LEGICOM 2004/2 N° 31

Couverture de LEGI_031

Article de revue

Marchés publics et culture

Pages 65 à 82

Notes

  • [1]
    V. J.-M. Pontier, J.-C. Ricci, J. Bourdon, Droit de la culture, Dalloz, 2e éd. 1998.
  • [2]
    Et l’on peut, sans trop de risques, se prononcer pour le pluriel plutôt que pour le singulier. C’est la diversité des cultures qui produit sans doute une civilisation, et la société française illustre assez bien ce cas de figure.
  • [3]
    Il s’agit, on le rappelle, d’une expression de J. Rigaud, qui a été également le titre d’un ouvrage dans lequel l’auteur définit le rôle, indispensable à ses yeux, de cette culture.
  • [4]
    C’est ce qu’implique la formule constitutionnelle du Préambule de 1946 que l’on résume par « droit à la culture ». Il faut cependant être très prudent dans l’interprétation de cette formule et, sur le plan juridique, il ne paraît pas évident d’en tirer des droits précis susceptibles de sanctions.
  • [5]
    V., sur les subventions, l’ouvrage classique, et qui présente toujours un intérêt, de J. Boulouis, Essai sur la politique des subventions administratives, Cahiers de la FNSP n° 21, A. Colin 1951. V. également J. Cathelineau, Le contrôle des finances communales en France, thèse Droit Bordeaux 1962, LGDJ 1963.
  • [6]
    Les subventions de l’État ont été transformées, à partir de 1982, en dotations, qui présentent (normalement) le caractère d’être globalisées. Mais les subventions spécifiques, si elles n’ont plus l’importance qu’elles ont pu avoir, n’ont pas disparu.
  • [7]
    Circulaire du 7 janvier 2004 portant manuel d’application du code des marchés publics, JO, 8 janv. 2004, p. 37031. Cette circulaire prend la suite de la circulaire du 28 août 2001, qui est abrogée.
  • [8]
    Il s’agit d’un nouvel article du CGCT introduit, logiquement, dans la première partie de celui-ci, dans son livre quatrième, intitulé « Services publics locaux » et son titre premier « Principes généraux », à l’article L. 1411-1.
  • [9]
    F. Linditch, « Le nouveau droit des marchés publics de la culture », AJDA mars 2002, p. 210 et s., p. 212.
  • [10]
    V. par ex. CE 8 janvier 1993, Syndicat intercommunal “Opéra du Rhin” c/ M. Serge Marti-Noguère, req. n° 102.345 ; CE 13 octobre 1997, M. Gardi, req. n° 161957 ; CE 8 avril 1998, M. Izzo, req. n° 161959.
  • [11]
    F. Linditch, « Le nouveau droit des marchés publics »., op. cit.
  • [12]
    Article 3, 1° du code qui ajoute une condition, que ce cocontractant applique, pour répondre à ses besoins propres, les règles de passation des marchés.
  • [13]
    Le code reprend une solution dégagée par le juge administratif dans sa décision, CE 8 décembre 1995, Préfet de Haute-Corse c/ Ville de Bastia, Rec. p. 435.
  • [14]
    Le problème est différent pour les œuvres architecturales à réaliser. En ce domaine, en revanche, on ne peut que souhaiter des concours, ouverts le plus possible et, notamment, aux architectes autres que français. C’est la solution qui est consacrée depuis de nombreuses années.
  • [15]
    V. notamment sur ce point O. Hache, « Les marchés publics dans le secteur culturel », in Modes de gestion des équipements culturels, sous la dir. de E. Baron et M. Ferrier-Barbut, PUG, 2003, p. 175 et s.
  • [16]
    Cela s’explique par les finalités et les procédures différentes pour ces deux types de fonds. Les FRAM ont pour but principal l’acquisition d’œuvres majeures dont le coût peut dépasser, dans certains cas, les enveloppes financières disponibles localement. Les achats impliquent une intervention active des autorités de l’État, ce qui constitue normalement une garantie.
  • [17]
    V. la jurisprudence CE 30 mai 1975, Sté d’équipement de la région montpelliéraine et TC 7 juillet 1975, Commune d’Agde.
  • [18]
    Ce qualificatif premier n’a pas de signification chronologique. Historiquement, la revendication du 1 % pour le budget de l’État est apparue sous la Cinquième République, bien après que le 1 % qui nous intéresse ait été institué. Mais on le qualifie ici de premier en raison de l’écho médiatique que cette revendication a toujours rencontré.
  • [19]
    La portée symbolique n’exclut pas les effets bien réels : compte tenu de l’importance du budget de l’État à notre époque, il n’est pas du tout négligeable que le budget de la culture passe de 0,6 ou 0,7 à 1 %, cela se traduit, pour le ministère de la Culture, par des différences de dotation considérables.
  • [20]
    L’un des exemples les plus caractéristiques est celui de l’architecture, que se disputent régulièrement le ministère de la Culture et le ministère de l’Équipement. Selon les gouvernements, l’architecture est rattachée, tantôt à l’un, tantôt à l’autre, ce qui modifie automatiquement le montant du budget du ministère concerné, sans que les crédits, eux, soient augmentés.
  • [21]
    Il convient d’observer que les lois relatives à la répartition de compétences entre l’État et les collectivités territoriales, et notamment la loi du 22 juillet 1983, ne sont pas codifiées, car le code général des collectivités territoriales, malgré son appellation de général ne l’est pas, étant un code de structures et non de compétences. Ceci étant, certaines dispositions de la loi, notamment celle dont il est question, ont été codifiées.
  • [22]
    Il s’agit de l’article L. 1616-1du CGCT, qui dispose : « Les communes, les départements et les régions doivent consacrer 1 % du montant de l’investissement à l’insertion d’œuvres d’art dans toutes les constructions qui faisaient l’objet, au 23 juillet 1983, date de publication de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements les régions et l’État, de la même obligation à la charge de l’État. »
  • [23]
    Cet article L. 112-2 énumère les œuvres devant être considérées comme des œuvres de l’esprit au sens du code. Dans les quatorze rubriques figurant dans cette liste, quatre sont susceptibles d’entrer dans le cadre du 1 % : le 7° sur « les œuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie », le 9° sur « les œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie », le 10° sur « les œuvres des arts appliqués », le 12° sur « les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture et aux sciences ».
  • [24]
    Signalons qu’il en va également ainsi pour les opérations immobilières situées hors du cadre national, ce qui n’est pas négligeable si l’on songe aux ambassades, consulats, centres culturels et autres établissements situés hors du territoire national.
  • [25]
    Cette commission nationale est un organisme naturellement plus lourd que les comités locaux et commissions régionales. Elle est coprésidée par le ministre chargé de la culture et le ministre dont relève l’opération immobilière. Elle comprend des membres de droit et des personnalités nommées.
  • [26]
    S. Braconnier, Le nouveau code des marchés publics, Jurisclasseur Contrats et marchés publics, fasc. 1, Actualité, 8-2004, n° 4.
  • [27]
    Directive 2004/18/CE relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services dite “secteurs classiques”. Il faut y ajouter la directive 2004/17/CE portant coordination des procédures de passation des marchés dans le secteur de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux dite “secteurs spéciaux”, qui ne nous intéresse pas ici.
  • [28]
    Common Procurement Vocabular, qui a pris la succession de la nomenclature CPC.
  • [29]
    Règlement portant modification du règlement CE n° 2195/02 du Parlement européen et du Conseil relatif au vocabulaire commun pour les marchés publics (CPV), JOUE 17 déc. 2003, I 329/1.

1 LA CULTURE EST PRÉSENTE dans toute société mais, dans la nôtre, elle y prend des formes de plus en plus diversifiées et connaît des déclinaisons autrefois inconnues. Le droit a toujours été imprégné de culture, il se présente comme un révélateur de culture mais aujourd’hui, au surplus, il existe un véritable droit de la culture, dont l’existence n’est plus guère contestée  [1]. Il n’est pas incongru, dans ces conditions, de s’interroger sur les relations qu’elle entretient avec des domaines qui lui sont a priori tout à fait étrangers et, parmi eux, celui du droit des marchés publics. Et ce rapprochement entre culture et marchés publics, non seulement n’est pas étrange, mais va apparaître comme inéluctable. Il ne paraît pas nécessaire, dans une telle étude, de définir, même de manière approximative, la culture. Outre que toute tentative de définition de la culture est critiquable, limitée, orientée, elle n’est pas indispensable pour analyser les rapports que l’on peut déceler et analyser entre la culture et les marchés publics. On admettra seulement, ce qui n’engage guère, et sans en apporter la démonstration, que dans toute société il existe une ou des cultures  [2], que ces cultures donnent lieu à des représentations collectives elles-mêmes source de rapports de divers ordres parmi lesquels figurent des rapports de droit. Il faut admettre, simultanément, que les cultures passent par des expressions juridiques que l’on ne peut écarter.

2 Cependant, a priori, tout oppose la culture et les marchés publics. Quelle que soit la définition que l’on adopte de la culture, celle-ci est un ensemble de représentations, une composante de la société. Les marchés publics sont seulement une technique, parmi d’autres, applicable à certaines relations de l’administration, en particulier avec des fournisseurs. Le marché public a pour objet la livraison de produits ou l’accomplissement de services ou de travaux. Par ailleurs, pour ceux qui parlent de « libre culture »  [3], celle qui donne sens à une société, l’invocation des marchés publics peut n’avoir aucun sens. Les marchés publics évoquent plutôt une réglementation extrêmement précise, voire tatillonne, destinée à faire respecter un principe de base, celui d’une mise en concurrence égalitaire des candidats potentiels au marché.

3 Malgré cela, la rencontre de la culture et des marchés publics n’a rien de fortuit, elle est beaucoup moins fortuite que celle, célèbre, de Lautréamont, d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection. Cette rencontre se produit sous forme d’une interrogation : dans quelle mesure le “culturel” peut-il être appréhendé, saisi, par les règles applicables aux marchés publics ?

4 Une première réponse vient immédiatement à l’esprit : la culture relève de l’échange, elle n’existe que par et pour des êtres en relation, elle n’existe pas en soi. Et cet échange peut certes relever de la gratuité, mais il peut également être marchand. Ce second aspect est plus fréquent que le premier et, d’ailleurs, il y a bien un marché de la culture, dont fait partie le marché de l’art, devenu hautement spéculatif.

5 Mais les facteurs de rencontre sont plus divers et plus profonds que ce seul marché, qui n’entre pas dans les marchés publics. La « culture pour tous », qui n’est pas seulement une affirmation politique mais qui est également une exigence juridique  [4], relève de plus en plus des pouvoirs publics, nationaux et locaux, elle fait partie des politiques publiques, elle suppose en conséquence des engagements financiers. Pourquoi, dès lors, de tels engagements échapperaient-ils aux règles applicables aux autres activités de la puissance publique et édictées en vue de garantir le bon usage des deniers publics et, plus généralement, de préserver l’intérêt général ?

6 Par ailleurs, nous ne sommes plus au temps où l’art et la culture dépendaient largement de mécènes, peu nombreux d’ailleurs, et qui étaient aussi fastueux dans leurs demandes qu’excentriques par leurs excès. Les mécènes sont toujours présents mais, au moins dans un pays tel que le nôtre, ce ne sont pas eux qui déterminent les orientations artistiques et culturelles par les commandes passées. Les pouvoirs publics ont pris le relais. Mais quelles que soient, et leur bonne volonté supposée et leur action en faveur d’activités culturelles les plus diverses, les moyens financiers, quelque étendus qu’ils puissent (à tort) paraître, sont limités, ce qui implique de respecter des procédures rigoureuses dans l’utilisation des deniers publics.

7 Ce respect des procédures est également imposé par un principe fondamental, non seulement de notre droit, mais du fonctionnement de l’État, le principe d’égalité. Ce principe vaut dans le domaine de la culture comme dans les autres domaines. En même temps, on perçoit immédiatement la difficulté : comment préférer un peintre, un architecte, un musicien, un metteur en scène, à un autre ? Comment apprécier un projet artistique ou culturel ? Les solutions actuellement en vigueur consistent à écarter, logiquement, certains contrats des marchés publics et prendre en considération, mais de manière limitée et prudente, une certaine spécificité culturelle.

I - LES CONTRATS DES COLLECTIVITÉS PUBLIQUES EXCLUS DE LA CATÉGORIE DES MARCHÉS PUBLICS

8 Le régime des marchés publics ne prend sens, dans le domaine culturel, que parce que certains contrats qui y sont relatifs n’y sont précisément pas soumis, les exclusions s’expliquant par différents facteurs.

A. La différenciation des marchés publics d'autres contrats relatifs à la culture

9 Tous les contrats conclus par une collectivité publique ne sont pas des marchés publics. A fortiori en est-il de même pour certains contrats portant sur la matière culturelle. Les facteurs permettant d’écarter la qualification de marché public tiennent, soit au mode d’intervention de la personne publique, soit à la nature du contractant.

1. La différenciation portant sur le mode d’intervention

10 Une personne publique, notamment, territoriale, dispose de toute une gamme de possibilités d’intervention. Les marchés publics, plus nombreux qu’auparavant en raison de l’extension de la qualification, ne sont cependant pas le premier mode d’intervention de ces personnes, ni, sans doute, le plus “naturel”. Deux modes d’intervention doivent être distingués des marchés publics.

a. Les marchés publics et les subventions

11 Il peut paraître étrange, à première vue, que l’on ait à s’expliquer sur la différence entre subventions et marchés publics, tant ces procédés paraissent être peu réductibles l’un à l’autre.

12 Une subvention est, au sens large du terme, une aide financière attribuée par une personne morale à une autre personne morale ou à une personne physique  [5]. La subvention a le caractère d’un acte unilatéral. Dès lors qu’elle est attribuée par une personne publique, ce qui est le seul cas qui nous intéresse ici, elle n’est légale que si est justifiée par un but d’intérêt général, comme tout ce qui est financé sur des fonds publics. Les subventions des personnes publiques sont représentées principalement par les subventions de l’État aux collectivités territoriales, d’une part  [6], par les subventions des collectivités publiques, notamment des collectivités territoriales, à des personnes privées, celles-ci étant représentées plus particulièrement par des associations. C’est dans ce dernier cadre qu’il convient de placer les subventions en matière culturelle.

13 Les marchés publics font partie des contrats administratifs, ce qui devrait suffire à les distinguer radicalement des subventions. Ces contrats sont soumis à un régime juridique particulier, dont les exigences ont eu tendance à s’accroître au fil du temps, sous l’influence, en particulier, du droit communautaire. Ce régime concerne aussi bien la passation du contrat, avec une évolution considérable des règles relatives à la mise en concurrence, que l’exécution du contrat placée, en droit administratif, sous le signe de droits comme d’obligations exorbitants. Cependant, la distinction entre ces deux modes d’intervention est considérablement affaiblie par les facteurs suivants. Tout d’abord, la subvention est souvent accompagnée d’une convention, conclue entre la collectivité et le bénéficiaire de la subvention, sur l’utilisation de celle-ci. Et cette convention, autrefois rare, est devenue, à la fois, de plus en plus fréquente et de plus en plus précise, la collectivité voulant connaître l’usage des fonds qu’elle a accordés. Ensuite, et inversement, spécialement dans le domaine culturel, des “contrats” sont conclus entre l’État (principalement, mais ce pourrait être également une collectivité territoriale) et une compagnie artistique ou théâtrale, mais l’on peut éprouver de sérieux doutes sur la nature de “contrats” des accords ainsi conclus : les contrats de décentralisation dramatique, lyrique, théâtrale, etc., ne sont pas de véritables contrats administratifs. Les frontières deviennent ainsi particulièrement indistinctes, et l’on aurait plutôt le sentiment que les subventions, ou certaines d’entre elles, pourraient être absorbées par le régime des marchés publics.

14 Existe-t-il, alors, un moyen de différencier juridiquement la subvention du marché public ? Une circulaire du 7 janvier 2004  [7] énonce deux critères qui, sans être toujours déterminants, constituent une indication. En premier lieu, « c’est le fait de répondre à un besoin exprimé par l’administration qui permet de différencier les marchés publics des conventions qui accompagnent, par exemple, certaines décisions d’octroi de subventions ». Ce critère, que l’on va retrouver ultérieurement, est complété par un second, celui de l’initiative : « Il s’agira d’une subvention si l’initiative du projet vient de l’organisme bénéficiaire et si aucune contrepartie directe n’est attendue par la personne publique du versement de la contribution financière. Dans le cas contraire, il s’agira d’un marché public. La notion d’initiative implique non seulement l’impulsion du projet mais aussi sa conception et sa définition. »

b. Les marchés publics et les délégations de service public culturel

15 On a beaucoup écrit sur la délégation de service public, mais pour une raison simple, tenant à l’imprécision de la notion jusqu’à ce qu’elle soit, en partie, définie par le législateur. La délégation de service public relève de la gestion déléguée, connue et pratiquée depuis bien longtemps. Mais sa spécificité a fait l’objet de nombreux débats. C’est à la jurisprudence qu’il est d’abord revenu, dans ces conditions, de dire si l’on se trouvait ou non dans le cadre d’une délégation de service public. Une étape importante est représentée par la décision du Conseil d’État du 15 avril 1996, Préfet des Bouches-du-Rhône c/ Commune de Lambesc dans laquelle le juge estime que pour qu’il y ait délégation il faut que le délégataire soit « substantiellement rémunéré par les résultats de l’exploitation du service ». Qu’entendre alors par rémunération substantielle ? Le juge a répondu à cette question en fixant, dans sa décision du 15 avril 1999 SMITOM le seuil à partir duquel les résultats de l’exploitation pouvaient être considérés comme substantiels à 30 % des recettes perçues.

16 La loi du 11 décembre 2001 dite loi “MURCEF” a introduit dans la loi du 29 janvier 1993 dite loi “Sapin” une définition de la délégation de service public s’inspirant largement de la jurisprudence précitée : est une délégation de service public « un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé dont la rémunération est substantiellement liée au résultat de l’exploitation du service. Le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d’acquérir des biens nécessaires au service. » Cette disposition a été insérée dans le code général des collectivités territoriales, principalement concernées  [8].

17 Il découle des considérations qui précèdent deux conséquences, l’une qui vaut pour tous les contrats susceptibles d’être conclus par une collectivité publique, l’autre qui s’applique spécialement à certaines activités culturelles. D’une part, en effet, le critère de rattachement d’un contrat à la catégorie marchés publics ou à la catégorie délégation de services publics n’est pas relatif à l’objet du contrat, ni à ses modalités, mais à la rémunération par les résultats de l’exploitation. Si cette rémunération est substantielle, on se trouve dans une délégation de services publics, dans le cas contraire il s’agit d’un marché public. Donc, une même activité culturelle pourra, selon les cas, être tantôt une délégation de services publics, tantôt un marché public. Mais, d’autre part, et même si cela ne vaut pas pour toutes, il est assez évident que la plupart des activités culturelles ne parviennent pas, pour leur résultat d’exploitation, à ces 30 %. Et même si la jurisprudence se montre compréhensive à l’égard des activités culturelles en admettant un seuil très inférieur à ce pourcentage, dans de nombreux cas les contrats concernant ces manifestations seront des marchés publics. Ainsi que l’écrit F. Linditch : « Tel pourrait être le cas d’une manifestation (théâtre, concert, festival, exposition) fortement déficitaire et, par voie de conséquence, refinancée automatiquement par la collectivité de rattachement, un tel montage conduisant à faire disparaître tout aléa financier pour ses organisateurs. »  [9]

2. Les différenciations tenant à la nature du cocontractant de la collectivité

18 La culture n’existe pas sans les artistes. Il paraîtrait étrange, voire inconvenant, que l’on puisse recruter des artistes par voie de marchés publics. Mais l’étrangeté est sans doute moindre qu’elle ne paraît.

a. Les règles de recrutement des artistes

19 Les collectivités publiques peuvent recruter des artistes pour exercer des fonctions dans les institutions culturelles qu’elles ont créées. Les postes pour lesquels a lieu un recrutement peuvent être pourvus de deux manières. Le mode de recrutement “naturel”, pour une collectivité territoriale, est celui du concours, les personnes recrutées faisant partie de la fonction publique territoriale. Et l’on sait combien fut difficile la mise en place de ce que l’on appelle la filière culturelle de la fonction publique territoriale. Donc un certain nombre d’artistes sont recrutés par cette voie. Mais celle-ci ne peut à l’évidence permettre de satisfaire tous les besoins en ce domaine. D’une part, il ne serait pas possible d’intégrer tous les artistes auxquels une collectivité a recours dans la fonction publique territoriale, d’autant que les besoins ne sont pas permanents. D’autre part, la nature des fonctions exercées appelle dans certains cas le contrat beaucoup plus que le statut.

20 Les artistes qui exécutent des œuvres sont recrutés, la plupart du temps, par contrat. Deux types de contrats peuvent se présenter, les contrats de droit public et les contrats de droit privé. A priori il peut paraître étrange que des artistes soient recrutés, tantôt sous un régime de droit public, et tantôt sous un régime de droit privé, alors que leur prestation est, du point de vue artistique, similaire. En réalité il n’y a là rien que de très logique. Comme tous les contrats, ceux par lesquels sont recrutés des artistes sont des contrats administratifs ou des contrats de droit privé selon qu’ils répondent ou non aux critères du contrat administratif. Le tribunal des conflits avait été amené à trancher le problème dans une décision de principe, et fort connue, celle concernant les Dames Le Cachey et Guiguère. Dans cette affaire, des personnes qui étaient salariées de l’Opéra de Toulouse avaient introduit un recours, d’abord devant les juridictions judiciaires, à raison du licenciement dont elles avaient fait l’objet. C’est cette mesure qui, ainsi que l’on peut s’en douter, donne lieu à des recours contentieux. Le tribunal des conflits s’était prononcé en faveur de la compétence de la juridiction administrative en retenant le second critère (historiquement parlant car, en fait, ce critère est devenu le critère principal), celui de la participation du cocontractant à l’exécution même du service public. En d’autres termes les danseuses de l’Opéra de Toulouse participaient à l’exécution d’un service public, et l’on ne voit pas de quel service public autre que le service public culturel il pourrait s’agir. À plusieurs reprises les juridictions administratives se sont déclarées compétentes pour connaître d’affaires de licenciements concernant des personnels artistiques recrutés par une collectivité territoriale  [10]. Mais à côté de ces contrats de droit public on peut très bien concevoir des contrats de droit privé parce que tout artiste recruté pour une prestation déterminée par une collectivité publique ne participe pas nécessairement, de ce fait même, au service public de la culture. Et, par exemple, lorsqu’il s’agit de musiciens prêtant leur concours à l’occasion d’une fête municipale, il n’y a guère de raisons de considérer qu’ils participent à un service public culturel local.

b. Une distinction moins tranchée qu’il n’apparaît

21 Le contrat par lequel une collectivité publique engage un artiste n’est pas nécessairement un contrat de travail, qu’il s’agisse d’un contrat de droit privé ou d’un contrat de droit public. Il peut s’agir, également, d’un contrat de prestation de services, qui sont réglementés ou susceptibles d’être régis par le code des marchés publics. La distinction entre contrat de prestation de services et contrat de travail ne s’impose pas avec une évidence incontestable. Les auteurs l’ont fait observer à propos de commandes faites à des artistes de renom réalisant une œuvre pour le compte d’une personne publique. Cela vaut tout autant pour des artistes qui demeureront anonymes. Ainsi, lorsqu’un maire fait appel à un groupe de musiciens ou à un artiste plasticien pour animer une fête ou célébrer un événement ou une personnalité s’agit-il d’un contrat de travail ou d’un contrat de prestation de services ? La durée de réalisation de l’œuvre ne peut constituer un critère, puisque le contrat de travail à durée déterminée peut être de très courte durée.

22 Les arrêts et jugements des juridictions administratives sur cette question sont assez rares, bien que plus nombreux qu’auparavant. La cour administrative d’appel de Marseille s’est prononcée sur la nature du contrat liant un artiste lyrique à une ville et a considéré ce contrat comme un marché de services et non comme un contrat de travail de droit public au motif que, dans la relation entre l’artiste et le chef d’orchestre « il n’y a pas de lien de subordination mais acceptation de la coordination d’ensemble » . Ainsi que l’écrit un auteur, une telle affirmation, même si on est porté à la partager, « a de quoi plonger bien des mélomanes (même juristes) dans d’insondables considérations sur l’intrusion de la qualification juridique dans la nature si délicate de l’interprétation musicale »  [11]. On ne peut s’empêcher, non plus, à la lecture d’un tel critère, de penser à ce film célèbre de Fellini Prova d’orchestra où les musiciens se rebellent contre le chef d’orchestre et où ce dernier remet progressivement de l’ordre non par la coordination mais par le commandement, dans ce qui peut apparaître comme une métaphore de la transformation d’une société.

B. Les différents contrats exclus du code des marchés publics

23 Le code des marchés publics énumère toute une série de contrats auxquels il ne s’applique pas. Beaucoup de ces exclusions ne concernent pas la culture, et celle-ci n’a pas été envisagée comme devant être sortie, par définition, de ce régime. Mais la culture est, pour partie, concernée par ces exclusions, celles-ci découlant aussi bien du code des marchés publics que d’autres textes.

1. L’exclusion de certaines activités culturelles

24 Si le code des marchés publics a vocation à régir de très nombreuses activités et agissements des collectivités publiques, pour autant il ne saurait couvrir les activités directement organisées par une collectivité comme celles qui sont gérées par une personne privée.

a. Le cas des activités directement orga nisées par une collectivité

25 Les activités culturelles ne sont évidemment pas nécessairement assurées en recourant à une procédure prévue par le code des marchés publics. Une collectivité publique peut très bien décider d’organiser et de prendre en charge directement une activité culturelle. Le problème, en la matière, est double.

26 Un premier problème, qui ne soulève pas véritablement de difficultés mais auquel il faut bien répondre est de savoir si une collectivité publique – et en fait on pense nécessairement à une collectivité territoriale autre que l’État – peut s’occuper de problèmes culturels. On en revient ici à la question des compétences culturelles des collectivités territoriales. Une collectivité territoriale peut-elle intervenir dans le domaine culturel ? La réponse, affirmative, ne fait aucun doute pour les deux raisons suivantes. D’une part, en application de la théorie de la clause générale de compétence, vivement discutée, mais pas vraiment remise en cause, surtout en ce domaine, les collectivités territoriales peuvent intervenir dans le domaine culturel dès lors que ce dernier n’a pas été remis à une autre personne, publique ou privée. Or, en 1983, les lois de répartition de compétences entre l’État et les collectivités territoriales sont, dans ce domaine qui nous intéresse, singulièrement lacunaires, et les collectivités territoriales interviendront cependant, sans aucune objection de l’État, ce qui est une démonstration de la clause générale de compétence. D’autre part, ultérieurement, et à plusieurs reprises, des lois sont venues attribuer ou reconnaître la possibilité d’intervention des collectivités territoriales en matière culturelle. C’est là une confirmation de l’aptitude à agir de ces collectivités dans le domaine culturel. Et l’on observe que si les artistes sont prompts à dénoncer l’attitude des élus locaux, en même temps ils souhaitent que les collectivités territoriales voient leurs interventions encadrées, ce qui est une manière indirecte de reconnaître l’importance de l’action de ces collectivités. Il ne faut pas oublier que l’essentiel des dépenses culturelles est réalisé par les collectivités territoriales. Cela signifie bien que les collectivités territoriales interviennent dans ce domaine, et l’on ne peut guère imaginer une intervention de cette ampleur sans une légalité et une légitimité de l’action.

27 Un second problème est de savoir si les collectivités publiques peuvent agir directement en ce domaine. En d’autres termes, les collectivités territoriales – et l’on pense d’abord aux communes et à leurs groupements – peuvent-elles prendre en charge directement ces activités culturelles ? Peut-il y avoir une gestion en régie ? On pourrait soutenir, en effet, que les collectivités territoriales peuvent intervenir pour soutenir, subventionner des activités culturelles, mais qu’elles ne peuvent pas le faire directement, qu’elles doivent laisser faire les personnes privées, en les aidant au besoin.

28 Mais pourquoi les collectivités territoriales ne pourraient-elles pas prendre en charge directement une activité culturelle ? D’abord, historiquement, ce fut le cas. Après l’Église, et après disparition des mécènes privés, ce furent des collectivités publiques qui prirent la succession des personnes privées. Ensuite, et dans le même ordre d’idées, il y a en France une tradition d’intervention des personnes publiques dans le domaine culturel. La culture est étroitement associée dans notre pays à la puissance publique, quels que soient les jugements que cela peut appeler. Enfin, il est des activités culturelles dont personne ne songe à dénier l’intérêt public, lorsqu’il s’agit, notamment, de tout ce qui concerne la protection culturelle, avec l’acquisition, y compris par la voie de l’expropriation, de biens présentant un intérêt public ou, de manière encore moins contestable, des enseignements culturels.

b. Le cas des activités gérées par des per sonnes privées

29 Comme la plupart des autres activités, l’activité culturelle peut être assurée par des personnes privées. On applique au domaine culturel comme aux autres domaines le principe de la liberté du commerce et de l’industrie qui régit les activités de cette nature. Bien que, en France, on soit très attaché à l’idée de gratuité de la culture et au principe d’égalité à la culture, qui conduisent plutôt à une intervention publique, il ne fait aucun doute que l’activité culturelle est soumise à ce même principe de liberté du commerce et de l’industrie : il est impossible de soutenir que, par nature, cette activité culturelle échapperait aux règles applicables dans les autres domaines. Ainsi les choses paraissent claires : les personnes privées peuvent intervenir dans tout le champ culturel et, lorsqu’elles contractent entre elles à cette fin, il n’y a aucune raison d’appliquer les règles relatives aux marchés publics.

30 Cependant, et comme toujours, les choses sont moins tranchées qu’elles n’apparaissent au premier regard, parce que la vie est par définition complication ou complexification progressive et que, dans ce domaine qui nous intéresse les situations sont extrêmement diversifiées. Parmi les données qui compliquent l’équation se trouve le fait que certaines personnes privées sont de fausses personnes privées, elles sont créées par des personnes publiques ou/et se trouvent sous leur dépendance. On trouve de telles personnes à tous les échelons, mais c’est à l’échelon municipal que les problèmes surgissent véritablement. Les communes ont créé de nombreuses associations dans tous les domaines et, notamment, dans le domaine culturel. Les raisons du recours à l’association sont connues et dispensent de revenir sur ce point. Il est certain que la souplesse de la formule présente bien des avantages et c’est la trop grande rigidité de certaines règles du droit public qui a conduit ces collectivités à créer ou à susciter la création de toutes ces associations. Le code des marchés publics est-il applicable ? Deux situations peuvent se présenter.

31 La première est celle dans laquelle la collectivité souhaite confier à une association un projet culturel. Il ne faut pas penser immédiatement à une volonté de cette collectivité de contourner certaines règles du droit public : le plus souvent, elle travaille depuis de nombreuses années avec l’association, elle en connaît les possibilités, et c’est vers elle qu’elle se tourne naturellement pour réaliser un projet culturel. La question s’est posée à plusieurs reprises de savoir s’il convenait d’appliquer ou non le code des marchés publics. Les dispositions de celui-ci ne sont pas applicables aux contrats conclus avec un cocontractant sur lequel la personne publique « exerce un contrôle comparable à celui qu’elle exerce sur ses propres services et qui réalise l’essentiel de ses activités pour elle »  [12]. Une autre situation est celle dans laquelle l’association créée par la collectivité va elle-même contracter avec une autre personne, le plus souvent également privée. D’où la question de savoir si les règles relatives aux marchés publics sont applicables ou non. En principe on a affaire à deux personnes privées, ce qui devrait conduire à exclure l’application des règles des marchés publics. Mais si l’on retient, non plus le seul aspect formel, mais la réalité, on constate que l’association est financée par la collectivité, qu’elle dépend intégralement de cette dernière, que c’est celle-ci qui s’engage à travers l’association. Dans ce cas, on est amené à estimer que le code des marchés publics doit s’appliquer. C’est cette solution réaliste que la jurisprudence a dégagée mais c’est au cas par cas que les questions sont tranchées, et il n’est pas toujours aisé de savoir quelle est l’autonomie d’une association par rapport à la collectivité de rattachement.

c. Les exclusions à caractère culturel plus ou moins marqué

32 Dans l’importante énumération de l’article 3 du code des marchés publics écartant l’application de ce dernier à un certain nombre de marchés, deux catégories de marchés relèvent, soit indirectement, soit directement, de l’art et de la culture. Tout d’abord l’article 3, 4° exclut les contrats « qui ont pour objet l’achat, le développement, la production ou la coproduction de programmes par des organismes de radiodiffusion » et les contrats concernant « les temps de diffusion » . Il n’est pas nécessaire d’insister sur le fait que les programmes de radiodiffusion ne sont pas principalement des programmes culturels. Mais la dimension culturelle est une préoccupation des pouvoirs publics et demeure effectivement présente sur une partie des chaînes publiques, quelle que soit l’appréciation que l’on puisse porter sur ces productions. On remarque ici, également, une particularité de la radiodiffusion par rapport à l’audiovisuel. On voit mal, d’ailleurs, comment les contrats dans ce dernier domaine pourraient être considérés comme des marchés publics si ce n’est, éventuellement, pour ceux passés par l’Institut national de l’audiovisuel (INA).

33 Plus intéressante pour nous, car touchant directement à la culture, est l’exclusion par l’article 3, 11°, des contrats « qui ont pour objet l’achat d’œuvres d’art, d’objets d’antiquité et de collection » ainsi que des contrats « ayant pour objet l’achat d’œuvres d’art qui, en raison de leur nature et de leurs caractéristiques, ne permettent pas la mise en œuvre de procédures de publicité et de mise en concurrence ». L’exclusion est ici pleinement justifiée : on imagine mal une mise en concurrence pour l’achat d’œuvres d’art, d’autant que l’on sait combien ce marché, très particulier, est soumis à des fluctuations parfois capricieuses qui n’ont aucun rapport avec l’art et la culture, surtout lorsqu’il s’agit d’œuvres de notre temps. Des motivations d’intérêt général variables peuvent justifier l’achat d’une œuvre, la seule exigence est que l’achat puisse être effectué dans des conditions qui garantissent le mieux possible le respect de l’intérêt public. Il faut distinguer deux aspects. Les contrats portant sur l’achat d’œuvres d’art sont exclus, mais cela vise des œuvres existantes. Ceux portant sur des œuvres à créer et à réaliser sont soumis au code sauf si « en raison de leur nature et de leurs caractéristiques, [ils] ne permettent pas la mise en œuvre de procédures de publicité et de mise en concurrence »  [13]. Cette disposition paraît de nature à garantir le libre choix de l’artiste par la collectivité pour les commandes publiques : il est heureux que Soulages ait été sollicité (et ait accepté, ce qui n’était pas évident) pour la réalisation des vitraux de Conques. Imagine-t-on une autre solution ?  [14]

34 Cette disposition est également de nature à garantir un choix libre par les fonds régionaux, alors que, jusqu’à présent, il pouvait y avoir des doutes  [15]. Deux types d’institutions sont plus particulièrement concernés, les Fonds régionaux d’acquisition des musées (FRAM) et les Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC). Les controverses quant aux choix effectués ont concerné assez peu les FRAM, beaucoup plus les FRAC  [16] parce que, dans ce dernier cas, il s’agit de l’art de notre temps, où les divergences sont à la fois fortes et légitimes. Et, certes, tous les FRAC ne sont pas gérés directement par la collectivité régionale, beaucoup ont été créés sous formes d’associations. Mais, d’une part, ce n’est pas le cas de tous et, face aux menaces de gestion de fait pesant sur les présidents de conseils régionaux, ces derniers ont cherché à réintégrer les FRAC dans les services de la région, d’autre part ces associations, lorsqu’elles demeurent, sont une émanation directe de la collectivité et le juge pourrait considérer qu’elles sont transparentes  [17]. Les dispositions précitées de l’article 3, 11° leur sont donc applicables. Différente de ce cas de figure est la commande d’œuvres dans le cadre de ce que l’on appelle le “1 %”.

2. Le cas particulier du “1 %”

35 Certains marchés concernant le domaine culturel ne relèvent pas des marchés publics parce qu’ils présentent des particularités notables et que les pouvoirs publics ont voulu, dès le départ, en faire une procédure particulière, ce sont les marchés relatifs au “1 %”.

a. Définition du “1 %”

36 Il paraît utile, avant de parler du régime juridique applicable, de préciser ce que signifie le “1 %”. Il existe en effet deux “1 %” qu’il convient de ne pas confondre car ils n’ont aucun rapport l’un avec l’autre, le premier étant politique et ne concernant que l’État, le second étant juridique et s’appliquant à toutes les collectivités publiques et, particulièrement, aux collectivités territoriales.

37 Le premier “1 %”  [18] concerne le budget de la culture dans le budget général de l’État. Le montant de ce budget a toujours été extrêmement modeste comparé à celui des autres ministères. Et, depuis les débuts de la Cinquième République, un souhait, devenu ensuite revendication politique, a été exprimé, que ce budget atteigne, dans le budget général de l’État, le seuil symbolique de 1 %  [19]. Sans insister sur cet aspect, qui est à la fois politique et politisé, ajoutons deux remarques. D’une part, et malgré ce que l’on peut entendre ou lire ici ou là, ce pourcentage de 1 % n’a jamais été réellement atteint en ce sens où lorsqu’un ministre a affirmé que tel était le cas, trois semaines après le vote du budget théorique, des décrets d’annulation de crédits ont fait baisser le budget de la culture en dessous de 1 %. D’autre part, ce débat est un peu vain car toujours faussé : il est toujours possible, sans que les crédits soient réellement augmentés, de faire apparaître un accroissement artificiel, par rattachement à la culture d’un service ou d’une direction antérieurement rattaché à un autre ministère  [20].

38 Le “1 %” qui nous intéresse est très différent. Il a pour origine un arrêté de 1951 qui établissait à la charge de l’État une obligation de prévoir des travaux de décoration dans les constructions scolaires et universitaires, dans la limite de 1 % du montant des travaux. Cette obligation a été étendue, par un autre arrêté de 1972, à d’autres bâtiments que les seuls bâtiments scolaires et universitaires. La loi du 22 juillet 1983, complétant la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre l’État, les communes, les départements et les régions  [21] a étendu cette obligation aux collectivités territoriales  [22]. Un décret du 29 avril 2002 a établi de nouvelles règles relativement à cette obligation et aux conditions de passation des marchés ayant pour objet de satisfaire cette obligation.

39 Cette obligation est ainsi définie. Les opérations immobilières ayant pour objet la construction et l’extension des bâtiments publics ou la réalisation de travaux de réhabilitation dans le cas d’un changement d’affectation, d’usage ou de destination de ces bâtiments donnent lieu à l’achat ou à la commande d’une ou de plusieurs réalisations artistiques destinées à être intégrées dans l’ouvrage ou ses abords. Cette obligation s’applique aux opérations dont la maîtrise d’ouvrage est assurée par l’État ou par ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel et commercial, ainsi que par leur mandataire et par toute personne agissant pour leur compte. Elle s’applique également aux constructions dont la maîtrise d’ouvrage est assurée par les collectivités territoriales ou leurs groupements, dans les limites fixées par l’article L. 1616-1 du CGCT précité.

40 Les réalisations artistiques concernées par l’obligation sont les œuvres plastiques et graphiques entrant dans les catégories définies aux 70 à 100 de l’article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle  [23]. Il peut s’agir, en outre, d’œuvres utilisant de nouvelles technologies ou faisant appel à d’autres interventions artistiques, notamment pour l’aménagement d’espaces paysagers, la conception d’un mobilier original ou la mise au point d’une signalétique particulière.

b. La procédure applicable aux comman des de réalisations plastiques

41 Lorsque le montant du 1 % de l’opération est inférieur à 10000 € HT, la personne responsable du marché peut, après avis du maître d’œuvre, de l’utilisateur de l’ouvrage et du directeur régional des affaires culturelles (DRAC), commander ou acheter une ou plusieurs œuvres d’art à un ou plusieurs artistes vivants. Ce montant modique justifie l’absence de procédure particulière, d’autant que la décision est prise après plusieurs avis dont on peut supposer qu’ils seront éclairés, notamment l’avis du DRAC.

42 Lorsque le même montant est compris entre 10000 et 89999 €, la personne responsable du marché arrête son choix après avis du comité artistique et, le cas échéant, de la commission artistique régionale ou nationale, par une décision motivée. Elle en informe les candidats qui n’ont pas été retenus et passe la ou les commandes artistiques. Lorsque le même montant est égal ou supérieur à 90000 € HT la procédure est similaire, mais les propositions sont obligatoirement transmises à la commission artistique nationale si la maîtrise d’ouvrage de l’opération immobilière est assurée par une administration centrale ou un service à compétence nationale de l’État ou pour leur compte  [24]. Les organismes consultatifs précités ont donc une importance considérable dans la procédure de commandes publiques du 1 %. Le comité artistique précité, et constitué par le maître de l’ouvrage, comprend obligatoirement, outre le représentant de ce dernier, le maître d’œuvre, le DRAC ou son représentant, un représentant des utilisateurs du bâtiment, deux personnalités qualifiées dans le domaine des arts plastiques désignées, l’une par le maître de l’ouvrage, l’autre par le DRAC. Le comité artistique est saisi dès l’approbation de l’avant-projet sommaire, il élabore le programme de la commande artistique et le soumet à l’approbation du maître de l’ouvrage. Il consulte un ou plusieurs artistes qui lui remettent leurs projets, les entend le cas échéant et propose un ou plusieurs des projets au maître de l’ouvrage. Lorsque le coût global des réalisations artistiques est égal ou supérieur à 90000 € HT, le maître de l’ouvrage transmet les propositions du comité artistique à la commission artistique régionale. Celle-ci est présidée par le préfet de région ou son représentant. Elle comprend, outre son président, des membres de droit (DRAC, maître de l’ouvrage, le cas échéant le chef ou responsable des services du ministère intéressé ou le chef de juridiction territorialement compétent, le maire de la commune du lieu d’implantation de la construction, si la commune n’est pas le maître de l’ouvrage) et des personnalités nommées pour trois ans par le préfet de région. La commission régionale entend le maître d’œuvre de l’opération immobilière ainsi que le ou les artistes dont le projet a été proposé. Elle émet, dans un délai de trois mois à compter de sa saisine, un avis sur les projets qui lui sont soumis. Une procédure identique est suivie lorsque la commission nationale est saisie  [25].

II - LE CHAMP D'APPLICATION DES MARCHÉS PUBLICS À LA CULTURE

43 Les difficultés précédemment évoquées sont connues depuis longtemps et, au fur et à mesure des refontes ou des réformes, fréquentes ces dernières années, du code des marchés publics, les pouvoirs publics ont cherché à préciser et à clarifier, sans y parvenir toujours, un certain nombre de points. À l’heure actuelle, le champ d’application à la culture des règles relatives aux marchés publics est déterminé par l’article 30 du code des marchés publics (CMP), mais il faut tenir compte, également, de certains cas particuliers.

A. L'article 30 du CMP

44 Le nouveau code des marchés publics prévoit des modalités allégées de passation des marchés publics. L’article 29 du CMP dispose que les marchés publics peuvent être passés sans formalités préalables lorsque le seuil de 90000 € HT n’est pas dépassé. Cette disposition est intéressante parce que ce seuil permet effectivement de conclure un certain nombre de contrats sans les formalités habituellement prescrites. Du point de vue des activités culturelles cela signifie que l’engagement d’artistes pour une prestation déterminée, par exemple à l’occasion d’une fête, peut être effectué facilement. Mais cette disposition n’est évidemment pas propre à la culture, même si celle-ci en bénéficie. Si l’on recherche une spécificité des activités culturelles, c’est l’article 30 du CMP qu’il faut prendre en considération. Cet article comporte des dispositions qui concernent la culture, et sur la portée desquelles on peut s’interroger.

1. L’allégement de l’article 30

a. Les dispositions de l’article 30

45 L’article 30 énumère quatre catégories de services soumis, « en ce qui concerne leur passation, aux seules obligations relatives à la définition des prestations par référence à des normes, lorsqu’elles existent, ainsi qu’à l’envoi d’un avis d’attribution ». Ces quatre catégories de services sont les services juridiques, les services sociaux et sanitaires, les « services récréatifs, culturels et sportifs », et les services d’éducation ainsi que les services de qualification et insertion professionnelles. Les services que le texte qualifie de « culturels » ne sont pas isolés, ils sont placés dans la même catégorie où se trouvent les services récréatifs et les services sportifs. Le législateur nous a habitués à l’énumération de catégories hétéroclites, mais on peut regretter que la culture, ou les services culturels, ne soient jamais pris en considération en tant que tels et soient assimilés à d’autres services qui n’ont pas grand-chose à voir avec les précédents. En fait c’est une solution de facilité qui évite d’avoir à s’interroger sur la spécificité de certains services. Par ailleurs la notion de « services culturels » est loin d’être claire. Toute activité culturelle à propos de laquelle la collectivité publique souhaite contracter doit-elle être considérée comme un service culturel ? On peut en douter et, sur ce point, c’est au juge qu’il appartiendra de dire, le cas échéant, ce qu’est un service culturel ou, plus précisément, si une activité déterminée doit être considérée comme un tel service.

46 Un décret du 7 septembre 2001 a fixé la liste des services relevant des catégories mentionnées par l’article 30. En ce qui concerne la troisième catégorie, qui regroupe donc les services récréatifs, culturels et sportifs, le décret en question donne une longue liste qui concerne principalement des services exclusivement ou partiellement culturels. Cette liste est la suivante :

47

  • services de conception, de production, de distribution, de projection, de traduction et de promotion ou de publicité de films ou d’œuvres audiovisuelles et multimédias ;
  • services de spectacles musicaux, de danse, de théâtre, de représentation artistique et de cirque, de spectacles de sons et lumières, fournis par des producteurs ou des artistes amateurs ou professionnels ;
  • services auxiliaires des activités de spectacle portant sur la réalisation et l’installation de décors, d’éclairages et de sonorisation, sur la conception et la réalisation de costumes, sur la scénographie, sur la traduction des spectacles et sur la vente de billets ;
  • services d’enseignement artistique ;
  • services d’agence de presse écrite, photographique, radio ou télédiffusée ou cinématographique ; services d’agence de reportage en direct aux stations de télévision ;
  • services d’acquisition, de catalogage, de conservation, de restauration et de recherche de livres et publications similaires, de disques, de vidéos et de supports multimédias ;
  • services de gestion (acquisition, catalogage, conservation et recherches) d’archives publiques ; services d’exploitation et de restauration d’archives publiques ou historiques ;
  • services de gestion, de conservation et de restauration des collections des musées ; services de conception d’expositions temporaires ;
  • services de préservation des sites classés ou inscrits et conception de projets culturels y afférents ;
  • services relatifs à la préservation des jardins botaniques ou zoologiques et des réserves naturelles ;

48 Six autres catégories énumérées concernent les services sportifs, éducatifs et socio-éducatifs.

49 Cette énumération précise la formule de la loi, c’est une énumération qui paraît très complète. En particulier les services que l’on qualifiera, en raccourci, d’audiovisuels, sont donc placés dans le champ des services culturels. Et même si la préoccupation principale des pouvoirs publics n’a pas été de s’interroger sur ce qu’est la culture, mais bien plutôt de prendre en compte des activités qui génèrent ou impliquent des fonds très importants, il n’en reste pas moins que la conséquence en est, sur le plan textuel, l’intégration de l’audiovisuel dans la culture. Il est évident, du point de vue des principes, que la culture contemporaine ne se peut concevoir sans l’audiovisuel, quelques doutes que l’on puisse éprouver sur le contenu strictement culturel de la télévision et tout ce qui s’y rapporte. On remarque également que l’énumération du décret, pour impressionnante qu’elle soit, ne couvre sans doute pas tous les services culturels envisageables. Les festivals n’apparaissent pas en tant que tels. Certains d’entre eux sont couverts par les « services de spectacles » énumérés par le décret. Mais ce n’est pas le cas de tous, et l’on est un peu étonné de voir que les festivals de bande dessinée, par exemple, ne paraissent pouvoir entrer dans aucune des catégories énumérées alors que l’on sait toute l’importance qu’ils peuvent avoir dans notre pays. Les arts de la rue, qui ont connu un considérable développement depuis quelques années, ne sont pas pris en compte en tant que tels, ce qui est peut-être regrettable, mais semblent pouvoir être couverts par la notion très englobante de « services de spectacles ».

b. La portée de l’article 30 du CMP

50 Les dispositions du CMP qui viennent d’être exposées règlent-elles la question des contrats concernant la culture ? Telle est la question que l’on peut se poser, le doute étant d’autant plus autorisé que les modifications apportées au texte ont été, depuis plusieurs années, assez nombreuses, ce qui atteste l’hésitation des pouvoirs publics en la matière.

51 Un premier problème tient à l’exigence posée par l’article 5 du CMP selon lequel « la nature et l’étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant tout appel à la concurrence ou toute négociation non précédée d’un appel à la concurrence ». L’article 30 ne dispense pas de cette exigence, puisqu’il n’est relatif qu’aux modes de passation des marchés. On est quelque peu embarrassé, en matière culturelle, par cette dernière, d’autant que le texte ne se borne pas à demander une définition des besoins, il ajoute que cette détermination doit être faite « avec précision ». On peut comprendre cette exigence dans certains domaines comme l’architecture, encore que, même là, l’expérience montre que cette exigence ne peut pas toujours être satisfaite. Cependant, c’est surtout dans le domaine des arts plastiques qu’il paraît difficile d’y satisfaire. Il est impossible de fixer à l’artiste des contraintes autres que les caractéristiques générales de l’œuvre à réaliser (nature, dimensions, matériaux) parce que, sinon, on empiéterait sur ce qui fait l’acte artistique lui-même, ce serait une négation de l’œuvre d’art. On ne peut donc guère aller très loin en ce domaine et cette disposition de l’article 5 doit être interprétée, en matière culturelle, de manière compréhensive. Au surplus, lorsque l’on se trouve dans le cadre des articles 32, 57 (mise en concurrence simplifiée) et 35 (marchés négociés), l’exigence ne joue pas.

52 Une autre question que soulève l’article 30 est celle de l’appréciation que l’on peut émettre sur la portée véritable de cette disposition. A priori les choses sont simples, il s’agit d’un dispositif destiné à faciliter les marchés publics dans le domaine culturel et le seuil en dessous duquel aucune formalité n’est à respecter (90000 € HT) donne une grande souplesse pour les contrats passés avec des artistes plasticiens comme pour les petits spectacles organisés par une collectivité. De telles dispositions sont de nature à laisser les autorités publiques concernées, qui seront en fait des autorités décentralisées, toute liberté pour agir. Mais F. Linditch a bien montré que le CMP « pourrait bien se transformer en redoutable piège ». Car les grands principes applicables à l’administration dans tous ses actes, qu’ils soient contractuels ou unilatéraux, le sont tout autant en matière de marchés publics. Certains de ces principes sont d’ailleurs rappelés à l’article 1er, ce sont les principes de liberté et d’égalité d’accès à la commande. Ainsi donc, toute personne à laquelle il n’aurait pas été fait appel par l’autorité qui souhaite passer un marché, même dans le cadre de l’article 30, pourrait invoquer devant le juge une atteinte à ces principes. Le juge, qu’il soit administratif ou judiciaire, serait probablement d’ailleurs, dans cette hypothèse, bien embarrassé lui-même : qu’aurait dû faire la collectivité en cause pour se conformer à ces principes ?

2. L’article 30 du code des marchés publics et le droit communautaire

53 L’influence du droit communautaire de la commande publique sur le droit français des marchés publics n’est certes pas une nouveauté, mais est de plus en plus prégnante par le biais, d’abord, de la nécessaire prise en compte de nouvelles notions, ensuite, et par voie de conséquence, de la référence à un vocabulaire commun.

a. Les nouvelles notions du droit com munautaire

54 Le droit français des marchés publics a fait l’objet de plusieurs réformes commandées par la nécessité d’adapter le droit français au droit communautaire. La Commission européenne avait communiqué à la France, en 2002, un certain nombre de griefs tenant à des dispositions du code non conformes au droit communautaire. La réforme réalisée par le décret 2004-15 du 7 janvier 2004 est destinée à assurer cette mise en conformité au droit communautaire. La Commission ne s’est pas estimée satisfaite pour autant et a fait savoir qu’elle entendait saisir la Cour de justice de l’Union d’un recours en manquement dirigé contre la France en raison de plusieurs points du code considérés comme non conformes aux prescriptions communautaires. Parmi les points litigieux figure précisément l’article 30 instituant la procédure allégée qui intéresse le secteur culturel. La Commission estime que les dispositions de cet article ne sont pas conformes aux prescriptions de la directive Services. Mais, ainsi que le fait remarquer S. Braconnier, cette procédure allégée « ne fait que reprendre in extenso le régime spécifique institué par la directive unifiée qui se borne, sur ce point, à prescrire la référence obligatoire à des normes, lorsqu’elles existent, et la publication d’un avis d’attribution »  [26].

55 Du point de vue du droit communautaire et, donc, nécessairement, du droit français qui ne peut ici s’en distinguer, la culture ne représente pas un secteur particulier ou « spécifique », comme le sont les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications. La directive Services 92/50/CEE du 18 juin 1992 modifiée ne fait pas une place à part à la culture. Le principe qui guide le droit communautaire, dans le domaine culturel comme dans les autres domaines, et qui est rappelé par la directive, est l’établissement d’un « espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée ». La directive déclare, dans la même perspective, que « les règles d’attribution des marchés publics de services doivent être aussi proches que possible des règles concernant les marchés publics de fournitures et les marchés publics de travaux ». Une catégorie de marchés est mise à part, qui peut concerner la culture, mais dans les conditions et sous les réserves présentées précédemment, celle des marchés pour certains services audiovisuels dans le domaine de la radiodiffusion en raison, déclare la directive, de « considérations qui rendent inadéquate l’application de règles de passation des marchés ». Simplement, pour l’application des règles de procédure et « aux fins de la surveillance », la définition du domaine des services a été effectuée en subdivisant les services en catégories correspondant à certaines positions d’une nomenclature commune au sein de laquelle, nécessairement, on va retrouver des services de nature culturelle (v. ci-après).

56 On peut mettre sans doute sur le compte du droit communautaire l’exigence d’application des principes fondamentaux applicables aux marchés publics quels qu’ils soient – donc, également, ceux qui concernent la culture – et qui sont rappelés à l’article 1er du code des marchés publics dans sa rédaction résultant du décret de 2004. Cependant, il ne faut pas oublier que le droit français avait déjà consacré ces principes, même lorsque, dans le cadre des marchés dits négociés (et autrefois appelés de gré à gré) la collectivité disposait d’une grande liberté dans le choix de son cocontractant. On pourrait en dire autant pour l’exigence de transparence qui est réitérée dans les directives relatives aux marchés publics et qui a effectivement abouti à un renforcement des dispositions en ce sens dans le droit français. Il n’y a aucune raison pour que cette transparence ne s’applique pas au domaine culturel, bien au contraire. On peut être plus sceptique, tout au moins en matière culturelle, sur certaines exigences résultant du droit communautaire et insérées dans notre droit depuis 2004. Il en est ainsi de la définition préalable des besoins. Dans son rapport Réflexions sur les collectivités publiques et la concurrence, le Conseil d’État déclarait : « tous les acheteurs publics s’accordent aujourd’hui à reconnaître le caractère obsolète et irréaliste de la conception selon laquelle la puissance publique connaît toujours d’emblée ses besoins et la solution qui y répond le mieux ». On est encore plus dubitatif en ce qui concerne la procédure de « dialogue compétitif », si on devait l’appliquer à la culture, l’objet de ce dialogue étant « l’identification et la définition des moyens propres à satisfaire au mieux les besoins de la personne publique à partir d’un programme fonctionnel qu’elle a préalablement élaboré et, le cas échéant, d’un projet partiellement défini », la personne responsable du marché pouvant discuter avec les candidats retenus de tous les aspects du marché (article 67 du code).

b. La référence à un vocabulaire commun

57 La circulaire du 7 janvier 2004 portant manuel d’application du code des marchés publics, précitée, le rappelle : l’appartenance du marché à l’une ou l’autre des catégories mentionnées aux articles 29 et 30 se vérifie « en outre » par la référence aux catégories de services énumérés en annexe de la directive européenne portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services  [27]. Cette annexe renvoie à ce que l’on appelle la nomenclature CPC. Le règlement 2195/02/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 novembre 2002 est relatif au vocabulaire commun pour les marchés publics, dit CPV  [28]. Ce règlement a lui-même été modifié par le règlement 2151/03/CE de la Commission, du 16 décembre 2003  [29], auquel ne fait pas référence, sans doute du fait de sa proche édiction, l’instruction générale du 7 janvier 2004. La raison d’être de cette modification est la nécessité « de mettre à jour la structure et les codes du CPV afin de tenir compte des besoins spécifiques exprimés tant par les États membres que par les utilisateurs du CPV et de corriger les erreurs matérielles détectées dans les différentes versions linguistiques ».

58 Ce règlement du 16 décembre 2003 est un texte de 270 pages répertoriant les services, avec leur code CPV correspondant. N’importe quelle autre énumération ferait pâle figure à côté de cet inventaire comportant plus de 12000 énoncés, faisant penser à une liste à la Prévert, le charme en moins, le lecteur sortant étourdi et assommé par un tel catalogue. On voit bien que la préoccupation des autorités communautaires n’a pas été de faire des effets de style mais d’être le plus exhaustif possible, d’où ce sentiment d’accumulation que l’on éprouve à la lecture. À cela s’ajoute l’épouvantable jargon des textes communautaires et l’on s’interroge sur la formation à l’écriture que peuvent avoir les rédacteurs des versions françaises des textes.

59 Ce vocabulaire commun pour les marchés publics comporte-t-il des indications sur la culture, sur les secteurs de celle-ci régis par les marchés publics ? Aucun énoncé n’est en effet neutre, et même une longue énumération peut procurer des enseignements, ne serait-ce que, éventuellement, par les absences. La culture n’est pas absente de ce très long texte, ce qui serait surprenant, compte tenu précisément de cette longueur. Mais, si l’on s’en tient à un aspect purement quantitatif, on remarque que cette place est plus que modeste puisque, sur les 270 pages en question, moins de deux concernent des intitulés relatifs à la culture. Certes, il ne faut pas en tirer de déductions hâtives, mais cela peut donner à réfléchir. On relève deux formulations générales concernant la culture, l’une relative aux « services administratifs récréatifs, culturels et religieux », l’autre aux « services récréatifs, culturels et sportifs ». Ainsi que l’on s’en rend compte par ces intitulés, les réglementations communautaires, pas plus que les dispositions françaises, ne distinguent vraiment la culture d’autres domaines, notamment la dimension récréative qui, bien qu’essentielle, peut tout à fait être dissociée de la dimension proprement culturelle. Par ailleurs, sur les 55 énoncés concernant la culture (en y incluant, de manière très large, des services tels que les « services de fêtes foraines et de parcs d’attractions », les « services d’école de danse de discothèque » ou les « services d’agences de rédaction »), 26 sont relatifs à des services cinématographiques et audiovisuels.

60 Ainsi que l’écrit S. Braconnier dans sa contribution précitée, « le droit des marchés publics s’inscrit désormais dans une logique de rationalité économique, corroborée par des règles qui, à l’analyse, relèvent davantage d’une fonction régulatrice que d’une fonction de réglementation ». Les règles communautaires vont clairement en ce sens. La difficulté, en ce qui concerne la culture, est son caractère spécifique que prennent en compte les dispositions françaises, mais avec des ambiguïtés et des imprécisions qui tiennent à cette logique du droit des marchés publics assez étrangère à cette spécificité. La difficulté est accrue, dans notre pays, par le fait que la culture y est bien réglementée par l’État et prise en charge largement par les personnes publiques. L’un des enjeux, pour l’avenir, est de maintenir cet équilibre ou cette conciliation entre une spécificité culturelle et le droit des marchés publics.

61 J.-M. P.

Notes

  • [1]
    V. J.-M. Pontier, J.-C. Ricci, J. Bourdon, Droit de la culture, Dalloz, 2e éd. 1998.
  • [2]
    Et l’on peut, sans trop de risques, se prononcer pour le pluriel plutôt que pour le singulier. C’est la diversité des cultures qui produit sans doute une civilisation, et la société française illustre assez bien ce cas de figure.
  • [3]
    Il s’agit, on le rappelle, d’une expression de J. Rigaud, qui a été également le titre d’un ouvrage dans lequel l’auteur définit le rôle, indispensable à ses yeux, de cette culture.
  • [4]
    C’est ce qu’implique la formule constitutionnelle du Préambule de 1946 que l’on résume par « droit à la culture ». Il faut cependant être très prudent dans l’interprétation de cette formule et, sur le plan juridique, il ne paraît pas évident d’en tirer des droits précis susceptibles de sanctions.
  • [5]
    V., sur les subventions, l’ouvrage classique, et qui présente toujours un intérêt, de J. Boulouis, Essai sur la politique des subventions administratives, Cahiers de la FNSP n° 21, A. Colin 1951. V. également J. Cathelineau, Le contrôle des finances communales en France, thèse Droit Bordeaux 1962, LGDJ 1963.
  • [6]
    Les subventions de l’État ont été transformées, à partir de 1982, en dotations, qui présentent (normalement) le caractère d’être globalisées. Mais les subventions spécifiques, si elles n’ont plus l’importance qu’elles ont pu avoir, n’ont pas disparu.
  • [7]
    Circulaire du 7 janvier 2004 portant manuel d’application du code des marchés publics, JO, 8 janv. 2004, p. 37031. Cette circulaire prend la suite de la circulaire du 28 août 2001, qui est abrogée.
  • [8]
    Il s’agit d’un nouvel article du CGCT introduit, logiquement, dans la première partie de celui-ci, dans son livre quatrième, intitulé « Services publics locaux » et son titre premier « Principes généraux », à l’article L. 1411-1.
  • [9]
    F. Linditch, « Le nouveau droit des marchés publics de la culture », AJDA mars 2002, p. 210 et s., p. 212.
  • [10]
    V. par ex. CE 8 janvier 1993, Syndicat intercommunal “Opéra du Rhin” c/ M. Serge Marti-Noguère, req. n° 102.345 ; CE 13 octobre 1997, M. Gardi, req. n° 161957 ; CE 8 avril 1998, M. Izzo, req. n° 161959.
  • [11]
    F. Linditch, « Le nouveau droit des marchés publics »., op. cit.
  • [12]
    Article 3, 1° du code qui ajoute une condition, que ce cocontractant applique, pour répondre à ses besoins propres, les règles de passation des marchés.
  • [13]
    Le code reprend une solution dégagée par le juge administratif dans sa décision, CE 8 décembre 1995, Préfet de Haute-Corse c/ Ville de Bastia, Rec. p. 435.
  • [14]
    Le problème est différent pour les œuvres architecturales à réaliser. En ce domaine, en revanche, on ne peut que souhaiter des concours, ouverts le plus possible et, notamment, aux architectes autres que français. C’est la solution qui est consacrée depuis de nombreuses années.
  • [15]
    V. notamment sur ce point O. Hache, « Les marchés publics dans le secteur culturel », in Modes de gestion des équipements culturels, sous la dir. de E. Baron et M. Ferrier-Barbut, PUG, 2003, p. 175 et s.
  • [16]
    Cela s’explique par les finalités et les procédures différentes pour ces deux types de fonds. Les FRAM ont pour but principal l’acquisition d’œuvres majeures dont le coût peut dépasser, dans certains cas, les enveloppes financières disponibles localement. Les achats impliquent une intervention active des autorités de l’État, ce qui constitue normalement une garantie.
  • [17]
    V. la jurisprudence CE 30 mai 1975, Sté d’équipement de la région montpelliéraine et TC 7 juillet 1975, Commune d’Agde.
  • [18]
    Ce qualificatif premier n’a pas de signification chronologique. Historiquement, la revendication du 1 % pour le budget de l’État est apparue sous la Cinquième République, bien après que le 1 % qui nous intéresse ait été institué. Mais on le qualifie ici de premier en raison de l’écho médiatique que cette revendication a toujours rencontré.
  • [19]
    La portée symbolique n’exclut pas les effets bien réels : compte tenu de l’importance du budget de l’État à notre époque, il n’est pas du tout négligeable que le budget de la culture passe de 0,6 ou 0,7 à 1 %, cela se traduit, pour le ministère de la Culture, par des différences de dotation considérables.
  • [20]
    L’un des exemples les plus caractéristiques est celui de l’architecture, que se disputent régulièrement le ministère de la Culture et le ministère de l’Équipement. Selon les gouvernements, l’architecture est rattachée, tantôt à l’un, tantôt à l’autre, ce qui modifie automatiquement le montant du budget du ministère concerné, sans que les crédits, eux, soient augmentés.
  • [21]
    Il convient d’observer que les lois relatives à la répartition de compétences entre l’État et les collectivités territoriales, et notamment la loi du 22 juillet 1983, ne sont pas codifiées, car le code général des collectivités territoriales, malgré son appellation de général ne l’est pas, étant un code de structures et non de compétences. Ceci étant, certaines dispositions de la loi, notamment celle dont il est question, ont été codifiées.
  • [22]
    Il s’agit de l’article L. 1616-1du CGCT, qui dispose : « Les communes, les départements et les régions doivent consacrer 1 % du montant de l’investissement à l’insertion d’œuvres d’art dans toutes les constructions qui faisaient l’objet, au 23 juillet 1983, date de publication de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements les régions et l’État, de la même obligation à la charge de l’État. »
  • [23]
    Cet article L. 112-2 énumère les œuvres devant être considérées comme des œuvres de l’esprit au sens du code. Dans les quatorze rubriques figurant dans cette liste, quatre sont susceptibles d’entrer dans le cadre du 1 % : le 7° sur « les œuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie », le 9° sur « les œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie », le 10° sur « les œuvres des arts appliqués », le 12° sur « les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture et aux sciences ».
  • [24]
    Signalons qu’il en va également ainsi pour les opérations immobilières situées hors du cadre national, ce qui n’est pas négligeable si l’on songe aux ambassades, consulats, centres culturels et autres établissements situés hors du territoire national.
  • [25]
    Cette commission nationale est un organisme naturellement plus lourd que les comités locaux et commissions régionales. Elle est coprésidée par le ministre chargé de la culture et le ministre dont relève l’opération immobilière. Elle comprend des membres de droit et des personnalités nommées.
  • [26]
    S. Braconnier, Le nouveau code des marchés publics, Jurisclasseur Contrats et marchés publics, fasc. 1, Actualité, 8-2004, n° 4.
  • [27]
    Directive 2004/18/CE relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services dite “secteurs classiques”. Il faut y ajouter la directive 2004/17/CE portant coordination des procédures de passation des marchés dans le secteur de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux dite “secteurs spéciaux”, qui ne nous intéresse pas ici.
  • [28]
    Common Procurement Vocabular, qui a pris la succession de la nomenclature CPC.
  • [29]
    Règlement portant modification du règlement CE n° 2195/02 du Parlement européen et du Conseil relatif au vocabulaire commun pour les marchés publics (CPV), JOUE 17 déc. 2003, I 329/1.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.81

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions