LEGICOM 2003/1 N° 29

Couverture de LEGI_029

Article de revue

Le marché de la production audiovisuelle et le régime français des droits d'auteur et droits voisins

Pages 65 à 77

Notes

  • [1]
    On notera que le cinéma français de l’époque peut être considéré, jusqu’environ 1910, comme une “industrie multinationale” avant d’évoluer, quelques décennies plus tard, selon l’expression forgée par Roman Polanski en 1993, vers une « sorte d’artisanat ».
  • [2]
    L’idée d’instaurer un droit d’autoriser propre aux producteurs en leur qualité d’entrepreneur de la création et indépendant des droits d’auteurs reconnus aux créateurs avait d’ailleurs été proposée dès 1954 dans un rapport au Bureau international de l’Union internationale pour la protection des œuvres littéraires et artistiques.
  • [3]
    André Bertrand, Le droit d’auteur et les droits voisins, Dalloz, 1999.
  • [4]
    Cass. civ. 10 novembre 1947, Gaz. Pal. 1948, 1, 55 ; S. 1948, 1, 157 ; D. 1947, 529.
  • [5]
    Le statut de l’œuvre collective suppose que les contributions personnelles se fondent en un ensemble en vue duquel ils ont été conçus, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun un droit indivis sur l’ensemble réalisé. À travers le régime juridique de l’œuvre collective, la volonté du législateur était bien de permettre au coordinateur d’être investi des droits dans son ensemble, d’exploiter l’œuvre comme il l’entend, indépendamment des évolutions technologiques.
  • [6]
    TGI Paris, 27 octobre 1993, RIDA, juillet 1994, 398 et 203 ; Pet. Aff. 25 mai 1994, 6 ; Angle droit février 1994, 12 (mais infirmé en appel).
  • [7]
    Cass. civ. 16 décembre 1992, Gouy c/ Nortène (en matière de logiciels, mais la solution a été reprise dans le domaine artistique), pourvoi n° 91-11480.
  • [8]
    Cf. André Bertrand, op. cit.
  • [9]
    Christine Hugon, Le régime juridique de l’œuvre audiovisuelle, Litec 1993.
  • [10]
    André Bertrand, Le droit d’auteur et les droits voisins, Ed. Dalloz, 1999, n° 23.1.
  • [11]
    Arrêt Waring v. WDAS Broadcasting Station, 1937.
  • [12]
    Le principe a d’ailleurs eu pour conséquence que, dans la mesure où les États-Unis considèrent que les interprétations relèvent du droit d’auteur, les ressortissants américains doivent bénéficier à l’étranger de la Convention de Berne.
  • [13]
    A noter que la jurisprudence peut être amenée à qualifier ces contrats de sociétés en participation, quand bien même les parties voudraient exclure cette appréciation.
  • [14]
    CA Versailles (ch. réunies), 19 décembre 1994.
  • [15]
    Quid des droits moraux des autres auteurs ? Quid si certains auteurs s’étaient joints à l’action de Ted Turner ?
  • [16]
    Les Dossiers de l’audiovisuel, n° 38, juillet/août 1991, p. 3.
  • [17]
    CA Lyon, 28 nov. 1991.
  • [18]
    DEA Droit de la communication, Exposé de M. Franck Bergeron, publié sur www.u-paris2.fr
  • [19]
    André Bertrand, Le droit d’auteur et les droits voisins, Ed. Dalloz, 1999, Chapitre 18, Introduction.

1 Chercher à analyser les solutions adoptées en matière audiovisuelle au regard des droits d’auteur revient à retracer un historique d’adaptations permanentes entre droit et économie. Non que cela soit différent par rapport à d’autres domaines de la vie économique. Il s’agit plutôt d’une constante, comme l’avait déjà démontré l’économiste et juriste Max Weber, en exposant audacieusement comment les « acteurs de la vie juridique » choisissent leur stratégie en fonction à la fois de leur interprétation des règles du jeu légal, de leurs anticipations, des rapports de force ambiants.

2 C’est particulièrement vrai pour les terrains innovants dont l’audiovisuel fait partie. En fait, l’audiovisuel permet de démontrer tout particulièrement que les solutions sont, par principe, des solutions ponctuelles et révisables. De plus, nous verrons que les solutions aujourd’hui adoptées ont probablement un besoin de révision.

3 On entendra par “entreprise de communication audiovisuelle” non seulement l’organisme qui exploite un service de communication, comme le fait la loi de 1986, mais de manière plus générale, par référence à l’article 112-2 CPI, toute entreprise qui produit des « séquences animées d’images, sonorisées ou non » à destination des écrans de cinéma ou de télévision, dénommées ensemble œuvres audiovisuelles.

4 Avant de se pencher sur l’audiovisuel contemporain et d’analyser les rapports entre titulaires de droits, il peut être intéressant de faire un détour historique par le cinéma français des premières décennies de son existence  [1]. Par analogie avec ce qui sera développé dans le cœur de cet exposé, les solutions adoptées à l’époque peuvent paraître d’une actualité surprenante et constituer une sorte de fil rouge dans la comparaison avec les solutions contemporaines.

5 Pour l’anecdote, on commencera par rappeler que jusqu’en 1904, année où la cour d’appel de Pau a eu à se prononcer sur l’extension des droits d’auteur à l’industrie cinématographique, les juges avaient refusé d’étendre la protection accordée par le droit d’auteur à des scènes de cinéma. Cependant dès 1905, la jurisprudence a affirmé que les épreuves cinématographiques étaient des œuvres d’art protégées, par assimilation aux photographies.

6 Une fois la protection du droit d’auteur accordée, il ne faut cependant pas s’imaginer que cette protection tendait forcément au bénéfice des auteurs au sens de ce qu’on appellerait aujourd’hui les scénaristes ou réalisateurs. La particularité de la jurisprudence de l’époque tient au fait qu’il a été jugé de manière récurrente que l’auteur du film était le producteur et non le réalisateur ou l’auteur de l’œuvre littéraire dont pouvait être tirée l’adaptation aux écrans.

7 La question de savoir si le producteur était auteur ou coauteur a continué à dominer le débat jusqu’en 1945. La majorité de la doctrine et de la jurisprudence assimilait l’œuvre cinématographique à une œuvre de collaboration dont le producteur était coauteur. Le tribunal de la Seine, en 1935, a jugé que « le producteur qui prend l’initiative de la création du film dont il choisit le sujet, qui réunit ses collaborateurs et coordonne leurs efforts, qui exerce son contrôle sur le dialogue, le découpage, la mise en scène et les prises de vue, qui d’une manière générale surveille et dirige, apparaît comme l’un des créateurs du film et doit en conséquence être considéré comme l’un des auteurs. »

8 Quelques décisions considéraient même que le producteur était le seul auteur. La notion d’“œuvre collective” n’a été forgée que par la loi de 1957 ; il était donc courant de trouver l’expression selon laquelle le producteur était le créateur du film ou tout simplement l’auteur.

9 On peut relever les termes d’un arrêt de la cour d’appel de Paris de 1936 qui dit : « Si la qualité d’auteur ne peut être contestée au producteur d’un film cinématographique, on ne saurait reconnaître les mêmes droits au metteur en scène qui, bien que qualifié de réalisateur par la Société des auteurs, n’en demeure pas moins essentiellement remplaçable sans que l’essence de l’œuvre en soit modifiée. » Voilà qui ferait dresser les cheveux sur la tête de plus d’un réalisateur contemporain…

10 L’accent mis sur cette jurisprudence ancienne a pour objectif de montrer que cette velléité de vouloir conférer l’ensemble des droits au producteur et s’apparentant au copyright américain n’est pas une tendance nouvelle sous l’impact de multinationales audiovisuelles mais qu’elle peut paraître comme une “solution” naturellement adaptée au marché et aux spécificités de la production audiovisuelle qui impose une flexibilité du producteur. Cette solution s’avère pragmatique comme la plupart des solutions de common law. Il est intéressant de voir que ce fut la solution adoptée au début du XXe siècle en France. Il s’agit d’une conception purement économique de “réservation”, et s’analyse comme une contrepartie d’un investissement humain et financier. Le créateur est, sauf clause contraire du contrat de production, dépossédé de tout droit sur l’œuvre, y compris les attributs de droit moral.

11 Cet aperçu historique est à mettre en perspective avec l’évolution actuelle, l’économie et les usages de la profession. Aujourd’hui, il est permis de s’interroger sur l’adéquation entre les solutions constatées et les besoins du métier. Il apparaît alors que la solution progressivement adoptée en France d’abord par la jurisprudence puis par la loi de 1957, a consisté à protéger l’auteur d’une façon très extensive, notamment par le mécanisme de l’œuvre de collaboration acté par la loi, partant du principe que cette protection parviendra à établir des fondements solides d’une profession et, partant de là, de l’économie du secteur audiovisuel. (I)

12 Cette velléité protectrice peut aujourd’hui être remise en question, car, paradoxalement, tandis qu’elle affaiblit la flexibilité et la réactivité d’une industrie de la création, elle affaiblit également le statut de l’auteur. De ce fait, on peut avancer qu’il est devenu urgent de réformer les solutions actuelles. (II)

I - DES SOLUTIONS FORTEMENT PROTECTRICES À L'ÉGARD DES AUTEURS

13 On rappellera brièvement que les solutions adoptées sont favorables à l’auteur tant d’un point de vue général que dans le cadre spécifique d’une entreprise de communication.

A. Le cadre général

1. Des principes contraignants

14 Les principes prédominants sont relatifs à la personne de l’auteur et aux contrats passés par ces personnes :

a. Les principes régissant la qualité de la personne de l’auteur

15 L’auteur est au centre du dispositif de la propriété intellectuelle. Deux principes fondamentaux se dégagent, un troisième en découle :

16 L’auteur est une personne physique : dans la philosophie du droit d’auteur continental ou du droit civil, les œuvres de l’esprit sont considérées être le reflet de la personnalité de leur auteur. L’auteur est en France celui qui conçoit et crée l’œuvre sous forme originale et conformément à cette conception, le principe en droit français consiste à ce que ce créateur est une personne physique. À ce titre, il est investi ab initio des droits sur son œuvre. Il s’agit d’une solution fondée sur une réservation de droits qui confère la qualité de titulaires originaux uniquement aux créateurs, à charge pour le producteur d’obtenir une cession des droits patrimoniaux d’exploitation.

17 L’auteur, personne physique, jouit d’une protection extensive : dans la mesure où la création constitue un acte juridique entraînant à lui seul des droits, l’objectif de l’auteur et du législateur en matière audiovisuelle a consisté à protéger très largement la personne du créateur, contre le producteur, considéré être un simple maillon organisationnel et financier. À l’encontre de cette conception, se situe l’objectif du producteur : le producteur cherche à maintenir son potentiel d’initiative en évitant que les contraintes liées à l’acquisition des droits ne deviennent trop lourdes et dirimantes à la poursuite de son activité de production. L’idéal pour le producteur de l’œuvre serait d’obtenir la cession à son profit de l’ensemble des droits de l’auteur.

18 Entre ces deux objectifs, se situe la recherche d’un équilibre légitime entre les intérêts des titulaires de droits d’auteur et ceux des producteurs de créations audiovisuelles.

19 Or, la loi de 1957 a clairement opté pour une protection extensive de l’auteur.

20 La solution retenue par le législateur en 1985 paraît, à travers l’instauration de droits voisins en faveur des auxiliaires de la création (c’est-à-dire certains producteurs, les entreprises de communication et les artistes interprètes) tendre vers un compromis entre les deux conceptions traditionnelles – anglo-saxonne et civiliste  [2]. De fait, la loi de 1985 peut aussi être considérée, à en croire certains auteurs, comme une « consolidation de l’impasse »  [3]. Consolidation en ce sens que le statut du cinéma a été étendu à l’ensemble des « séquences animées d’images ». Ainsi, à travers la loi de 1985, le droit du cinéma de fiction fait le droit de l’ensemble de l’audiovisuel alors que l’audiovisuel ne cesse de donner jour à une multitude de techniques, de formes de création et d’intervenants qui rendent ce droit de plus en plus inadapté au secteur.

21 De plus, la création de droits voisins génère un nouveau potentiel de conflits : le droit d’interdire l’exploitation de l’œuvre est désormais partagé et doit par conséquent être coordonné. En même temps, aux termes de l’article L. 211-1 CPI, aucune disposition des règles relatives aux droits voisins ne doit être interprétée de manière à limiter l’exercice du droit d’auteur par ses titulaires. On voit par conséquent les limites qu’on a voulu instaurer dès le départ à l’encontre de ces nouveaux droits.

22 De manière générale, on peut dire que l’auteur reste au centre du dispositif législatif.

23 Principe prédominant de gestion des droits d’auteur par les sociétés de droits d’auteur : la gestion par les sociétés de droits d’auteur se présente comme une technique d’exercice collectif du droit exclusif sur les œuvres de l’esprit, droit réservé à des personnes physiques. Traditionnellement, chaque auteur exerçait lui-même ses prérogatives. Il est indéniable que face aux problèmes de piraterie, de gestion et de suivi de plus en plus complexes des droits, notamment à l’échelle internationale, les personnes physiques semblent en position d’infériorité face à l’appareil administratif des structures de communication. On peut donc considérer la gestion collective comme un corollaire du principe de l’auteur personne physique dans le cadre duquel les créateurs se sont regroupés pour assurer collectivement la défense de leurs droits.

24 Voici pour les principes régissant la personne de l’auteur.

b. Principes régissant les contrats passés par ces personnes

25 Contrairement aux pays de common law, où les règles d’exploitation d’œuvres de l’esprit restent relativement souples, le droit français impose à la fois des règles de forme, de capacité à contracter des auteurs et d’interprétation des cessions de droits particulièrement restrictives. Rappelons les principales règles.

26 Interdiction de “cessions larges” : toujours dans le but d’une protection des auteurs contre la tentative d’accorder des droits trop larges à leurs cocontractants, le droit français ne tolère pas les simples références à des cessions larges.

27 Il s’agit d’un principe d’interprétation restrictive : tout ce qui n’est pas expressément autorisé est interdit. Il s’ensuit que dans le doute, la convention est interprétée dans un sens favorable au créateur. La jurisprudence confirme ce principe de manière récurrente.

28 Encadrement strict de la cession des œuvres : corollaire du principe précédent, cet encadrement se caractérise notamment autour de deux axes. D’une part, la nécessité d’une cession expresse (article L. 131-2 CPI) et d’une mention distincte des droits cédés (article L. 131-3 CPI). À en croire un grand nombre d’auteurs, le principe mis en avant par l’article L. 131-2 CPI serait d’ordre public. Si on peut constater une certaine tolérance de la jurisprudence pour les cessions implicites, cette tolérance semble être limitée dès lors que l’employeur opte pour une commercialisation de l’œuvre créée par son salarié. Or, c’est la commercialisation qui est l’objectif premier de l’entreprise de communication. On a, par ailleurs, pu se demander comment ce principe d’une cession expresse s’articule avec le principe (article L. 132-44 CPI) selon lequel le contrat entre producteur et auteur emporte « cession au producteur des droits exclusifs d’exploitation de l’œuvre ».

29 D’autre part, l’interdiction de cession globale d’œuvres futures. Une telle cession est nulle à moins de prévoir des mentions précises qu’il est parfois difficile de déterminer dans l’environnement mouvant du secteur audiovisuel. Nous reviendrons sur ce point.

30 Principe de la qualification de l’œuvre audiovisuelle comme œuvre de collaboration : contrairement à la conception américaine, le principe veut que les œuvres audiovisuelles ne soient pas considérées comme des œuvres collectives.

31 En introduisant une distinction entre œuvres de collaboration et œuvres collectives, le droit français a validé, sur le fondement d’une interprétation de l’article L. 113-7 CPI, la conception selon laquelle l’œuvre audiovisuelle doit impérativement être la somme de contributions de personnes physiques. Cette collaboration se caractérise dans l’audiovisuel par une collaboration de genres différents (scénario, dialogues, adaptation, musique, …), coordonnés par l’un des auteurs au sens du code à savoir le réalisateur. L’œuvre est la propriété commune de ces personnes qui la gèrent selon les règles de l’indivision ce qui signifie qu’aucun acte d’exploitation ne peut être initié sans l’assentiment de l’ensemble des coauteurs.

32 Pourtant, notamment dans le cinéma, mais cela peut également être vrai en matière de télévision, le producteur peut avoir un rôle d’impulsion conceptuelle et créative majeure. La seule voie, traditionnellement admise par la jurisprudence est celle de voir le producteur se conférer, à côté de son rôle de producteur, un rôle d’auteur.

2. Tempéraments

33 Les solutions du droit d’auteur français se sont rapidement avérées contraignantes au vu de la souplesse requise et des mutations rapides du secteur audiovisuel. Diverses évolutions, notamment jurisprudentielles, sont donc venues tempérer les principes que nous venons d’évoquer. Deux exemples :

a. Velléités dans le sens d’une qualifica tion d’œuvre collective

34 Il est vrai que, pour l’instant, la jurisprudence semble ferme quant au fait que l’œuvre audiovisuelle est présumée être de façon irréfragable une œuvre de collaboration. Néanmoins, certains auteurs et même une jurisprudence minoritaire défendent depuis fort longtemps (cf. la jurisprudence Mascarade de 1947  [4], jusqu’en seconde instance) la thèse aux termes de laquelle la présomption d’œuvre de collaboration est simple. Afin de renverser cette présomption, il peut être établi que l’œuvre est collective  [5]. Ce serait la réalité qui correspondrait à nombre d’émissions de jeux de plateau, voire de journaux et magazines (exemple : le magazine culturel de France 3, Ramdam)  [6]. En effet, il est légitime de se demander si pour certaines émissions à concept et réalisation simples, cette interprétation ne s’avère pas d’une plus grande logique que celle de l’œuvre de collaboration.

35 En fait, dans le cadre d’une œuvre collective, le producteur serait cessionnaire, donc investi des droits d’auteur – par le biais d’une fiction juridique, en l’absence d’auteurs – donc de fait unique propriétaire de l’œuvre et titulaire sur l’œuvre du droit de propriété incorporelle. Cette solution se rapprocherait du droit américain et des solutions des débuts de l’ère du cinéma citées en introduction.

b. Le détour par l’appréciation de l’origi nalité de l’œuvre

36 La jurisprudence a rajouté une seconde circonstance – fortement subjective, souvent discutée – d’absence de droits d’auteur. En effet, afin qu’une personne puisse bénéficier des droits d’auteur, il est exigé que l’œuvre revête un caractère d’originalité. Or, il a été jugé de manière récurrente que certaines émissions (exemple des émissions de plateau) ne constituent pas des créations intellectuelles propres. Ainsi, selon la Cour de cassation, un réalisateur qui ne ferait que mettre en place les éléments nécessaires à une émission de plateau et effectuer des prises de vue ne ferait pas une œuvre originale lui permettant d’accéder au rang d’auteur. Dans une autre affaire, la cour d’appel de Paris a refusé la qualité d’auteur au promoteur d’un projet d’émission au motif que le manuscrit remis ne présentait qu’une idée en forme de canevas dépourvu de tout caractère original ou personnel. Ici encore, se pose la question des droits de l’entreprise de communication qui, en l’absence de droits d’auteur ne peut en être cessionnaire. On peut se demander si, en l’absence de droits d’auteurs, l’entreprise de communication pourrait être amenée à faire valoir son droit voisin sur ses programmes afin de faire sanctionner pénalement la reproduction de l’émission. Il semblerait que oui, car le droit voisin est considéré comme un droit sui generis, existant indépendamment de la protection ou non-protection par le droit d’auteur de l’œuvre en question.

37 Face aux aléas de la protection par le droit d’auteur, l’entreprise de communication peut être mieux conseillée à faire valoir ses droits par le truchement d’une action en concurrence déloyale.

38 Si nous avons cru bon de rappeler un éventail des solutions adoptées par le droit positif en matière de droit d’auteur à titre général, c’est que le cas spécifique d’un auteur salarié par une entreprise de communication ne déroge pas aux principes applicables en droit français.

B. Le cadre de l'auteur salarié d'une entreprise de communication

39 Face à cette originalité du droit français en ce qui concerne l’identité des statuts de l’auteur salarié et non salarié, il convient de distinguer le principe de sa mise en œuvre.

1. Le principe

40 Dans la relation habituelle entre une entreprise de communication et les auteurs, le principe veut que, selon l’article L. 111-1, al 3 CPI, la conclusion d’un contrat de travail ou de commande n’emporte aucune dérogation à la jouissance des droits du créateur. La jurisprudence a rajouté la précision que la transmission des droits de propriété incorporelle dans le cadre d’un contrat de travail est subordonnée à la condition que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée  [7].

41 Partant de là, deux conceptions s’affrontent : d’une part, les salariés revendiquent leur qualité d’auteur et s’opposent à l’exploitation des droits patrimoniaux de leurs œuvres en dehors de toute rémunération supplémentaire ; d’autre part, les entreprises de communication désirent rentabiliser leurs investissements et revendiquent la cession de ces droits patrimoniaux sur les œuvres créées par leurs salariés.

42 Par rapport à ce principe d’absence de dérogation, il convient bien entendu de mettre en perspective la réalité du métier.

2. L’application concrète du principe

43 Les données du métier audiovisuel mettent en lumière tant des limites de fait qu’un certain nombre de questions mal ou non résolues.

a. Les limites

44 De fait, les droits des auteurs salariés ou travaillant sur commande peuvent être limités autant sur le plan du droit moral que du droit patrimonial.

45 Sur le plan du droit moral : il convient de voir que la liberté de création née de l’initiative du créateur peut être fortement limitée dans le cadre d’une commande qui pose des données spécifiques en matière de contenu et de destination de l’œuvre. L’auteur ne peut pas ignorer les exigences de son cocontractant et ne sera pas forcément libre de développer le thème comme il l’entend. D’ailleurs, c’est souvent l’employeur qui est à l’origine de l’œuvre et qui impose les demandes et les directives tandis que l’employé n’aurait pas réalisé l’œuvre en dehors du cadre du contrat de travail. Un autre aspect est que le droit au nom peut se trouver violé dans le cadre des émissions de télévision, par absence de citation dans le générique, ce que les responsables de chaînes imputent au manque de temps et la nécessité d’allouer les plages entre deux émissions aux publicités.

46 Sur le plan patrimonial : ce sont les juges du fond qui considèrent de manière récurrente que le contrat de travail emporte cession à l’employeur des droits de l’auteur salarié, moyennant seule rémunération par un salaire forfaitaire. En effet, contrairement à la jurisprudence précédemment invoquée au regard de la condamnation du principe d’une cession implicite des droits par les salariés, un autre courant jurisprudentiel s’attache à considérer que, par principe, « les droits patrimoniaux sont forfaitairement compris dans le salaire reçu en exécution du contrat de travail ». Il est vrai que cette solution, d’une part, s’avère être en contradiction avec le droit du travail selon lequel le salaire reste dû en l’absence d’exploitation de l’œuvre, et, d’autre part, ne respecte pas le formalisme de l’article L. 131-1 CPI relatif à l’obligation de la mention distincte des droits cédés et, enfin, vide l’article L. 111-1 alinéa 3 (au terme duquel il n’existe aucune dérogation au droit d’auteur du fait de l’existence d’un contrat de travail) de son sens.

b. Les questions non résolues

47 Par ailleurs, les contraintes liées à l’économie de l’audiovisuel font surgir des questions non résolues par le droit positif. À titre d’exemple, on peut citer quelques interrogations soulevées par les auteurs  [8] :

48

  • Au regard des contraintes de l’employeur : un auteur salarié peut-il raisonnablement ignorer les contraintes de son employeur sous prétexte qu’il serait auteur ou coauteur de l’œuvre audiovisuelle réalisée avec sa participation ? Peut-il par exemple imposer un final cut ? La question paraît rhétorique.
  • Au regard de la nature informatique de certaines œuvres : de plus en plus d’œuvres audiovisuelles sont informatiques. C’est par exemple le cas des dessins animés. Or, les œuvres informatiques réalisées dans le cadre d’un contrat de travail appartiennent à l’employeur, personne physique ou morale. Serait-on alors en présence de deux régimes en fonction de la procédure technique adoptée pour l’œuvre ?

49 Pour l’instant, l’univers légal audiovisuel reste extrêmement protecteur de l’auteur. La tendance jurisprudentielle à une interprétation pragmatique dans le sens d’une flexibilité économique est minoritaire. Il n’est pas question de prôner un libéralisme excessif dans un univers où le poids d’institutions lourdes que sont les entreprises de communication paraît écrasant au regard des individus, personnes physiques que sont les auteurs. Néanmoins, paradoxalement, il s’avère qu’une protection excessive de l’auteur bloque le processus de production audiovisuelle des entreprises de communication et que l’introduction d’une flexibilité modérée pourrait être de nature à favoriser le dynamisme économique de la création d’auteurs.

50 Pour ces raisons, on peut invoquer aujourd’hui un risque d’affaiblissement de l’économie du secteur dans son ensemble qui engendre un besoin de réforme urgent.

II - DES SOLUTIONS AFFAIBLISSANT L'ÉCONOMIE DU SECTEUR ET QUI APPELLENT DES RÉFORMES

51 Ce besoin de réformes procède d’un constat d’inadaptation des solutions (A) et s’attache, par ailleurs, à dresser le bilan des suggestions diverses de réformes proposées (B).

A. Des solutions inadaptées

52 Que l’on émette des idées générales ou qu’on invoque des exemples ponctuels, les solutions paraissent mal adaptées.

1. D’un point de vue général

53 Deux constats se dégagent :

a. Un concept intellectuel inadapté au marché

54 En France, la notion d’art est intimement liée à celle d’auteur. Bien qu’il reste communément admis qu’il existe une différence entre le septième art (expression créée au début du XXe siècle) et l’audiovisuel, la loi de 1985 a, on l’a vu, étendu le statut du cinéma à l’ensemble des séquences animées d’images, c’est-à-dire aux téléfilms, jeux télévisés, jeux vidéos et autres expressions audiovisuelles.

55 Or, autant le cinéma qu’a fortiori l’audiovisuel est aujourd’hui, si on ne veut pas lui dénier, fort heureusement, son caractère artistique en bon nombre de cas, notamment une industrie. Surtout, l’audiovisuel est une forme d’expression qu’on peut qualifier de “plurale” (pour éviter la notion, déjà objet d’une catégorie juridique, de collective). L’approche fortement individualiste qui a présidé à la législation en matière de droits d’auteurs apparaît de ce fait comme inadaptée.

b. Une insécurité juridique croissante

56 Les incohérences dans l’interprétation des clauses du CPI et les tendances fortement opposées de la jurisprudence en la matière, telles que précédemment évoquées, créent un climat d’insécurité juridique, tant pour le salarié que pour l’entreprise de communication.

57 Les solutions s’avèrent également inadaptées.

2. À la lumière de quelques exemples spécifiques retraçant l’évolution de l’économie de l’audiovisuel

58 Beaucoup d’auteurs estiment que le régime juridique des créations de salariés est à contre courant des réalités économiques. Les solutions sont inadaptées à maints points de vue et on note une évolution du secteur qui devance largement l’adaptation du droit à ces réalités. Je me contenterai d’invoquer, à titre d’exemple, trois aspects sans que cette liste ne soit limitative.

a. L’éclatement des professions tradi tionnelles de l’audiovisuel modifie leur équilibre

59 L’éclatement des professions : par exemple, les fonctions traditionnellement dévolues au réalisateur (mise en scène, direction d’acteurs, montage) sont réparties entre ses subordonnés dont le directeur d’acteurs et les monteurs. Avec l’avènement de nouveaux procédés de rationalisation de production, le montage échappe souvent au réalisateur et le monteur dispose d’une autonomie croissante. On a parlé d’une érosion du rôle du réalisateur qui fait que, de plus en plus fréquemment, les réalisateurs ne signent pas leurs épisodes  [9].

60 L’équilibre modifié entre certaines professions traditionnelles : il s’agit notamment de l’importance accordée aux droits des artistes interprètes, à savoir notamment les comédiens. Dans ce domaine, on note un décalage de plus en plus accentué entre leur poids juridique et leur poids économique. Dans les pays de droit civil, les artistes interprètes jouissent non pas d’un droit d’auteur mais d’un droit voisin du droit d’auteur. C’est ce qui a fait dire que « la loi a sublimé l’auteur, alors que l’économie de la communication et du spectacle sublime l’artiste »[10].

61 Paradoxalement, alors que la législation américaine ne confère pas aux artistes-interprètes de statut particulier, la jurisprudence avait déjà admis que l’interprète puisse « créer, avec une valeur artistique, quelque chose de nouveau sur le plan intellectuel »  [11]. Ce principe a été consacré par voie législative en 1972  [12]. La solution pragmatique a consisté en France dans une tendance, du moins pour les acteurs de renom, à intéresser les acteurs aux bénéfices, non pas sous le régime de la rémunération proportionnelle des auteurs mais en tant qu’entrepreneurs. Ils perçoivent dans ce cas, donc en plus de leur rémunération fixe et distincte pour chaque mode d’exploitation de l’œuvre, un pourcentage sur les “recettes nettes part producteur”  [13].

b. L’introduction de procédures et “pro duits” audiovisuels relativement récents

62 Les procédures : l’apparition de nouvelles méthodes de travail a engendré des terrains de vide juridique ou, au contraire, de conflits de lois. Deux exemples :

63

  • La possibilité pour le producteur de faire corriger le travail d’un scénariste salarié par un autre membre de l’équipe de rédaction soulève le problème de la licéité de la réécriture et des conséquences de la réécriture sur la qualification des rapports entre auteurs ou entre les auteurs et le producteur.
  • La colorisation : l’affaire Houston et Maddow  [14] a, à nouveau, mis en lumière la conception fondamentalement différente entre le droit américain et français. Comme on sait, Houston et Maddow étaient deux salariés d’une maison de production qui se sont opposés soit personnellement soit à travers leurs ayants droit, à la colorisation du film Asphalt Jungle. Si en droit interne, la question de la colorisation n’est pas nouvelle, ce qui a été surprenant dans cette affaire, c’est qu’une démarche autorisée par le droit américain au regard des mêmes parties a été condamnée en France au nom de l’applicabilité du droit moral pour tout auteur dont l’œuvre est montrée au public sur le territoire français. Ce concept, humainement tout à fait remarquable, pose néanmoins le souci quasiment insurmontable pour tout producteur de devoir segmenter son marché selon le droit applicable.

64 À titre général, cette affaire confirme la portée que la France entend attacher au droit moral et pose en même temps la question de savoir comment cette portée peut être rendue économiquement compatible avec une internationalisation sans cesse croissante des marchés des entreprises de communication audiovisuelle. On peut, enfin, rappeler la question posée par certains auteurs de savoir si l’absence ultérieure de diffusion du film sur les chaînes nationales françaises ne porte pas une plus grande atteinte au droit moral de John Houston que la diffusion du film en version colorisée  [15].

65 • Les “produits” audiovisuels : par ailleurs, en l’état actuel du droit, certains produits audiovisuels sont exclus de protection. Il s’agit le plus souvent des concepts de jeu et des projets de séries. En ce qui concerne les jeux, on sait que la valeur économique ne résulte pas d’un simple “scénario” ni d’une mise en scène mais d’un ensemble d’éléments qui vont de l’idée à la construction du jeu, la rythmique de l’émission, bref un certain nombre d’éléments qui doivent capter l’attention et faire appel à l’émotion du spectateur. Aucun de ces éléments ne peut être l’objet d’une réservation par un droit de propriété incorporelle. L’idée est, comme on sait, de libre parcours, la méthode, en tant que création abstraite, est assimilée à des idées et donc également exclue de la protection. Il semblerait qu’aucune solution jurisprudentielle n’ait encore pu résoudre efficacement cette lacune. En l’absence de protection, de tels concepts échappent alors tant à l’auteur que, le cas échéant, au producteur. Certains jugements avaient considéré que des concepts étaient librement réutilisables car construits à partir d’idées appartenant au domaine public. Dans la pratique, les professionnels des jeux télévisés s’accordent à dire que les idées de jeux reprennent « à peu près toujours les mêmes formules »  [16]. Ici encore le seul terrain d’action pour une entreprise de communication semble être l’action en concurrence déloyale.

c. Le développement de nouveaux mar chés : impossibilité d’une prévision des opportunités

66 Dans la mesure où une interdiction pure et simple des cessions globales d’œuvres futures s’avérerait être un obstacle presque insurmontable pour les entreprises de communication, la solution adoptée est qu’une clause relative à une telle exploitation est en soi valable (art. L. 131-6 CPI) à une double condition que le législateur a voulue, ici encore, protectrice des auteurs. La clause doit être expresse, d’une part, et prévoir, d’autre part, au profit de l’auteur une participation corrélative aux profits d’exploitations à provenir des nouvelles exploitations de l’œuvre.

67 L’avantage d’une telle solution est que la cession d’origine autorise le principe de l’exploitation de l’œuvre dans, par exemple, une création multimédia. La jurisprudence a fait une interprétation relativement souple de l’article L. 131-6 CPI. Cette interprétation est faite pour conforter le producteur dans un marché en rapide mutation et peut être mise en lumière dans le sens d’une dynamique économique.

68 L’inconvénient de la solution est que l’exigence relative à la mention d’une participation corrélative aux profits d’exploitation peut s’avérer problématique. Les rémunérations au profit des auteurs sont par définition fixées sans avoir pu les mettre en perspective avec l’économie de l’exploitation à venir. Ainsi, par exemple, l’exploitant qui voudra utiliser une œuvre préexistante dans une création multimédia peut être amené à devoir renégocier les rémunérations initialement accordées par excès d’optimisme ou méconnaissance – fondée – du marché futur. L’enjeu – réel ou supposé – en terme de marché et le rapport de forces entre les cocontractants déterminera alors l’équilibre de cette nouvelle négociation.

69 La facilité que laissent supposer les dispositions de l’article L. 131-6 CPI n’est donc pas forcément vérifiée eu égard aux éventuelles contraintes et impasses d’une renégociation.

70 Face à l’inadaptation des solutions à un marché audiovisuel en rapide mutation, la recherche de nouvelles solutions devient souhaitable.

B. Propositions pour de nouvelles solutions

71 La conception anglo-saxonne et la conception civiliste du droit d’auteur s’opposent depuis plus de quarante ans, comme l’ont illustré bon nombre de livres et de thèses.

72 La conception anglo-saxonne, à savoir patrimoniale, du copyright permet d’accorder la propriété de l’œuvre non plus à l’auteur, mais à l’entrepreneur.

73 Il est d’usage d’invoquer le fondement historique de la conception civiliste en France. Néanmoins l’analyse des débuts de l’histoire du cinéma nous a permis de constater que, du moins en matière audiovisuelle, cette tradition n’est pas si ancienne. L’opposition des producteurs à de telles prétentions se fonde sur le fait qu’ils considèrent qu’accorder de telles prérogatives équivaudrait à instaurer autant d’entraves potentielles à l’exploitation de l’œuvre.

74 En ce sens, la recherche de nouvelles solutions doit surmonter deux écueils tout en visant un objectif économiquement défendable qui peut se décliner en quelques grandes lignes.

1. Les écueils

75 Les écueils sont au nombre de deux :

76

  • respecter la tradition civiliste du droit d’auteur en France,
  • éviter un empilement de régimes dérogatoires qui émiettent progressivement le droit d’auteur (cf. rapport du conseiller d’État Mme Falque-Pierrotin).

2. L’objectif

77 L’objectif indispensable, d’un point de vue économique, semble être un accroissement de la flexibilité du marché et, partant de là, de la réactivité des entreprises de communication – déjà alourdies par des processus de décision et de création ralentis.

78 Il est clair que cette solution risque de créer un régime à deux vitesses entre les auteurs connus qui peuvent imposer leurs conditions et ceux, débutants ou de moindre notoriété qui devront se contenter par exemple de cessions forfaitaires. Néanmoins, d’une part, une protection excessive des auteurs n’engendre pas forcément un accroissement de la qualité des contenus. D’autre part, l’importance des sociétés de gestion collective et de leur force de négociation pourrait, dans cette perspective, être mis en lumière.

3. Quelques propositions

a. Créations de statuts nouveaux

79 Adoption d’un régime général de présomption de cession au profit de l’employeur pour les besoins de l’entreprise, en l’absence du respect du formalisme de la mention de chaque forme d’exploitation. Mise en place d’un statut unique des créations de mission qui couvriraient toutes les créations audiovisuelles par des salariés. Dans un tel système, l’employeur est réputé être l’auteur de toutes les œuvres créées par les salariés. Le cas où une entreprise audiovisuelle commanderait une œuvre, serait traité par analogie au concept anglo-saxon du work made for hire (à savoir “l’œuvre commandée” selon le droit américain) où l’entreprise de communication est réputée être titulaire du copyright sur cette œuvre. Ce sont notamment les entreprises de production d’œuvres multimédia qui souhaitent voir adoptée la solution d’une cession automatique à l’employeur des droits d’exploitation de leurs auteurs salariés qui ont contribué à l’élaboration des œuvres commercialisés par ces entreprises.

b. Aménagements de statuts existants

80 Aménagement de la notion d’œuvre collective, notamment au regard des émissions de flux pouvant faire l’objet d’exportations et d’amortissement rapides. Un tel aménagement consisterait à permettre à l’employeur de réutiliser librement les contributions individuelles des divers auteurs ayant participé à l’élaboration de l’œuvre collective.

81 Aménagement de la prohibition de la cession globale d’œuvres futures, à travers deux solutions : une solution pourrait être de codifier la jurisprudence selon laquelle « la prévision d’une cession automatique d’éventuels travaux n’est pas constitutive de la cession globale d’œuvres futures »  [17]. Une autre solution invoquée consisterait à autoriser l’employeur à se faire consentir un droit de préférence d’une durée limitée par ses auteurs salariés sur les œuvres créées dans l’exécution d’une mission créatrice précise  [18].

82 Aménagement du principe de rémunération de l’auteur salarié. Dans cette hypothèse, plusieurs idées peuvent trouver application : écarter le principe d’une rémunération proportionnelle en élargissant le champ du régime dérogatoire prévu à l’article L. 131-4 CPI. En ce qui concerne la diffusion d’œuvres audiovisuelles sur Internet, on a invoqué la mise en place de compteurs électroniques.

83 Le régime de rémunération pourrait être harmonisé avec le régime prévu en matière de brevets et relatif aux inventions des salariés (article 611-7 CPI). Dans ce cadre, il est prévu que les conditions de rémunération d’un salarié, auteur d’une invention, sont déterminées, par hiérarchie décroissante par les conventions collectives, les accords d’entreprise et les contrats individuels de travail.

84 Enfin, à la place d’une rémunération proportionnelle, il serait envisageable de prévoir le versement de primes d’intéressement pour les salariés créatifs.

Conclusion

85 Il est d’usage de présenter le droit audiovisuel français comme le droit des “auteurs” par opposition au droit américain, présenté comme le droit des “producteurs”. En même temps, de plus en plus d’auteurs défendent l’idée que le droit des créations audiovisuelles est aujourd’hui un terrain paradoxal, « la branche la plus bancale »  [19] du droit d’auteur ce qui serait à l’origine, selon certains professionnels, de rigidités dans la pratique des affaires du secteur audiovisuel.

86 Bien entendu, il ne convient pas d’infirmer la nécessité d’une protection des auteurs. Mais favoriser l’assise du producteur, lui donner la flexibilité nécessaire pour exploiter ses droits dans un environnement économique fluctuant ne va pas forcément à contre-courant des intérêts des auteurs. Nous avons vu que le droit américain assimile l’œuvre audiovisuelle à une œuvre collective. Or, la vitalité du secteur audiovisuel américain démontre que cette qualification ne constitue pas un frein à la création. Dans un souci d’éviter les superlatifs, il est possible d’affirmer qu’un poids accru conféré aux producteurs n’engendre pas de résultat pire qu’un univers extrêmement protecteur des droits de l’auteur. À l’inverse, une protection excessive de l’auteur risque de plonger le marché audiovisuel français dans un marasme et une absence de compétitivité qui n’est pas faite pour faciliter la vie des auteurs.

87 L. G.

Notes

  • [1]
    On notera que le cinéma français de l’époque peut être considéré, jusqu’environ 1910, comme une “industrie multinationale” avant d’évoluer, quelques décennies plus tard, selon l’expression forgée par Roman Polanski en 1993, vers une « sorte d’artisanat ».
  • [2]
    L’idée d’instaurer un droit d’autoriser propre aux producteurs en leur qualité d’entrepreneur de la création et indépendant des droits d’auteurs reconnus aux créateurs avait d’ailleurs été proposée dès 1954 dans un rapport au Bureau international de l’Union internationale pour la protection des œuvres littéraires et artistiques.
  • [3]
    André Bertrand, Le droit d’auteur et les droits voisins, Dalloz, 1999.
  • [4]
    Cass. civ. 10 novembre 1947, Gaz. Pal. 1948, 1, 55 ; S. 1948, 1, 157 ; D. 1947, 529.
  • [5]
    Le statut de l’œuvre collective suppose que les contributions personnelles se fondent en un ensemble en vue duquel ils ont été conçus, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun un droit indivis sur l’ensemble réalisé. À travers le régime juridique de l’œuvre collective, la volonté du législateur était bien de permettre au coordinateur d’être investi des droits dans son ensemble, d’exploiter l’œuvre comme il l’entend, indépendamment des évolutions technologiques.
  • [6]
    TGI Paris, 27 octobre 1993, RIDA, juillet 1994, 398 et 203 ; Pet. Aff. 25 mai 1994, 6 ; Angle droit février 1994, 12 (mais infirmé en appel).
  • [7]
    Cass. civ. 16 décembre 1992, Gouy c/ Nortène (en matière de logiciels, mais la solution a été reprise dans le domaine artistique), pourvoi n° 91-11480.
  • [8]
    Cf. André Bertrand, op. cit.
  • [9]
    Christine Hugon, Le régime juridique de l’œuvre audiovisuelle, Litec 1993.
  • [10]
    André Bertrand, Le droit d’auteur et les droits voisins, Ed. Dalloz, 1999, n° 23.1.
  • [11]
    Arrêt Waring v. WDAS Broadcasting Station, 1937.
  • [12]
    Le principe a d’ailleurs eu pour conséquence que, dans la mesure où les États-Unis considèrent que les interprétations relèvent du droit d’auteur, les ressortissants américains doivent bénéficier à l’étranger de la Convention de Berne.
  • [13]
    A noter que la jurisprudence peut être amenée à qualifier ces contrats de sociétés en participation, quand bien même les parties voudraient exclure cette appréciation.
  • [14]
    CA Versailles (ch. réunies), 19 décembre 1994.
  • [15]
    Quid des droits moraux des autres auteurs ? Quid si certains auteurs s’étaient joints à l’action de Ted Turner ?
  • [16]
    Les Dossiers de l’audiovisuel, n° 38, juillet/août 1991, p. 3.
  • [17]
    CA Lyon, 28 nov. 1991.
  • [18]
    DEA Droit de la communication, Exposé de M. Franck Bergeron, publié sur www.u-paris2.fr
  • [19]
    André Bertrand, Le droit d’auteur et les droits voisins, Ed. Dalloz, 1999, Chapitre 18, Introduction.
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