1 La presse a le sentiment d’avoir été déjà condamnée sans avoir été entendue et j’espère que la présomption d’innocence va pouvoir jouer en faveur des journalistes.
2 Le temps judiciaire ne fonctionne pas sur le même rythme que le temps médiatique. C’est inhérent aux deux fonctions et cette différence de rythme est nécessaire. Imaginons une société où il faille attendre que toute personne soit définitivement condamnée pour que l’on puisse évoquer un dossier. Viens le temps de l’enquête policière, celui de l’instruction, puis celui du premier procès et éventuellement du second. Qu’en serait-il si, pour ne pas dévoiler le moindre secret ou ne pas interférer dans l’enquête judiciaire, les journalistes se taisaient et ne rendaient compte des jugements qu’au moment où ils deviendraient définitifs ? Il faut établir des distinctions au sein même de la justice et de la presse. Il existe des médias différents qui fonctionnent avec des impératifs également différents. A France Info nous n’avons pas la même façon de travailler qu’au Point ou à l’Express qui sont des hebdomadaires. De même, le temps de l’avocat est-il toujours le même que celui du procureur ? Depuis quelques années le temps s’accélère. Il y a quinze ans, il n’y avait ni téléphone portable, ni Internet, ni chaîne d’informations en continu. Les nouveaux moyens de communication et de diffusion de l’information ont profondément transformé nos comportements. Dans le couloir d’une galerie d’instruction, le fait d’avoir un téléphone portable modifie tout. Les quelques minutes qui interviennent à ce moment-là jouent beaucoup dans la pratique journalistique.
3 Trois autres remarques également.
4 La première pour revenir sur l’exemple d’AZF. Les journalistes ont parfois la possibilité de se transformer en apprentis sorciers et d’évoquer des choses avant même qu’elles n’aient eu lieu. Ce n’est un secret pour personne que nous soyons prévenus de perquisitions parfois 48 heures à l’avance. Si nous faisions état de ces informations, nous pourrions changer le cours de l’histoire. Tous les jours parviennent dans toutes les rédactions des informations de ce type et les dérives sont relativement limitées. Dans le cas d’AZF, la situation était un peu particulière puisque le directeur de la Police nationale avait fait le tour des rédactions au courant pour demander aux journalistes de ne pas diffuser pas l’information. Toutes les rédactions ont dit oui, sauf La Dépêche du Midi. Neuf rédactions sur dix étaient d’accord pour jouer le jeu.
5 Deuxième remarque sur la notion des temps médiatique et judiciaire. Le temps réel du direct est un peu celui du procès puisque l’audience est publique. Je suis favorable à ce que les débats soient publics et je ne verrais pas d’inconvénient à ce qu’ils le soient totalement et puissent être retransmis en direct. La chancellerie réfléchit actuellement à ce sujet et une grande commission va être mise en place.
6 Je terminerai sur “l’illusion du direct”. Les informations que nous donnons sur des instructions en cours sont souvent décalées. Les PV nous parviennent avec un léger décalage et, au moment où nous diffusons les informations, celles-ci sont parfois déjà dépassées. Pendant l’affaire Allègre, on a beaucoup dit que l’intervention télévisée de Dominique Baudis avait agité les médias et qu’à partir de ce moment-là, les gendarmes et les magistrats n’avaient pas pu travailler dans la sérénité nécessaire. Cette analyse est inexacte. Il y a eu un décalage considérable entre les premières investigations et les révélations des prostituées et le moment où elles ont été publiées. Les premières accusations ont eu lieu en janvier et Dominique Baudis est intervenu le 18 mai. Durant deux mois et demi les gendarmes et les magistrats ont pu travailler et faire une partie des vérifications nécessaires. D’ailleurs le 14 mai, soit quatre jours avant que Dominique Baudis ne s’exprime, un deuxième rapport de synthèse des enquêteurs expliquait que la plupart des accusations étaient sujettes à caution. Le décalage a été complet : la presse s’est emparée de l’affaire au moment où les enquêteurs considéraient que l’accusation ne tenait plus.