs de Dieu, une idée adéquate présente en définitive cette chose sous ses aspects éternels – sub specie aeternitatis – et mène à concevoir cette chose hors de toute relation au temps ou de toute perspective finie et partielle. « Il est de la nature de la raison de considérer les choses non comme contingentes, mais comme nécessaires. Et la raison perçoit cette nécessité vraiment, c’est-à-dire telle qu’elle est en elle-même. Mais cette nécessité des choses est la nécessité même de la nature de Dieu. Il est donc de la nature de la raison de considérer les choses ainsi, sous l’aspect de l’éternité » (II, 44, dém.). Le troisième genre de connaissance, l’intuition, prend ce qui est connu par la raison et le saisit dans un acte de l’esprit simple et compréhensif [37]. Là où le second genre de connaissance passait de façon discursive par différentes étapes – depuis le point de départ (les causes) via des moments successifs jusqu’à la conclusion (l’effet) – il y a dans le troisième genre de connaissance une perception immédiate de la nécessité d’une chose et de la façon dont elle dépend de ses causes ultimes, premières.

« Ce genre de connaissance va de l’idée adéquate de l’essence formelle de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l’essence des choses » (II, 49, scol. 2).
« Le troisième genre de connaissance va de l’idée adéquate de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l’essence des choses » (V, 25, dém.) [38].

30L’intuition synthétise ce que la raison connaît seulement de manière discursive. Elle engendre par ce moyen une connaissance causale approfondie de la chose, une connaissance interne de son essence. Une telle connaissance interne de l’essence situe la chose de manière immédiate et intemporelle dans une relation avec les principes éternels de la Nature qui l’engendre et la gouverne. Cette conception d’une connaissance ultime a rapidement été présente dans l’œuvre de Spinoza, dès le Traité de la réforme de l’entendement à la fin des années 1650.

« Les essences des choses singulières soumises au changement ne doivent pas être tirées de leur succession, c’est-à-dire de leur ordre d’existence, qui ne nous offre rien d’autre que des dénominations extrinsèques, des relations ou au plus des circonstances, toutes choses bien éloignées de l’essence intime des choses. Cette essence, au contraire, doit être acquise à partir des choses fixes et éternelles, et aussi des lois qui y sont véritablement codifiées et suivant lesquelles arrivent et s’ordonnent toutes les choses singulières ; en effet, ces choses singulières soumises au changement dépendent si intimement et si essentiellement (pour ainsi dire) des choses fixes qu’elles ne pourraient sans ces dernières ni être ni être conçues [39].

31Nous nous efforçons donc d’acquérir le troisième genre de connaissance : une compréhension intuitive de la nature des choses, non pas seulement dans leurs relations causales finies, particulières et fluctuantes aux autres choses finies, non pas dans leur existence sujette au changement et à la durée, mais par leurs essences immuables. Et comprendre ainsi les choses vraiment et de manière essentielle, c’est les relier à leurs causes infinies : la substance (Dieu) et ses attributs. L’objet de notre quête, c’est une connaissance des corps non pas par les autres corps mais par l’Étendue et ses lois, et une connaissance des idées par la nature de la Pensée et de ses lois. C’est la poursuite de ce genre de connaissance qui constitue la vertu humaine et le but qui représente notre plus grande perfection en tant qu’êtres rationnels.

« Le suprême effort de l’âme et sa suprême vertu est de connaître les choses par le troisième genre de connaissance.
« Démonstration. Le troisième genre de connaissance va de l’idée adéquate de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l’essence des choses ; et plus nous connaissons les choses de cette manière, plus nous connaissons Dieu. Par suite, la suprême vertu de l’esprit, c’est-à-dire la puissance ou la nature de l’esprit, ou encore son suprême effort, est de connaître les choses par le troisième genre de connaissance « (V, prop. 25).
« Les choses sont conçues par nous comme actuelles de deux manières : ou bien en tant que nous en concevons l’existence avec une relation à un temps ou à un lieu déterminés ; ou bien en tant que nous les concevons comme contenues en Dieu et comme suivant de la nécessité de la nature divine. Celles qui sont conçues comme vraies, ou réelles, de cette seconde manière, nous les concevons sous l’aspect de l’éternité [sub specie aeternitatis], et leurs idées enveloppent l’essence éternelle et infinie de Dieu « (V, prop. 29).

32Sub specie aeternitatis : quand nous comprenons les choses de cette façon, nous les voyons depuis la perspective éternelle et infinie de Dieu, sans aucune relation ou indication spatiales ou temporelles. Quand nous percevons les choses dans le temps, elles apparaissent dans un changement et un devenir continuels ; quand nous les percevons « sous une forme d’éternité », ce que nous appréhendons demeure de manière permanente. Comme il est intemporel et qu’il est fondamentalement la connaissance de Dieu, ce genre de connaissance est éternel. Et il est, par-dessus tout, sans lien avec l’existence actuelle de toute chose finie, particulière, et surtout sans lien avec l’existence dans le temps du corps humain.

33Reste que Spinoza, comme Gersonide, suggère que l’acquisition d’idées vraies et adéquates est bénéfique pour une personne durant le temps de sa vie, en tant qu’elle est la source d’une joie constante et d’une paix de l’esprit qui est à l’abri des coups et des traits d’une fortune funeste. Quand un être humain voit la nécessité de toutes choses, et voit en particulier que personne ne contrôle la venue ou la disparition des objets auxquels il donne de la valeur, cet individu est très peu sujet à être submergé par les émotions qui adviennent et s’en vont. La vie qui en découle sera tranquille, et ne sera pas soumise aux troubles soudains des passions. Mais il y a une raison de plus pour nous efforcer d’acquérir et de maintenir notre fonds d’idées adéquates : elles représentent pour nous ce qu’il y a de plus proche de qu’on appelle habituellement « l’immortalité ».

34Les idées adéquates n’étant en effet rien d’autre qu’une connaissance éternelle des choses, un corps de vérités éternelles que nous pouvons posséder ou utiliser durant cette vie, il s’ensuit que plus nous acquérons d’idées adéquates en tant qu’éléments de notre constitution mentale durant cette vie, plus nous « participons » à l’éternité [dès] maintenant, et plus importante est la partie de nous-mêmes qui demeure après la mort de notre corps et la fin des aspects de notre être inscrits dans la durée. Puisque les idées adéquates que nous venons à posséder sont éternelles, elles ne sont pas affectées par la mort du corps et la fin de notre existence (ou de tout autre existence) temporelle et inscrite dans la durée. Pour le dire autrement, plus nous possédons de connaissances adéquates, plus le degré d’éternité de notre esprit est élevé.

« Plus l’esprit connaît de choses par le deuxième et le troisième genre de connaissance, moins il pâtit des affections qui sont mauvaises et moins il craint la mort.
« Démonstration : L’essence de l’esprit consiste dans la connaissance ; donc, plus l’esprit connaît de choses par le deuxième et le troisième genre de connaissance, plus grande est la partie de cet esprit qui demeure, et en conséquence plus grande est sa partie qui n’est pas atteinte par les affections qui sont contraires à notre nature, c’est-à-dire mauvaises » (V, prop. 38).

35Mais il est quelque peu trompeur de dire, comme je l’ai fait plus haut, que cette connaissance éternelle est une partie de moi demeurant après la mort. Ce qui demeure est plutôt quelque chose qui, pendant que je vivais et me servais de ma raison, m’appartenait et constituait une partie – la partie éternelle – des contenus de mon esprit. L’effort pour augmenter mon fonds d’idées adéquates est, de ce point de vue, un effort pour augmenter ma part d’éternité. Ainsi, explique Spinoza, plus grand sera l’accomplissement de l’esprit en terme d’acquisition des idées adéquates, moins la mort sera nuisible pour nous. En effet, insiste-t-il, « l’esprit humain peut être d’une nature telle que la partie de lui-même dont nous avons montré qu’elle périssait avec le corps est insignifiante par rapport à ce qui demeure de cet esprit » (V, 38, scol.).

36Quoi qu’il en soit, si ce qu’on espère pour ce qui viendra après la présente existence temporelle est une immortalité personnelle dans l’autre monde (pour utiliser une expression juive qui devait être familière pour Spinoza) – une vie après la mort consciente, complète (bien que sans corps selon la plupart des théories) dans le Gan Eden ou olam ha-ba comme la décrivent les rabbins du Talmud et le midrash – si c’est cela qu’on espère, donc, alors l’éternité de l’esprit telle que la présente Spinoza paraîtra une récompense fort mince et décevante pour une vie de bien. Il est difficile de voir dans la théorie spinoziste de l’éternité de l’esprit une doctrine de l’immortalité personnelle de l’âme. Et de fait, comme je l’ai expliqué plus longuement ailleurs [40], je crois que Spinoza a voulu nier, à sa manière, qu’il y ait quelque chose de tel. Qu’il suffise de dire que les idées adéquates que nous acquérons durant cette vie, et qui demeurent après notre mort, ne sont plus, après cette mort, identifiables en tant que miennes. Elles ne sont pas liées, à ma connaissance, que ce soit par la mémoire ou par la conscience elle-même. En fait, elle ne sont en aucune manière liées à la vie que j’ai vécue dans la durée. Ce qui demeure est simplement un corps de connaissance éternel, abstrait, qui, après mon décès, n’entretient avec « moi » aucune relation personnelle de quelque sorte que soit. Cela ne peut pas être identifié comme mon esprit ou mon moi.

37En d’autres termes, cet ensemble de connaissances post mortem est très semblable à l’intellect acquis de Gersonide. C’est un corps impersonnel de vérités éternelles. J’irais jusqu’à dire que c’est l’intellect acquis de Gersonide, présenté sous les atours de la métaphysique et de l’épistémologie spinozistes. Dans Gersonide, Spinoza a trouvé une théorie de l’esprit et de ses contenus qui, de son point de vue, lui a permis de nier l’immortalité personnelle de l’âme, tout en rendant justice à l’accomplissement intellectuel rationnel de l’esprit.

38Ainsi, en prenant au sérieux à la fois la doctrine de l’éternité de l’esprit de la cinquième partie de l’Éthique et sa relation avec la théorie de l’immortalité développée par Gersonide, nous pouvons replacer Spinoza dans son contexte grâce à la tradition du rationalisme juif médiéval et saisir la signification d’une de ses plus importantes doctrines. C’est en effet seulement cette tradition qui peut clarifier complètement l’épistémologie des vérités éternelles chez Spinoza et le rôle qu’elle joue dans sa doctrine de l’éternité de l’esprit. Ignorer le dialogue que mène ici Spinoza avec Gersonide (et Maïmonide) ne peut que conduire à cette sorte de frustration que nous avons observée dans la plupart des tentatives pour saisir le sens de ces propositions de la Cinquième partie.

Notes

  • [1]
    Conférence prononcée dans le cadre d’une Journée d’études sur Vérités et possibles de Descartes à Leibniz, organisée par E. Faye et K.-S. Ong-Van-Cung, le 8 février 2002, au CNRS-CHPM. Le texte est traduit de l’américain par Denis Moreau, que je remercie.
  • [2]
    Voir par exemple, Thomas M. Lennon, « The cartesian dialectic of creation », in Daniel Garber and Michael Ayers (éds.), The Cambridge History of Seventeenth-Century Philosophy (Cambridge, Cambridge University Press, 1998), p. 331-362, spécialement p. 335-352 ; et Margaret J. Osler, « Divine will and mathematical truth : Gassendi and Descartes on the status of the eternal truths », in Roger Ariew and Marjorie Grene (éds.), Descartes and His Contemporaries (Chicago, University of Chicago Press, 1995), 145-158.
  • [3]
    Deux cartésiens, la polémique entre Malebranche et Arnauld, Paris, J. Vrin, 2000.
  • [4]
    Jonathan Bennett, A Study of Spinoza’s Ethics (Indianapolis, Hackett, 1984), 357. Il poursuit dans cette voie en affirmant : « Je ne crois pas qu’on puisse sauver les doctrines finales [de la cinquième partie]. La seule tentative de sauvetage complet que j’ai rencontrée m’est demeurée inintelligible, et n’avait que peu de rapport avec ce que Spinoza a vraiment écrit [...]. Après trois siècles d’échec pour en tirer profit, le temps est venu d’admettre que cette partie de l’Éthique n’a rien à nous apprendre, et est très certainement vaine [...] tout cela est sans valeur. » Ou bien Bennett exagère de façon délibérée, ou bien il n’a pas compris l’importance de l’œuvre.
  • [5]
    Voyez par exemple Stuart Hampshire, Spinoza (Harmondsworth, Penguin, 1951) ; Edwin Curley, Behind the Geometrical Method (Princeton, Princeton University Press, 1988) ; Pierre-François Moreau, Spinoza : L’expérience et l’éternité (Paris, PUF, 1994), Troisième Partie ; and James Morrison, « Spinoza on the self, personal identity and immortality », in Graeme Hunter (ed.), Spinoza : The Enduring Questions (Toronto, University of Toronto Press, 1994), qui admettent tous que Spinoza rejette l’immortalité personnelle ; et parmi ceux qui prétendent qu’il la préserve : Alan Donagan, Spinoza (Chicago, University of Chicago Press, 1988) ; Harry Wolfson, The Philosophy of Spinoza, 2 vol. (Cambridge, Harvard University Press, 1936) ; et Tamar Rudavsky, Time Matters : Time, Creation and Cosmology in Medieval Jewish Philosophy (Albany, SUNY Press, 2000), 181, 186.
  • [6]
    Comme je le montre dans Spinoza’s Heresy : Immortality and the Jewish Mind (Oxford, Oxford University Press, 2002), spécialement au chap. 4.
  • [7]
    Toutes les références renvoient à Levi ben Gerson, Les Guerres du Seigneur (abrégé désormais : Guerres) ; les pages sont celles de la traduction anglaise de Seymour Feldman, 3 vol., [Philadelphia, Jewish Publication Society, 1984-1999]. Pour le texte hébreu, je me sers de l’édition de Leipzig, Sefer Milchamot ha Shem (1866), et de l’appareil critique de Feldman qui signale à la fin de sa traduction les erreurs de cette édition.
  • [8]
    Guerres I . 6, vol. 1, p. 151.
  • [9]
    Ibid., V . 13. L’analogie avec le projet vient de l’introduction de Feldman, Guerres, vol. 1, p. 82.
  • [10]
    Puisque l’Intellect agent émane d’intellect séparés plus élevés, il inclut également la connaissance qu’ils ont de leurs domaines respectifs. Voir Guerres V . 13.
  • [11]
    Touati compare cela à la doctrine de la « vision en Dieu » chez Malebranche ; voir La Pensée philosophique et théologique de Gersonide (Paris, Éd. de Minuit, 1973), p. 25.
  • [12]
    Guerres I . 10, vol. 1, p. 204.
  • [13]
    Voir Touati, La Pensée philosophique et théologique de Gersonide, p. 413-423.
  • [14]
    Guerres I . 6, vol. 1, p. 150. Herbert Davidson rejette le modèle de l’abstraction pour décrire comment l’intellect matériel est supposé engendrer la connaissance des formes, avec l’aide de l’Intellect agent. Il rejette également le modèle de l’émanation et celui de l’illumination entendu de façon littérale. Sa conclusion, avec laquelle je suis d’accord, est que Gersonide « nous laisse tout simplement dans l’obscurité à ce sujet » ; voir « Gersonides on the material and active intellects », in Gad Freudenthal (éd.), Studies on Gersonides (Leiden, Brill, 1992), p. 247.
  • [15]
    Guerres I . 10, vol. 1, p. 205. Gersonide insiste bien sur le fait que l’Intellect agent n’opère pas sur l’objet senti ou sur son image sensible : ce n’est pas l’image elle-même qui devient intelligible. C’est plutôt l’Intellect agent qui opère sur l’intellect matériel et le « meut » au moyen de l’image des sens : voir Guerres I . 10, vol. 1, p. 206-207.
  • [16]
    Seymour Feldman, « Gersonides on the possibility of conjunction with the agent intellect », Association for Jewish Studies Review, 3 (1978), 117-118.
  • [17]
    La citation est de Touati ; voir La pensée philosophique et théologique de Gersonide, V . 1.
  • [18]
    Guerres I . 10, vol. 1, p. 206. Dans tous les cas, Gersonide insiste bien sur le fait que cela n’implique pas que l’Intellect agent lui-même soit connu par l’intellect matériel. En fait, nous ne pouvons jamais atteindre complètement le type de science contenu dans l’Intellect agent ; voir Guerres I . 6-7.
  • [19]
    C’est aussi un aspect de la providence divine, c’est-à-dire la « providence spéciale » par laquelle ceux qui ont atteint la perfection intellectuelle sont capables de se diriger avec succès parmi les vicissitudes de la nature ; voir Guerres IV.
  • [20]
    Guerres I . 11, vol. 1, p. 212.
  • [21]
    Ibid., I . 13, vol. 1, p. 223.
  • [22]
    Feldman, dans l’introduction au livre I des Guerres, vol. 1, p. 72.
  • [23]
    Ibid., p. 212.
  • [24]
    Ibid., p. 213.
  • [25]
    Ibid. 1, p. 224.
  • [26]
    Ibid. 1, p. 224-225.
  • [27]
    Ibid. 1, p. 224.
  • [28]
    La théorie de Gersonide sur l’individuation peut amener un autre problème, pour distinguer et personnaliser l’intellect acquis après la mort. Il affirme que « c’est par la matière que la distinction numérique est produite dans les essences ; mais quand les essences sont prises comme abstraites de la matière, on ne peut pas du tout les concevoir comme objets individuels » (Guerres I . 6, vol. 1, p. 156). Pourquoi le même principe ne serait-il pas appliqué au corps de connaissance abstrait qui constitue l’intellect acquis ? La matière est-elle également nécessaire pour son individuation ?
  • [29]
    Touati ne semble pas rencontrer de difficulté avec ce que dit Gersonide sur ce point. Il remarque simplement que « chaque intellect humain conserve son individualité et son immortalité ; chaque personne est une monade avec sa propre aperception personnelle » (La pensée philosophique et théologique de Gersonide, 441). Mais ce qui manque ici, c’est précisément une explication claire d’une telle aperception !
  • [30]
    Guerres IV . 6, vol. 2, p. 182-183.
  • [31]
    Voir ce que Gersonide dit de la Providence, Guerres, Livre IV.
  • [32]
    Guerres I . 13, vol. 1, p. 224-225.
  • [33]
    Guerres IV . 6, vol. 2, p. 197.
  • [34]
    Ils ont été relevés de façon assez rapide par Wolfson ; voir The Philosophy of Spinoza, vol. 2, chap. 20, section 3.
  • [35]
    I, def. 8.
  • [36]
    Voir IV, prop. 20-26.
  • [37]
    Je suis donc d’accord avec Yovel quand il explique qu’avec le troisième genre de connaissance, « rien de neuf ne s’ajoute à l’information scientifique qu’on possède déjà ». L’un et l’autre exprime « fondamentalement la même information » ; voir Spinoza and Other Heretics, vol. 1 : The Marrano of Reason (Princeton, Princeton University Press, 1989), 156, 165-166.
  • [38]
    V prop. 25. Tous les commentateurs ne sont pas d’accord avec ma lecture des rapports et des différences entre le deuxième et le troisième genre de connaissance. Je crois que le contenu est le même dans les deux cas, et que la différence consiste seulement dans la manière dont ce contenu est saisi – avec, peut-être aussi, une différence épistémique concernant la certitude.
  • [39]
    Spinoza Opera, éd. de Carl Gebhardt, 5 vol. (Heidelberg, Carl Winters Universitätsverlag, 1972), vol. 2, p. 37.
  • [40]
    Spinoza’s Heresy, chap. 5.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.81

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions