Notes
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[1]
Nous indiquons entre parenthèses la pagination des Œuvres de Bergson dans l’ « Édition du centenaire », Paris, PUF, 1959.
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[2]
Pensées métaphysiques, II, 6 : « Nous entendons donc par “vie” la force par laquelle les choses persévèrent dans leur être et, comme cette force est distincte des choses elles-mêmes, nous dirons à juste titre que les choses elles-mêmes ont la vie. Mais la force par laquelle Dieu persévère dans son être n’est rien d’autre que son essence ; ceux-là parlent donc très bien, qui appellent Dieu “la vie”. »
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[3]
« Ganz anders verhält es sich mit der Wissenschaftslehre. Dasjenige, was sie zum Gegenstande ihres Denkens macht, ist nicht ein todter Begriff, der sich gegen ihre Untersuchung nur leidend verhalte, und aus welchem sie erst durch ihr Denken etwas mache, sondern es ist ein Lebendiges und Thätiges, das aus sich selbst und durch sich selbst Erkenntnisse erzeugt, und welchem der Philosoph bloss zusieht. Sein Geschäft in der Sache ist nichts weiter, als dass er jenes Lebendige in zweckmässige Thätigkeit versetze, dies Thätigkeit desselben zusehe, sie auffasse, und als Eins begreife » (Fichtes Werke, herausgegeben von Immanuel Hermann Fichte, Berlin, Walter de Gruyter & Co., 1971, Bd. I, 454). Voir J.-C. Goddard, La philoophie fichtéenne de la vie, Paris, Vrin, 1999.
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[4]
F. W. J. Schelling, Sämtliche Werke, hrsg. von Karl Friedrich August Schelling, Stuttgart/Augsburg, J. G. Cotta, 1856-1861. Voir Bd IV, 258-259 : le dialogue Bruno montre comment chaque chose peut prendre une vie particulière (ein eigenes Leben nehmen) dans l’unité originairement indifférenciée de l’Absolu et parle des « Idées » comme de l’instance où le fini s’anime (belebt). Voir aussi Bd VI, 187 : les Leçons de Würzburg (1804) distinguent la vie du particulier « dans l’Absolu » (Leben im Absoluten) et sa vie « en lui-même » (Leben in sich selbst) mais précisent que « séparée de la vie en Dieu (getrennt von dem Leben in Gott) », cette vie n’est qu’une apparence de vie ou une vie illusoire (ein bloes Scheinleben ist).
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[5]
« Et comme ce que la volonté veut, c’est toujours la vie, c’est-à-dire la pure manifestation de cette volonté, dans les conditions convenables pour être représentée, ainsi c’est faire un pléonasme que de dire “la volonté de vivre” et non pas simplement “la volonté”, car c’est tout un (und da was der Wille will immer das Leben ist, eben weil dasselbe nichts weiter, als die Darstellung jenes Wollens für die Vorstellung ist ; so ist es einerlei und nur ein Pleonasmus, wenn wir statt schlechthin zu sagen, “der Wille”, sagen “der Wille zum Leben”) » (Le monde comme volonté et comme représentation, trad. Burdeau revue et corrigée par Richard Roos, Paris, PUF, 11e éd., février 1984, p. 350).
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[6]
Cours III. Cours d’histoire de la philosophie moderne. Théories de l’âme, éd. Hude, Paris, PUF, coll. « Épiméthée », 1995, p. 51.
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[7]
Le concept bergsonien de panthéisme est très large. Les premières pages de la seconde partie de l’Introduction de La pensée et le mouvant en donnent une approche précieuse dans la mesure où elle définit le panthéisme à partir du même processus langagier et des mêmes exemples que ceux de la page 1290 dont nous sommes partis. Lisons le cœur de ce texte : « Nombreux sont les philosophes qui ont senti l’impuissance de la pensée conceptuelle à atteindre le fond de l’esprit. Nombreux, par conséquent, ceux qui ont parlé d’une faculté supra-intellectuelle d’intuition. Mais, comme ils ont cru que l’intelligence opérait dans le temps, ils en ont conclu que dépasser l’intelligence consistait à sortir du temps. Ils n’ont pas vu que le temps intellectualisé est espace, que l’intelligence travaille sur le fantôme de la durée, mais non pas sur la durée même, que l’élimination du temps est l’acte habituel, normal, banal, de notre entendement, que la relativité de notre connaissance de l’esprit vient précisément de là, et que dès lors, pour passer de l’intellection à la vision (nous en sommes déjà sortis) ; il faut, au contraire, se replacer dans la durée et ressaisir la réalité dans la mobilité qui en est l’essence. Une intuition qui prétend se transporter d’un bond dans l’éternel s’en tient à l’intellectuel. Aux concepts que fournit l’intelligence elle substitue simplement un concept unique qui les résume tous et qui est par conséquent toujours le même, de quelque nom qu’on l’appelle : la Substance, le Moi, l’Idée, la Volonté. La philosophie ainsi entendue, nécessairement panthéistique, n’aura pas de peine à expliquer déductivement toutes choses, puisqu’elle se sera donné par avance, dans un principe qui est le concept des concepts, tout le réel et tout le possible. Mais cette explication sera vague et hypothétique, cette unité sera artificielle, et cette philosophie s’appliquerait aussi bien à un monde tout différent du nôtre. Combien plus instructive serait une métaphysique vraiment intuitive, qui suivrait les ondulations du réel » (1271-1272).
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[8]
D’où la mise en garde du Cours d’histoire de philosophie grecque à Henri IV : « On comprend que certains aient rapproché Héraclite de Hegel. Mais la différence est profonde entre eux. Héraclite s’est borné à la constatation d’un fait » (cité par H. Hude, in Bergson, I, Éditions universitaires, 1989, p. 177).
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[9]
J.-L. Vieillard-Baron, Bergson, Paris, PUF, 1991, p. 114.
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[10]
La lecture attentive de Hegel rend insoutenables et la thèse d’un panthéisme hégélien et la compréhension de La science de la logique comme déduction conceptuelle à partir de deux déterminations initiales (l’être et le non-être). On lira avec fruit la première remarque de la division C (Werden) de la Doctrine de l’être (dans l’édition de 1832 de la Science de la logique) où Hegel fait de « l’identité abstraite » l’essence du panthéisme.
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[11]
« Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent des genres » (460).
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[12]
« Bref, le mot aux contours bien arrêtés, le mot brutal, qui emmagasine ce qu’il y a de stable, de commun et par conséquent d’impersonnel dans les impressions de l’humanité, écrase ou tout au moins recouvre les impressions délicates et fugitives de notre conscience individuelle » (87).
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[13]
« Ainsi, qu’il soit peinture, sculpture, poésie ou musique, l’art n’a d’autre objet que d’écarter les symboles pratiquement utiles [souligné par nous], les généralités conventionnellement et socialement acceptées, enfin tout ce qui nous masque la réalité, pour nous mettre face à face avec la réalité même » (462).
Ponge, « Des raisons d’écrire », in Proêmes, Paris, Gallimard, 1948 : « N’en déplaise aux paroles elles-mêmes, étant donné les habitudes que dans tant de bouches infectes elles ont contractées, il faut un certain courage pour se décider non seulement à écrire mais même à parler. [...] Une seule issue : parler contre les paroles » (« Poésie », Gallimard, 1975, p. 163). -
[14]
Rappelons que le processus phénoménologique admet au moins trois niveaux : 1 / celui de la « conscience naturelle » (celle qui coïncide avec les figures du parcours phénoménologique ; ici, la Certitude sensible) ; 2 / celui de la « conscience réfléchissante » qui se différencie ou se distancie des figures pour les ériger en positions philosophiques ; ici, une philosophie de l’union ineffable aux choses particulières ; 3 / celui du philosophe (le für uns qui revient souvent sous la plume de Hegel) qui sait voir en chaque figure un moment de la totalité du processus phénoménologique et sait dénoncer la conscience philosophante du deuxième niveau qui prend un moment pour le tout.
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[15]
Der konkrete Inhalt der sinnlichen Gewiheit lät sie unmittelbar als die reichste Erkenntnis, ja als eine Erkenntnis von unendlichem Reichtum ercheinen (Phänomenologie des Geistes, Neu herausgegeben von Wessels und Clairmont, Hamburg, Felix Meiner Verlag, 1988 ; abréviation PHG, 69).
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[16]
Sie [diese Erkenntnis] erscheint auerdem als die wahrhafteste ; denn sie hat von dem Gegenstande noch nichts weggelassen, sondern ihn in seiner ganzen Vollständigkeit vor sich [hat] (PHG, 69).
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[17]
Diese Gewiheit aber gibt in der Tat sich selbst für die abstrakteste und ärmste Wahrheit aus (PHG, 69).
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[18]
« Es ist aber lächerlich, das Gebundensein des Gedankens an das Wort für einen Mangel des ersteren und für ein Unglück anzusehen ; denn obgleich man gewöhnlich meint, das Unaussprechliche sei gerade das Vortrefflichste, so hat diese von der Eitelkeit gehegte Meinung doch gar keinen Grund, da das Unaussprechliche in Wahrheit nur etwas Trübes, Gärendes ist, das erst, wenn es zu Worte zu kommen vermag, Klarheit gewinnt. Das Wort gibt demnach den Gedanken ihr würdigstes und wahrhaftes Dasein. Allerdings kann man sich auch, ohne die Sache zu erfassen, mit Worten herumschlagen. Dies ist aber nicht die Schuld des Wortes, sondern die eines mangelhaften, unbestimmten, gehaltlosen Denkens » (Werke in zwanzig Bänden, Theorie Werkausgabe, Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag, 1971-1979, Band 10, p. 280, abréviation W1O, 280).
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[19]
Voir la conférence du 29 mai 1911, « La conscience et la vie », reprise au début de L’énergie spirituelle (817).
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[20]
Voir l’explication du titre Grundlinien der Philosophie des Rechts que donne J.-L. Vieillard-Baron dans la présentation de sa traduction des Principes de la philosophie du droit, GF, 1999, p. 14.
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[21]
Das Gefühl ist die einfache, jedoch bestimmte Affektion des einzelnen Subjekts, in welchem noch kein Unterschied desselben und des Inhalts gesetzt ist, oder eine als im Subjekt, das sich noch nicht abgeschieden [hat] vom Objekt, gesetzte Bestimmung (W4, 43).
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[22]
Il s’agit évidemment du célèbre texte de la République VI dit de « la ligne » (509 d et sq.). On sait que la division supérieure de la ligne désigne l’CpistPmh et que cette section se divise encore en di0noia et en nphsiV. Nous ne suivons pas les interprètes qui relient langage et di0noia et qui font de la nphsiV une contemplation silencieuse. En fait les deux domaines ont part au discours. La nphsiV s’élève à l’anhypothétique dans la dialectique. Au lieu de dépasser le lpgoV, elle devient pleinement lpgoV (511 b-c). Nous verrons comment Hegel et Bergson (quoique de façons différentes) commencent par relier le langage à la pensée dianoétique, puis la relativisent pour enfin rechercher un langage adéquat à la forme la plus accomplie de la pensée qui est intuitive chez Bergson et intellective chez Hegel.
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[23]
Bei dieser verständigen Betrachtung Gottes kommt es vornehmlich darauf an, welche Prädikate zu dem passen oder nicht passen, was wir uns Gott vorstellen. Der Gegensatz von Realität und Negation kommt hier als absolut vor ; daher bleibt für den Begriff, wie ihn der Verstand nimmt, am Ende nur die leere Abstraktion des unbestimmten Wesens, der reinen Realität oder Positivität, das tote Produkt der modernen Aufklärung... (W8, 103).
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[24]
C’est en ce sens que la Préface de la Phénoménologie de l’esprit conseille d’éviter l’usage du mot « Dieu » que la théologie d’entendement a fini par transformer en obstacle. Plus profondément, la Phénoménologie de l’esprit (23e alinéa de la Préface) comme l’Encyclopédie (§ 119, remarque, et § 169, remarque) emploient à propos du nom « Dieu » les expressions de bloe Name ou de leere Name ou même de sinnloser Laut. Nous verrons comment ce soupçon appelle, selon Hegel, une refonte du langage prédicatif qui fasse du sujet non plus un substrat fixe porteur de prédicats mais ce qui se fluidifie en passant dans ses prédicats.
« Aus diesem Grunde kann es z. B. dienlich sein den Namen : Gott zu vermeiden weil dies Wort nicht unmittelbar zugleich Begriff, sondern der eigentliche Name, die feste Ruhe des zum Grunde liegenden Subjekt ist » (W3, 62). -
[25]
Das Denken als Verstand bleibt bei der festen Bestimmtheit und der Unterschiedenheit derselben gegen andere stehen ; ein solches beschränktes Abstraktes gilt ihm als für sich bestehend und seiend.
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[26]
Sur la force déterminante de l’entendement voir W3, 36 : « Die Tätigkeit des Scheidens ist die Kraft und Arbeit des Verstandes, der verwundersamsten und gröten oder vielmehr absoluten Macht. » Sur la vertu pratique de l’autolimitation voir W4, 263.
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[27]
« Ma personne à un moment donné, est-elle une ou multiple ? Si je la déclare une, des voix intérieures surgissent et protestent, celles des sensations, sentiments, représentations entre lesquelles mon individualité se partage. Mais si je la fais distinctement multiple, ma conscience s’insurge tout aussi fort ; elle affirme que mes sensations, mes sentiments, mes pensées sont des abstractions que j’opère sur moi-même, et que chacun de mes états implique tous les autres » (713-714).
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[28]
« L’intelligence vraie est ce qui nous fait pénétrer à l’intérieur de ce que nous étudions, en toucher le fond, en aspirer à nous l’esprit et en sentir palpiter l’âme » (Écrits et paroles, textes rassemblés par R. M. Mossé-Bastide, Paris, PUF, 1957-1959, p. 177).
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[29]
Nous avons vu (note précédente) comment Bergson peut parler d’une « intelligence vraie ».
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[30]
Souligné par nous.
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[31]
Il s’agit bien de l’wroV (la détermination, la borne) et non de l’uroV (une hauteur, une montagne).
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[32]
Es ist aber weit schwerer, die festen Gedanken in Flüssigkeit zu bringen, als das sinnliche Dasein (W3, 37).
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[33]
Die Gedanken werden flüssig, indem das reine Denken diese innere Unmittelbarkeit, sich als Moment erkennt, oder indem die reine Gewissheit seiner selbst von sich abstrahiert ; – nicht sich weglässt, auf die Seite setzt, sondern das Fixe ihres Sichselbstsetzens aufgibt, sowohl das Fixe des reinen Konkreten, welches Ich selbst im Gegensatze gegen unterschiedenen Inhalt ist, als das Fixe von Unterschiedenen, die im Elemente des reinen Denkens gesetzt, an jener Unbedingtheit des Ich Anteil nehmen (W3, 37).
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[34]
Durch diese Bewegung werden die reinen Gedanken Begriffe (W3, 37).
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[35]
Je vertrauter ich mit der Bedeutung des Wortes werde, je mehr dieses sich also mit meiner Innerlichkeit vereint, desto mehr kann die Gegenständlichkeit und somit die Bestimmtheit der Bedeutung desselben verschwinden, desto mehr folglich das Gedächtnis selber, mit dem Worte zugleich, zu etwas Geistverlassenem werden (W10, 280).
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[36]
Cet exemple a plus une valeur « pédagogique » que démonstrative car il présuppose une homogénéité entre notes et signes qui ne va absolument pas de soi.
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[37]
Frédéric Worms, au début du commentaire de la conférence de Bergon d’avril 1912 (L’âme et le corps), décrit assez heureusement ce processus : « L’intuition ne désigne donc pas seulement, chez Bergson (comme chez la plupart des philosophes) le contact direct et immédiat avec un objet, qu’il soit sensible ou intellectuel, qu’il s’agisse de mon corps ou de la durée. Elle désigne surtout le développement réglé d’un tel contact, son approfondissement progressif » (Paris, Hatier, 1992, p. 17).
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[38]
Das Wahre [...] ist das Werden seiner selbst (W3, 23).
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[39]
Das Wahre ist das Ganze. Das Ganze aber ist nur das durch seine Entwicklung sich vollendende Wesen. Es ist von dem Absolut zu sagen, dass es wesentlich Resultat, dass er erst am Ende das ist, was es in Wahrheit ist ; und hierin eben besteht seine Natur, Wirkliches, Subjekt, oder Sichselbstwerden zu sein (W3, 24).
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[40]
W1, 373. Voir les remarques de Franck Fischbach jointes à sa traduction de L’esprit du christianisme et son destin, Paris, Presses Pocket, 1992, n. 152, p. 189.
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[41]
Es wird in einem Satze der Art mit dem Worte « Gott » angefangen. Dies für sich ist ein sinnloser Laut, ein blosser Name ; erst das Prädikat sagt, was er ist, ist seine Erfüllung und Bedeutung ; der leere Anfang wird nur in diesem Ende ein wirliches Wissen. [...] Das Subjekt ist als fester Punkt angenommen, an den als ihren Halt die Prädikate geheftet sind, durch eine Bewegung, die dem von ihm Wissenden angehört und die auch nicht dafür angesehen wird (W3, 26-27).
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[42]
Anders verhält es sich im begreifenden Denken. Indem der Begriff das eigene Selbst des Gegenstande ist, das sich als sein Werden darstellt, ist es nicht ein ruhendes Subjekt, das unbewegt die Akzidenzen trägt, sondern der sich bewegende und seine Bestimmungen in sich zurücknehmende Begriff (W3, 57).
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[43]
Il est intéressant de constater que, dans la Préface de la Phénoménologie de l’esprit, la référence au système comme cela seul qui garantit « l’effectivité » du discours intervient immédiatement après la première esquisse de théorisation de la proposition spéculative (al. 23, puis al. 24, W3, 26-27).
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[44]
Chez Plotin le logos intelligible est la vie la plus haute dont toutes les autres formes de vie ne sont que les images affaiblies. Le trentième traité (En. III, 8, 8) identifie ainsi l’intelligence première et la vie première (kaa pr°th zwQ kaa pr²toV no¢V ejV). Le dixième traité (En. V, 1, 3) relie vie et logos et fait du logos de l’intelligence ce qui émet la vie et fait subsister les êtres : « Car bien qu’elle [l’Âme] soit telle que l’a montrée notre discours, elle est une image de l’intelligence ; comme la parole exprimée est l’image du logos intérieur à l’âme, ainsi elle est le logos de l’Intelligence et l’activité selon laquelle l’Intelligence émet la vie pour faire subsister les autres êtres » (kaBper g1r yusa crRma ojon Gdeixen t lpgoV, eck°n tBV Csti no¢ ò ojon lpgoV t Cn profor lpgou to¢ Cn yucÌ, o§tw toi kaa a£tQ lpgoV no¢ kaB T p2sa CCCCCn@ rgeiakaq Xn proletai zwQn ecV 5llou ¤ppstasin).
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[45]
Du logos, le Prologue de saint Jean dit qu’il est la vie, le vivant de tout vivant. En 3rcÌ Yn t lpgoV... p0nta dia£to¢ CCCCCg@ neto,kaa cwraV a£to¢ CCCCCg@ netoo£de Gn. x gAgonen Cn a£tÈ zwQ Yn, kaa T zwQ Yn tp f²V t²n 3nqr²pwn.
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[46]
Bergson, aux yeux d’un hégélien, conserve la particularité de la proposition classique : voir dans les seuls efforts du sujet fini le moteur du discours.
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[47]
Pour quelques précisions sur ce thème, voir mon Hegel. L’épreuve de la contingence, Paris, Aubier, 1999, section 10, § 2, p. 339 et sq.
1La présence de Hegel est pour le moins discrète chez Bergson : une occurrence en 1 628 pages de l’Édition du Centenaire. Il s’agit d’une mention, en passant, à un moment où Bergson accuse les « systèmes » de n’offrir qu’une synthèse « purement verbale ». En cherchant à ramener la richesse du réel « à une idée » et les idées à une « idée d’idées », le philosophe immobilise la fluidité de la vie. En l’épinglant sous un mot-principe, il la tue. « Là est le vice initial des systèmes philosophiques. Ils croient nous renseigner sur l’absolu en lui donnant un nom » (1291) [1]. Bergson cite cinq exemples : la Substance chez Spinoza, le Moi chez Fichte, l’Absolu chez Schelling, l’Idée chez Hegel, et la Volonté chez Schopenhauer (1290). Le choix de ces exemples étonne d’abord le lecteur puisque, dans chaque cas, chez chaque philosophe, le mot-principe désigne quelque chose de vivant. Selon Spinoza la puissance (que les Pensées métaphysiques identifient à la vie) [2] est l’essence même de Dieu (substance unique) présente, à différents degrés, en toutes choses. Chez Fichte, le moi n’est pas res cogitans, substance inerte ; il est vie. La Wissenschaftslehre n’est pas une synthèse verbale ou conceptuelle qui vient recouvrir la vie mais la démarche qui doit nous y reconduire [3]. Même à l’époque de l’Identité, Schelling parle de la relation des choses singulières à l’Absolu [4] en termes de vie. L’Idée hégélienne n’est pas une abstraction exsangue. Sa première détermination est, au § 216 de l’Encyclopédie, la vie : « Die unmittelbare Idee ist das Leben. » Hegel parle même de l’Idée comme du concept « réalisé dans une chair » (in einem Leibe realisiert). La Volonté schopenhauerienne dont l’autre nom est « vouloir-vivre » n’est pas une essence abstraite mais la force « intime et originelle » qui traverse et constitue la totalité de ce qui est [5]. Est-ce à dire que Bergson fait ici une série de malencontreux contresens ?
2Ce que Bergson suggère en fait, c’est que précisément dans des philosophies qui déclarent penser en termes de processus et de devenir, la trahison de la vie s’effectue dans sa célébration même. Mais pourquoi en est-il ainsi ? Concentrons-nous sur le cas Hegel. Le Cours de métaphysique de Clermont [6] peut nous aider. Parlant du panthéisme [7], Bergson déclare : « Dans ce système, Dieu n’est pas, il devient, il est comme l’univers avec lequel il se confond, en voie de formation. C’est ainsi que Hegel fait jaillir tout ce qui est ou paraît être de la contradiction primordiale et purement abstraite entre l’être et le non-être. » Hegel philosophe du devenir ! Soit, mais sur une accumulation de malentendus : un devenir, mais seulement en idée (rien à voir avec la durée concrète), une expression du devenir, mais sous la forme d’une théogonie verbale suspendue à une opposition primordiale abstraite entre un mot trop large (l’être) et un pseudo-concept (le non-être). Mais qu’est-ce qui, au plus profond, condamne Hegel ? Ici comme dans le passage de La pensée et le mouvant que nous lisions à l’instant, c’est l’idolâtrie du langage, c’est le mot qui n’est pas l’icône qui ouvre vers le réel, mais l’obstacle qui empêche la pensée de devenir intuition et l’enferme dans un réseau d’abstractions [8].
3Tout semble en place pour montrer en Hegel et Bergson les deux membres d’une antinomie parfaite : concept contre intuition, réalité réduite à la pensée contre durée concrète, raideur de la construction systématique contre souplesse de l’expérience vivante, domination du concept contre respect de l’ineffable. Revenons pourtant à notre extrait de La pensée et le mouvant. Y a-t-il condamnation du langage ? Lorsqu’il considère ces mots de Substance, de Moi, d’Absolu, d’Idée ou de Volonté, Bergson ne les rejette pas comme tels, il ne condamne pas non plus le langage ou le discours de façon globale [9]. Il dénonce un processus de dégénérescence qu’il explique ainsi : « Le mot [les cinq mots-principes qu’il vient de citer] aura beau se présenter avec sa signification bien définie : il la perdra, il se videra de toute signification dès qu’on l’appliquera à la totalité des choses » (1290-1291). S’agit-il de se préserver des mots ou de les préserver d’un usage qui leur fait perdre sens et valeur ? Quel crédit peut-on donner à la thèse scolaire d’une antinomie Hegel/Bergson sur la question du langage ?
4Ma perspective ne sera pas historique. Je ne tenterai pas de redresser l’image inexacte que nous avons vu Bergson donner de Hegel [10]. Je voudrais repartir de la thèse de l’antinomie pour la relativiser peu à peu au contact des textes et pour essayer de redécouvrir, sous l’opposition réputée, quelques « lignes fondamentales » ou quelques traits essentiels concernant les rapports entre pensée, langage et philosophie.
Constitution d’une antinomie
5Partons d’un texte célèbre du troisième chapitre des conférences de février et mars 1900 rassemblées sous le titre Le rire. Bergson nous montre que dans la vie courante « nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles » (460). Que sont ces « choses mêmes » ? C’est la réalité telle que nous la retrouvons au terme d’une conversion qui nous ramène du monde de l’action organisé dans l’espace par une intelligence analytique ou de la vie psychique du moi superficiel conçue comme une succession d’états bien définis, vers le monde de la durée ou plutôt comme durée – cette « continuité d’écoulement » découverte par l’intuition « au-dessous des cristaux bien découpés et de cette congélation superficielle » (1397) qui fait notre quotidien. Que sont ces « étiquettes » ? Bergson répond : c’est « le mot qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune, que son aspect banal, [et qui] s’insinue entre elle et nous » (460). Le langage naît donc porté par les exigences de l’action. Agir, c’est simplifier. Le nom nous permet non point d’appréhender les choses dans leur singularité mais de les rendre communes, manipulables comme des genres.
6Mais en offrant un espace à la médiation et à l’action, le mot se fait aussi obstacle. Manipuler le réel par les noms c’est rompre le contact avec les choses mêmes. En disculpant les noms propres [11] de cette faute, Bergson semble retrouver la traditionnelle opposition entre la particularité concrète des choses et l’universalité abstraite des noms. De la prise de conscience de cette opposition peut naître une tentation du silence ou, pour le moins, un respect de l’ineffable. Le langage nous dépossède de cela même qu’il devrait exprimer : non seulement des choses mais de nous-mêmes. À cause de ces mots-étiquettes, « ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu » (460). À peine exprimé, le sentiment le plus intense se généralise et ne laisse dans le mot qu’une trace inerte et abstraite. Pas plus que l’expression, l’introspection ne résiste à l’épreuve du langage : « Ainsi, continue Bergson, jusque dans notre propre individu, notre individualité nous échappe » (460).
7Le rappel de cette célèbre page de Bergson suffit à nous donner le premier membre de l’antinomie qu’il est supposé constituer avec Hegel. Pour Bergson : 1 / il y a de l’ineffable ; 2 / cet ineffable n’est pas seulement ce que le langage ne parvient pas à dire mais ce qu’il empêche [12] de dire ; 3 / le langage n’est donc pas simplement impuissant mais coupable ; 4 / la pensée la plus haute, celle qui s’unit aux choses mêmes est intuition silencieuse ; 5 / seul le langage de l’art garde une puissance expressive – celle de « parler contre les mots » – pour paraphraser Ponge [13]. Reste à poser brièvement le second membre de l’antinomie en se référant à des textes tout aussi célèbres : la critique de l’ineffable menée dans la Certitude sensible de la Phénoménologie de l’esprit et la description de la relation pensée/langage dans l’addition du § 462 de l’Encyclopédie.
8La Certitude sensible (die sinnliche Gewiheit) est cette toute première figure de la conscience qui, à l’orée du parcours phénoménologique, est l’expérience la plus nue, la plus brute de l’objet. Expérience du « il y a » ou du « cela est » ici et maintenant. Expérience d’une conscience qui se laisse seulement envahir par la présence de son objet et coïncide avec lui. Cette conscience, presque en deçà de la conscience, n’a bien sûr aucune théorie de l’ineffable. Elle se contente seulement d’adhérer à son objet. Tout se complique lorsqu’une conscience plus cultivée [14] cherche à ériger cette figure en modèle ou à revenir à un rapport aux choses qu’elle représente comme une vérité perdue, un âge d’or de notre relation au monde. Désir d’une conscience philosophante qui a longtemps séjourné dans l’universalité du discours et qui cherche à retrouver la fraîcheur de la particularité. Désir d’un contact qui précède toute généralisation discursive. Hegel décrit ainsi cette aspiration : « Le contenu concret de la certitude sensible la fait apparaître immédiatement comme la connaissance la plus riche voire comme une connaissance d’une richesse infinie. » [15] Et il conclut : « Elle apparaît en outre comme la plus vraie ; car elle n’a encore rien écarté de l’objet mais l’[a] devant soi dans toute sa plénitude. » [16]
9Deux questions se posent : Y a-t-il une appréhension possible de l’immédiat, du particulier dans son irréductible originalité ? Le langage a-t-il prise sur lui ? Les tenants de la conscience immédiate et de l’ineffable vont répondre oui à la première question et non à la seconde. Oui, il y a appréhension immédiate sur le mode de la coïncidence sensible ou intuitive. Non, le langage est impuissant à dire cette coïncidence. Or, dès la phrase suivante, Hegel renverse cette thèse : « Cette certitude cependant se donne en fait elle-même pour la vérité la plus abstraite et la plus pauvre. » [17] Hegel ne nie pas l’expérience d’un contact immédiat avec la particularité. Il doute simplement qu’en se faisant philosophie, cette expérience garde son caractère immédiat. Les philosophies de l’immédiat sont la reconstitution laborieuse de cette expérience. Leur profession de naïveté et d’intimité est au mieux illusoire, au pire mensongère ! Lorsqu’elle existe, en son innocence originelle, l’expérience de la coïncidence avec le réel n’est pas la pensée la plus haute, celle qu’il faut conquérir par conversion, mais la pensée la plus indigente, celle dont il faut se détourner. Dès lors, au lieu d’une opposition entre une expérience du réel riche mais silencieuse et une activité discursive efficace mais incapable d’exprimer son objet, Hegel semble passer à une autre opposition. Opposition entre une misologie qui déguise sa paresse à travailler le concept en éloge de l’ineffable et une pensée qui sait que le sens du sensible ne peut être atteint que par la médiation du langage. Plus profondément, c’est l’idée même d’un choix entre philosophie de l’ineffable et philosophie conceptuelle que Hegel détruit puisqu’il montre que, dans sa plus pauvre manifestation, c’est-à-dire lorsqu’elle dit « c’est », « ici », « maintenant », etc., la Certitude sensible est déjà dans l’universalité du langage. L’objet de la Certitude sensible ne livre pas la particularité et la particularité la plus riche mais livre l’universalité et l’universalité la plus pauvre.
10Si nous sommes toujours déjà dans l’universalité conceptuelle, alors le choix n’est plus entre parler ou se taire, mais entre, d’une part, se limiter au bredouillement des « ici » et des « il y a » ou aux éloges bavards du silence et, d’autre part, s’imposer la rude et fructueuse discipline du discours. De là les passages célèbres de l’addition du § 462 de l’Encyclopédie qui nous préviennent que l’ineffable n’est qu’une pensée à l’état de fermentation et que penser ce qui est, c’est penser dans des mots. La pensée n’a de consistance que dans les mots. La réalité n’a de sens que portée dans le langage. La pensée ne préexiste pas aux mots mais trouve son existence (son être-là) en eux. Lorsque les mots manquent, ce n’est pas l’impuissance du langage mais celle de nos pensées qui est dévoilée : « Il est cependant ridicule de considérer le fait, pour la pensée, d’être liée au mot, comme un défaut de la première et comme une malchance ; car, bien que l’on soit d’avis ordinairement que l’ineffable est précisément ce qui est le plus excellent, cette opinion nourrie par la vanité n’a pourtant pas le moindre fondement, puisque l’ineffable est, en vérité, seulement quelque chose de trouble, en fermentation, qui ne gagne en clarté que lorsqu’il peut accéder à la parole. Le mot donne dès donc aux pensées, leur être-là le plus digne et le plus vrai. Sans doute, on peut aussi – sans comprendre ce-qui-est-en-cause – se battre avec les mots. Cependant cela n’est pas la faute du mot, mais celle d’une pensée défectueuse, indéterminée, sans contenu. » [18]
Recherche de lignes fondamentales
11Cette opposition scolaire entre Bergson et Hegel est-elle irréductible ? À travers l’antinomie des auteurs se manifeste-t-il vraiment une alternative essentielle pour toute philosophie du langage ? Au contraire une telle alternative ne tient-elle qu’au prix d’une lecture superficielle et incomplète des deux auteurs ? Sans gommer les différences tout aussi artificiellement qu’on peut vouloir les accentuer, ne peut-on pas nuancer les contours de l’opposition pour découvrir ce que Bergson appellerait des « lignes de fait » [19] et Hegel des « lignes fondamentales » [20], c’est-à-dire des déterminations profondes qui, sous le foisonnement des différences particulières, guident la réflexion philosophique ?
12Par souci de concision, je ne tenterai de dégager que trois invariants plus profonds que l’alternative superficielle que je viens de reconstituer : 1 / l’alliance entre langage et médiation ; 2 / la défiance envers un langage abstrait (d’intelligence ou d’entendement – que je propose d’appeler « dianoétique ») et 3 / la recherche de l’authentique discours philosophique comme déploiement vivant du sens.
L’alliance entre langage et médiation
13Si l’on réduit la distance de notre regard pour considérer plus finement l’antinomie initiale, on s’aperçoit qu’elle présuppose un sol commun. C’est d’ailleurs le cas de toute antinomie. La relation de termes purement hétérogènes est l’indifférence et non l’opposition. Si toute opposition se fait donc sur un sol commun, où se trouve-t-il ? Hegel et Bergson acceptent une même distinction de principe entre pensée immédiate et pensée médiate et situent tous les deux le langage du côté de la seconde.
14Revenons aux textes. On trouve, chez Hegel comme chez Bergson, une appréhension de la pensée intuitive comme coïncidence. La pensée et le mouvant déclare : « Nous appelons ici intuition la sympathie par laquelle on se transporte à l’intérieur d’un objet pour coïncider avec ce qu’il a d’unique et par conséquent d’inexprimable » (1395). Définition homologue chez Hegel au § 446 de l’Encyclopédie ou dans les Cours de 1808-1809 de Nüremberg. Si l’on s’en tient à ces derniers, on lit : « Le devenir-conscient immédiat est l’intuition » (das unmittelbare Bewutwerden ist die Anschauung, W4, 208) ou encore, pour définir le sentiment : « [il] est l’affection simple et cependant déterminée du sujet singulier en qui ne se retrouve encore posée aucune différence entre lui et son contenu, c’est-à-dire une détermination en tant que posée dans le sujet qui ne s’est pas encore séparé de l’objet » [21]. À cette pensée immédiate qui est coïncidence, non-différenciation du sujet et de l’objet, s’oppose une pensée médiate ou si l’on peut dire distante de son objet. Chez Bergson, il s’agit bien sûr de l’intelligence. Chez Hegel, c’est l’entendement (Verstand). Le terme Intelligenz est, dans la philosophie spéculative, réservé à ce qui dépasse le simple entendement. L’Intelligenz est un moment de l’esprit, l’entendement relève plutôt de la conscience. L’homologue de l’intelligence bergsonienne est donc l’entendement hégélien : celui qui sépare, qui tranche, qui découpe son objet, qui le met à plat dans l’espace. C’est ce que j’appellerai, en me référant au texte fondateur non seulement de toute philosophie de l’esprit mais de toute la rationalité occidentale, la dimension dianoétique de la pensée [22].
15Hegel et Bergson vont donc (au moins dans un premier temps) relier langage et pensée médiate et dianoétique. Nous l’avons vu à la page 460 de Le rire, nous l’avons constaté dans l’addition du § 462 de l’Encyclopédie. Si, comme nous venons de le lire dans la définition bergsonienne de l’intuition de La pensée et le mouvant, celle-ci est sympathie et coïncidence avec l’inexprimable, alors l’exprimable nécessite une différenciation. Il y a donc, en apparence, incompatibilité essentielle entre intuition et expression. Un autre passage du même ouvrage le confirme à partir de l’opposition relatif/absolu : « Description, histoire et analyse me laissent ici [lorsque je cherche à comprendre un personnage] dans le relatif. Seule la coïncidence avec la personne me donnerait l’absolu » (1394). Puisque le langage compose des unités partes extra partes, non seulement il se développe dans le relatif mais encore il relativise tout ce qu’il touche. Hegel note de façon homologue que le langage d’entendement finitise l’Absolu. La remarque du § 36 de l’Encyclopédie montre comment l’échec de la « théologie naturelle » à penser Dieu tient aux limites de son langage d’entendement. Sa conception même de la prédication la conduit inexorablement à accumuler par juxtaposition des attributs finis dont la multiplication ne permet aucune élévation à l’Infini [23].
16Mais, dès lors, l’opposition réputée des deux thèses n’est plus une incompatibilité sur la compréhension des types de pensée ou sur ses liens avec le langage. Pour l’un comme pour l’autre, sont reconnus : 1 / la distinction fondamentale entre une pensée immédiate et une pensée médiate et 2 / le lien du langage avec la seconde. Ce n’est donc pas tant le jugement d’essence qui diffère que l’évaluation qui suit un jugement commun. Le langage est médiation et se développe dans une pensée dianoétique. C’est sa faiblesse (par rapport à la coïncidence intuitive) dit Bergson. C’est sa force (par rapport à la confusion qu’entraîne la pensée immédiate) dit Hegel.
17Mais faut-il s’en tenir là ? N’est-ce pas troquer une opposition simpliste pour une autre ? Il est injuste de prétendre que Bergson s’établit dans l’immédiateté alors que Hegel choisit la médiation. Pourquoi ? Deux remarques. Notons d’abord que Bergon ne condamne pas toute médiation. Comment pourrait-on le prétendre d’un philosophe de la durée ? Le vrai clivage, chez Bergson, ne nous semble pas résider entre l’immédiat et le médiat mais entre le continu et le discontinu. Plus précisément, il y a chez Bergson une bonne et une mauvaise médiation. La médiation artificielle et spatialisante de la juxtaposition (l’atomisme mental de ceux qui en restent au moi superficiel) et la médiation profonde et continue de la durée (celle du moi profond). La pensée immédiate est justement celle qui coïncide avec cette médiation continue. Notons ensuite que, de son côté, Hegel ne porte pas une confiance aveugle dans le mot. Il met souvent en garde contre ceux qui s’imaginent connaître quelque chose en se contentant de le nommer [24]. De même, il demande que l’on se libère de la tendance à prendre pour du « bien connu » tout « ce que nous avons toujours à la bouche » (die wir immer im Munde führen, W8, 85). Il faut donc nuancer encore notre comparaison. Non seulement distinguer plusieurs types de pensées mais plusieurs types de langages pour retrouver une nouvelle homologie, plus profonde encore, entre Hegel et Bergson.
La défiance à l’égard du langage d’entendement
18Pour l’un comme pour l’autre, le langage de l’intelligence ou de l’entendement – bref, de ce que nous avons appelé pensée dianoétique – fige la pensée et l’être pensé. Hegel au § 80 de l’Encyclopédie déclare : « La pensée en tant qu’entendement en reste à la déterminité fixe et à son caractère différenciel par rapport aux autres ; un tel abstrait borné vaut pour elle comme subsistant et étant pour lui-même. » [25] De son côté, La pensée et le mouvant affirme : « Notre intelligence, quand elle suit sa pente naturelle, procède par perceptions solides, d’un côté, et par conceptions stables, de l’autre. Elle part de l’immobile et ne conçoit et n’exprime le mouvement qu’en fonction de l’immobile. Elle s’installe dans des concepts tout faits, et s’efforce d’y prendre, comme dans un filet, quelque chose de la réalité qui passe » (1420). Dans les deux cas, le ton est péjoratif et le thème de la fixité caractérise la pensée dianoétique.
19Mais l’homologie est plus forte encore lorsqu’on perçoit, dans une œuvre comme dans l’autre, la reconnaissance d’une vertu déterminante de l’intelligence ou de l’entendement – vertu qui est comme l’envers de la fixité. La fixité permet la fermeté. Cela est largement reconnu par les lecteurs de Hegel et peut-être plus négligé chez Bergson par ceux qui se contentent de faire de l’intelligence le repoussoir de l’intuition. L’addition du § 80 de l’Encyclopédie le précise : « Comme dans le domaine théorique, dans le domaine pratique, on ne peut se priver de l’entendement » (Wie im Theoretischen, so ist auch im Praktischen der Verstand nicht zu entbehren). Quelques lignes plus haut, Hegel résumait cette vertu : « On ne parvient sans entendement à aucune fermeté et déterminité » (es kommt ohne Verstand zu keiner Festigkeit und Bestimmtheit, W8, 169). Pas d’activité théorique sans définition, sans délimitation – vertu du pp@ raVcontre l’5peiron. Pas d’efficacité pratique sans capacité à se fixer des buts et à choisir des moyens. Pas d’homme de caractère qui ne sache se borner (sich beschränken) [26].
20Chez Bergson, la reconnaissance des vertus de l’intelligence se fait par degrés. 1 / Au plus bas degré, le langage de l’intelligence est reconnu comme un mal nécessaire. Ainsi dans L’évolution créatrice Bergson se demande si on peut appliquer les « catégories abstraites » d’unité et de multiplicité pour décrire la vie du moi. Il montre qu’aucune ne convient (ne coïncide) [27] mais pour ne pas être condamné au silence, il concède : « Je suis donc – il faut bien adopter le langage de l’entendement, puisque l’entendement seul a le langage – unité multiple et multiplicité une » (714). Mais si le langage est l’apanage de l’entendement et si la parole doit accompagner ou du moins suivre l’intuition, cela signifie-t-il que l’expression de l’intuition doit passer par ses « catégories abstraites » ? 2 / Si tel est le cas, la langue dianoétique n’est alors plus un pis-aller mais une nécessité : « L’intuition ne se communique d’ailleurs que par l’intelligence. Elle est plus qu’idée ; elle devra toutefois, pour se transmettre, chevaucher sur des idées » (1285). 3 / Mais Bergson ne reconnaît pas seulement la nécessité d’un tel langage, il va jusqu’à affirmer sa force libératrice. Non plus trahison et paralysie mais libération. Libération de l’intelligence d’abord : « Sans le langage, l’intelligence aurait été rivée aux objets matériels qu’elle avait intérêt à considérer [...] Le langage a beaucoup fait pour la libérer. Le mot fait pour aller d’une chose à une autre est, en effet, essentiellement déplaçable et libre » (630).
21Mais à quel langage cette libération mène-t-elle ? S’agit-il toujours d’un langage dianoétique ? Il y a chez Hegel comme chez Bergson une claire conscience du fait que pensée et langage ont un sort commun, que ce sort peut être néfaste ou bénéfique et que la tâche du philosophe consiste précisément à dépasser le discours d’entendement pour inventer une parole par laquelle le philosophe puisse « penser la vie » où « sentir en palpiter l’âme » [28]. Voyons comment.
Inventer un langage en lequel la pensée épouse la vie
22Pour plus de clarté et à titre d’hypothèse je décrirai cette tâche de la philosophie, chez Hegel comme chez Bergson, en trois moments à travers lesquels on doit comprendre : 1 / que le langage n’est pas un simple instrument ; 2 / que c’est la fluidité qui caractérise la bonne médiation du langage ; 3 / que la parole philosophique est un travail de fluidification de la pensée qui lui permet d’épouser la vie du sens.
231 / La définition hégélienne du langage comme « être-là » de la pensée exclut l’idée d’un langage comme simple instrument ou « moyen de transport » de la pensée. Lorsque l’addition du § 462 précisait, contre les zélateurs de l’ineffable, que « le mot donne aux pensées leur être-là le plus digne et le plus vrai », elle ne se contentait pas de rappeler un peu platement que ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Elle offrait là une thèse proprement ontologique c’est-à-dire déterminait l’être même de la pensée et du langage. La pensée n’est pas pensée avant les mots. Elle n’existe pas toute formée ou préformée dans un en-deçà psychique à partir duquel elle choisirait les mots dont elle va se vêtir comme une personne coquette s’attarde devant sa penderie pour trouver sa meilleure parure. Il n’existe pas entre pensée et langage la distance suffisante pour laisser à la pensée une consistance indépendante ou pour faire du mot un simple vecteur neutre.
24Chez Bergson, le point de départ est différent. Dans la mesure où le langage trouve son origine dans les exigences de l’action, il apparaît d’abord comme un instrument. Mais en même temps, et parce qu’il a comme nous venons de le voir une vertu libératrice pour l’intelligence, on peut dire que l’intelligence trouve en lui sinon son existence du moins son existence accomplie (sans le langage elle aurait été rivée aux objets matériels). Je propose donc, là encore, de distinguer chez Bergson plusieurs phases. D’abord celle où le langage n’est qu’un élément dans la palette des outils de l’homo faber. Ensuite, celle où l’intelligence se sert du mot-instrument pour se libérer au sein même du monde de l’action. Enfin, celle où elle a tellement assimilé son instrument qu’il est devenu un organe c’est-à-dire une part vivante et non séparable d’elle-même. Mais, parvenue à ce point l’intelligence, est-elle encore simplement intelligence ? Elle devient intuition. Cette hypothèse d’une évolution de la relation intelligence/langage s’appuie sur un texte de L’évolution créatrice dont nous avons déjà lu la thèse finale c’est-à-dire la valeur libératrice du langage pour l’intelligence. Bergson y explique comment s’effectue une telle libération et ce qu’elle suppose concernant la relation entre pensée et langage. Il ne propose certes pas une sorte de phénoménologie de l’esprit mais reconnaît bien une évolution de l’intelligence. Évolution qui doit nous obliger à corriger les présentations scolaires de Bergson qui opposent brutalement les deux registres de l’intelligence et de l’intuition [29]. Le texte emprunte le langage aristotélicien de la puissance et de l’acte : « Une intelligence qui réfléchit est une intelligence qui avait, en dehors de l’effort pratiquement utile, un surplus de force à dépenser. C’est une conscience qui s’est déjà, virtuellement [30], reconquise elle-même » (629). Bergson décrit ici un processus d’actualisation qui va d’une intelligence qui adhère à l’action à une intelligence réflexive et donc capable de distanciation par rapport au monde de l’action. Cette réflexion est une libération. Cette libération est une reconquête. Cette reconquête est ouverture sur l’intériorité, orientation vers le moi profond. Certes l’intelligence qui réfléchit n’est pas encore intuition-en-acte mais elle l’est en puissance. Or quel est l’acte de cette puissance ? C’est le langage : celui qui nous détache des objets matériels où nous étions rivés. En devenant mobile, en se fluidifiant, le langage n’est plus écran, il n’est plus simple instrument. Il devient vivant. C’est ce que Bergson appelle le passage du « signe instinctif [qui] est un signe adhérent » au « signe intelligent [qui] est un signe mobile » (629).
252 / Cela nous conduit naturellement au second objectif commun à Hegel et Bergson : la recherche d’une bonne médiation – éloge de la fluidité. Nous avons déjà vu comment La pensée et le mouvant cherchait « une continuité d’écoulement » sous « les cristaux bien découpés » de l’atomisme mental (1397). Nous avons vu comment l’intuition doit épouser cette fluidité et surtout comment l’intelligence elle-même gagne en liberté et en souplesse en passant de l’usage du « signe adhérent » à celui du « signe mobile ». Point n’est besoin de rappeler longuement que tout l’itinéraire que nous propose Bergson est ouverture à la fluidité, découverte de la durée du moi profond et, au-delà, participation à l’élan vital – loi de fluidification qui fait passer de l’intelligence à l’intuition, de la mémoire habitude à la mémoire souvenir, des simples prescriptions de la morale close aux intuitions inventives de la morale ouverte, des « réactions défensives » (1086) de la religion statique à la communion mystique de la religion dynamique.
26Mais qu’en est-il chez un Hegel qui fait sans cesse l’éloge de l’wroV (W3, 17) [31], du pp@ raV,et prône le patient travail du concept ? Au-delà des images qui accompagnent les appels hégéliens au sérieux de la conception, il faut déterminer ce que signifie « concevoir ». Il ne s’agit pas de subsumer une intuition sous une catégorie formelle mais, dit Hegel, de « rendre fluides des pensées solidifiées ». C’est le 33e alinéa de la Préface de la Phénoménologie de l’esprit qui le déclare avec le plus de force : « Mais il est beaucoup plus difficile de rendre fluides des pensées fixes que l’être-là sensible. » [32] L’être-là sensible n’est que ce qu’il est. Sa positivité, c’est aussi son inertie. Il n’impose donc pas de résistance au travail du négatif c’est-à-dire à la négativité spirituelle qui l’investit. Les pensées fixes, elles, ont part à cette force déterminante de l’entendement que l’alinéa précédent appelait la « puissance absolue » (absolute Macht). La positivité des déterminations d’entendement résiste à la négation. Pire encore, elle communique à cette négation sa fixité et l’on s’installe dans cette pensée du ou bien... ou bien dont la dialectique transcendantale de Kant (en particulier dans les antinomies) offre à la fois l’explication maîtrisée et la confirmation involontaire.
27Comment fluidifier ces pensées fixes ? Hegel nous donne au moins deux réponses qui intéressent la confrontation avec Bergson. La première parce qu’elle passe par une entrée en soi qui ouvre sur plus que soi-même (comme la découverte du moi profond ouvre sur une durée qui nous dépasse de toutes parts). La seconde parce qu’elle concerne cette recherche d’un langage de la fluidité qui est l’affaire de nos quelques réflexions du jour. Revenons à l’alinéa 33 de la Préface de la Phénoménologie de l’esprit pour découvrir la première : « Les pensées deviennent fluides dès lors que la pensée pure, cette immédiateté intérieure, se connaît comme moment, ou que la pure certitude de soi-même fait abstraction d’elle-même – non point qu’elle se congédie, qu’elle se met de côté, mais qu’elle abandonne ce qu’a de fixe son autoposition ; aussi bien ce qu’il y a de fixe dans le pur concret qu’est le moi lui-même par opposition à un contenu différencié, que ce qu’ont de fixe les choses différenciées qui, posées dans l’élément de la pensée pure, participent à l’inconditionnalité du moi. » [33] Hegel conclut : « Par ce mouvement, les pensées pures deviennent des concepts. » [34] Pour fluidifier ses pensées déterminées, le moi doit non point se fuir mais se déprendre de lui-même, desserrer les liens qui l’attachent à une relation représentative – celle du face-à-face d’un sujet et d’un objet (ou d’un sujet appréhendé comme objet). Il parvient ainsi à ce que Hegel nomme « l’élément de la pure pensée » qui n’est bien sûr pas un sentiment océanique de participation mais l’accession à cette simplicité de l’esprit à partir de laquelle toutes choses apparaissent non point séparées mais en relation. Le « savoir absolu » est cette libération de la pensée à l’égard de l’opposition sujet/objet qui permet à l’esprit non plus de rencontrer, de cerner et de maîtriser par concepts abstraits (par « étiquettes ») des choses, mais d’évoluer au sein de relations dont le système n’est rien d’autre que la présentation (Darstellung).
28Mais comment distinguer un tel programme d’une expérience intérieure où la rationalité philosophique cède la place à l’expérience mystique ? Ici réside pour Hegel l’importance du langage, la confiance dans le lpgoV que les Grecs nous ont légué et sans lequel il n’y a plus de philosophie. Revenons à l’addition du § 462 de l’Encyclopédie. Nous y découvrons que la fluidification des pensées est liée à la fluidification du langage. Nous avons vu que le mot apporte non seulement clarté et détermination mais même existence (ou être-là) à la pensée. Est-ce à dire que le mot suffise à la vie du sens, à la fluidité de la pensée ? Hegel ne pense pas. Il ne pense pas non plus, comme le feront les héritiers de Ferdinand de Saussure, que le sens est valeur, c’est-à-dire qu’il réside tout entier dans les relations différentielles qui constituent le système (ou la structure) de la langue. Pour Hegel les mots et la langue ne suffisent pas à la vie du sens. Le sens n’est vivant que dans la parole c’est-à-dire, pour rester dans un vocabulaire strictement hégélien, que lorsque « les mots [sont] vivifiés par la pensée ». Qu’est-ce à dire ? Par lui-même le mot peut avoir la signification que l’on trouve consignée dans le dictionnaire. Mais cette signification est, selon Hegel, toujours menacée de mort. Une langue morte c’est précisément celle qui ne fait que gésir dans les dictionnaires. La signification du langage tient, au contraire, à sa fluidité c’est-à-dire à la double relation par laquelle la pensée se fixe dans les mots mais aussi par laquelle les mots s’animent au souffle d’une pensée. Double mouvement, car le triomphe d’un seul côté marque la mort du sens. En effet, vouloir se tenir dans la pure fluidité de pensées qu’aucun mot ne fixe ( « vouloir penser sans les mots » ) c’est le seuil de la folie. Au contraire, s’installer dans les mots, être à ce point familier avec un discours qu’il devient une habitude [35] c’est offrir une suite de propositions à travers lesquelles plus personne ne parle et plus rien ne se dit.
293 / Nous pouvons désormais comprendre le troisième et dernier point d’accord vraiment fondamental entre Hegel et Bergson : la définition de la parole philosophique comme vivante médiation qui ne construit pas artificiellement le sens mais en épouse le mouvement. Lisons La pensée et le mouvant : « Le philosophe ne prend pas des idées préexistantes pour les fondre dans une synthèse supérieure ou pour les combiner avec une idée nouvelle. Autant vaudrait croire que, pour parler, nous allons chercher des mots que nous cousons ensuite ensemble au moyen d’une pensée. La vérité est qu’au-dessus du mot et au-dessus de la phrase il y a quelque chose de beaucoup plus simple qu’une phrase et même qu’un mot : le sens, qui est moins une chose pensée qu’un mouvement de pensée, moins un mouvement qu’une direction » (1358). Trois dimensions du langage vivant peuvent donc être distinguées : un aspect dynamique (lorsque la fluidité se fige, le sens tend à disparaître), un aspect structurel (le sens tient moins aux termes qu’aux relations), un aspect intentionnel (le sens dépend de la direction que l’esprit donne au déploiement de la parole). Développons rapidement ces trois points. 1 / Le langage n’est pas un instrument, il n’est pas non plus une matière première inerte ou une série d’éléments combinés par l’artifice d’une pensée. Il est le déploiement du sens. Ce déploiement du sens est décrit par Bergson comme un processus vivant et même comparé à la croissance embryonnaire. C’est ce qui fait qu’une phrase n’est pas simplement l’addition de ses composants. 2 / Cette croissance est organique ou organisée. C’est en ce sens que la suite du texte affirme que « la même pensée se traduit aussi bien en phrases diverses composées de mots touts différents pourvu que ces mots aient entre eux le même rapport ». Le mouvement lui-même ne suffit pas à animer des mots en une parole. Le mouvement ne fait sens qu’en dessinant une relation. Je peux, par comparaison [36], chanter une même mélodie en la transposant d’une seconde majeure c’est-à-dire d’un ton. Il s’agira bien de la même mélodie. Malgré la modification de toutes les notes, l’ordre de succession des tons et des demi-tons sera conservé à l’identique. 3 / Mais si cette relation ou ce rapport est condition nécessaire du sens, elle n’en est pas condition suffisante. Il faut, précise Bergson, que relation (structure) et mouvement soient orientés. Cette intention, constitutive et expressive du sens vivant, fait la différence entre la langue et la parole. Bergson le dit clairement : « Tel est le processus de la parole. » Et il ajoute immédiatement : « Et telle est aussi l’opération par laquelle se constitue une philosophie. Le philosophe ne part pas d’idées préexistantes ; tout au plus peut-on dire qu’il y arrive. Et quand il y vient, l’idée ainsi entraînée dans le mouvement de son esprit, s’animant d’une vie nouvelle comme le mot qui reçoit son sens de la phrase, n’est plus ce qu’elle était en dehors du tourbillon. » Tel est le langage de l’intuition – langage, dont la médiation n’est pas juxtaposition d’unités partes extra partes, et intuition qui n’est pas pensée immédiate exclusive de la médiation mais capacité de coïncider immédiatement avec la médiation de la durée [37]. Tel est le langage de l’intuition qui modèle et rythme l’écriture si souple et si précise de Bergson. Qu’en est-il chez Hegel ?
301 / Rien de plus facile que de constater le lien entre dynamisme et signification. Les formules qui font du sens moins une chose pensée qu’un mouvement de pensée abondent et sont souvent citées. « Le vrai [...] est le devenir de soi-même » [38], déclare le 18e alinéa de la Préface de la Phénoménologie de l’esprit. Et, deux alinéas plus loin, Hegel précise : « Le vrai est le tout. Mais le tout est seulement l’essence s’accomplissant à travers son développement. Il faut dire de l’Absolu qu’il est essentiellement résultat, qu’il n’est qu’à la fin ce qu’il est en sa vérité, et c’est précisément en cela que consiste sa nature qui est d’être [quelque chose d’]effectif, un sujet, ou un advenir à soi-même. » [39] Mais à insister trop exclusivement sur la « mobilité » du discours hégélien, on risque de le faire sombrer dans l’indétermination et de renforcer le soupçon d’arbitraire sous les affirmations sur « la nécessité du contenu ».
312 / Chez Hegel aussi, le mouvement du sens est inséparable d’un ordre. Il faut parler de « processualité » chez Hegel, mais à condition de ne pas faire de la fluidification des pensées fixes une simple noyade. La processualité hégélienne est vivante parce qu’elle est logique (et non en dépit de son caractère logique). Pour Hegel, accéder à la fluidité spéculative, c’est repartir d’une réflexion radicale sur le langage propositionnel. Dès L’esprit du christianisme et son destin [40] Hegel mène une recherche sur un type de langage qui dépasse les contraintes de la prédication classiquement reçue d’Aristote. Mais c’est la Préface de la Phénoménologie de l’esprit qui en donne la présentation la plus claire. Hegel explique comment la proposition canonique de forme « S est P » ne fait du discours philosophique qu’une composition extérieure par laquelle des attributs ou prédicats sont, en quelque sorte, déposés sur la « base » (Basis) inerte que constitue le sujet logique [41]. Nous reconnaissons là le langage d’entendement abstrait dont nous avons déjà décrit l’impuissance. Comment dépasser cette parole étroitement dianoétique ? Dans la proposition spéculative, le sujet n’est plus le fixe support des prédicats. Au lieu de poser le prédicat sur le sujet, le sujet perd sa fixité, se fluidifie en passant tout entier dans le prédicat jusqu’à disparaître en lui. Dire « Dieu est l’être » ce n’est plus attribuer un prédicat fixe à un sujet fixe, c’est faire glisser le simple mot « Dieu » (qui sans cette fluidification resterait un « son vide de sens ») dans le prédicat qui dit pleinement l’essence du sujet. Dans la proposition spéculative, le sujet n’est plus l’en-deçà ou le substrat fixe du discours. Il est ce qui se dit dans les prédicats et ne se dit qu’en eux. L’autologie du sens n’est pas domination du sujet mais fluidification du sujet dans laquelle il ne se présente qu’en se confiant sans réserves à l’altérité des prédicats qui eux-mêmes subissent la même fluidification en devenant sujets du discours [42]. Mais cette fluidification n’est-elle pas elle-même menacée d’indétermination ? Le discours spéculatif n’est-il pas condamné à une navigation sur une mer sans rivages ? La fluidification des déterminations, dit Hegel, ne doit pas être seulement dissolution mais totalisation. Cette totalisation n’est rien d’autre que le système [43]. Loin d’être l’équivalent logique d’une gravure de Piranèse, le système est le déploiement vivant des relations qui structurent et expriment tout ce qui est sensé.
323 / Le caractère logique et systématique du déploiement de la fluidité chez Hegel est déjà bien éloigné du mouvement bergsonien d’approfondissement qui recherche une rigueur méfiante de toute organisation logique. Mais est-ce sur le clivage intuition/logique que repose en dernière instance la confrontation entre nos deux éloges de la fluidité ? Je ne le crois pas. Il faudrait en effet se demander si la méfiance bergsonienne envers la logicité touche bien la conception hégélienne du logique. Il serait naïf d’opposer durée et logos comme le vivant et l’abstrait. Le logique hégélien n’est pas une abstraction sans vie mais il est la vie même et peut-être ce qu’il y a de plus vivant. Si l’on peut dire que la durée traverse, selon Bergson, tout ce qui est, on peut tout aussi bien dire que – fidèle à ses inspirateurs grecs [44] et chrétiens [45] – Hegel pense que le logos est vivant, qu’il est plus vivant que la nature même parce qu’il est ce par quoi tout étant peut être dit vivant. Le clivage le plus profond entre parole hégélienne et parole bergsonienne me semble plutôt résider dans la détermination du sujet du discours. Alors que Bergson insiste sur l’intention subjective du locuteur (ce qui fait que le sens est intention et direction), Hegel veille à ne pas limiter l’acte philosophique aux seuls efforts et aux seuls objectifs du sujet fini. Même si en disant la durée le philosophe dit, selon Bergson, plus que lui-même, il ne le fait que par lui-même et à partir de lui-même [46]. Parole de finitude en quête d’infinité. La parole du philosophe hégélien reconnaît sa finité mais elle ne peut dire un sens qui la dépasse qu’en devenant co-diction ou co-invention de ce sens [47]. Parole finie qui collabore à l’autodiction de l’Infini.
Notes
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[1]
Nous indiquons entre parenthèses la pagination des Œuvres de Bergson dans l’ « Édition du centenaire », Paris, PUF, 1959.
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[2]
Pensées métaphysiques, II, 6 : « Nous entendons donc par “vie” la force par laquelle les choses persévèrent dans leur être et, comme cette force est distincte des choses elles-mêmes, nous dirons à juste titre que les choses elles-mêmes ont la vie. Mais la force par laquelle Dieu persévère dans son être n’est rien d’autre que son essence ; ceux-là parlent donc très bien, qui appellent Dieu “la vie”. »
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[3]
« Ganz anders verhält es sich mit der Wissenschaftslehre. Dasjenige, was sie zum Gegenstande ihres Denkens macht, ist nicht ein todter Begriff, der sich gegen ihre Untersuchung nur leidend verhalte, und aus welchem sie erst durch ihr Denken etwas mache, sondern es ist ein Lebendiges und Thätiges, das aus sich selbst und durch sich selbst Erkenntnisse erzeugt, und welchem der Philosoph bloss zusieht. Sein Geschäft in der Sache ist nichts weiter, als dass er jenes Lebendige in zweckmässige Thätigkeit versetze, dies Thätigkeit desselben zusehe, sie auffasse, und als Eins begreife » (Fichtes Werke, herausgegeben von Immanuel Hermann Fichte, Berlin, Walter de Gruyter & Co., 1971, Bd. I, 454). Voir J.-C. Goddard, La philoophie fichtéenne de la vie, Paris, Vrin, 1999.
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[4]
F. W. J. Schelling, Sämtliche Werke, hrsg. von Karl Friedrich August Schelling, Stuttgart/Augsburg, J. G. Cotta, 1856-1861. Voir Bd IV, 258-259 : le dialogue Bruno montre comment chaque chose peut prendre une vie particulière (ein eigenes Leben nehmen) dans l’unité originairement indifférenciée de l’Absolu et parle des « Idées » comme de l’instance où le fini s’anime (belebt). Voir aussi Bd VI, 187 : les Leçons de Würzburg (1804) distinguent la vie du particulier « dans l’Absolu » (Leben im Absoluten) et sa vie « en lui-même » (Leben in sich selbst) mais précisent que « séparée de la vie en Dieu (getrennt von dem Leben in Gott) », cette vie n’est qu’une apparence de vie ou une vie illusoire (ein bloes Scheinleben ist).
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[5]
« Et comme ce que la volonté veut, c’est toujours la vie, c’est-à-dire la pure manifestation de cette volonté, dans les conditions convenables pour être représentée, ainsi c’est faire un pléonasme que de dire “la volonté de vivre” et non pas simplement “la volonté”, car c’est tout un (und da was der Wille will immer das Leben ist, eben weil dasselbe nichts weiter, als die Darstellung jenes Wollens für die Vorstellung ist ; so ist es einerlei und nur ein Pleonasmus, wenn wir statt schlechthin zu sagen, “der Wille”, sagen “der Wille zum Leben”) » (Le monde comme volonté et comme représentation, trad. Burdeau revue et corrigée par Richard Roos, Paris, PUF, 11e éd., février 1984, p. 350).
-
[6]
Cours III. Cours d’histoire de la philosophie moderne. Théories de l’âme, éd. Hude, Paris, PUF, coll. « Épiméthée », 1995, p. 51.
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[7]
Le concept bergsonien de panthéisme est très large. Les premières pages de la seconde partie de l’Introduction de La pensée et le mouvant en donnent une approche précieuse dans la mesure où elle définit le panthéisme à partir du même processus langagier et des mêmes exemples que ceux de la page 1290 dont nous sommes partis. Lisons le cœur de ce texte : « Nombreux sont les philosophes qui ont senti l’impuissance de la pensée conceptuelle à atteindre le fond de l’esprit. Nombreux, par conséquent, ceux qui ont parlé d’une faculté supra-intellectuelle d’intuition. Mais, comme ils ont cru que l’intelligence opérait dans le temps, ils en ont conclu que dépasser l’intelligence consistait à sortir du temps. Ils n’ont pas vu que le temps intellectualisé est espace, que l’intelligence travaille sur le fantôme de la durée, mais non pas sur la durée même, que l’élimination du temps est l’acte habituel, normal, banal, de notre entendement, que la relativité de notre connaissance de l’esprit vient précisément de là, et que dès lors, pour passer de l’intellection à la vision (nous en sommes déjà sortis) ; il faut, au contraire, se replacer dans la durée et ressaisir la réalité dans la mobilité qui en est l’essence. Une intuition qui prétend se transporter d’un bond dans l’éternel s’en tient à l’intellectuel. Aux concepts que fournit l’intelligence elle substitue simplement un concept unique qui les résume tous et qui est par conséquent toujours le même, de quelque nom qu’on l’appelle : la Substance, le Moi, l’Idée, la Volonté. La philosophie ainsi entendue, nécessairement panthéistique, n’aura pas de peine à expliquer déductivement toutes choses, puisqu’elle se sera donné par avance, dans un principe qui est le concept des concepts, tout le réel et tout le possible. Mais cette explication sera vague et hypothétique, cette unité sera artificielle, et cette philosophie s’appliquerait aussi bien à un monde tout différent du nôtre. Combien plus instructive serait une métaphysique vraiment intuitive, qui suivrait les ondulations du réel » (1271-1272).
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[8]
D’où la mise en garde du Cours d’histoire de philosophie grecque à Henri IV : « On comprend que certains aient rapproché Héraclite de Hegel. Mais la différence est profonde entre eux. Héraclite s’est borné à la constatation d’un fait » (cité par H. Hude, in Bergson, I, Éditions universitaires, 1989, p. 177).
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[9]
J.-L. Vieillard-Baron, Bergson, Paris, PUF, 1991, p. 114.
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[10]
La lecture attentive de Hegel rend insoutenables et la thèse d’un panthéisme hégélien et la compréhension de La science de la logique comme déduction conceptuelle à partir de deux déterminations initiales (l’être et le non-être). On lira avec fruit la première remarque de la division C (Werden) de la Doctrine de l’être (dans l’édition de 1832 de la Science de la logique) où Hegel fait de « l’identité abstraite » l’essence du panthéisme.
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[11]
« Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent des genres » (460).
-
[12]
« Bref, le mot aux contours bien arrêtés, le mot brutal, qui emmagasine ce qu’il y a de stable, de commun et par conséquent d’impersonnel dans les impressions de l’humanité, écrase ou tout au moins recouvre les impressions délicates et fugitives de notre conscience individuelle » (87).
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[13]
« Ainsi, qu’il soit peinture, sculpture, poésie ou musique, l’art n’a d’autre objet que d’écarter les symboles pratiquement utiles [souligné par nous], les généralités conventionnellement et socialement acceptées, enfin tout ce qui nous masque la réalité, pour nous mettre face à face avec la réalité même » (462).
Ponge, « Des raisons d’écrire », in Proêmes, Paris, Gallimard, 1948 : « N’en déplaise aux paroles elles-mêmes, étant donné les habitudes que dans tant de bouches infectes elles ont contractées, il faut un certain courage pour se décider non seulement à écrire mais même à parler. [...] Une seule issue : parler contre les paroles » (« Poésie », Gallimard, 1975, p. 163). -
[14]
Rappelons que le processus phénoménologique admet au moins trois niveaux : 1 / celui de la « conscience naturelle » (celle qui coïncide avec les figures du parcours phénoménologique ; ici, la Certitude sensible) ; 2 / celui de la « conscience réfléchissante » qui se différencie ou se distancie des figures pour les ériger en positions philosophiques ; ici, une philosophie de l’union ineffable aux choses particulières ; 3 / celui du philosophe (le für uns qui revient souvent sous la plume de Hegel) qui sait voir en chaque figure un moment de la totalité du processus phénoménologique et sait dénoncer la conscience philosophante du deuxième niveau qui prend un moment pour le tout.
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[15]
Der konkrete Inhalt der sinnlichen Gewiheit lät sie unmittelbar als die reichste Erkenntnis, ja als eine Erkenntnis von unendlichem Reichtum ercheinen (Phänomenologie des Geistes, Neu herausgegeben von Wessels und Clairmont, Hamburg, Felix Meiner Verlag, 1988 ; abréviation PHG, 69).
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[16]
Sie [diese Erkenntnis] erscheint auerdem als die wahrhafteste ; denn sie hat von dem Gegenstande noch nichts weggelassen, sondern ihn in seiner ganzen Vollständigkeit vor sich [hat] (PHG, 69).
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[17]
Diese Gewiheit aber gibt in der Tat sich selbst für die abstrakteste und ärmste Wahrheit aus (PHG, 69).
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[18]
« Es ist aber lächerlich, das Gebundensein des Gedankens an das Wort für einen Mangel des ersteren und für ein Unglück anzusehen ; denn obgleich man gewöhnlich meint, das Unaussprechliche sei gerade das Vortrefflichste, so hat diese von der Eitelkeit gehegte Meinung doch gar keinen Grund, da das Unaussprechliche in Wahrheit nur etwas Trübes, Gärendes ist, das erst, wenn es zu Worte zu kommen vermag, Klarheit gewinnt. Das Wort gibt demnach den Gedanken ihr würdigstes und wahrhaftes Dasein. Allerdings kann man sich auch, ohne die Sache zu erfassen, mit Worten herumschlagen. Dies ist aber nicht die Schuld des Wortes, sondern die eines mangelhaften, unbestimmten, gehaltlosen Denkens » (Werke in zwanzig Bänden, Theorie Werkausgabe, Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag, 1971-1979, Band 10, p. 280, abréviation W1O, 280).
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[19]
Voir la conférence du 29 mai 1911, « La conscience et la vie », reprise au début de L’énergie spirituelle (817).
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[20]
Voir l’explication du titre Grundlinien der Philosophie des Rechts que donne J.-L. Vieillard-Baron dans la présentation de sa traduction des Principes de la philosophie du droit, GF, 1999, p. 14.
-
[21]
Das Gefühl ist die einfache, jedoch bestimmte Affektion des einzelnen Subjekts, in welchem noch kein Unterschied desselben und des Inhalts gesetzt ist, oder eine als im Subjekt, das sich noch nicht abgeschieden [hat] vom Objekt, gesetzte Bestimmung (W4, 43).
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[22]
Il s’agit évidemment du célèbre texte de la République VI dit de « la ligne » (509 d et sq.). On sait que la division supérieure de la ligne désigne l’CpistPmh et que cette section se divise encore en di0noia et en nphsiV. Nous ne suivons pas les interprètes qui relient langage et di0noia et qui font de la nphsiV une contemplation silencieuse. En fait les deux domaines ont part au discours. La nphsiV s’élève à l’anhypothétique dans la dialectique. Au lieu de dépasser le lpgoV, elle devient pleinement lpgoV (511 b-c). Nous verrons comment Hegel et Bergson (quoique de façons différentes) commencent par relier le langage à la pensée dianoétique, puis la relativisent pour enfin rechercher un langage adéquat à la forme la plus accomplie de la pensée qui est intuitive chez Bergson et intellective chez Hegel.
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[23]
Bei dieser verständigen Betrachtung Gottes kommt es vornehmlich darauf an, welche Prädikate zu dem passen oder nicht passen, was wir uns Gott vorstellen. Der Gegensatz von Realität und Negation kommt hier als absolut vor ; daher bleibt für den Begriff, wie ihn der Verstand nimmt, am Ende nur die leere Abstraktion des unbestimmten Wesens, der reinen Realität oder Positivität, das tote Produkt der modernen Aufklärung... (W8, 103).
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[24]
C’est en ce sens que la Préface de la Phénoménologie de l’esprit conseille d’éviter l’usage du mot « Dieu » que la théologie d’entendement a fini par transformer en obstacle. Plus profondément, la Phénoménologie de l’esprit (23e alinéa de la Préface) comme l’Encyclopédie (§ 119, remarque, et § 169, remarque) emploient à propos du nom « Dieu » les expressions de bloe Name ou de leere Name ou même de sinnloser Laut. Nous verrons comment ce soupçon appelle, selon Hegel, une refonte du langage prédicatif qui fasse du sujet non plus un substrat fixe porteur de prédicats mais ce qui se fluidifie en passant dans ses prédicats.
« Aus diesem Grunde kann es z. B. dienlich sein den Namen : Gott zu vermeiden weil dies Wort nicht unmittelbar zugleich Begriff, sondern der eigentliche Name, die feste Ruhe des zum Grunde liegenden Subjekt ist » (W3, 62). -
[25]
Das Denken als Verstand bleibt bei der festen Bestimmtheit und der Unterschiedenheit derselben gegen andere stehen ; ein solches beschränktes Abstraktes gilt ihm als für sich bestehend und seiend.
-
[26]
Sur la force déterminante de l’entendement voir W3, 36 : « Die Tätigkeit des Scheidens ist die Kraft und Arbeit des Verstandes, der verwundersamsten und gröten oder vielmehr absoluten Macht. » Sur la vertu pratique de l’autolimitation voir W4, 263.
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[27]
« Ma personne à un moment donné, est-elle une ou multiple ? Si je la déclare une, des voix intérieures surgissent et protestent, celles des sensations, sentiments, représentations entre lesquelles mon individualité se partage. Mais si je la fais distinctement multiple, ma conscience s’insurge tout aussi fort ; elle affirme que mes sensations, mes sentiments, mes pensées sont des abstractions que j’opère sur moi-même, et que chacun de mes états implique tous les autres » (713-714).
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[28]
« L’intelligence vraie est ce qui nous fait pénétrer à l’intérieur de ce que nous étudions, en toucher le fond, en aspirer à nous l’esprit et en sentir palpiter l’âme » (Écrits et paroles, textes rassemblés par R. M. Mossé-Bastide, Paris, PUF, 1957-1959, p. 177).
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[29]
Nous avons vu (note précédente) comment Bergson peut parler d’une « intelligence vraie ».
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[30]
Souligné par nous.
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[31]
Il s’agit bien de l’wroV (la détermination, la borne) et non de l’uroV (une hauteur, une montagne).
-
[32]
Es ist aber weit schwerer, die festen Gedanken in Flüssigkeit zu bringen, als das sinnliche Dasein (W3, 37).
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[33]
Die Gedanken werden flüssig, indem das reine Denken diese innere Unmittelbarkeit, sich als Moment erkennt, oder indem die reine Gewissheit seiner selbst von sich abstrahiert ; – nicht sich weglässt, auf die Seite setzt, sondern das Fixe ihres Sichselbstsetzens aufgibt, sowohl das Fixe des reinen Konkreten, welches Ich selbst im Gegensatze gegen unterschiedenen Inhalt ist, als das Fixe von Unterschiedenen, die im Elemente des reinen Denkens gesetzt, an jener Unbedingtheit des Ich Anteil nehmen (W3, 37).
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[34]
Durch diese Bewegung werden die reinen Gedanken Begriffe (W3, 37).
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[35]
Je vertrauter ich mit der Bedeutung des Wortes werde, je mehr dieses sich also mit meiner Innerlichkeit vereint, desto mehr kann die Gegenständlichkeit und somit die Bestimmtheit der Bedeutung desselben verschwinden, desto mehr folglich das Gedächtnis selber, mit dem Worte zugleich, zu etwas Geistverlassenem werden (W10, 280).
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[36]
Cet exemple a plus une valeur « pédagogique » que démonstrative car il présuppose une homogénéité entre notes et signes qui ne va absolument pas de soi.
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[37]
Frédéric Worms, au début du commentaire de la conférence de Bergon d’avril 1912 (L’âme et le corps), décrit assez heureusement ce processus : « L’intuition ne désigne donc pas seulement, chez Bergson (comme chez la plupart des philosophes) le contact direct et immédiat avec un objet, qu’il soit sensible ou intellectuel, qu’il s’agisse de mon corps ou de la durée. Elle désigne surtout le développement réglé d’un tel contact, son approfondissement progressif » (Paris, Hatier, 1992, p. 17).
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[38]
Das Wahre [...] ist das Werden seiner selbst (W3, 23).
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[39]
Das Wahre ist das Ganze. Das Ganze aber ist nur das durch seine Entwicklung sich vollendende Wesen. Es ist von dem Absolut zu sagen, dass es wesentlich Resultat, dass er erst am Ende das ist, was es in Wahrheit ist ; und hierin eben besteht seine Natur, Wirkliches, Subjekt, oder Sichselbstwerden zu sein (W3, 24).
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[40]
W1, 373. Voir les remarques de Franck Fischbach jointes à sa traduction de L’esprit du christianisme et son destin, Paris, Presses Pocket, 1992, n. 152, p. 189.
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[41]
Es wird in einem Satze der Art mit dem Worte « Gott » angefangen. Dies für sich ist ein sinnloser Laut, ein blosser Name ; erst das Prädikat sagt, was er ist, ist seine Erfüllung und Bedeutung ; der leere Anfang wird nur in diesem Ende ein wirliches Wissen. [...] Das Subjekt ist als fester Punkt angenommen, an den als ihren Halt die Prädikate geheftet sind, durch eine Bewegung, die dem von ihm Wissenden angehört und die auch nicht dafür angesehen wird (W3, 26-27).
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[42]
Anders verhält es sich im begreifenden Denken. Indem der Begriff das eigene Selbst des Gegenstande ist, das sich als sein Werden darstellt, ist es nicht ein ruhendes Subjekt, das unbewegt die Akzidenzen trägt, sondern der sich bewegende und seine Bestimmungen in sich zurücknehmende Begriff (W3, 57).
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[43]
Il est intéressant de constater que, dans la Préface de la Phénoménologie de l’esprit, la référence au système comme cela seul qui garantit « l’effectivité » du discours intervient immédiatement après la première esquisse de théorisation de la proposition spéculative (al. 23, puis al. 24, W3, 26-27).
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[44]
Chez Plotin le logos intelligible est la vie la plus haute dont toutes les autres formes de vie ne sont que les images affaiblies. Le trentième traité (En. III, 8, 8) identifie ainsi l’intelligence première et la vie première (kaa pr°th zwQ kaa pr²toV no¢V ejV). Le dixième traité (En. V, 1, 3) relie vie et logos et fait du logos de l’intelligence ce qui émet la vie et fait subsister les êtres : « Car bien qu’elle [l’Âme] soit telle que l’a montrée notre discours, elle est une image de l’intelligence ; comme la parole exprimée est l’image du logos intérieur à l’âme, ainsi elle est le logos de l’Intelligence et l’activité selon laquelle l’Intelligence émet la vie pour faire subsister les autres êtres » (kaBper g1r yusa crRma ojon Gdeixen t lpgoV, eck°n tBV Csti no¢ ò ojon lpgoV t Cn profor lpgou to¢ Cn yucÌ, o§tw toi kaa a£tQ lpgoV no¢ kaB T p2sa CCCCCn@ rgeiakaq Xn proletai zwQn ecV 5llou ¤ppstasin).
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[45]
Du logos, le Prologue de saint Jean dit qu’il est la vie, le vivant de tout vivant. En 3rcÌ Yn t lpgoV... p0nta dia£to¢ CCCCCg@ neto,kaa cwraV a£to¢ CCCCCg@ netoo£de Gn. x gAgonen Cn a£tÈ zwQ Yn, kaa T zwQ Yn tp f²V t²n 3nqr²pwn.
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[46]
Bergson, aux yeux d’un hégélien, conserve la particularité de la proposition classique : voir dans les seuls efforts du sujet fini le moteur du discours.
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[47]
Pour quelques précisions sur ce thème, voir mon Hegel. L’épreuve de la contingence, Paris, Aubier, 1999, section 10, § 2, p. 339 et sq.