Notes
-
[1]
Voir Annie Allain « La position de l’AGESSA concernant la qualification des rémunérations des collaborateurs dans le domaine de la presse et de la communication », Légicom 26, p. 15.
-
[2]
Art. 382-1 Css : « Les artistes auteurs d’œuvres littéraires et dramatiques, musicales et chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographiques, graphiques et plastiques, ainsi que photographiques, […] sont affiliés obligatoirement au régime général de sécurité sociale et bénéficient des prestations familiales dans les mêmes conditions que les salariés (…) ».
-
[3]
JOAN Doc., n° 1988, p. 28.
-
[4]
JO S., Doc. n° 123, p. 47.
-
[5]
JOAN, Doc. n° 2097, p. 6.
1L’enfer est toujours pavé de bonnes intentions. La sécurité sociale ayant une finalité humaniste et solidariste, elle ne pouvait donc qu’être le terrain privilégié de descente en ce lieu précité. Comme nous l’enseigne les œuvres de Jérôme Boesch, l’enfer, c’est avant tout la confusion et la multitude.
2 Cette multitude, source de confusion, va se retrouver dans la gestion des rémunérations des collaborateurs de la rédaction. En effet, ceux-ci peuvent se voir attribuer des statuts divers : journalistes professionnels répondant à la définition de l’article L. 761-2 du code du travail, auteurs-salariés de droit commun dont la relation contractuelle se caractérise par un lien de subordination, auteurs non salariés ayant un statut de travailleur indépendant ou relevant du régime des auteurs au regard du droit de la sécurité sociale (régime AGESSA).
3 Les présents développements ne seront consacrés qu’aux auteurs n’ayant pas la qualité de journaliste professionnel, ces derniers relevant de fait du régime général pour le traitement de leur rémunération, comme cela a été exposé avec pertinence par la directrice de l’AGESSA dans la présente publication [1].
4 Sur le fondement d’éléments de doctrine de la commission professionnelle des écrivains, nombre de collaborateurs de presse se voient refuser l’assujettissement au régime des artistes auteurs, bien souvent lors d’un contrôle URSSAF, soit donc a posteriori de la décision d’affiliation qui dépend initialement du choix des parties (éditeur et auteur). Cette analyse peut paraître surprenante alors même que l’assujetti ne sera que contributeur au régime, disposant d’ores et déjà d’un régime de sécurité sociale au regard de son activité principale. Elle se fonde à la fois sur la nature des articles et sur celle de la collaboration, deux critères sur lesquels on peut porter un regard critique.
I/ LA NATURE DE LA PIGE : UNE DOCTRINE POUR LES CASUISTES
5 Au regard de la doctrine de l’AGESSA, nombre de collaborateurs de presse peuvent se voir refuser le bénéfice de l’affiliation au régime de sécurité sociale des auteurs. Il en est de même des auteurs de documents présentant une nature publicitaire. Pourtant, le libellé de l’article L. 382-1 du code de la sécurité sociale [2] apparaît moins exclusif dans sa formulation.
A/ Les collaborateurs de presse
6 Pour pouvoir prétendre à l’assujettissement au régime des artistes auteurs, il convient de répondre à la définition suivante des bénéficiaires dudit régime :
7 « les auteurs d’articles de fond qui fournissent occasionnellement à des journaux et publications des textes originaux dont la finalité n’est pas d’assurer sur un mode journalistique l’information des lecteurs, quelle que soit la nature de celle-ci ».
8 La lecture de cette doctrine de l’AGESSA, qui semble procéder de la position exprimée par la commission professionnelle des écrivains, amène plus de questionnements ésotériques que de Lumières guidant la Droite raison. Qu’est ce qu’un article de fond ? Qu’est ce que travailler occasionnellement (quel nombre de piges et quelle durée de référence : le mois, le semestre, l’année) ? Qu’est ce qu’un mode journalistique ? Les auteurs de cette revue sont-ils dignes des œuvres de Molière, non pas par leur style mais par leur rôle de Monsieur Jourdain faisant du salaire sans le savoir ?
9 Ces critères d’assujettissement sont particulièrement étonnants au regard du fait que loi et jurisprudence s’accordent à reconnaître que le genre de l’œuvre n’a pas à être pris en compte au regard du droit de la propriété intellectuelle.
10 Certes, on pourra alors invoquer le principe de l’indépendance des branches du droit et faire valoir que ce qui vaut pour la propriété littéraire et artistique ne vaut pas pour le droit social. Il est vrai que l’œuvre du journaliste est bien protégée par le droit d’auteur mais qu’elle ne permet pas le rattachement du journaliste à l’AGESSA. Il en est de même pour l’avocat et sa plaidoirie. Mais on ne voit guère pourquoi l’auteur collaborant régulièrement, qu’il soit médecin, avocat ou enseignant, se verrait exclu de son affiliation au régime de l’AGESSA au prétexte de sa régularité de collaboration. Ceci est d’autant plus regrettable que les personnes physiques précitées disposent d’ores et déjà de régime de protection sociale.
11 En conséquence, la volonté d’affiliation de ces derniers au régime général, dont les cotisations sont plus amples, ne relève pas de la logique humaniste et solidariste des caisses primaires mais bien plutôt de la logique financière de l’URSSAF qui dénonce les turpitudes des employeurs dans leurs obligations déclaratives pour mieux cacher sa propre avidité. On cherchera en vain dans tout cela le propre intérêt de l’auteur lui-même, alors même que les régimes de sécurité sociale ont été bâtis par et pour les bénéficiaires dans une logique assurantielle. Mais il est vrai que la logique bismarckienne qui a présidé à la naissance de cette institution a depuis longtemps fait place à l’étatisme froid et distant ne laissant place qu’à un paritarisme de façade.
B/ La communication institutionnelle
12 Les auteurs de piges de nature publicitaires sont exclus du bénéfice du régime des artistes auteurs. Cette exclusion se conçoit si l’auteur de l’œuvre publicitaire est salarié d’une agence de publicité puisqu’alors il relève du régime de droit commun des salariés. Elle donne toutefois matière à discussion lorsque la personne a travaillé en dehors de tout statut salarial et s’avère être l’auteur personne physique de l’œuvre.
13 Pour justifier son exclusion du bénéfice du régime, l’AGESSA invoque le fait que « ces publications ne font pas l’objet d’une commercialisation grand public ; elles ne participent pas à une mission d’information du public../..le rédacteur ne signe pas les articles qui lui sont commandés ».
14 Ces observations ne suppriment toutefois pas la qualité d’œuvre et celle d’auteur au regard des dispositions de l’article L. 382-1 du code de la sécurité sociale qui vise les œuvres littéraires, audiovisuelles, graphiques et plastiques. Et le fait qu’il s’agisse d’œuvre de commande ne saurait exclure du bénéfice du régime, le code de la propriété intellectuelle envisageant une telle hypothèse. Or, les documents parlementaires et notamment le rapport de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale sur le projet de loi sur la sécurité sociale des artistes auteurs de 1975 précisait que « plutôt qu’être obligé de procéder à des extensions hasardeuses par voie réglementaire, mieux vaut inscrire dans la loi une définition générale des bénéficiaires fondée sur ce qui est leur dénominateur commun : la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique qui ordonne toute leur activité professionnelle. La notion précise d’auteur et d’œuvre littéraire et artistique qui se dégage de cette législation pourrait servir de base à la définition des personnes protégées » [3]. Quant au Sénat, sa commission des affaires culturelles « souhait (ait) vivement que les rédacteurs des décrets donnent bien à la loi son sens le plus large et le plus favorable aux créateurs » [4].
15 Ici encore, la doctrine de la commission professionnelle des écrivains donne le sentiment de vouloir faire du régime AGESSA un régime pour “happy few” en consolidant fortement les barrières du régime général de droit commun et en y orientant le plus de personnes par la mise en œuvre de critères ouverts. Cette volonté d’exclusion du régime se retrouve également dans l’invocation de l’auteur libre de toute contrainte.
II/ LE MYTHE DE L’ÉCRIVAIN LIBRE DE TOUTE CONTRAINTE
16 Le romantisme semble inspirer la commission professionnelle des écrivains instituée par l’article L. 382-1 du code de la sécurité sociale. En effet, elle fonde sa doctrine sur le mythe de l’écrivain libre de toute contrainte, tout en voyant dans la constance de collaboration le signe de l’aliénante subordination.
A/ Une liberté théorique
17 En effet, pour la commission professionnelle, la situation de l’écrivain susceptible de pouvoir prétendre à l’assujettissement au régime des artistes auteurs serait l’« absence de délais ou de quotas à respecter » ainsi que le fait de n’être soumis « à aucune sujétion ».
18 Ce critère se retrouve pourtant rarement dans la pratique. En effet, même dans les contrats d’édition de livre, il est prévu une date de remise des manuscrits assortie de sanctions en cas de non remise du manuscrit dans les délais. De la même, façon, le rédacteur d’un ouvrage peut se voir adjoindre un photographe maison. Enfin, de plus amples sujétions se retrouvent également dans l’édition de livre de bandes dessinées où le dessinateur doit se conformer au scénario du scénariste, de la même façon que le coloriste ne pourra pas donner libre cours à son imagination créatrice.
19 Ces contraintes de l’édition de livres sont bien similaires à celles des collaborateurs de presse. Il est illusoire de croire que le collaborateur non permanent de la rédaction est un globe-trotteur finançant lui-même ses voyages pour ensuite venir en proposer les fruits intellectuels à l’éditeur, que celui-ci soit de livres ou de presse. Le principe commun est l’à valoir et l’avance de frais faite par l’éditeur en vue de faciliter l’activité de création.
20 La doctrine de la commission professionnelle des écrivains apparaît donc plus théorique que pratique. La même critique peut lui être apportée en ce qui concerne les conséquences qu’elle attache au critère de constance de la collaboration.
B/ La constance dénaturée
21 Comme le rappelle la Directrice de l’AGESSA dans son article explicite sur la doctrine sociale relative aux collaborateurs de la rédaction, « la commission professionnelle des écrivains émet un avis défavorable si l’activité d’auteur d’articles, bien qu’accessoire à une autre activité principale, représente pour l’entreprise de presse une collaboration constante comme la rédaction d’éditoriaux dans chaque numéro de la publication, la tenue régulière de chroniques, la permanence d’une rubrique ». Ici encore, on ne voit pas en quoi la constance serait l’illustration de l’existence d’un lien de subordination. Ce n’est pas parce qu’une date s’impose à l’auteur d’une prestation qu’il est pour autant salarié. En effet, sa liberté de création demeure, à l’instar de son mode, de son lieu et de son temps de travail. L’auteur non salarié peut travailler comme il veut, quant il veut et où il veut, ce qui le distingue du salarié dont l’employeur va mesurer le temps selon les exigences (contraignantes) de la loi et régir contractuellement le lieu d’activité au regard des principes prétoriens.
22 Par ailleurs, il importe de rappeler que la qualité de salarié du secteur privé n’est pas autorisée aux agents publics en application du décret du 29 octobre 1936 sur le non cumul de rémunération. Curieusement, les décisions judiciaires semblent faire fi de ces exigences statutaires du secteur public alors même que nombre de commentateurs ont la qualité d’enseignant.
23 Parallèlement, on s’interrogera sur cette logique d’exclusion qui aboutit à restreindre le volume des cotisations perçues par le régime alors même que nombre d’assujettis ne sont de fait pas bénéficiaire du régime et contribue ainsi à en garantir la trésorerie, dans un sens voulu par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale [5].
24 En conclusion de cette critique, que l’on souhaite constructive, on rappellera les termes en conclusion de l’exposé des motifs du projet de loi sur la sécurité sociale des artistes auteurs de 1975 : « éviter que des règles administratives conçues pour d’autres professions n’aboutissent à entraver ou à écraser l’action de création ».
25 F.G.
Notes
-
[1]
Voir Annie Allain « La position de l’AGESSA concernant la qualification des rémunérations des collaborateurs dans le domaine de la presse et de la communication », Légicom 26, p. 15.
-
[2]
Art. 382-1 Css : « Les artistes auteurs d’œuvres littéraires et dramatiques, musicales et chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographiques, graphiques et plastiques, ainsi que photographiques, […] sont affiliés obligatoirement au régime général de sécurité sociale et bénéficient des prestations familiales dans les mêmes conditions que les salariés (…) ».
-
[3]
JOAN Doc., n° 1988, p. 28.
-
[4]
JO S., Doc. n° 123, p. 47.
-
[5]
JOAN, Doc. n° 2097, p. 6.