LEGICOM 2000/3 N° 23

Couverture de LEGI_023

Article de revue

L'image du sportif en droit français

Pages 107 à 112

Notes

  • [1]
    Pour reprendre le titre de ma thèse soutenue en 1996 à l’université de Limoges sous la direction de F. Alaphilippe.
  • [2]
    Cf. G. Loiseau, Légicom n° 20, 1999/4 , p. 74.
  • [3]
    F. Potet, Le Monde, vendredi 2 juin 2000, p.27.
  • [4]
    CA Nîmes (1re ch.), 7 janvier 1988, doc.edi-data n° 88-10021.
  • [5]
    On a pu assister dès 1992 à une amorce du déclin de l’assimilation du droit à l’image et au droit à la vie privée. On notera ainsi que le juge des référés du TGI de Paris, dans une décision du 19 septembre 1992, avait fondé sa décision sur l’article 809 du NCPC et non sur l’article 9 al.2 du code civil, dans une affaire où l’image de deux membres de l’Équipe de France féminine de judo était utilisée à des fins de propagande électorale, au motif que : « la publication d’un tel cliché ne saurait constituer une atteinte à la vie privée permettant l’intervention du juge des référés sur le fondement de l’article 9 du code civil », mais que : « la publication dans un tract édité par un parti politique pour appuyer sa position dans le cadre de la campagne référendaire de la photo de grandes sportives très connues, qui est de nature à faire naître dans l’esprit du corps électoral qu’elles prennent parti, alors qu’elles n’ont donné aucun consentement à l’utilisation de leur image à cette fin, caractérise le trouble manifestement illicite que l’article 809 du NCPC donne pouvoir au juge des référés de faire cesser ».
  • [6]
    CA Paris, 30 novembre. 1987, doc. edi-data n° 87-27951.
  • [7]
    Ces contrats n’étaient d’ailleurs pas toujours conclus par les sportifs eux-mêmes, ce qui soulevait la question délicate de l’emploi de la technique du porte-fort, dans un domaine (le sport) où il pouvait être très difficile de refuser d’exécuter l’engagement pris par autrui. Sur ces points, cf. thèse préc., p. 242 s.
  • [8]
    CA Versailles (5e ch.), 12 février 1991, RJES n° 12.
  • [9]
    CA Paris, 30 novembre 1987, doc. edi-data, n° 87951
  • [10]
    TGI Paris, 21 décembre 1983, inéd.
  • [11]
    Les exemples sont nombreux ; ils ont été, en général, réglés à l’amiable.
  • [12]
    Les obligations publicitaires définies par le contrat sont ainsi mises à la charge… “des athlètes”.
  • [13]
    On comprendra que, parmi les enjeux du sport français, le financement des activités et des athlètes occupe une place majeure. L’État ou les collectivités publiques ne peuvent tout prendre en charge, en versant des subventions ; il faut donc trouver d’autres ressources et le recours à des sponsors est celui qui est le plus “rentable” – hormis la cession des droits de télévision pour les sports les plus médiatiques –. (sur ce point, cf. notamment l’article 24 de la loi du 6 juillet 2000 modifiant celle du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives. Cet article dispose : « Dans des conditions fixées par la loi de finances, il est instauré, en faveur du développement des associations sportives locales et de la formation de leurs animateurs, un dispositif de mutualisation d’une partie des recettes des droits de diffusion télévisuelle provenant des contrats signés par les fédérations sportives ou leurs organes internes ou tout organisateur de manifestations sportives visé à l’article 18. « Les fonds prélevés sont affectés au Fonds national pour le développement du sport. »
  • [14]
    Alciat, cité par P. Legendre, “Leçon III Dieu au miroir” Fayard 1994, p.12.
  • [15]
    CA Paris (15e ch.), 28 février 1980, comm. F. Alaphilippe, J.-P. Karaquillo in “L’activité sportive dans les balances de la justice”, t.1, Dalloz 1985, p. 53 s.
  • [16]
    CA Nîmes, 7 janvier 1988, doc. edi-data n° 88-10021.
  • [17]
    Le terme “bien de la personnalité” a été utilisé également par F. Rigaux, “la protection de la vie privée et autres biens de la personnalité”, LGDJ, Bruylant Bruxelles 1990 dans un sens différent l’image est la manifestation d’une liberté : celle de consentir à la réalisation et à l’exploitation de son effigie.
  • [18]
    Cf. Par exemple, L’Équipe du 18 mai 2000 où l’on pouvait lire en titre “Beckam devient Bouddha” ; dans l’article E. Lamy relatait les faits suivants « en Thaïlande, la statue plaquée or de 30 cm du footballeur est intégrée en frise, dans le sanctuaire d’un temple de Bangkok ». On peut également lire sous la plume d’A. Delcayre in Stratégie du 5 juin 2000 : « le directeur général adjoint de Canal Satellite déclare d’ailleurs “je savais que Zidane avait une très belle image, mais à ce point-là... Il touche toutes les catégories de gens. On bénéficie, d’après nos études qualitatives, de son image d’accessibilité, de simplicité, de proximité” [et le journaliste reprend] on peut affirmer que Zidane n’a pas encore trouvé “son” publicitaire, celui qui sera capable, tout en jouant avec les valeurs que le footballeur véhicule, de le déconnecter de la réalité pour le faire passer dans une nouvelle dimension ». Il ne s’agit manifestement pas d’une personne, mais bien de la construction d’une personnalité quasi autonome et les exemples ne manquent pas...
  • [19]
    Cf. J.-M. Mousseron, “Valeurs, bien, droits” in Mélanges en hommage à A. Breton et F. Derrida, Dalloz 1991, p. 283 : « il est intéressant de noter que si, comme l’enseignement de Lavoisier l’affirme “rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme”, la formule ne vaut pas pour les biens immatériels. Si les biens matériels naissent de la transformation continue de biens antérieurs, les biens immatériels sont les seuls à être proprement créés, à apparaître non pas comme la transformation de biens antérieurs, mais comme des biens pleinement nouveaux, non des valeurs transformées avec ou sans plus-values, mais des valeurs proprement nouvelles. Les biens qui les expriment dans l’organisation juridique et les droits qui les ont pour objet ne doivent alors, ni aux biens, ni aux droits antérieurs ».
  • [20]
    Art. L.113-3 CPI « L’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs ».
  • [21]
    Art. L.113-2 al.3 CPI.
  • [22]
    Règle 9 de la Charte.
  • [23]
    On notera par exemple que l’article 42 de la charte 1997 du football professionnel dispose :« b)… les actions publicitaires concernant l’utilisation… de la photographie de l’équipe (est) réalisée au seul profit du club, sauf dispositions prises avec chaque joueur. La photographie de l’équipe est celle qui reproduit en un seul cliché les joueurs composant l’effectif, revêtus des seuls équipements visés ci-dessus… (il s’agit des maillots, survêtements, bas, shorts, etc.) ; c) les actions publicitaires concernant l’utilisation de la photographie individuelle des joueurs avec ou sans le ou les maillots de compétition de l’équipe et l’indication de l’appartenance au club sont réalisées au seul profit de ces joueurs, mais e) en ce qui concerne le marchandisage, les clubs pourront exploiter collectivement l’image individuelle de leurs joueurs sous contrat. »Cf. également l’exemple du contrat de travail type d’un joueur de rugby dans lequel l’article 8 traite particulièrement du droit à l’image : « le joueur dispose des droits d’image conformément à la législation en vigueur pour toute action de communication ou de publicité. Il s’engage cependant pour celles-ci à ne pas faire état de son appartenance au club et à ne pas en porter les équipements sportifs qui lui sont fournis, sans accord exprès du président du club. »

1 LES PROPOS qui vont suivre ne prétendent en aucune manière à l’exhaustivité. Ils tendent plutôt à faire un point, un arrêt sur une image particulière : celle du sportif. L’image est un objet de réflexion auquel avait été consacré un précédent numéro de cette revue : l’image était alors examinée dans ses relations avec la vie privée. Mais, à l’occasion de l’étude de la jurisprudence, les auteurs semblaient remarquer d’une manière unanime que toutes les images ne relevaient pas de la protection de la vie privée, même s’il apparaissait que, souvent, les juges utilisaient ce fondement pour indemniser les victimes d’atteintes à leur image (à leur droit ( !) sur l’image). Un article était d’ailleurs intitulé “l’autonomie du droit à l’image”. L’auteur exposait que le recours à l’article 9 du code civil était inadéquat pour réparer des dommages patrimoniaux subis, par exemple, du fait d’une exploitation commerciale d’épinglettes “pins (sic)” reproduisant l’image d’un présentateur à la mode  [2]. Ces propos, certes incontestables, sont peut-être insuffisants au regard de l’analyse des relations entre le droit et les images. Car l’image est plurale et l’utilisation simultanée, successive ou combinée des articles 9 et 1382 du code civil, par les juges, révèle très exactement la multiplicité des objets-images et l’embarras des magistrats devant leur nature incertaine.

2 Or, l’étude de l’image des sportifs, l’examen des modes d’exploitation de leur effigie, la lecture des contrats de parrainage publicitaire et, surtout, l’examen minutieux de la jurisprudence nous ont conduit à élaborer pour le sportif un gabarit juridique qui pourrait bien être applicable à toutes les images. Il n’est pas impossible que la jurisprudence qui sera citée ici puisse sembler suffisamment ancienne pour paraître ne présenter qu’un intérêt réduit. Mais c’est précisément à travers cette carence de jurisprudence, donc de conflits portés devant le juge, que se manifeste l’adéquation de l’analyse de la nature juridique de l’image du sportif aux nécessités d’une exploitation rationnelle et équitable. En somme, le recours au juge devient inutile parce que les parties en présence ont adapté leur règlement, leur comportement contractuel à la réalité juridique de l’image.

3 Il reste que si les rapports entre organismes sportifs (ligue, fédération, club) et les sportifs eux-mêmes sont clarifiés, la question de l’exploitation de l’image du sportif resurgit aujourd’hui sous d’autres formes, ce qui pourrait suffire à justifier cet article. Ainsi, on a pu lire : « douze joueurs originaires de trois pays différents ont assigné, devant la justice belge, cinq fabricants de jeux vidéo pour usage intempestif de leurs noms et de leurs représentations. [...] Le réalisme est poussé à l’extrême puisque, outre les noms des footballeurs, leurs numéros, leurs positions sur le terrain, leurs caractéristiques physiques et techniques sont reproduites à l’identique ou presque »[3]. L’auteur de ces lignes intitulait son article : « les footballeurs ne veulent pas être débordés par les jeux vidéo » et expliquait la position des avocats des plaignants : « il s’agit d’une violation du droit à l’image ». Quel droit ? et sur quelle image ? La réponse apparaît au terme d’un cheminement jurisprudentiel qui aboutit à la découverte d’un nouveau bien de la personnalité. Si l’image du sportif a d’abord été protégée par les mécanismes propres à assurer la protection de la personne en ce qu’elle est, très vite les juges ont mis en évidence l’autonomie de l’image par rapport à la personne. Il fallait donc changer de registre et passer du droit des personnes au droit des biens dans un mouvement qui s’est opéré en deux temps, en passant du droit à l’image au droit sur l’image, puis du droit sur l’image au droit des biens.

I - DE LA PROTECTION DE LA PERSONNE AU DROIT SUR L’IMAGE

4 Existerait-il un droit spécifique à l’image ? Rien ne permet de le soutenir au vu de la législation française. L’image apparaît comme un élément de la personnalité et même, comme un moyen de porter atteinte à la vie privée. Lorsque les magistrats sanctionnent l’utilisation de l’image d’un sportif, c’est donc tout naturellement qu’ils font appel à l’article 9 du code civil reconnaissant expressément un droit au respect de la vie privée, même lorsqu’il n’existe aucun lien entre la vie privée et l’image et que seule est en cause l’utilisation de l’image “publique” du sportif. L’image d’un gymnaste avait par exemple, servi à illustrer des boîtes de cordes à sauter. Bien qu’ayant consenti à la réalisation des clichés durant son échauffement, l’athlète ignorait que l’une des photographies serait utilisée à des fins publicitaires. Le découvrant, il demanda alors au juge de réparer le préjudice subi du fait de l’exploitation de son image. La cour d’appel de Nîmes retint la responsabilité de la société utilisatrice au motif suivant : « attendu qu’il résulte des dispositions de l’article 9 du code civil que chacun a droit au respect de sa vie privée et que sans préjudice de la réparation du dommage subi, il peut être prescrit toutes mesures aux fins d’empêcher ou de faire cesser l’atteinte à la vie privée ; que la publicité donnée à la photographie d’un être humain, sans que ce dernier ait donné son consentement, s’analyse comme une violation des droits résultant de l’article 9 du code civil susceptible de lui causer un préjudice, soit que la violation de l’article 9 du code civil soit la conséquence de l’inapplication d’un contrat, soit que cette violation résulte d’une faute quasi délictuelle »[4].

5 On pourrait alors penser que les juges souhaitaient étendre la notion de vie privée pour protéger des intérêts purement extrapatrimoniaux : une certaine idée de soi, le droit au respect de la représentation de sa personnalité... le recours à l’article 9 du code civil aurait alors été justifié. Mais curieusement, les juges admirent dans cette affaire que si la publication portait préjudice au sportif :« ce préjudice s’analysait en un manque à gagner » ; ils excluaient par là même, toute référence à des intérêts purement moraux. La vie privée aurait-elle un prix ? cela est peu probable ; on peut penser, en revanche, que l’utilisation de l’article 9 du code civil offre les prémisses d’un droit autonome à l’image qui prend sa source dans la vie privée, mais qui se développe au-delà de ces seuls aspects.

6 Le droit à l’image est donc distinct du droit au respect de la vie privée  [5]. Et les juges n’ont pas toujours fait référence à l’article 9 du code civil pour indemniser le préjudice subi par un sportif du fait de l’exploitation de son image. Ils ont affirmé, par exemple : « l’éditeur de l’image ne saurait tirer parti d’une compétition, même constitutive d’un événement médiatique de premier ordre, pour publier, sans l’accord de l’intéressé un ouvrage hors série – cet ouvrage fût-il illustré de photographies prises dans les lieux publics et régulièrement acquises auprès d’agences de presse et fût-il par ailleurs exclusivement consacré à des faits relevant du domaine sportif – la personne concernée ayant alors un droit exclusif sur l’utilisation de son image et le choix des clichés l’exposant aux regards du public »[6]. Même réalisée dans un lieu public à l’occasion d’un événement public, l’image n’est pas nécessairement une source d’information dont l’utilisation pourrait être libre de droits ; elle est objet d’un monopole d’exploitation.

7 Affirmé ainsi, le droit à l’image semble avoir acquis une certaine autonomie sans toutefois que soient expliquées clairement l’origine et l’étendue de ce droit nouveau. Admettre pour le sportif un monopole d’exploitation, c’est-à-dire le pouvoir de s’opposer à ce qu’autrui utilise l’image, peut être justifié soit par l’existence d’un contrat, soit par la reconnaissance d’un droit sur une chose : l’image. En effet, lorsque la valeur marchande de l’image est envisagée, c’est traditionnellement à travers l’activité de modèle ; or, les sportifs ne sont pas des modèles, même s’ils concluent parfois des conventions dont l’objet est précisément l’exploitation médiatique de leur image  [7]. Ainsi, bien qu’un coureur motocycliste se soit engagé à participer à un nombre minimal de courses au cours desquelles des photographies auraient été réalisées et qu’il ait accepté que ces images soient utilisées pour la promotion des produits de son partenaire contractuel, les juges ont décidé : « qu’il ne saurait être, de par sa seule qualité de sportif, assimilé à un artiste de spectacle ou à un mannequin »[8]. Si l’image a un prix, celui-ci ne peut être analysé comme la rétribution d’une telle prestation qualifiée a priori ; le sportif n’entre pas dans les catégories de mannequin ou de modèle. La valeur de l’image n’est donc pas liée à la contractualisation d’une prestation de modèle ; elle existe indépendamment de celle-ci.

8 Si les sportifs sont indemnisés du fait d’un manque à gagner résultant de la diffusion non autorisée de leur image, ce n’est donc pas parce qu’ils sont privés d’une possibilité d’effectuer une prestation de mannequin ou de modèle, mais parce que d’autres ont exploité une valeur qui leur appartient. L’image est donc une valeur qui préexiste même à sa propre réalisation technique. La lecture attentive des décisions, et plus particulièrement des modes de calcul de l’indemnisation accordée aux sportifs, révèle que l’image a en soi une valeur, objet de convoitises et est donc protégée. Cette affirmation se déduit des procédures d’indemnisation retenues par les juges.

9 Un exemple particulièrement significatif permettra d’illustrer ces propos. Un conflit avait opposé le joueur de football M. Platini, à une société de publication, la SFR, à une époque où ce footballeur possédait la même aura sportive que M. Zidane aujourd’hui. Le litige était né de la diffusion d’une plaquette d’environ cent pages intitulée “Platini, sa vie-ses buts”, abondamment illustrée de photographies du champion. Pour calculer le montant des dommages-intérêts dus au sportif, la cour d’appel de Paris, tout en reconnaissant l’existence d’un préjudice économique subi par le demandeur en raison de la « concurrence faite à d’autres divulgations éventuellement acceptées par lui », relevait que cette publication avait « aussi contribué à répandre dans un large public une “image de marque” flatteuse de M. Platini, accroissant encore un peu sa popularité, avec, au-delà, les bénéfices qu’il (pouvait) très légitimement en retirer sur le plan financier ».[9].

10 Pour calculer le montant de l’indemnisation d’un joueur de tennis, les juges ont pris en considération : « le décompte établi par la SFR selon lequel son bénéfice s’élevait à environ 70 000F... »[10]. Ils avaient alors accordé seulement 40 000 F, à titre de dommages intérêts, en raison de l’accroissement de la notoriété du sportif et donc de la valeur de son image. La mesure applicable est donc celle qui prévaut en matière d’enrichissement sans cause. En effet, l’appauvrissement du joueur avait été diminué par l’augmentation de la valeur commerciale de son image, due à une popularité accrue. Ainsi, son patrimoine avait été mis en valeur et en conséquence, son appauvrissement avait été réduit. Or, dans l’application des règles de l’enrichissement sans cause, la restitution s’opère par référence au double plafond (appauvrissement/enrichissement), ce qui correspondait au mode de calcul retenu par les juges. Le montant de l’indemnisation avait bien été diminué de la plus-value réalisée sur le bien exploité, c’est-à-dire l’image. Cela montre d’une manière évidente que l’image n’est plus liée à la personne en ce qu’elle est, mais en ce qu’elle possède : l’image est un élément du patrimoine. Le droit à l’image, c’est-à-dire à la protection de l’image-prolongement de la personne a été transformé en un droit sur une image détachée, au moins partiellement, de la personne.

II - DU DROIT SUR L’IMAGE À LA RECONNAISSANCE D’UN BIEN DE LA PERSONNALITÉ

11 Reconnaître l’existence d’un droit sur l’image du sportif ne suffit pas ; encore faut-il la confronter à la pratique, c’est-à-dire à l’exercice des droits. Des conflits d’exploitation entre sportifs et institutions sportives ont surgi à l’occasion de l’exploitation de leur image individuelle ou collective. Certains athlètes se sont ainsi opposés à leur club, pour avoir cédé l’exploitation de leur image individuelle à des sociétés concurrentes de celle avec laquelle le club avait préalablement contracté pour l’exploitation de l’image collective des athlètes  [11]. On a pu ainsi légitimement se demander qui pouvait exercer les droits sur les images. Le sportif ou le club, la personne ou l’institution, d’autant que, le plus souvent, nul ne semblait s’émouvoir de ce qu’un club contractant avec un sponsor, ait cédé à celui-ci l’utilisation d’image de sportifs non individuellement identifiés. En effet, parfois, seule l’appartenance à une équipe, à un club est prise en compte ; la personne elle-même n’est pas déterminante lors de la conclusion de contrat de partenariat publicitaire  [12].

12 Comment alors faire coïncider jurisprudence et pratique, droit et nécessités économiques ?  [13] On pourrait, certes, imaginer que chaque sportif cède l’exploitation de son image lorsqu’il adhère à un club et qu’il ne peut donc plus revendiquer le droit d’exploitation à son seul profit. L’analyse aurait peut-être été retenue, s’ilavait été démontré que chaque club faisait signer, à chaque sportif, un contrat en vertu duquel, il cédait l’exploitation de son image... Cette position avait été tenue, en son temps, par le Syndicat des footballeurs professionnels qui demandait que soit déclarée illicite la cession, par les clubs ou la Ligue de football professionnel, des droits d’exploitation des images des footballeurs, sans que ceux-ci aient donné leur accord ; logique au regard de la jurisprudence, elle omet cependant de prendre en considération ce qu’est véritablement l’image et particulièrement celle du sportif. Le droit sur l’image ne présente un intérêt pratique que si l’image du sportif peut être définie.« Quid est pictura ? Veritas falsa »[14]. Heureuse expression qui révèle que l’image n’est pas une trahison, mais une vérité compréhensible : l’image est du sens et l’image du sportif se définit donc par rapport à une sportivité traduite par des éléments spécifiques et indispensables : les signes d’appartenance au monde du sport. C’est d’ailleurs ce qui fait la différence entre une personne sportive et un sportif. La première porte des vêtements de sport et a (peut-être) une attitude alerte, le second est marqué par un maillot au sigle, à l’emblème du club ou de la fédération qui révèle donc un attachement à une institution. Plus encore, ce signe valide la qualité d’athlète ou de footballeur, de cycliste... Les juges ne s’y sont jamais trompés.

13 Dans une décision ancienne, les magistrats avaient accordé à un joueur de tennis des dommages intérêts au motif que son image avait été associée à un équipement impropre à la pratique de ce sport, retenant : « la commercialisation sous le nom d’un professionnel du tennis d’une chaussure inadaptée à la pratique du tennis a compromis, aux yeux de l’opinion, la notoriété sportive de ce dernier, lui causant ainsi un préjudice qui , pour attenter à des droits strictement attachés à la personne, n’en offre pas moins un aspect économique et social »[15]. Le dommage n’était pas dû à une atteinte à “la personnalité de la personne”, mais bien à l’image d’une “personnalité sportive” alors reconnue. La qualité sportive est déterminante ; seulement , elle n’est pas innée, elle est acquise, créée. L’image du sportif est donc un objet particulier, résultant d’une création, de l’association d’une personne, d’une activité et de signes. Dès lors, il n’est pas contraire aux principes selon lesquels la personne est un sujet et non un objet de droit, de soutenir qu’existe un droit sur l’image. L’image n’est pas le prolongement d’un individu qui ne saurait être dans le commerce, mais l’expression d’un personnage qui possède, en tant que tel, une authentique valeur. D’ailleurs, la valeur diffère selon les éléments constitutifs de l’image, selon les signes exprimant l’appartenance à un club important, ou à l’équipe de France. Il a été jugé qu’un gymnaste de rang régional ne devait recevoir que 5 000 F de dommages intérêts parce qu’il n’était pas : « un sportif de haut niveau unique au plan national et de renommée internationale »[16]. La rareté fixe le prix... dans le monde des échanges commerciaux, des biens. Car l’image est un bien d’une nature un peu particulière : un bien de la personnalité, produit de l’activité d’une personne, de ses traits et de signes  [17]. L’image du sportif est l’image d’un personnage  [18] ; Alors, droit de la personnalité ou droit des biens ? quel doit être le régime applicable ?

14 Exploitée comme une chose, l’image ne peut cependant pas être soumise au régime général des biens en raison de son rattachement naturel à la personne. C’estdonc tout naturellement dans le droit des propriétés intellectuelles et particulièrement des droits d’auteur qu’il convient de rechercher les règles applicables à l’image du sportif. Il faut en effet tirer les conséquences de la qualification de l’image en bien de la personnalité, en remarquant que le personnage est une création, que les droits sur l’image sont donc des droits attachés à la création. Ils ne procèdent d’aucun autre droit préalable, parce que l’objet qui en est leur support est créé ex nihilo, du fait de l’auteur  [19]. Les droits d’exploitation seront donc attribués à l’auteur désigné, pourquoi pas, selon les règles fixées pour la création littéraire et artistique.

15 Ainsi, parce que l’image du sportif est toujours la conséquence d’un double apport : personne et groupement, il semble légitime d’attribuer les droits sur l’image à l’un et l’autre. L’image individuelle du sportif appartient à la personne et au groupement qui lui a attribué les signes distinctifs, en application des règles applicables à l’œuvre de collaboration  [20].

16 Quant à l’image collective...

17 Il s’agit de l’image d’une équipe sportive dont les éléments sont certes identifiés, mais dont l’existence nécessite la participation commune de tous : « sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé »[21]. L’image collective de sportifs appartient donc au club ou à la fédération (lorsqu’il s’agit de l’équipe de France) puisqu’il s’agit d’une image créée sur l’initiative du groupement sportif et que, en application de l’article L. 113-5 CPI : « l’œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée. Cette personne (étant) investie des droits de l’auteur ».

18 On pourra objecter que le droit d’auteur n’a pas été conçu pour les biens de la personnalité et qu’il faut être prudent avec des extensions insuffisamment mûries de droits particuliers. Les juges décideront, s’il faut reconnaître les droits patrimoniaux sur l’image à partir du texte relatif à la protection de la vie privée, ou s’il faut s’affranchir de cette assimilation de l’image à la personne et adapter le droit d’auteur à une création nouvelle : le bien de la personnalité. D’ores et déjà, certains signes permettent d’affirmer que la répartition des droits d’exploitation s’opère selon le modèle proposé. Sans doute la Charte du sportif de haut niveau imposée aux sportifs du même nom prévoit seulement : « selon les cas, le groupement sportif ou la fédération dispose de droits exclusifs d’exploitation de l’image collective de l’équipe à l’occasion des activités sportives de celle-ci et pour la promotion de ces seules activités. Tout contrat individuel contraire leur (étant) inopposable »  [22] ; mais certains groupements sportifs vont plus loin : ils ont entendu les arguments développés et apprécié cette nouvelle qualification au point d’intégrer dans leur règlement un partage équitable, et ainsi justifié, des droits sur les images individuelles et collectives des sportifs  [23].

Notes

  • [1]
    Pour reprendre le titre de ma thèse soutenue en 1996 à l’université de Limoges sous la direction de F. Alaphilippe.
  • [2]
    Cf. G. Loiseau, Légicom n° 20, 1999/4 , p. 74.
  • [3]
    F. Potet, Le Monde, vendredi 2 juin 2000, p.27.
  • [4]
    CA Nîmes (1re ch.), 7 janvier 1988, doc.edi-data n° 88-10021.
  • [5]
    On a pu assister dès 1992 à une amorce du déclin de l’assimilation du droit à l’image et au droit à la vie privée. On notera ainsi que le juge des référés du TGI de Paris, dans une décision du 19 septembre 1992, avait fondé sa décision sur l’article 809 du NCPC et non sur l’article 9 al.2 du code civil, dans une affaire où l’image de deux membres de l’Équipe de France féminine de judo était utilisée à des fins de propagande électorale, au motif que : « la publication d’un tel cliché ne saurait constituer une atteinte à la vie privée permettant l’intervention du juge des référés sur le fondement de l’article 9 du code civil », mais que : « la publication dans un tract édité par un parti politique pour appuyer sa position dans le cadre de la campagne référendaire de la photo de grandes sportives très connues, qui est de nature à faire naître dans l’esprit du corps électoral qu’elles prennent parti, alors qu’elles n’ont donné aucun consentement à l’utilisation de leur image à cette fin, caractérise le trouble manifestement illicite que l’article 809 du NCPC donne pouvoir au juge des référés de faire cesser ».
  • [6]
    CA Paris, 30 novembre. 1987, doc. edi-data n° 87-27951.
  • [7]
    Ces contrats n’étaient d’ailleurs pas toujours conclus par les sportifs eux-mêmes, ce qui soulevait la question délicate de l’emploi de la technique du porte-fort, dans un domaine (le sport) où il pouvait être très difficile de refuser d’exécuter l’engagement pris par autrui. Sur ces points, cf. thèse préc., p. 242 s.
  • [8]
    CA Versailles (5e ch.), 12 février 1991, RJES n° 12.
  • [9]
    CA Paris, 30 novembre 1987, doc. edi-data, n° 87951
  • [10]
    TGI Paris, 21 décembre 1983, inéd.
  • [11]
    Les exemples sont nombreux ; ils ont été, en général, réglés à l’amiable.
  • [12]
    Les obligations publicitaires définies par le contrat sont ainsi mises à la charge… “des athlètes”.
  • [13]
    On comprendra que, parmi les enjeux du sport français, le financement des activités et des athlètes occupe une place majeure. L’État ou les collectivités publiques ne peuvent tout prendre en charge, en versant des subventions ; il faut donc trouver d’autres ressources et le recours à des sponsors est celui qui est le plus “rentable” – hormis la cession des droits de télévision pour les sports les plus médiatiques –. (sur ce point, cf. notamment l’article 24 de la loi du 6 juillet 2000 modifiant celle du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives. Cet article dispose : « Dans des conditions fixées par la loi de finances, il est instauré, en faveur du développement des associations sportives locales et de la formation de leurs animateurs, un dispositif de mutualisation d’une partie des recettes des droits de diffusion télévisuelle provenant des contrats signés par les fédérations sportives ou leurs organes internes ou tout organisateur de manifestations sportives visé à l’article 18. « Les fonds prélevés sont affectés au Fonds national pour le développement du sport. »
  • [14]
    Alciat, cité par P. Legendre, “Leçon III Dieu au miroir” Fayard 1994, p.12.
  • [15]
    CA Paris (15e ch.), 28 février 1980, comm. F. Alaphilippe, J.-P. Karaquillo in “L’activité sportive dans les balances de la justice”, t.1, Dalloz 1985, p. 53 s.
  • [16]
    CA Nîmes, 7 janvier 1988, doc. edi-data n° 88-10021.
  • [17]
    Le terme “bien de la personnalité” a été utilisé également par F. Rigaux, “la protection de la vie privée et autres biens de la personnalité”, LGDJ, Bruylant Bruxelles 1990 dans un sens différent l’image est la manifestation d’une liberté : celle de consentir à la réalisation et à l’exploitation de son effigie.
  • [18]
    Cf. Par exemple, L’Équipe du 18 mai 2000 où l’on pouvait lire en titre “Beckam devient Bouddha” ; dans l’article E. Lamy relatait les faits suivants « en Thaïlande, la statue plaquée or de 30 cm du footballeur est intégrée en frise, dans le sanctuaire d’un temple de Bangkok ». On peut également lire sous la plume d’A. Delcayre in Stratégie du 5 juin 2000 : « le directeur général adjoint de Canal Satellite déclare d’ailleurs “je savais que Zidane avait une très belle image, mais à ce point-là... Il touche toutes les catégories de gens. On bénéficie, d’après nos études qualitatives, de son image d’accessibilité, de simplicité, de proximité” [et le journaliste reprend] on peut affirmer que Zidane n’a pas encore trouvé “son” publicitaire, celui qui sera capable, tout en jouant avec les valeurs que le footballeur véhicule, de le déconnecter de la réalité pour le faire passer dans une nouvelle dimension ». Il ne s’agit manifestement pas d’une personne, mais bien de la construction d’une personnalité quasi autonome et les exemples ne manquent pas...
  • [19]
    Cf. J.-M. Mousseron, “Valeurs, bien, droits” in Mélanges en hommage à A. Breton et F. Derrida, Dalloz 1991, p. 283 : « il est intéressant de noter que si, comme l’enseignement de Lavoisier l’affirme “rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme”, la formule ne vaut pas pour les biens immatériels. Si les biens matériels naissent de la transformation continue de biens antérieurs, les biens immatériels sont les seuls à être proprement créés, à apparaître non pas comme la transformation de biens antérieurs, mais comme des biens pleinement nouveaux, non des valeurs transformées avec ou sans plus-values, mais des valeurs proprement nouvelles. Les biens qui les expriment dans l’organisation juridique et les droits qui les ont pour objet ne doivent alors, ni aux biens, ni aux droits antérieurs ».
  • [20]
    Art. L.113-3 CPI « L’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs ».
  • [21]
    Art. L.113-2 al.3 CPI.
  • [22]
    Règle 9 de la Charte.
  • [23]
    On notera par exemple que l’article 42 de la charte 1997 du football professionnel dispose :« b)… les actions publicitaires concernant l’utilisation… de la photographie de l’équipe (est) réalisée au seul profit du club, sauf dispositions prises avec chaque joueur. La photographie de l’équipe est celle qui reproduit en un seul cliché les joueurs composant l’effectif, revêtus des seuls équipements visés ci-dessus… (il s’agit des maillots, survêtements, bas, shorts, etc.) ; c) les actions publicitaires concernant l’utilisation de la photographie individuelle des joueurs avec ou sans le ou les maillots de compétition de l’équipe et l’indication de l’appartenance au club sont réalisées au seul profit de ces joueurs, mais e) en ce qui concerne le marchandisage, les clubs pourront exploiter collectivement l’image individuelle de leurs joueurs sous contrat. »Cf. également l’exemple du contrat de travail type d’un joueur de rugby dans lequel l’article 8 traite particulièrement du droit à l’image : « le joueur dispose des droits d’image conformément à la législation en vigueur pour toute action de communication ou de publicité. Il s’engage cependant pour celles-ci à ne pas faire état de son appartenance au club et à ne pas en porter les équipements sportifs qui lui sont fournis, sans accord exprès du président du club. »
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