Notes
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ndlr. Le décret a, depuis le Forum, été publié le 24 octobre 2007 : Décret n° 2007-1527 ; Légipresse n° 246-IV, p. 33 et commentaire Louvier et Hovine. Voir également la Tribune de B. Ader, Légipresse n° 247-I, p. 165.
1 « N’ayez pas peur ! »
2 Le droit de la presse, en particulier la loi de 1881, constitue, pour celui qui intente des poursuites, un écheveau de complications et de chausse-trappes – qu’il ne saurait question ici de rappeler par le menu. À ces complications, s’en ajoutent pour celui qui veut poursuivre la publication de propos sur l’Internet d’autres, liées aux difficultés essentiellement probatoires et d’identification des responsables, qui pourraient amener le plaideur à renoncer, laissant une forme d’impunité s’installer (et plus grave laisser un sentiment d’impunité se propager auprès des internautes dont on sait qu’ils constituent à présent des publicateurs et éditeurs les plus nombreux !). Cette course d’obstacles ne doit pas faire peur à de bons professionnels.
3 Voilà comment je vois les moyens de franchir ces obstacles. Je me place dans la situation de quelqu’un qui ne voudrait pas laisser sans réponse des mises en cause fautives à sa personne au regard des différentes incriminations du droit de la presse (diffamation, injure, atteinte aux droits de la personnalité, atteinte à la présomption d’innocence, etc.).
1. La surveillance
4 Cette surveillance s’exerce sur l’espace public du web. De la même manière qu’il est possible pour les médias traditionnels de surveiller ce qui paraît en kiosque, également ce qui se dit sur les ondes (il y a pour cela des organismes qui proposent des veilles comme la Voix de Médias), ce n’est pas plus compliqué sur le web. Les moteurs de recherche sont très efficaces (Google, Yahoo, MSN ; Google Blog, Technorati, Wekio). Vous avez ainsi la possibilité de faire une recherche avancée, ciblée dans le temps ou sur des thèmes.
2. Le constat
5 Lorsqu’on détecte un message litigieux, il faut immédiatement faire dresser un constat. La simple impression de la page web sur une imprimante est insuffisante pour contrecarrer la contestation qui pourrait subvenir ensuite sur l’existence effective de la diffusion de la page. Il vaut mieux s’adresser à l’Agence de protection des programmes (APP) ou à un huissier de justice territorialement compétent, et faire dresser le constat dans le ressort du tribunal qu’on envisagerait de saisir. Il faut veiller à une parfaite neutralité de l’huissier, lequel doit vider les pages caches du navigateur de son ordinateur (pour qu’il n’y ait pas de cookies, de fichier temporaire, ni de conservation de l’historique des pages caches) pour éviter tout risque de contestation de son constat.
3. La mise en œuvre des poursuites : quand ?
6 C’est la question de la prescription. Dès lors que la faute dont on se plaint serait constitutive d’un délit de presse, il faut veiller à la prescription trimestrielle (annuelle pour les infractions racistes). Le délit est instantané et c’est donc le premier jour de mise en ligne qui fait courir le délai de trois mois. Je rappelle toutefois que dans l’hypothèse où une exception de prescription serait soulevée, c’est à celui qui excipe de la prescription de prouver que la mise en ligne était antérieure de trois mois à l’engagement des poursuites. Si les sites font le plus souvent apparaître la dernière date de mise à jour, qui pourrait être considérée comme l’acte d’édition du point de départ, encore faut-il que cette mise à jour concerne la page en question, et non pas une mise à jour d’autres rubriques du site, comme l’a jugé récemment la Cour de cassation (arrêt Fabrice Robert, de la chambre criminelle du 19 septembre 2006).
7 On peut aussi interroger l’hébergeur. Des réquisitions judiciaires peuvent en effet être faites à la société d’hébergement, laquelle doit conserver ses données. Cela permet notamment d’avoir des précisions sur la date effective du premier jour de publication faisant courir le délai de trois mois.
4. Contre qui ? : l’identification
8 C’est la question essentielle qu’a tenté de régler le législateur et que vient d’aborder Monsieur le Professeur Emmanuel Dreyer, à l’aune du dispositif mis en place par la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004, qui emprunte au système de la cascade de la loi de 1881 tout en instituant un système de responsabilité « allégée », avec des fautes autonomes pour les prestataires techniques.
9 En pratique, comment cela se passe-t-il pour le plaideur qui veut identifier le responsable et être sûr de pouvoir le toucher, non pas de manière virtuelle par des envois d’e-mails, mais par la délivrance d’un acte extrajudiciaire invitant le défendeur à comparaître devant une juridiction ?
10 Il est compliqué pour celui qui n’est pas technicien (et qui notamment ne manie pas parfaitement le logiciel Who’is) de savoir qui est qui. Il faut alors faire appel aux juges – qu’il s’agisse du juge des référés ou du juge des requêtes en matière civile, ou au juge d’instruction qu’on saisit sur plainte avec constitution de partie civile – pour que, fort des pouvoirs qui leur sont dévolus, ils puissent, à l’aide des brigades spécialisées, le cas échéant, obtenir, sur réquisitions judiciaires, de la part de la société d’hébergement les coordonnées de l’éditeur du site.
11 Lorsqu’il s’agit de propos anonymes diffusés notamment dans le cadre d’un forum, l’enquête de police préalable est indispensable, car elle seule permet d’obtenir l’adresse IP (Internet protocole) de la part de l’hébergeur du site, puis de s’adresser ensuite au fournisseur d’accès auprès duquel cette IP est enregistrée, et remontrer ainsi jusqu’à l’auteur du message, en lui demandant de remettre les coordonnées du titulaire de l’abonnement d’accès à Internet (en espérant que ces intermédiaires soient des sociétés françaises et, surtout, que l’auteur effectif du message soit bien le titulaire de l’abonnement – ce qui n’est pas toujours le cas depuis la multiplication des installations des bornes wifi…)
5. Comment agir ?
12 On peut, tout d’abord, réagir par l’exercice d’un droit de réponse. Le législateur a emprunté le mécanisme déjà connu dans la loi de 1881. La loi pour la confiance dans l’économie numérique prévoit à son article 6 IV la possibilité d’exercer un droit de réponse contre les éditeurs de sites professionnels en s’adressant au directeur de la publication, lequel doit se faire connaître dans « l’ours électronique » accessible depuis la page d’accueil du site. Lorsque le site est anonyme, ce qui est autorisé pour les sites non professionnels, le droit de réponse peut, en vertu dudit texte, être adressé à l’hébergeur qui a l’obligation alors de le transmettre à « l’amateur ».
13 Le décret d’application prévu par la loi n’est toujours pas adopté (même si un projet circulait avant l’été [*]).
14 La loi prévoit également dans son principe, sans en dire plus, le droit de demander des « corrections ou des suppressions » de messages. Mais rien n’est dit s’il s’agit de droit autonome, ou quelles seraient, comme cela se pratique par ailleurs, les conséquences éventuelles dans la commission d’infractions.
15 Ensuite, la notification de contenu illicite. Le plaignant peut également faire une notification de contenu illicite à la société d’hébergement, laquelle est alors obligée, si le caractère illicite du message est « manifeste », à « agir promptement pour retirer les données ou en rendre l’accès impossible ». Cette notification est prévue à l’article 6-5 de la loi pour la confiance dans l’économique numérique, elle emporte présomption de la part de la société d’hébergement de la « connaissance » du caractère illicite des informations. (Il faut notifier à l’hébergeur les éléments suivants : la date de la notification, si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénom, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui le représente également, le nom et domicile du destinataire ou s’il s’agit d’une personne morale sa dénomination et le siège social, la description des faits litigieux, leur localisation précise, les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications des faits). Cette notification peut avoir des conséquences dommageables car l’éditeur qui, pourtant, a la maîtrise du contenu au sens de la loi de 1881, n’est plus maître de celui-ci et peut voir sa publication en réalité censurée.
16 On peut en conclure que l’utilisation de la procédure directement à l’encontre des intermédiaires techniques, qui prive l’éditeur de la possibilité de se défendre, fait la démonstration que l’anonymat n’est en définitive pas nécessairement la meilleure protection de la liberté d’expression, puisque les dispositions les plus graves, en l’occurrence la suppression pure et simple du message, peuvent être prises à son encontre, et à son insu ! Sur la question de la nature de la responsabilité de l’hébergeur, la loi est assez floue, sachant que l’hébergeur n’a plus la responsabilité du producteur au terme de l’article 93-3.
17 Quelle responsabilité emporte pour un hébergeur le fait de laisser en ligne les propos litigieux après avoir été mis en demeure – notamment aux termes d’une notification de contenu illicite ? Est-ce une infraction autonome ; ou est-il auteur principal de l’infraction, voire co-auteur ? La cour d’appel de Paris a jugé que le responsable d’un forum devait être considéré comme un hébergeur au sens de ce texte. Il faut donc, lorsque la modération est faite a posteriori, considérer qu’il ne peut-être éventuellement tenu pour responsable du maintien sur son site de propos que lorsqu’il n’a pas déféré à une telle notification. Est-ce à dire que l’éditeur d’un site ne peut être tenu pour responsable des propos diffusés sur un forum sans contrôle préalable ? Est ce que la modération a posteriori entraîne une complicité de droit commun ? La complicité n’impose-t-elle pas un acte préalable à la commission d’infraction, s’agissant d’une infraction instantanée ? Autant de questions que le juge sera sans doute amené à trancher.
18 Enfin, la saisine du juge. Outre ces moyens qui peuvent être exercés directement par les intéressés, le plaignant a enfin la possibilité de saisir le juge, en particulier le juge d’instruction, saisi sur plainte avec constitution de partie civile avec mission d’identifier les responsables (en veillant notamment au respect des formes prévues à l’article 50 de la loi de 1881) ; le juge des référés, saisi suivant la procédure particulière posée par la loi LCEN (article 8) pour faire cesser un dommage ou prévenir celui-ci, dans les conditions déjà connues de l’article 809 alinéa 2 du NCPC.
Conclusion
19 Gageons que la jurisprudence viendra utilement compléter, voire éclairer les nouvelles dispositions légales propres à la mise en œuvre du procès de presse à raison de publications sur l’Internet, notamment imputables à « des amateurs ». La loi de 1881, dont l’application n’avait alors été imaginée que contre la presse écrite, s’est toujours adaptée aux autres moyens de communication (cinéma, radio, puis télévision). Espérons aussi que l’extranéité de certains des intervenants techniques ne rende pas ces lois inapplicables, un diffamateur d’habitude pouvant avoir la tentation de se domicilier dans certains « paradis informatiques »…
20 B.A.
Notes
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ndlr. Le décret a, depuis le Forum, été publié le 24 octobre 2007 : Décret n° 2007-1527 ; Légipresse n° 246-IV, p. 33 et commentaire Louvier et Hovine. Voir également la Tribune de B. Ader, Légipresse n° 247-I, p. 165.