LEGICOM 2001/1 N° 24

Couverture de LEGI_024

Article de revue

Le prix unique du livre

Pages 75 à 84

Notes

  • [1]
    CA Paris, 25 octobre 1994.
  • [2]
    TGI Paris, 29 février 1984, D. 1984, jur, p. 451.
  • [3]
    Réponse ministérielle à une question écrite 22 février 1982. n° 7246, 21 décembre 1981, JOAN Questions 4. Circulaire du 30 décembre 1981.
  • [5]
    Art. 5 du décret n° 81-1068 du 3 décembre 1981.
  • [6]
    CJCE, 10 janvier 1985, aff. C-229/83, JCP éd. G 1985, II, n° 20395.
  • [7]
    Art. 4 de la loi du 20 juin 1992 relative au dépôt légal.

1 CET ARTICLE présente une synthèse des principales dispositions relatives au prix unique. Pour des exposés plus détaillés, voir Prix unique, mode d’emploi, publié par le ministère de la Culture (Direction du livre), et l’étude dans Lamy, droit des médias et de la Communication sur la commercialisation du livre (étude 251).

2 Le principe du prix unique du livre constitue une des rares exceptions à la libre concurrence au sein de l’économie française, ainsi que de l’économie d’un certain nombre d’autres États européens. À ce titre, le prix fixe du livre est regardé avec une certaine méfiance par les autorités en charge des règles de la concurrence, tant au niveau national que dans le cadre communautaire.

3 Il convient de rappeler à cet égard que les systèmes de prix unique peuvent procéder, selon les cas, de deux modalités juridiques : un accord interprofessionnel, ou une loi.

4 Dans la première hypothèse, les professionnels (éditeurs et libraires) se mettent d’accord pour assurer le respect du prix f ixé par l’éditeur pour la vente de chaque ouvrage au public. En règle générale, un tel accord doit être approuvé ou homologué par les autorités en charge des règles de concurrence du pays concerné. Cette “homologation” intervient sur la base des avantages, notamment pour le consommateur, de l’instauration d’un prix unique du livre tels qu’ils sont appréciés par les autorités compétentes. La durée des homologations est souvent limitée et, régulièrement, il est nécessaire de représenter un dossier établissant les bienfaits des accords interprofessionnels. Le système des accords interprofessionnels existe en Allemagne depuis des décennies, en Belgique néerlandophone, et aux Pays-Bas. Il était pratiqué en Grande-Bretagne jusqu’en 1996, date à laquelle un certain nombre de grands éditeurs s’en sont retirés, privant de facto le prix fixe de toute portée.

5 La seconde solution est celle de l’adoption d’une loi. Elle présente l’avantage d’être moins susceptible d’une remise en cause, et d’une plus grande solidité face à l’hostilité permanente que le prix fixe du livre rencontre au sein des autorités communautaires. Cette solution a été retenue par la France en 1981, et imitée par certains autres États européens, comme l’Espagne ou le Portugal.

• L’origine du prix unique du livre en France

6 La question du prix fixe du livre ne s’était jamais posée en France avec acuité jusqu’au milieu des années 70. L’ouverture à cette époque de grandes surfaces, notamment la Fnac, dont la politique consistait à accorder sur les livres des remise très importantes, de l’ordre de 20 %, à ses clients a rapidement soulevé le problème de la capacité des libraires indépendants à soutenir une telle concurrence, et celui des répercussions que la concentration du commerce du livre ne manquerait pas d’avoir sur la création éditoriale.

7 Dans le système qui prévalait jusqu’aux années 70, c’est le droit commun qui s’appliquait : les éditeurs conseillaient un prix de vente, mais il n’était pas impératif. Cependant, la plupart des détaillants le respectaient. La stabilité du système reposait donc sur l’existence d’une politique de prix relativement uniforme des libraires, et sur l’absence de remises importantes de la part de grandes surfaces qui, soit n’existaient pas encore, soit n’avaient pas développé une offre de livres importante.

8 La seconde partie des années 70 a été une période de relative libéralisation de l’économie, et de dérèglementation des prix. En 1979, dans ce mouvement, le gouvernement a décidé d’interdire tout prix imposé ou conseillé pour le livre, soutenant et encourageant ainsi le développement des remises pratiquées par les grandes surfaces. C’est à partir de cette date que les éditeurs, et de nombreux libraires, ont intensifié leur action pour obtenir l’adoption d’un prix unique du livre, instauré par la loi du 10 août 1981 après une campagne électorale au cours de laquelle la plupart des candidats s’étaient prononcés en faveur du prix unique.

• Les fondements du prix unique du livre

9 Les opposants au prix fixe ne voient souvent dans ce système qu’un moyen de protéger les “petits” libraires contre le développement de la grande distribution. En réalité l’objectif s’inscrit dans le cadre d’une politique de défense du livre et de la création éditoriale. Les libraires jouent évidemment un rôle irremplaçable et prépondérant dans ce cadre, mais leur protection ne constitue pas la f inalité de la loi du 10 août 1981.

10 La loi du 10 août 1981 se fonde sur un constat simple : le livre est un produit spécifique, tant pour des raisons culturelles que pour des raisons économiques, les unes et les autres étant évidemment indissociables.

11 Sur le plan culturel, le livre est un bien dont la valeur tient davantage à son contenu qu’à l’objet qu’il constitue. Il est le véhicule de la culture, du savoir et de l’enseignement. Il ne se limite donc pas au statut d’une marchandise comme les autres, et les règles économiques qui lui sont applicables doivent être adaptées à cette situation particulière. Ce raisonnement serait évidemment transposable à d’autres produits culturels, comme les disques par exemple, dont l’évolution des circuits de commercialisation depuis vingt ans, confirme la nécessité du prix unique.

12 Sur le plan économique, le livre présente des caractéristiques très spécifiques qui se ne se rencontrent pas, ou pas dans cette proportion, dans d’autres secteurs. Les trois traits les plus importants du marché du livre sont de ce point de vue :

13

  • le très grand nombre de références qui existent sur le marché : plus de 40 000 titres publiés chaque année, auxquels il faut ajouter les titres publiés au cours des années antérieures et qui restent au catalogue des éditeurs ;
  • la diversité des marchés et des publics potentiels, selon la nature d’un ouvrage, qui peut être un roman destiné au grand public, un ouvrage universitaire spécialisé, un ouvrage technique, etc.
  • l’originalité de chaque livre qui réduit considérablement la “substituabilité” possible entre deux livres, même appartenant au même genre.

14 Le marché du livre est donc un marché de l’offre, à la fois large et très spécialisé. Cette offre repose sur un pari que fait l’éditeur, et le succès n’est jamais garanti. Il est normal à cet égard que ce soit lui qui maîtrise le prix, et non le détaillant.

15 Afin de permettre à l’offre éditoriale de rencontrer les publics auxquels elle est destinée, il est indispensable que le réseau de commercialisation soit dense, varié, et apte à assurer une politique de fonds.

16 La densité est indispensable : le succès d’un ouvrage dépend en partie de sa présence en librairie. Plus le nombre de librairies est important, plus les chances de succès le sont aussi, d’autant plus que l’achat d’un livre est pour beaucoup de lecteurs un achat d’impulsion.

17 La variété du réseau est indispensable pour répondre à la variété de l’offre : il est nécessaire que coexistent des librairies généralistes, des grandes surfaces, des librairies spécialisées, etc. Cela ne serait pas possible si chacun de ces canaux de diffusion ne pouvait bénéficier, à travers le prix unique, de la capacité de vendre aussi bien les “best sellers” que les ouvrages plus difficiles sur lesquels les marges sont faibles.

18 Enfin, il est indispensable pour maintenir en vie le fonds de la création éditoriale, que les libraires puissent offrir des ouvrages dont la publication remonte à plusieurs années. Ici encore, assurer la disponibilité du fonds suppose que les libraires puissent aussi bénéficier de la commercialisation des meilleures ventes, et donc soutenir la concurrence des grandes surfaces.

19 Contrairement à ce qui a souvent été dit, le prix unique du livre n’est pas en soi inflationniste. C’est même probablement un facteur de maîtrise des prix. La disparition du prix fixe, comme le confirme l’expérience de la Grande-Bretagne, aboutit à une très grande concentration des ventes sur quelques titres dont le prix a de ce fait tendance à baisser, mais à un renchérissement important du prix des livres plus difficiles ou plus spécialisés, dont les tirages baissent en raison d’une offre moindre consécutive à la disparition de libraires indépendants qui ne peuvent soutenir une pure concurrence par les prix avec les grandes chaînes de librairies.

20 Concernant le prétendu caractère inflationniste du prix unique, il convient d’ailleurs de rappeler que si le système ne permet pas aux libraires de se livrer à une forte concurrence par les prix, les éditeurs sont en revanche soumis entre eux, en permanence à une telle concurrence.

I – LA PLACE DE L’ÉDITEUR DANS LE SYSTEME DU PRIX UNIQUE

A/ LA FIXATION DU PRIX DU LIVRE

21 L’article 1er de la loi du 10 août 1981 impose à toute personne qui édite un livre de fixer le prix de vente au public. Aucune précision n’est donnée sur la notion d’éditeur, dont on doit admettre qu’elle renvoie de façon implicite à la définition qui est donnée par l’article L. 132-1 du code de la propriété intellectuelle, selon laquelle l’éditeur est la personne (morale ou physique) cessionnaire des droits d’un auteur et chargée d’assurer la fabrication en nombre des exemplaires et d’en assurer la publication et la diffusion.

22 Dans le cadre de son obligation de fixer le prix de chaque livre, l’éditeur conserve évidemment une entière liberté quant au niveau de ce prix, sous réserve du respect de la législation économique, notamment celle relative à la vente à perte.

23 L’éditeur est seulement tenu de ne f ixer qu’un seul prix : il n’a pas la faculté de le faire varier selon une catégorie de public ou selon une catégorie de détaillants. Le critère de l’unicité du prix est à cet égard très clair : le prix d’un livre doit être uniforme pour tous les publics, sur tout le territoire à un moment donné. Mais un éditeur a parfaitement la faculté de modifier le prix qu’il a initialement f ixé, que ce soit à la hausse ou à la baisse, dès lors que le critère d’uniformité de ce prix est rempli.

24 Les éditeurs pratiquent couramment l’évolution de leur politique de prix : prix de lancement ou prix de souscription sont parfaitement compatibles avec l’obligation prévue par l’article 1er de la loi du 10 août 1981. En revanche, le maintien d’un prix de souscription après la parution de l’ouvrage serait en contradiction avec les dispositions de la loi. Seules les commandes passées au prix de souscription antérieurement à la publication pourraient être légalement servies.

25 Une question plus complexe se pose sur la nature du livre auquel le prix s’applique : s’agit-il du contenant ou du contenu ?

26 En principe, le prix unique s’applique à un bien marchand, donc au contenant. Deux ouvrages reproduisant la même œuvre peuvent être vendus au public à deux prix différents dès lors que l’objet n’est pas le même, ses caractéristiques physiques permettant de les distinguer. Ainsi, l’édition courante de librairie et l’édition en format de poche du même texte peuvent être vendues à deux prix différents. La question est parfois plus complexe, quand deux éditions différentes mais très proches par leurs caractéristiques extérieures, et donc par leurs coûts de production, sont mises sur le marché. La jurisprudence a déjà eu l’occasion de rappeler qu’un éditeur serait en infraction s’il diffusait deux éditions exactement identiques sous deux présentations, l’une ne différant de l’autre que par son caractère anonyme et l’absence d’indication d’un prix  [1].

B/ LA NOTION DE LIVRE

27 La loi du 10 août 1981 oblige les éditeurs à f ixer le prix de vente des livres, mais ne définit pas cette notion, qui peut prêter dans certains cas à confusion. Une circulaire du ministère de la Culture en date du 30 décembre 1981 renvoie pour définir le livre au seul texte juridique existant sur le sujet : la définition fiscale du livre.

28 Ainsi, seuls les ouvrages qui sont soumis au taux de TVA à 5,5 % entrent dans le champ d’application de la loi du 10 août 1981, ce qui en exclura par exemple un guide qui ne contiendrait que de simples listes d’hôtels ou de restaurants. De même un livre qui serait reproduit sur un support lui-même soumis à un taux de TVA de 20,6 % se trouverait hors du champ d’application de la loi : c’est le cas des livres lus et reproduits sur des cassettes audio, ou des livres reproduits sur des supports numériques.

29 Le cas le plus complexe qui peut se poser est celui des produits mixtes : la vente par exemple d’un livre accompagné d’une cassette audio ou vidéo, ou d’un jeu. La circulaire du ministère de la Culture précitée, précise que les livres incorporant des disques, bandes magnétiques, cassettes, films ou diapositives sont soumis à la loi sur le prix unique à une double condition. La première est qu’il s’agisse d’un ensemble dont les éléments ne peuvent être vendus séparément. La seconde est que le support audiovisuel ne soit que l’accessoire du livre. Dans l’hypothèse où ces deux conditions ne seraient pas remplies, soit l’ensemble est vendu sous un seul prix au taux de TVA de 20, 6 %, et dans ce cas il échappe à l’application de la loi du 10 août 1981, soit le prix du livre est distingué du prix du support audiovisuel, et il reste en tant que tel dans le champ d’application de la loi.

C/ L’INFORMATION SUR LE PRIX

30 L’éditeur est tenu de porter le prix qu’il a fixé pour chaque livre à la connaissance du public. L’article 1er du décret du 3 décembre 1981 prévoit que l’éditeur doit indiquer le prix de vente sur le livre, soit par impression, soit par étiquetage. La circulaire du ministre de la Culture du 30 décembre 1981 précise que le prix doit apparaître sur la couverture extérieure du livre. Dans le cas d’ouvrages emballés sous film plastique, ou dans le cas d’ouvrages présentés sous emboîtage, le prix pourra être indiqué sur le support servant au conditionnement.

31 En ce qui concerne les livres appartenant à des collections dont les prix sont homogènes par catégorie, il est admis que le prix ne soit pas indiqué sur l’ouvrage, à la condition que les tarifs diffusés par l’éditeur auprès des détaillants permettent au consommateur de connaître ces prix.

32 L’éditeur est tenu de communiquer aux détaillants les changements de prix des ouvrages de son catalogue dans un délai permettant de procéder à un nouveau marquage des prix ; ce délai est fixé par la circulaire du 30 décembre 1981, à titre indicatif, à quinze jours avant l’entrée en vigueur des nouveaux tarifs.

II – LA PLACE DU DÉTAILLANT DANS LE SYSTEME DU PRIX UNIQUE

A/ LA QUALITÉ DE DÉTAILLANT

33 La qualité de détaillant appartient à toute personne qui vend un livre à un consommateur final. La loi s’applique donc à toutes les librairies, quelle que soit leur forme juridique, qu’elles soient spécialisées ou non. Elle s’applique également aux éditeurs qui sont détaillants lorsqu’ils pratiquent la vente directe à certaines catégories d’acheteurs.

34 La seule exception admise est celle des sociétés coopératives de consommation qui vendent des livres à leurs adhérents avec des remises supérieures à 5 %  [2]. Il convient de préciser toutefois que ce jugement concernait une société coopérative créée avant l’entrée en vigueur de la loi du 10 août 1981.

B/ LES OBLIGATIONS DU DÉTAILLANT

35 Le principe fondamental posé à l’article 1er de la loi du 10 août 1981 est que « les détaillants sont tenus de pratiquer un prix de vente effectif au public compris entre 95 % et 100 % du prix fixé par l’éditeur ».

36 Les principales conséquences de ce principe sont les suivantes :

37

  • un détaillant n’a pas la faculté de pratiquer un prix de vente effectif supérieur au prix f ixé par l’éditeur ;
  • il peut accorder des remises comprises entre 0 et 5 % sur tout ou partie des ouvrages qu’il vend ;
  • il a la faculté de conditionner les remises qu’il accorde dans la limite de 5 % à certaines conditions, comme par exemple une carte de fidélité  [3].

38 Dans le cadre de sa politique de prix, le détaillant est tenu d’assurer l’information de ses clients. Il doit :

39

  • permettre la consultation des tarifs qui lui sont fournis par l’éditeur ;
  • indiquer les changements de prix décidés par l’éditeur ;
  • indiquer le montant des remises qu’il accorde par référence au prix qui est fixé par l’éditeur. Il est admis que l’indication du prix réduit sur le livre n’est pas obligatoire et que la réduction peut se faire par escompte de caisse, à condition que cette modalité fasse l’objet d’une publicité sur les lieux de vente (4).

40 Outre le respect du prix, le détaillant est tenu à une autre obligation vis-à-vis de sa clientèle : le service de commande à l’unité, prévu par l’article 1er, alinéa 3 de la loi du 10 août 1981. En application de cette disposition, le libraire doit assurer gratuitement à toute personne la commande des ouvrages qu’il souhaite acquérir. Le principe de la gratuité ne s’applique pas dans le cas de prestations supplémentaires exceptionnelles réclamées par l’acheteur. Dans ce cas, le montant de la facturation doit faire l’objet d’un accord préalable entre le libraire et son client.

41 La circulaire du 30 décembre 1981 précise que la recherche bibliographique fait partie du service normal qui doit être assuré gratuitement, dès lors qu’elle répond à une demande formulée de façon précise. En revanche, le fait de passer une commande directement à l’étranger, ou d’effectuer la commande par des moyens plus rapides que ceux qui sont habituellement utilisés peut justifier une rémunération du détaillant.

C/ LA PUBLICITÉ DES REMISES ACCORDÉES PAR LE DÉTAILLANT

42 L’article 7 de la loi du 10 août 1981 interdit aux détaillants de faire de la publicité pour les remises qu’ils accordent sur le prix des livres en dehors du lieu de vente, quelle que soit le montant de la remise accordée.

43 Cette disposition vise évidemment à éviter que certaines grandes surfaces ou certaines chaînes de librairies ne s’accordent ainsi un avantage en termes d’image auprès du public, alors que les libraires indépendants, même s’ils consentent des remises dans la limite de 5 %, n’ont pas les moyens financiers de le faire savoir.

44 La notion de lieu de vente renvoie à la circulaire du 4 mars 1978. Ce texte estime que la publicité sur le lieu de vente se limite aux moyens de publicité utilisés à l’intérieur des magasins. Les publicités en vitrine, visibles de l’extérieur, ou les publicités dans des lieux annexes comme les parkings, sont donc prohibées.

45 En revanche, le ministère de la Culture estime que les catalogues de vente par courtage, abonnement ou correspondance, de même que les catalogues d’éditeurs ou de détaillants comprenant des bons de commande, peuvent être assimilés à un lieu de vente.

III – LES EXCEPTIONS AU PRIX UNIQUE DU LIVRE

46 La loi du 10 août 1981 comporte un certain nombre d’exceptions qui tiennent compte de la nature des marchés (marché des collectivités, marché du livre scolaire, vente en club), ou de l’ancienneté des livres qui, dès lors qu’ils remplissent des conditions déterminées, ne rentrent plus dans le cadre du prix unique (vente en solde, vente de livres en stock chez le libraire).

A/ LES EXCEPTIONS APPLICABLES AUX COLLECTIVITÉS

47 Aux termes de l’article 3, alinéa 2 de la loi du 10 août 1981, un certain nombre de collectivités peuvent acquérir des livres avec des remises supérieures à 5 %. Ces collectivités sont : l’État, les collectivités locales, les établissements d’enseignement, de formation professionnelle ou de recherche, les syndicats représentatifs, les comités d’entreprises, et les bibliothèques accueillant du public pour la lecture ou pour le prêt. L’application de cette exception suppose que deux conditions soient réunies.

48 La première est que la collectivité concernée acquiert les ouvrages pour ses besoins propres, ce qui implique qu’elle ne puisse bénéficier d’une remise supérieure à 5 % que pour l’achat de livres qui rentrent dans son domaine de spécialité. Ainsi, un organisme de formation en droit social ne pourrait acquérir des œuvres de fiction que dans les conditions générales fixées par la loi sur le prix unique.

49 La seconde est que les ouvrages acquis par la collectivité ne puissent être revendus. Dans le cas contraire en effet, une collectivité, par exemple un comité d’entreprise, pourrait se trouver en position de détaillant ne respectant pas l’unicité du prix du livre fixé par l’éditeur.

50 L’opportunité d’accorder des remises supérieures à 5 % aux collectivités est fortement contestée, notamment par les libraires. On observe en effet que les marchés publics sont souvent quantitativement importants, notamment celui des bibliothèques, qui achètent plusieurs exemplaires d’un même titre. Or les libraires indépendants n’ont pas toujours la faculté de suivre le niveau de remise que proposent certains grands intermédiaires, voire les éditeurs eux-mêmes. C’est la raison pour laquelle le ministère de la Culture envisage d’instaurer dans la loi un plafonnement du niveau des remises qui peuvent être accordées dans le cadre de l’exception. La remise maximum pourrait se situer entre 10 et 15 %.

B/ L’EXCEPTION APPLICABLE AUX LIVRES SCOLAIRES

51 L’exception précédente permet aux établissements d’enseignement d’acquérir les livres avec des remises supérieures à 5 %. C’est notamment le cas des manuels scolaires, au moins pour les degrés d’enseignement où le principe de la gratuité impose aux écoles et aux collèges d’acquérir les livres à la place des familles.

52 Une autre exception s’applique aux livres scolaires, ouverte par l’article 3, alinéa 1er de la loi, qui autorise les associations facilitant l’acquisition des livres scolaires par leur membres à bénéficier de remises supérieures à 5 %. Dans ce cas, l’association pourra agir comme intermédiaire et répercuter tout ou partie de la remise qu’elle a obtenue auprès de ses adhérents.

53 Afin d’éviter les abus éventuels, le décret n° 85-862 du 8 août 1985 donne une définition des ouvrages scolaires. Ces ouvrages sont les manuels, ainsi que les cahiers d’exercice et de travaux pratiques qui les complètent, régulièrement utilisés dans le cadre de l’enseignement de quelque niveau que ce soit, et qui répondent à un programme préalablement défini ou conçu par le ministère de l’Éducation ou l’autorité exerçant la tutelle de l’enseignement. Cette définition exclut clairement des ouvrages qui bien que directement utiles aux élèves ou aux étudiants ont une vocation plus large, comme les encyclopédies ou les dictionnaires, ainsi que les ouvrages qui sont publiés à destination du public scolaire mais ne rentrent pas dans le cadre strict d’un programme : ouvrages de littérature classique commentés, devoirs de vacances, annales d’examens, etc.

C/ LA FACULTÉ POUR UN DÉTAILLANT DE VENDRE AVEC DES REMISES SUPÉRIEURES À 5 %

54 La loi du 10 août 1981 autorise, à son article 5, un détaillant à vendre un livre avec une remise de plus de 5 % par rapport au prix fixé par l’éditeur à la double condition que le livre soit paru depuis plus de deux ans et que le dernier approvisionnement de ce livre remonte à plus de six mois. Il appartient au détaillant qui invoque le bénéfice de cette exception de démontrer que les conditions en sont réunies.

55 Le point de départ du délai de deux ans est la date du dépôt légal du livre  [5]. Mais il convient en cas de réédition ou d’éditions successives de prendre comme point de départ le dépôt légal de la dernière édition ou, à défaut de dépôt légal, la date d’achevé d’imprimé de la dernière édition. C’est du moins la position qu’ont pris les rares juridictions saisies de cette question ; position qui doit être approuvée dans la mesure où elle est conforme à l’esprit de la loi. Sur ce point voir les décisions de la cour d’appel de Poitiers du 17 janvier 1994, du tribunal de commerce de La Rochelle du 6 septembre 1996, ainsi que du tribunal de commerce de Nancy du 15 septembre 1997. Aucune de ces décisions n’a été publiée.

56 La seconde condition est beaucoup plus contraignante pour le détaillant : il ne pourra accorder des remises supérieures à 5 % sur un titre donné, qu’à la condition qu’aucun autre exemplaire de ce titre figurant dans son stock n’ait été commandé par lui il y a moins de six mois.

57 Il existe une autre hypothèse dans laquelle un détaillant peut vendre les livres avec des remises supérieures à 5 % : le cas des soldes de livres. En principe, un livre ne peut être soldé que lorsque la totalité du stock existant a été retiré au préalable du circuit habituel de commercialisation par l’éditeur. Les opérations de solde partiel d’un livre sont donc en principe, bien que courantes, illégales. De même, rien ne justifie dans la loi du 10 août 1981 qu’un détaillant solde un livre sous prétexte qu’il est “défraîchi”. La même logique s’applique aux exemplaires de presse qui se retrouvent souvent chez les soldeurs.

58 En revanche il est admis que les livres d’occasion, qui ont déjà fait l’objet d’une vente, peuvent être revendus à un prix inférieur au prix fixé par l’éditeur. Le ministère de la Culture admet qu’ils ne rentrent plus, dès lors qu’ils ont fait l’objet d’une transaction, dans le champ d’application de la loi.

D/ LE CAS PARTICULIER DE LA VENTE PAR COURTAGE ABONNEMENT OU CORRESPONDANCE

59 Cette exception a une portée pratique qui s’applique essentiellement aux clubs de livres qui réserve la vente des livres qu’ils publient à leurs abonnés. Les livres publiés par les clubs sont le plus souvent la reprise de livres publiés par d’autres éditeurs. Il convient ici de concilier deux impératifs : ne pas neutraliser l’intérêt de la reprise en club pour la diffusion d’un livre, tout en encadrant la concurrence que les clubs représentent pour les libraires.

60 Dans cet esprit, l’article 4 de la loi du 10 août 1981 dispose qu’une personne qui publie un ouvrage en vue de sa diffusion par courtage, abonnement ou correspondance a la faculté de f ixer un prix inférieur à celui de la première édition, à condition que la publication intervienne plus de neuf mois après celle de cette première édition. Dans l’hypothèse où la publication interviendrait moins de neuf mois après la publication de la première édition par un autre éditeur, l’éditeur de l’édition destiné au courtage, à la vente en club ou à la vente par correspondance devrait respecter le prix fixé par le premier éditeur.

IV – LE PRIX UNIQUE DU LIVRE ET LE DROIT COMMUNAUTAIRE

61 La Commission européenne a toujours marqué son hostilité au prix unique du livre, et ne manque pas de le combattre dès lors qu’il s’applique à des échanges à l’intérieur de l’Union européenne, comme c’est le cas par exemple de l’accord entre les éditeurs et libraires allemands et autrichiens, dont elle a estimé qu’il ne remplissait pas les conditions pour bénéficier d’une exemption dans le cadre de l’article 81 CE, 3.

62 En ce qui concerne la loi du 10 août 1981, les conditions de sa conformité aux règles communautaires ont été définies par un arrêt de la Cour de justice des Communautés.

A/ LA LOI DU 10 AOÛT 1981 ET LE DROIT COMMUNAUTAIRE

63 La Cour de justice s’est prononcée sur la compatibilité de la loi sur le prix unique avec le droit communautaire par un arrêt du 10 janvier 1985  [6]. Cette décision pose les principes suivants :

64

  • en l’état actuel du droit communautaire rien n’interdit à un État membre d’adopter une législation sur le prix unique du livre ;
  • cette législation ne peut cependant méconnaître les principes communautaires, notamment ceux qui concernent la libre circulation des marchandises ;
  • dans ce cadre, constituent des mesures non conformes au droit européen les dispositions suivantes :
    • les dispositions selon lesquelles il incombe à l’importateur d’un livre chargé du dépôt légal d’en fixer le prix de vente ;
    • les dispositions qui imposent pour la vente de livres édités dans l’État membre concerné lui-même et réimportés dans un autre État membre, le respect du prix fixé par l’éditeur, sauf si des éléments objectifs établissent que ces livres ont été exportés aux seules fins de leur réimportation dans le but de tourner la législation.

65 Les principes posés par cette décision ont conduit le législateur français à adapter le système de fixation du prix des livres importés, puisque dans le système initial, la responsabilité de l’importateur en matière de fixation des prix, et la liberté du détaillant par rapport à ce prix, étaient définies de la même façon que dans le cadre de la fixation du prix par l’éditeur.

B/ LE RÉGIME APPLICABLE AUX LIVRES IMPORTÉS D’UN ÉTAT DE L’UNION EUROPÉENNE

66 Dans le système actuel, il convient de distinguer entre le régime des livres importés d’un État membre de l’Union européenne et le régime des livres importés d’un État non membre.

67 Le décret du 3 décembre 1981 a fait l’objet de deux modifications successives pour assurer sa mise en conformité avec les règles fixées par l’arrêt de la CJCE. Dans la rédaction actuellement en vigueur de l’article 4 de ce décret, chaque éditeur peut fixer un prix pour les ouvrages édités ou mis en libre pratique dans un État membre. Ce prix doit être au minimum égal au prix de vente au détail fixé ou conseillé dans le pays d’édition, mais chaque importateur a la faculté de répercuter les avantages qu’il aurait obtenus dans le pays d’édition. Une circulaire du ministère de la Culture du 10 janvier 1990 précise que cette faculté ne peut être utilisée par l’importateur que si elle n’a pas pour but de faire échec à la loi sur le prix unique.

68 En ce qui concerne les livres édités en France, exportés dans un autre État de l’Union et réimportés, l’article 1er, alinéa 6 de la loi du 10 août 1981 ne permet plus d’imposer que le prix de vente du livre réimporté soit au moins égal au prix fixé par l’éditeur français, sauf si des éléments objectifs, notamment l’absence de commercialisation effective dans l’État étranger, établissent que l’opération a eu pour objet de soustraire la vente des livres concernés à l’application du prix unique. Dans cet esprit, la jurisprudence censure les remises appliquées sur des ouvrages dont l’importation effective n’est pas établie, ou dont l’acquisition dans un autre État membre avait pour seul objet de tourner la loi sur le prix unique.

69 Il convient de préciser à cet égard que la faculté pour une personne qui importe des livres, édités en France ou non, d’un autre État de l’Union, d’accorder des remises supérieures à 5 % suppose que cette personne soit effectivement l’importateur de ces livres. Un détaillant qui se fournit auprès d’un distributeur lui-même importateur, n’a pas la faculté de pratiquer des remises supérieures à 5 % du prix fixé par cet importateur, ou par l’éditeur. La définition de l’importateur est en effet très claire : il s’agit des personnes qui « introduisent sur le territoire national des documents édités ou produits hors de ce territoire »  [7].

70 On ne manquera pas d’observer que le système prévu pour l’importation des livres dans le cadre de l’Union soulève inévitablement certaines difficultés dans le cas des librairies en ligne accessibles sur l’internet. Il existe toutefois de fortes raisons de penser qu’une librairie installée dans un autre État que la France qui pratiquerait des remises supérieures à 5 %, se livrerait à la mise en place d’un réseau parallèle ayant pour objet de tourner la loi du 10 août 1981, et serait de ce fait passible des sanctions civiles et pénales prévues par la loi.

Notes

  • [1]
    CA Paris, 25 octobre 1994.
  • [2]
    TGI Paris, 29 février 1984, D. 1984, jur, p. 451.
  • [3]
    Réponse ministérielle à une question écrite 22 février 1982. n° 7246, 21 décembre 1981, JOAN Questions 4. Circulaire du 30 décembre 1981.
  • [5]
    Art. 5 du décret n° 81-1068 du 3 décembre 1981.
  • [6]
    CJCE, 10 janvier 1985, aff. C-229/83, JCP éd. G 1985, II, n° 20395.
  • [7]
    Art. 4 de la loi du 20 juin 1992 relative au dépôt légal.
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